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Nord, Pas de Calais
L'Artois, 4ème partie : l'aujourd'hui.
Plusieurs thèmes restent à aborder. L’IMPASSE DE L’ABSTENTION Longtemps, le Nord - départements 62 et 59 - fut considéré comme la région "la plus civique de France". L’abstention ne dépassait guère les 10% alors que les politologues nationaux qui peuplent les plateaux TV nous disaient que 15% constituaient un seuil incompressible. Rappelons que notre échantillon, représentent plusieurs millions d’habitants. Voici un tableau qui indique l’évolution de l’abstention dans le Pas-de-Calais comparée à celle de la France. Jai rajouté les chiffres du Nord car j’ai conscience qu’isoler le 62 du 59 est un peu artificiel, mais je répète que c’est l’étude de Sawicki, excellente et détaillée à souhait (cf. biblio en 2ème partie), consacrée exclusivement à la fédération socialiste du Pas-de-Calais qui m’a amené à ne traiter que le cas de ce département. Tableau Évolution de l’abstention lors des grands scrutins
Abs.+ nuls+blancs NB. Les cases vides sont appelées à être remplies après la réception de quelques documents. Sources : établi à partir de : Atlas régional (PULille) , ministère Intérieur ; Politiquemania.
Les chiffres de 1958 sont exemplaires. Les Français se sont massivement mobilisés (15% d’abstentions seulement) mais en Pas-de-Calais c’est encore mieux : 10%. L’écart est de 4,9% des inscrits. Jusqu’en 1981, l’écart variera peu. En 1992, il y a déjà beaucoup d’abstentions pour un referendum important : ratification ou non du traité de Maastricht. Les Artésiens qui se déplacent le font pour voter massivement non. Cri qui ne sera pas entendu, ni par les socialistes, ni par l’ UMP. C’est à partir des années 2000 que le comportement électoral du Nord rejoint la moyenne nationale. Le 59 la dépasse même. C’est ainsi qu’en un demi-siècle, les politiques suivies ont modifié le comportement civique de toute une population. Pour notre problématique, il est important de savoir -autant que faire se peut - qui s’est abstenu ? Voici d’abord une carte prodigieusement éloquente.
Les communes teintées de blanc ont gardé leur
comportement d’antan : moins de 11% d’abstentions. Les communes les plus
brunes s’abstiennent de plus du double : plus de 21%. Observons au niveau
régional. Les collines de l’Artois (L'Artois, des Temps modernes à 1914.), la Flandre maritime, l’espace compris entre
l’agglomération de Lille et le Valenciennois (pays de la Pévèle avec Orchies et
Cysoing [1]),
ainsi que le Cambrésis sont blanchâtres : on y vote bien et le plus
souvent à droite. Mais, surtout, et c’est là où je voulais en venir, cette
carte montre parfaitement le Bassin houiller avec sa forme de boomerang
renversé. C’est d’une netteté parfaite. Le bassin
houiller est devenu un bastion de l’abstention. Avec lui, le nord de l’agglomération
de Lille, le littoral -globalement- et l’Avesnois. Et c’est l’électorat
communiste, anciennement communiste qui s’abstient. Comparez aussi cette carte des abstentions avec celle des densités de population L’Artois pendant l’entre-deux-guerres (2ème partie). Tableau Abstentions dans le bassin houiller (PdC)
* canton de Cambrin, commune trop petite, j’ai choisi une commune plus représentative. En 1978, on votait très bien dans ces circonscriptions
où le Parti communiste obtenait ses meilleurs scores. Un peu moins toutefois
que dans l’ensemble du département. En 2012, les circonscriptions ont été
redécoupées après un autre découpage en 1986 qui suivit celui de 1958. Il n’est donc pas possible d’établir
une comparaison. J’ai choisi la commune la plus importante qui donnait son nom
à la circonscription (excepté pour Cambrin -11°-,
petit village qui a vu pousser autour de lui des villes-champignons minières
mais qui est resté chef-lieu de canton). En 2012, on s’abstient dans le Bassin souvent de 8% de plus que dans le département
(et pour être juste, il faudrait calculer le nombre de votants dans le 62 en dehors
du Bassin, on verrait encore mieux le différentiel, car le Bassin pèse lourd en
termes démographiques). A Bruay, à Lens, à Hénin, l'abstention est multipliée par deux ! MILITER AU PS DU PAS-DE-CALAIS
Tout ce qui suit est extrait du chapitre du livre de Sawicki [2] : les citations sont de dates diverses, certaines concernent non pas le PS mais le Vieux-syndicat mais on a vu que celui-ci fut la matrice de parti SFIO dans le Pas-de-Calais. Les passages en jaune sont extraits du chapitre de Sawicki, les passages en gras sont surlignés par moi-même. La classe ouvrière du Pas-de-Calais n’a pas eu, globalement, un niveau de formation élevée, à la grande différence notamment de celle de la Région parisienne. À la fin des années 50’, le pourcentage de ceux qui avaient obtenu un diplôme supérieur au CEP y était presque deux fois inférieur à la moyenne nationale. Même si l'écart s'est progressivement réduit, les taux de sous-qualification restent supérieurs à la moyenne française : 48% des 15-35 ans en 1982 avaient un niveau inférieur ou égal au certificat d’études primaires contre 41% dans l’ensemble du pays. Cela a des conséquences si l’on n’y contrevient pas. Or, il y eut absence de politique de formation syndicale. Le syndicat des mineurs du Pas-de-Calais ne s’est jamais doté d’un appareil de formation, à la différence du parti et des syndicats guesdistes du Nord, pour qui l'éducation est la condition sine qua non de la prise de pouvoir par la classe ouvrière [3]. Dès lors, un mineur interrogé peut dire : "Mais je n'ai jamais pris la parole aux réunions syndicales. Qu'est-ce que vous voulez que je dise ? Je n'ai pas été assez à l'école. Parmi les dirigeants syndicaux, il y avait des gens calés, des gars qui se cultivaient, qui lisaient les journaux syndicaux, qui allaient aux commissions". Sawicki peut écrire : Habitude de la prise en charge et sentiment d'incompétence d'une population sous-scolarisée se conjuguent pour faire du maire l'intercesseur privilégié auprès de l'administration de l'État et surtout des Houillères. C’est la fameuse "remise de soi", forme interne au mouvement ouvrier de l’aliénation politique. Cela induit le mépris à l’égard de la réflexion théorique et de la formation/profession intellectuelle. D’abord le dédain pour les chemises-blanches-cravates : "Ce sont les mineurs qui portent les jugements les plus défavorables sur leurs chefs et qui se montrent les plus hostiles à "ceux qui travaillent dans les bureaux"". Si monsieur l’instituteur est à la réunion, c’est la catastrophe : "Il advient alors que les mineurs ne vont plus dans les sections socialistes ; ils s'y sentent mal à l'aise en présence du maître d'école qui signale leurs fautes d'orthographe et les entorses qu'ils font subir à la langue française"[4]… Mais la formation théorique n’était pas la préoccupation dominante de la fédération socialiste, on peut lire ces choses effarantes : Le Pas-de-Calais est une des fédérations qui a poussé le plus loin l'organisation systématique des Jeunesses socialistes : défilés, uniformes, formation para-militaire, tout en favorisant les activités de loisirs. Cela fera écrire à un responsable fédéral en 1947, (…), que les Jeunesses Socialistes fédérales sont "restées saines (sic) parce que dans notre département, les réunions des jeunesses étaient des réunions fraternelles, des réunions de jeunes, d'où la politique active, réservée aux adultes d'après les statuts du parti, était exclue". Si le parti -quel qu’il soit au demeurant- n’éduque pas les jeunes adhérents, qui va s’en charger ? Et que dire de l’emploi du mot "saine" ? la politique c’est sale ? L’auteur de ces propos évoque la situation des années 30’, on comprend que certains adhérents aient été tentés par le Vichysme. Plus près de nous, un dirigeant d’envergure souhaitera : "Pas de PS à l'américaine. Il faut un PS conquérant pour aborder un problème, pas de colloques où l'on s'essouffle en de vaines discussions" (1990). Les rapports moraux et administratifs envoyés aux adhérents à la veille de chaque congrès signalent ceci : "Le manque de cadres, l'apathie des militants y sont régulièrement soulignés : ainsi en 1948 le rapport fait état de "l'échec de la création d'écoles du propagandiste [...] dû au manque d'élèves". En 1952, une enquête de la fédération auprès de 160 secrétaires de section révèle que "près des deux tiers des réponses signalent l'apathie de nos adhérents qui ne fréquentent plus les réunions mensuelles. De bons camarades (et des dévoués) nous parlent de leur découragement devant les réunions squelettiques. Et on ne fait plus que trois ou quatre réunions dans l'année". Qu’est-ce qui marche alors ? L’importance des niveaux d'adhésion ne s'accompagne (donc) pas d'une participation suivie aux réunions et d'un investissement considérable dans les activités de formation ou dans les débats politiques. Les activités de propagande électorale (affichage, distribution de tracts, porte-à-porte), la participation aux tombolas et aux réunions festives apparaissent comme ce qui intéresse le plus la masse des adhérents dont près de la moitié reste composée d'ouvriers. On ne se pose pas la question -pourtant essentielle- de savoir qui conçoit les affiches, qui rédige les tracts. Seules les réunions où sont projetés des films de propagande (…) les activités de tombolas et les fêtes marchent bien selon les rapports fédéraux. On arrive alors à la panacée de la réunion socialiste : la réunion familiale. Les sections du bassin minier constituent l'idéal-type de ces sections. De recrutement très populaire, les réunions de sections y sont d'ailleurs fréquemment appelées "réunions familiales". "L’ouverture des réunions aux conjoints, aux sympathisants, aux membres des sociétés qui soutiennent l'action de la municipalité, l’absence de discussion (sic), "mais un court discours d'un des secrétaires de section et un d'Henri Darras" (le maire de Liévin, JPR), la présence de boissons, de biscuits (sic), de décoration de la salle, tout concourt à créer "l'ambiance" chère aux membres des classes populaires. Les présentations de sections publiées par le mensuel fédéral y font d’ailleurs fréquemment allusion : "Chaque année, les responsables organisent une grande fête familiale à l'intention de tous les adhérents, leurs épouses et leurs enfants. C'est autour de ces tables qu'on mesure ce qu'est l'ambiance, la solidarité, la fraternité au sein du Parti socialiste. Pas de manuels, pas d'intellectuels, pas de mineurs, pas de professeurs, rien que des socialistes". Le PS est un melting-pot qui pourrait dire "chez nous, plus de classes sociales ! On est tous frères ". Au fond, c’est issu d’une culture très chrétienne. La fédération socialiste du Pas-de-Calais apparaît ainsi comme un vaste comité des fêtes associé à un groupe imposant de colleurs d’affiche et de distributeurs de flyers à la disposition des décideurs qui sont ailleurs. J’en veux pour preuve l’expérience du référendum sur la ratification du Traité constitutionnel européen (TCE) en 2005. Le Pas-de-Calais a littéralement rejeté ce traité, amplifiant son rejet du traité de Maastricht de 1992, condamnant ouvertement les directions socialistes nationale, régionale, départementale et municipales (lire quelques chiffres dans Milieux populaires et vie politique ). Mais le PS continue comme si de rien n’était… C’est lamentable et désolant. Mais avec la qualité politique des débats au sein des sections de cette fédération, il faut n’être surpris par rien. Comment s’étonner que des électeurs attrapés par ce "catch all-party" le quitte pour le FN ? J’y reviendrai. Sawicki ajoute cependant quelque part : "En 1967, la fédération du
Pas-de-Calais regroupait 14,5% des mandats (nationaux) de la SFIO. Ce
pourcentage quoiqu’en régression - il est passé à 11,1% en 1971, 7,5% en 1979
puis 8,4 % en 1987 - reste très élevé et explique que la fédération avec celles
du Nord et des Bouches-du-Rhône, a toujours été une arène stratégique pour le
contrôle de la direction nationale du parti". Il est donc important
de contrôler cette fédération et de multiplier les "fêtes familiales".
Sawicki nous parle alors des cartes d’adhésion gratuites payées - et
distribuées - par le maire qui est secrétaire de section, simultanément. Et
bien d’autres choses. Cela fait autant de mandats. Cela permet de faire passer
le oui à l’Europe au congrès national
alors que la base vote non. Mais le
PS est un parti démocratique… Dans un article écrit en 1972, le dirigeant communiste G. Ansart, député du Nord et secrétaire de la puissante fédération PCF du département, évoque cet aspect des choses, c’est-à-dire la sous-qualification politique des électeurs et adhérents socialistes. Il écrit ceci : "les couches sociales les plus pauvres offrent encore un terrain propice au réformisme de la social-démocratie ou au paternalisme social du patronat et de l’Église. (…)." Après avoir évoqué le cas de Lille, il ajoute : "Ce prolétariat subit, depuis un siècle, à la fois le paternalisme social des patrons du textile qui essayent de le maintenir hors du terrain d’attaque du mouvement ouvrier ; le réformisme de la social-démocratie qui s’en remet pour résoudre les problèmes au développement du Bureau d’aide sociale [5], créant ainsi une mentalité de prolétariat assisté ; l’activité de l’Église qui va dans le même sens. Cela explique que cette partie du prolétariat n’a pas été gagnée à notre influence". Mais il se montre optimiste grâce à des évolutions favorables : "les conditions existent donc pour dégager ces couches ouvrières de leur situation d’assistées et de les entraîner à la lutte". Assistanat et Action revendicative sont l’eau et le feu de la grille de lecture communiste. Le futur n’a pas donné raison à G. Ansart. L’eau semble avoir éteint le feu… L’ANTICOMMUNISME VERTÉBRAL Ici également ce chapitre va être une sorte de pot-pourri formé à partir d’extraits du texte de Sawicki. L’anticommunisme des socialistes est connu, cela va sans dire, mais va mieux en le disant avec les propos tenus par un universitaire dont la déontologie exige l’honnêteté intellectuelle. Ce texte est disponible sur le net et avec l’onglet «rechercher » vous pouvez trouver la citation complète. Les mots en gras sont surlignés par moi, JPR. "La fréquence des réunions festives, si elles n'ont pas explicitement pour but d'entretenir cette unité, n'en ont pas moins pour effet de générer un “esprit de parti” qui trouve dans l'anti-communisme un de ses principaux fondements". Voilà une phrase-clé. Malgré les divisions internes, on est unis grâce à l’hostilité au PCF. "Le syndicat des mineurs voit donc le PC se développer progressivement, via la CGTU, qui gagne un nombre croissant de sièges de délégués mineurs. C'est dans ces circonstances que la règle de l'unité du parti devient la principale forme de légitimité au sein de la fédération (socialiste, JPR). Déjà utilisée de façon récurrente dans l'activité syndicale pour disqualifier les “irresponsables diviseurs de la classe ouvrière”, cette thématique sert désormais à délégitimer (…) la démarche “sectaire” du parti communiste". Et Sawicki de parler fort souvent de "La concurrence qui oppose la fédération (SFIO du 62) au parti communiste". Durant l’entre-deux-guerres, le nombre de municipalités socialistes connaît "un léger tassement jusqu'à la fin des années 20 du fait de la concurrence communiste qui fait perdre certaines mairies en raison d'un refus de désistement réciproque". Tout ne s’est pas fait sans heurt. Ainsi, Henri Henneguelle, chef de Libération Nord, maire socialiste de Boulogne de 1953 à 1977, "ne cesse de s'opposer à l'anticommunisme de Guy Mollet et des élus du bassin minier, préférant l'alliance avec le PC dont il a côtoyé de nombreux dirigeants dans la Résistance". "L'espoir d'unité ouvrière né de la Résistance et la proximité avec les responsables communistes favorisent les discours de réunification ouvrière et contribuent à marginaliser la position des dirigeants du secteur minier très anti-communistes". A l’époque du programme commun, où même
Mitterrand ose parler du "prolétariat", les socialistes sont invités
à jouer au "plus à gauche que moi, tu meurs" [6]. "Le registre
dans lequel puisent les dirigeants fédéraux s'inspire de celui du syndicalisme,
familier aux ouvriers du département, alors même que l'histoire du socialisme
local s'enracine avant tout dans un municipalisme et un syndicalisme localistes, corporatistes, et gestionnaires.
C'est bien à l'invention d'une tradition qu'on assiste alors puisque
historiquement, comme on l'a vu, les dirigeants et élus socialistes du
Pas-de-Calais se sont définis successivement contre les pratiques et les conceptions des militants guesdistes,
anarcho-syndicalistes et communistes".
Certains dirigeants et adhérents ont de la peine à comprendre cette volonté
d’unité prônée en apparence par Mitterrand. Depuis des décennies, ils font
alliance localement avec les partis de la 3° force de la IV° république, dont
le MRP. En 1977, le programme commun est signé mais certains refusent l’union
avec le PCF aux municipales. "André Delelis (maire de Lens, élu dès le 1er
tour en 1973) est contraint de démissionner du comité directeur après les
élections municipales de 1977 pour avoir refusé l'entrée de communistes sur sa
liste". Il ne fut pas le seul dans ce cas. L’anti-communisme amène la SFIO à créer une confédération syndicale concurrente de la CGT dirigée par des membres du PCF et autres compagnons de route. "(…) La violence des luttes entre communistes et socialistes au sein de la CGT, qui a abouti à la scission de 1948, a contribué à réactiver les relations de proximité entre militants syndicalistes et militants politiques. On l'a signalé, l'aide apportée par la SFIO à la mise en place des sections syndicales Force ouvrière a été considérable". Sawicki prolonge "L’investissement dans la CGT-FO éloigne donc beaucoup de militants de l'activité partisane stricto sensu, même si le traumatisme provoqué par les grèves de 1947-1948, en ancrant l'anti-communisme dans l'expérience pratique, a renforcé la cohésion des militants et de l'électorat et assis l'audience du parti socialiste dans les fractions ouvrières qui ont eu le plus à souffrir de l'attitude de la CGT". Les socialistes, pour faire pièce au dynamisme communiste -le PCF sera le premier parti dans le département jusqu’en 1979- investissent tous les réseaux. Investissement qui s’accompagne d'une "transmission de normes communes : violente hostilité au parti communiste, attachement à certaines formes d'humanisme et de tolérance (fondées en partie sur la participation conjointe à des activités maçonniques), reconnaissance de la légitimité de la gestion des institutions républicaines... ". "Cet activisme associatif s'explique par la concurrence acharnée à laquelle se sont livrées sur ce terrain depuis près d'un siècle, d'abord les Compagnies (minières, JPR), l'Église et les municipalités ouvrières, ensuite les militants socialistes, communistes et aussi démocrates-chrétiens". Voilà
donc une autre facette de l’électeur-sympathisant-adhérant-militant socialiste
du Pas-de-Calais : un brave type assisté, farouchement anti-communiste.
EN GUISE DE BILAN Structure de l’électorat : Comparaison législatives 1978/ présidentielle 2012 (Région NPC)
Rappel : ANBl. = abstentions, bulletins nuls et blancs. Comparaison Prés.1981 / prés. 2012 (Pas-de-Calais uniquement)
*1er tour ** 2ème tour
Ces deux tableaux comparent la structure de l’électorat avant et après l’irruption du FN. La gauche est la grande perdante avec moins 30% de son électorat (environ 15% des inscrits). La droite perd également beaucoup : le tiers de son électorat présidentiel de 1981. Ces voix sont allées sur le FN mais les abstentions, bulletins nuls et blancs (ANBl.) progressent de plus de 8% des inscrits. CE QUE DISENT LES RÉSULTATS ÉLECTORAUX. Ils ne le disent pas toujours clairement. Les collègues qui ont œuvré à la rédaction des commentaires de l’Atlas électoral du NPC utilisent parfois des phrases proustiennes pour tenter de coller à la réalité toujours très complexe. Et il est vrai que l’on ne saura jamais les raisons intimes du choix de chaque électeur/trice. En 1981 : présidentielle. Absence du FN. Premiers passages massifs d’électeurs PC vers le PS. "Mitterrand perd des voix en assez fortes proportions dans les circonscriptions tenues pas des socialistes" : il s’agit de voix anticommunistes qui votent depuis des décennies pour le candidat PS -en l’absence de chances sérieuses de la droite - afin de barrer à la route au PCF. Ces voix rejoignent naturellement la candidature VGE. "En revanche, dans les circonscriptions tenues par les communistes, il obtient, au second tour, des résultats analogues à ceux des candidats communistes élus (en 1978, JPR). C'est dire que la discipline à gauche a bien fonctionné mais qu'une frange appréciable de l'électorat législatif du parti socialiste a poursuivi sa défection". Traduction : lorsque le candidat communiste aux législatives était candidat unique de la Gauche au second tour, il ne faisait jamais « le plein » des voix socialistes. Mitterrand aurait dû le faire. Encore une fois, ces voix "socialistes" étaient des voix de droite. Par ailleurs, "Il faut souligner que le vote Mitterrand n'est pas prioritairement un vote hostile au président candidat mais plutôt un vote de ralliement au changement politique escompté. Le candidat socialiste, adossé aux bastions de la gauche, propose une alternance à une clientèle située en dehors de la gauche mais intéressée". L’électorat Mitterrand, une partie en tout cas, est un électoral volatile. Il est « intéressé » : sa curiosité n’ira pas au-delà de la rigueur de 1984. En 1981 : législatives. Vague rose. "Le triomphe socialiste apparaît très brillant; en gagnant 8 sièges, (…). Mais il conquiert ses nouveaux sièges parlementaires aux dépens du parti communiste bien plus que de la droite (6 députés socialistes sont élus à la place de communistes [7] (…)). C'est dire que la concurrence a joué à plein et que le parti socialiste a reconquis sur la gauche, et non à l'extérieur de la gauche, l'électorat nécessaire à la victoire". Voilà où sont allées nombre de voix communistes : le FN était inconnu au bataillon en 1981. 1984 : élections européennes. Irruption du FN qui obtient 6,4% des inscrits en France, autant dans le Nord, beaucoup moins dans le Pas-de-Calais (4,2%). Abstentions massives. "La carte de l’évolution de l’abstentionnisme montre que sa croissance a surtout affecté l’électorat de gauche". J’utilise maintenant les travaux de S. Etchebarne, travaux qui porte sur le Nord (59) mais dont les conclusions peuvent être transposées dans le 62. "En 1984, on assiste, de la part d'un électorat très conservateur, à un rejet de la liste unique RPR-UDF menée par S. Veil. L'observation,…, de l'implantation des scores élevés du FN dans les cantons où la part de la population étrangère est faible, fait apparaître les cantons centraux de la métropole lilloise (Lille-Centre, Lille-Ouest, Lille-Nord et Marcq-en-Barœul). Ces cantons ont la particularité d'être les cantons urbains du département les plus fortement structurés à droite et les plus résidentiels. (…) Il s'agit de bureaux traditionnellement très conservateurs avec une importante population de commerçants et de professions libérales. Cette géographie du FN est, à peu de différence près, conforme à celle de J. Chirac au premier tour de l’élection présidentielle de 1988". Tout cela confirme ce que j’ai écrit et dans mon livre et dans les articles de ce site. C’est le patronat qui a mis le pied de LePen à l’étrier. 1988 : élection présidentielle. Nouveau flux du PC vers le PS. Le candidat Lajoinie et le candidat Juquin n’atteignent pas les 10% à eux deux. Atlas électoral NPC : "même dans ces (ses) lieux favorables, le PC n'obtient jamais un score d'élection législative ou locale et François Mitterrand bénéficie d'un important transfert de voix qu'aucun candidat socialiste aux élections législatives ne peut espérer. Dans ce vote très politique et national où n'intervient que faiblement l'influence des élus locaux, le PC marque nettement ses limites. Tout se passe comme si, au-delà du repli en bastion, le PC perdait une efficacité politique lors de l'élection présidentielle mais pouvait espérer un meilleur destin dans des élections à portée plus limitée, ou, en tout cas, portées par des logiques territoriales". Habitués à dissocier vote national/vote local, beaucoup d’artésiens, électeurs communistes, voteront dès lors, socialiste aux élections nationales (présidentielle suivie des législatives à la botte) et communiste pour la mairie ou le conseil général (en 2014, le PCF a encore 11 sièges de conseillers généraux du 62 dont 9 élus dans le Bassin, tout n’est pas perdu Géographie politique du Pas-de-Calais après les cantonales 2011).
QUE NOUS DISENT LES ÉLECTIONS PROFESSIONNELLES ?
* électeurs ne se sentant proches d’aucun syndicat. ** élections professionnelles www.clesdusocial.com *** Institut Harris Interactive, pour Liaisons sociales.
Ce tableau donne les résultats nationaux de chaque grande confédération ouvrière sauf UNSA. L’UNSA est plutôt d’influence socialiste. Influente dans la police. La ligne en-dessous donne les résultats des confédérations dans la Région Nord-Pas de Calais. On constate l’influence importante de FO très supérieure à son niveau national. C’est encore plus vrai pour la Confédération des travailleurs chrétiens (CFTC) qui, sur une base 100 en France est à plus de 133 en Nord-Pas-de-Calais. La dernière ligne donne ce que j’ai appelé la propension à voter FN lors de la présidentielle 2012. Faible à la CGT, elle est vigoureuse à FO et même à la CFTC. On vote plus FN à la CFTC qui a gardé son étiquette chrétienne qu’à la CFDT où on a préféré s’ouvrir aux autres en utilisant le concept-portmanteau de démocratie. Pour comprendre (Pour qui votent les intégristes ?). Si vous voulez voir à quoi ressemble un mineur FN, https://www.youtube.com/watch?v=IoaJ-m7jyW8 vous pouvez -sans y être obligé- regarder cette vidéo. Le 1er mai 1988, après une messe en latin, traditionalisme oblige, quelques mineurs défilent en tenue de travail et le visage noirci, sans doute pour faire plus authentique. C’est le Travail au sens pétainiste d’effort physique incontournable pour manger son pain à la sueur de son visage (Genèse, III-19), pas au sens révolutionnaire : le Travail face au Capital. Pour ce qui concerne FO, j’ai donné les raisons qui fondaient son anti-communisme systémique. Mais il ne faut pas confondre la base et le sommet [8].
L’histoire a apporté par couches successives les ingrédients qui font que le N-PdC n’est pas, n’est plus une terre de gauche. Seul le système majoritaire à deux tours et la division actuelle FN - UMP permettent cette domination quasi exclusive du PS sur la région. Hélas, cette domination n’apporte rien. J’en veux pour preuve le vote contre le TCE dont les responsables socialistes n’ont absolument pas tenu compte. Je récapitule : un catholicisme contre-réformé, puis ultramontain, avec force écoles privées contre l’école de la République ; un paternalisme patronal renforcé par la même Église -celle de Léon XIII - qui demandait aux prolétaires "aimez vos patrons !" ; un rejet de la tradition révolutionnaire et un soutien sans faille au bonapartisme qui resurgit dans l’avatar pétainiste, puis gaulliste puis lepéniste ; un corporatisme invétéré chez les mineurs notamment et une co-gestion avec les compagnies minières qui ont conduit à une sympathie complice à l’égard du régime de Vichy, le tout précédé par une vive campagne xénophobe contre les travailleurs polonais venus aider à la reconstruction de la France après le désastre de 14-18 ; un anti-soviétisme viscéral dès après le congrès de Tours et une hostilité au PCF qui ne s’est jamais démentie ; la scission de 1947 et une nouvelle aggravation de l’anticommunisme sans oublier une droite puissante, s’appuyant sur un patronat de combat et des forces politiques importantes, majoritaires à partir de 1958, dans les scrutins nationaux. C’est un exploit que réussirent les guesdistes puis les communistes à combattre cette chape de plomb idéologique épaisse comme les couches de terrains au-dessus des galeries de mines. A la vérité, un ouvrier chrétien ou socialiste qui - et il y a de quoi - est mécontent de la situation économique faite à la région bascule aisément vers le vote FN. Inculture -générale ou politique -, tradition de l’assistanat, goût pour les régimes forts tout concourt à une nouvelle remise de soi. Cette photo (Voix du Nord) montrant un vassal baisant l’anneau de son suzerain - Steeve Briois, chef régional du FN - donne une idée parfaite de l’idéologie FN Recul de civilisation.
[1]
6ème circonscription du Nord (découpage de 2012). [3] Cette tradition a toujours été celle du PCF. [4]
Au PCF, la hiérarchie -si hiérarchie il y avait- était plutôt l’inverse. Je
m’imaginais mal morigéner un camarade ouvrier parce qu’il faisait des fautes de
français. L’hypothèse même est invraisemblable. [5] Autrefois appelé Bureau d'aide sociale (BAS), la loi no 86-17 du 6 janvier 1986 a substitué le nom de Centre communal d'action sociale à l'ancienne dénomination (article Wiki : Centre communal d'action sociale (CCAS)) [6]
N’oublions pas que l’objectif de Mitterrand est de prendre 2 à 3 millions de
voix au PCF. [7] Ce commentaire concerne la Région. Le PCF n’a plus que deux députés sur quatorze dans le Pas-de-Calais au lieu de cinq en 1978. [8] Voir par exemple l’article du Monde du mercredi 10 décembre 2014, "le FN tente de séduire la base de Force Ouvrière". |
L’Artois 1947 - 1981 (3ème partie)
L'Artois, des Temps modernes à 1914. L’Artois pendant l’entre-deux-guerres (2ème partie) Plusieurs temps forts scandent la vie politique du Pas-de-Calais durant cette période : la Libération, naissance et mort de la IV° république, crise de 1958 avec primauté du gaullisme dans les années qui suivent, changement de majorité nationale en 1981. Commençons par un évènement grave qui a des conséquences de longue durée : la grève de 1947 et la naissance de Force ouvrière : Cgt-FO. [1] suivie de la grève de 1948. LES ANNÉES DRAMATIQUES 1947 ET 1948. Ce sont deux années marquées chacune par une longue grève des mineurs. Deux éléments expliquent ces actions de grève massivement suivies. Le premier est de nature économique et sociale. En 1947, cela fait plus de deux ans que les mineurs -et les autres ouvriers aussi d’ailleurs - font un énorme effort de production (après quatre années d’occupation allemande, ne l’oublions pas). Ils ont répondu à l’appel de Maurice Thorez, secrétaire général du Parti communiste français, lancé à Waziers, ville minière par excellence (canton de Douai), le 21 juillet 1945 [2]. Le PCF était alors membre du gouvernement De Gaulle. Malgré ces efforts énormes, la vie reste difficile et les familles ouvrières ne voient pas leur niveau de vie s’élever en conséquence. C’est l’époque des tickets de rationnement qui perdure. Ces grèves s’appuient donc sur un réel mécontentement de classe. Le second élément relève de la situation diplomatique mondiale. En mars 1947 et en juin, le discours de Truman et le vote du Plan Marshall lancent la Guerre froide du côté de l’Ouest. La réplique soviétique se fait par le discours de Jdanov du 22 septembre de la même année. Au printemps 47, le départ du PCF du gouvernement est vécu par beaucoup comme une simple crise ministérielle et d’ailleurs, les dirigeants communistes ne donnent pas suite aux mouvements spontanés de grève qui éclatent ici ou là. Ils ont quand même refusé le budget du gouvernement ce qui leur a coûté leur départ. En Septembre 47, après le discours Jdanov tout change ou presque. Suivant l’idée qu’il faut serrer les rangs derrière l’URSS, le PCF n’envisage plus son retour au gouvernement et, au contraire, encourage - par le biais de ses militants qui dirigent la CGT - toutes les actions. On peut s’interroger sur la circulaire ministérielle du 13 septembre 1948 dont un alinéa prévoit non pas le maintien mais la baisse des rémunérations des mineurs ! Dans le domaine de la provocation, c’est réussi. Y-avait-il préméditation ? Certains le pensent (lire l’article de Pierre Outteryck). Le gouvernement avec des Jules Moch au ministère de l’intérieur, anti-communiste farouche, aurait redouté un "coup de Prague" parisien. Les communistes tchécoslovaques avaient rejoint le camp soviétique en février 48. Les mineurs grévistes de 1948 et de 1952 ou leur descendants vont recevoir une allocation de 30 000 euros au titre de leur licenciements abusifs. ci-dessous Photo AFP " la République française reconnaît le caractère discriminatoire et abusif du licenciement pour faits de grève des mineurs grévistes en 1948 et 1952". Il y a donc les grèves de l’automne 1947 et celles de l’automne 1948. Le parti socialiste SFIO -s’il a refusé de s’attacher à l’URSS en 1920, ce n’est pas pour y venir en 1946 - dont le leader - Blum - signe avec les Américains les accords Blum-Byrnes, le parti SFIO accepte avec enthousiasme le plan Marshall. Face à la CGT, la SFIO soutient résolument les socialistes qui décident de quitter la confédération et d’en créer une nouvelle : FO (décembre 1947). FO se définit d’abord comme anticommuniste. L’argent nécessaire (bâtiments, presse, traitements de permanents…) est fourni par la centrale américaine AFL-CIO dont un des dirigeants est en lien avec la CIA. Inutile de préciser que l’ambiance est vite détestable entre les deux confédérations. Moins cependant qu’un an plus tard, 1948, où un non-gréviste FO est vu comme un ennemi de classe. Un non-gréviste CFTC aussi d’ailleurs. Le socialiste Jules Moch envoie l’armée. On compte des morts sur les carreaux des mines de France. Ainsi que l’écrit Sawicki : "le rappel des brutalités physiques et de l’appropriation des tickets de rationnements par les camarades du parti (communiste) revient aujourd’hui encore (années 1995’) comme une antienne dans les discours des sympathisants socialistes pour justifier leur anti-communisme". C’est une nouvelle couche qui vient épaissir les précédentes dans l’anticommunisme de beaucoup de travailleurs du Pas-de-Calais. Les résultats des élections de 1951 montrent cependant que le PCF n’a pas eu à pâtir de ces épreuves. Avant de passer à l’année 1958, signalons le vote Poujade aux élections générales de 1956. Ce mouvement - dont LePen fut un des députés, gardons-le en mémoire - obtient peu d’écho en Nord-Pas-de-Calais dans son ensemble. Cependant, en Artois, il obtient de bons scores sur le versant picard (voir 1ère partie de la série) dont Bapaume, Bertincourt et Marquion et dans le canton chrétien d’ Audruicq.
NOUVEAU TEMPS FORT : L’ANNÉE 1958 ET LE RETOUR DU GÉNÉRAL DE GAULLE Lors des évènements de mars 1958, on sait que Guy Mollet, secrétaire général de la SFIO, ancien président du Conseil, personnage emblématique de la IV° république, maire d’Arras, a tout fait pour sortir de la crise sans effusion de sang et il a trouvé l’issue dans le soutien au général de Gaulle. Ce dernier s’engageant à venir solliciter l’investiture de la Chambre après avoir été désigné par le président Coty (donc à jouer le jeu du "système" qu’il a tant dénoncé) et acceptant quelques compromis dans la rédaction de la constitution, comme l’article 4 qui reconnaît le rôle des partis politiques ou l’article 20 qui dit que "le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation", ce qui -on le saura quelques années plus tard- permet un gouvernement de "cohabitation". Tant et si bien que la SFIO se considère comme "la figure de proue de la V° république". Pas moins. Le referendum. Le PCF est le seul à appeler au vote "non" avec quelques républicains dont certains quittent la SFIO sans pour autant rejoindre le PCF. La SFIO appelle à voter oui au référendum relatif à l’approbation de cette constitution et c’est le raz-de-marée avec presque 80% de oui (en exprimés), y compris dans le Pas-de-Calais. Mais dans un département qui vota bonapartiste longtemps après la débâcle de Sedan, cela ne saurait surprendre. Cette carte montre bien la base géographique du parti communiste. Le non obtient 22% des inscrits dans le Pas-de-Calais alors que le PC avait obtenu 26,8% en 1956. Et tous les non ne sont pas communistes. Aux législatives de novembre, les 14 candidats du PCF rassembleront 20,2%. Le parti a donc perdu 6,6% des électeurs inscrits. Chute brutale qui s’explique en grande partie par l’aura du Général, natif de la région et personnage historique qu’il est inutile de présenter ici. L’Atlas régional parle, concernant le PCF, de "la perte d’électeurs marginaux sensibles au contenu protestataire de leur vote". Je ne saisis pas tout le sens de cette phrase, je retiens la notion d’électeurs marginaux, que je comprends comme ciblant des électeurs qui votent sur un coup de tête, essentiellement volatiles. Nouvelle bonne manière de la SFIO à l’égard du Général : son congrès extraordinaire, tenu début décembre, décide que "les socialistes soutiendront la candidature du général de Gaulle à la présidence de la République" (Le Monde du 6-XII-58). Cette allégeance de la SFIO provoque l’ire des républicains de gauche non-communistes qui se sont regroupés dans l’Union des forces démocratiques (UFD) et qui présentent un candidat à la présidence de la République : ce sera un artésien, natif de Valhuon (canton d’ Heuchin), Albert Châtelet, par ailleurs président de l’Union rationaliste [3]. Les élections législatives. Les élections législatives ont eu lieu après le vote du projet de constitution. Le Pas-de-Calais est découpé en 14 circonscriptions. Le nouveau parti gaulliste - l’Union pour la Nouvelle République (UNR)- renvoie l’ascenseur et, lors du second tour des élections législatives - on était passé du scrutin de liste départemental à la proportionnelle au scrutin d’arrondissement majoritaire - appelle à voter pour Guy Mollet à Arras, où ce dernier est en ballotage face à un Communiste et à un MRP : "Si l’ UNR n’ pas présenté de candidat dans la circonscription d’Arras, c’est par déférence pour le général de Gaulle dont M. Guy Mollet a été au cours de ces derniers mois - en toute indépendance et en toute loyauté - un collaborateur fidèle. Il serait très regrettable que se maintiennent au second tour contre M. Guy Mollet, d’autres candidatures qui pourraient offrir aux communistes une occasion équivoque d’arbitrer. De ce fait, l’ UNR invite les électrices et les électeurs d’Arras à donner massivement leurs voix, au second tour, à M. Guy Mollet, ministre du général de Gaulle". (Cité dans Le Monde du 29 novembre 1958). Le PCF est seul contre tous puisque la SFIO est soutenu par l’ UNR et inversement. Lien.10 députés PCF comme en ...1958 et Le Pen député gaulliste. Le résultat est net, l’objectif est atteint : le PCF n’a aucun député en 1958 ! Alors qu’il représentait, lors des élections législatives de 1956, entre 30 et 35% des électeurs INSCRITS dans la circonscription sud du département[4]. Le Pas-de-Calais est représenté par 7 députés SFIO, 1 MRP, 3 UNR, 2 CNIP, et un divers-droite (qui avait voté les pleins pouvoirs à Pétain en 1940). L’élection de trois députés CNIP et du DVD montre le caractère très agressif du catholicisme artésien (St-Pol, Montreuil-sur-mer, St-Omer). André Siegfried déclara que ces votes de 1958 se déroulaient dans une conjoncture politique "plébiscitaire". On était pour ou contre De Gaulle. La gauche subit une première hémorragie lors du referendum et du 1er tour des législatives. Ainsi, dans la 5° circonscription du Nord, la gauche PCF et SFIO perd 5.000 voix par rapport à 1956. Au second tour, le PCF se désiste pour le candidat socialiste, celui-ci étant l’un des rares à avoir appelé au non pour le referendum. Le socialiste -A. Notebart- pouvait arithmétiquement l’emporter mais il est battu, 3.000 voix supplémentaires de gauche s’étant déplacées à droite en faveur du candidat gaulliste. Les électeurs socialistes tenaient absolument à soutenir De Gaulle… Cette circonscription est assez exceptionnelle dans sa configuration de second tour. Souvent, l’électeur a le choix entre trois candidats au 2ème tour : droite, SFIO, PCF ; alors "le candidat socialiste est apparu comme le meilleur adversaire du P.C. (Bassin minier, Valenciennois" (Atlas électoral). L’anti-communisme de la SFIO est lisible dans toutes les déclarations de Guy Mollet (au congrès extraordinaire du parti, il a vertement tancé le député du Finistère Tanguy-Prigent pour avoir fait campagne pour le non au référendum et avoir accepté le désistement du candidat PC), mais il est on ne peut mieux exprimé par le représentant de la Haute-Vienne qui est heureux des résultats de sa fédération parce qu’elle a réussi à enlever 10.000 voix aux communistes ! Ces propos ont, à coup sûr, été également tenus dans le Pas-de-Calais. 1958 voit la naissance d’un nouveau type de militant, un nouveau type d’électeur : le socialiste gaulliste. Ou le gaulliste socialiste. Au demeurant, le journal La Voix-du-Nord qui connaît bien le terrain et sa zone de chalandise, parle encore aujourd'hui de ces communes flamandes "à droite nationalement et à gauche localement. Et vice-versa" (7 mai 2007). Ce découplage local/national qui va de pair avec un socialisme/gaullisme est net lors de l’année 1962, autre année riche en évènements.
L’ANNÉE 1962 ET LA PRÉSIDENTIELLE 1965. A l’automne 1962, De Gaulle -fort de sa paix en Algérie- lance sa grande et mauvaise idée : oui ou non pour l’élection du président de la République au suffrage universel. Le caractère plébiscitaire du referendum (28 octobre) n’a pas disparu. Il y eut un "cartel des non" allant des Indépendants&Paysans de Pinay à la SFIO de Guy Mollet (et dont le PCF ne fit jamais partie contrairement à ce qu'affirment encore quelques mauvais manuels). Le Général dissout le chambre qui a voté la censure contre son gouvernement et provoque de nouvelles élections législatives (novembre 1962). La SFIO se dresse enfin contre le pouvoir personnel et accepte l’idée et la pratique du désistement pour le candidat anti-gaulliste le mieux placé, y compris si celui-ci est le candidat communiste. Le journal La Croix du Nord parle du "danger de Front populaire" ! Tableau Résultats des différents votes dans le Pas-de-Calais entre 1958 et 1965
Tous les résultats en % des électeurs
INSCRITS. (C.D. = centre droit). Le oui de 1962 est un vote gaulliste -seul contre tous, avec les Indépendants giscardiens cependant- et peut servir de comparaison avec le vote De Gaulle (1er tour) à la présidentielle de 1965. Le centre MRP connaît une débâcle (Pierrard). Le nombre de bulletins non correspond grosso modo aux votes additionnés PC + SFIO et peut servir de comparaison avec les votes obtenus par ces deux partis aux élections législatives de novembre. La colonne Ensemble (Ens.) du tableau est une somme arithmétique et ne doit pas être lue comme une réalité politique -surtout en 1958 ! - mais ses chiffres permettent de constater l’écart entre le vote des Artésiens lorsque la personnalité du Général est engagée et leur vote pour le notable local aux législatives… Ainsi, De Gaulle obtient le vote de 49,3% des inscrits à son référendum de 62 mais son parti-lige n’obtient que 23,4% quelques semaines plus tard. La gauche qui "fait" 42,7% aux législatives de 1962 ne donne que 35% à F. Mitterrand, son candidat unique en 1965. Ses électeurs -pour la plupart socialistes- qui votent De Gaulle au national ne sont pas les plus disciplinés pour voter Communiste au second tour d’un scrutin. Leur anticommunisme consubstantiel les en empêche. Et, pour tout dire, ils formeront une proie de choix pour le FN. Au
second tour, le Général rafle la mise dans les deux départements du nord de la
France. Ce qui permet de discuter l’affirmation selon laquelle on est ici en
terre de gauche ! Mais sa victoire dans le Pas-de-Calais est moins nette
que dans le Nord. Juste un mot sur les élections législatives de 1968, les élections de "la trouille" comme disait un baron du gaullisme (Sanguinetti). Sur 14 députés, le Pas-de-Calais envoie 7 gaullistes au Palais Bourbon (22 sur 37 pour l'ensemble de la Région). Là aussi le caractère "de gauche" reste à démontrer. Surtout, les électeurs socialistes montrent leur réticence à voter communiste au second tour. "le report insuffisant des voix socialistes au 2ème tour a empêché l'élection de 4 candidats (du PCF)" (Atlas électoral du NPC). LES ÉLECTIONS DE 1981 Ces élections sont importantes. A la question -non posée mais implicite- voulez-vous un changement à la Marchais ou à la Mitterrand ? les Français répondent clairement. Au coude-à-coude des années précédentes, succède un décrochage définitif : l’écart est de 10% des exprimés entre les deux candidats de la Gauche. Et cela alors que le rapport gauche-droite à l'échelle nationale, reste à peu près le même (51/49) et que le FN n’existe pas sur le terrain électoral. Ce qui veut dire qu’il y eut transfert de voix communistes sur le candidat du nouveau PS. Ce transfert se poursuivra et sera la cause principale de la baisse du PCF avec l’abstentionnisme. Ces élections marquent également un tournant en ce sens que l’électorat communiste ne vote (presque) plus pour le candidat du parti à la présidentielle mais préfère le vote "utile" et, par ailleurs, les électeurs jouent à fond la carte majoritaire : les élections législatives deviennent secondaires, et on envoie une majorité de députés godillots dont le rôle est de voter comme l’hôte de l’Élysée le demande. Peu à peu, l’influence communiste ne se verra plus qu’aux élections municipales et cantonales.
Mais ces élections montrent quelque chose de surprenant : alors que les chances d'accès de la Gauche au pouvoir n'ont jamais été aussi grandes, aussi bien le score du PCF que celui du PS BAISSENT. Le tableau ci-dessous le montre bien. le PC perd 6,7% sur les législatives de 1978 et Mitterrand 2% ! De surcroît, les abstentions augmentent de 1,85%... On ne peut pas dire que le Programme Commun de la Gauche a suscité de l’engouement dans le Nord de la France. Il y a comme de la désillusion dans l'air. Encore plus étonnant, dans ce département ouvrier du Pas-de-Calais, le candidat de la droite ultra-libérale, l’homme des emprunts gagés sur l'or, l'homme de l'avoir fiscal, etc... Giscard d'Estaing PROGRESSE : il gagne -dans ses chiffres du second tour- 6,5% sur les législatives de 1978.
COMPARAISON PRÉSIDENTIELLE 1981 ET LÉGISLATIVES 78 (% DES INSCRITS). PAS-de-CALAIS
ajouts à la bibliographie de la 2ème partie : - http://www.humanite.fr/greve-de-1948-charbons-gagnants#sthash.pZmB1MfH.dpuf - Pierre OUTTERYCK, professeur agrégé d’histoire, "la grève des mineurs de 1948", cahiers de l’Institut d’histoire sociale de la CGT, six pages, http://www.ihs.cgt.fr/IMG/pdf_DOSSIER-3.pdf - GOGUEL François. L'élection présidentielle française de décembre 1965. In: Revue française de science politique, 16e année, n°2, 1966. pp. 221-254.
[1] Longtemps, en effet, Force ouvrière s’est présentée comme CGT-FO pour bien montrer qu’elle était une branche de la CGT. Aujourd’hui, il semble qu’elle se satisfasse de la dénomination « FO ». [2] Des extraits du discours de Maurice Thorez, secrétaire général du Parti Communiste Français, à Waziers : http://www.port.ac.uk/special/france1815to2003/chapter9/documents/filetodownload,18543,en.pdf [3] Le corps électoral avait été élargi : il était constitué comme le corps électoral du sénat actuel c’est-à-dire les maires et les délégués des conseils municipaux. Il y avait 81.764 électeurs inscrits. Châtelet obtient 8,46% des exprimés, G. Marrane, pour le PCF, 13,03%. La majorité des grands électeurs socialistes SFIO ont voté De Gaulle. [4]
Le scrutin proportionnel, sous la IV° république, avait pour base le
département ; mais les départements les plus peuplés étaient subdivisés en
circonscriptions. Ainsi le Pas-de-Calais avait une circonscription sud :
tout le bassin minier y était, et une circonscription nord avec le littoral et
les villes/sous-préfecture de Calais, Boulogne, Montreuil, etc…. Dans cette
circonscription,le PCF obtint entre 15 à 20% des inscrits selon les
cantons. |
L’Artois pendant l’entre-deux-guerres (2ème partie)
Rappel : 1ère partie (L'Artois, des Temps modernes à 1914. 1919-1939, c’est une période riche et fertile. Mais ce qui pousse
n’est pas forcément comestible. J'évoquerai aussi la période de la Collaboration. I. 1920 : PCF (SFIC) vs PS (SFIO) et CGT vs CGTU Avec la révolution russe, beaucoup de regards se tournent vers la nouvelle "patrie du socialisme". Mais d’autres, au sein du mouvement ouvrier, refusent cette allégeance et, récusant le vote majoritaire du congrès de Tours en faveur d’une adhésion à la III° internationale communiste, préfèrent la scission. Il y a d’abord la scission au sein du parti. Le nouveau parti de la III° Internationale (S.F.I.C.) s’oppose à la soi-disant Vieille maison[1], la S.F.I.O. maintenue. Cette séparation a des conséquences sur l’organisation syndicale des ouvriers : la C.G.T. perd les militants communistes de la C.G.T.U. (CGT unitaire). Il y a concurrence entre les deux fractions de la classe ouvrière organisée, socialistes contre communistes. Très virulente dans le Nord-PdC. où la SFIO est réellement ouvrière. La lutte devient violente avec la politique dite "classe contre classe" inventée par la direction de la III° Internationale. Sans doute irritée par la politique de la social-démocratie allemande, très anticommuniste, qui a abattu l’entreprise spartakiste avec l’aide des corps-francs, la III° Internationale demande de lutter contre les directions socialistes qui ne sont à ses yeux que des valets de la bourgeoisie (1924) donc "membres de la classe bourgeoise". De cela, il restera chez les militants et dirigeants socialistes, une première couche anticommuniste. Mais cette scission ne se fait pas sur un coup de tête : les divergences étaient réelles. Avec l’aide de F. Sawicki [2], tâchons d’y voir clair. Le monde des mineurs constitue une société d’autant plus close que la main-d’œuvre - jusqu’à l’arrivée massive des mineurs polonais dans les années 20’- est d’origine essentiellement locale. C’est donc la paysannerie artésienne, catholique et bonapartiste pour l’essentiel, qui fournit les bras. Ensuite le recrutement se fait surtout par filiation. La clôture de cette société résulte pour partie de la politique des compagnies que prolonge la nationalisation de 1945. Le statut du mineur est en effet singulier, et ce bien avant sa fixation légale en 1947 : salaire élevé, rémunération assurée en cas de maladie, soins médicaux partiellement gratuits et surtout mise à disposition du logement - particularité du Pas-de-Calais par rapport au Nord voisin - et mise à disposition du charbon de chauffage, sont acquis progressivement dès avant 1914. Ce statut a généré un corporatisme profond reposant sur un syndicalisme puissant, s'appuyant lui-même sur les délégués à la sécurité élus par le personnel depuis 1890 (voir 1ère partie). Au-delà de formes d'action et d'organisation syndicale et politique originales, c'est tout un mode de vie, qui spécifie les mineurs. Mais ce puissant syndicalisme prête à réflexion. Sawicki écrit : "l’activité syndicale, en raison de l’emprise patronale, et de la sous-qualification de la main-d’œuvre, a été moins intense qu’on le croit généralement ". après avoir écrit : "La SFIO (a bénéficié), paradoxalement du paternalisme patronal. (…)(On peut) poser l’hypothèse que, dans certains cas, (les formes de contrôle de la main-d’œuvre et de la répression patronale) ont contribué à retarder, sinon à empêcher la constitution d’un puissant mouvement syndical et du parti communiste, facilitant par contre-coup la prise en charge des problèmes par des représentants politiques plus « modérés »". C’est--à-dire socialistes, on a bien compris. Par ailleurs, la double activité, ouvrière et paysanne, a longtemps freiné la structuration d’une organisation syndicale. On trouve ici des éléments de comparaison avec les ouvriers de la région de Montbéliard. Sawicki conclut cette réflexion en répétant que, dans le Pas-de-Calais, l’activité syndicale, en raison de l’emprise patronale et de la sous-qualification de la main-d’œuvre, a été moins intense qu’on le croit généralement. Guesdistes et anarcho-syndicalistes s'employaient activement, avant 1914, à dénoncer les pratiques du Vieux syndicat (celui des Basly et des Lamendin) et à concurrencer ses élus dans les élections professionnelles et politiques. Pour ces "contestataires" le système aboutit à l’électoralisme, à la collaboration de classe et au pouvoir personnel du "czar de Lens" (comme ils appelaient alors Basly). Victor Griffuelhes, leader de la CGT, critique ainsi "l'action syndicale [qui] n'est exercée que pour assurer des mandats politiques aux plus intrigants. [...] Le syndicat est le recruteur des voix électorales. [...] Pareille situation ne déplaît pas aux Compagnies. Pourquoi leur déplairait-elle ? Elles y trouvent le maximum de sécurité, de repos, de tranquillité". (NB. Bien comprendre que le Vieux syndicat des mineurs n’est pas adhérent de la CGT, à cette date. Il ne l’intégrera qu’en 1908. Ce retard est significatif des réticences de Basly, entre autres, à rejoindre un syndicat révolutionnaire). La même tonalité se retrouve dans le discours communiste des années vingt: "À Béthune dans le Pas-de-Calais, nous n'avons pas d'élus municipaux. Le prolétariat de la ville (cheminots mis à part, dont l'éducation de classe est différente) est un de ceux qui sont le plus empoisonné par l’esprit localiste. On n'y vote pas pour des principes, ni même des programmes, mais pour des hommes" [3]. C’est cet esprit localiste qui bloquait également l’adhésion du Vieux syndicat à une CGT nationale, révolutionnaire et internationaliste ! Il y avait à la fois corporatisme - on ne s’occupe pas des problèmes des autres travailleurs - et localisme -on ne se préoccupe que du Pas-de-Calais -.De la direction du syndicat à celle de la municipalité du coin, il n’y a qu’un pas vite franchi par Basly à Lens, par Lamendin à Liévin, par Cadot à Bruay en Artois… Tous anciens mineurs, délégués-mineurs et députés-maires. "Les élus socialistes", écrit Sawicki, "investissent les domaines associatif et caritatif (sic) pour tenter de concurrencer les formes d’encadrement social mises en place par les ingénieurs (au nom des compagnies houillères, JPR) avec l’appui du clergé : sociétés, chorales, orphéoniques ou gymniques (…) aides aux chômeurs, aux familles nombreuses, aux vieillards ". Toutes choses qui contribuent "à renforcer l’habitude de la prise en charge des besoins sociaux, déplaçant ainsi le rapport de dépendance au lieu de le supprimer. (…). Habitude de la prise en charge et sentiment d’incompétence d’une population sous-scolarisée se conjuguent pour faire du maire l’intercesseur privilégié auprès de l’administration de l’État, et surtout des Houillères". C’est ce que Sawicki appelle le municipalisme. On a vu que l’auteur reprend à son compte, pour qualifier ce comportement, le mot du sociologue Bourdieu : remise de soi (fides implicita, remise de soi sans réserve, confiance tacite qui choisit sa parole en choisissant son porte-parole). On peut dire aussi qu’il s’agit d’une forme d’aliénation, de servitude volontaire ? J’ai souvenir (JPR) d’un article de Gustave Ansart, leader communiste du Nord, qui parlait des ouvriers socialistes comme d’un prolétariat assisté. L’assistanat ? Rien ne hérisse plus le militant communiste ou apparenté … (lien : lenstome4.canalblog.com › les hommes ) Bref, on le constate, il y avait un monde d’écart entre le Vieux syndicat et la Vieille maison, d’une part, et le jeune parti communiste né en 1920, d’autre part. II. IMMIGRATION Après
la catastrophe de la guerre 1914-1918, la France perd des morts et des mutilés,
elle manque de bras. C’est l’arrivée des Polonais. A la fin des années 20’ on
dénombrera aussi 3.500 Algériens (certains, Kabyles, sont arrivés avant 1914). Dans
un article du 6 août 1923, Le Peuple,
organe de la CGT socialiste, intitulé "Le
grand problème de la main-d’œuvre étrangère", on "met en garde", écrit Janine Ponty, "contre l’invasion de la France par la
main-d’œuvre étrangère" [4]. L’auteure précise toutefois qu’il y a là un désaccord avec la fédération CGT des travailleurs du sous-sol, à cette époque présidée par Paul Vigne. Les affaires se corsent avec la création de la "société des ouvriers polonais" au signe Z.R.P.F. en langue originale. Cette société se pose en concurrente de la CGT et de la CGTU pour la défense des intérêts matériels et moraux des immigrés. En 1925, cette société qui représente aussi les intérêts du gouvernement de Varsovie, parle des communistes en ces termes : "c’est le Satan rouge qui s’efforce d’organiser l’enfer sur terre". "Dès le début de la crise (économique, 1931 en France) l’opinion se déchaîne contre les immigrés. La xénophobie fait tache d’huile. (…). "Ils viennent manger le pain des Français ! Qu’ils retournent d’où ils viennent ! Sales Polacks !" ". "La crise et la montée du chômage touchent les usines et les mines. Dans les bassins, les compagnies ferment des puits. Ainsi dans le Nord-Pas-de-Calais, les effectifs tombent de 190.000 en 1927 à 140.000 en 1935. Variables d'ajustement dans un contexte de stigmatisation des étrangers, les mineurs renvoyés sont souvent des Polonais. En 1934, la Statistique de l'industrie minérale signale que "la persistance et la gravité du chômage ont rendu nécessaire le licenciement d'une partie du personnel étranger, 4 750 ouvriers environ ont été évacués en 16 convois de rapatriement" [5]. C’est dans ce contexte qu’a lieu à la fosse 10 de l' Escarpelle (commune de Leforest, arrondissement de Douai, Nord) la grève avec occupation de la mine, aussi à la cité du Bois de Leforest (PdC). Thomas Olszanski, syndicaliste CGTU actif lors de la grève, témoigne : "Dans le puits, on ne pouvait pas envoyer une division de gendarmerie montée pour charger les grévistes, sabre au clair. On ne pouvait pas non plus envoyer des briseurs de grève, car l'ascenseur qui les transporterait serait bloqué". Les grévistes polonais de ce moment grave de l’histoire des mineurs étaient en effet adhérents du PCF et/ou de la CGTU. Promesse est faite que les grévistes ne subiront pas de représailles. Pourtant, rapporte Olszanski, "tout de suite après la fin de la grève, les membres du comité de grève furent arrêtés pendant la nuit et envoyés à la prison de Béthune, et le lendemain, cent cinquante familles de mineurs polonais reçurent l'ordre des autorités françaises de quitter la France dans les 24 heures". Cela se passe dans le Bassin minier, mineurs du Pas-de-Calais ou mineurs du Nord, cela n’a pas d’importance. C’est une page noire. Les gouvernements en place sont ceux issus du 6 février 34 : cabinet Doumergue, cabinet Laval… La France utilise la main-d’œuvre étrangère quand elle en a besoin et la refoule en période de crise. La solidarité des mineurs fut réelle mais loin d’être unanime. Il y avait des mineurs xénophobes. Ancêtres des électeurs FN d’aujourd’hui. Au total, ce sont 20675 mineurs polonais qui disparaissent. III VERS LA RÉVOLUTION… NATIONALE ! Beaucoup d’éléments ont concouru à maintenir voire à développer l’idéologie traditionaliste dans le Pas-de-Calais. Rappelons l’emprise de l’ Église catholique, l’hostilité à la Révolution et l’ampleur de l’influence bonapartiste, le respect du patron généreux, le culte du chef, le sentiment d’infériorité chez les ouvriers lié à une sous-scolarisation massive, l’esprit corporatiste qui dénigre les autres professions ouvrières et qui est renforcé par ce qui peut être vécu comme une co-gestion de l’entreprise avec le patronat, la xénophobie revers du localisme, etc… La fête des mères, novation emblématique du gouvernement de Vichy, ne pouvait qu’être bien accueillie dans le département. Dans l’Artois méridional, se présente, en 1924, une liste -élections proportionnelle au scrutin de liste- très conservatrice -Atlas électoral dixit -"des familles nombreuses". La fille est appelée à être mère de famille et à ne pas être salariée. Si elle travaille, c’est qu’elle n’est pas encore mariée et elle se montre "peu fiable et très mobile, s’arrêtant temporairement ou définitivement dès que (son) devoir familial l’imposait" (Sawicki). C’est dans le bassin houiller que les taux d’activité féminine sont les plus bas de la région et que - corollaire - les taux de fécondité sont parmi les plus élevés de France. Mao disait que le plus dur était de demander aux paysans chinois de ne pas faire d’enfant à leur femme en rentrant de la rizière. Le mineur - constamment exposé à la mort (Pierrard) - tout aussi harassé par le travail ne néglige pas le repos du guerrier. C’est en tout cas ce que nous incitent à penser les chiffres et aussi bien Zola que Berri dans leur Germinal. On pense à l’apophtegme de Flora Tristan : "L’homme le plus opprimé peut opprimer un être, qui est sa femme. Elle est le prolétaire du prolétaire même". Charbonnier est maître chez soi, c’est bien connu [6]. Mais n’allons pas trop loin. Des femmes de mineurs sauront se dresser face à l’ennemi, comme Émilienne Mopty. Émilienne Mopty juin.1941 et 2012.pdf Nous l’avons vu, la crise des années 30’ n’a pas épargné le Nord-Pas-de-Calais. Y compris dans les domaines idéologique et moral. Il n’y a pas eu de parti fasciste à ma connaissance créé durant cette période, mais des personnalités s’engagent dans des mouvements et réseaux qui les conduiront au Conseil national de Vichy ou à la collaboration avec l’ennemi. Il y a ainsi les députés Paul Bacquet, avocat, (Boulogne 1ère, élu en 1932) et Louis de Diesbach de Belleroche, propriétaire agricole, "chef de terre" comme disaient les pétainistes, maire et conseiller général, (Arras 1ère, élu en 1932), tous deux membres du Conseil national de Vichy. Le député S.F.I.O. G. Beltremieux (Béthune 6ème), élu du Bassin houiller (Houdain) sera également distingué par le Maréchal. Sawicki nous apprend que "Joseph Hanotel (1880-1953), secrétaire de la section SFIO de Lens dans l'entre-deux-guerres, est lui-même un ancien ouvrier mineur devenu permanent syndical. Premier adjoint au maire de 1935 à 1941, il se compromet dans la collaboration en devenant maire de 1941 à 1944". Georges Dumoulin, SFIO, qui fut secrétaire du syndicat des mineurs du Pas-de-Calais, puis secrétaire général de l’Union départementale (réunifiée depuis 1935) CGT du Nord, sombra dans le pacifisme et l’ antisoviétisme, fit exclure les communistes du syndicat en 1939, fut nommé membre du Conseil National de Vichy et, ultima trajecta, devint collaborationniste et, donc, condamné à mort par contumace à la Libération. Dans le même registre, on peut citer les membres de la tendance droitière de la SFIO, animée par Paul Faure, et d’ailleurs appelés les paulfauristes. "Hostiles à toute unité d'action avec les communistes, refusant l'intervention en Espagne, munichois et favorables jusqu'à la fin à une politique de conciliation avec Hitler" beaucoup d’entre eux ont abouti à la Collaboration dont leur leader qui entre au C.N. de Vichy. Analysant le groupe des collaborateurs des journaux paulfauristes, Castagnez-Ruggiu aboutit à la conclusion suivante : "l’engagement syndical d’au moins un tiers des collaborateurs a pu être confirmé. Certains menaient d'ailleurs de front la lutte syndicale et politique. Les instituteurs (près d'un quart), les cheminots et les mineurs étaient les plus nombreux"[7]. Au demeurant, Paul Vigne, secrétaire de la fédération CGT du sous-sol en fut, lui qui, pourtant avait pris le parti des mineurs polonais une décennie auparavant (cf. supra). Tout cela autorise Sawicki à écrire ce qui suit : "À la Libération, les compromissions dans la collaboration de beaucoup de dirigeants du Vieux-syndicat achèvent d'imposer l’hégémonie communiste sur le syndicalisme minier. L'attirance pour la Charte du travail, (Vichy, 4-X-1941, JPR) dans laquelle certains dirigeants de l'ancienne CGT pouvaient voir reconnue leur pratique corporative, ajoutée au souci, réel pour certains, de protéger les mineurs réquisitionnés par les Allemands et directement sous la coupe du Gouvernement général, a définitivement discrédité la plupart des vieux-syndicalistes, donnant au PC le quasi-monopole sur la résistance dans le bassin minier. Son rôle moteur dans l'organisation de la grève de mai-juin 1941 contre les Allemands lui a en outre permis d'atteindre une aura sans précédent (…)". Il est heureux de rappeler la grande grève des mineurs de mai 1941 dans le Bassin occupé par les Allemands, instiguée par les communistes, avant l’invasion de l’URSS par les nazis, mais je rappelle que le but de cette série articles est d’expliquer le pourquoi des votes FN dans le Pas-de-Calais. La grève de 1941 est ici sans secours. Cela étant dit, il est évident que les pratiques du vieux-syndicat ne pouvaient que faire le lit du pétainisme. Mais il est tout aussi juste de souligner le rôle des socialistes dans la Résistance, tous n’ont pas collaboré ! Tant s’en faut. Observons maintenant le comportement électoral du Pas-de-Calais. Pour la lecture des cantons, je suggère cette carte extraite de l'Atlas électoral. IV LES ÉLECTIONS DE 1924 14 députés sont à élire. Le choix de 1924 s’explique par le fait que ce sont les premières élections générales d’après le congrès de Tours. La majorité des délégués avait voté pour l’adhésion à la III° internationale communiste mais, sur le terrain, les adhérents restent dans la Vieille maison. Dans une proportion de 75/25 pour la SFIO dans la Pas-de-Calais (70/30 dans le Nord). Le nouveau PCF obtient 6,9% des inscrits du Pas-de-Calais soit à peu près son score national (mais 12,8% dans le Nord). Alors que la SFIO obtient 28,2% pour 13% au plan national. La représentation parlementaire du département sera de 8 députés pour la droite et 6 pour la SFIO : le Pas-de-Calais tarde à basculer et cela montre bien l’emprise du traditionalisme sur les esprits. Concernant la carte des votes communistes dans le Pas-de-Calais, elle est bien blanche… Les quelques cantons qui émergent sont ceux où le parti obtient entre 15 et 20% des inscrits soit : Vitry-en-Artois, Vimy. Ceux où il obtient entre 10 et 15% des inscrits sont : Houdain, Béthune, Arras-sud, Marquion. La carte du vote SFIO est beaucoup plus étoffée. Dans le Haut-Artois, les arrondissements sont plutôt réfractaires sauf les cantons d’Arques et de Lumbres ainsi que ceux de Calais et Marquise. Le Haut-Artois est le fief de la droite et droite-extrême. Dans l’Artois méridional, les scores sont élevés, le versant picard (voir 1ère partie) vote socialiste notamment Le Parcq et Auxi-le-Château. Surtout, les cantons du Bassin houiller sont un fief. V LES ÉLECTIONS DE 1936 Ce sont les élections du Front populaire. 15 députés sont à élire. Les résultats du Pas-de-Calais confirment que la Gauche ne réalise pas un raz-de-marée. La droite conservatrice passe de 35,7% en 1924 à 39,8% des inscrits. Elle a 5 députés. Le total des voix d’extrême-gauche (SFIO+PCF), ainsi que l’écrit sans cesse François Goguel, est de (28,2 + 6,9 =) 35,1% en 1924 et de (22,7 + 15,8 =) 38,5% des inscrits en 1936. Cette progression est due uniquement au PCF qui multiplie ses suffrages par 2,3. La victoire du Front populaire s’explique par la discipline électorale qui fait élire 3 députés radicaux-socialistes dans le département (Arras 1ère, Montreuil et St-Omer 1ère). La représentation du département à la Chambre est donc de 5 députés de droite et 10 députés du Front populaire. Le PCF compte son premier député de l’histoire : Cyprien Quinet élu dans la 5ème circonscription (retour au scrutin d’arrondissement) de Béthune. La SFIO garde ses 6 sièges. Le Pas-de-Calais est enfin passé à gauche. Scrutin à deux tours : il fallait pouvoir bénéficier du désistement d’un autre candidat Front populaire pour espérer être élu au 2ème tour. Comme souvent, tout s’est bien passé dans le sens extrême-gauche vers centre-gauche (Rad.-Soc.), un peu moins en sens inverse. Ainsi, des voix radicales manquent au candidat SFIO pour être élu à Arras 1ère. Les auteurs de l’Atlas électoral relèvent : "Les candidats communistes n'ont pas toujours bénéficié au 2e tour du report intégral des voix socialistes. Il manque plus de 2000 voix dans chacune des circonscriptions valenciennoises, dont une bonne partie se reporte sur la droite et à Béthune IV, un quart des voix socialistes suivent le même chemin". Ces manquements à la discipline ne cesseront pas. Mais nous avons déjà des éléments d‘explication. Carte des suffrages communistes de 1936 : Les cantons des arrondissements occidentaux commencent à se distinguer les uns des autres. Ceux de Calais et Boulogne-nord particulièrement. Arras-sud et Vitry-en-Artois donnent entre 15 à 20% des inscrits au PCF. La "percée" est manifeste dans le Bassin avec 30 à 40% dans les cantons de Houdain et Sains-en-Gohelle, entre 20 et 30% à Norrent-Fontes, Liévin. NB. Les limites de cantons ont bougées, ce ne sont pas tout à fait les mêmes en 36 et aujourd’hui. NB2 : les auteurs ne raisonnent qu’en termes d’électeurs inscrits et ont conservé les mêmes gradations d’une carte à l’autre, ce qui permet les comparaisons. BIBLIOGRAPHIE (toujours) SOMMAIRE Tout à fait incontournables : - Pierre PIERRARD (Institut catholique de Paris), "Histoire du Nord, Flandre, Artois, Hainaut, Picardie", Hachette littérature, Paris, 406 pages, 1978. - F. SAWICKI, Centre de recherches administratives, politiques et sociales, CRAPS, Université Lille II, "Les réseaux du parti socialiste, sociologie d’un milieu partisan", Paris, Belin, 1997 ; chapitre 2 : "Le socialisme dans le Pas-de-Calais : une fédération « militante et ouvrière »". En ligne. C’est cette étude très fine qui m’a fait traiter le Pas-de-Calais à part au sein de la Région Nord-Pas-de-Calais. - Yves-Marie HILAIRE et al., Atlas électoral du Nord-Pas de Calais, publications de l’université de Lille III, PUL, S.P. 18, 59650 Villeneuve d’Ascq. 1er volume : de 1876 à 1936, sorti en 1977 2ème volume : de 1946 à 1972, sorti en 1972 3ème volume ; de 1973 à 1992, sorti. Plus spécifiques : - Vidéo de l’ INA à voir, avec sa notice : « Les grèves à l'Escarpelle et l'expulsion des Polonais en 1934 », http://fresques.ina.fr/memoires-de-mines/fiche-media/Mineur00138/les-greves-a-l-escarpelle-et-l-expulsion-des-polonais-en-1934.html - CASTAGNEZ-RUGGIU Noëlline, "Le Pays Socialiste, par la Liberté, par la Paix : des socialistes pacifistes autour de Paul Faure". In : Matériaux pour l'histoire de notre temps. 1993, N°30. S'engager pour la paix dans la France de l'entre-deux-guerres ; pages 48 - 52. doi : 10.3406/mat.1993.404093 url : /web/revues/home/prescript/article/mat_0769-3206_1993_num_30_1_404093 - François GOGUEL, Cahier F.N.S.P. n°159, Géographie des élections françaises, A. Colin, 1970. - Janine PONTY, "Polonais méconnus", Publications de la Sorbonne, 2005, 474 pages. - Pierre PIERRARD, "La mine et le Bon Dieu", revue L’HISTOIRE, n°19, année 1980, pp. 12-20. Indispensable pour comprendre les liens (ou l’absence de liens) entre les mineurs et l’Église. - J.-P. RISSOAN, https://sites.google.com/site/jeanpierrerissoan/articles/analyses-electorales/nord-pas-de-calais études lumineuses, éclairantes comme la lampe du mineur. - lenstome4.canalblog.com › les hommes (iconographie intéressante, point de vue socialiste). - ETCHEBARNE Serge, "Chapitre 14, Le FN dans le nord ou les logiques d'une implantation électorale", in Nonna Mayer et Pascal Perrineau, Le Front national à découvert, Presses de Sciences Po, 1996 p. 284-306. *** A SUIVRE : L’Artois 1947 - 1981 (3ème partie) *** [1] Mot de Léon Blum. Elle n’est pas si vieille que cela, elle date de 1905, soit 15 ans avant le congrès de Tours. [2] "Les réseaux du parti socialiste, sociologie d’un milieu partisan", Paris, Belin, 1997 ; chapitre 2 : "Le socialisme dans le Pas-de-Calais : une fédération « militante et ouvrière »". En ligne. [3] Il n’est pas interdit de faire le lien avec le comportement politique de Jacques Mellick. [4]
"Polonais méconnus",
Janine Ponty, Publications de la Sorbonne, 2005, 474 pages. Ne pas confondre CGT et CGTU ... [5] Vidéo de l’INA à voir, avec sa notice : « Les grèves à l'Escarpelle et l'expulsion des Polonais en 1934 », http://fresques.ina.fr/memoires-de-mines/fiche-media/Mineur00138/les-greves-a-l-escarpelle-et-l-expulsion-des-polonais-en-1934.html [6] Les premiers mineurs étaient appelés « charbonniers ». [7] Castagnez-Ruggiu Noëlline, Le Pays Socialiste, par la Liberté, par la Paix : des socialistes pacifistes autour de Paul Faure. In : Matériaux pour l'histoire de notre temps. 1993, N°30. S'engager pour la paix dans la France de l'entre-deux-guerres ; pages 48 - 52. doi : 10.3406/mat.1993.404093 url : /web/revues/home/prescript/article/mat_0769-3206_1993_num_30_1_404093 Consulté le 18 novembre 2014. |
L'Artois, des Temps modernes à 1914.
L’électorat FN ne cesse de croître dans le département du Pas-de-Calais comme en témoigne le tableau ci-dessous : (voir la liste des sources en fin de seconde partie). Le léger recul de 2007 étant dû, comme chacun sait, aux promesses du candidat Sarkozy dont le quinquennat propulsa LePen à plus de 25% en 2012.
Cette progression tranche avec l’image qu’on peut avoir de nos compatriotes du Nord de la France : pays des carnavals, de l’accueil fraternel (cf. le logo officiel de la Région), de la bonne bière et de la bonne chère. Image dont le cinéma s’est emparé… Mon propos consiste à chercher pourquoi le FN peut atteindre un score du niveau de 20% des inscrits et comme disait F. Braudel à Marc Ferro, pour bien comprendre, il faut remonter loin. Je n’irais pas jusqu’au Néolithique mais il faut bien dire deux mots de la Renaissance et du XVI° siècle.
Voici d’abord une carte (candidat arrivé en tête dans chaque canton) qui montre les lignes de
forces géographiques des courants politiques en 2012 et qu’il faut connaître : Pour donner un peu de "chair" à cette abstraction électorale, je crois utile de présenter une carte de localisation des principales villes avec le réseau hydrographique ainsi que le célébrissime BASSIN HOUILLER qui, même si l'extraction de houille est définitivement arrêtée - demeure un élément structurant essentiel de la géographie humaine -et donc politique - du Pas-de-Calais (voir la carte des abstentions L'Artois, 4ème partie : l'aujourd'hui.) L'intérêt de cette carte est le suivant : les collines de l'Artois sont un bombement, une ondulation de la couverture sédimentaire. Ce mouvement tectonique a épousé une direction NO-SE bien connue des géographes. La carte montre bien cet alignement des lignes de crête avec des sommets vertigineux comme les 122 m aux sources de l' Aa. Il y a donc une hydrographie conséquente : les rivières comme la haute Aa, la Lys, la Lawe qui arrose Béthune, la Deule qui passe à Lens et même la Scarpe, descendent vers le côté flamand. De l'autre côté, les affluents de rive droite de la Canche et le cours supérieur de ce fleuve lui-même sont de direction orthogonale par rapport à l'axe des collines. Notez que les fleuves picards sont de même direction que les Collines de l’Artois. C'est donc le versant picard. Et vous avez noté que le versant flamand a voté Hollande et les versant picard a voté à droite. Notons également que l'Aa inférieur, après un coude brutal à hauteur de St-Omer, passe à travers la plaine de Flandre maritime, il sert de limite administrative entre Nord et Pas-de-Calais : c'est une limite parfaitement artificielle : les communes de rive gauche (Ouest de l'Aa) ont le même comportement politique que leurs sœurs de la rive droite la Flandre, traditionalisme et vote LePen Le canton d' Audjruicq a placé en tête LePen au 1er tour de 2012. En hachures rouge : le Bassin houiller. Voici
maintenant quelques grands traits qui me semblent structurer la vie politique
de l’Artois-Pas de Calais, traits qui sont apparus pendant notre période
(jusqu’en 1914). J’apporterai des éléments supplémentaires dans le prochain
article qui sera consacré à l’Artois durant l’entre-deux-guerres. . I. UN PAYS CATHOLIQUE Comme le montre la carte Boulard (lien CHANOINE BOULARD : LA RELIGION, VARIABLE POLITIQUE MAJEURE.(atlas) le catholicisme est très prégnant dans la région. Flandre et Artois sont souvent associés de ce point de vue. Ci-dessous: Flandres, Hainaut et Artois en 1477 et l’évêché de Cambrai (à cette date, Calais est toujours anglaise). La réforme protestante affecte surtout les provinces du Nord des Pays-Bas[1], celles du sud (dont Flandre et Artois) restent catholiques. Les Espagnols - à une date où ils étaient le bras armé du Vatican (voir leur immixtion dans les affaires françaises lors de la Sainte Ligue de 1585-1594, cf. mon livre, ici-même) - surent jouer sur la corde catholique pour détacher les provinces du sud de celles du nord. Il fallait sauver l’essentiel puisque le Nord hollandais semblait leur échapper. Ce fut l’Union d’Arras qui proclama son obédience catholique (1579) et espagnole. Victoire de la diplomatie papale et aussi de la servitude volontaire. Il est vrai que ces provinces, davantage agricoles, plus que les provinces néerlandaises davantage tournées vers la mer et le commerce, ces provinces restaient sous domination de la noblesse laquelle eut maille à partir avec Guillaume-le-Taciturne. Surtout quand ce dernier sembla se mésallier en contractant avec le peuple et les bourgeoisies urbaines. Sept provinces protestantes s’unirent dans l’Union d’Utrecht (1579) : ce seront les Provinces-Unies ; république "bourgeoise". Ce n’est qu’en 1648, aux traités de Westphalie, que celles-ci furent reconnues, formellement et solennellement, indépendantes et souveraines par la communauté des Nations. Voici donc une première indication : le comté d’Artois resta fidèle au pape et au Roi d’Espagne ; il est imprégné de catholicité. Le comté d’Artois devint français à partir de 1640 - victoire de Lens - (acquisition confirmée au traité des Pyrénées (1659) 2. Formation territoriale de la France (2ème partie). De François Ier à Mazarin. Et il s’agit d’une catholicité de combat : celle du concile de Trente. Sous le règne de Louis XVI, le frère du roi - Charles, futur roi qui, en 1830, voulut rétablir l’Ancien régime - prit le titre de Comte d’Artois [2]. Charles était un contre-révolutionnaire pur et parfait, il n’aurait pas pris le nom d’une province connue pour sa mécréance. Lors de la Révolution, les prêtres réfractaires à la constitution ont été majoritaires en Artois - pour ne rien dire de la Flandre qui n’est pas dans notre sujet - "une complicité quasi générale leur permettaient même de vivre, plus ou moins clandestinement, au milieu des fidèles" (Pierrard). En 1832, année du choléra, les pèlerinages devant les statues de la Vierge sont légion. Durant la Monarchie de Juillet, une "véritable guerre scolaire" oppose les partisans des Frères des écoles chrétiennes, soutenus et financés par les Légitimistes, aux tenants de "l’école mutuelle". En 1850, la contre-révolution au pouvoir fera voter et appliquer la loi Falloux "qui humilie les instituteurs en les faisant passer sous le contrôle du curé, (qui) favorise les congrégations - les jésuites en tête - et permettra aux catholiques (…) de multiplier les écoles et les collèges libres" (Pierrard). Les diocèses de Cambrai et d’Arras "ont les yeux tournés vers Rome et sont attentifs à tous les besoins du pape". C’est ainsi qu’en 1867, le diocèse d’Arras assure l’entretien d’une grosse compagnie de 116 zouaves pontificaux, le tout payé par les fidèles avec le denier de Saint-Pierre. C’est dans cette ambiance que nait le petit Philippe, authentique artésien. Henri, Philippe, Benoni, Omer Pétain naît en 1856, à Cauchy-à-la-Tour, près de Béthune (Pas-de-Calais). Il naît à la ferme, entre une étable et un poulailler ; c’est le quatrième enfant d’une famille qui est très pieuse. Sa mère meurt après avoir donné naissance à son cinquième enfant. Son père se remarie et a encore quatre enfants. Son enfance se passe sous l'influence de l'oncle de sa mère, l'abbé Legrand. De 1867 à 1875, il est pensionnaire au collège Saint-Bertin de Saint- Omer, où enseigne l'abbé Legrand. L’atmosphère y est hostile à Napoléon III, c’est-à-dire qu’elle est légitimiste. En 1875, le jeune Philippe est attiré par la renommée du père Didon, un dominicain de choc, ultramontain et traditionaliste, futur anti-dreyfusard d’extrême-droite. Il entre au collège dominicain d'Arcueil (dont Didon sera ultérieurement le proviseur). Après quoi, il est reçu à Saint-Cyr, 403° sur 412 admis [3]. Tableau peint au moment de la naissance de Pétain (ambiance). Comment insuffler l'esprit de révolution à ses femmes agenouillées ? Ces comportements ne disparaissent pas en un jour. Notez la localisation du tableau : musée d'Arras. La République est menacée après le désastre de
1870, après la prise de Rome par les Italiens, après la Commune de Paris par
une formidable vague monarcho-cléricale contre-révolutionnaire, marquée, surtout
en 1872 et 1873 après la chute de Thiers, par des prières publiques, des
consécrations, des érections d'églises consacrées au Sacré-Cœur, des processions,
des pèlerinages dont celui d’ Amettes, village artésien -canton d’ Auchel- où est
né le saint mendiant Benoît-Joseph Labre qui sera opportunément canonisé en
1881. La cause de Pie IX - le pape de l’infaillibilité - et celle du comte de
Chambord (Henri V) se mêlent alors dans les élans des foules, à l'exécration de
la République et au salut de la patrie coupable, châtiée mais repentante. Ci-dessous : 10 mars 1906, bénédiction des mineurs victimes de la catastrophe. II. L’HOSTILITÉ A LA RÉVOLUTION ET, DONC, A LA RÉPUBLIQUE Pays agricole, l’Artois est socialement coupé en deux ; les riches et les pauvres, les seigneurs et les paysans. Ces derniers suivront la Révolution de 1789 à contrecœur, une fois chassés les moines, gros décimateurs détestés [4]. De cette méfiance témoignent tous les administrateurs et les missi dominici de la Révolution : "La cocarde civique ne paraît plus se porter dans Lille qu'avec peine" (Lille, 1790); "jetez donc les yeux sur notre malheureux canton (de Pernes-en-Artois) toujours en proie à la voracité du royalisme et du fanatisme" (Pernes, an IV); "l'esprit public se détériore de jour en jour... " (Douai, an V); "la plupart des fonctionnaires sont animés par l'esprit de la contre-révolution" (Arras, an VI); "toujours même insouciance pour les affaires publiques, toujours même dégoût pour les institutions républicaines" (Lille, an VII). Les rapports des agents du Directoire signalent de très nombreux attentats contre les arbres de la liberté qui ont été plantés en 1789. Outre les dégâts provoqués par les guerres et les armées qui passent et repassent dans cette traditionnelle zone de transit et d’invasions, les paysans s’insurgent contre la levée en masse qui leur prend les bras de leurs fils. La levée en masse de 300.000 hommes (1793) est appliquée en Artois comme ailleurs. Dans le district de Saint-Pol (aujourd’hui Arras), les résistances sont fortes, surtout à Pernes (aujourd’hui canton d’ Heuchin) qui fut qualifié de "petite Vendée". Même chose lorsqu’est mise en place la conscription, "en 1813-1814, les déserteurs et les insoumis pullulent (…). Une armée qui prépare le retour du roi et l’arrivée des alliés" est mise sur pieds. Ainsi, "une autre « petite Vendée » se constitue en Artois " écrit Pierrard. Les Bourbons sont accueillis avec ferveur et tout rentre dans l’ordre : "les hommes à passion sont peu nombreux ici et la masse des habitants sincèrement dévouée au roi, à la légitimité et à la charte, ne se mêle pas de politique" (préfet du Nord, 1819). <= L’Angélus Sous la Monarchie de juillet, malgré l’élargissement du scrutin censitaire, "l’Artois et la Flandre sont le plus souvent représentés par des légitimistes" alors que le reste des deux départements votent pour la bourgeoisie orléaniste. Au referendum de 1852, suffrage universel masculin, pour le rétablissement de l’empire, "le Pas-de-Calais, avec 84,7 de oui par rapport aux inscrits (c’est moi qui souligne, JPR) est en tête des départements français. 3876 non sur 161450 votants". A l’échelle nationale, le "oui" obtient en effet 76,7% des inscrits. En 1857, tous les candidats officiels de l’administration impériale "passent sans mal, souvent sans concurrent" lors des élections législatives. Le second empire correspond, grosso modo, à une phase d’expansion économique (phase A d’un Kondratieff), Napoléon III est un interventionniste en économie, bref, le Pas-de-Calais garde longtemps la nostalgie de cette période et cela se traduit au plan électoral. Lors du plébiscite de mai 1870, le département vote "non" à hauteur de 6% des inscrits au lieu de 14% pour l’ensemble du pays. Bully, à l'ouest de Lens, qui n'est encore qu'un bourg rural et qui prendra le nom de Bully-les-Mines en 1921, donne 355 voix à l'empereur, le 8 mai 1870, 1 seul votant la lui refuse... , C’est pourquoi aux élections de 1876, alors que la République est officiellement -quoique fragilement- proclamée depuis l’amendement Wallon de 1875 - le Pas-de-Calais se distingue en envoyant à Paris -outre deux légitimistes- quatre députés bonapartistes ce qui lui vaut le qualificatif de Corse du Nord (Pierrard)… Il existe un courant anti-républicain chez les
ouvriers artésiens dont certains ont été sensibles aux sirènes bonapartistes.
Daniel Halévy, dans son livre célèbre "La fin des notables", raconte
cet épisode significatif : "l'hostilité des chefs républicains à tout
ce qui portait la marque prolétarienne était si visible que les mineurs
d'Anzin, en juillet 1878, déclarant la grève, (sic) adopteront pour
meneurs des agents bonapartistes. C'est au cri de : "Vive Napoléon IV" qu'ils tenteront
de débaucher les mineurs de Denain qui refuserons de les écouter et les
chasseront au cri de : "Vive la République". Freycinet [5],
au mois d'août, traversant la ville, félicitera ceux-ci d'avoir su résister,
patienter et souffrir pour la République". Certes, cet incident
extrêmement révélateur se situe dans le Nord, département voisin. On
m’accordera que les mentalités ont pu être les mêmes en Pas-de-Calais, la Corse du Nord. III. Les élections de 1877 : "se soumettre ou se démettre" 10 députés sont à élire. En 1877, lors de la grande crise entre monarchistes et républicains, entre Mac Mahon et Gambetta, le Pas-de-Calais, au rebours de ce qui se passe en France, envoie une nette majorité de monarchistes. Les élections générales de 1877 résultent d’une dissolution de la Chambre, élue en 1876, par le président de la république royaliste (oxymore qui dit bien le danger de restauration monarchique) le maréchal-duc de Mac Mahon (voir mon livre, ici-même, vol. 1). L’enjeu est clair et grave : république ou monarchie. Le PdC choisit son camp : ce sera la monarchie. Tableau : vote de 1877 en Pas-de-Calais
Source :
établi à partir des données de l’Atlas électoral N.-PdC.(% par rapport aux INSCRITS) Le chiffre des abstentions montre le degré de mobilisation des masses (cf. tableau) pour voler au secours de la monarchie et du maréchal. Mac-Mahon bien sûr. Les 16% d’électeurs supplémentaires vont, pour 11% aux Monarchistes, pour 5% aux Républicains. La couleur politique des monarchistes est la suivante : 7 bonapartistes, 1 légitimiste, 1 monarchiste. Parmi lesquels le marquis Alphonse d’Havrincourt grand propriétaire foncier (Arras 2°), Louis de Clercq, fils de banquier, administrateur des mines de Courrières, propriétaire terrien (Béthune 2°), le châtelain Adolphe Partz de Pressy, grand propriétaire, légitimiste d’extrême-droite [6] (St-Pol). Citons encore le bonapartiste intransigeant (sic) Charles Levert, sous-préfet et préfet bonapartiste sous l’empire, élu député par les Artésiens dès 1872, futur boulangiste. Jules Hermary, industriel dans la brasserie (Béthune 1°). Omer Dussaussoy, industriel (Béthune II°). Ce goût des Artésiens pour les élites, cette servitude volontaire, est une conséquence directe de l’imprégnation religieuse et d’un solide encadrement par les notabilités religieuses ou civiles. Mais les masses en question restent aussi fidèles à la droite césarienne : le bonapartisme. Toutes choses à retenir pour expliquer le vote LePen, des décennies plus tard. Après la victoire définitive des républicains -en France, pas dans le département- les catholiques artésiens réagissent aux lois laïques de Ferry. Et les efforts considérables des catholiques portent leurs fruits. "En 1893, le Nord est le premier département français à la fois pour le nombre d'écoles primaires congréganistes (783) et le nombre d'élèves (144030) et pour le nombre d'écoles libres (550) et le nombre d'élève (92 898) Proportionnellement, il en est de même dans la Somme et surtout le Pas-de-Calais" (Pierrard, c’est moi qui souligne JPR). Mais la question scolaire, en créant parallèlement à l'enseignement officiel un enseignement "libre" -en fait catholique- avec tous ses organismes scolaires et parascolaires, a fortement contribué à opposer, dans les départements du Nord-Pas de Calais, deux blocs antagonistes : face à un parti conservateur et clérical puissant et organisé, appuyé sur ses écoles, ses collèges, ses facultés, ses œuvres, et aussi ses presbytères de campagne, les républicains anticléricaux constituent une force importante s'appuyant sur les ouvriers et les classes moyennes des villes (où prospèrent des loges maçonniques) et sur les campagnes peu chrétiennes de l'Avesnois et d'une partie du Cambrésis, du Santerre ou environs de Bapaume (Pierrard). IV. Les élections de 1902 : la république radicale 12 députés sont à élire. Un mot d’abord sur les élections partielles qui ont précédé ces élections générales. Les élections partielles de 1891-92 ont vu poindre le courant socialiste. Les trois premiers succès socialistes dans la région du Nord sont obtenus lors de trois élections partielles successives en 1891-92. Outre celle de Lille (Paul Lafargue), deux concernent le bassin houiller du Pas- de- Calais. Le syndicat des mineurs, qui a organisé les grandes grèves des années 1884 et 1889-91, fait élire ses dirigeants Émile Basly et Arthur Lamendin. A Béthune I° (Lens-Carvin) Basly est élu largement dès le premier tour avec 8.895 voix sur 20019 inscrits. Le candidat arrivé second obtient 5.477 voix. A Béthune II° (cantons de Béthune, Houdain, Cambrin) il faut deux tours. 1er Tour : Inscrits 22.353. Lamendin, 6.083 - Legillon, opport, 5.491 - Dellisse, cons. 5.037 2ème Tour: Lamendin, 8.731, élu - Dellisse, 7.040 - Legillon, 333 Le choix des élections de 1902 se justifie de la façon suivante : depuis 1899, la France a un gouvernement de défense républicaine, élu par la Chambre en raison des excès des anti-dreyfusards, le gouvernement Waldeck-Rousseau LA RÉPUBLIQUE EN FRANCE : 1879-1914 (2ème partie). En 1902, la question posée au peuple français est de savoir s’il faut donner quitus à ce ministère et poursuivre sur la même voie ou, au contraire, s’il faut le sanctionner et retourner à un gouvernement conservateur. Vandenbussche parle d’une "élection de combat" et de "conditions réunies pour faire de ce scrutin un véritable referendum pour ou contre la défense républicaine » ". J’ajouterais pour ou contre l’alliance du sabre et du goupillon. Comment réagissent nos Artésiens ? D’après
les auteurs de l’Atlas électoral [7],
la participation électorale est très forte dans les campagnes et les beaux
quartiers mais en baisse chez les ouvriers qui avaient voté socialiste en 1898.
Mécontentement chez ces derniers d’une part, réaction à droite virulente face à
la République expliquent l’échec de Jules Guesde à Roubaix (Nord), par exemple.
La droite catholique progresse fortement, les centristes autoproclamés "républicains progressistes" sont en réalité de droite : ils sont
élus dans le St-omerois (1° et 2°) où la droite ne présente pas de candidats
contre eux, à St-Pol. Quant à Beharelle (Béthune 4°), "il doit son élection à la droite". En
fait, les républicains progressistes sont les pères de la Fédération
républicaine, droite qui se déplacera vers l’extrême-droite. NB. les chiffres du tableau ci-dessous sont donnés par rapport au inscrits.
Somme toute, il y a stabilité des rapports de force malgré une radicalisation de la droite. Mais droite et centre (en réalité droite-extrême et droite) gardent la majorité absolue des électeurs inscrits. La droite conserve ces 9 députés, la gauche en a 3, grâce au découpage qui a fait passer la représentation de 10 à 12 députés. Le Pas-de-Calais n’est encore pas un bastion républicain. V. LE CAPITALISME PATERNALISTE
Avec le développement de l’industrie extractive et la diffusion des idées socialistes, un fief se dresse face au parti conservateur : le bassin minier. Avec des nuances locales : "le mineur du Nord, plus anciennement implanté, manifeste plus tôt que le mineur du Pas-de-Calais, d'atavisme plus paysan, une indifférence religieuse qui se muera rapidement en hostilité". (Pierrard). Le capitalisme se développe de manière impétueuse dans le Pas-de-Calais où l’exploitation du charbon débute en 1841. De grandes grèves éclatent sous le Second empire. Le patronat est critiqué sur sa droite par les royalistes tenant de l’ancien code de conduite des Corporations et sur sa gauche par les premiers socialistes. Non sans sincérité, le dit-patronat s’engage dans une politique paternaliste qui reçoit le meilleur des accueils chez les ouvriers restés catholiques lesquels redoutent les idées du type luttes des classes. Face au grave problème de la sécurité dans les mines de charbon, une loi très importante est votée mettant en place des délégués mineurs chargés de lancer l’alerte lorsqu’ils constatent un problème. Ces délégués vont vite jouer un rôle-clé dans l’introduction du socialisme dans le Bassin houiller et donner à ce courant politique une orientation qui sera un élément de clivage au sein des mineurs et, par là, de la classe ouvrière artésienne. La critique de droite du capitalisme : Le capitalisme, surtout au début de son implantation est particulièrement criminel quant aux accidents du travail. Les ouvriers n’ont strictement aucune protection. Ce qui n’était pas le cas sous l’Ancien régime où le droit des corporations de métiers prévoyait un minimum de protection sociale. C’est pourquoi, l’extrême-droite légitimiste, favorable à un retour de la royauté, effectue une critique de droite du capitalisme. Voici par exemple une justification de l’inspection du travail, c’est-à-dire l’immixtion de l’administration dans les affaire privées du patronat : "Le vicomte Alban de Villeneuve-Bargemont, préfet de Louis XVIII et de Charles X, (…) tient sans hésiter que l'intervention de l’État chargé du bien commun est légitime et nécessaire dans le règlement des problèmes du travail : "L'inconvénient de pénétrer dans l'intimité des fabriques, d'établir des pénalités, de choquer quelques amours-propres, de contrarier certaines habitudes, disparaît devant une grande nécessité de justice, d'humanité et d'ordre. On surveille, on inspecte les lieux publics, les écoles et les divers établissements destinés à recevoir un grand nombre d'individus ; l'autorité a le droit de les faire fermer s'ils apportent quelque dommage à la société ; elle impose des conditions à leur création et à leur existence. Loin de s'en plaindre, la société applaudit à ces précautions justes et sages""[8]. Villeneuve-Bargemont, devenu député du Nord, plaide également pour la limitation de la durée du travail des enfants et il est à l’origine de la loi du 22 mars 1841 qui traite de cette limitation. Malheureusement, cette loi n’est pas mise en œuvre concrètement. Villeneuve est à l’origine d’une tradition qui rebondit avec le comte Albert de Mun, lui-aussi extrême-droite légitimiste. Toute la droite du Parlement ne suit pas ce réformisme chrétien. Ainsi Jean Jaurès, rapporteur de la loi sur la mise en place de délégués des mineurs pour la sécurité, stigmatise les députés qui torpillent la bonne volonté des chrétiens réformateurs : "c’est-à-dire qu’au fur et à mesure que le socialisme chrétien — où quelques habiles du parti conservateur avaient vu, à l’origine, un moyen nouveau de conserver leurs privilèges de dirigeants — laisse apparaître ce qu’il y a en lui de fonds fraternel et humain, au moment où par la force même des choses et par la noblesse de son inspiration première, il se rapproche des idées de justice, d’émancipation, de solidarité sociale qui sont les nôtres, il est désavoué et déserté par le gros du parti conservateur. (Applaudissements à gauche.). Il apparaît donc, messieurs, qu’aux heures décisives, quand il faut faire, au nom des classes dirigeantes, ou un abandon du superflu, ou un abandon d’autorité, vous résistez aussi bien aux sacrifices commandés par l’esprit chrétien qu’aux transformations réclamées par l’esprit démocratique. (Très bien ! très bien à gauche. — Dénégations à droite.) " La politique des compagnies "Le patron du Nord -lato sensu, JPR- est naturellement et substantiellement paternaliste écrit Pierrard, ou si l’on veut paternel : son goût de l’ordre, son sens de l’autorité, de la famille et des affaires et aussi la simplicité qu’il apporte dans les relations humaines, tout chez lui commande cette attitude. (…) Longtemps le patron - un mot qui dans le Nord prend tout son sens - a travaillé à côté et au rythme de ses ouvriers, à qui il parlait "à la papa" et bien souvent en patois. Époque du bouquet de fleurs que le patron - ch’maît’ va attacher de ses mains à la tête du métier qui a réalisé le meilleur rendement de la semaine ". (Pierrard 359). Bon gré, mal gré, les compagnies se penchent sur le sort des mineurs et il en sortira le statut présenté plus bas. La fosse, les maisons, l'église, les écoles, les dispensaires, le presbytère sont la "chose" de la compagnie ce qui réduit à rien l'initiative et la liberté d'opinion de l'ouvrier, lequel ne peut espérer pouvoir travailler et vivre, lui et ses enfant en dehors de la compagnie. L’Église, protectrice de l'ordre apparaît comme ayant partie liée avec les Compagnies. Ainsi, le 30 mai 1866, l'archevêque, après avoir béni la première pierre d'une école bâtie à Sin-le-Noble par la compagnie des mines d'Aniche, au cours du déjeuner qui suit, porte un toast au directeur, félicitant la compagnie "d'avoir compris qu'en remplissant les devoirs que la religion impose aux patrons envers les ouvriers qu'ils emploient, elle servait en même temps ses propres intérêts" [9]. On ne saurait mieux dire. Les compagnies concessionnaires recrutent leur main-d’œuvre sur place, soit de bons fils de paysans bien catholiques. Mais la dureté du travail, son insécurité, les négligences coupables des compagnies font que des grèves spontanées éclatent, puis des actions concertées. Cela exprime un "républicanisme laïcisant de plus en plus évident. (..). L’ouvrier paraît s’habituer à l’idée que l’Église est liée aux riches " (Pierrard). Les grandes grèves de 1862 et de 1866 (dont s'inspire Zola -Germinal-) se terminent par l’intervention de l’armée et des peines de prison ferme.j Nonobstant, il y a une tradition réformiste à droite, fût-elle minoritaire. Si bien qu’avec l’accord de ces hommes de bonne volonté, des Républicains avancés et de l’action syndicale des mineurs - tous ne sont pas soumis - on a, en 1914, une situation qui se présente de la sorte : "salaire élevé, rémunération assurée en cas de maladie, soins médicaux partiellement gratuits et, surtout, mise à disposition du logement [10] et du charbon sont acquis progressivement dès avant 1914. Ce statut a généré un corporatisme profond reposant sur un syndicalisme puissant, s’appuyant lui-même sur les délégués à la sécurité élus par le personnel depuis (la loi) de 1890" (F. Sawicki). Les délégués mineurs Rapporteur de la commission parlementaire ayant discuté du projet de création de délégué mineur à la sécurité, Jean Jaurès (député d’une circonscription minière) parle ainsi : "Les membres de la commission sont absolument d’accord sur la plupart des points : tous, sans exception, estiment qu’il est utile de créer des délégués mineurs ; tous pensent que ces délégués doivent être choisis parmi des ouvriers mineurs travaillant ou ayant travaillé à la mine ; tous pensent encore que les délégués doivent être élus, pour trois ans, au suffrage universel de leurs camarades ; tous sont d’accord sur les attributions à déterminer pour ces délégués, visites aux chantiers, dans certaines conditions, et constatation des accidents ; tous sont d’accord également pour déclarer que les délégués doivent être payés par les mains de l’État avec des sommes prélevées sur les compagnies". L’élection se fera à la mairie de la commune ayant une fosse, le vote sera secret avec mise du bulletin sous enveloppe réglementaire (ce qui n’était pas encore le cas pour les élections politiques). Une loi de 1901 impose l’utilisation d’isoloirs et de cartes électorales pour éviter la fraude. Cette institution des délégués mineurs a des conséquences importantes. Tout ce qui suit doit beaucoup au travail de F. Sawicki. D’abord, elle contribue à créer une corporation minière qui passe de l’en-soi au pour-soi. Les mineurs sont à part, ils sont l’élite d’une classe ouvrière qui dispose, et elle-seule à cette date, d’une représentation institutionnalisée, découlant de cette loi de 1890. Cette loi confère une place centrale aux délégués-mineurs qui cumulent rapidement mandat syndical et mandat politique : "le déroulement des élections (professionnelles) dans les mairies ne pouvait que renforcer la confusion des élections professionnelles et politiques" écrit F. Sawicki. L’histoire de la mobilisation politique et syndicale des mineurs du Pas-de-Calais révèle l'importance de la remise de soi à quelques leaders peu enclins à s'engager dans les grèves et qui pratiquaient une forme non avouée de cogestion avec le patronat houiller (c’est moi qui souligne JPR) et l’importance aussi du rôle central des délégués à la sécurité. L'influence des représentants du syndicat tient non seulement au faible niveau culturel des mineurs, généralement sous-scolarisés, mais à leur position stratégique dans le dispositif de négociation avec les représentants patronaux. Ils sont en effet les seuls en mesure de coordonner des actions dans les puits des différentes compagnies qui mènent chacune leur propre politique salariale, et d'obtenir des acquis soit sur le plan conventionnel, soit sur le plan législatif par le bais des députés-mineurs. La grève générale chez les mineurs était conçue comme "un moyen de pression exceptionnel, exercé tant sur les Compagnies que sur les pouvoirs publics et sur le Parlement". Un des articles des statuts du syndicat prévoit au demeurant que celui-ci doit faire "tous les efforts pour prévenir les grèves générales ou partielles en proposant aux patrons la création d'un tribunal d'arbitrage composé moitié d'ouvriers, moitié de patrons". On voit bien la distance qui sépare l’orientation de ce syndicat des mineurs avec celle de la CGT adoptée au congrès d’Amiens, en 1906. Les 157 délégués-mineurs recensés en 1906
constituaient une élite, elle-même hiérarchisée jusqu’au sommet "où règnent les députés-mineurs,
pères-fondateurs du syndicat : Émile Basly, Arthur Lamendin, Henri Cadot, (…)". VI. Les élections de 1914 14 députés sont à élire. Jusqu’aux élections de 1914, le département du Pas-de-Calais vote à droite. Dans sa carte, créée pour montrer l’ancienneté de l’orientation à gauche ou à droite des départements, FRANCE 2012, géographie électorale : ça bouge ! (atlas) F. Goguel classe notre département dans la catégorie "à gauche depuis 1919-1936" [11]. Autrement dit, le Pas-de-Calais est resté longtemps une terre de mission pour les Républicains. C’est en 1936, seulement, élections du Front populaire, que la majorité des députés bascule à gauche. En 1914, élections très favorables au récent parti SFIO (né en 1905 de l’unification des divers socialismes), le département est représenté par 6 députés socialistes et 1 radical de gauche [12] soit la moitié des sièges. Mais, exception qui confirme la règle, la SFIO est avantagée par le scrutin majoritaire ; à la proportionnelle, elle aurait eu 1 siège de moins. [1] A cette date, « Pays-Bas » signifie : la Hollande actuelle -Nederland est plus juste-, la Belgique et notre région du Nord-Pas de Calais. [2] Cependant qu’un autre frère prit le titre de Comte de Provence (Louis XVIII), autre terre traditionaliste et FN aujourd’hui. [3]
Paragraphe rédigé d’après le texte de Marc FERRO, Pétain, Fayard, 1988, 790 pages.
[4] Tout ce qui suit doit beaucoup au livre de Pierre PIERRARD (Institut catholique de Paris), « Histoire du Nord », Hachette littérature, 1978. [5] Type du grand ministre républicain opportuniste, polytechnicien, titulaire du portefeuille des Travaux publics, plusieurs fois président du Conseil.
[6) C’est-à-dire opposant politique déclaré sous le règne de Napoléon III, pour les Bourbons, contre l’usurpateur. [7] Il s’agit de l’Atlas électoral du Nord-Pas de Calais, conçu et réalisé par des universitaires du Nord-PdC (P.U. Lille). Trois volumes indispensables pour qui s’intéresse à ce thème et à cette région.[8] Extrait du livre de Villeneuve-Bargemont "traité d'économie politique chrétienne" (1834), cité par Xavier Vallat, "La croix, les lys et la peine des hommes", page 33-34.. [9] D’après le texte de Pierrard, page 308. [10] Particularité qui distingue le Pas-de-Calais de son voisin, le Nord. Dans les houillères du Pas-de-Calais, 50% des mineurs sont logés dans des corons ou cités-jardins. Sawicki citant J. Michel. [11] Cahier F.N.S.P. n°159, Géographie des élections françaises, A. Colin, 1970. [12] C'est-à-dire élu contre un candidat de droite, en l’occurrence un candidat investi par l’Action libérale populaire. Il s’agit de Victor Morel, élu dès le premier tour à Montreuil-sur-mer. Parce qu’il existe des candidats radicaux (indépendant ou autres) qui se présentent contre des candidats socialistes ou radicaux-socialistes. Il est vrai qu’en 1919, Morel se présentera sur la liste du Bloc national contre celle du parti socialiste S.F.I.O., ce qui abonde l’affirmation des auteurs de l’Atlas électoral qui le classe à droite dès 1914. Dans ce cas, la représentation du PdC en 1914 est paritaire : 6 députés S.F.I.O., 6 députés de droite.
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la Flandre, traditionalisme et vote LePen
La Flandre intérieure, autour de sa "capitale" Hazebrouck, est un espace bien délimité dans la géographie du Nord. Tout le monde sait que ce département du Nord est un fief historique du parti socialiste et qu'il est encore un des derniers bastions du parti communiste. La gauche dominait sans partage –ou presque- le bassin minier et la conurbation Lille-Roubaix-Tourcoing. Depuis l'industrialisation massive du littoral dunkerquois, elle y a imposé une autre domination. Mais entre Lille et Dunkerque, il y a un îlot "d'irréductibles", un fief de la droite cléricale, un trou noir pour le P.C. où ce dernier n'a jamais su/pu s'implanter : c'est la Flandre intérieure. En 1978, où le P.C.F. faisait encore un score national supérieur à 20% (des exprimés), les voix communistes s'élevaient à 27,7% dans le département du Nord, avec des pointes à 49,4%, 42,1, 46,1 dans le bassin houiller mais 14% seulement dans la circonscription d'Hazebrouck et moins de 10% dans celle de Bergues. Présentation de notre objet d’études Il s’agit de la Flandre maritime dite aussi Flandre flamingante (en orange sur la carte envahissante d'introduction). C’est le Westhoek, héritier français du vieux comté de Flandre. http://fr.wikipedia.org/wiki/Westhoek#mediaviewer/File:Westhoek_map-fr.svg. Actuellement, le Westhoek correspond presque trait pour trait à l’arrondissement de Dunkerque (pour les détails, lire les articles Wiki "Westhoek" et "Flandre française"). Autrement dit, la Flandre dite wallonne (ou romane) est exclu de notre champ d’étude. Deux aspects sont intéressants : d’une part on est là en pays de langue flamande (même si l’usage du français est maintenant largement majoritaire) et d’autre part, on est en pays catholique invétéré.
C’est surtout le Houtland qui nous intéresse. En effet, le littoral (Blootland) a été bouleversé par l’industrialisation du port de Dunkerque avec la sidérurgie, d’une part, et la fabrication d’aluminium, d’autre part. C’est un bel exemple de développement latéral d’un vieux port ; développement lié au gigantisme maritime (Révolution nautique du dernier quart du XX° siècle : Introduction : gigantisme maritime, conteneurisation...). On parla même, un moment, de Cadunord, c’est-à-dire d’une industrialisation/urbanisation continue de la frontière belge à Calais (département du Pas-de-Calais) via Dunkerque. Le littoral se distingue nettement de l’arrière-pays. Il a été rapidement colonisé par les partis progressistes : parti radical-socialiste dès avant 1914, parti socialiste SFIO puis PS tout court. Les Flamands ont un "tempérament politique", pour reprendre le mot d’ A. Siegfried, qui est dominé par la religion catholique. C’est vrai en France comme en Belgique. L’encadrement des masses paysannes par la hiérarchie catholique est sans faille et le vote est résolument de droite. Pierrard, historien natif du Nord, nous donne les résultats du referendum du 8 mai 1870 organisé par Napoléon III. A Lille, déjà ouvrière et fécondée par le socialisme internationaliste, le non l’emporte. Dans l’arrondissement d’Hazebrouck, le oui obtient 99,2%... Pour dire cette religiosité de la Flandre j'ai choisi d'évoquer son patrimoine célèbre de retables qui "appartiennent à l'art baroque européen" comme dit Anita OGER–LEURENT dans son article cité en biblio et d'où proviennent toutes les illustrations. Ce sont d’authentiques chef-d’œuvres pour qui aime l'art baroque ce qui est le cas de votre serviteur. Mais ces retables qui s’inscrivent dans "la scénographie de la liturgie tridentine" ont, au départ, servi à la contre-réforme. Le concile de Trente, en effet, dans un de ses canons, dit que les choses de la théologie sont trop compliquées pour les masses illettrées et qu'il faut donc attirer ces dernières par des choses belles et clinquantes. Le concile de Trente, c'est pour les paysans, contemple et tais-toi.
Géographie des élections de 1914. Je
vais exploiter les travaux d’un universitaire du Nord, au nom d’origine
certifiée flamande : R. Vandenbussche. Quelques éléments historiques
permettent de comprendre le comportement électoral. Dans sa thèse de 3° cycle
sur la vie politique dans le Nord avant la guerre de 1914[1], R.
Vandenbussche publie des cartes électorales instructives par lesquelles on voit
que la Flandre intérieure est la "propriété" quasi exclusive de la
droite. Le parti Radical n'y présente aucun candidat (scrutin
d'arrondissement), "l'influence des critères religieux tenaient écartés
de Flandre les élus radicaux" nous dit-il. Quant au parti Socialiste
(S.F.I.O.), grand vainqueur des élections générales d'avril 1914, il obtenait
les suffrages des ouvriers des mines, de la sidérurgie, des constructions
mécaniques et du textile "sans atteindre tout le prolétariat, car le
catholicisme mobilisait beaucoup d'ouvriers des régions de pratique religieuse
(comme la Flandre)". La Flandre étant alors une région d'industries
diffuses et de travail à domicile. Ce vote à droite des ouvriers était d'autant
plus développé que "l'Action Française n'hésitait pas à appeler à un
véritable militantisme ouvrier et cherchait à conquérir des adeptes dans les
milieux populaires – démarche qui annonce celle du fascisme après la
guerre- en tentant même de promouvoir un débat contradictoire avec le
syndicalisme de la C.G.T." (dont on sait que de nombreux adhérents
sont sensibles, à l'époque, aux thèses de G. Sorel, JPR). ci-dessous : l'auteur ne précise pas à quoi correspondent les catégories de pourcentage. Dommage. On voit bien la circonscription de Dunkerque-campagne -Cassel-Bergues) et la seconde de Hazebrouck. Entre les deux, celle de l'abbé Lemire. Voir en annexe les deux autres cartes. Dans sa circonscription, en avril 1914, Lemire -député sortant- doit batailler contre un soi-disant républicain de l’Action libérale populaire, tendance droite extrême. Il n’a pas d’adversaire radical, la SFIO présente un candidat qui n’obtient que 64 voix ce qui laisse penser que sa candidature a été retirée à la dernière minute… Lemire est élu dès le premier tour avec 57,1% des suffrages exprimés, le candidat libéral obtenant les 43 autres pour-cent. Sur les cartes de Vandenbussche, (cf. annexes) on observe très bien l’absence des Radicaux, sauf sur le littoral où leur candidat est élu (mais la sociologie n’est pas la même entre Blootland et Houtland). Cette absence montre que le débat cléricalisme/laïcité est devenu obsolète, les Radicaux ont vaincu avec la loi de 1905, ils estiment inutile d’aller se battre contre les candidats portés par une foule de Flamands pratiquants qui ont de la peine à comprendre le français républicain. En revanche, la SFIO pose une autre problématique en mettant en avant la question sociale, elle présente donc des candidats même si ceux-ci sont sûrs d’être battus, ils ont semé, c’est Germinal… La droite est nettement majoritaire dans ces arrondissements de Dunkerque et de Hazebrouck.[3] En 1914, les quatre circonscriptions comptent 72320 électeurs inscrits (hommes de 21 ans et plus). 54565 expriment leurs votes (75,4%) et les quatre candidats de l’Action libérale populaire, pro-catholiques, droite extrême, obtiennent 59,7% des suffrages exprimés et 45% des électeurs inscrits[4]. Ils ne seront que deux à être élus (Dunkerque-campagne et Hazebrouck-2°) grâce à l’abbé Lemire (chrétien-social, républicain indépendant) dans Hazebrouck-1ère et grâce à la discipline républicaine dans Dunkerque-ville (candidat radical-socialiste élu au second tour avec 51,2% des exprimés). Le bastion est vraiment constitué par la circonscription Dunkerque-campagne où le candidat réactionnaire est élu dès le premier tour avec 87,5% des exprimés et 64% des inscrits[5]. Pierrard, historien du Nord, catholique, écrit que "la question scolaire, en créant parallèlement à l'enseignement officiel -républicain, JPR- un enseignement libre -en fait catholique-, avec tous ses organismes scolaires et parascolaires, a fortement contribué à opposer, dans les départements du Nord, deux blocs antagonistes : face à un parti conservateur et clérical puissant et organisé, appuyé sur ses écoles, ses collèges, ses facultés, ses œuvres, et aussi ses presbytères de campagne, les républicains anticléricaux constituent une force importante s'appuyant sur 1es ouvriers et les classes moyennes des villes (Où prospèrent les loges maçonniques) et sur les campagnes peu chrétiennes de l’ Avesnois et d'une partie du Cambrésis, du Santerre ou de environs de Bapaume". La Flandre flamingante est le bastion de ce parti conservateur du Nord.
Les élections de 1936 Les élections de 1936 sont celles du Front populaire mais cette victoire de la Gauche, incontestable, n’est pas un raz-de-marée. F. Goguel, je l’ai écrit par ailleurs, nous dit que la droite s’est mobilisée à fond, présentant des candidats là où elle était absente en 1932, le patronat se porte au-devant des troupes comme François Peugeot, dans le Doubs. Dans le Nord, la victoire est éclatante car l’industrialisation et l’extraction de la houille en premier lieu n’ont cessé de croître et donc l’importance politique de la classe ouvrière. Aussi, la droite n’obtient que 4 députés et la gauche 20. Sur ces quatre députés deux sont élus dans la Flandre flamingante Le député André Parmentier [6] est l’un d’eux. Il est élu à Dunkerque-campagne. C’est le type d’homme qu’a pu vénérer E. Mercier, l’homme du Redressement français : patron dans le secteur privé, Parmentier est sorti de 14-18 avec le grade de capitaine. C’est l’élite pure et parfaite (Au bonheur des riches, 1927 : E. Mercier, Foch, le "Redressement français"). Dans cette circonscription bien ancrée à droite, les candidats avaient pu se disperser et mener un combat fratricide en 1932, renouvellement de la Chambre sans enjeu majeur. En 1936, Parmentier, député sortant, est seul candidat de la droite : pas question de se diviser face à la Gauche ! Il est élu dès le premier tour avec 62% des suffrages exprimés et 53,2% des électeurs inscrits. Les candidats du Front Populaire ont cependant progressé. A la Chambre, Parmentier va être un leader de la droite, combattant systématiquement toute innovation du gouvernement de Front Populaire. Cette hostilité l’amènera à rejoindre, après sa libération par les nazis, le gouvernement de Vichy dont il sera un des préfets puis un directeur de la police. Jean Pierre Plichon est élu sans difficulté majeure au second tour, dans la circonscription (Hazebrouck-2ème) tenue jusqu’ici par son oncle dont la fiche Wikipaedia ne cesse pas d’émerveiller : "Fils de Charles Ignace Plichon, député du Nord sous la monarchie de Juillet, le Second Empire et la Troisième République, ministre des Travaux publics, il est ingénieur des Arts et Manufactures, président de la Cie des Mines de Béthune, conseiller général de Bailleul, député du Nord (1889-1919 et 1924-1936), sénateur (1920), rallié (cad monarchiste rallié à la République à la demande de la hiérarchie catholique), vice-président de l'ALP (alliance libérale républicaine), protectionniste, officier de la Légion d'honneur, Croix de Guerre, Commandeur de l'Ordre du Saint-Sépulcre, lieutenant-colonel honoraire, président honoraire de la Cie des Mines de Blanzy, de Kali Sainte-Thérèse, des officiers de réserve du Service d'État-major, vice-président de comité central des houillères de France, administrateur de la Société générale de crédit industriel et commercial, des aciéries de Denain et Anzin, et membre honoraire de la Société des agriculteurs de France". Le catholicisme et les affaires peuvent faire bon ménage. Jean Pierre élu en 1936, donc, s’inscrit au groupe des républicains indépendants d’action sociale, le même que celui de Jacques Bardoux, qui travaillera avec Pétain. C’est un entrepreneur catholique, comme son oncle et son grand-père Charles-Ignace. Il votera les pleins pouvoirs à Pétain en juillet 1940.
IV° république et l’étape de 1958 Aux élections législatives de novembre 1946, célèbres parce que le PCF y obtient son score inégalé de 28 % des suffrages exprimés en France (36,8% dans la circonscription charbonnière du Nord), la liste PCF obtient 7,4% des exprimés dans le Houtland. Sous la IV° république, les élections ont lieu sous le régime de la proportionnelle avec scrutin de liste dans chaque département. Les départements les plus peuplés étaient subdivisés en circonscriptions. Ainsi le département du Nord était divisé en trois : la circonscription de l’arrondissement de Dunkerque, celle de l’arrondissement de Lille, et celle des arrondissements de Douai, Valencienne, Cambrai et Avesnes (celle du bassin houiller). Les cartes électorales publiées par F. Goguel, pour les élections de 1951 -date où la droite, discréditée par sa collaboration avec l’ennemi, reprend du poil de la bête- montrent que dans l’arrondissement de Dunkerque, la droite Indépendante et Paysanne obtient entre 15 et 20% des inscrits, le MRP -avec le soutien de l’Osservatore romano-, entre 10 et 15% des inscrits et les gaullistes du R.P.F. de 15 à 20%. Autrement dit, les listes susceptibles d’obtenir les votes religieux obtiennent - additionnées- entre 40 et 55% des inscrits, ce qui, compte tenu de l’abstention, donne la majorité absolue des votes exprimés. Chacune de ces listes obtient l’élection de sa tête de liste (dont Paul Reynaud pour les Indépendants et Paysans, A. Damette pour le R.P.F.). Mais cette approche inclut le littoral Dunkerquois et nous éloigne de notre Flandre flamingante. En
1958, De Gaulle atteint des pourcentages de oui extrêmement élevé
dans la Flandre. Avec le retour au scrutin d’arrondissement, la Flandre
maritime est découpée en plusieurs circonscriptions, les 11° -littoral-, 12°
(celle de Bergues) et 13° (celle d’Hazebrouck). Paul Reynaud, d.s., choisit la
12°, il est élu avec l’étiquette C.N.I.P.. A. Damette opte pour la 13° où il
est élu avec l’étiquette gaulliste. Dans la 12°, le PCF obtient 4,7% des inscrits et 7,5% des inscrits dans la 13° (Hazebrouck). A titre de comparaison, le candidat PCF obtient 33,2% des inscrits à Douai-sud (15°). L'AUJOURD'HUI Ces deux circonscriptions resteront fidèles à la droite. Ainsi, à la présidentielle 1974, V. Giscard d’Estaing obtient 55,7% des inscrits dans la 12° (Mitterrand 36,4 ; abstention 6,9) et à Hazebrouck les chiffres sont respectivement de 50,7 ; 40,4 et 7,7%. A la présidentielle de 1981, les chiffres sont respectivement de 12°(Bergues) : 49,4 ; 41,1 ; 7,3. 13°(Hazebrouck) : 47,8 ; 41,6 ; 7,95. Il y a donc un tassement des voix de droite et progrès des voix Mitterrand. L’élection présidentielle de 1988 est la première où LePen est candidat depuis son extrusion de 1984. Il obtient 12,3% des inscrits dans le Nord mais les circonscriptions flamandes -récharcutées en 1986, elles portent maintenant les numéros 14 et 15- ne lui donne "que" 9,7 (Bergues) et 9,8% (Hazebrouck) des inscrits. Il y a donc, à cette date, une relative inhibition de l’électorat catholique flamand à voter pour LePen (1er tour). Curieusement, F. Mitterrand, président sortant, obtient -au second tour- le vote de 47,9% des inscrits dans la 14° et 50,2 dans la 15°, devançant largement J. Chirac. C’est une nouvelle et nette progression de la candidature Mitterrand dans la Flandre profonde. La Voix-du-Nord parle de ces communes flamandes "à droite nationalement et à gauche localement. Et vice-versa" (7 mai 2007)
Mais la crise continue et les promesses ne sont pas tenues, la mondialisation et sa version européenne continuent leurs dégâts et le vote LePen s’envole. Le tableau suivant montre que la Flandre intérieure n’est plus insensible aux sirènes de l’extrême. Voici un tableau élaboré à partir des résultats des élections européennes de 2004. Ces élections sont intéressantes dans la mesure où l’électorat catholique avait le choix entre plusieurs listes : l’UMP et l’UDF (F. Bayrou) mais aussi le FN (qui a en son sein un courant intégriste Pour qui votent les intégristes ?) et une liste MPF de Ph. De Villiers qui est davantage marqué par le traditionalisme et dont le drapeau sera repris ultérieurement par Mme Boutin. ci-dessous : carte de la couleur politique des cantons du Nord en 2011 : solution de continuité bien visible. Notons toutefois que les cantons d'Hazebrouck et région votent socialiste (mais pas à la présidentielle, (cf. ci dessous). Tableau Résultats des élections européennes du 13 juin 2004 dans quelques communes de Flandre intérieure (département du Nord, votes exprimés).
Source : établi à partir des statistiques du Ministère de l'Intérieur et des données INSEE, recensement 1999. % ouvriers = % de la population ouvrière au sein de la population active ayant un emploi
L'imprégnation religieuse est très forte dans ce "pays" de parler flamand. Des appellations comme West-Cappel, Oost-Cappel ou Wemaers-Cappel ne sont-elles pas du "temps concentré" ? On est transportés, à la fois, dans le passé chrétien et vers le lion des Flandres. Tout cela pour dire que les résultats électoraux d'aujourd'hui sont la mise au jour de comportements d'autrefois. L'extrême-droite (F.N.) et la droite extrême (MPF, De Villiers) réalisent des scores impressionnants dans des communes où l'inexistence du P.C. pourrait surprendre dans ce département où les élections européennes de 2004 ont été, pour lui, plutôt bonnes. Il y a là un vote catholique d'extrême-droite, dans ces petits villages de la France, pire que profonde, abyssale. Notons toutefois que dans certaines communes de Flandre intérieure c'est l'UDF de F. Bayrou qui arrive nettement en tête devant le F.N. ou les villiéristes du MPF. Le combat continue. C’est-à-dire le combat entre les chrétiens progressistes et les autres. Mais on a bel et bien, ici encore, un bel exemple d'ouvriéro-lepénisme. Dans ces communes, le nombre d'ouvriers est très élevé, plus que la moyenne départementale. Et, pour ce vote extrémiste, il n'y a même pas l'excuse du chômage, puisqu'il est globalement très inférieur à celui que subit le reste du département. Cette région donne l’exemple de ces ouvriers de droite qui, avec la crise générale, passe à l’extrême-droite. Ce n’est pas au PCF, très faiblement organisé ici, que LePen prend ses voix. J’ai également cherché le vote LePen pour les communes citées dans le texte d’Anita Oger–Leurent sur les "Retables de Flandre" c’est-à-dire des paroisses fortement marquées par la contre-réforme instiguée par le concile de Trente (fin XVI°s.).
* = second tour de la présidentielle. Sur cette carte VOIX DU NORD, on voit bien la solution de continuité entre l'arrondissement de Lille et le Dunkerquois, les deux circonscriptions de la Flandre flamingante intérieure ont voté pour la droite en 2012. A SUIVRE
BIBLIOGRAPHIE - Atlas électoral Nord - Pas-de-Calais (1973-1992), Presses Universitaire de Lille, 1993 - Pierre PIERRARD, Histoire du Nord, Hachette 1978 - François GOGUEL, "géographie des élections françaises", cahier de la F.N.S.P., n°159, A. Colin éditeur. - Cahiers du communisme, "Élections législatives de mars 1978". -R. VANDENBUSSCHE, "opinions
et vie politiques dans le Nord à la belle époque, 1910-1914" (résumé
de sa thèse), L'Information historique, n°5, année 1977, pp. 221-227, cartes. Anita OGER–LEURENT, "Retables de Flandre : un patrimoine partagé", In Situ [En ligne], 3 | 2003, mis en ligne le 01 mars 2003, consulté le 19 octobre 2014. URL : http://insitu.revues.org/1897 ; DOI : 10.4000/insitu.1897 - G. LACHAPELLE, "élections législatives des 26 avril et 10 mai 1914", Paris, 1914, [En ligne],- journal LA VOIX DU NORD, numéro du lendemain des élections (éditions papier). - site de l’Assemblée nationale, biographie des députés et anciens députés. http://www.assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche.asp?num_dept=5686 A lire éventuellement : http://www.politiquemania.com/forum/histoire-elections-f33/elections-legislatives-1936-t1140-10.html
[1] R. VANDENBUSSCHE, [2] Hazebrouck fut aussi la circonscription du député monarchiste Villeneuve-Bargemont (1830) qui proposait, des inspections dans les fabriques, adepte qu'il était du catholicisme social. [3] Cet arrondissement absorbera celui d’Hazebrouck après la réforme administrative de Poincaré, en 1926. [4] Si l’on ajoute les voix des autres candidats de droite -dont celles de l’abbé Lemire- on obtient 74,4% des voix exprimées et 56,2% des inscrits. Les candidats de la gauche laïque obtiennent -dans les quatre circonscriptions- 25,6% des exprimés et 19,3% des inscrits. [5] C'est Cassel l'épicentre. Cette circonscription d'avant 1914, sera la future 12° circonscription (celle de Bergues, découpage 1958) et la 14° (découpage 1986). Tous les chiffres sont calculés à partir du livre de Georges Lachapelle, « élections législatives des 26 avril et 10 mai 1914 », publié à Paris, en 1914, et qui est accessible sur le net. [6] Lire sa notice rédigée par l’Assemblée nationale : http://www.assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche.asp?num_dept=5686 ANNEXES Les socialistes SFIO -dominés dans le Nord par la noble figure de Jules Guesde (député de Lille au 1er tour) - font un peu de la figuration dans les arrondissements de Dunkerque et d'Hazebrouck. Leur implantation est bien meilleure dans Lille, le bassin houiller et l'est de l'arrondissement de Cambrai. |
La 11° circonscription du Pas-de-Calais. Emilienne Mopty.
source de la carte de localisation : lemonde.fr En cliquant sur ce lien, on pourra lire le portrait INSEE de la 11° circonscription du Pas-de-Calais. L’immigration est très faible dans cette circonscription (cf. les données INSEE). Cette circonscription est
constituée des six cantons suivants : Carvin, Courrières, Hénin-Beaumont,
Leforest, Montigny-en-Gohelle et Rouvroy. Elle est très homogène : c’est
un « morceau » du bassin minier comme l‘indique le nom de Courrières
où eut lieu la plus importante catastrophe minière d'Europe, le samedi 10 mars 1906,
qui fit officiellement 1.099 morts. NB. le canton de Rouvroy comprend une partie de la commune de Méricourt. La population active de la circonscription est très largement dominée par le salariat modeste, comme dit l’INSEE, c’est-à-dire les ouvriers et les employés.
* rappel : ACCE = artisans, commerçants, chefs d’entreprise : CPIS = cadres et professions intellectuelles supérieures. PI = prof. intermédiaires.
En France, le taux de bourgeoisie patronale est proche de 23% et celui du salariat modeste de 53%, cette circonscription est donc très peu mixte socialement. Nous avons là un ensemble de villes jointives dont la composition sociale est comparable à des villes de banlieue comme celle de Lyon lien : Régionales 2010, FN et banlieues : rôle des professions intermédiaires et de l’enracinement communiste ou comparable à des cantons de la Moselle : lien : II. Vote F.N. et vote ouvrier : le cas de la MOSELLE. Mais l’histoire n’est pas la même. Dans les cantons très ouvriers de la Moselle, le rôle de la religion a été, disons-le, désastreux. Les ouvriers mosellans de l’Est du département ont, en 1981 encore, voté Giscard d’Estaing ou Chirac, si bien que la droite obtenait les trois-quarts des voix, dès le premier tour. Inutile d’expliquer pourquoi, quelques années plus tard ces ouvriers giscardiens votaient FN. Dans la banlieue lyonnaise, des villes comme Vénissieux, Vaulx-en-Velin, Pierre-Bénite, etc…ont eu des municipalités communistes précoces et, au second tour de 2007, elles votaient à gauche, alors que des municipalités socialistes voisines donnaient la majorité de leurs suffrages à N. Sarkozy. Dans le bassin minier du Nord, le mouvement ouvrier s’est scindé. La tradition ouvrière du parti socialiste est restée vivace. L’affrontement entre travailleurs SFIO et travailleurs communistes fut souvent féroce. Le PCF réussit pourtant à être majoritaire dans le Bassin minier. Dans les années 70’, Joseph Legrand fut surnommé « le député des mineurs », compliment qui n’est pas mince, ici. Voici l’analyse qu’ont faite les responsables communistes de l’élection de 1978 dans la circonscription d’Hénin : Joseph Legrand, député communiste
sortant est réélu au second tour (65,1%). Au premier tour, le P.CF, enregistre
là sa meilleure progression du département +
7.126 voix et 6,6 %, malgré des sondages fantaisistes qui donnaient battu le
député communiste et malgré une campagne anticommuniste virulente. Le PS n'a
pas bénéficié de cette politique, ni de l'absence d'un candidat réformateur ;
il perd 1,8 %, Il semble aussi avoir payé son refus de l'union aux élections
municipales dans dix des onze localités de la circonscription et son double
langage dons la campagne électorale. Le candidat R.P.R. perd 3,4 % dons cette
circonscription essentiellement minière. Au second tour, le report des voix
socialistes sur le candidat d'union est mauvais, il a manqué en effet 45 %
environ des voix P.S.. Joseph Legrand progresse cependant de 6,2 % par rapport
au deuxième tour de 1973 (1). De ce texte, encore une fois d’origine communiste et écrit dans une période trouble où, malgré le Programme commun de la Gauche, PS et PCF n’avaient de cesse de se quereller, je relève toutefois l’anticommunisme des socialistes locaux. Et cela me conforte dans mon analyse sur l’origine des suffrages du FN. Par une sorte de transfert latéral, beaucoup de voix PCF sont allées sur le PS -l’expérience soviétique se soldant par un échec définitif, le PS offrant seul une solution gouvernementale réformiste crédible, et, vers la droite, les électeurs socialistes anticommunistes ont abondé les voix du FN. Cela n’exclut pas, certes, un transfert direct de voix PC sur le FN mais une analyse politique rend bien plus crédible le passage d’électeurs anti-PC au FN. Il faut dire aussi que les ouvriers - fussent-ils mineurs - ne sont pas spontanément révolutionnaires surtout dans ces pays de l’Union d’Arras qui, lors de la révolution des Pays-Bas calvinistes, préférèrent rester fidèles au roi catholique d’Espagne qui, pourtant ne les respectait guère. Un habitant de la circonscription peut écrire "Y a pas si longtemps, on avait que 3 personnes importantes dans le quartier : Le Maire, le curé, et l'ingénieur". Dans Germinal, Zola montre bien que la grève est loin de faire l’unanimité au sein des mineurs. Et la C.F.T.C. a longtemps eut une influence significative dans cette corporation. Le brasier (sortie en 1990) montre quant à lui, à partir de faits réels, le racisme anti-polonais et la montée du fascisme durant la crise des années 30’. Tout cela pour dire qu’il ne faut pas voir les choses de manière angélique. Mais, cela ne peut faire oublier l’acte historique le plus étincelant des mineurs : leur grève de 1941 contre l’occupant nazi, en mai 1941, AVANT l’invasion de l’URSS par Hitler -détail qui balaie d’un revers l’éternel argument anticommuniste selon lequel les communistes ne seraient entrés en résistance qu’APRES cette invasion. Les mineurs des puits situés sur le territoire de l’actuelle 11° circonscription furent au cœur du combat. Voici un court extrait du journal Le Monde[2] Le 27 mai 1941, la fosse Dahomey débraye, le mouvement gagne très vite les mines de charbon du Pas-de-Calais, puis celles du Nord. Derrière cet acte de résistance, le plus spectaculaire de la seconde guerre mondiale en France, on trouve le dirigeant communiste Auguste Lecoeur. Le Petit Moscou : c'est ainsi qu'on appelle la fosse Dahomey des mines de Douges, sur la commune de Montigny-en-Gohelle, dite Montigny-la-Rouge. Fidèles à leur réputation, le 27 mai 1941, les mineurs débrayent à l'appel du militant communiste Michel Brûlé. Un incident avec un porion sert de signal. C’est avec ce fier passé que le bassin houiller doit renouer. c'est au cours de cette grève puis ensuite dans la résistance aux nazis qu'émergea la figure d'Émilienne Mopty. Voici une courte biographie d'Emilienne Mopty. lire également en fin de page le fichierLa 11° circonscription lors de la présidentielle Le 22 avril, première indication, l’abstention fut élevée : 23,7% sur l’ensemble des six cantons. Avec les bulletins nuls et blancs, le taux de suffrages exprimés est de 74,8%. Au Touquet-Paris-Plage, il fut de 79,1%. Les quatre principaux candidats obtiennent les résultats suivants (la circonscription compte 94027 inscrits et il y eut 70292 suffrages exprimés) :
Source : établi à partir des chiffres du ministère de l’intérieur. Jean-Luc Mélenchon obtient un score nettement supérieur à sa moyenne nationale. Dans le canton de Rouvroy, dont le conseiller général est communiste, le candidat du Front de gauche obtient 17,17% des inscrits à parité avec F. Hollande (17,2) et loin devant N. Sarkozy (9,72%). On peut établir le tableau suivant, à partir du nombre des électeurs INSCRITS[3] :
* chiffres établis à partir des données officielles et du monde.fr et portant sur 89053 inscrits. ** = abstentions, bulletins nuls et blancs.
Le 6 mai, F. Hollande obtient plus de 60% des votes exprimés et N. Sarkozy moins de 40%. De façon sommaire, on peut dire que moins du quart des voix LePen ont abondé les abstentions, nuls et blancs, suivant la consigne donnée par le FN. Plus de 11% -sur 23,5- ont voté Sarkozy et, enfin, plus du quart a voté pour F. Hollande. ***
Je publie maintenant un extrait de l’article que Sylvain CREPON a publié dans le numéro spécial des Cahiers de l’institut d’histoire sociale de la CGT, numéro daté de mars 2012 et consacré au « FRONT NATIONAL, démasqué par l’histoire ». L’article de S. Crépon s’intitule "le social, otage du Front national", dans cet extrait, l’auteur s’attache à montrer comment on est passé d’une situation économique (charbon, textiles, acier, etc…) et sociale (plein-emploi, CDI, etc…) florissante à une déconstruction brutale. Il délimite son espace de réflexion à "La zone industrielle, située entre Noyelles-Godault et Hénin-Beaumont, étalée sur vingt et un kilomètres". C’est-à-dire ce qui sera la 11° circonscription du Pas-de-Calais. Son article est écrit BIEN AVANT que les législatives et le combat courageux de J.-L. Mélenchon dans cette circonscription soient connus. Une enquête précise est fort utile car, si la 11° circonscription a failli tomber dans l’escarcelle de LePen, trois autres circonscriptions du même Bassin Houiller ont élu trois députés du Front de Gauche, dans le département voisin du Nord. Évitons, par conséquent, les généralisations abusives. LE TERREAU DE LA CRISE ÉCONOMIQUE
Par Sylvain CRÉPON Chercheur à l'université Paris-Ouest Nanterre
En 2006, Steeve Briois, responsable FN du Pas-de-Calais, convainc Marine Le Pen de venir s'implanter sur les terres d'Hénin-Beaumont, ancienne cité minière confrontée depuis plusieurs décennies à une désindustrialisation massive. Elle bénéficie du travail militant que ce dernier mène inlassablement sur le terrain depuis près de vingt ans. Très à l'aise avec cette population déshéritée, elle mène une campagne de terrain tout axée sur la proximité et parvient à susciter un réel engouement autour de sa personne. Aux élections législatives de 2007, elle est la seule candidate FN à parvenir au second tour des élections législatives où elle recueille 41,65 %. Comment une ancienne région ouvrière marquée par une très forte culture de gauche a-t-elle pu apporter plus de 40% des voix à la candidate d'un parti d'extrême droite? Dans le cadre d'une enquête menée sur place, au mois de septembre 2011, j'ai pu interviewer plusieurs militants frontistes locaux. En les questionnant sur leur trajectoire familiale, professionnelle et politique, je me suis rendu compte que la plupart d'entre eux ont grandi dans des familles socialistes ou communistes, que beaucoup ont même milité pendant un temps dans des organisations de gauche, parti ou syndicat. Seulement, le contexte dans lequel ils se sont socialisés politiquement a disparu avec la fermeture des mines et des usines. Ce contexte était fait de luttes sociales contre les directions patronales, un «ennemi» clairement identifié auquel étaient adressées les revendications concernant les conditions de travail ou de salaires. Les municipalités, presque toutes ancrées à gauche, constituaient, quant à elles, un point d'appui à partir duquel ces luttes pouvaient être menées. Elles contribuaient par ailleurs à socialiser les ouvriers à la politique, en les présentant par exemple massivement sur leurs listes aux différentes élections locales. Elles constituaient enfin un espace de solidarité en octroyant des aides aux plus démunis. Avec la désindustrialisation, ces municipalités se sont retrouvées en première ligne pour répondre au désarroi des populations ouvrières qui n'avaient plus d’«ennemi» contre qui mener la lutte sociale pour améliorer leur quotidien Elles ont ainsi pu susciter des sentiments d'amertume, de frustration lorsque qu'elles n'octroyaient pas les aides espérées par certaines familles privées de toute ressource. La mise à jour de certaines pratiques clientélistes, voire illégales, comme ce fut récemment le cas à Hénin-Beaumont, a très fortement contribué au ressentiment de ces populations précarisées à l'encontre d'une gauche censée défendre les valeurs d'égalité et de solidarité. Il faut ajouter à cela les bouleversements économiques auxquels a été confrontée la région. D'une économie basée sur les mines, les industries textile et automobile, on est passé en quelques décennies à une économie basée sur la grande distribution. La zone industrielle, située entre Noyelles-Godault et Hénin-Beaumont, étalée sur vingt et un kilomètres, symbolise à elle seule ce triomphe de l'industrie des services, de la consommation, pourvoyeuse de produits fabriqués dans les pays de la délocalisation. On sait que c'est dans ces zones que l'on compte le plus de CDD, le plus d'emplois à temps partiel, le plus de flexibilité, que se renégocient sans cesse à la baisse les acquis sociaux obtenus jadis par la classe ouvrière de l'ancienne industrie manufacturière. De quoi accentuer toujours un peu plus les désillusions de ceux des ouvriers qui ont connu l'époque des grandes luttes sociales dont ils voient les acquis peu à peu dilapidés. Dans un tel contexte, le Front national n'a plus qu'à se baisser pour ramasser les voix de ceux des ouvriers qui ont perdu toute illusion quant au bien-fondé des luttes sociales. Son discours, qui vise d'une part à fermer les frontières et d'autre part à mettre en place la préférence nationale, c'est-à-dire de substituer l'ancienne solidarité de classe par une solidarité envisagée sur un mode ethnique, rencontre un très fort succès auprès des catégories populaires dont beaucoup se montrent de plus en plus désenchantées politiquement. Le principe de la préférence nationale prétend en ce sens réserver les emplois, les allocations sociales ou encore les logements sociaux aux seuls Français. Or, pour le FN., ne peuvent prétendre à la nationalité française que ceux qui sont porteurs d'une culture jugée compatible avec la culture et les valeurs françaises. Mettre en place des moyens permettant de contrecarrer efficacement l'attrait pour cette ethnicisation de la question sociale constitue, à n'en pas douter, un des plus grand défis pour les forces sociales et politiques attachées aux valeurs progressistes. ***
Postscriptum : la fédération PCF du Pas-de-Calais fut l’une des plus réticentes au vote Mélenchon, elle vota à une large majorité pour la candidature d’André Chassaigne. Son accueil de J.-L. Mélenchon pour cette bataille contre l’extrême-droite est d’autant plus méritoire. L'arrivée de J.-L. Mélenchon a été saluée en langue Ch'ti : Ch'tilulu dit: 12 mai 2012 à 21h43 Trop continte, camarad', que ch'nord et l'pas-d'calais y vont
pouvoir r'prindre leu'couleur rouge grâch'à ti et au Frond d'gauch'!
Faut l'battre el'facho et in va t'aider [1] Extrait du numéro spécial des Cahiers du communisme, mars 1978, consacré exclusivement aux résultats des élections législatives des 12 et 19 mars 1978. [2] Numéro du 10 juin 2001. [3] Gauche = Joly+JLM+Poutou+ Arthaud+Hollande ; Droite : Sarkozy+Bayrou+Dupont-Aignan+Cheminade. |
Présidentielle 2012 : Quelques éléments d’analyse concernant le Nord-Pas-de-Calais.
Les chiffres utilisés dans le tableau ci-dessous proviennent soit du site lemonde.fr soit du journal local La Voix du Nord. J’ai choisi de comparer les résultats des Régionales 2010 et la présidentielle d’aujourd’hui. C’est un choix discutable, je l’admets bien volontiers. Ce n’est pas le même type de scrutin ; la participation au vote est fort différente : plus de la moitié des inscrits se sont abstenus aux Régionales, des étiquettes sont présentes à l’une mais pas à l’autre élection. Mais les performances de huit partis pouvaient être comparées pour avoir été présents aux deux élections. Et en 2010, le Front de Gauche était sur les rangs, sous la dynamique direction d’A. Bocquet, maire de St-Amand-les-Eaux : on peut donc voir l’impact de la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon sur la région N-PDC déjà « travaillée » deux années auparavant. Compte tenu de l’ampleur de l’abstention lors des Régionales 2010 (52%), il n’était pas possible de travailler sur la base des électeurs inscrits : pour tous les partis l’écart eût été trop grand. Le lecteur aura donc à l’esprit l’importance du chiffre des votants quand il lira les résultats de la présidentielle 2012.
Plusieurs éléments se distinguent : - concernant le vote Front de Gauche, le progrès au niveau de la région est de +1,4%. Ce progrès est bien plus sensible dans le département 62 (+2,6%) que dans le 59. Déjà le score de 2010 avait été considéré comme un succès pour le FDG-PCF. Que dire alors du chiffre de 2012 ? On passe de 132.000 voix à 271.000. Les progrès sont particulièrement forts dans les grandes villes (Lille, Dunkerque, Arras…). A Hazebrouck, capitale de la Flandre intérieure pétrie de catholicisme, le Front de Gauche double son score en pourcentage et passe de 362 voix (2010) à 1310 (Mélenchon). Cela montre que l’influence du FDG va au-delà de celle du PCF. Cela dit, ces fortes progressions urbaines ne sont pas confirmées dans les petites villes et villages puisque la progression d’ensemble (+1,4) est somme toute modeste. Le résultat à St-Amand, ville administrée par le communiste Bocquet -où le Front de Gauche obtient un score élevé- montre que la présidentielle est vécue comme la recherche d’un homme sûr d’être élu quelle que soit par ailleurs l’appréciation que l’on porte sur le parti qui dirige la commune ou le département. F. Hollande a bénéficié du vote utile au détriment du FDG. Globalement, toutefois, le Front de Gauche peut se montrer satisfait. - concernant le Front national (FN). Il progresse de 5% au niveau régional. LePen obtient un score très élevé dans son département 62. À Hénin-Beaumont, elle ne confirme pas ses 39% des régionales mais, là encore en tenant compte de la participation, elle peut être satisfaite de ses 35% à la présidentielle. Les électeurs UMP ont à l’évidence voulu lancer un avertissement lors des Régionales. Observons la courageuse résistance du Front de Gauche dans cette ville surmédiatisée à cause des prétentions du leader du FN. Autre phénomène relevé par les observateurs, en France entière, le FN réussit moins bien à Lille (où le FDG le dépasse) ou à Arras, bref, dans les grandes villes. Dunkerque est un exemple contraire, mais les problèmes de désindustrialisation doivent y être exploités à fond. La région est en passe d’être perdue par le parti socialiste qui n’a pas tenu compte du fort courant d’hostilité à l’Europe «de la concurrence libre et non faussée» y compris dans ses rangs. Même Lille a voté « non » au TCE ! lien : Milieux populaires et vie politique. - concernant justement le parti socialiste. Apparemment, il maintient son influence (niveau régional). Il semble en perte de vitesse dans le 62 où de graves problèmes de gestion de la fédération socialiste sont apparus au grand jour (-3,4% entre 2010 et 2012). Ce qui est inquiétant pour ce parti est la quasi disparition de son allié EELV. Si le vote Hollande est la somme du vote PS + EELV, alors l’audience est en baisse de 9 points ! La colonne du tableau consacrée au vote EELV montre des résultats désastreux. Sauf à considérer, ce qui est vraisemblable, que les électeurs écologistes ont voté Hollande dès le premier tour. Mais alors, répétons-le, le bilan est lourdement déficitaire. Seul, le Front de gauche progresse de manière significative (même le NPA et LO prennent l’eau) et permet à la gauche « en général » de ne pas s’effondrer totalement. En 2010, la somme des pourcentages obtenus par les listes de gauche[1] est de 54,7% au niveau régional. Ce 22 avril 2012, il est tombé à 44,2%. - concernant l’UMP. Le parti du président n’atteint pas le quart des votes exprimés. Il fait mieux qu’aux régionales qui ont été utilisées par ses électeurs comme un vote sanction. Malgré un redressement, le score du 22 avril - très inférieur au niveau national - n’est pas digne d’un parti gouvernemental pour une région d’une telle importance. D’autant que l’UMP résulte de la fusion de trois courants traditionnels de la vie politique du pays (gaullistes, centristes, indépendants). - pour le MODEM, le phénomène observé est inverse à celui de EELV. En effet, le score obtenu aux Régionales est piteux. La stratégie a été mal élaborée. En revanche, Bayrou redresse assez bien la situation avec plus de 7% le 22 avril dans la région N-PDC. C’est la survivance d’un christianisme social et républicain toujours présent dans le Nord.
Cette analyse est à compléter et vos avis sont les bienvenus. [1] Liste PS + FDG + EELV + NPA + LO. |
Milieux populaires et vie politique
22/04/2011 Je voudrais apporter un élément qui justifie la formule "les milieux populaires pensent s'être fait avoir" du sociologue Alain Mergier lequel explique la perméabilité du discours de Marine Le Pen dans un pan de la société. Alain Mergier est interrogé par Le Monde[1] : Le rapport à la politique a-t-il, lui aussi, évolué ? Et il répond : "Beaucoup. Avant la présidentielle de 2007, les milieux populaires pensaient que l'on allait s'intéresser à eux. La preuve : ils ont voté massivement pour Ségolène Royal ou Nicolas Sarkozy au second tour. Bref, ils y ont cru. Leur déception est à la mesure de leurs attentes. Ils pensent s'être fait avoir. J'irai même plus loin : ils estiment que la relégation qu'ils subissent est volontaire. Ils pensent que, pour s'enrichir, les représentants de l'" oligarchie financière ", qui sont les acteurs de la mondialisation, doivent délibérément les précariser et les appauvrir. Cette relation de cause à effet entre mondialisation et fragilisation est au cœur du discours de Marine Le Pen. Voilà pourquoi sa voix porte tant". Je ne suis pas d’accord pour faire démarrer cette évolution du "rapport à la politique" des milieux populaires à la date de 2007. C’est faire l’impasse sur l’escroquerie politique de 2005. Cette année, les Français ont été appelés à se prononcer sur le traité constitutionnel européen (TCE) par voie de referendum. Leur rejet fut sans appel : le "Non" l’emporta par plus de 55%. Pas 50,1% contre 49,9, non ! 55/45… c’est considérable, c’est clair et c’est net. C’est l’époque où furent constitués les comités du "Non de gauche" -parce que le FN appelait lui aussi à voter non - ancêtres du Front de Gauche actuel. Mais je voudrais m’arrêter sur la position du parti socialiste. Le PS avait appelé à voté OUI. La totalité de son temps de passage à la TV et à la radio fut réservée aux dirigeants socialistes partisans du OUI. Laurent Fabius, fin politique, avait appelé au NON mais ces petits "camarades", un grand nombre en tout cas, lui ont gardé une haine inextinguible. Et c’est fort dommage, selon moi, car cette position -s’il l’avait actualisée et rendue concrète pour la présidentielle 2012- lui aurait permis d’être un rassembleur au second tour. Les sondages sortis des urnes, comme on dit, ont montré qu’une large majorité de l’électorat socialiste a voté NON. Désaveu clair de la direction. Prenons l’exemple de la Région Nord-Pas de Calais, fief historique, s’il en est, du PS qui dirige le Conseil régional, les deux conseils généraux, moult municipalités. Implantation qui lui permet de faire élire 4 sénateurs sur 11 dans le Nord et 3 sur 7 dans le Pas-de-Calais. En 2007, il obtient 10 sièges de députés sur 24 dans le Nord et 12 sièges sur 14 dans le Pas-de-Calais. On a là deux de ses plus grosses fédérations. Or, quels sont les résultats du referendum TCE de 2005 ? (suffrages exprimés) :
Sources : Lemonde.fr 1992* : "oui" à "Maastricht". L’ampleur du vote "Non", encore plus grande qu’au plan national, confirme le détachement des électeurs socialistes à l’égard des consignes de leur parti de préférence. J’ai choisi la ville de Lens parce que je me souviens d’une élection où le maire socialiste de cette ville avait été élu député lors d’une législative dès le premier tour. La ville de Lille avait montré son attachement à la construction européenne en votant largement OUI lors du referendum relatif au traité de Maastricht. En 2005, le Non est majoritaire ! Alors que la municipalité lilloise -socialiste- développe largement son image de métropole européenne, tournée vers un avenir qui se fera nécessairement en partenariat avec l’Europe de Bruxelles, etc…etc... La progression du NON entre 1992 et 2005 -presque 10% de plus - n’a fait tirer aucune conséquence politique à ce parti qui continue sa fuite en avant dans l’Europe des marchands. Déjà, le Non à Maastricht majoritaire dans les célébrissimes "couches populaires" aurait dû être un signal d’alarme. Il n’en a rien été. Le Non à Maastricht avait été stigmatisé par les catégories élito-techno-médiatiques qui parlaient de populisme déjà et Philippe Seguin, partisan du NON, avait dénoncé "ceux qui savent" ou croient savoir. Cette morgue, loin d’être caduque, avait été redynamisée pour le TCE, ce qui avait amené Laurent Fabius à déclarer « il n'y a pas, d'un côté, les "sachants", partisans du "oui" et, de l'autre, les "ignorants" pour le "non" »[2]. Il faut avoir vécu, en effet, l'arrogance et la suffisance des partisans du "oui" et le peu de cas qu'ils ont fait de l'avis des partisans du non, pour sentir de quoi se sentent investis les adeptes de l'hétéronomie. Mais le pire est arrivé quand, le TCE chassé par la grande porte par les Français est revenu par la fenêtre. Le traité de Lisbonne en reprend l’essentiel et on le fait adopter par le Congrès à Versailles. Tour de passe-passe qui ne pouvait que désespérer Billancourt, aujourd’hui dira-t-on les "quartiers sensibles", les "cités", que sais-je …Pourquoi voter puisque de toutes façons les jeux se font ailleurs ? Comment croire en la démocratie quand autant de faits concourent à la vider de son sens. A cette tragique expérience du referendum balayé d’un revers de main, s’ajoute la bataille des retraites, dont la réforme est imposée par une majorité qui n’a pas été élue pour cela. Choix de société qui méritait/exigeait une approbation populaire. C’est pourtant en mobilisant à gauche l’électorat populaire que l’on peut espérer un changement réel. Il n’y a pas d’autres issues. [1] Edition du jeudi 21 avril 2011. [2] Le Monde du 13 octobre 2004. |
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