(3° partie) LA CONSTITUTION DE 1793 DITE DE L’AN I

publié le 24 mars 2012, 02:13 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 12 févr. 2019, 09:25 ]

    Le texte intégral de la Déclaration de 1793 et de la constitution de 1793 dite de l'an I se trouve dans la 2° partie de ce thème : LA CONSTITUTION DE 1793 DITE DE L’AN I (2ème partie). J'aborde maintenant la question de la ratification du texte par le peuple souverain.


LA RATIFICATION AU SUFFRAGE UNIVERSEL

 

    On sait que la désignation des députés du Tiers État aux États généraux de 1789 se fit à peu près au suffrage universel masculin et à plusieurs degrés. Mais le roi restait le souverain et de droit divin. Lorsque la révolution - bourgeoise - opéra le basculement qui faisait de la Nation le souverain, on s’empressa de réduire le droit de vote et l’on distingua les citoyens passifs, les citoyens actifs et les électeurs et cela sur la base de la richesse, du cens - c’est-à-dire de l’impôt- . C’est la révolution républicaine du 10 août 1792 qui modifia la donne. Le suffrage universel masculin fut proclamé. Plus tard, la constitution de 1793, dite de l’an I, établira que, dans certains cas précisés, les étrangers pourraient voter et être élus[1]. Universalisme des Lumières.

    L’élection de la Convention, début septembre 1792, s’effectue dans la précipitation et le principe ségrégateur actifs/passifs est parfois maintenu. « Par contre, le vote sur le projet de Constitution de juin 1793 se présente après un délai suffisant pour qu’on puisse considérer comme connue la nouvelle définition du droit de vote »[2]. La Convention était en effet une constituante puisque la chute du roi et de la royauté rendait caduque la constitution votée en 1791 et appliquée durant la période de l’Assemblée législative. La Convention rédige son texte, l’adopte le 23 juin 1793 (période de la Convention montagnarde) et décide de soumettre ce texte au vote des assemblées primaires, c’est-à-dire la subdivision la plus basse du corps électoral (niveau du canton, le plus généralement). Ces assemblées devront désigner un envoyé appelé aussi commissaire qui devra "monter" à Paris et là, l’ensemble des envoyés votera sur le texte. Ce plébiscite - le peuple vote par oui ou non sur un texte - entraîne donc aussi « l’élection d’un nouveau personnel politique, le premier et pour longtemps le seul de notre histoire à être issu d’un vote direct » (Aberdam).

    Ainsi à Givors (Rhône), l’assemblée primaire se tient le 28 juillet 1793. « L’acte constitutionnel est lu, puis on passa au vote public et oral, 250 votants se prononcèrent unanimement avec joie et transports en faveur de l’acte constitutionnel. Jean Pierre Mazuyer fut désigné pour porter à Paris le résultat du scrutin »[3]. Le citoyen Mazuyer retrouvera à Paris plusieurs milliers de ses "frères", Aberdam cite le chiffre de 7.000. « Il semble que l’originalité de cette élection soit précisément d’avoir projeté sur la scène nationale des milliers de ces cadres locaux formés par la révolution » (Aberdam).

    On imagine aisément la sympathique cohue qui anima la capitale et les bureaux administratifs chargés de vérifier la régularité de l’élection des envoyés ainsi que leur identité, de leur accorder le visa qui permettra de se faire rembourser les frais de déplacement. Mais la fraternité des sans-culottes parisiens est sans limite pour accueillir leurs "frères" de province. « La médiocrité (du) dispositif est palliée par le dynamisme de la Commune, des sections et des militants parisiens » (Aberdam). D’ailleurs, ils ont l’habitude, prise à partir du 14 juillet 1790 pour la Fête de la Fédération, répétée en 1791, et surtout en 1792 où les délégués de province furent associés quelques semaines plus tard à la prise des Tuileries.

    L’assemblée générale solennelle des envoyés doit se tenir le 10 août, jour anniversaire. Ce doit être une fête. « Il est une sorte d’institution qui doit être considérée comme une partie essentielle de l’éducation publique : je veux parler des fêtes nationales » avait dit Maximilien Robespierre. Celle du 10 août 1793 est mise en scène par David, excusez du peu. Mais rien n’est trop beau pour célébrer le suffrage universel, le peuple souverain qui s’avance…

    Je cite à nouveau la description de cette fête, effectuée par Albert Soboul (extraits).

« David conçut un cortège qui se déroula de la Bastille au Champ de Mars avec cinq stations. Place de la Bastille, s'élevait la fontaine de la Régénération où burent tour à tour les quatre-vingt-six doyens des départements. Le cortège dirigea sa marche par les boulevards. En tête, les sociétés populaires, derrière une barrière portant l'œil de la surveillance pénétrant un épais nuage. Puis la Convention nationale, chaque député un bouquet d'épis et de fleurs champêtres à la main, encadrée par les doyens des commissaires des départements, armés de la pique. Le peuple de Paris confondu avec ses magistrats formait le troisième groupe, chaque profession avec ses signes distinctifs. Le quatrième groupe comprenait les soldats et les parents « des héros morts glorieusement pour la patrie », une musique militaire scandait la marche. Des détachements d'infanterie et de cavalerie fermaient le cortège encadrant des tombereaux « chargés des dépouilles des vils attributs de la royauté ».

« Boulevard Poissonnière, deuxième station. Sous un arc de triomphe, assises sur leurs canons et portant des trophées, les femmes des 5 et 6 octobre 1789. Un chœur retentit, des salves éclatent... Troisième station, place de la Révolution (l'actuelle place de la Concorde), où fut inaugurée une statue de la liberté. La quatrième station se fit esplanade des Invalides, où, sur une montagne symbolique, se dressait une colossale statue du peuple français terrassant l'hydre du fédéralisme. Le cortège arriva enfin au Champ de Mars. Les autorités constituées montent les degrés de l'autel de la Patrie, cependant que le peuple dépose, en offrande sur le pourtour, «les fruits de son travail, les instruments de son métier ou de son art »... Un chœur s'élève, les fanfares retentissent, puis les salves d'artillerie, et tous les citoyens, sans-culottes, magistrats, représentants confondus échangent le baiser de fraternité... ».[4]

    Après la proclamation de l’approbation, c’est aux envoyés que le président de la Convention remet le faisceau de l’union et l’arche de la Constitution. Les envoyés restent « la nuit durant pour assurer la garde de ce dépôt sacré et le porter le lendemain à l’assemblée »

    Au total, la Convention a publié les chiffres suivants : il y eut 1.803.558 votants avec 1.784.377 oui et 11.531 non soit 1.795.908 "exprimés". Cela représente beaucoup d’abstentions mais il faut tenir compte de l’état de guerre (civile et étrangère) qui affecte nombre de départements et qui rend impossible la tenue d’assemblées délibératives. Quoiqu’il en soi, c’est un chiffre infiniment plus élevé que tous les scrutins censitaires qui ont eu lieu auparavant, ou qui auront lieu après Thermidor… jusqu’en 1848. Mais la pratique définitive du suffrage universel masculin qui s’est imposée par la force en 1848 n’eût pas été possible sans cette expérience concrète de 1793 qui est restée dans toutes les mémoires vives et s’est transmise de génération en génération.

    Après la fête, la lutte continue. De nombreux envoyés sont intégrés aux organes locaux du gouvernement révolutionnaire, beaucoup travailleront main dans la main avec le représentant en mission mandaté par la Convention dans chaque département.

    « Heureuse France ! Tu vas devenir la mère-patrie de l’univers, le berceau du monde, l’école du genre humain »[5].

    C’est par un vrai coup d’ État que les Thermidoriens évinceront cette constitution de l’An I qui ne sera donc jamais appliquée quoiqu’approuvée par le peuple. Les Thermidoriens rédigeront la constitution de l’an III qui donnera naissance au Directoire et qui rejette le suffrage universel, réservant le droit de suffrage aux plus riches. La constitution de l’an III ne fut pas ratifiée par le peuple.

 
  vous trouverez également le texte intégral de l'avant-projet de ROBESPIERRE : Constitution de l'an I : l'avant-projet de Robespierre.



[1] Article 4 de l’acte constitutionnel de l’an I, lire la 2° partie de thème.

[2] Serge ABERDAM (INRA-ESR), communication au colloque de 1992, « un aspect du referendum de 1793 : les envoyés du Souverain face aux représentants du peuple ». Ce qui suit doit beaucoup à cette communication dont le texte est paru dans les Actes du colloque. I.H.R.F., Michel VOVELLE (sous la direction de), actes du colloque de Paris I tenu à la Sorbonne, 21-26 septembre 1992, Révolution et République, l’exception française, publiés par les éditions KIME, Paris, 700 p.

[3] Cité par M. TOURNIER, T.E.R., Lyon II, p.249. La Constitution en son article 16 prévoyait que « les élections se font au scrutin ou à haute voix, au choix de chaque votant ». Ne pas généraliser le cas de Givors.

[4] A. SOBOUL, Histoire littéraire de la France, tome IV, 1789- 1848, 1er volume, ÉDITIONS SOCIALES, 1972, page 47.

[5] L.-M. Prud’homme, cité par l’universitaire américain Melvin EDELSTEIN, (New Jersey) au colloque de 1992. Cet universitaire rappelle qu’aux États-Unis la ratification de la constitution de Philadelphie ne se fit pas au suffrage universel.

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