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3. Analyses politiques

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révisionnisme historique : le déshonneur du Parlement européen par P. Le Hyaric

publié le 26 sept. 2019, 05:50 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 26 sept. 2019, 05:51 ]

    par Patrick Le Hyaricdirecteur de l’Humanité. 26 septembre 2019

    Le Parlement européen a voté il y a quelques jours une résolution scélérate censée souligner l’« importance de la mémoire européenne pour l’avenir de l’Europe ». En réalité, cette mémoire est bafouée ligne par ligne, laissant présager un « avenir » sombre pour l’Europe. Visant à mettre un trait d’égalité entre communisme et nazisme, ce texte mobilise des considérants qui sont chacun des modèles de propagande et de révisionnisme historique.

    La signature du pacte germano-soviétique est ainsi obsessionnellement désignée comme cause principale du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Ce grossier raccourci historique permet d’absoudre cyniquement aussi bien le national-socialisme, son idéologie de mort et les régimes fascistes des années 1930 que l’atermoiement meurtrier et parfois connivent des chancelleries occidentales avec le nazisme, et la complicité active de puissances d’argent avec les régimes fascistes et nazi.

    Silence est fait sur le traité de Versailles et ses conséquences. Aucun mot n’est consacré aux accords de Munich d’octobre 1938, ce « Sedan diplomatique » qui a livré les peuples européens au « couteau de l’égorgeur », ce « début d’un grand effondrement, la première étape du glissement vers la mise au pas », comme l’écrivait dans l’Humanité le journaliste et député communiste Gabriel Péri, fusillé par les nazis.

    Tout le faisceau de causes mobilisées par des générations d’historiens pour tenter d’expliquer le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale est bazardé au profit d’une bouillie antirusse sans aucun égard pour le sacrifice immense des Soviétiques dans l’éradication du nazisme.

    S’il ne fait aucun doute que le régime stalinien fut bel et bien un régime sanglant et criminel, il est moralement et historiquement inconcevable de faire de l’Union soviétique, de son armée et de tous ceux qui s’engagèrent avec elle, communistes de tous pays acteurs décisifs du combat libérateur, des équivalents des nazis et de leurs supplétifs collaborateurs, sauf à sombrer dans « l’obsession comparatiste », névrose idéologique dénoncée par l’historien Marc Ferro. Les communistes furent, dans de nombreux pays et avec l’appui de différentes forces, gaullistes et socialistes en France, les artisans du redressement national, créant un rapport de force qui permit l’édification d’institutions républicaines et sociales sur les cendres du nazisme et des collaborations. Est-ce un hasard si cet héritage fait parallèlement l’objet de violentes attaques dans tous les pays de l’Union européenne ?

    Les pays d’Europe orientale furent, quant à eux, des points d’appui décisifs dans les combats anticoloniaux qui essaimèrent après guerre. Noyer dans le concept de totalitarisme des réalités historiques aussi dissemblables ne peut apparaître que comme une escroquerie intellectuelle. Une telle entreprise ne sert en aucun cas à poser un regard lucide et apaisé, pourtant indispensable, sur les contradictions, crimes et fautes des régimes influencés par le soviétisme et qui ont pris le nom de socialisme.

    Cette résolution s’appuie sur un considérant aussi grotesque que l’interdiction formulée dans certains pays de l’Union de « l’idéologie communiste », semblant acter des dérives revanchardes des extrêmes droites du continent en incitant tous les États membres à s’y plier. Signe qui ne trompe pas, l’inféodation à l’Otan est ici désignée comme gage de liberté pour les peuples de l’Est européen.

    Cette résolution fait la part belle au révisionnisme d’extrême droite quand les pays baltes sont désignés comme ayant été « neutres », alors que ces derniers ont mis en place bien avant le pacte germano-soviétique des régimes de type fasciste laissés aux mains de « ligues patriotiques » et autres « loups de fer », suscitant un antisémitisme viscéral qui connaîtra son apogée sanglant dans ces pays lors de la Seconde Guerre mondiale.

    Incidemment, la Shoah, sa singularité intrinsèque, et les logiques d’extermination méticuleuses et industrielles du régime nazi sont fondues dans le magma des meurtres du XXe siècle et ainsi relativisées. L’odieuse équivalence entre nazisme et communisme permet d’exonérer les régimes nationalistes d’inspiration fasciste des années 1930 que des gouvernements et ministres actuels d’États membres de l’Union européenne célèbrent ardemment.

    Viserait-on, par ce texte politicien, à réhabiliter ces régimes qui gouvernèrent de nombreux pays d’Europe orientale avant de sombrer dans la collaboration en nourrissant l’effort de guerre nazi et son projet d’extermination des juifs d’Europe ? Ce texte est une insulte faite aux 20 millions de Soviétiques morts pour libérer l’Europe du joug nazi, aux millions de communistes européens engagés dans la Résistance et les combats libérateurs, un affront fait aux démocrates alliés aux mouvements communistes contre nazis et fascistes, avant et après la Seconde Guerre mondiale.

    Au moment où Ursula Von der Leyen, présidente de la Commission européenne, propose de nommer un commissaire à la « protection du mode de vie européen », célébrant un culte que l’on croyait révolu à la pureté continentale, les thèses historiques révisionnistes des droites extrêmes et réactionnaires, qui ont de toute évidence inspiré ce texte, font leur entrée fracassante au Parlement européen. Pendant ce temps, aucun commissaire n’est nommé sur les questions d’éducation ou de culture…

    Thomas Mann, vigie morale d’une Europe décomposée, écrivait : « Placer sur le même plan moral le communisme russe et le nazi-fascisme, en tant que tous les deux seraient totalitaires, est dans le meilleur des cas de la superficialité, dans le pire c’est du fascisme. Ceux qui insistent sur cette équivalence peuvent bien se targuer d’être démocrates, en vérité, et au fond de leur cœur, ils sont déjà fascistes ; et à coup sûr ils ne combattront le fascisme qu’en apparence et de façon non sincère, mais réserveront toute leur haine au communisme. »

    Si l’expérience qui a pris le nom de communiste au XXe siècle ne peut être, pour tout esprit honnête, résumée à la personne de Staline ou à une forme étatique, tel n’est pas le cas du nazisme, intrinsèquement lié à un homme, à un régime. Et si le communisme propose un horizon d’émancipation universelle, quoi qu’on pense des expériences qui s’en sont réclamées, tel n’est pas le cas de l’idéologie nazie, qui se revendique raciste, réactionnaire et exclusive, portant la mort en étendard. Ces simples arguments de bon sens disqualifient l’odieuse comparaison de cette résolution.

    C’est bien la visée communiste, dont nous maintenons qu’elle ne fut jamais mise en pratique dans les pays du bloc soviétique, qui est la cible de ce texte indigne et inculte, et avec elle, la possibilité d’une autre société. Que des voix sociales-démocrates et écologistes aient pu soutenir pareille résolution, mêlant leurs voix au Rassemblement national (ex-FN) et aux extrêmes droites continentales, est le signe désolant de la lente dérive d’une frange trop importante de la gauche européenne qui largue les amarres d’une histoire et d’un courant, ceux du mouvement ouvrier, dans lesquels elle fut elle aussi forgée, qui prête également le flanc aux pires tendances qui s’expriment dans le continent.

    Demain, un maire, un élu, un député pourra-t-il se dire communiste sans enfreindre la docte délibération du Parlement européen ? Et l’Humanité pourrait-elle un jour passer sous les fourches Caudines de la censure imposée des droites extrêmes coalisées ? Ne plane-t-il pas là comme un parfum munichois, justement, face à une offensive idéologique dont certains pensent pouvoir se satisfaire en rasant les murs ?

    Tous les démocrates, toutes les personnes attachés à la libre expression des courants qui se réclament du communisme et d’une alternative au système capitaliste devraient au contraire se lever contre cette inquiétante dérive qui nous concerne tous. Au risque d’y laisser eux aussi un jour leur peau.


lire également : Fascisme et communisme, peut-on les comparer ?

ADA COLAU, MAIRE DE BARCELONE, élue avec Podemos soutient la liste conduite par Ian Brossat aux élections européennes.

publié le 19 mai 2019, 15:26 par Jean-Pierre Rissoan


La liste qui grimpe, qui grimpe, c'est celle du PCF conduite par Ian Brossat

Début du message réexpédié :

De : Hugo Carlos <hugo.carlos22@gmail.com>
Objet : Ada Colau, maire de Barcelone soutient Ian Brossat !
Date : 18 mai 2019 17:09:04 UTC+02:00
À : sodol colombini <sodol@free.fr>


ADA COLAU, MAIRE DE BARCELONE, élue avec Podemos soutient la liste conduite par Ian Brossat aux élections européennes

" Tout mon soutien à Brossat, adjoint au maire à paris et candidat aux élections européennes. Grâce à lui Barcelone et paris ont passé quatre ans à préparer des stratégies pour combattre la spéculation immobilière, et réguler le logement frauduleux. J’espère le voir à Bruxelles ! "


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Ian Brossat, le retour de l’idée communiste ?

Mathieu Dejean 
- 17/05/19 17h17 

    Tête de liste du PCF aux élections européennes, Ian Brossat réalise une percée médiatique et politique à gauche, et espère créer la surprise le 26 mai. Cent ans après la création du “Parti”, quel communisme incarne-t-il ?
    Une rumeur monte dans les travées du gymnase Japy, ce 16 mai, dans le XIe arrondissement de Paris. Du bout des lèvres d’abord, puis avec de plus en plus d’entrain, le refrain de La Jeune Garde, grand classique des meetings communistes, finit par envahir l’espace : “V’là la jeune garde ! V’là la jeune garde, Qui descend sur le pavé..." Ce chant révolutionnaire reflète l’état de régénérescence du Parti communiste français (PCF), qui organise ce soir-là un grand meeting de soutien à sa tête de liste aux élections européennes, Ian Brossat.
    Jeune, urbain, adepte des réseaux sociaux : l’adjoint à la mairie de Paris en charge du logement est métamorphosé. En quelques semaines et autant de réparties fulgurantes distribuées à ses adversaires sur les plateaux télé (Yves Thréard s’en souvient), l’élu de 39 ans s’est fait un nom dans le paysage balkanisé de la gauche. A tel point que le Parti bientôt centenaire se prend à rêver d’un petit matin rouge le 26 mai, jour du scrutin.
    Même si les sondages ne le créditent pour l’instant que de 4 %, Ian Brossat est le nom du retour d’un parti pendant plusieurs années éclipsé – par le Front de gauche en 2012, puis par la France insoumise en 2017. “PCF is back !”, se félicite Fabien Roussel, le secrétaire national élu au dernier congrès. Dans la presse, l’engouement suscité par sa candidature est patent. Le contraste entre l’image désuète du PCF et la modernité de son incarnation intrigue : “Communiste 2.0”, “communiste new look”, lit-on dans les articles qui lui sont consacrés.
“J'ai une tendresse particulière pour Georges Marchais”
    A “Colonel Fabien”, le siège à l'architecture d'avant-garde du PCF où il nous reçoit, il balaye d’un revers de main ces titres élogieux : “J’ai toujours trouvé qu’il y avait un décalage important entre ce qu’est le PC, ses militants, ses élus, et la représentation qui en est faite. Donc si j’ai contribué à faire en sorte que l’image que les gens se font désormais du PC est un peu plus fidèle à ce qu’il est vraiment, tant mieux.”
    En dépit de sa jeunesse, Ian Brossat n’est pas un communiste qui bouscule tant que ça les habitudes - le “nouveau monde”, ce n'est pas lui. Jeter un œil à son clip officiel de campagne suffit à s’en convaincre. De manière quasi subliminale, une image d’archive de Georges Marchais, iconique secrétaire général du PC (de 1972 à 1994), enlaçant Nelson Mandela lors de sa libération en 1990, s’y est glissée. “C’est moi qui ai proposé cette idée”, révèle-t-il dans un sourire satisfait.
    Signe que même en pleine course, il veut bien se laisser rattraper par le vieux monde, et adresser un message rassurant aux anciens marchaisiens qui tiennent aujourd’hui les rênes du parti : “Nous les communistes, nous avons des racines historiques, et je préfère assumer ce qu’on a toujours été plutôt que tenter de jouer l’ardoise magique”, explique-t-il. “Par ailleurs, je ne suis pas toujours d’accord avec tout ce que Georges Marchais a pu dire, mais j’ai une tendresse particulière pour lui, et pour le fait que quand il était sur un plateau de télé, certains journalistes pénibles, qui sévissent encore, se tenaient à carreau !”, ajoute-t-il sans cacher sa référence à Alain Duhamel et Jean-Pierre Elkabbach. En 2014, il posait aussi fièrement dans son bureau avec une photo du tribun rouge à la plage.

gilets jaunes : "Fin de monde ?" par Frédéric Lordon, 5 décembre 2018

publié le 10 déc. 2018, 06:45 par Jean-Pierre Rissoan

    La chute d’un ordre de domination se reconnaît à la stupéfaction qui se lit sur les visages de ses desservants. Samedi, le spectacle n’était pas seulement dans la rue. Il était, et il dure toujours depuis, sur les faces ahuries de BFM, de CNews, de France 2, et d’à peu près tous les médias audiovisuels, frappées d’incompréhension radicale. Que la stupidité ait à voir avec la stupéfaction, c’est l’étymologie même qui le dit. Les voilà rendues au point d’indistinction, et leur spectacle commun se donne comme cette sorte particulière d’« information » : en continu.

Comme l’esprit se rend préférentiellement aux idées qui font sa satisfaction et là où il trouve du confort, les trompettistes du « nouveau monde » et du « macronisme révolutionnaire », sans faire l’économie d’une contradiction, retournent invariablement à l’écurie de leurs vieilles catégories, les catégories du vieux monde puisque c’est celui-là qui a fait leur situation, leurs émoluments et leur magistère (lire « Macron, le spasme du système »). Et les voilà qui divaguent entre l’ultradroite et l’extrême gauche, ou l’ultragauche et l’extrême droite, cherchent avec angoisse des « représentants » ou des « porte-parole » présentables, voudraient une liste circonstanciée de « revendications » qu’on puisse « négocier », n’en trouvent pas davantage, ni de « table » autour de laquelle se mettre. Alors, en désespoir de cause, on cherche frénétiquement avec le gouvernement au fond du magasin des accessoires : consultations des chefs de parti, débat à l’Assemblée, réunion avec les syndicats — l’espoir d’une « sortie de crise » accrochée à un moratoire sur la taxe gasoil ? un Grenelle de quelque chose peut-être ? C’est-à-dire pantomime avec tout ce qui est en train de tomber en ruine. Voilà où en sont les « élites » : incapables de seulement voir qu’il n’est plus temps, que c’est tout un monde qui est en train de partir en morceaux, le leur, qu’on ne tiendra pas pareille dislocation avec du report de taxe ou des taux minorés, bien content si les institutions politiques elles-mêmes ne sont pas prises dans l’effondrement général. Car il ne s’agit pas d’un « mouvement social » : il s’agit d’un soulèvement.

Car il ne s’agit pas d’un « mouvement social » : il s’agit d’un soulèvement.

Quand une domination approche de son point de renversement, ce sont toutes les institutions du régime, et notamment celles du gardiennage symbolique, qui se raidissent dans une incompréhension profonde de l’événement — l’ordre n’était-il pas le meilleur possible ? —, doublée d’un regain de hargne, mais aussi d’un commencement de panique quand la haine dont elles font l’objet éclate au grand jour et se découvre d’un coup à leurs yeux. Ceci d’autant plus que, comme il a été noté, la singularité de ce mouvement tient à ce qu’il porte désormais l’incendie là où il n’avait jamais été, et là où il doit être : chez les riches. Et sans doute bientôt, chez leurs collaborateurs.

On lit que la directrice de BFM est restée interloquée d’entendre scander « BFM enculés » sur les Champs, et que le président de la société des journalistes a découvert, dans le même état, que « cela ne vient pas de militants mais de gens du quotidien ». Les pouvoirs de ce genre, ceux de la tyrannie des possédants et de leurs laquais, finissent toujours ainsi, dans la sidération et l’hébétude : « ils nous détestent donc tant que ça ». La réponse est oui, et pour les meilleures raisons du monde. Elle est aussi qu’après toutes ces décennies, le moment est venu de passer à la caisse et, disons-le leur dès maintenant, l’addition s’annonce salée. Car il y a trop d’arriérés et depuis trop longtemps.

Lire aussi Alexis Spire, « Aux sources de la colère contre l’impôt », Le Monde diplomatique, décembre 2018.

Depuis les grèves de 1995, la conscience de ce que les médias censément contre-pouvoirs sont des auxiliaires des pouvoirs, n’a cessé d’aller croissant. Du reste, ils ont œuvré sans discontinuer à donner plus de corps à cette accusation à mesure que le néolibéralisme s’approfondissait, mettait les populations sous des tensions de plus en plus insupportables, qui ne pouvaient être reprises que par un matraquage intensif des esprits, avant qu’on en vienne à celui des corps.

C’est à ce moment que, devenant ouvertement les supplétifs du ministère de l’intérieur en plus d’être ceux de la fortune, ils se sont mis à rendre des comptages de manifestants plus avantageux encore que ceux de la préfecture, puis à entreprendre de dissoudre tous les mouvements de contestation dans « la violence » — et par-là à indiquer clairement à qui et à quoi ils avaient partie liée.

C’est peut-être en ce lieu, la « violence », que la hargne des laquais trouve à se dégonder à proportion de ce qu’ils sentent la situation leur échapper. Au reste, « condamner » ayant toujours été le meilleur moyen de ne pas comprendre, à plus forte raison poussé par des intérêts si puissants à la cécité volontaire, « la violence des casseurs » a été érigée en dernière redoute de l’ordre néolibéral, en antidote définitif à toute contestation possible — sans par ailleurs voir le moins du monde le problème à célébrer le 14 juillet 1789 ou commémorer Mai 68 : folle inconséquence de l’Histoire embaumée, mise à distance, dévitalisée, et privée de tout enseignement concret pour le présent.

C’est peut-être en ce lieu, la « violence », que la hargne des laquais trouve à se dégonder à proportion de ce qu’ils sentent la situation leur échapper.

    En tout cas, dans le paysage général de la violence, les médias, surtout audiovisuels, ont toujours pris ce qui les arrangeait en ayant bien soin de laisser le reste invisible, donc la violence incompréhensible, par conséquent à l’état de scandale sans cause : le mal à l’état pur. Mais pourquoi, et surtout au bout de quoi, les Conti envahissent-ils la sous-préfecture de Compiègne, les Goodyear séquestrent-ils leur direction, les Air France se font-ils une chemise de DRH, et certains gilets jaunes sont-ils au bord de prendre les armes ? Qu’est-ce qu’il faut avoir fait à des gens ordinaires, qui ont la même préférence que tout le monde pour la tranquillité, pour qu’ils en viennent à ces extrémités, sinon, précisément, les avoir poussés à toute extrémité ?

    Le déni de la violence sociale est cette forme suprême de violence à laquelle Bourdieu donnait le nom de violence symbolique, bien faite pour que ses victimes soient réduites à merci : car violentées socialement, et méthodiquement dépouillées de tout moyen d’y résister « dans les formes » puisque tous les médiateurs institutionnels les ont abandonnées, elles n’ont plus le choix que de la soumission intégrale ou de la révolte, mais alors physique, et déclarée d’emblée odieuse, illégitime et anti-démocratique — normalement le piège parfait. Vient cependant un moment où la terreur symbolique ne prend plus, où les verdicts de légitimité ou d’illégitimité volent à leur tour, et où la souffrance se transforme chimiquement en rage, à proportion de ce qu’elle a été niée. Alors tout est candidat à y passer, et il ne faudra pas s’en étonner : permanences de députés, banques, hôtels particuliers, préfectures, logiquement plus rien n’est respecté quand tout a failli.

    Il est vrai qu’à ceux qui ont lié leur position et leurs avantages au cadre du moment, et qui n’ont cessé de répéter qu’il n’y en avait ni de meilleur ni simplement d’autre possible, l’irruption du hors-cadre radical ne laisse aucune autre solution de lecture que « l’aberrant », le « monstrueux », ou mieux encore, quand elle est « avérée », la « violence ». Encore fallait-il qu’elle demeure marginale pour pouvoir être maintenue dans son statut de monstruosité, et puis aussi qu’on occulte systématiquement la responsabilité de celle des forces de police. Mais ce sont ces deux conditions qui sont en train d’être détruites en ce moment.

La première parce que les « gilets jaunes » offrent à profusion cette figure oxymorique, incompréhensible pour les pouvoirs, des « braves gens enragés ». « Enragé » normalement c’est « enragé », c’est-à-dire ultra-radical-minoritaire. Ça ne peut pas être « braves gens », qui veut dire majorité silencieuse — ou bien contradiction dans les termes. Or, si. Assez simplement même : on est enragé quand on est poussé à bout. Il se trouve qu’au bout de 30 ans de néolibéralisme parachevés par 18 mois macroniens de guerre sociale à outrance, des groupes sociaux entiers ont été poussés à bout. Alors enragés.

Les "gilets jaunes" offrent à profusion cette figure oxymorique, incompréhensible pour les pouvoirs, des "braves gens enragés"

    Croyant que ce dont ils ne parlent pas n’existe pas, les médias ne les avaient pas vu venir ces enragés-là. Mais voilà, ils sont là, produits d’une longue et silencieuse accumulation de colère, qui vient de rompre sa digue. Ceux-là on ne les fera pas rentrer facilement à la maison. Et ceci d’autant moins qu’avec la naïveté des « braves gens », ils ont expérimenté, à l’occasion de leur première manifestation pour beaucoup d’entre eux, ce que c’est que la violence policière. En sont restés d’abord sidérés. Puis maintenant, s’étant repris, dégoupillés pour de bon. Alors on ne compte plus ceux qui, à l’origine « braves gens » certifiés, sont pris dans un devenir-casseur — comme certains autres, débitant des palettes sur un rond-point pour construire une cabane, sont pris dans un étonnant devenir-zadiste.

    Gageons d’ailleurs que des révisions de grande ampleur doivent être en train de s’opérer dans leurs esprits. Car tous ces gens qui depuis 2016 et la loi El Khomri, jusqu’à 2018 avec Notre-Dame-des-Landes et les ordonnances SNCF, avaient été abreuvés de BFM et de France Info, invités à pleurer les vitres de Necker, se retrouvent aujourd’hui dans la position structurale des casseurs, en vivent la condition de violence policière et médiatique, et savent un peu mieux à quoi s’en tenir quant à ce que ces deux institutions diront désormais des « ultras violents radicalisés ». En tout cas c’est très embêtant pour les chaînes d’information en continu cette affaire : car si le devenir-casseur prend cette extension, que pourra donc encore vouloir dire « casseur » ?

    L’autre condition est de maintenir les agissements réels de la police hors-champ. Sur ce front-là, on se battra jusqu’au bout dans les chefferies audiovisuelles. Le mensonge par occultation est général, acharné, épais comme de la propagande de dictature. La population basculerait instantanément dans l’indignation si elle avait l’occasion de voir le dixième de ce que les grands médias audiovisuels lui cachent systématiquement, ainsi ces vidéos d’une vieille dame en sang gazée ou d’un retraité matraqué. Quand France Info nous avait saoulés jusqu’à la nausée des vitres de Necker ou du McDo en feu, aucun flash à la mi-journée de lundi n’avait encore informé de la mort d’une octogénaire tuée par une grenade lacrymogène. Les robots de BFM n’opposent jamais aucune image aux syndicalistes policiers qui disent qu’on les « matraque » (sic !) et qu’on les « mutile ». Mais, si les mots ont encore un sens, de quel côté du flashball ou du lanceur de grenades compte-t-on les éborgnés et les mains arrachées ? On se demande si Nathalie Saint-Cricq ou Apathie garderaient leur déjeuner si on leur montrait au débotté les photos proprement insoutenables (il s’agit de blessures de guerre) de manifestants mutilés — vraiment — par les armes de la police. On ne sache pas qu’il se soit encore trouvé un seul grand média audiovisuel pour montrer en boucle, comme ils le font d’habitude, aux « braves gens » pas encore devenus casseurs cette vidéo d’un jeune homme roué de coups par huit policiers, qui achèverait de les informer sur le degré de confiance qu’il convient d’avoir en la « police républicaine » quand on met tout ça — ces dizaines de vidéos, ces centaines de témoignages — bout à bout.

    Mais il y a une économie générale de la violence et on sait ce qu’elle donne quand elle est lancée : elle est réciprocitaire, divergente et peut emmener très loin. Nul ne sait jusqu’où dans la situation actuelle, et peut-être à des extrémités dramatiques. Mais qui l’aura déclenchée sinon Macron qui, après avoir déclaré la guerre sociale à son peuple, lui déclare la guerre policière, peut-être bientôt la guerre militaire, en compagnie des médias de gouvernement qui lui déclarent la guerre symbolique ? Le partage des responsabilités est d’autant plus clair que les offensés auront encaissé très longtemps sans mot dire : l’agression économique, le mépris élitaire, le mensonge médiatique, la brutalité policière. Or le mauvais génie de la réciprocité violente est une mémoire, et une mémoire longue. Sur un fil Twitter une baqueuse découvre sidérée — elle aussi, comme les primo-manifestants matraqués pour rien, mais en sens inverse, car, en définitive tout est affaire de sidération dans cette histoire, de sidérations opposées, qui passent les unes dans les autres, qui se nourrissent les unes les autres — la baqueuse, donc, découvre de quelle haine ses collègues et elle sont l’objet. Et l’on peine à le croire. Décidément toutes les institutions de la violence néolibérale tombent ensemble des nues. Les collégiens cernés et gazés au poivre par des flics accompagnés de chiens n’oublieront pas de sitôt ce moment de leur vie où s’est formé décisivement leur rapport à la police et, dans deux ans, cinq ans, cette police oublieuse qui les croisera de nouveau s’émouvra de la détestation brute qu’elle lira sur leurs visages — et n’y comprendra rien.

    Et voilà que le corps préfectoral se met à avoir des sueurs froides à son tour. C’est qu’ils ont de quoi se sentir un peu seulets dans leurs hôtels. Depuis que la préfecture du Puy-en-Velay a brûlé, on sait de quoi « les autres » sont capables — oui, maintenant, de tout. Alors il est urgent de négocier un virage sur l’aile sans attendre, pour faire savoir par « quotidien de référence » interposé que l’Élysée macronien a quitté terre, que, eux, préfets, ont conscience des malheurs du peuple, qu’ils pourraient même se reconvertir en lanceurs d’alerte si on les écoutait. On tâchera quand même de se souvenir que ce sont ces préfets qui depuis Nuit debout font éborgner, grenader, et tirer-tendu.

Mais l’on y verra surtout le retour de ce qu’on pourrait appeler « la situation La Boétie », celle que le pouvoir s’efforce de nous faire oublier constamment, et d’ailleurs que nous oublions constamment, tant elle semble un incompréhensible mystère : ils sont très peu et règnent sur nous qui sommes nombreux. Il arrive cependant que le voile se déchire et que fasse retour la cruelle réalité arithmétique du pouvoir. Et c’est bien cet aveu touchant de candeur qu’a consenti samedi soir le sous-ministre de l’intérieur, en reconnaissant qu’il ne pouvait guère engager davantage de troupe à Paris quand toute la carte de France clignote et demande de la garnison. Un manager de la startup nation trouverait sans doute à dire que le dispositif est « stressé ». Le « stress du dispositif », c’est le retour de La Boétie. Nous sommes les plus nombreux. Nous sommes même beaucoup plus nombreux qu’eux. C’est d’autant plus vrai que le plein est loin d’avoir été fait et qu’il y a encore une belle marge de progression. Tout ça se vérifiera bientôt : lycéens, étudiants, ambulanciers, agriculteurs, tant d’autres.

Ils sont très peu et règnent sur nous qui sommes nombreux. Il arrive cependant que le voile se déchire et que fasse retour la cruelle réalité arithmétique du pouvoir.

    Mais alors quoi ? L’armée ? L’adolescent désaxé qui est à l’Élysée en est très capable : n’utilise-t-il pas contre sa population des grenades qui sont des armes de guerre, et n’a-t-il pas fait placer des snipers avec fusils à lunettes au sommet de quelques bâtiments parisiens, image des plus impressionnantes, étonnamment offerte par Le Monde qui est peut-être en train de se demander lui aussi s’il n’est pas temps de lâcher son encombrant protégé dans un virage ?

    En tout cas, terrible moment de vérité pour l’éditorialisme « faites ce que vous voulez ». On avait adoré le dégagisme à Tunis ou place Tahrir. Mais expliqué que ce qui est là-bas un merveilleux sursaut de la liberté est ici du populisme crasseux qui rappelle les heures sombres. Jusqu’ici ça tenait. Et voilà que « mais votez Macron » pourrait bien tourner Moubarak, mon dieu dans quelle mouscaille ne nous sommes-nous pas mis ? Et forcément, plus on pagaye pour en sortir, plus on en met partout. Tout revient, tout éclabousse. Or nous en sommes là : quand un pouvoir verse une prime exceptionnelle à des forces de l’ordre qui se rendent chaque jour plus odieuses, c’est qu’il redoute par-dessus tout d’être lâché par elles et que, toute légitimité effondrée, il ne tient plus que par son appareil de force, dans la main duquel en réalité il se remet entièrement. Faites ce que vous voulez, mais votez Moubarak.

Ce pouvoir est honni car il s’est méthodiquement rendu haïssable. Il paye une facture sans doute venue de très loin, mais dont il est le parachèvement le plus forcené, par conséquent l’endosseur le plus logique. Il n’a plus pour se cramponner que le choix de la répression sanglante, peut-être même de la dérive militaire. Il ne mérite plus que de tomber.

Frédéric Lordon

 


1 novembre 1993 - 1 novembre 2018 : 25 ans de régime Maastricht...

publié le 3 nov. 2018, 02:41 par Jean-Pierre Rissoan

    Entré en vigueur le 1er novembre 1993, le traité devait faire avancer l’Europe sociale, selon ses promoteurs. Un quart de siècle plus tard, ô surprise, ce n’est pas ce qui s’est passé.

    Difficile de faire plus discret comme célébration. Voilà vingt-cinq ans que le traité de Maastricht est entré en vigueur, le 1er novembre 1993, et, parmi les poids lourds de l’Union européenne, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on ne se bouscule pas pour souffler les bougies. Dans l’hôtel de la province du Limbourg néerlandais, jeudi matin, quelques illustres inconnus, issus de mouvements fédéralistes qui gravitent autour des institutions européennes à Bruxelles, se sont relayés pour tenter d’entretenir la flamme, mais le     «manifeste de Maastricht » qu’ils devaient lancer dans la journée sera probablement d’ores et déjà oublié au moment où vous lirez ces lignes. Même Theo Bovens, le gouverneur du Limbourg qui accueille la cérémonie, parle, sur les réseaux sociaux, d’un « petit séminaire international » sur la « citoyenneté européenne ». En dehors de ça, après les années d’austérité imposées à l’Irlande, à Chypre, au Portugal et, évidemment, à la Grèce, les gardiens du temple néolibéral ont plutôt tendance à raser les murs, aujourd’hui, pour ne pas compromettre le pas de deux qu’ils ont engagé – sans véritable gêne, en réalité – avec l’extrême droite européenne. Aucun ne se dresse pour défendre le monétarisme, le carcan imposé aux dépenses publiques, avec la fameuse règle des 3 % du PIB annuel, et la "coordination" des politiques économiques qui sert à araser les droits et les protections sociales depuis lors.

"La soft-tyrannie de Bruxelles, c’est fini"

    À l’époque, lors du débat référendaire en France, un an avant l’entrée en vigueur du traité, qui s’était soldé par une victoire étriquée du oui (51 %), toutes les flûtes étaient de sortie, du côté des partisans du traité de Maastricht. Les lendemains allaient chanter à tue-tête, c’était sûr : on pourrait enfin faire de la politique à l’échelle communautaire, l’Europe sociale ne tarderait pas à émerger. « Apprécions l’évolution accomplie, encourageait, par exemple, Jean Auroux, ex-ministre du Travail, après la victoire de François Mitterrand en 1981 et alors président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, le 7 mai 1992, dans le Figaro. L’Acte unique (mettant en place le marché unique en 1986 – NDLR) était d’inspiration exclusivement libérale ; le traité de Maastricht rétablit un meilleur équilibre en accordant plus de place au politique, au citoyen et au social. L’Europe sociale, s’il lui faut un cadre, ne se décrète pas : elle sera ce que nous en ferons. » Président de la Commission européenne entre 1985 et 1995, le socialiste français Jacques Delors en ­rajoutait même dans cette veine, non sans fausse contrition, en août 1992, lors d’un meeting avec Michel Rocard, à quelques semaines du vote en France.  "La construction européenne a été trop élitiste et trop technocratique. Mais la soft-tyrannie de Bruxelles, c’est fini. C’est le grand atout de Maastricht que de rééquilibrer l’économique et le politique. La bureaucratie ne progresse que quand la politique fait défaut. Vous avez une occasion unique de rabattre le caquet de Delors et de rééquilibrer tout ça, c’est de dire oui au traité. » Michel Sapin, qui, ministre des Finances sous François Hollande en 2015, laissera passer sans moufter le bouclage de la camisole austéritaire sur la Grèce d’Alexis Tsipras, sortait les violons dans le Monde, en septembre 1992 : « Maastricht apporte aux dernières années de ce siècle une touche d’humanisme et de lumière qui contraste singulièrement avec les épreuves cruelles du passé. »

    Alors qu’à gauche, au-delà des personnalités socialistes, comme Jean-Pierre Chevènement, et écologistes, le PCF est le seul grand parti à militer ouvertement pour le non au référendum, les figures de la gauche du PS ont, eux, encore de la foi à revendre. « C’est vrai, la façon dont se construit l’Europe aujourd’hui, y compris Maastricht, est d’inspiration plus libérale que ce dont je pourrais rêver, admet Henri Emmanuelli, président PS de l’Assemblée nationale, dans un entretien à Libération en juin 1992. Mais rien n’empêchera les socialistes de modeler, après Maastricht, le contenu de la construction européenne. Il ne faut pas confondre le contenant et le contenu. » Jean-Luc Mélenchon, qui a, comme chacun sait, fait un retour critique sur son engagement pour le oui à Maastricht depuis lors, en rajoutait dans l’enthousiasme sur le moment : "La souveraineté se trouve là où est le pouvoir réel, en l’occurrence à l’échelon européen, argumentait-il, en 1992, dans le Quotidien de ­Paris. Affirmer que le seul espace démocratique est celui de la nation est donc une absurdité. Aujourd’hui, il faut sauter le pas pour avoir demain une véritable nation européenne, avec une monnaie commune, bien sûr, mais aussi une armée commune et un Parlement souverain. L’extinction des Parlements nationaux étant à terme envisageable". 

Un grand bond en arrière pour les droits sociaux

Pendant que, sur la base d’un raisonnement « profondément social-démocrate », Michel Rocard en finit par prétendre ne pas comprendre « pourquoi les libéraux veulent de cette Europe-là », Alain Madelin, membre de l’UDF dans cette phase – un parti qui organise des meetings communs avec le PS pour le oui à Maastricht –, rit sous cape lors d’une réunion publique à Chalon-sur-Saône : « Le traité de Maastricht agit comme une assurance-vie contre le retour à l’expérience socialiste pure et dure. » Vingt-cinq ans plus tard, Maastricht ne fait plus débat. C’est, au mieux, un petit pas en avant pour « l’intégration » européenne, et un grand bond en arrière, de plus, pour les droits sociaux. Des années plus tard, en 2013, Jens Weidmann, président de la Bundesbank, un temps pressenti pour prendre les rênes de la Banque centrale européenne (BCE) après Mario Draghi, lâche le morceau : « Tout le cadre de Maastricht reflète les principes centraux de l’ordolibéralisme et de l’économie sociale de marché. »

Thomas Lemahieu

Mélenchon vire de plus en plus mal...

publié le 14 févr. 2018, 08:10 par Jean-Pierre Rissoan

Je reprends à mon compte cette tribune d’Evelyne Ternant, militante PCF, écrite après les élections législatives partielles de janvier 2018. Elles montrent les inconséquences de l’analyse politique de Mélenchon. Celui-ci multiplie les déclarations hostiles à l’union de la gauche lui préférant l’expression spontanéiste du « dégagez-tous » qui permet, c’est sûr, d’avoir des votes FN ou autres désorientés, mouvement populaire désarticulé à la Boulangisme. E. Ternant souligne l’idée FI de ne pas trop parler des vieux slogans de la gauche au profit de slogans évoquant l’intérêt général. Comme si la gauche – la vraie, celle qui inclut les travailleurs du PCF – ne défendait pas l’intérêt général. Mélenchon est prêt à soutenir et à obtenir le soutien des mouvements de masse, des mouvements vers lesquels se portent les masses comme le nationalisme corse, le rejet des grands équipements structurants, le "dégagisme" (qui consiste à chasser les élus que l’on a trop vus au profit de n’importe qui, pourvu que l’autre ait dégagé), le rejet fanatique du nucléaire, etc… Mélenchon veut recréer un PS attrape-tout. L’essentiel c’est le pouvoir.

Jean-Pierre RISSOAN

Retour sur l’élection de Belfort… et au-delà

 

Par Évelyne Ternant

Secrétaire régionale PCF de Franche-Comté

 

Les enseignements principaux des deux législatives partielles de janvier 2018 sont connus : un nouveau cran franchi dans l’abstention, le tassement pour les candidats LREM, pris à l’épreuve du pouvoir, l’extrême droite affaiblie par ses divisions, la gauche globalement à des niveaux historiquement bas, avec moins de 20 % des suffrages exprimés et une élimination du second tour, au total la droite LR qui ramasse la mise, non pas sur son attractivité propre, mais grâce à ce champ de ruines. Des péripéties de l’élection belfortaine peuvent être tirés certains enseignements. Les militants de la France insoumise (FI) ont pris l’initiative de proposer au MRC, qui conserve une implantation locale sur ce territoire, et au PCF de soutenir leurs candidats. L’objectif des uns et des autres était d’expérimenter un rapprochement en vue de construire, après cette élection, un rassemblement d’opposition à la politique municipale menée par le maire LR, Damien Meslot. Après avoir été dirigée par la gauche pendant plusieurs décennies, essentiellement sous leadership du MRC (parti dont le créateur fut JP Chevènement, JPR), Belfort est aujourd’hui sous la férule d’une droite dure, qui détruit avec méthode le socle social et culturel qui a fait de Belfort une ville attentive à la petite enfance, aux loisirs des jeunes, à la culture et à l’éducation populaire. C’est à l’épreuve de cette expérience municipale que s’est forgée l’envie d’un "faire ensemble".

Dès le lendemain du premier tour, Jean-Luc Mélenchon s’est appliqué à tuer dans l’œuf ces tentatives de rapprochement. Il a prétendu que le résultat de la candidate FI du Val-d’Oise, partie sans soutien, était un succès, à 11,46 %, et celle du territoire de Belfort, à 11,6 %, un échec : la première, qui réunit 2,2 % des inscrits et perd 52 % de ses suffrages par rapport à juin 2017, aurait bénéficié de "l’effet entraînant""du chacun pour soi""sans tambouille", tandis que pour la seconde, qui réunit 3,2 % des suffrages et limite sa perte de voix à 45 %, "la gauche rassemblée" aurait été "un étouffoir" et aurait "fonctionné comme un rayon paralysant, gelant en partie les votes dégagistes que nous devions mobiliser". Les déclarations de Jean-Luc Mélenchon surviennent de façon concomitante avec le dévoilement de discussions en cours avec Benoît Hamon sur l’Europe, en vue de solder "des points de désaccord de fond", et de possibles alliances avec le PS en cas de victoire d’Emmanuel Maurel, d’après notamment un entretien accordé au JDD par le député insoumis Adrien Quatennens. Ce dernier ajoute qu’il s’agit de cesser "de revendiquer sans arrêt les codes de la gauche radicale…, de rompre avec les fonds de scène rouge, (pour) une seule trajectoire, l’intérêt général". Un énoncé à mettre en relation avec les trois chantiers prioritaires de la FI : l’évasion fiscale, la pauvreté et la sortie du nucléaire, qui ne mettent pas en cause directement la logique du capital.

En rassemblant ainsi les morceaux du puzzle, on voit émerger une stratégie cohérente de restauration de la maison sociale-démocrate, dont le socle idéologique, en dépit d’un ripolinage de façade, reprend les piliers traditionnels : une correction des inégalités de répartition des revenus par l’impôt, une vision étatiste de l’intervention économique, de type keynésien. Les "fonds de scène rouge" que sont la reprise du pouvoir sur les banques et la finance, la conquête de droits nouveaux des salariés pour faire échec à la logique du profit, ou l’émancipation du marché du travail par une sécurité emploi-formation, s’effacent. Alors que, de toutes parts, des luttes de classe surgissent, des luttes sur le droit à la santé, le droit à l’entrée à l’université, la défense du service public de transport, des luttes en entreprises contre les délocalisations, fermetures et désindustrialisation, ou pour l’augmentation des salaires, plus que jamais, en appui de ce mouvement de résistance multiforme, le PCF doit porter haut et fort sa visée communiste de dépassement du capitalisme.

L’Humanité du mardi 13 février

 

 

L. Wauquiez, localisme et Fédération Républicaine.

publié le 21 nov. 2017, 05:27 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 4 déc. 2017, 02:50 ]

Laurent Wauquiez court après l’extrême-droite comme l’âne après la carotte. La rattrapera-t-il jamais ? Le journal lyonnais et rhône-alpin "LE PROGRÈS" nous annonce crûment que la Région Auvergne-Rhône-Alpes est "La Région du courage" dont la ligne de conduite est d’ "affirmer la préférence régionale pour nos entreprises"[1].

Chacun entend bien la parenté sonore avec la préférence nationale prônée par le FN. Les Français ne sont pas totalement idiots. Ils ont davantage la mémoire courte. En tout cas, Wauquiez fait comme si…

Lors des élections générales de 1936, un membre éminent de la droite Fédération républicaine Édouard Frédéric-Dupont faisait encore mieux dans l'odieux. L'étranger, c'est le gars des autres provinces. "Une politique du travail doit protéger la main-d'œuvre française, organiser l'orientation professionnelle vers les emplois tenus par les étrangers et refouler progressivement ceux-ci". Jusque-là rien de bien nouveau, mais "il faut ouvrir des chantiers suivant un programme qui réserverait aux ouvriers et artisans parisiens l'exécution de travaux d'hygiène dans la capitale" ! Quand on songe qu'il proposa une réforme administrative basée sur le régionalisme, on mesure l'ampleur du caractère réactionnaire de sa doctrine.

C'est le retour aux Provinces de l'Ancien régime, chères au vicomte de Bonald, le retour des barrières d'octroi, les douanes aux portes de Paris : "tu es de province ? On ne passe pas !". Le régime de Vichy entreprendra une réforme régionale, comme le souhaitait Frédéric-Dupont, de même qu'il réalisera d'autres de ses vœux : dissoudre le syndicat des instituteurs (sic), réformer les écoles normales, dissoudre la franc-maçonnerie, mettre au pas les comités (du parti radical) : autant de choses écrites noir sur blanc dans sa profession de foi de 1936 que le maréchal appliquera à la lettre après la divine surprise.

Wauquiez bascule dans le régionalisme, le provincialisme de notre vieille droite extrême traditionaliste. Encore heureux, pour lui, que l’Auvergne vienne d’être rattachée à la dynamique région Rhône-Alpes, sinon la Haute-Loire aurait vu s’échapper toutes les commandes venues de la métropole lyonnaise. Parions, à coup sûr, qu’il a attendu ce rattachement pour faire une proposition aussi osée.

 

Qu’était donc la Fédération républicaine ?

 

Évoquant la Fédération républicaine, André Siegfried écrit : "deux causes décisives décalent vers la droite son centre de gravité : en matière religieuse la tradition laïque lui fait entièrement défaut, et en matière sociale elle représente l'ordre s'exprimant par la hiérarchie. est en un mot un parti de défense sociale, où le grand patron (parfois presque féodal) coudoie le bourgeois catholique (disons clérical), et où le libéral républicain égaré ne reconnaîtrait plus rien de la tradition républicaine. On discerne enfin dans ce conglomérat un noyau nationaliste résistant, qui nous a paru constituer le pôle de réaction le plus caractérisé contre la politique d'entente internationale. Dans cette matière hétérogène, une réaction chimique ferait apparaître au moins trois couleurs, la couleur de la féodalité industrielle, celle du nationalisme intransigeant et celle de la défense sociale catholique. (…) Par sa tonalité générale, cette partie de la Chambre évoque le souvenir lointain de l'Assemblée nationale (celle de 1871 et de l'Ordre moral, JPR) encore que le libéralisme –type XIX° siècle- du Septennat ignorât certaine influence subtile d'Action française que nous croyons pouvoir respirer ici dans l'atmosphère ambiante"[2].

Tout cela transparaît dans les déclarations de cet éminent représentant de cette tendance politique : Édouard Frédéric-Dupont, avocat d'affaires, émeutier du 6 février 1934, élu en 1936 contre le Front Populaire, qui fera liste commune en 1986 avec Jean-Marie Le Pen. J'évoquerai aussi les propos de son compère Taittinger, autre célèbre émeutier et créateur de ligue fasciste.

En politique étrangère, Frédéric-Dupont ne veut pas que la France devienne la colonie d'Hitler mais outre son rejet de la S.D.N., il voit dans l'amitié anglaise une ironie et dans le pacte franco-soviétique une duperie. Curieuse préparation diplomatique pour contrer l'hégémonie allemande Pour cet homme, l'alliance avec Mussolini était la panacée !

Pour l'Empire : il est résolument du parti colonial. Un des principaux remèdes à la crise dont nous souffrons est que nos colonies offrent des débouchés de plus en plus grands à la production métropolitaine analyse la Fédération Républicaine. Gare alors, fait écho Frédéric-Dupont, à la propagande communiste qui dresse les indigènes contre la France et prépare actuellement des révoltes meurtrières ! Cet homme annonce déjà les conflits coloniaux de la IV° république…  

La base sociale de la Fédération républicaine[3] : "commerçants, artisans, industriels, professions libérales, si durement éprouvés par la crise (Taittinger dixit). Pour Frédéric-Dupont qui se présente comme Président du Groupe de défense des artisans de Paris, notre politique économique et financière doit protéger les classes moyennes et la famille, (…), protection du petit commerce par la suppression radicale et immédiate de tous les prix uniques (cela annonce Poujade…), défense de l'épargne pour aider les rentiers spoliés par l’État.

La lutte contre le chômage. Ces leaders proposent des moyens expéditifs. En ce qui concerne la protection de la main-d'œuvre française, j'ai cru être en communauté d'esprit avec vous en proclamant la nécessité de donner un droit de priorité aux travailleurs français. Préférence nationale donc. Bien avant Le Pen, qui ne fait que plagier. Je rappelle simplement que la France, affaiblie par 1,5 million de morts et presque autant de blessés et handicapés, a accueilli ces travailleurs étrangers pour reconstruire ses destructions de guerre, pour soutenir le rythme imposé par la prospérité mondiale des années 20 et, une fois que la crise est venue, on renvoie ces travailleurs sans autre forme de procès. C'est immoral.

Frédéric-Dupont annonça le pire. Il pensait dur comme fer que "les capitaux se cachent, (…), que le pays prendra peur s'il craint la révolution, l'abolition de la propriété (…), il faut donc inspirer confiance à ceux qui veulent entreprendre". Et il écrit tout net : "la prospérité reviendra dans la mesure où le Front populaire sera battu". Or, il ne le sera pas. Les capitaux resteront donc cachés, ce sera, pour reprendre la formulation d'un des historiens de cette période : "La trahison des possédants"[4].

J'arrête là l'analyse de ces professions de foi. On a saisi à quel point, la Fédération républicaine, comme l'écrivit René Rémond, "a graduellement repris à son compte l'héritage du traditionalisme" Comment s'étonner dès lors, qu'elle fournira l'essentiel des hommes du régime de Vichy?[5] Taittinger et Frédéric-Dupont voteront les pleins pouvoirs à Pétain en 1940, ils seront tous deux membres de l'ordre de la Francisque, Frédéric-Dupont restera membre du Conseil de Paris jusqu'en 1943, Taittinger sera Président de ce même conseil de 1943 à 1944…



[1] LE PROGRÈS-dimanche du 19 novembre 2017.

[2] André Siegfried, "Tableau des partis en France", 1930, cité par R. REMOND, "Les droites en France".

[3] Il manque la paysannerie. Mais Taittinger et Frédéric-Dupont sont candidats à Paris. Frédéric-Dupont va néanmoins y faire allusion.

[4] René GIRAULT, "La trahison des possédants", L’HISTOIRE, n°58, année 1983, pp. 85-93.

[5] Mais, comme toujours, les choses sont plus compliquées. Le président de la Fédération républicaine, Louis Marin, patriote intransigeant, n'était pas hostile en 1939 à un front commun de "Marin à Thorez". Il rejoindra la France libre à Londres. C'est l'une des raisons pour lesquelles, De Gaulle, afin d'asseoir sa légitimité, acceptera la présence de ce parti dans le Conseil national de la résistance, démontrant par-là, la parfaite représentativité de cet organisme.



Nos respects mon général, par Richard Labévière

publié le 29 juil. 2017, 10:13 par Jean-Pierre Rissoan

    Source : Proche & Moyen Orient, Richard Labévière, 24-07-2017

   

    On ne peut pas dire tout et son contraire et faire l’inverse de ce qu’on dit… Baisser les impôts et commencer par augmenter la CSG, casser le code du travail et prétendre l’améliorer, annoncer une augmentation du budget de la Défense – pour atteindre 2% du PIB en 2025 – et la veille du 14 juillet décréter une coupe sèche de 850 millions d’euros et un gel de 2,7 milliards, soit près de 10% du budget global de nos armées.

    Les coupes annoncées touchent, en premier lieu, le régalien : 47% des annulations, soit 1,4 milliard d’euros entre la Défense, l’Intérieur et le ministère des Affaires étrangères. Défense, lutte anti-terroriste et relance diplomatique sont pourtant les thèmes avancés par le nouveau président de la République comme des priorités nationales. Or ce sont leurs crédits que l’on casse en premier dans la précipitation d’un effet d’annonce ! Il y a clairement une incohérence de fond entre la réalité et celle que le Président de la République distille sur son Smartphone…

    Pour financer les 850 millions de coupes, la Direction générale de l’armement (DGA) va classiquement se tourner vers les industriels pour renégocier des prix à la baisse et des livraisons de matériels différées. Mauvaise nouvelle pour les industriels qui emploient directement 165 000 personnes sur le territoire national. Vont souffrir évidemment les emplois et la sous-traitance… La liste des programmes concernés devrait être connue d’ici la fin de l’été, mais on sait déjà ceux qui trinqueront les premiers : annulation de 360 blindés pour l’armée de terre, filière aérospatiale ciblée, livraisons des frégates intermédiaires et des avions ravitailleurs repoussées…

    Dans la Marine nationale, la durée des frégates devra passer de 25 à plus de 40 ans de service. Alors que les élites françaises se vantent, presque quotidiennement, de disposer du deuxième espace maritime mondiale avec quelques 11 millions de km2 de ZEE (zone économique exclusive), « la Marine nationale voit le nombre de ses patrouilleurs outre-mer s’effondrer : d’ici à 2020, six sur huit auront été désarmés, aucune assurance sur le calendrier de leur remplacement n’étant fixé », commente un officier général qui ajoute : « notre pays ne dispose toujours pas d’une stratégie maritime adaptée aux intérêts du pays, encore moins de stratégie navale ».

    Ce qui se voit moins dans les dommages induits par ces problèmes budgétaires récurrents, c’est la tendance à réduire , voire sacrifier les périodes d’entraînement. Évolution, à terme, dangereuse pour les personnels engagés qui auront moins d’expérience alors que l’effet « ciseaux » joue à plein : le pouvoir exécutif multiplie les engagements extérieurs du Sahel à l’Irak et à la Syrie, alors que les moyens diminuent drastiquement et continuellement. Depuis trois ans, les 10 000 soldats de l’opération Sentinelle assument des fonctions de police sur le territoire national. Malgré la multiplication de leurs missions, en dix ans les armées françaises ont perdu 65 000 personnes, soit une réduction de plus de 30% des effectifs, ce qui représente le plus grand plan social de l’administration. A l’évidence le « faire toujours plus avec toujours moins » a aujourd’hui atteint ses limites indépassables.

    En d’autres termes, l’homothétie négative qui consiste à saupoudrer l’austérité n’est plus tenable et surtout ne doit plus servir de cache-sexe à un pouvoir politique incapable – incapable – de choisir et de hiérarchiser les missions à accomplir. L’équation est pourtant simple : moins de moyens égale moins de missions extérieures et intérieures. Et que ceux qui exercent leur tutelle politique sur les armées – de l’Élysée au cabinet du ministère de la Défense en passant par les « voleurs » de Bercy – prennent enfin leurs responsabilités en assumant des choix clairs, réalistes et tenables, c’est-à-dire des coupes aussi dans l’opérationnel ! Quelles sont aujourd’hui les missions incompressibles de nos armées pour assurer efficacement la défense et la sécurité des Français et des intérêts de notre pays, tant sur le territoire national qu’à l’étranger ? Telle est bien la question !

    La seule réponse apportée : une nouvelle réduction des moyens… La belle affaire ! Dans ces conditions, le général Pierre de Villiers, chef d’état-major des armées (CEMA), ne pouvait – bien évidemment – plus exercer correctement son métier. Le CEMA a eu l’honnêteté et le courage d’expliquer les dangers de cette situation devant une commission ad hoc de notre représentation nationale dont la fonction est – justement – d’aller au-delà de la langue de bois pour comprendre la complexité des dossiers, voire pour en infléchir la gestion. Se déroulant à huis clos, l’exercice relève de l’exigence de vérité et de loyauté vis à vis des représentants élus de la nation et du respect qui leur est dû. Il ne constitue nullement un écart au devoir de réserve des militaires et un défi à l’encontre du pouvoir exécutif.

    Notre nouveau président n’aurait il rien compris , en en faisant une question d’atteinte à son pouvoir personnel ? Lors de la réception qui précède le défilé du 14 juillet, sur la pelouse de l’Hôtel de Brienne et en présence du gratin des hauts gradés militaires, des industriels de l’armement et des représentants des ministères régaliens, Emmanuel Macron lance une diatribe irréparable : « je considère qu’il n’est pas digne d’étaler certains débats sur la place publique. J’ai pris des engagements. Je suis votre chef. Les engagements que je prends devant nos concitoyens et devant les armées, je sais les tenir. Et je n’ai, à cet égard, besoin de nulle pression et de nul commentaire ». Fermer le ban ! En son temps, le maréchal Pétain avait fait don de sa personne à la France. Heureusement pour le pays que cela n’a pas empêché le général de Gaulle de gagner Londres pour y continuer le combat….

    Dans les colonnes de prochetmoyen-orient.ch, nous critiquons souvent la politique étrangère des États-Unis et ses interventions extérieures, mais force est de reconnaître que les commissions parlementaires américaines qui précèdent et accompagnent les grandes décisions de la Maison blanche fonctionnent plutôt bien  grâce à une authentique séparation des pouvoirs! Vieille exigence calviniste, sans doute, les responsables auditionnés ont l’obligation – oui l’obligation ! – de dire la vérité, du moins leur vérité afin d’éclairer les représentants pour qu’ils puissent être mieux informés avant de participer à la prise de décision politique. Outre-Atlantique, l’expertise, voire les critiques des officiers supérieurs et généraux sont généralement bien accueillies parce qu’entendues comme un apport positif et citoyen, susceptible d’entraîner correctifs et améliorations aux prises de décisions opérationnelles.

    Gap culturel, en France malheureusement rien de tel : les intervenants qui planchent devant les commissions parlementaires sont – le plus souvent – chaperonnés, sinon espionnés par des envoyés spéciaux de leur ministère qui rapportent aussitôt la teneur des propos tenus au sommet de la hiérarchie, aux cabinets du premier Ministre ou du président de la République. Ici, l’exercice ne relève pas de la maïeutique mais doit conforter et imposer le discours officiel et ainsi servir les plans de carrière de hauts fonctionnaires muselés… Et gare à ceux qui osent sortir du  « politiquement correct », le général Pierre de Villiers vient d’en faire la triste expérience.

    Toujours est-il que le président de la République a commis une lourde faute, relevée par la plupart des responsables militaires de notre pays. Dans une lettre ouverte, Vincent Lanata, ancien chef d’état-major de l’armée de l’air s’adresse au CEMA : « J’étais présent à la réception de l’Hôtel de Brienne le 13 juillet et j’ai écouté avec beaucoup d’attention le discours du président de la République: allocution très bien tournée, pleine de compassion à certains égards et de louanges à l’intention de notre institution ainsi que pour les hommes et les femmes qui la composent. Tout cela n’est que très normal, je dirais très banal, et la moindre des choses une veille de Fête Nationale où les armées sont à l’honneur. Ce qui l’est moins, c’est la diatribe virulente portée contre vous, car c’était bien à vous que ces propos étaient destinés, propos tenus en public qui m’ont beaucoup offusqué, et je ne suis pas le seul à avoir été très choqué. Il me semble que notre jeune président a voulu marquer par ces propos son autorité. Il n’avait nul besoin d’agir ainsi et il aurait certainement pu faire l’économie de ce discours inutile et vexant ».

    Le plus grave dans cette affaire, qui laissera des traces et dont toutes les ruses ne sont pas dites, est – sans doute – le non-respect de la séparation des pouvoirs. En effet, le Parlement a le droit, un droit constitutionnel, de pouvoir ainsi auditionner en toute indépendance n’importe quel fonctionnaire, expert et sachant de notre pays, sans que l’Elysée ne s’en mêle. Certes, de nos jours le secret n’existe plus, pas même le secret de l’instruction et il ne faut pas s’étonner que les propos du CEMA aient circulé en dehors de l’hémicycle. Bien au fait de la communication moderne, le président de la République n’avait en tout cas pas à s’en étonner ni à s’en plaindre.

    En personnalisant l’affaire, il a provoqué un vrai gâchis dont les conséquences les plus immédiates touchent trois mécanismes : celui de la confiance liant traditionnellement le pouvoir politique et nos armées, voire la nation et les armées ; celui d’une expertise d’autant plus nécessaire qu’elle implique le sacrifice suprême de nos soldats ; enfin, celui d’une expertise stratégique qui, à n’en pas douter, se fera désormais plus servile, disciplinée et conforme à l’air du temps et des promotions. Un beau gâchis, vraiment…

    En définitive et au-delà de toutes considérations politiques, il est anormal que, depuis plus de trente ans dans notre pays, les roitelets de Bercy exercent une autorité sans contre-poids sur les budgets des ministères régaliens en maniant gel et coupes de crédits à leur guise et quand cela les arrange! Proprement anormal , car rendant impossible pour les responsables des politiques publiques toute prévision ou planification stable et cohérente de leurs programmes  ! On touche ici à la réforme de l’ État, un chantier sans cesse reporté depuis 1981, une réforme de l’ État en profondeur qui n’est – semble-t-il – pas près de voir le jour…

    Dans ce contexte de verrouillage administratif des esprits et des cœurs, de violation de la séparation des pouvoirs, donc d’une grave altération des fondements de notre démocratie, nous te présentons mon Général, cher Pierre, cher collègue de la 53ème session de l’IHEDN (Institut des hautes études de défense nationale), tous nos respects et notre amitié.

    Avec ces mots qui accompagnent ta démission, tu sors par le haut, dans l’honneur et la vérité : « j’éprouve une vraie reconnaissance envers nos soldats, nos marins et nos aviateurs avec lesquels j’ai partagé ma vie, pendant quarante-trois années au service de la nation, en toute sincérité. Je sais, pour les connaître, qu’ils continueront à assurer la mission aux ordres de mon successeur avec autant de détermination et de fidélité. Je reste indéfectiblement attaché à mon pays et à ses armées. Ce qui m’importera, jusqu’à mon dernier souffle, c’est le succès des armes de la France ».

    Ton action et ta réaction grandissent l’institution militaire. Encore tous nos respects mon Général !

    Richard Labévière
    24 juillet 2017

    Source : Proche & Moyen Orient, Richard Labévière, 24-07-2017

TERRA NOVA OU… TERRA NULLIUS ? Le territoire français en 2017

publié le 19 mai 2017, 09:35 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 14 déc. 2017, 04:21 ]


Au moment de la passation de pouvoir entre Hollande et Macron, les journaux tentent de réaliser un " état des lieux" après un quinquennat improbable. J’ai déjà publié des articles qui montrent bien le délabrement de certaines portions de notre territoire. En filigrane, il y a recherche de l’explication du vote LePen dans nos campagnes. Combien se sont étonnés de l’ampleur du vote FN alors "qu’il n’y a pas d’immigrés chez nous" ? C’est que la problématique de l’immigration est passée, plus ou moins, derrière la préoccupation émergente chez nos compatriotes : la désertification des pays de nos provinces.

Un des problèmes les plus aigus est celui des "déserts médicaux". Il vient d’ailleurs de se créer une "Association de citoyens contre les déserts médicaux". Voici un article qui nous donne un solide cas concret anti-bavardage.

Le village où il est interdit de mourir chez soi

Un arrêté absurde pour attirer l’attention sur une situation dramatique. Hier, faute d’avoir réussi à trouver un médecin pour constater un décès sur sa commune, Christophe Dietrich, le maire sans étiquette de Laigneville dans l’Oise, a publié un arrêté "portant interdiction de décéder à domicile" sur le territoire de la commune. En cause : la pénurie de médecins.

"J’ai été confronté à un véritable parcours du combattant pour trouver un médecin qui accepte de constater le décès. Cela a pris plus de cinq heures, alors qu’il faisait 30 degrés, et que le corps se décomposait", s’insurge l’élu local qui, faute de trouver un médecin disponible, avait bataillé avec l’Agence régionale de Santé pour qu’elle fasse venir le SMUR. Sous le coup de la colère, il a décidé d’attirer l’attention par une décision "absurde" et "irréalisable" : interdire à ses concitoyens de mourir chez eux. Son objectif : forcer les pouvoirs publics à trouver des "réponses concrètes et rapides".

Instaurer des quotas

    "Ce qui arrive aujourd’hui avec les morts préfigure ce qui se passera demain avec les vivants. Dans six mois, les deux médecins de ma commune partent à la retraite et ils n’ont pas de remplaçants", s’alarme le maire de la commune de 5 000 habitants.

    Ses pistes de solutions ? L’élu plaide pour une refonte des études médicales, avec une "régionalisation des diplômes[1]. Un médecin qui serait formé en Picardie devrait ainsi y rester dix ans". Il réclame également un "numerus clausus régional, adapté aux besoins locaux". Enfin, il voudrait une réglementation de l’installation et des quotas de médecins par habitants. "Chez mes parents dans le Var, il y a six médecins pour 3 500 habitants, alors qu’il n’y en aura bientôt plus aucun pour mes 5.000 administrés", déplore Christophe Dietrich, aujourd’hui condamné à l’impuissance. "Les habitants me reprochent l’absence de médecins, mais ce sont des libéraux, je ne peux pas leur mettre le pistolet sur la tempe pour leur dire de venir chez nous ! "

    Selon le dernier rapport du ministère des Affaires sociales, 8 % de la population française vit dans une commune "sous dense" en médecins généralistes. Un phénomène qui touche des espaces ruraux mais aussi des villes (un quart de cette population réside dans un pôle urbain). Les régions les plus touchées sont les Antilles Guyane, la Corse, Centre-Val-de-Loire, Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche Comté et Île-de-France. Par ailleurs : près de 4 millions de personnes, soit 6 % de la population, résidaient à plus de 30 minutes d’un service d’urgences ou d’un SMUR (Structure mobile d’urgence et de réanimation) fin 2015 en France.[2]

 

Article signé Élodie BECU.

 

Autre problème, l’inégalité d’accès aux télécommunications. La gestion inégalitaire des réseaux participe à la désertification de certains territoires. Voici un autre cas concret anti-bavardage. Nous sommes dans les Cévennes insoumises, à Saint-Germain-de-Calberte bien connu des lecteurs de ce site.

Territoires. Les naufragés du téléphone

Émilien URBACH

Jeudi, 18 Mai, 2017

L'Humanité

 

Dans ce département cévenol, la mauvaise gestion des réseaux de télécommunications par Orange met en danger des villages entiers et leur population.

Leur camion est arrêté dans un virage, sur le bas-côté d’une route bordée de châtaigniers. Ce lundi 15 mai, en Lozère, à équidistance de Saint-Étienne-Vallée-Française et de Saint-Germain-de-Calberte, deux hommes travaillent. Ils sont employés d’une entreprise sous-traitante d’Orange, le géant de la téléphonie.  "On dépanne un client," explique l’un d’eux", aux prises avec un boîtier téléphonique mal accroché à son poteau électrique. On intervient tous les jours. Les installations sont vétustes. Certaines ont plus de quarante ans. ".

Les problèmes avec le téléphone fixe, le portable ou encore le haut débit Internet sont monnaie courante dans ce département cévenol. Et suscitent la colère des élus et de la population. Au début du mois, le député LR de Lozère, Pierre Morel-À-l’Huissier, a sonné le rappel en adressant une lettre à tous les maires de sa circonscription : « J’estime que le comportement d’Orange, avec les lignes coupées, poteaux dangereux, fils cassés… et l’absence de services, peut conduire à des risques avérés en matière de sécurité publique et à des responsabilités juridiques. » Le maire (PS) de Saint-Sauveur-de-Peyre, Michel Guiral, a, pour sa part, déposé une plainte contre Orange pour « délit de mise en danger de la vie d’autrui, par négligence », après que ses 300 administrés ont vu leur ligne téléphonique coupée pendant quinze jours.

(ci-contre : Gérard Lamy, maire de Saint-Germain-de-Calberte, devant un poteau de distribution du haut débit à terre. Exemple d’une mission de service public à l’abandon. Jean-Claude Azria

Économie ou santé, tous les secteurs sont touchés

La situation n’est pas nouvelle. Le maire communiste de Saint-Germain-de-Calberte, Gérard Lamy, mène depuis plusieurs années le combat pour que l’opérateur historique remplisse sa mission de gestionnaire du « service universel de télécommunication s». « Après les mobilisations, en 2014 et 2015, Orange a fait un effort d’entretien, raconte l’édile. Mais la petite embellie n’a pas duré. Des centaines de mètres de câbles sont encore à terre. » L’homme sait de quoi il parle. Il connaît bien les conséquences de l’abandon par Orange de sa mission de service public. Sa compagne, Sabine, est agricultrice et en a récemment fait les frais. "Une brebis était en train d’agneler, se souvient-elle, la mise bas s’est mal passée et j’avais besoin d’aide. Il fallait faire vite. J’ai tenté de joindre mon mari mais le réseau ne fonctionnait pas. J’ai réussi à sauver la mère mais pas l’agneau.".

Le conseil départemental a bien mis en place un plan pour déployer la fibre en Lozère. Mais, finalement, seules quelques communes en bénéficient. Chez eux, Sabine et Gérard accèdent à Internet par satellite. "Au final, on paie plus cher que partout ailleurs et pour un service médiocre", résume l’agricultrice. Une inégalité particulièrement sensible dans ce département où 16 % de la population vivent sous le seuil de pauvreté.

Tous les secteurs de la société sont concernés. "Ça impacte directement l’organisation des soins", tempête Géraldine, infirmière libérale dans le secteur. "Lorsque les patients sortent de l’hôpital, ils ne parviennent pas à me joindre. Parfois je n’ai même pas leur message et la communication avec les autres infirmières ou le médecin est parfois impossible.". Heureusement, aucun drame n’est encore survenu. Mais, à une dizaine de kilomètres, le maire (DVD) de Saint-Étienne-Vallée-Française, Gérard Crouzat, se souvient d’un jour de marché. "Une dame âgée a fait un malaise, raconte-t-il. Nous avons un secouriste parmi nos employés municipaux. Ça aurait dû être simple d’intervenir.". Mais il n’est jamais parvenu à le joindre. "Nous n’allons pas tous mourir", ironise Jean-Marc Maréchal, médecin généraliste et commandant des pompiers, "mais, au XXIe siècle, tout le monde devrait avoir le même accès à ces services.".

Le péril n’est d’ailleurs pas seulement sanitaire. L’économie locale est directement touchée par ces dysfonctionnements. Daniel Martin-Borret est un créateur de fictions radiophoniques plusieurs fois primé. Depuis la Lozère, les échanges avec ses producteurs passent principalement par Internet. « Grâce à la mobilisation d’élus comme Gérard Lamy, j’ai finalement un accès au haut débit qui me convient », explique l’artiste, qui habite à proximité du central téléphonique du village. Mais, à 4 kilomètres de là, Coralie n’a pas cette chance. Elle gère une société de travaux publics. Pour elle, impossible d’avoir une comptabilité en ligne. Coralie ne compte pas, non plus, les fois où elle ne parvient pas à joindre le conducteur de travaux de son entreprise sur le terrain. « Et puis, maintenant, les appels d’offres sont dématérialisés, ajoute-t-elle. Le temps de les télécharger et de renvoyer une proposition, on perd le contrat. »

Coralie est aussi mère de famille et adjointe au maire de Saint-Germain.  "Mon téléphone portable, c’est mon bureau" explique-t-elle. "Mais ça ne marche jamais. Il y a même des personnes au fin fond des vallées qui n’ont accès ni au mobile ni au filaire. Les employés de la mairie de Saint-André, non loin d’ici, n’ont même pas Internet à la mairie… " La jeune élue multiplie les exemples avant de conclure, se levant pour aller chercher ses enfants à l’école : "On paie les mêmes impôts, on devrait avoir accès aux mêmes services !"

La question est cruciale pour toute la population et devient un des combats principaux des élus. "Qu’il s’agisse du filaire, du mobile ou du numérique, la gestion inégalitaire des réseaux polarise l’activité et participe à la désertification de certains territoires," commente Robert Benoit, élu communiste à la communauté de communes de la Vallée longue et du Calbertois. Ces problèmes nuisent au maillage social. Et s’ils persistent, des villages pourraient se transformer en simples zones de passage où il deviendrait impossible de faire société. ". À Saint-Germain-de-Calberte, on ne s’y résout pas.

 

Par rapport à ces réalités qui abondent la désespérance de certains de nos compatriotes, il a y des "têtes d’œuf" qui décident que, quant à elles, tout va bien. Voici un texte du directeur des études de la fondation TERRA NOVA qui, dans l’état des lieux dressé par LE PROGRÈS de Lyon (13 mai 2017), place le territoire comme l’un des grands atouts de la France à l’aube de cette ère nouvelle inaugurée par l’élection d’un nouveau président jeune, dynamique, moderne.  

Après la «"fracture sociale" », on a beaucoup parlé de «"fracture territoriale" » au cours de la campagne électorale. Pourtant, loin du dualisme américain ou britannique, le rapport au territoire constitue un atout majeur de notre pays. Pourquoi ? Oublions les clichés sur "Paris et le désert français" : il y a longtemps que la province est dynamique. Le développement métropolitain se fait désormais à Marseille, Lyon, Toulouse, Nice; Nantes... Grâce à nos amortisseurs sociaux (sic), au maillage des services publics (sic, JPR), aux choix résidentiels des retraités qui privilégient les façades maritimes (et pourquoi ne privilégient-ils pas les campagnes ?), ces ensembles redistribuent massivement la richesse vers le reste du territoire (jusqu’au bout ?). La qualité et la densité des infrastructures (re-sic), l‘attractivité de notre patrimoine, la variété des paysages, la diversité de nos voisinages font de la géographie française un atout européen et même mondial qu'il faut valoriser.

On a là un texte à la langue de bois exercée, un texte écrit depuis la statue de la liberté new-yorkaise, c’est-à-dire complètement déconnectée du réel franco-français. Il est vrai que l’objectif est de vendre, oui vendre la France aux investisseurs étrangers. Rien n’est trop beau, dans ces conditions. Ainsi, le département de l’Isère est devenu Alpes IsHere (Isère = Is here, vous sentez le jeu de mots ? clin d’œil aux anglo-saxons mais pas que…). Les hommes politiques sont devenus des commerciaux et s’achètent les services d’officines spécialisées [3].

 

II. Vote F.N. et vote ouvrier : le cas de la MOSELLE

Aux sources du vote FN : Les métropoles et le désert français, par G. Marin

Lehaucourt, le village malheureux qui vote Le Pen, par Luc Chaillot



[1] Maladroit. Ceci va provoquer des réactions du genre « médecine pour les pauvres et médecine pour les riches. Les diplômes doivent être nationaux.

[2] Article publié, entre autres, par LE PROGRÈS, DNA, le BIEN PUBLIC (Dijon), etc… Lire aussi

[3] Lire la chronique de F. Combes et P. Latour, "La France en solde", L'Humanité du 18 mai 2017.

"Emmanuel Macron incarne la réunification de la bourgeoisie"... par Jérôme Sainte-marie

publié le 15 mai 2017, 07:07 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 15 mai 2017, 07:08 ]

On apprend à l’instant la nomination d’un Premier Ministre LR à Matignon. J’en étais resté à l’idée – non inexacte – que Macron avait ressuscité la Troisième force de la IV° république. A côté de la SFIO (les sociaux-libéraux de la rue de Solférino), du parti Radical (celui de Borloo et celui de Baylet) on aurait eu le MRP (incarné aujourd’hui par le courant Bayrou) et – Phoenix sortant de ses cendres  - le vieil Indépendants&paysans incarné par Alain Madelin. En fait, le panel est incomplet. Voici que le courant LR dans sa variante juppéiste, que l’on n’ose pas appeler "gaulliste" – par respect pour le Général – est intégré dans ce fourre-tout.

L’Humanité (15 mai 2017) a eu le nez creux en interviewant – avant la nomination de l’hôte de Matignon- le politologue Jérôme Sainte-Marie, selon lequel "Emmanuel Macron rassemble libéralisme économique et libéralisme culturel, satisfaisant un bloc élitaire qui se sent menacé". C’est la réunification de la bourgeoisie. Voici le texte de cette interview.

J.-P. R.

"Emmanuel Macron incarne la réunification de la bourgeoisie"

Entretien réalisé par Christophe Deroubaix

Lundi, 15 Mai 2017

L'Humanité

 

Vous affirmiez quelques jours avant le second tour que la bourgeoisie avait trouvé son candidat en Emmanuel Macron. Dans le même temps, celui-ci a été considéré comme le rempart de la République face à l’extrême droite. Qui a gagné dimanche dernier ? La bourgeoisie ou la République ?

Jérôme Sainte-Marie C’est en effet ce que j’ai dit même si je suis un peu sorti de mon rôle ! (Rires.) Commençons par le contenu idéologique de l’offre d’Emmanuel Macron, qui est très clair : il s’agit de la réunification de tous les libéralismes, le libéralisme économique et le libéralisme culturel. L’illusion que la gauche pouvait promouvoir le libéralisme culturel sans en tirer de conséquences quant au libéralisme économique – et inversement pour la droite – vole en éclats. Hamon et Mélenchon figurent le renouvellement du libéralisme culturel sans le libéralisme économique. Fillon, c’est le contraire. Cette réconciliation des deux libéralismes est également inscrite dans les traités commerciaux internationaux, comme le Tafta. Elle est portée sur le plan international par des chefs d’État comme Justin Trudeau.

Les élites des deux bords se retrouvent idéologiquement. Cela correspondant aussi à une pratique politique des gouvernements de droite ou de gauche, dont la convergence, quinquennat après quinquennat, était toujours plus éclatante. Mais les alternances divisaient de plus en plus artificiellement le bloc élitaire, que l’on peut appeler plus clairement la bourgeoisie. Cette dernière s’est rendu compte que ses divisions historiques étaient fatales à la mise en œuvre de son projet commun de réformes. Elle s’est donc réunifiée sous la forme du bloc élitaire. Cette réunification aurait pu se produire entre les deux tours. Cela s’est fait de manière plus brutale et plus rapide, avant même le premier tour, avec la création du mouvement En marche ! d’Emmanuel Macron. Ce dernier incarne parfaitement cette réunification idéologique et sociale de la bourgeoisie française pour donner aux réformes la plus grande force propulsive possible.

Ce projet est-il majoritaire dans la société française ?

Jérôme Sainte-Marie : Soulignons d’abord que le premier tour a révélé un vote de classe d’une puissance inédite, du moins depuis les années 1970. C’est aujourd’hui une réalité aveuglante. On n’avait pas vu cela depuis le référendum de 2005.

On a, d’un côté, les catégories populaires, qui représentent la majorité du salariat, dont le vote s’est divisé entre Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen. De l’autre, François Fillon et Emmanuel Macron ont rassemblé le bloc élitaire – les chefs d’entreprise, les cadres en général, les détenteurs de patrimoine, donc beaucoup de retraités, et aussi, parmi les jeunes, certaines catégories d’étudiants. Ces deux blocs rassemblent chacun entre 40 et 45 % des suffrages exprimés. Le voile d’illusion idéologique que représentait le clivage gauche-droite est en train de se déchirer.

À cette occasion, la réunification de la bourgeoisie est éclatante. Globalement, le bloc élitaire, c’est la France qui a voté oui en 2005. Cela lui donne un avantage pour gouverner puisqu’il domine sans partage l’appareil de l’État et la direction des grandes entreprises. Plus durablement, toutes les structures institutionnelles convergent, y compris les instances de contrôle. La division partisane de la bourgeoisie, notamment dans la haute fonction publique et dans la direction des médias, constituait un garde-fou que ce processus d’unification idéologique pourrait supprimer.

Ce qui est plus embêtant pour elle, d’un point de vue politique, c’est que cela devient visible. Une domination s’affaiblit quand elle avance sans masque. Par exemple, l’alternance sans véritable alternative est la solution optimale pour maintenir l’ordre social. La clarification actuelle, pour reprendre le mot de Manuel Valls, pourrait s’avérer une mauvaise idée. La disparition de médiation entre le monde des affaires et le milieu politique, avec un président de la République directement issu du premier, constitue une transparence redoutable pour un système en crise.


Cette élection présidentielle marque la fin d’un cycle. Quels sont les marqueurs du nouveau cycle ?

Jérôme Sainte-Marie
De manière très schématique, la vie politique française a été longtemps structurée par deux grands blocs, la gauche et la droite, subdivisés en leur sein par deux forces. C’était le clivage politique qui était essentiel. Aujourd’hui, c’est le clivage sociologique qui est primordial, en ce sens qu’il détermine les opinions des électeurs et le comportement des élus. À l’intérieur de ce clivage, les cultures politiques servent de nuancier.

 

Ce cycle qui s’ouvre sera marqué par des tensions d’une intensité telle qu’on n’en avait pas connu depuis quarante ans, dites-vous…

Jérôme Sainte-Marie Lorsque vous faites un travail sur la violence politique, vous vous rendez compte qu’elle peut intervenir lorsque les clivages se superposent. Pour prendre un exemple extrême, la révolte du prolétariat catholique en Irlande du Nord doit beaucoup à la coïncidence des séparations sociales et des séparations religieuses. Cette analogie peut servir pour analyser la situation politique française, en remplaçant les différences religieuses par les oppositions partisanes. Le premier facteur de tension est donc l’estompement du clivage gauche-droite au profit d’un choc entre libéralisme élitaire et souverainisme populaire. Intérêt social et valeurs politiques coïncident. Le premier tour a ainsi permis une forme de décantation sociologique, facilitée par l’affaissement du PS, qui était devenu un parti interclassiste.

Le second facteur est que les Français ont de plus en plus conscience que cette opposition sociale est fondamentale. Les études montrent que leur explication de vote renvoie très souvent à des considérations très matérielles, et antagonistes.

J’ajoute un troisième élément : si nous allons vers des solutions à la Blair ou à la Schröder, même si la situation générale du pays devait s’améliorer, dans ce modèle l’accroissement du bien-être de certains pourrait s’accompagner d’une plus forte précarisation ou paupérisation pour d’autres. Dans un pays de culture égalitariste comme la France, cela générerait des tensions très fortes, qui trouveraient dans le nouvel ordre démocratique une traduction politique directe. C’est tout le paradoxe de la "grande réconciliation" qu’incarne Emmanuel Macron.

 

 PS : le nouveau locataire de Matignon s'appelle .. zut, j'ai égaré la référence

 

 

Emmanuel Macron vu par Anicet le Pors

publié le 10 mai 2017, 00:40 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 3 août 2017, 11:37 ]



    Anicet le Pors est l’ancien ministre communiste de la Fonction publique nommé par François Mitterrand en 1981. On notera que c’est un des derniers représentants d’une espèce en voie de disparition : un ministre ayant accordé de nouveaux droits sociaux…Après son départ du gouvernement, il a été nommé au Conseil d’État. J'ai publié ici-même d'autres articles de ce juriste éminent. Ce texte est daté du 5 mai, d'avant le second tour donc, A. Le Pors conclut en disant qu'il votera "blanc". Mais cette date n'enlève rien à la qualité de son analyse qui annonce les difficultés que le peuple du travail va rencontrer dans les 5 années qui viennent. J.-P. R.

Emmanuel Macron : cet homme est dangereux,

    par Anicet LE PORS

    Emmanuel Macron sera élu le 7 mai 2017 Président de la République. C’est le produit politique fabriqué par les efforts combinés de l’oligarchie financière, du MEDEF, des gouvernements Hollande, de la technostructure administrative, des opportunistes de tous bords, des stars de l’intelligentsia toujours avides de notoriété, de la totalité des médias ; bref, de tous ceux ayant joué un rôle dans la situation désastreuse actuelle et favorisé ou instrumentalisé la montée du Front national. Et cela dans le contexte d’une décomposition sociale profonde, d’une communauté des citoyennes et des citoyens désorientés, en perte de repères.

    Son émergence est récente et il n’a cessé de cultiver l’ambiguïté pour se positionner électoralement au centre. Toutefois, on peut déceler à partir de plusieurs déclarations disparates une certaine cohérence idéologique, assez différente de celle qu’il veut accréditer ou qu’on lui prête. Cinq lignes de force peuvent être dégagées.

Un fervent de l’élitisme, hostile au monde du travail

     Les analyses sociodémographiques publiées à l’issue du premier tour ont montré que Emmanuel Macron a été essentiellement soutenu par les personnes qui s’en sortent le mieux dans la crise, les plus riches, les plus diplômés, les partisans de l’Union européenne, laissant de côté la France qui souffre, accentuant ainsi les inégalités. Dans le même temps, il ne dissimule pas sa volonté de réduire le partenariat au sein de l’UNEDIC, plus généralement de préférer le soi-disant dialogue social à la concertation contradictoire. Il est un farouche partisan de la flexi-sécurité, cause de précarité et de pauvreté de masse. Il opérera une reprise en main étatique des crédits de la formation professionnelle. Il conteste la vocation des syndicats à s’exprimer au niveau national pour les cantonner autant que possible au niveau de l’entreprise dans l’esprit de la loi El Khomri qu’il veut prolonger par une réforme du code de travail adopté par ordonnances, c’est-à-dire sans l’aval du Parlement. L’avantage que l’on peut reconnaître à ce candidat c’est qu’il éclaire les contradictions de classe qui sont à l’œuvre.

La mise au pas des collectivités territoriales

Après Nicolas Sarkozy, Emmanuel Macron cherche le moyen de contourner le principe de libre administration des collectivités territoriales posé par l’article 72 de la constitution. Un système de conventions avec les régions pourrait y pourvoir qui conditionnerait le montant des dotations de l’État à la docilité des collectivités. L’État serait également appelé à compenser la suppression de la taxe d’habitation pour 80 % des ménages ce qui rendrait ce financement discrétionnaire. Le processus de métropolisation serait poursuivi et développé aboutissant à la suppression d’un quart des départements. Les collectivités territoriales seraient ainsi mises sous pression avec la diminution de 2 milliards d’euros par an des dépenses de fonctionnement, la réduction de 75 000 emplois de fonctionnaires territoriaux, un retour strict imposé aux 35 heures hebdomadaires. La maîtrise de cette nouvelle politique coercitive serait assurée par une conférence annuelle des territoires. La remise en cause statutaire de la fonction publique territoriale reste la cible privilégiée.

L’abaissement du Parlement

Il s’agit d’abord d’une réduction drastique des effectifs sensée dégager une économie annuelle de 130 millions, de l’ordre d’un tiers pour aboutir à 385 députés et 282 sénateurs. Le Parlement réduirait considérablement son activité législative qui, hors période budgétaire, serait limitée à trois mois. IL y aurait donc moins de lois nouvelles, ce qui laisserait davantage de champ à la réglementation par décrets. L’activité du Parlement serait aussi réorientée vers des missions de contrôle et d’évaluation. La haute administration aurait de ce fait une compétence d’expertise plus étendue et un pouvoir hiérarchique renforcé sous l’autorité de l’exécutif. Emmanuel Macron a prévu de légiférer rapidement par voie d’ordonnances dès le début de son quinquennat et il conservera le mécanisme de l’article 49-3. Il est clair que la démarche tourne le dos au régime parlementaire.

Un gouvernement aux ordres

Le Gouvernement serait lui aussi resserré à 15 ministres, et fortement instrumentalisé par le Président de la République qui continuerait à présider les réunions du Conseil des ministres. Celles-ci seraient plus fréquentes pour assurer une discipline sans faille des ministres. Contrairement aux dispositions actuelles de la constitution, ce n’est toujours pas le Gouvernement qui définirait et conduirait la politique de la nation mais le chef de l’État. Les ministres seraient évalués chaque année. Pour autant, leurs pouvoirs et surtout leurs cabinets exerceraient une autorité renforcée sur les administrations placées sous leur tutelle. Le candidat Macron jugeant le statut général des fonctionnaires « inapproprié », outre une réduction des effectifs prévue de 120 000 emplois, accentuera la dénaturation du statut par une extension du spoil syste , le recrutement accru de contractuels de droit privé sur la base de contrats négociés de gré à gré. Il s’agirait donc d’une mise en cause des principes d’égalité, d’indépendance et de responsabilité et d’une réaffirmation sévère du pouvoir hiérarchique, de l’obligation de réserve, du devoir d’obéissance.

Un exécutif opaque et autoritaire

Emmanuel Macron ne remet pas en cause les institutions de la V° République, notamment l’élection du Président de la République au suffrage universel, ni l’usage plébiscitaire du référendum, ni de façon significative le mode de scrutin. Les conditions d’une VI° République ne sont pas réunies : pas de large consensus de récusation des institutions actuelles, pas de consensus sur les caractéristiques d’une nouvelle constitution, pas d’évènement fondateur comparable à ceux qui ont présidé à l’avènement des Républiques antérieures et de l’actuelle. Si l’ambiguïté sur ce que pourrait être la fonction présidentielle du nouveau président demeure grande, on peut déduire de ses quelques déclarations sur le sujet et de ses postures que son exercice de la fonction présidentielle, qui a pu être qualifiée de « jupitérienne », serait à la fois opaque et autoritaire, autocratique. La « dérive bonapartiste » qui a caractérisé le quinquennat de Nicolas Sarkozy risque d’être ici renforcée avec plus de méthode et, sans doute une traduction institutionnelle qui se durcira face aux conflits sociaux que la politique présidentielle ne manquera pas de provoquer. Jusqu’à quelles limites et à quelle échéance ? C’est la principale incertitude sur le danger encouru.

S’il est clair qu’on ne saurait voter pour la politique de filiation autoritaire, xénophobe et nationaliste de Marine Le Pen, le danger de la politique portée par Emmanuel Macron constitue une autre redoutable menace pour le progrès social et la démocratie.

Dimanche 7 mai 2017 je voterai Blanc.

Source : Anicet le Pors, 04-05-2017

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