3. Givors

  • Révolution française, sociétés populaires, sans-culottes : Givors-sur-Rhône   10/03/2011      Givors est une petite ville, chef-lieu de canton du Rhône, sur le fleuve éponyme, dont les traditions révolutionnaires ne se sont jamais émoussées[1]. C’est ...
    Publié à 17 oct. 2016, 05:03 par Jean-Pierre Rissoan
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Révolution française, sociétés populaires, sans-culottes : Givors-sur-Rhône

publié le 27 juin 2011, 03:20 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 17 oct. 2016, 05:03 ]

  10/03/2011  

    Givors est une petite ville, chef-lieu de canton du Rhône, sur le fleuve éponyme, dont les traditions révolutionnaires ne se sont jamais émoussées[1]. C’est une ville industrielle qui exploitait le "charbon de terre", autrement dit la houille, dès avant la Révolution de 1789. Avec presque 4.000 habitants et toutes ses industries, Givors héberge un fort contingent de Sans-culottes et aussi, malheureusement, de pauvres. Plusieurs éléments montrent la combativité de la population givordine.

Le libéralisme est obligatoire

    La ville de Givors vécut les débuts de la révolution industrielle avant même la Révolution française. La houille est exploitée en amont à Rive-de-Gier et acheminée par des "sicelandes " (sorte de barque) sur un canal fluvial artificiel (1780)[2] qui longe le Gier jusqu’au Rhône. Là, à Givors, le charbon est soit mis sur engin fluvial et halé jusqu’à Lyon, soit valorisé sur place. Ce sont les "crocheteurs"[3] qui assurent le transbordement d’un engin fluvial sur l’autre. Suivant les règlements de l’Ancien Régime, leur profession avait le monopole de cette activité.

    La Révolution française est une révolution libérale. Une de ses lois emblématiques est la loi Le Chapelier qui supprime… les monopoles ainsi qu’elle interdit le droit de coalition (syndicat) et la grève. Un grave conflit éclate entre les crocheteurs et la Société du Canal. Cette dernière, arguant de l’abolition des privilèges et des corporations, veut utiliser son propre personnel, ce qu’elle met immédiatement à exécution (1791). Les actionnaires de la Société du Canal ont d’abord le soutien de la municipalité (délibérations du 29 avril 1791) mais les crocheteurs défendent leur droit au travail et le droit de négocier leurs salaires et ils le font « par troubles et empêchements, …, menaces et voies de fait commises contre les ouvriers, manœuvres et domestiques » de la Société du Canal[4]. Si l’on en croit J. Vareille[5], Marc Robichon, industriel, révolutionnaire, nouveau maire, "aida les margoulins des sicelandes contre les propriétaires du canal". En octobre 1792 -au plus fort de la crise alimentaire, le problème des bas salaires était aigu- "deux commissaires vinrent, avec pleins pouvoirs, assurer la circulation du matériel et du charbon sur la voie d'eau. Le directeur (de la Société du canal), Antoine Cailhava, s'enfuit. Les commissaires réquisitionnèrent. En 1793, trois administrateurs furent exécutés. Le canal fut mis sous séquestre, sa gestion confiée à la municipalité de Givors, la navigation déclarée provisoirement gratuite".

    La Convention et les Montagnards se rangeaient du côté des travailleurs. Nécessité oblige. Mais cette victoire des crocheteurs était essentiellement temporaire. Elle cessa avec la réaction thermidorienne. "La navigation -payante- reprit en novembre 1794. Antoine Cailhava fit restituer le canal aux actionnaires. A partir de l’automne 1796, le trafic remonta en flèche".[6]

Les industriels au pouvoir

    La houille est valorisée par les "industries du feu", en l’occurrence trois brillantes "verreries royales" fonctionnent en 1780 [7] plus une fonderie et une tuilerie. Deux maîtres-verriers vont s’illustrer dans l’histoire locale : Marc Robichon (son frère à ses côtés) et Joseph Neuvesel [8].

    Givors est un des berceaux du groupe B.S.N. (aujourd’hui propriété de Danone) avec la famille de verriers Neuvesel (dont les sociétés ultérieurement fusionneront avec Boussois et Souchon). Dès la révolution de 1789, Givors se dote d’une municipalité dont Neuvesel fait partie : la bourgeoise accède au pouvoir… Durant la période du Gouvernement révolutionnaire, autrement dit la Terreur, J. Neuvesel dirigeait l’atelier givordin où l’on fabriquait la poudre à canon.

    J’ai évoqué le rôle de Marc Robichon lors du conflit des crocheteurs. Il fit plus : "intelligent, instruit, il s’efforça de créer la nouvelle administration locale, la municipalité, la garde nationale, le juge de paix élu (…) dès 1790, il entreprit l’élaboration du cadastre... "[9]. Pour la réquisition du salpêtre - matière première entrant dans la composition des explosifs - une commission de surveillance républicaine fut mise en place. Les frères Robichon en faisaient partie. Alors qu’ils pouvaient demander une indemnisation, ils firent don de 250 quintaux prélevés dans leurs salins.

    Si l’on précise qu’après la Révolution et l’Empire, les Bolot -associés de Neuvesel- et Robichon et d’autres maîtres-verriers constituèrent une important société par actions dite "Société des Graviers du Gier", on peut conclure que l’on a là un cas concret de participation active de la bourgeoise industrielle à la Révolution et d’une bourgeoisie qui s’en est emparée pour aller encore plus loin dans la révolution industrielle. Et, bien entendu, les verreries et autres forges prospérèrent aussi après ces formidables évènements.

    Au moment décisif - la crise de 1793-94 - cette bourgeoise s’est alliée aux sans-culottes.

Fidélité à la Montagne.

    Il y a d’abord la création de la Société des Amis de la Constitution, le 6 mai 1791, qui ouvre ses débats au public ("tout individu de cette commune qui voudra assister aux séances publiques" -délibérations du 18-IX-1791-). On observera que cette décision fait fi de la distinction entre citoyens passifs et citoyens actifs pourtant officialisée à cette date. La Société givordine s’affilie à la société jacobine de Lyon tout en correspondant avec celle de Paris. Il faut dire que la soif d’égalité s’est exprimée avec force à Givors. Ainsi le 25 mars 1790, trente-six bancs furent brisés à l’intérieur de l’église : on sait que les bancs situés au plus près de l’autel étaient réservés aux privilégiés et aux notables. 

    Il y eut ensuite la participation à l’effort de guerre. En août 1792 -la "Patrie est en danger"- huit Givordins équipés aux frais des contribuables locaux partirent aux armées. En mars 1793 -c’est, en France, la "levée en masse"- "on tira au sort 23 citoyens, enrôlés sur le champ" (J. Vareille, page 70). J’ai parlé du salpêtre et des poudres. Mais les révolutionnaires givordins - Montagnards et sans -culottes mêlés - récupérèrent aussi cinq cloches de leurs  églises et les fondirent en fûts de canon.

    Givors approuva massivement la nouvelle constitution, dite de l’An I. L’assemblée primaire du canton se tint le 28 juillet 1793. « L’acte constitutionnel est lu, puis on passa au vote public et oral, 250 votants se prononcèrent "unanimement" "avec joie et transports" en faveur de l’acte constitutionnel. Jean Pierre Mazuyer fut désigné pour porter à Paris le résultat du scrutin » [10]. Le citoyen Mazuyer retrouvera à Paris plusieurs milliers de ses "frères", (3° partie) LA CONSTITUTION DE 1793 DITE DE L’AN I Aberdam[11] cite le chiffre de 7.000, pour l’approbation définitive de la constitution[12]. « Il semble que l’originalité de cette élection soit précisément d’avoir projeté sur la scène nationale des milliers de ces cadres locaux formés par la révolution » (Aberdam, 217).

    Lors du drame fédéraliste qui vit Lyon s’opposer à la Convention, Givors se détacha de la grande ville à laquelle l’attachaient, pourtant, tant de liens : elle resta montagnarde et garda son contact épistolaire avec la Convention nationale. Le 21 juillet 1793, les citoyens Peillon et Laurenson, déclarèrent "ne plus assister à la commission départementale de Rhône et Loire"[13] à laquelle ils avaient été nommés le 24 juin par l'assemblée primaire du canton. (Délibération 21/7/1793). "A la même date, il était décidé d'acquérir 300 livres de plomb et de poudre qui ne seront remis aux citoyens de la Garde nationale de Givors que lorsqu'ils seront requis de marcher pour maintenir « le bon ordre, l'union, la paix, la tranquillité, la sûreté des personnes et des propriétés, l'intégrité de la Convention et la République une et indivisible »". (Tournier, p.250).

    En décembre 1793, un "comité révolutionnaire de surveillance" chapeauta la municipalité. C’est l’acmé de la crise de l’an II. Son rôle est de renforcer les mesures déjà prises et de les faire appliquer coûte que coûte. Surtout, il veille au respect de la loi du Maximum, maximum des prix des denrées auquel les sans-culottes sont particulièrement attachés. C’est dans ce domaine que la participation des sans-culottes est soulignée dans les archives.

Pouvoir manger à sa faim, cela se conquiert

    Le problème du ravitaillement se posa rapidement. La crise économique de 1792 frappe Givors comme les autres villes de la nation mais dès le 16 novembre 1789 il y eut « une véritable émeute ». Les sans-culottes menacèrent de piller un bateau du Rhône chargé de haricots. Ils obtinrent le stockage de la marchandise en lieu sûr et une répartition équitable de la denrée.

    Il y avait à Givors des accapareurs comme ailleurs et/ou des marchands inquiets de la dépréciation de l’assignat. Les ouvriers et les pauvres les accusent de "chercher à les faire mourir de faim". Une délégation à la "maison commune" "parmi lesquels nous avons reconnu les sieurs François-Marie Chartre, Joseph Cueilleron, Michel Bertrand, Jean-Marie Verzier, François Thuillon ... qui ont dit au nom de tous leurs adhérents qu'ils venaient pour nous forcer à leur faire livrer les blés qu'ils avaient trouvés dans différentes maisons de la communauté (…), et faire de suite par nous la taxe. Nous leurs avons représenté que en adhérant tant à la recherche de dits grains qu'à la taxe [14], nous nous compromettrions et contreviendrions à la loi" (délibération municipale du 12-IX-1792). Les sans-culottes exigent de surcroît la présence d’un officier municipal pour les escorter dans leur visite aux marchands de blé. Ils proposent Jean Forest, officier municipal, qui a toute leur confiance. Les tergiversations font dire aux délégués de la « multitude du peuple » (sic) « qu’ils ont des balles et des cartouches et des fusils », or l’usage des armes était strictement réservé à la Garde Nationale. C’est la révolution dans la Révolution.

    Finalement, cédant à la force du peuple en armes, la municipalité doit accepter la réquisition et la vente à prix taxés (prix plafond) et, en faveur « des gens les plus nécessiteux», il y aura cuisson du pain et distribution gratuite (14 septembre 1792).

    C’est ce genre de mouvements de la "base", répété en France à des milliers d’exemplaires, qui pousse la Convention montagnarde à voter le maximum général du prix des denrées (29 septembre 1793)[15]. La Révolution est une dialectique base-sommet, sommet-base.

Le passage de témoin

    En 1848, Givors compte 7.500 habitants : c’est un foyer de la grande industrie, un centre prolétarien. La ville est pénétrée par les premières idées de ce qu’il est convenu d’appeler le "socialisme utopique". Claude Canard, menuisier à Givors, a laissé de précieux « Souvenirs d’un prolétaire sur les événements politiques survenus à Givors du 26 février 1848 au 2 décembre 1851 ». C’est lui qui raconte l’anecdote du père Flachon, vétéran de 1793, évoquant les « souvenirs glorieux » de la Grande Révolution.

 «Ce qui impressionna vivement les assistants, ce fut le père Flachon, vieillard octogénaire, revêtu de l'uniforme de tambour-major de la Garde nationale de 1815 qui prononça un discours dans lequel il évoquait les souvenirs glorieux de 89 et qui fut applaudi avec des larmes d'attendrissement » [16].

On observera aussi que Givors, avec l’activité des Neuvesel et Robichon qui n’entravent pas l’action des sans-culottes, illustre parfaitement cette alliance entre la bourgeoisie montagnarde et le peuple des sans-culottes, alliance décisive qui fut analysée par le grand historien G. Lefebvre comme le premier « Front Populaire »[17].

Bibliographie :

Deux ouvrages m’ont été fort utiles :

J. Vareille, "Givors en France", MESSIDOR-Temps actuels, Paris, 1982, 212 pages.

Michel Tournier, "Notabilités et groupes de pression à Givors, 1780-1800", T.E.R Histoire, inédit, université Lyon II, 1990. (Comporte de nombreuses citations de délibérations).

 


[1] Maire et conseiller général communiste depuis 1955. Voir la faiblesse du score FN dans "le F.N. c’est d’abord les riches", 2° partie.

[2] Voir le site du Centre d’Études et de Recherches du Patrimoine Industriel du Pays du Gier

[3] Ce sont des dockers fluviaux, qui utilisent souvent un crochet pour prendre les marchandises à transborder. On les surnommait, à Givors, les "margoulins".

[4] Délibérations municipales du 1er mai 1791.

[5] Journaliste né à Givors, auteur de "Givors en France", éditions MESSIDOR, Paris, 1982, 212 pages.

[6] Jo VAREILLE, page 74.

[7] Sur les verreries royales de Givors, voir le site de Christian Palluy : http://christian.palluy.pagesperso-orange.fr/anarolo/inducom.htm

[8] Qui crée avec le sieur Bolot la "société Bolot, Neuvesel et Cie".

[9] Julien Page, historien de Givors, cité par Jo Vareille, page 69.

[10] Cité par M. TOURNIER, T.E.R., Lyon II, p.249. La Constitution en son article 16 prévoyait que « les élections se font au scrutin ou à haute voix, au choix de chaque votant ». Ne pas généraliser le cas de Givors.

[11] Serge ABERDAM (INRA - ESR), Un aspect du referendum de 1793 : les envoyés du souverain face aux représentants du peuple, communication au colloque de 1992, I.H.R.F., Michel VOVELLE (sous la direction de), actes du colloque de Paris I tenu à la Sorbonne, 21-26 septembre 1992, Révolution et République, l’exception française, publiés par les éditions KIME, Paris, 700 p.

[12] Ce qui n’empêchera pas les Thermidoriens de piétiner l’approbation populaire pour imposer une autre constitution dite de l’an III (1795) qui est appliquée avec le Directoire.

[13] Commission alors sous le contrôle politique des fédéralistes lyonnais.

[14] Par "taxation", il faut comprendre un prix maximum, un prix plafond.

[15] C’est-à-dire APRÈS les journées parisiennes des 4 et 5 septembre 93 où les Sans-culottes sont venus à la Convention nationale (à majorité montagnarde après la journée du 2 juin). Il y eut accord politique entre les Montagnards et les sans-culottes pour mettre « la Terreur à l’ordre du jour ».

[16] "La révolution de 1848 à Givors", Éditions Sociales, page 70.

[17] Mais il le disait en privé car il ne voulait pas courir le risque de l’anachronisme, péché mortel de l’historien (quoiqu’en l’occurrence, il a ici de belles vertus pédagogiques). 

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