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Histoires sur la philosophie
La gifle ou l’impasse de la représentation
Par Cécile ALDUY <https://aoc.media/auteur/cecile-alduyaoc-media/> AOC CHERCHEUSE EN LITTÉRATURE L’abstention record au premier tour des élections régionales était-elle
en partie annoncée par la gifle donnée à Emmanuel Macron ? À la furie
interprétative qui a suivi le geste a répondu une non moins
impressionnante contre-offensive « désinterprétative ». Il s’agit donc
moins de lui assigner un sens, que de souligner son statut justement
flottant, symptôme d’une société qui ne s’accorde plus sur ses symboles
et délaisse le régime de la représentation. Tout un pan de la société ne
croit plus aux mots ni au vote. « Ce n’est que dans le sang qu’on lave un tel outrage. Meurs ou tue. » C’est ainsi que dans Le Cid Don Diègue enjoint à son fils, Rodrigue, de réparer l’affront que Don Gomes, son rival à la cour, vient de lui infliger. De quel affront parle-t-il ? « D’un affront si cruel/ Qu’à l’honneur de tous deux il porte un coup mortel, / D’un soufflet. » On se félicitera qu’en 2021 une gifle ne provoque plus de bain de sang et qu’Emmanuel Macron (si ce n’est la justice) ait fait part de mansuétude envers Damien Tarel, le jeune homme de 28 ans d’obédience royaliste qui a profité d’un bain cette fois de foule pour tenter de gifler le président. Pour autant, cette gifle n’a-t-elle aucun sens symbolique et politique, comme le suggère la dédramatisation enclenchée au quart de tour par la communication présidentielle ? Et l’honneur du « monarque présidentiel » – celui de l’homme et futur candidat et celui de la fonction qu’il incarne – est-il sauf ? Ce geste a déclenché une furie interprétative et une non moins impressionnante contre-offensive « désinterprétative ». Il s’agit moins de lui assigner un sens que de souligner son statut justement flottant, symptôme d’une société qui ne s’accorde plus sur ses symboles et délaisse le régime de la représentation. Corneille a bien de la chance. Il écrit Le Cid à l’époque bénie (du moins pour les sémioticiens) de la transparence et de l’univocité du sens. En fondant l’intrigue entière et le conflit (qu’on dira bientôt « cornélien ») de son personnage éponyme sur un soufflet, il sait que tous, sur scène et dans l’auditoire, dans la fiction et chez ses contemporains, comprendront immédiatement et unanimement le sens de cette gifle originelle et la traduiront dramatiquement et politiquement sans ciller. Aucune exégèse nécessaire, aucun débat possible, aucun éditorialiste requis (temps béni, vous dis-je). Le soufflet est « infamie », « mortel affront », « honte », « outrage » et mérite « vengeance ». La gifle est un fait symbolique absolu, son sens ne souffre nulle dispute. C’est bien pour cela que Rodrigue ne peut pas s’esquiver. Corneille écrit à une époque où le symbolisme parle et se lit en toute transparence. Par définition et par étymologie, il n’y a pas de symbole obscur. Symbolon vient du verbe symballein (« mettre ensemble », de syn, « avec », et ballein, « jeter »). Il désignait en Grèce ancienne un petit objet de terre cuite que l’on cassait en deux et dont on distribuait les moitiés parfaitement emboitables entre deux groupes : il servait alors de signe de reconnaissance une fois les deux fragments réunis, leur assemblage parfait authentifiant leurs détenteurs. Le symbole est par extension une formule, un objet ou un geste dont on reconnait le sens entre initiés. (C’est un pot cassé dont on recolle ensemble les morceaux entre sachant d’une même communauté épistémologique). Cet art de la cécité volontaire et de l’évidement des signes est poussé à son paroxysme chez ceux-là même qui partagent le plus l’imaginaire et l’idéologie dont se réclame l’auteur de la gifle. Mais en 2021, les interprétations de la gifle fourmillent, y compris celles qui refusent de l’interpréter et la dépolitisent. « Forme de désespoir » d’un individu (Alain Duhamel), « bêtise » et « acte isolé » qui ne ressemble pas du tout à l’état actuel de la France selon Emmanuel Macron, ou au contraire « mesure de l’explosion de la violence de la société » selon l’éditorialiste de Valeurs Actuels Louis de Raguenel, écho des Gilets Jaunes pour les chroniqueurs de BFMTV, et même symptôme de la « radicalisation des pensées et des discours [dont] l’un des symptômes est l’idéologisation de l’antiracisme (sic) » (Alain Finkielkraut). Le grand coupable est pour beaucoup l’emprise des réseaux sociaux (Emmanuel Macron, Géraldine Woessner, Philippe Val, Amandine Atalaya, Alain Finkielkraut, etc.), ce qui permet d’évacuer la question du sens politique du geste pour se focaliser sur le médium qui l’aurait favorisé indépendamment de son message. (Le premier concerné a établi une distinction plus rationnelle :« Si on reste dans la réalité, j’ai juste giflé Emmanuel Macron car un sentiment d’injustice m’a parcouru. Cela n’a rien à voir avec la chevalerie ou mes activités personnelles ».) Samuel Gonthier <https://www.telerama.fr/ecrans/macron-gifle-12-cachez-cette-extreme-droite-que-lon-ne-saurait-blamer-6903141.php>a recensé dans un article saisissant pour le site Télérama les trésors d’énergie et de surinterprétation déployés dans les médias audiovisuels pour oblitérer les indices concordants de l’ancrage idéologique à l’extrême droite de Damien Tarel. S’avouer royaliste et citer un slogan d’Action française (« Montjoie ! Saint-Denis ! ») ? Une vague citation culturelle du film Les Visiteurs. Détenir un exemplaire de Mein Kampf ? Un accessoire décoratif suranné et non une marque d’appartenance politique. Autrement dit, on n’ose à peine l’écrire, « un détail ». Cet art de la cécité volontaire et de l’évidement des signes est poussé à son paroxysme chez ceux-là même qui partagent le plus l’imaginaire et l’idéologie dont se réclame l’auteur de la gifle. Pendant que CNEWS fait l’impasse sur l’auto-positionnement déclaré de Damien Tarel à (l’extrême) droite, Marine Le Pen, tout en le condamnant, renvoie le geste à l’inanité en parlant de « bouillie idéologique » à propos des motivations de son auteur. « Bouillie idéologique », vraiment ? En déclarant qu’il pense « qu’Emmanuel Macron représente la déchéance de notre pays », ne fait-il pas écho au discours décliniste (et décliné depuis quarante ans par divers Le Pen) dont la présidente du Rassemblement national a encore exprimé la teneur en mai 2020 en ciblant le président (« cette crise sanitaire et sa calamiteuse gestion sonnent l’alarme, celle du déclin et, si rien n’est fait, de la déchéance ») ? Lors de son audience en comparution immédiate, Damien Tarel identifie d’ailleurs clairement son cri de ralliement comme un « slogan patriote », un adjectif accaparé par Marine Le Pen depuis 2017. Il s’est également déclaré « investi par ce que représentent les gilets jaunes, qui ne sont jamais écoutés, et par le peuple en général ». Ce « peuple » incompris brandi par Marine Le Pen et le Rassemblement national, qui ont tenté de récupérer le mouvement des gilets jaunes lors de la campagne des élections européennes 2019. Qu’un royaliste s’improvise régicide et fervent défenseur du « peuple » peut sembler baroque. Pourtant c’est exactement l’imaginaire médiéval de croisade populiste et d’honneur chevaleresque que véhiculent depuis quarante ans tous les discours du 1erer mai du Front national en l’honneur de Jeanne d’Arc, fille du « peuple », « patriote » (tiens !) « trahie » par « les élites » et qui assura le « redressement national » (contre la « déchéance », donc). Ce populisme des petites gens, fonds de commerce de Marine Le Pen et du Rassemblement national, n’est nullement incompatible avec l’obédience royaliste, bien au contraire. Emmanuel Macron est l’anti-Corneille : sa marque discursive est le refus non seulement des conflits mais de la conflictualité comme moteur et enjeu du politique. Si Marine Le Pen et les chroniqueurs de CNews et d’ailleurs détournent le regard de cette manifestation de violence d’extrême droite (jusqu’à y lire, et là on est perdu, « une opération de blanchiment mélenchonienne » pour Élisabeth Levy), Emmanuel Macron lui-même pratique l’art de l’esquive. Il a bien condamné « la violence à l’égard de celles et ceux qui sont dépositaires de l’autorité publique » (noyant au passage sa propre personne dans une appellation juridique globalisante qui absente du discours l’image dégradante de la gifle), mais a aussitôt appelé à « relativiser » avant de détourner l’attention vers « la violence la vraie » (contre les femmes, dans les transports). Récupérer le thème de l’insécurité tout en effaçant la tâche d’indignité dont le menace la gifle, « ne pas banaliser » tout en minimisant la violence, la pirouette du « en même temps » permet d’esquiver la question du sens politique du geste et de désamorcer ses conséquences en termes d’image. Au risque de la caricature. À un écolier qui l’interroge « Ça va la claque ? » lors d’une visite à Poix-de-Picardie quelques jours plus tard, le président offre tout sourire une réponse lénifiante où les contraires s’annulent : « C’est pas grave, hein, et c’est pas bien ». (Une pédagogie bienveillante et illisible dont les parents familiers de l’album jeunesse C’est pas grave <https://www.ecoledesloisirs.fr/livre/cest-pas-grave>de Michel Van Zeveren connaissent les conséquences délétères : cela mène tout droit dans la gueule du loup). Pour un peu on s’attendrait à ce qu’il commente d’un « pas de souci » désinvolte, ou qu’il tende l’autre joue afin de renforcer l’imaginaire christique subliminal de son tour des territoires « bâton de pèlerin » à la main. « Faire bonne figure » pour ne pas « perdre la face », effacer l’image de la gifle et son registre plus burlesque que tragique, on rentre dans le registre connu du macronisme : la neutralisation des conflits par le déni et l’euphémisation. Après le soufflet fatidique, Rodrigue est face à une alternative déchirante entre des devoirs irréconciliables : son honneur ou son amour, Don Diègue ou Chimène. Il les expose mais il n’esquive pas. Emmanuel Macron est l’anti-Corneille. Sa marque discursive est le refus non seulement des conflits mais de la conflictualité comme moteur et enjeu du politique. Ce faisant, il confond résoudre les conflits et absoudre la violence ; canaliser les désaccords et les nier. Certes, il fallait une désescalade, et personne ne s’attendait à qu’il se batte en duel. Mais minimiser (par amour propre, pour ne pas ternir son image), n’est-ce pas renvoyer au néant son agresseur, refuser de lire la violence de son geste, l’écraser de son indifférence et risquer de valider l’accusation portée à son encontre de se comporter en monarque hautain ? Il aurait été intéressant d’essayer de comprendre, donc d’écouter, d’entrer une seconde, même par hypothèse intellectuelle, dans l’analyse du sens du geste. Par sa mansuétude (« ce n’est pas grave »), Macron est « bon prince ». Mais c’est justement cet écart démesuré entre le président jupitérien et le sujet lambda que la gifle voulait abolir. Personne ne s’interroge en effet sur le sens de la gifle. On décrypte le profil de l’auteur, ce qu’il représente (un « assisté » au RSA, un « citoyen lambda »), son activité sur les réseaux sociaux : le messager, le medium, et non le message. Comme si l’acte n’avait pas d’intention signifiante ni d’effet de sens. Damien Tarel, pour impulsif qu’ait été son geste et pour éminemment et absolument condamnable que soit ce dernier, a voulu exprimer quelque chose. Ce quelque chose avait une cible, donc un sens, politiques : le président de la République. Minimiser cette dimension ne fait que renforcer le sentiment de ceux « qui ne sont jamais écoutés ». Et, surtout, passer à côté de l’impasse démocratique et sémiologtique que met en lumière l’épisode. Tout à son imaginaire monarchique et ses jeux de chevalerie, l’agresseur se croyait peut-être sur un théâtre classique ou dans une joute médiévale où le soufflet aurait irrémédiablement terni l’image de son adversaire. Nul doute que son geste devait en tous cas humilier, frapper d’indignité, rabaisser Jupiter, pour – comme dans Le Cid – réparer ce que le gifleur a appelé un « un sentiment d’injustice ». La gifle est en effet une double « correction », au double sens de punition (« donner une correction ») et de rétablissement d’un équilibre, ici symbolique. Ce n’est pas la blessure physique qui est visée, mais la blessure narcissique. Humilier (de humus, la terre), c’est ramener sur terre, mettre le nez dans la boue. Or pourquoi vouloir ramener à hauteur d’homme le président de la République, si ce n’est parce qu’il n’y a plus d’échelon intermédiaire légitime à qui parler, ni processus de médiation politique accepté (l’élection, la délégation, le débat) ? Cet épisode serait anecdotique s’il ne soulignait abruptement qu’il n’y a plus la médiation ni des métaphores ni de la représentation politique pour exprimer les désaccords. Nous étions dans un régime politique et sémiotique de la représentation : des élus pour représenter des citoyens, des images pour canaliser les conflictualités. Lors des élections, on disait qu’un parti « se prenait une raclée ». C’était une métaphore. Les agressions physiques sont aujourd’hui une menace très concrète. Les maires étaient réputés « à portée de baffes ». C’est à présent le président qui prend une gifle en vrai. Les anciennes métaphores sont traduites au sens propre, dans un violent retour du réel. Un pan de la société ne croit plus aux mots ni au vote. On ne peut plus recoller les morceaux du sym-bolon car les individus appartiennent à des communautés épistémologiques hétérogènes. Quand le symbolique ne suffit plus, on passe au sens littéral. Soyons crus (puisque tout le monde euphémise) : le président « s’est pris une claque » et ce n’est pas une métaphore. Il faudrait méditer ce retour du réel à l’heure où le monde politique se complait dans les éléments de langage. Sinon, c’est la société française tout entière qui risque de « se prendre une claque » en mai 2022. Cécile Alduy <https://aoc.media/auteur/cecile-alduyaoc-media/> CHERCHEUSE EN LITTÉRATURE, PROFESSEURE À STANDFORD, CHERCHEUSE ASSOCIÉE À SCIENCES PO |
Lettre ouverte de la LIBRE PENSEE au Président de la République
Ni dieu ni maître, à bas la calotte et Vive la Sociale ! Lettre ouverte au Président de la République Posté le10 septembre 2020 Monsieur le Président, Lors de votre venue au Panthéon le 4 septembre 2020, vous avez prononcé un discours contre le « séparatisme » qui voulait faire date. Mais la date que vous avez choisie est bien éclairante à elle seule. Vous avez déclaré que l’Histoire de France « est un bloc » et, par ailleurs, vous avez omis de rappeler le fait que la République a été fondée le 22 septembre 1792, après la bataille de Valmy où les armées révolutionnaires infligèrent une défaite à l’Europe déjà coalisée contre la démocratie. La République a 228 ans et non 150 ans 24 février 1848 : Naissance de la Seconde République Dans votre discours vous avez donc soigneusement et délibérément occulté la Première République, puis la Seconde République. Il se trouve que ces deux républiques ont aboli l’esclavage et reconnu le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Maximilien Robespierre condamnait les « missionnaires armés » qui allaient chercher de nouveaux profits à la pointe de leurs baïonnettes. Dans le bilan comparé des républiques, ce n’est pourtant pas rien. • Vous avez choisi la IIIe République qui fut aussi une république coloniale et colonialiste, celle qui poursuivit la conquête et l’occupation de l’Algérie. Serait-ce pour faire oublier qu’en 1962, le peuple algérien a fait preuve d’un grand « séparatisme » en disposant de lui-même et en arrachant de hautes luttes son indépendance ? Qu’y a-t-il de plus « séparatiste » que l’indépendance des peuples et le démantèlement des Empires coloniaux ? • Serait-ce aussi pour faire oublier que les peuples d’Indochine, eux aussi subissant le joug colonial de la IIIe République, firent preuve aussi de « séparatisme » en luttant et obtenant leur indépendance ? • Serait-ce aussi pour faire oublier que le peuple malgache obtint, par voie de « séparatisme » son indépendance en 1960 ? Et aussi que beaucoup de peuples africains se « séparèrent » de la République française qui les oppressait. Votre choix de Président de la République a renié l’œuvre de la Révolution française qui, elle, était un bloc selon l’expression de Georges Clemenceau. C’est donc une opposition « bloc contre bloc », nous n’avons visiblement pas fait le même choix dans cette opposition. Il est assez curieux, voire amusant, qu’en tant qu’auteur d‘un ouvrage intitulé « Révolution », vous effaciez à ce point la Grande révolution. Vous auriez dû intituler votre livre « Contre-Révolution », cela aurait été plus conforme à son contenu. Votre « République » n’est visiblement pas celle de Léon Gambetta, d’Auguste Blanqui, de Jules Vallès, mais plutôt celle d’Adolphe Thiers, massacreur de la Commune de Paris. Les mots ont-ils un sens ? Le « caractère propre » dont se prévaut l’école privée catholique est un bel exemple de « séparatisme ». Nous avons extrait de votre discours panthéonesque ces trois phrases : « La République indivisible n’admet aucune aventure séparatiste… Dans certains endroits de notre République, il y a un séparatisme qui s’est installé, c’est-à-dire la volonté de ne pas vivre ensemble, de ne plus être dans la République et ce au nom d’une religion, l’Islam en la dévoyant… Le séparatisme, c’est quand, au nom d’une religion de telle ou telle influence extérieure, on dit : Je ne respecte plus les lois de la République. » Il existe plusieurs domaines où le « séparatisme » fait loi dans ce pays. Des millions d’élèves sont dans l’enseignement catholique privé « séparés » de la jeunesse du pays, au nom d’un principe religieux : « le caractère propre catholique ». Cet enseignement « séparatiste » est largement subventionné sur les fonds publics. Pourquoi admettre que l’argent de tous serve à financer l’école « séparée » de quelques-uns ? Ce n’est pas une conception différente sur les mathématiques, l’algèbre ou l’orthographe qui « justifie » cet enseignement « séparé ». Non, c’est la volonté affirmée que l’enseignement catholique est partie intégrante de l’œuvre d‘évangélisation catholique. C’est donc un précepte religieux fait au nom d’une religion. « L’Enseignement catholique est d’abord confessionnel » comme l’a déclaré le cardinal-archevêque André Vingt-Trois à la veille de l’adoption par l’assemblée plénière de la Conférence des évêques de France du Statut de l’enseignement catholique en France, dont le préambule indique : « Les dispositions du présent Statut déterminent les règles et principes qui s’appliquent aux écoles appartenant à l’Enseignement catholique en France et aux instances et institutions dont ces écoles sont dotées pour gérer de façon harmonieuse leurs relations et intérêts. » Ce Statut, avec ses 386 articles, constitue la loi organique de l’Enseignement catholique en France, déclinant dans toutes ses dispositions le Code de droit canonique sur l’Éducation catholique. Citons quelques articles édifiants de ce Statut qui se passent de tout commentaire : Art. 8 : « Aujourd’hui comme hier, l’Église catholique est engagée dans le service de l’éducation. Elle accomplit ainsi la mission qu’elle a reçue du Christ : travailler à faire connaître la Bonne Nouvelle du Salut… » Art. 17 : « Le caractère ecclésial de l’école est inscrit au cœur même de son identité d’institution scolaire » Cette particularité « pénètre et façonne chaque instant de son action éducative, partie fondamentale de son identité même et point focal de sa mission ». Art. 21 : Le projet éducatif est le garant de l’unité de l’école, de la communauté qui la constitue et de sa mission. Cet impératif d’unité commande que, dans chaque projet éducatif, on ne fasse pas « de séparation entre le temps d’apprentissage et les temps d’éducation, entre les temps de la connaissance et les temps de la sagesse. Les diverses disciplines ne présentent pas seulement des connaissances à acquérir, mais des valeurs à assimiler et des vérités à découvrir. […] Dans la perspective d’un tel projet éducatif chrétien, toutes les disciplines doivent collaborer, de leur savoir spécifique propre, à la construction de personnalités en possession de leur maturité ». Art. 23 : L’Évangile est la référence constante des projets éducatifs, car « c’est le Christ qui est […] le fondement du projet éducatif de l’école catholique ». Art. 41 : Une école au service du projet de Dieu : « L’Église poursuit l’œuvre du Seigneur par l’annonce de la Bonne Nouvelle qui est Jésus-Christ lui-même. C’est dans cette Église que s’inscrit et se comprend l’école catholique : la préoccupation éducative qu’elle porte, et avec elle le souci de la proposition et de l’annonce de la foi, est celle de l’ensemble de la communauté ecclésiale, dans laquelle elle trouve force et soutien. » Faudrait-il croire que ce que vous estimez insupportable pour l’Islam, est accepté et même subventionné par l’État, quand il s’agit du catholicisme ? Valeurs de la République et laïcité, kit pédagogique de formation – document du ministère des la cohésion des territoires – déc. 2017 Les ministres de votre gouvernement viennent d’annoncer au Parisien« qu’ils veulent inscrire dans la loi la création d’un contrat d’engagement sur la laïcité : « Nous ne voulons plus un euro d’argent public aux associations qui sont les ennemies de la République.. Les associations qui bafouent les valeurs de la République seront privées de subventions ». On nous indique qu’il va falloir signer une « Charte de la Laïcité » pour obtenir des subventions publiques. Allez-vous supprimer les 12 milliards versés chaque année à l’enseignement catholique privé, un enseignement « séparatiste », car il n’a jamais signé une quelconque « Charte de la Laïcité ou de valeurs républicaines » et supprimer cet enseignement « séparatiste » ? Au contraire, vous avez augmenté son financement public par l’État et les collectivités territoriales avec la scolarité obligatoire à partir de 3 ans ! Faut-il donc être d’accord avec vous pour percevoir des subventions publiques ? Si la Fédération nationale de la Libre Pensée s’honore de ne pas percevoir un centime d‘euro de fonds publics, pour autant nous ne saurions accepter cette dictature de l’argent et par l’argent qui est si bien la marque de ce régime. Il faudrait donc partager votre Credo pour toucher des fonds publics ? Exit les royalistes qui ne partagent pas les « valeurs de la République »… Vous ne réviserez peut-être pas directement la Grande loi du 9 décembre 1905 de Séparation des Églises et de l’État qui garantit la liberté de conscience pour tous, mais vous la videz entièrement de son contenu en interdisant la liberté de conscience et la liberté de l’exprimer. N’autoriser, en les favorisant et en excluant tous les autres, que ceux qui partagent votre avis, ceci est la marque des dictateurs, pas des démocrates. Comme disait Rosa Luxembourg : « La liberté, c’est toujours la liberté de celui qui pense autrement ». Visiblement, vous ne partagez pas ce point de vue de cette militante révolutionnaire qui a payé de sa vie la fidélité à ses idées et à sa conscience. C’est un coup d’État à froid contre les libertés démocratiques et la loi de 1901 sur les associations Il y a cependant fort à parier que ce projet réactionnaire ne passera pas la barre trente secondes devant leConseil constitutionnel et d’autres juridictions, tant il est contraire, lui, aux principes de la Révolution, du Droit et de la République. Il ne suffit pas d’avoir « une majorité » à l’Assemblée nationale (majorité qui s’étiole chaque jour davantage), vous allez vous apercevoir qu’il y a aussi encore des contre-pouvoirs dans ce pays. Examinons d’autres questions ♦ La note doctrinale de la Congrégation de la Foi du 21/11/2002 qui est le guide de l’Église catholique pour l’action politique et sociale stipule , comme « consignes » du Vatican, ceci : ♦ Des médecins peuvent refuser de pratiquer des IVG au nom de leurs conceptions religieuses. Cette « clause de conscience » qui a souvent des origines religieuses dit : « La clause de conscience, c’est (…) le droit de refuser la réalisation d’un acte médical pourtant autorisé par la loi, mais que (le médecin) estimerait contraire à ses propres convictions personnelles, professionnelles ou éthiques. » N’est-on pas là directement dans ce que vous avez déclaré au Panthéon : « Le séparatisme, c’est quand, au nom d’une religion de telle ou telle influence extérieure, on dit : Je ne respecte plus les lois de la République ». ♦ En Alsace-Moselle, au nom des religions « venues de l’extérieur » de la République, la laïcité ne s’applique pas. C’est l’existence du Concordat qui bafoue la liberté de conscience des Alsaciens-Mosellans et qui remet en cause l’égalité des citoyens devant la loi en « reconnaissant » quatre cultes, comme au temps du Premier Empire. Qu’y a-t-il de plus contraires aux « valeurs de la République » que la survivance d’un Empire qui s’est institué sur les décombres de la Première République ? Allez-vous supprimer les salaires des religieux payés comme des fonctionnaires au mépris de la laïcité et supprimer le Concordat, institution éminemment « séparatiste » de la République française et laïque? ♦ Au nom du Droit canon, les baptisés de force durant leur enfance ne peuvent voir supprimer leur appartenance à la religion catholique. On peut exiger au nom de la RGPD de voir disparaître toute appartenance passée à une association, parti, syndicat, Obédience maçonnique ; mais ceci est impossible pour les registres paroissiaux catholiques. Pourquoi cette exclusive basée sur un principe religieux au mépris de l’égalité des citoyens devant la loi ? Dans ces quatre cas, les lois de la République ne s’appliquent pas pour tous et l’égalité des droits est bafouée. Allez-vous faire appliquer la loi républicaine contre ces séparatismes ? Last, but not least Les traditionalistes à St Nicolas du Chardonet : « sans le latin, la messe nous emmerde… » (G. Brassens) Dans d’autres déclarations gouvernementales, il est indiqué que les imans devront être formés en France et que les prêches devront être faits en français. Nous qui sommes nostalgiques de Georges Brassens et de son fameux « Sans le latin, la messe nous emmerde », il ne nous ennuie nullement que des sermons soient fait dans la langue d’origine d’une religion et comprise par tous ses coreligionnaires. Il en faut pour tous les goûts. Allez-vous exiger que tous les religieux catholiques soient formés en France et ainsi tarir la source qui permet à des prêtres étrangers de venir exercer leurs ministères en France ? Allez-vous interdire aux futurs prélats d’aller se former au Vatican ? Allez-vous interdire les pasteurs évangéliques en France et que leurs prêches ne soient plus dans une langue africaine ou en créole ? Ou allez-vous vous en prendre, une nouvelle fois, aux musulmans, comme au « bon vieux temps » de la Guerre d’Algérie ? Il semble que poser la question, c’est y répondre. Tout ce discours, ce projet de loi, ces prétentions, ne sont que le masque honteux de la plus pure xénophobie, instrumentalisée pour caporaliser la société et susciter des divisions pour atteindre vos objectifs politiques. Monsieur le Président, Vous comprendrez aisément que la Libre Pensée ne puisse se reconnaitre dans votre discours au Panthéon et qu’elle en appelle à tous les laïques, et les démocrates pour faire échec à ces projets réactionnaires. Veuillez agréer l’expression de notre sincère attachement à la liberté de conscience et à l’égalité des citoyens devant la loi. La Libre Pensée Le 10 septembre 2020 |
Paco Ibanez « Mon concert est un refuge pour ceux qui ne se rendent pas »
Interview de l'artiste Paco Ibanez, d'une grande profondeur et qui nous interpelle : "L’oubli est la vraie décadence de ce monde". C'est terrible. le pire est la mise en œuvre de l'oubli : que devient l'histoire de la Révolution française à l'école, au lycée ? Voici cet ITW paru dans l'Humanité, journal de haute tenue, menacée de disparition à l'heure où j’écris ces lignes... J.-P. R. Mardi, 22 Janvier, 2019 Musique Depuis plus de cinquante ans, la voix et la musique de Paco Ibanez fusionnent avec les mots des plus grands poètes et, par ce génie de l’humilité, elles réparent notre mémoire comme nos vies. Entretien avec un troubadour d’exception. Il est des hommes comme Paco Ibanez dont l’évocation même emporte à la subversion. Avec lui, les sentiments accolés aux utopies inondent les regards, et les exilés d’un monde plongé dans la nuit des robots retrouvent un langage commun. Ses chansons – partagées en hymnes – suspendent le tragique en le tutoyant. Paco Ibanez désavoue le refoulé et affirme l’anamnèse où les blessures se récitent pour défier le désespoir. Ce lundi après-midi près de Montparnasse, Paco Ibanez est entré avec quelques minutes de retard dans le café dont le nom répond si bien à l’exigence de sa vie, la Liberté : « Je suis désolé, je ne suis pas à l’heure. J’ai beau essayer, m’y préparer, rien n’y fait. Je reste un paysan, je n’ai pas le temps accroché au poignet. Je ne me défais pas de cette habitude, elle vient de l’enfance. » Avant même la première question, Paco Ibanez me questionne au sujet du journal, évoque Roland Leroy, qu’il a bien connu, et Jack Ralite, dont la disparition l’affecte. Dans ses yeux courent les souvenirs du temps où lui, « l’Espagnol d’Aubervilliers », transformait le malheur de l’exil en une nouvelle fraternité. « Aubervilliers fait remonter chez moi de nombreux souvenirs, ils reviennent avec force, je pense à ma mère, à notre façon de vivre, à mes amis. Plus le temps passe, plus ils remontent et me submergent… » On entendrait presque Juventud divino tesoro, de Ruben Dario. « Valle, on peut commencer ! » Commençons… Dans quelques jours, vous donnerez au Casino de Paris un concert hommage à celui de l’Olympia 1969. Pourquoi un hommage ? paco ibanez Vous savez, pour moi, la nécessité de chanter est de tous les jours. Je propose mes chansons et je crois qu’elles nourrissent les gens. Bien sûr, ce concert fêtera les cinquante ans d’un événement aujourd’hui mémorable pour mon public. C’est là, sa particularité. L’Olympia 69 représentait alors un bouquet de textes, un florilège où je partageais avec les gens le souffle de différentes existences, celles de Lorca, de Neruda ou d’Éluard. Elles avaient vécu avant nous, elles avaient souffert ou pas. Elles avaient laissé des traces. Aujourd’hui encore, elles nous accompagnent. Je chante la mémoire de tous ces poètes afin qu’ils diffusent à travers ma voix l’espérance en l’homme. Dans le même temps, c’est aussi un hommage à votre public, il est la troisième voix de vos concerts… paco ibanez Évidemment ! Un hommage à sa fidélité et à sa confiance. Les concerts se construisent avec lui dans une imprégnation commune. Dans l’intensité des applaudissements, on devine si la salle chauffe ou si elle est prudente. On perçoit son sentiment. En Argentine, par exemple, le public donne tout. À l’inverse, en Colombie, ils sont plus prudents, comme absorbés. Mes concerts se fabriquent dans cette oscillation permanente, dans l’atmosphère singulière de chaque voyage. Quel est votre sentiment sur la chanson actuelle et vous inspire-t-elle ? paco ibanez J’écoute et je m’inspire de toutes les musiques du monde. Connaissez-vous Ewa Demarczyk ? Elle est polonaise. Sa voix provoque chez moi un tel bouleversement que je ne peux aller jusqu’au bout. Elle transcrit une mélancolie absolue. Il y a aussi Maria Tanase. En France, j’aime surtout Damia. Personne ne chante comme elle. Il n’y a pas de fin dans sa voix. Pourtant nous ne l’entendons nulle part. Elle n’existe presque plus. Il y a une décadence dans cette relégation, car enfin, la France a été le pays de la chanson et Édith Piaf ne peut en être la seule représentante ! L’oubli est la vraie décadence de ce monde. Je pourrais rappeler Brassens, Où sont les neiges d’antan ?, et demander où est la France d’antan, quand elle incarnait alors une neige populaire. Elle disparaît. Elle est avalée par la bouche sans esprit des Américains, pour lesquels tout doit être rentable sous peine de ne pas exister. Ils ne mesurent qu’en ces termes. Les Américains sont capables de produire des rêves qui deviennent des cauchemars. Et finalement, le rêve américain est le pire cauchemar du monde. Comment chanter s’est imposé à vous ? paco ibanez Il faudrait demander à mon ami l’âne. J’allais partout avec lui en chantant. Qu’est-ce que je chantais ? Je ne le sais pas. Où avais-je entendu ces chansons ? (Il lève les épaules) Nous n’avions rien : ni eau, ni électricité et encore moins des journaux. Il n’y avait rien et pourtant je chantais toujours. Je chipais même de l’argent à ma tante pour acheter les paroles des chansons… Les choses se sont enchaînées naturellement. Au départ, je chantais pour quelques amis, puis un plus grand groupe de personnes et ensuite, tout d’un coup, on se retrouve devant un public et on vous applaudit. On prend confiance et conscience. On s’améliore et le répertoire commence à s’élargir, l’émulation est alors au galop. Avez-vous songé à écrire des textes ? paco ibanez Non, les choses se sont faites dans une évidence et l’écriture n’en faisait pas partie. Vous savez, un jour, la femme de l’immense poète Juan Goytisolo a dit : « Paco ne sait pas écrire, mais il sait lire. » Et je le revendique. Je sais reconnaître la magie d’un texte quand il passe sous mon regard. Récemment, une femme de Navarre a écrit un petit livre sur les Gitans et le titre de ce recueil est explosif : Danse ta colère. Vous voyez, c’est ça la magie. Pour moi, décrire ne suffit pas, il faut ce que j’appellerai la nucléarisation des mots. Oui, la poésie suppose des mots dont la rencontre est nucléaire. Quel souvenir gardez-vous de votre concert à la Sorbonne en 1969 ? paco ibanez Après le concert à l’Olympia, on m’a proposé de célébrer 68. Je devais chanter dans l’amphithéâtre Richelieu, très vite une foule l’a investi et je voyais les murs transpirer. On s’est déplacé dans la cour. Il y avait plus de 4 000 personnes. 1968 est une date fantastique où une jeunesse hurlait contre une société étriquée. La révolte s’est organisée sur un besoin d’air nouveau. Cette ferveur aujourd’hui me semble polie. On a cloué le bec à cette volonté de transformer le monde. Idem pour la chanson. Elle ne disparaît pas, mais elle est inerte, pétrifiée, soumise à « un rock de salon » importé par les États-Unis. Alors les gens peu à peu s’américanisent et c’est un désastre pour la France, et par conséquent pour le monde. Vous-même, pour dire d’accord par téléphone, vous m’avez répondu OK… Une facilité de langage… paco ibanez Quand j’entends ce mot, je reçois une décharge électrique. On colonise par la langue. Cette eau s’infiltre et une autre pensée s’immisce. Je sais bien, les gens rient à cette idée, pourtant il faut être vigilant et ne pas se soumettre à cette civilisation d’abrutis. Je n’ai rien de particulier contre les Américains, mais je ne peux pas supporter leur capitalisme sauvage édifié en modèle unique. La France se laisse entraîner dans cette perte : qu’offre-t-elle aujourd’hui après l’espérance de 68 ? En ce moment, le mouvement des gilets jaunes incarne et dit une révolte : y êtes-vous sensible ? paco ibanez Oui, bien sûr… Seulement, on entend que les revendications matérielles. Elles sont justes, mais ne rompent pas avec ce monde infernal, ne contredisent pas l’âme de la société. C’est une révolte du « pas assez », pas encore du « bouleversement ». Où est l’âme et qui s’en ocupe ? On aperçoit des âmes seules dans des corps vides. Pour moi, c’est étrange tant la France a toujours été à l’avant-garde pour proposer un autre possible. Devant ce constat, la poésie vous semble-t-elle tout aussi exilée ? paco ibanez La France oublie ses poètes. Il faut appeler l’ambulance d’urgence. Mais, por favor, Macron a organisé des funérailles nationales à Johnny Hallyday comme s’il était Victor Hugo. C’est invraisemblable ! Ce pays, la « championne du monde de la chanson », organise ce décalage absolu. Et les gens suivent, ne se rebellent pas contre des absurdités pareilles. Il reste quand même quelques recoins et, à sa façon, mon concert est un refuge pour ceux qui ne se rendent pas. Pour ce public, la poésie est une nécessité, une part de la vie même. Cette situation renforce-t-elle la mélancolie ? Comment faites-vous entre l’espoir et sa disparition quand vous chantez ? paco ibanez La voix humaine est mélancolique. Souvent, j’interprète une chanson du poète Rafael Alberti écrite pendant les bombardements de Madrid. Malgré tout, malgré les bombes, la douleur et la mort, Alberti réussit à affirmer l’espérance. Aujourd’hui, on efface tout, on passe tout sous silence au point qu’on peut se demander si la guerre d’Espagne a jamais existé tant la dictature a tout cadenassé. Depuis, personne n’a ouvert le livre. Et voilà que le danger revient. Le fascisme, sous une autre forme, prend racine. Ici et maintenant. Ils ressortent des caves où on les avait seulement laissés pourrir. En Andalousie, ils avancent, creusent un espace, s’engouffrent dans le manque. Peut-être faudrait-il inspirer les gens. Voyez, en France aussi, les gens travaillent comme des esclaves et le petit-grand Napoléon continue à croire au ruissellement. Mais comme on dit : « Continuons le combat ! » Cette phrase, vous devriez l’inscrire sur les frontispices des monuments à la suite de « Liberté, égalité, fraternité ». En Espagne, on dit : « No es muerto el que pelea » (n’est pas mort celui qui se bat). Il faut aller jusqu’au bout de ces convictions. Et comme il faut rire aussi, pour finir, je citerai Groucho Marx : « ce sont mes principes, et si vous ne les aimez pas… Eh bien, j’en ai d’autres ». Paco Ibanez en concert le 24 janvier au Casino de
Paris à 20 heures. 16, rue de Clichy, 75009 Paris. Renseignements :
08 92 69 89 26.
Entretien réalisé par Genica Baczynski |
Lettre ouverte au président de la République sur ce qu’est et n’est pas la laïcité
Texte de Jean-Paul SCOT (1), historien C’est en toute connaissance de cause que vous avez répondu avec solennité à l’invitation inédite que vous avez reçue de la Conférence des évêques de France. Vous venez ainsi de confirmer avec éclat toutes vos interventions précédentes devant ceux que vous qualifiez de « représentants des autres religions » quand bien même « la République ne reconnait aucun culte » comme institution publique depuis la loi de 1905. Permettez que j’use librement de ma liberté d’analyse et que je décrypte votre long discours pour en révéler tout le sens caché qui n’a pu échapper qu’aux lecteurs trop pressés. Aux évêques qui vous demandaient un « dialogue permanent » vous avez répondu d’emblée que vous partagiez avec eux « le sentiment que le lien entre l’Eglise et l’Etat s’est abimé et qu’il vous importe à vous et à moi de le réparer ». Pourquoi affirmer d’emblée un « lien » entre l’Eglise et l’Etat ? La séparation entre les religions et l’Etat instituée par la loi de 1905 exige que tous les serviteurs de l’Etat, et d’abord le premier d’entre eux, vous-même, soient tenus non seulement au devoir de réserve mais plus encore à la neutralité laïque afin de respecter l’égalité de droits de tous les citoyens et citoyennes aux opinions religieuses ou philosophiques si diverses. Vous aviez déjà rejeté ce principe de neutralité laïque en arguant que « d’après la loi de 1905, c’est la République qui est laïque, pas la société ». Certes la société rassemble des personnes fort diverses par leurs origines, leurs cultures, leurs religions, leurs philosophies, et chaque individu peut penser et agir selon sa liberté de conscience comme le garantit la République. Mais vous ne pouvez ignorer qu’il n’y a pas de société démocratique et de vie collective qui ne repose sur les principes de liberté et d’égalité, et que la laïcité, définie par ces principes, est la condition du respect mutuel de tous dans le respect mutuel de chacun. A titre privé vous êtes libre de vous déclarer laïque ou pas laïque, catholique ou mécréant, mais pas en tant que Président de la République ! sauf à déroger au devoir de votre fonction ! En quoi ce « lien » se serait-il « abimé » ? Vous déplorez comme les évêques que « ce pays de France ne ménage pas sa défiance à l’égard des religions » et que le catholicisme soit devenue « une minorité militante contrariant l’unanimité républicaine ». Mais en quoi l’Etat serait-il responsable de la désaffection des églises et de la sécularisation d’une société où les incroyants et agnostiques sont aujourd’hui majoritaires ? Que je sache depuis 1958 la République s’est montrée bonne fille à l’égard de l’Eglise en finançant à parité les églises confessionnelles, en leur conférant même la mission de service public, en leur accordant toujours plus de privilèges tout en les dispensant des charges de l’enseignement public. En 1996, la Conférence des évêques, rappelez-vous, se félicitait des « concessions » de l’Etat à la « laïcité publique » et reconnaissait « le caractère positif de la laïcité [...] non pas telle qu’elle a été à l’origine, mais telle qu’elle est devenue ». Que veulent de plus aujourd’hui les évêques de France ? Pour vous, les tensions actuelles ne seraient pas « le fruit d’une décision de l’Eglise » mais « le résultat de plusieurs années pendant lesquelles les politiques ont profondément méconnu les catholiques de France » et « ont trouvé toutes les raisons de ne pas écouter les catholiques ». Aurait-il fallu pour que « les inquiétudes des catholiques » soient entendues que les dogmes de l’Eglise demeurent la norme publique niant ainsi la liberté des femmes à disposer de leur corps et l’égalité des droits des homosexuels ? Admettez que ce sont des mouvements se réclamant du catholicisme, avec souvent le soutien direct du clergé et de certains évêques, qui ont instrumentalisé la foi religieuse pour s’opposer dans la rue aux lois de bioéthique et au mariage pour tous. Leur droit de manifester a été respecté et les lois votées n’ont jamais été imposées de force à ceux qui n’en partagent pas l’éthique, pourvu qu’ils respectent la liberté et l’égalité des autres. Pourquoi voudriez-vous encore bloquer les recherches sur les cellules souches et interdire demain le suicide assisté puisque vous, catholiques, resterez absolument libre de vivre, d’aimer et de mourir comme vous l’entendez ! Pour « réparer » ce « lien abimé » il n’est, dites-vous, « pas d’autre moyen qu’un dialogue en vérité ». Mais, au préalable, un gage de bonne volonté de l’Etat vous semble nécessaire puisque vous vous engagez à élargir encore la place des « représentants » es qualité des religions dans le Conseil national d’éthique sous prétexte d’« enrichir » les débats ! Dialogue entre qui et qui ? Dialogue avec l’Eglise de France que vous reconnaissez comme une « institution », une « autorité » et même une « juridiction » ! Que je sache l’Eglise catholique n’est plus depuis la loi de 1905 un « établissement public du culte », plus une « institution de droit public » comme elle le fut sous le régime concordataire des cultes reconnus de 1802 à 1905. Elle est un organisme de droit privé à but non lucratif comme toutes les autres associations, partis ou syndicats. Que je sache le droit canon ne s’applique qu’aux clercs, soumis par ailleurs au droit commun que l’Eglise a bien du mal à admettre dans les affaires de pédophilie ! Voudriez-vous lui conférer un statut d’« institution » spécifique ou lui reconnaitre une « autorité » privilégiée ? Vous citez quarante fois l’Eglise, et cinq fois la papauté, mais seulement quinze fois les « catholiques » : vous vous adressez bien plus au haut clergé qu’aux fidèles contrairement à ce qu’affirme l’éditorial du Monde. Alors que la République ne connait que des citoyens et des citoyennes dans la diversité de leurs opinions et de leurs pratiques, vous voulez que l’Etat entretienne un dialogue privilégié, comme l’ont exigé les papes Jean-Paul et Benoit XVI, avec une hiérarchie de clercs auto-investis et sensés représenter tous les catholiques. Au profit d’un néo-cléricalisme conquérant et au péril de la laïcité de l’Etat ! Sachez cependant que Ferdinand Buisson, un des pères de la loi de 1905, précisait en 1904 que « la laïcité consiste à séparer les Eglises de l’Etat, non pas sous la forme d’une partage d’attributions entre deux puissances traitant d’égal à égal, mais en garantissant aux opinions religieuses les mêmes libertés qu’à toutes les opinions. » Dialogue avec l’Etat laïque dont vous vous dites le « chef » même si l’Etat ne se réduit pas à votre personne. Vous êtes soumis, ne l’oubliez pas, au respect de la Constitution et des institutions. Mais vous préférez vous présenter comme « chef de l’Etat » plutôt que comme « président de la République ». « Je suis, dites-vous, comme chef de l’Etat, garant de la liberté de croire et de ne pas croire ». Vous répétez à la fin de votre discours que vous assurerez à tous vos « concitoyens » « la liberté absolue de croire comme de ne pas croire » mais que vous leur demanderez de « toujours respecter absolument et cela sans compromis aucun les lois de la République ». Cela suffit pour que le ministre de l’intérieur et nombre d’éditorialistes du Figaro à Libération vous accordent un brevet en laïcité. Je fais deux objections. Un « dialogue permanent » légitimé par quoi ? « Ce dialogue est indispensable, et si je devais résumer mon point de vue je dirais qu’une Eglise prétendant se désintéresser des questions temporelles n’irait pas au bout de sa mission, et qu’un président de la République prétendant se désintéresser de l’Eglise et des catholiques manquerait à son devoir. » Bafouant ouvertement le principe de séparation, vous présentez l’Eglise et l’Etat comme des partenaires et des alliés suivant un « chemin commun » bien que relevant de « deux ordres institutionnels différents » Sous prétexte de fonder un « monde nouveau », vous ne faites que reprendre les schémas de la plus traditionnelle théologie thomiste et jésuite : l’Eglise et l’Etat appartiennent à deux ordres spécifiques car la première, dépositaire de la vérité du Christ et affirmant la transcendance de l’homme, dispose du pouvoir spirituel, de la potestas divine, alors que le second, d’ordre séculier, n’a reçu que le pouvoir temporel, l’auctoritas politique. Les deux pouvoirs sont distincts, autonomes, mais pas séparés, car ils ont la même finalité, assurer le salut des croyants. L’Eglise doit se soucier des choses temporelles et les catholiques doivent témoigner leur foi par leur charité et leur humilité. Mais l’Etat bien qu’autonome doit servir les orientations spirituelles de l’Eglise. Je n’extrapole pas : vous justifiez « la nécessité de ce dialogue car nous vivons chacun dans notre ordre à des fins communes qui sont la dignité et le sens ». La distinction entre les pouvoirs spirituel et temporel relève du langage d’Eglise et n’est en rien synonyme de la laïcité qui est un principe juridique et politique fondant la société sur les principes de liberté et d’égalité de tous les êtres humains. Vous êtes plus qu’à l’écoute de « la voix de l’Eglise », vous l’avez adoptée : « nous l’écoutons avec intérêt, avec respect et même nous pouvons faire nôtre nombre de ses points. » Certes, vous déclarez aussitôt qu’à l’égard de l’Etat cette voix « ne peut être injonctive », mais qu’elle peut être « questionnante ». Philippe le Bel et Louis XIV l’avaient déjà fait déclarer par leurs légistes définissant les « libertés gallicanes ». Rien donc de nouveau comme le confirme votre conception des rapports entre l’Eglise et la nation dans l’histoire ! Un dialogue pour « réparer » ? Un historien ne peut que s’étonner de ce verbe « réparer » : la « réparation » appartient au vocabulaire des prélats catholiques depuis la Contre-Réforme et plus encore des papes ayant condamné comme « diaboliques » les idéaux de 1789, mais aussi des opposants les plus acharnés à la loi de séparation des Eglises et de l’Etat et à la suppression du budget des cultes en 1905. Je ne vous soupçonne pas de vouloir réactiver tout le conflit entre l’Eglise catholique et la France mais je ne peux que m’interroger sur votre affirmation « des liens les plus indestructibles entre la nation française et le catholicisme » depuis les temps les plus anciens jusqu’aux tragédies les plus récentes. Sous la monarchie de droit divin, ce « lien » entre l’Eglise catholique et l’Etat confessionnel était « consacré » et le roi « sacré » ; mais on ne parlait encore que de « nation picarde » ou « provençale », pas encore de « nation française ». C’est en juillet 1789 que la « Nation » est enfin définie comme « la personne juridique composée par l’ensemble des individus composant l’Etat » au moment où elle est proclamée souveraine, suite à l’abolition du lien organique entre l’Eglise et la monarchie de droit divin. Sachez qu’en 1789 et 1790 l’Assemblée constituante a refusé que le catholicisme reçoive le statut de « religion d’Etat », ou de « religion de la nation » et pas même de « culte reconnu ». La séparation entre l’Eglise et l’Etat vient de loin ! Vous semblez ignorer en effet que la Nation française s’est constituée en dépit de l’hostilité de l’Eglise catholique aux idéaux de 1789, que celle-ci a béni la Restauration monarchique en 1815, appuyé le parti de l’Ordre en 1851 et conspiré entre 1898 et 1906 contre la République comme les archives du Vatican le prouvent. La « part catholique de la France » est bien peu républicaine et « la sagesse de l’Eglise » n’a guère « enrichi » la nation, même si l’Eglise a fini par accepter la République pour ne pas perdre plus encore de catholiques ralliés à la démocratie. Vous ne faites allusion aux rares catholiques « résistants de 1940 » que pour faire oublier « la divine surprise » que l’Eglise de France a éprouvée en se ralliant au régime de l’Etat français de Vichy. Et puisque vous invoquez le général De Gaulle, sachez qu’il exigea du Vatican une épuration sévère de l’épiscopat français sans obtenir vraiment gain de cause en 1945. Sachez encore qu’à une délégation des cardinaux et du nonce apostolique venus lui demander en 1958 de supprimer l’épithète « laïque » de l’article 1er de la Constitution il répondit : « Nous pouvons penser que la France est catholique par son histoire, mais la République est laïque ». Ce qui ne l’empêcha pas d’accorder un an après la loi Debré pour sauver l’enseignement confessionnel. Même s’il avait été élève comme vous des jésuites, il connaissait mieux que vous l’histoire de la France et ne demanda jamais aux catholiques de s’engager en tant que catholiques. Un discours pour « engager » les catholiques « en politique » ? Vous demandez aux catholiques de faire « don de leur engagement ». Vous les incitez ouvertement à passer de l’engagement caritatif et associatif à un « engagement politique profond pour notre pays et pour l’Europe » afin qu’ils aient « une voix sur la scène politique nationale et européenne. ». Que vous vouliez les arracher à l’emprise du Front National et des Républicains est de bonne guerre mais ne légitime en rien l’appel que vous leur lancez pour rallier « En marche » sous prétexte que la précédente Conférence des évêques a appelé fin 2016 à « retrouver le sens du politique ». Non content d’espérer une résurgence de la démocratie-chrétienne, vous traitez les catholiques français comme une « communauté » homogène assignée à leur religion, en faisant fi de leur liberté d’engagement personnel. Pire encore, vous invitez l’Eglise à se mettre au service de l’Etat et à « initier, entretenir et renforcer le libre dialogue avec l’islam », à prendre la tête du « dialogue interconfessionnel » et à repenser « la relation entre religions, société et puissance publique ». Vous lui reconnaissez même une place centrale dans la refondation de toute la société car « elle sait guider les plus fervents comme les non-baptisés, les établis comme les exclus » et qu’elle partage avec la Nation française la « capacité à penser les universels ». Vous instituez le catholicisme comme le tuteur de tous les croyants et non-croyants. Ce faisant vous bafouez ouvertement la fonction que la nation souveraine vous a confiée. Ainsi vous justifiez le souci particulier que vous accordez prioritairement aux catholiques et à l’Eglise de France par « une exigence chrétienne importée dans le champ laïc de la politique ». Vous prétendez agir ainsi « d’un point de vue de chef d’Etat, d’un point de vue laïc ». Mais ici la sémantique vous piège et vous dévoile tel que vous êtes vraiment : vous vous dites « laïc » et non pas « laïque » : le vieil adjectif « laïc » relève du vocabulaire ecclésiastique et désigne le chrétien non consacré au service du clergé. Est « laïc, dit Le Littré, qui n’est ni ecclésiastique ni religieux », qui n’est pas membre du clergé mais qui y est soumis. Par contre, être « laïque », c’est depuis la Révolution française être au service du « laos », du peuple uni tout entier dans le respect de la diversité de toute la société. Les deux adjectifs, communément confondus par les journalistes, ne sont pas synonymes ou équivalents, ils sont différents et même contradictoires ! Vous vous comportez plus en fils aîné de l’Eglise qu’en Président de la République. Vous aviez déjà dénoncé une « radicalisation de la laïcité » que l’Eglise qualifie de « laïcisme ». Vous avez déjà déclaré que « la laïcité ce n’est pas la négation des religions, c’est la capacité à les faire dialoguer dans un dialogue permanent ». La laïcité n’est certes pas l’athéisme, mais elle n’est pas non plus l’œcuménisme, ni même l’égalité de traitement de toutes les religions par l’Etat. Vous venez d’illustrer ce qu’est en réalité la dite « laïcité de reconnaissance », la dite « laïcité de collaboration » entre Eglise et Etat prônée par tous les champions d’une « laïcité ouverte », « positive » et « européenne ». Vous venez de démasquer votre version de la « laïcité apaisée ». En fait, vous instrumentalisez votre foi et celle des catholiques pour justifier votre politique au service du libéralisme et du capitalisme. Vous prônez un néo-cléricalisme qui devrait être le complément d’âme d’un monde sans âme. (1) auteur de « l’Etat chez lui, l’Eglise chez elle ». Comprendre la loi de 1905,Paris, Points Histoire, Seuil, 2005 et 2015, 408 p. |
Régis Debray, Philippe Martinez : rencontre au sommet
DANY STIVE : À l'origine de cette rencontre hors normes, organisée par les Amis de l'Humanité, il y a un entretien avec l'écrivain paru dans notre journal en juin dernier. Régis Debray y déclarait que Philippe Martinez faisait honneur à cette singularité française qu'est la CGT dans le combat contre la loi travail, alors que les injures pleuvaient sur le syndicaliste. RÉGIS DEBRAY Pourquoi je me suis ainsi exprimé dans l'Humanité et pourquoi je suis là ce soir ? Parce que je ne supporte pas la haine des gens d'en haut envers ceux d'en bas. Au printemps dernier, quand je lisais la grande presse, je pensais à tous ceux qui me disaient que la lutte de classe n'existait pas. Difficile de contester qu'elle existe quand on voit la somme d'injures qui a été déversée sur Martinez. Haine de classe et des autres. Et cela, je ne le supporte pas. De plus, j'étais très étonné qu'un gouvernement dit de gauche, en mai-juin 2016, ne commémore pas le Front populaire de mai-juin 1936, et notamment les manifestations et les grèves. Quand ce gouvernement a menacé d'interdire les manifestations, j'ai trouvé très bien qu'il y ait des gens pour commémorer en actes mai 1936. Il s'agissait de la CGT et de FO. Je me suis dit : ces gens ont de la mémoire et ils la mettent en activité. Voilà les raisons pour lesquelles j'ai eu envie de parler avec Philippe Martinez. Je me doutais bien que le portrait qu'on faisait de lui dans la grande presse ne correspondait pas à la réalité. On me parlait d'un homme dur, violent, fermé... Je suis donc venu pour lui poser des questions et parce qu'il est bon que se rejoignent un peu plus qu'aujourd'hui les gens d'études et de savoirs d'un côté et les gens du travail et de l'intelligence du travail de l'autre. PHILIPPE MARTINEZ Quand j'ai lu l'entretien avec Régis Debray dans l'Humanité, je me suis dit : en voilà un qui ne parle pas comme les autres. L'un de ces intellectuels venait de déclarer que Martinez avait un QI de bulot. Je me suis demandé quelle philosophie se cachait derrière cette expression. Parce que c'est un philosophe qui a parlé ainsi, il s'appelle Luc Ferry. Quand on entend une autre voix, qui affirme une volonté de discuter, de comprendre, ça me rend optimiste. Oui, il faut discuter et débattre. Le débat d'idées est indispensable. RÉGIS DEBRAY Avant de parler de l'avenir, j'aimerais revenirsur la contestation de la loi El Khomri. Sur ce qui s'est joué dans les médias parce que construire un rapport de forces passe aujourd'hui par la médiatisation. Ça veut dire par l'image. Il y a une sorte de lutte pour la lisibilité qui pousse à produire des images de plus en plus fortes pour pouvoir être présent. Quel rapport as-tu avec cette nécessité quand on voit un secrétaire général de la CGT qui brûle un pneu sur la route ? C'est une belle image mais elle peut être interprétée de mille façons, comme une image de violence, de trouble à l'ordre public... C'est-à-dire que tu seras présent au journal de 20 heures mais cela pose tout de même un problème. PHILIPPE MARTINEZ Les médias, surtout les chaînes qui passent en boucle les images, ont besoin d'attirer l'œil. J'ai brûlé plus d'un pneu devant les boîtes. Cela n'a rien de violent. On brûle des pneus pour empêcher les accès à ceux qui essaient de forcer les barrages. Mais un camion à Fos-sur-Mer qui roule sur un militant de la CGT qui se trouve toujours à l'hôpital, ça attire moins qu'un pneu qui brûle. Je suis assez dépité et je pense qu'il faut réagir sur cette question de violence. Une chemise arrachée, c'est de la violence ; 2 000 suppressions d'emplois, c'est normal. Il faut essayer de redonner du sens aux choses. Mes camarades de Fralib ont fait 1 336 jours de grève. Ils étaient 142 au départ, ils ne sont plus que 43. La boîte continue. Mais combien de familles déchirées, combien de divorces, combien de suicides... ça s'appelle comment, ça ? Qu'est-ce qui est le plus grave, un pneu qui brûle ou la détresse de millions de citoyens ? Il faut remettre les choses à l'endroit. On a démarré sur la haine de classe. On est en plein dedans. RÉGIS DEBRAY Maintenant je vais te poser des questions de fond. Les compagnons de route sont des gens qui posent les bonnes questions parce qu'ils n'ont pas tout à fait les bonnes réponses. J'imagine que les bonnes réponses, c'est toi qui vas me les donner. Je voudrais te répercuter trois questions un peu brutales que j'entends autour de moi quand on parle de la CGT et qu'on n'est pas cégétiste. La première : la CGT, c'est machiste. Ils n'aiment pas les bonnes femmes... PHILIPPE MARTINEZ Il m'arrive de sortir, souvent d'ailleurs de mon célèbre bureau pour aller voir la vraie vie. Je croise des gens qui nous aiment plus ou moins. Je leur dis : la CGT gagne à être connue. Les idées fausses sur la CGT sont nombreuses. La CGT n'est pas machiste mais il y a trop de machos à la CGT (cris et applaudissements dans la salle). C'est pas mon style de caresser dans le sens du poil mais la CGT n'est pas machiste parce que c'est la première et la seule organisation, et depuis longtemps, qui dans sa direction nationale a autant d'hommes que de femmes. Mais on a fini par croire, parce qu'on était les premiers, qu'on était les meilleurs. Dans les modes de vie de la CGT, il y a des choses qui doivent bouger. Par exemple, les réunions qui finissent à pas d'heure... Parce que ce n'est pas moi qui m'occupe des gosses, donc ça peut traîner. Il y a aussi les camarades qui disent : tu comprends, elle est bien, mais c'est une femme, faut qu'elle apprenne. C'est étrange combien les femmes doivent toujours apprendre plus que les mecs. Tout ça, il faut que ça change. Ce n'est pas une affaire de femmes, mais de toute la CGT. RÉGIS DEBRAY La deuxième : la CGT protège les gens déjà protégés, à savoir les salariés à statut de la fonction publique. Quid des autres modes de travail et des chômeurs ? PHILIPPE MARTINEZ Les clichés sur la CGT ne manquent pas. Aux élections, la CGT est première aussi dans le privé. Mais je l'ai dit, nous ne sommes pas assez ouverts sur un monde salarial qui bouge. Les précaires, les prestataires sont nombreux dans les entreprises. C'est parfois difficile mais il faut garder l'esprit ouvert sur cette réalité. Ces chantiers sont importants et sont un vrai défi pour la CGT. Nous allons voter pour les élections TPE (très petites entreprises), ces salariés ne nous voient qu'à la télé ! RÉGIS DEBRAY Quelle est la position de la CGT sur les immigrés ? PHILIPPE MARTINEZ Sur les immigrés, il y a un vrai combat de la CGT, qui se poursuit. C'est la fierté de la CGT. Nous faisons un travail important auprès des travailleurs détachés. Nous avons décidé l'an dernier à cette même fête d'ouvrir nos centres de vacances aux réfugiés. Nous avons une vraie démarche. Par contre, la CGT n'est pas un vaccin contre certaines idées dominantes et là il faut qu'on soit vigilant. On ne peut se contenter de dire qu'il y a moins de votants FN dans nos rangs qu'à FO ou à la CFDT. C'est se cacher derrière son petit doigt. Il faut être volontariste. On ne peut pas laisser passer des idées d'extrême droite dans ce pays et dans les entreprises. Nous avons une responsabilité, les valeurs de la CGT, c'est l'internationalisme, la lutte pour la défense des peuples opprimés. C'est dans nos gènes et c'est Martinez qui vous le dit. Je suis attaché à l'histoire de ma famille. Eux se faisaient traiter de pingouins, comme les Ritals. Mais il y a toujours eu cette solidarité ouvrière avec la CGT au centre pour ne pas laisser passer ce genre de propos. Je dis à mes camarades : s'il y a un sujet sur lequel toutes les organisations doivent se mobiliser, c'est la lutte contre le racisme et contre l'extrême droite. «Oui, il faut discuter et débattre. Le débat d'idées est indispensable.» PHILIPPE MARTINEZ RÉGIS DEBRAY Philippe, qu'est-ce que ça veut dire pour toi, la culture ? Tu en as parlé avec ton histoire familiale déjà... Tu as inscrit le présent dans une continuité. Pas seulement dans une légende mais dans une filiation dans tous les sens du mot, à la fois personnelle et historique. Mais quand on dit culture, qu'est-ce que tu ressens ? PHILIPPE MARTINEZ Je pense que c'est important d'être attaché à l'histoire transmise par sa famille. D'être français en ayant une histoire qui n'est pas forcément gauloise. Et d'être plus républicain dans la République française que certains qui glosent sur cette notion et qui s'emparent même du nom : les républicains. Les échanges entre le monde de la culture et les ouvriers ont trop souvent été marqués par du respect et un genre de complexe vis-àvis de ce milieu. Aujourd'hui, il existe plutôt une forme de dédain chez des gens qui se prétendent gens de culture. Il faut revenir à une forme de dialogue, comme nous le faisons aujourd'hui, apprendre de l'autre. Nous avons des discussions avec des gens du théâtre, de cinéma, du spectacle, avec des écrivains. De notre côté, nous avons des outils formidables, ce sont les comités d'entreprise. Je pense que la culture devrait entrer dans les entreprises, car nous avons besoin de ce mélange, ce qui n'est pas une mince affaire. On a un projet, on y réfléchit mais je n'en dirai pas plus. Le problème est le même pour la lecture. Il y a là un terrain de combat commun au monde de la culture et à celui de l'entreprise. Je te tends la perche, là. RÉGIS DEBRAY Fais un forum travail et culture, fais-toi prêter une grande salle, tu y invites des bibliothécaires, des sociologues, des historiens, des gens du spectacle, les intermittents et autres... et on fait une grande rencontre sur deux jours. Où il sera permis de s'engueuler, bien sûr. PHILIPPE MARTINEZ J'ai noté. D'accord pour les engueulades
à la condition qu'il en sorte quelque chose de concret. RÉGIS DEBRAY Tu es un grand syndicat qui n'a pas de relais politique à moyenne échéance. Séguy, en 1968, avait un débouché politique crédible. Aujourd'hui, sans être pessimiste, on peut noter que ce débouché n'a plus la même force. Est-ce que cette situation ne t'investit pas d'une forme de charge d'opposition qui a du mal à s'exprimer politiquement ? N'est-ce pas un facteur qui peut vous radicaliser, vous pousser en avant pour faire suite à cette demande ? On dit autour de moi heureusement que la CGT est là qu'est-ce que vous faites dans cette situation ? Tu dois sentir autour de toi cette aspiration à ce que tu représentes une force d'opposition, même politique ? PHILIPPE MARTINEZ Nous sommes une grande organisation syndicale et nous entendons bien le rester dans les années à venir. Tu évoquais Georges Séguy, il a été le premier à poser ce genre de questions sur les rôles du syndicat et du politique. On nous reproche de faire de la politique à la CGT. Quand on conteste une loi, on fait bien de la politique. Quand la CGT propose de travailler moins, 32 heures par exemple, elle fait de la politique. Nous pesons sur des choix de société. Mais le rôle du syndicat est aussi de s'intéresser à l'ensemble des problèmes du salariat. Ces questions-là, c'est le boulot du syndicat. Après, je dois t'avouer que la CGT est très courtisée en ce moment, par des gens qui veulent être califes à la place du calife. Chacun doit prendre ses responsabilités. Le syndicat propose des alternatives sociales, veut un changement de société. Il dénonce le capital mais le projet politique doit être porté par les politiques. RÉGIS DEBRAY C'est toujours face à une menace, à un péril, qu'on se rassemble. En philosophie, le nous suppose un eux. Un adversaire, ça se construit, mais ça se déconstruit aussi, voyez les relations entre Allemagne et France. Je constate que la guerre froide, c'est fini. Il y a eu une scission syndicale après guerre, qui a produit Force ouvrière. Si la guerre froide est finie, pourquoi cette scission survivrait-elle ? Peut-on penser, non à une confusion, mais à une fusion, à un retour à l'unité ? PHILIPPE MARTINEZ Régis, peux-tu venir au débat demain au forum social et poser la question à Mailly ? (Rires.) Quand des oppositions se créent sur une base idéologique et anticommuniste, c'est difficile d'évacuer toutes ces pages d'histoire. Il faut que le mouvement social soit assez fort, tout en pensant fort à ceux que nous sommes censés défendre. Depuis cette scission, d'autres syndicats se sont créés, et, comme le dit Bernard Thibault, plus il y a de syndicats, moins il y a de syndiqués. Et avec la loi travail, il y aura encore plus de syndicats en France. Des syndicats indépendants... sauf du patron puisque c'est lui qui le crée. Il faudrait se poser, réfléchir sur cet éclatement syndical. Il faut penser d'abord aux intérêts des salariés avant ceux de notre boutique. Ça va demander un peu de temps pour qu'il y ait plus de drapeaux dans la rue mais qu'ils soient de la même couleur. RÉGIS DEBRAY Tu as ouvert une petite fenêtre... «Je ne supporte pas la haine des gens d'en haut envers ceux d'en bas.» RÉGIS DEBRAY |
Liberté de conscience et respect de la laïcité par J.P. SCOT, Historien
Vendredi, 9 Janvier, 2015 L'Humanité "Charb, Cabu, Wolinski et Charlie
Hebdo ont-ils été châtiés pour avoir blasphémé ? Non ! Ils ont été
assassinés pour avoir défendu, par l’humour mais jusqu’au sacrifice, la
liberté de conscience, de pensée et d’expression critiques contre tous
les obscurantismes, tous les fanatismes, tous les intégrismes religieux
et politiques." Par
Jean-Paul Scot, historien et auteur (1), Charb, Cabu, Wolinski et Charlie Hebdo ont-ils été châtiés pour avoir blasphémé ? Non ! Ils ont été assassinés pour avoir défendu, par l’humour mais jusqu’au sacrifice, la liberté de conscience, de pensée et d’expression critiques contre tous les obscurantismes, tous les fanatismes, tous les intégrismes religieux et politiques. Ils n’ont pas été massacrés par des musulmans, fussent-ils radicaux, mais par des terroristes barbares et fascisants. En France, le dernier supplicié pour blasphème fut en 1766 le jeune chevalier de La Barre car ce délit n’existe plus depuis la Révolution. L’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 stipule : « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public. » Le délit de blasphème, comme celui de régicide, fut rétabli par la monarchie, restaurée en 1815, mais abrogé dans les années 1830. La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse le supprime définitivement, même si « la provocation aux crimes et aux délits » et « l’incitation à la haine et à la violence » restent susceptibles de poursuites et de sanctions. Ce qui peut être sanctionné par la loi, c’est l’injure ou la diffamation de personnes ou de groupes de personnes. Le blasphème a été défini par l’Église catholique comme « tout propos ou acte irrespectueux contre Dieu » et comme « une défaillance dans l’expression de la foi ». La notion de blasphème n’a donc de sens que du point de vue des religions. Ce sont elles qui déterminent en effet ce qui est injurieux ou diffamatoire envers elles-mêmes. Ce sont elles qui interdisent le blasphème car elles prétendent avoir le monopole de la vérité et du sacré. Ce sont elles qui diabolisent ce que les croyants d’autres religions ou les incroyants considèrent comme de simples moqueries irrévérencieuses ou des critiques intellectuelles. Ce sont elles qui font appel au pouvoir politique des États pour punir les apostats et les blasphémateurs. Et les États conservateurs et autoritaires font de l’apostasie et du blasphème des délits, voire même des crimes, parce que ces pratiques remettent en cause l’ordre politique et social. En République laïque et démocratique, le blasphème n’existe pas. En effet, le droit de blasphémer a été conquis comme un corollaire de la liberté de conscience et de pensée. Pierre Bayle, ce philosophe protestant mort en exil en 1706, affirma le premier que « le blasphème n’est scandaleux qu’aux yeux de celui qui vénère la réalité blasphémée ». Le blasphème n’a en effet de sens que pour ceux qui partagent les mêmes croyances religieuses. Venant des non-croyants, des propos blasphématoires ne sauraient atteindre des croyants dans leur foi ; ils les mettent seulement à l’épreuve. Punir les blasphèmes et réduire les hérésies n’aboutit qu’à mettre les croyants en contradiction avec leurs religions de vérité et d’amour. Voilà pourquoi les philosophes des Lumières ont dénié aux religions le droit d’imposer leurs dogmes à toute la société, aux croyants d’imposer leurs croyances aux agnostiques et aux athées. Les normes politiques et civiles doivent être déliées, séparées, indépendantes des normes religieuses. La justice publique n’a pas à faire respecter les dogmes religieux. La liberté de blasphémer est un droit découlant de la liberté de pensée et d’expression. La liberté de pensée est absolue ou elle n’est pas. En proclamant la liberté de conscience et l’égalité des droits entre tous les hommes, l’Assemblée constituante a jeté les bases non de la tolérance mais de la laïcité, que la loi de séparation des Églises et de l’État a consacrée en 1905. Certains prétendent aujourd’hui qu’il faudrait limiter la critique des religions au nom du respect qui leur serait dû en raison des fonctions qu’elles assurent dans la société et qui peuvent favoriser l’intégration et maintenir la paix civile. En 1991, Mgr Lustiger demandait la pénalisation de publications antireligieuses au nom du « respect d’autrui » et d’« atteinte grave au pacte social ». Le député UMP Éric Raoult proposa en 2006 le rétablissement du délit de blasphème. Nicolas Sarkozy entendit répondre « aux attentes des grandes religions » pour des raisons d’intégration sociale et de sécurité intérieure. Des néocléricaux invoquent un alignement sur une « laïcité européenne ». Il est vrai que le délit de blasphème subsiste plus ou moins dans le Code pénal de nombre d’États de l’Union européenne (Allemagne, Autriche, Espagne, Finlande, Grèce, Italie, Irlande, Malte, Norvège, Pologne, Royaume-Uni), même si la sécularisation des sociétés en limite les recours. Les Pays-Bas l’ont abrogé en 2013. Il ne faudrait donc pas confondre tolérance et laïcité. La tolérance est une concession du prince à certains sujets, de l’État à des communautés, pas la reconnaissance d’un droit naturel, plein et entier, égal pour tous les citoyens et irrévocable. Jaurès, qui n’appréciait pas un certain anticléricalisme grossier mais qui respectait absolument la liberté de critique, ne s’y trompait pas : « Nous ne sommes pas, disait-il en 1910, le parti de la tolérance – c’est un mot que Mirabeau avait raison de dénoncer comme insuffisant, comme injurieux même pour les doctrines des autres. Nous n’avons pas de la tolérance, mais nous avons, à l’égard de toutes les doctrines, le respect mutuel de la personnalité humaine et de l’esprit qui s’y développe. » Le respect est dû aux personnes, aux croyants, pas aux croyances, pas aux religions, qui sont à soumettre à la critique de la raison et de la science, du rire et de l’humour. (1) Derniers ouvrages parus :
Jaurès et le réformisme révolutionnaire.
Seuil, 2014.
L’État chez lui, l’Église chez elle. Comprendre la loi de 1905.
Seuil, réédition, 2015.
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"Je hais le nouvel an", par Antonio GRAMSCI
"Je hais le nouvel an",
Chaque matin, à me réveiller encore sous la voûte céleste, je sens que c’est pour moi la nouvelle année. C’est pourquoi je hais ces "nouvel an" à échéance fixe qui font de la vie et de l’esprit humain une entreprise commerciale avec ses entrées et sorties en bonne et due forme, son bilan et son budget pour l’exercice à venir. Ils font perdre le sens de la continuité de la vie et de l’esprit. On finit par croire sérieusement que d’une année à l’autre existe une solution de continuité et que commence une nouvelle histoire, on fait des résolutions et l’on regrette ses erreurs etc. etc.. C’est un travers des dates en général. On dit que la chronologie est l’ossature de l’Histoire; on peut l’admettre. Mais il faut admettre aussi qu’il y a quatre ou cinq dates fondamentales que toute personne bien élevée conserve fichée dans un coin de son cerveau et qui ont joué de vilains tours à l’Histoire. Elles aussi sont des "nouvel an". Le nouvel an de l’Histoire romaine, ou du Moyen Âge, ou de l’Époque moderne. Et elles sont devenues tellement envahissantes et fossilisantes que nous nous surprenons nous-mêmes à penser quelquefois que la vie en Italie a commencé en 752, et que 1490 ou 1492 sont comme des montagnes que l’humanité a franchies d’un seul coup en se retrouvant dans un nouveau monde, en entrant dans une nouvelle vie. Ainsi la date devient un obstacle, un parapet qui empêche de voir que l’histoire continue de se dérouler avec la même ligne fondamentale et inchangée, sans arrêts brusques, comme lorsque au cinéma la pellicule se déchire et laisse place à un intervalle de lumière éblouissante. Voilà pourquoi je déteste le nouvel an. Je veux que chaque matin soit pour moi une année nouvelle. Chaque jour je veux faire les comptes avec moi-même, et me renouveler chaque jour. Aucun jour prévu pour le repos. Les pauses je les choisis moi-même, quand je me sens ivre de vie intense et que je veux faire un plongeon dans l’animalité pour en retirer une vigueur nouvelle. Pas de rond-de-cuir spirituels. Chaque heure de ma vie je la voudrais neuve, fût-ce en la rattachant à celles déjà parcourues. Pas de jour de jubilation aux rimes obligées collectives, à partager avec des étrangers qui ne m’intéressent pas. Parce qu’ont jubilé les grands-parents de nos grands parents etc., nous devrions nous aussi ressentir le besoin de la jubilation. Tout cela est écœurant. Antonio Gramsci, 1er janvier 1916 sur l’Avanti !, édition de Turin, rubrique « Sotto la Mole ». Traduit par Olivier Favier.
Texte présenté ainsi : 31 décembre 2014 | Par Marc Tertre@ C'est une traduction du grand penseur italien faite par Olivier Favier, un des infatigables chroniqueurs du blog "Dormira jamais", une de mes adresses favorites (et que j'aimerais vous faire connaitre) pour penser, pour rêver, pour se battre... Elle me permet de rendre hommage à ce site bienvenu en ces temps de confusion et de doute Dormira Jamais, et à un de ses animateurs (que je ne connais que par la magie du virtuel, mais que je lis régulièrement). Et de rappeler comment Gramsci fut un penseur important, et toujours actuel, qui conjugue érudition impressionnante, volonté déterminée, courage intellectuel et physique impressionnant, et imagination largement ouverte vers d'autres horizons. Place au commentateur, à l'analyste, au moraliste même.
J.C. Romettino qui me fait passer ce texte ajoute pour sa part :
C’est aussi l’occasion de rappeler que la date est une convention : L’an 2015 est censé être les 2015ème de la naissance du dénommé Christ qui, si l’on en croit les calculs basés sur l’astronome, serait né – s’il est né – en 4 ou 5 avant JC ! D’où la crédibilité douteuse de l’existence de l’individu… Mais le 1er janvier 2015 n’est que le 19 décembre 2014 du calendrier julien (conservé dans la religion orthodoxe), le 10 teveth 5775 de la religion juive, le 10 rabi al-Awwal 1436 de la religion musulmane, l’an 2768 de l’ère romaine, l’an 4388 de l’ère gauloise, l’an 5117 de l’ère hindoue, l’an 4712 de l’ère chinoise, sans oublier que le calendrier, à rebours, "Before présent" (BP) des archéologues se réfère au "présent" de 1950 et que, pour le calendrier électronique, selon le système à base 1900 pour excel PC il s’agit du 42005ème jour, tandis qu’il s’agit du 40543ème jour selon le système à base 1904 pour excel Mac, chacun sachant évidemment que l’origine du temps du monde informatique est le 1er janvier 1970, début de l’ère UNIX, date depuis laquelle le temps est exprimé en secondes …
Il n’en reste pas moins qu’il est un calendrier éminemment rationnel : le calendrier républicain entré en vigueur en 1793. Il commence le 22 septembre 1792, tout à la fois premier jour de la République et symbole de l’égalité puisque, ce jour là, partout dans le monde le jour et la nuit sont égaux. À l’aune de ce repère « nôtre » très occidental 1er janvier est en fait le 11 nivôse 223 en l’an I de la République. Et c’est à cause de l’Europe (déjà !) qu’il fut abandonné en 1805 ! Quelques hurluberlus persistent à rappeler la chose chaque année à l'occasion d'un banquet républicain commémorant la guillotinnade du ci-devant roi Louis : ainsi, à Lyon, ce banquet aura lieu le 3 pluviôse 223, vendredi 23 janvier pour les profanes...
D’accord, donc, avec Gramsci dans sa dénonciation du caractère obligatoire et commercial de la date/festivité. Mais pas entièrement puisque le 1er de l’an donne – aussi - la possibilité de (re)dire aux amis qu’on les aime et d’envoyer à d'autres des signes de convivialité, chose pas inutile dans ce monde qui a tendance à devenir de plus en plus un monde du chacun pour soi. Et donc, bonne année !
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parlez-vous frenglish ?
Du franglais au frenglish par Francis Combes & Patricia Latour chroniqueurs à L'Humanité numéro du 27 novembre 2014 « Nous allons commencer ce débriefing par un brainstorming à partir du reporting du 10 courant. Ces questions de management doivent entrer dans notre process métier, dans une vraie logique B to B. De toute façon, à l'ère du global business, nous sommes tons soumis a un benchmarking permanent ! Le rush ne doit pas nous conduire à être speed dans nos public-relations. Le back-office doit rester au top. Je sais que vous êtes tous overbookés. Mais apprenez à relaxer votre body. Faites du jogging, du training ou du scrapbooking. Vous devez tous être capables de switcher en fonction de la demande. Utilisez mieux la confcall. Le winner takes all est la règle et tant pis pour le blurring ou le burnout ! On ne vous demande pas de devenir des geeks. Le pitch de notre start-up est clean : on se la joue marketing one to one, c'est ça l'avenir pour rester high-tech Les actions one shot sont so likés par nos clients. Notre cash-flow en est la preuve. Le business-plan intègre ce -trend. Le workflow de chacun sera dispatché prochainement. Ces éléments devront être backupés dans le cloud computing de tous. Tout sera uploadé pour plus de sûreté. Les followers doivent se faire connaître. Garder le leadership, c'est le challenge. On va focuser sur les objectifs. On verra qui est vraiment bankable dans le team. Des flyers marketing vont vous être mailés. Suivez bien la roadmap. La deadline est fixée à vendredi, oui, juste avant le week-end. Pour le feeling, nous organiserons une garden-party samedi. Un powerpoint vous présentera les objectifs. C'est Nicolas qui travaille les slides. Un scoop: le boss sera là. Il vous présentera la storytelling de notre filiale offshore et le teaser de notre prochaine campagne, remake de celle qui vient de faire le buzz. Et pour le feedback, ASAP!». Vous n'avez pas tout compris ? Soyez rassurés, nous non plus. Et si c'était là l'objectif? Que personne en dehors de ceux qui sont dans le secret ne comprenne. Alors, imperceptiblement, on glisse du franglais au frenglish ? Du latin macaronique des docteurs Diafoirus de Molière au jargon « entrepreneurial» d'aujourd'hui, c'est toujours la même histoire: faire de son ignorance une science et tenter pour une soi-disant élite d'en imposer au vulgum pecus afin de défendre son pouvoir et de préserver ses privilèges. Au fond, c'est toujours la crainte du peuple qui s'exprime. L'usage massif de ce «basic english» de mauvaise cuisine dans les relations de travail et la vie sociale n'est pas qu'un effet de mode. En même temps qu'une entreprise de soumission, c'est une violence faite à la démocratie. fin de citation |
La Gauche et la famille par Odile NGUYEN
Par Odile NGUYEN Professeur d’histoire de la philosophie
A travers les récentes manifestations contre le mariage pour tous, la Droite a fait de la famille son fonds de commerce. Exhibant papys-mamys et poussettes, sous des bannières proclamant sur fond rose : "PAPA, MAMAN et les ENFANTS, c’est NATUREL", elle se drape dans une légitimité sacrée. Selon sa nouvelle égérie, Ludovine de la Rochère : "Tout homme a la famille inscrite dans son cœur". La Gauche, avec ses nouvelles lois sur la famille, est suspecte de vouloir saper ce que l’humanité a de plus précieux, détruisant la morale et l’équilibre social, menaçant au nom de spéculations tortueuses et de jouissances perverses l’aspiration légitime des gens normaux au bonheur. Qu’en est-il ? La reculade du gouvernement Hollande nous oblige à revenir sur ce que pourrait être une vision de gauche de la famille. La gauche n’a pas attendu les gesticulations de la droite pour se pencher sur la question de la famille. Qu’est-ce que "la" famille ? Dans nos mémoires résonne encore le célèbre anathème d’André Gide : "Familles, je vous hais ! Foyers clos ; portes refermées ; possessions jalouses du bonheur", qui stigmatise un certain type de famille, la famille bourgeoise, rétrograde, cellule de base de la société capitaliste. Celle où les enfants, futurs héritiers, sont la propriété exclusive de leurs géniteurs, précisément celle que veulent "sauver" les manifestants réactionnaires. Car la famille peut être tout autre chose. Quatre pistes parmi d’autres mériteraient d’être suivies, et creusées : 1) La famille, ce n’est pas seulement un phénomène naturel, c’est aussi une institution culturelle. Certes, le fragile enfant humain n’accède pas à l’autonomie aussi vite que le petit poulain debout sur ses pattes quelques heures après sa venue au monde. Il requiert les soins prolongés de ses parents, avec qui il noue des relations d’attachement. Les Sciences humaines (psychologie, ethnologie, histoire) montrent à la fois ce besoin naturel de l’enfant et la construction sociale du modèle familial. Selon l’ethnologue Claude Lévi-Strauss, les hommes, avec la prohibition de l’inceste, carrefour entre la nature et la culture, ont inventé le mariage et la famille, absente du règne animal, où maternage et couple sont éphémères : Parmi tous les modèles : matriarcat, patriarcat, partage…chez nous, le patriarcat a dominé, mais Engels -dans "L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État"- et Alexandra Kollontaï -dans "La famille et l’État communiste"- ont dénoncé cette famille où "l’homme était tout, et la femme", esclave reproductrice, "n’était rien". 2) La famille, fruit de la liberté Aujourd’hui, la chape de plomb a fait son temps. Le mariage n’est plus obligatoire, comme dans l’Antiquité à Athènes, ni programmé à trois ans comme chez les Nambikwara[1]. Grâce aux luttes sociales, aux luttes des femmes et aux progrès de la science, chacun et chacune peut aujourd’hui décider du choix de son partenaire (avec ou sans mariage), et chaque couple peut décider d’avoir ou non des enfants, si oui quand il l’entend. En outre, le mariage n’est plus une prison depuis 1975 (avec la loi ouvrant le divorce par consentement mutuel.) 3) La famille, lieu de l’égalité entre l’homme et la femme La famille bourgeoise a trop longtemps été le lieu de l’oppression de la femme, comme le souligne Engels au XIXème siècle : "Dans la famille, l’homme est le bourgeois, la femme joue le rôle du Prolétariat". – Alexandra Kollontaï annonce en écho : "cette famille se modifie d’un jour à l’autre, elle a presque vécu. Mais cela ne doit pas nous effrayer…tout change". La femme se libère en intégrant le monde du travail. Une fois la domination économique masculine révolue, tout peut être partagé entre l’homme et la femme, l’amour comme l’autorité. 4) La famille, lieu de transmission et d’ouverture sur la société Engels lui-même n’a jamais proposé la disparition de la famille comme unité affective, comme premier lieu d’épanouissement de l’enfant. Fonction maternelle et fonction paternelle y sont également nécessaires, fussent-elles bientôt exercées par deux personnes de même sexe. Et la famille ne saurait se réduire à la famille nucléaire, mais ouvrir sur la grande famille. La famille permet la transmission de valeurs humanistes, la lutte contre le "tout-à-l’ego", l’ouverture vers la société, et non le repli égoïste ; la crèche, l’école complètent l’éducation par la famille, structure en mouvement. "Mais quels éléments nouveaux viendront s'y agréger ? Cela se décidera quand aura grandi une nouvelle: génération d'hommes". (Engels), c’est cette nouvelle génération qui aujourd’hui réinvente et, loin de la ruiner, doit ré-enchanter la famille.
[1] Les Nambikwara sont un peuple indigène du Nord-Ouest du Mato Grosso (Brésil central) qui ont été observés par Claude Lévi-Strauss lors de son expédition de 1938. (JPR-Wiki). |
Quel est le but de cette campagne contre l’Humanité ? par Patrick LE HYARIC, directeur du journal
J’ai publié ici même, courant mai 2013, Sauver l'Huma en danger... par Axel KAHN, (voir rubrique "les inclassables') des
témoignages de lecteurs de renom, le plus souvent non-communistes, qui disaient
pour quoi il fallait -comme eux- lire L’Humanité. « Le journal est en
danger » écrivais-je avec d’autres. Récemment, le gouvernement vient de
décider d’annuler si j’ai bien compris des dettes de L’Huma, dettes qui devenaient
un fardeau écrasant. Aussitôt les loups ont hurlé. Nous sommes en période où la
bête immonde monte, monte... Le directeur du journal répond à ces bêtes féroces
qui n’ont cure du pluralisme de la presse. Comme il s’agit bel et bien de la liberté
de l’esprit humain, je publie cette lettre dans la rubrique "la vie de l’esprit". Le journal L’Humanité est en danger J.-P. R. QUEL EST LE BUT DE CETTE CAMPAGNE CONTRE L’HUMANITÉ ?
Par Patrick LE HYARIC Directeur
de l’Humanité, 18 décembre 2013.
Une cohorte déchaînée de la bien-pensance radiophonique, en appui de quelques groupuscules de droite, s’attaque violemment depuis quelques jours au Parlement et à l’Humanité. Pourquoi ? L’Humanité aurait reçu un cadeau de l’État qui lui effacerait ses dettes. Rien que ça ! Sans même vérifier de quoi il s’agit exactement, sans même prendre la précaution de nous passer un coup de fil confraternel, une équipée, qui va de Mrs Apathie, Brunet, Morandini et consorts, multiplie les chroniques, émissions spéciales, sous-entendus et autre insinuations pour calomnier l’Humanité, souhaiter sa mort tout en accusant l'Assemblée nationale de complicité coupable. Mme Le Pen leur est venue subrepticement en renfort il ya quelques jours. Et voici que de petits groupes liés à des droites extrêmes lancent une pétition demandant à l’État de ne pas payer les dettes de l’Humanité. C’est une farce ! Cela fait près de 30 ans qu’on n’avait pas entendu de tels propos haineux à l’encontre de notre journal. S'il s'agissait de critiquer un vote des députés ou un choix gouvernemental, rien de plus naturel en démocratie. Mais c'est de bien autre chose dont il est question qui se résume en un seul slogan à propos de nous : qu’ils crèvent ! Et tant qu’elle y est, toute cette bonne société qui petit-déjeune, déjeune et dîne dans le beau monde, passant d’un média privé à un autre, négociant ses bons salaires chaque année au moment du mercato télévisuel, en vient à crier haut et fort, que c’est toute la presse écrite qui est trop, bien trop aidée. Que des citoyens, des salariés, des petits patrons qui, actuellement souffrent terriblement de la crise, des fins de mois difficiles, du manque de débouchés pour leurs productions ou de la cherté du crédit, soient offusqués par un tel prétendu cadeau, peut se comprendre. Mais il ne s’agit pas de cela. Et je veux m’en expliquer. De quoi s’agit-il ? A la fin de l’année 2000 l’Humanité se trouvait en grave difficulté, proche de la cessation de paiement. Un plan de redressement lourd était décidé à la suite de ma nomination. Il comprenait une sévère restructuration sociale, industrielle et économique, sur laquelle je ne reviens pas ici. Pour la mener à bien, il était indispensable de disposer de prêts-relais pour faire face à un certain nombre d’échéances impératives. Avec le directeur financier de l’époque, nous avons rencontré au moins 11 dirigeants de banques importantes. Aucune d’entre elles ne voulait aider une PME dans notre situation ; encore moins une entreprise de presse. Et évidemment, encore moins l’Humanité, journal de la gauche de la transformation sociale et écologique. Face au péril qui menaçait, j’ai dû, en désespoir de cause, me tourner vers la banque publique, Banque de développement des PME (BDPME) devenue par la suite OSEO. Celle-ci, faisant la même analyse que les autres banques, refusait d’accorder quelque crédit que ce soit sans garantie. Me tournant vers la structure du CIRI (Comité interministériel de restructuration industrielle), rattachée à Bercy pour traiter de la situation des entreprises en très grande difficulté, notre dossier est devenu encore plus sensible. Au terme de ce parcours du combattant, les pouvoirs publics ont demandé au CIRI et au Fonds de développement économique et social (FDES) de réétudier l’ensemble de notre dossier. C’est là qu’enfin nous avons obtenu trois lots de prêts étalés sur deux années en lien avec le FDES. Le premier, le 24 décembre 2001 pour une valeur de 1,5 millions d’euros. Nous avons remboursé son capital et ses intérêts, soit plus de 2 millions d’euros. Un second au mois de mars 2002 pour un capital de 2,2 millions d’euros pour lequel nous avons remboursé au total une somme dépassant les 3 millions d’euros. Un troisième, le 4 avril 2002 dénommé "prêt participatif", aux taux d’intérêt progressifs, pour une somme de 3,2 millions d’euros. Sur ce prêt, nous avons remboursé environ 20% du capital mais nous payons des intérêts très élevés depuis l’année 2007 puisque pour un emprunt de 3,2 millions d’euros, ils représentent 3,1 millions d’euros. C’est dans ce cadre, et en tenant compte de ces frais financiers exorbitants et pour permettre la reconstitution du capital de l’Humanité que j’ai demandé depuis des années aux gouvernements successifs de reconsidérer notre situation. Tous les gouvernements, sans exception, l’ont toujours admis et sont restés ouverts à nos demandes. En 2009, avait été décidée une solution d’attente transitoire consistant à repousser de 5 ans le remboursement du capital. Mais avec cette formule, les frais financiers ont continué à peser sur notre trésorerie et nos résultats comptables. A la suite de ces différents examens, l’actuel gouvernement a décidé, en toute transparence et au nom du pluralisme de la presse, de proposer au Parlement de nous délivrer de ce fardeau qui, comme pour d’autres petites entreprises, nous asphyxie à cause des frais financiers. Du reste, c'est contre cette logique que l’Humanité, avec le Front de gauche et d’autres, mène campagne contre les coûts du capital et non pour accuser ceux du travail, comme le font quotidiennement nos censeurs médiatiques, bien moins regardant quand il s'agit du cadeau de 20 milliards d'euros fait au grand patronat ou encore des faramineuses retraites-chapeaux. L’Etat n’est en rien spolié puisque les frais financiers dont nous nous sommes acquittés remboursent largement le capital. Il est ici dans son rôle républicain de garant de la démocratie, de la libre expression des opinions et des idées et donc du pluralisme de la presse écrite d’information générale et politique. Un pluralisme bien utile. Nous sommes à un moment où le monde entier, toute la presse, rend hommage et célèbre Nelson Mandela. Nous nous en réjouissons. Mais, nous ne pouvons oublier que l’Humanité a été bien seule pour faire connaître le sort du dirigeant sud-africain qualifié de "terroriste" pour justifier sa détention par le régime d’apartheid. Rappelons également les campagnes d’information et de décryptage de l’Humanité anticipatrices lorsqu’elles montraient que le traité de Maastricht puis celui de Lisbonne conduisaient l’Union européenne et les peuples dans le mur. On pourrait ainsi multiplier les exemples. Faire taire la voix de l’Humanité conduirait à désarmer des forces sociales, syndicales, culturelles de leur action pour l’émancipation humaine. Peut-être est-ce d’ailleurs l’objet des actuelles campagnes ? Enfin, nos procureurs brandissent devant nous une étude bien commode de la Cour des comptes qui, par de savants calculs, a décrété que l’Humanité est le journal le plus aidé. Qui veut tuer son chien l'accuse de la rage ! Je suis prêt, bien sûr, à produire des chiffres, notamment dans le cadre de débats contradictoires avec nos accusateurs que les stations qui les emploient auront à cœur, j'en suis sûr, d'organiser. La prétendue aide dont bénéficie l’Humanité reste au tiers inférieur de celle allouée à certains confrères. Elle répond tout à fait à ce que prévoit la loi pour les quotidiens à faibles ressources publicitaires. De surcroît, depuis l’année 2000, cette aide a été diminuée de 1 million d’euros qui nous aurait été bien utile. Autre argument de nos grands maîtres à penser, notre diffusion. Comme si l’Humanité était le seul journal à perdre des lecteurs ! Même si nous ne distribuons aucun journal dans les chaînes d’hôtel, de parking ou dans les premières classes de la SNCF. Je remarque au passage, qu'aucun confrère de la presse écrite qui vit les mêmes difficultés que l'Humanité, n'a ouvert ses colonnes à ces zorros en peau de lapin. S'il en est ainsi, c'est qu'à l’exception de nos amis de La Croix, tous les journaux perdent des lecteurs et aucun ne vit de la vente de ses titres. La diffusion de l’ensemble de la presse payante a diminué de 180% depuis la Libération. Cela ne doit réjouir personne. Affaiblir un organe de presse ou le fermer comme cela a été malheureusement le cas pour France Soir, Infomatin, Le Matin de Paris ou la réduction de la voilure de La Tribune revient à mettre à chaque fois des centaines de salariés, dont de nombreux journalistes, au chômage. Au-delà, ce sont des milliers de chômeurs supplémentaires dans l’ensemble de la chaîne de production et de distribution des journaux. Et ce qui se passe depuis plusieurs mois dans le monde entier est inquiétant pour toutes et tous, sauf évidemment pour les intégristes, les simplistes populistes et l’extrême-droite qui rêvent d’un peuple asservi sans livre, sans théâtre, sans cinéma, sans maisons de la culture, sans journaux mais peut-être truffé d’écoles privées. Dans un tel monde, toute la presse et la télévision seraient aux mains des puissances d’argent au service d’une pensée unique. Aucun démocrate, aucun républicain qu’il soit de droite ou de gauche ne peut le souhaiter. C’est la question essentielle. A quelle valeur chiffre-t-on la démocratie, le pluralisme des idées, le débat, l’accès à la culture dans une société ? Évidemment, les forces de l’argent et leurs perroquets n’ont pas encore inventé des agences de notation pour cela. Pluralisme, démocratie, respect mutuel, autant de conditions qui vaillent pour faire société et monde ensemble dans cette période de crise qui bouleverse tout, fracture les vies et déchire les repères. Si nos procureurs ont terminé leur plaidoirie et sont prêts au débat, je suis à leur disposition. P. Le H. NB. les mots soulignés en gras le sont par moi, J.-P. R.
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