L’électorat FN ne cesse de croître dans le département du Pas-de-Calais comme en témoigne le tableau ci-dessous : (voir la liste des sources en fin de seconde partie). Le léger recul de 2007 étant dû, comme chacun sait, aux promesses du candidat Sarkozy dont le quinquennat propulsa LePen à plus de 25% en 2012.
Cette progression tranche avec l’image qu’on peut avoir de nos compatriotes du Nord de la France : pays des carnavals, de l’accueil fraternel (cf. le logo officiel de la Région), de la bonne bière et de la bonne chère. Image dont le cinéma s’est emparé… Mon propos consiste à chercher pourquoi le FN peut atteindre un score du niveau de 20% des inscrits et comme disait F. Braudel à Marc Ferro, pour bien comprendre, il faut remonter loin. Je n’irais pas jusqu’au Néolithique mais il faut bien dire deux mots de la Renaissance et du XVI° siècle.
Voici d’abord une carte (candidat arrivé en tête dans chaque canton) qui montre les lignes de
forces géographiques des courants politiques en 2012 et qu’il faut connaître : Pour donner un peu de "chair" à cette abstraction électorale, je crois utile de présenter une carte de localisation des principales villes avec le réseau hydrographique ainsi que le célébrissime BASSIN HOUILLER qui, même si l'extraction de houille est définitivement arrêtée - demeure un élément structurant essentiel de la géographie humaine -et donc politique - du Pas-de-Calais (voir la carte des abstentions L'Artois, 4ème partie : l'aujourd'hui.) L'intérêt de cette carte est le suivant : les collines de l'Artois sont un bombement, une ondulation de la couverture sédimentaire. Ce mouvement tectonique a épousé une direction NO-SE bien connue des géographes. La carte montre bien cet alignement des lignes de crête avec des sommets vertigineux comme les 122 m aux sources de l' Aa. Il y a donc une hydrographie conséquente : les rivières comme la haute Aa, la Lys, la Lawe qui arrose Béthune, la Deule qui passe à Lens et même la Scarpe, descendent vers le côté flamand. De l'autre côté, les affluents de rive droite de la Canche et le cours supérieur de ce fleuve lui-même sont de direction orthogonale par rapport à l'axe des collines. Notez que les fleuves picards sont de même direction que les Collines de l’Artois. C'est donc le versant picard. Et vous avez noté que le versant flamand a voté Hollande et les versant picard a voté à droite. Notons également que l'Aa inférieur, après un coude brutal à hauteur de St-Omer, passe à travers la plaine de Flandre maritime, il sert de limite administrative entre Nord et Pas-de-Calais : c'est une limite parfaitement artificielle : les communes de rive gauche (Ouest de l'Aa) ont le même comportement politique que leurs sœurs de la rive droite la Flandre, traditionalisme et vote LePen Le canton d' Audjruicq a placé en tête LePen au 1er tour de 2012. En hachures rouge : le Bassin houiller. Voici
maintenant quelques grands traits qui me semblent structurer la vie politique
de l’Artois-Pas de Calais, traits qui sont apparus pendant notre période
(jusqu’en 1914). J’apporterai des éléments supplémentaires dans le prochain
article qui sera consacré à l’Artois durant l’entre-deux-guerres. . I. UN PAYS CATHOLIQUE Comme le montre la carte Boulard (lien CHANOINE BOULARD : LA RELIGION, VARIABLE POLITIQUE MAJEURE.(atlas) le catholicisme est très prégnant dans la région. Flandre et Artois sont souvent associés de ce point de vue. Ci-dessous: Flandres, Hainaut et Artois en 1477 et l’évêché de Cambrai (à cette date, Calais est toujours anglaise). La réforme protestante affecte surtout les provinces du Nord des Pays-Bas[1], celles du sud (dont Flandre et Artois) restent catholiques. Les Espagnols - à une date où ils étaient le bras armé du Vatican (voir leur immixtion dans les affaires françaises lors de la Sainte Ligue de 1585-1594, cf. mon livre, ici-même) - surent jouer sur la corde catholique pour détacher les provinces du sud de celles du nord. Il fallait sauver l’essentiel puisque le Nord hollandais semblait leur échapper. Ce fut l’Union d’Arras qui proclama son obédience catholique (1579) et espagnole. Victoire de la diplomatie papale et aussi de la servitude volontaire. Il est vrai que ces provinces, davantage agricoles, plus que les provinces néerlandaises davantage tournées vers la mer et le commerce, ces provinces restaient sous domination de la noblesse laquelle eut maille à partir avec Guillaume-le-Taciturne. Surtout quand ce dernier sembla se mésallier en contractant avec le peuple et les bourgeoisies urbaines. Sept provinces protestantes s’unirent dans l’Union d’Utrecht (1579) : ce seront les Provinces-Unies ; république "bourgeoise". Ce n’est qu’en 1648, aux traités de Westphalie, que celles-ci furent reconnues, formellement et solennellement, indépendantes et souveraines par la communauté des Nations. Voici donc une première indication : le comté d’Artois resta fidèle au pape et au Roi d’Espagne ; il est imprégné de catholicité. Le comté d’Artois devint français à partir de 1640 - victoire de Lens - (acquisition confirmée au traité des Pyrénées (1659) 2. Formation territoriale de la France (2ème partie). De François Ier à Mazarin. Et il s’agit d’une catholicité de combat : celle du concile de Trente. Sous le règne de Louis XVI, le frère du roi - Charles, futur roi qui, en 1830, voulut rétablir l’Ancien régime - prit le titre de Comte d’Artois [2]. Charles était un contre-révolutionnaire pur et parfait, il n’aurait pas pris le nom d’une province connue pour sa mécréance. Lors de la Révolution, les prêtres réfractaires à la constitution ont été majoritaires en Artois - pour ne rien dire de la Flandre qui n’est pas dans notre sujet - "une complicité quasi générale leur permettaient même de vivre, plus ou moins clandestinement, au milieu des fidèles" (Pierrard). En 1832, année du choléra, les pèlerinages devant les statues de la Vierge sont légion. Durant la Monarchie de Juillet, une "véritable guerre scolaire" oppose les partisans des Frères des écoles chrétiennes, soutenus et financés par les Légitimistes, aux tenants de "l’école mutuelle". En 1850, la contre-révolution au pouvoir fera voter et appliquer la loi Falloux "qui humilie les instituteurs en les faisant passer sous le contrôle du curé, (qui) favorise les congrégations - les jésuites en tête - et permettra aux catholiques (…) de multiplier les écoles et les collèges libres" (Pierrard). Les diocèses de Cambrai et d’Arras "ont les yeux tournés vers Rome et sont attentifs à tous les besoins du pape". C’est ainsi qu’en 1867, le diocèse d’Arras assure l’entretien d’une grosse compagnie de 116 zouaves pontificaux, le tout payé par les fidèles avec le denier de Saint-Pierre. C’est dans cette ambiance que nait le petit Philippe, authentique artésien. Henri, Philippe, Benoni, Omer Pétain naît en 1856, à Cauchy-à-la-Tour, près de Béthune (Pas-de-Calais). Il naît à la ferme, entre une étable et un poulailler ; c’est le quatrième enfant d’une famille qui est très pieuse. Sa mère meurt après avoir donné naissance à son cinquième enfant. Son père se remarie et a encore quatre enfants. Son enfance se passe sous l'influence de l'oncle de sa mère, l'abbé Legrand. De 1867 à 1875, il est pensionnaire au collège Saint-Bertin de Saint- Omer, où enseigne l'abbé Legrand. L’atmosphère y est hostile à Napoléon III, c’est-à-dire qu’elle est légitimiste. En 1875, le jeune Philippe est attiré par la renommée du père Didon, un dominicain de choc, ultramontain et traditionaliste, futur anti-dreyfusard d’extrême-droite. Il entre au collège dominicain d'Arcueil (dont Didon sera ultérieurement le proviseur). Après quoi, il est reçu à Saint-Cyr, 403° sur 412 admis [3]. Tableau peint au moment de la naissance de Pétain (ambiance). Comment insuffler l'esprit de révolution à ses femmes agenouillées ? Ces comportements ne disparaissent pas en un jour. Notez la localisation du tableau : musée d'Arras. La République est menacée après le désastre de
1870, après la prise de Rome par les Italiens, après la Commune de Paris par
une formidable vague monarcho-cléricale contre-révolutionnaire, marquée, surtout
en 1872 et 1873 après la chute de Thiers, par des prières publiques, des
consécrations, des érections d'églises consacrées au Sacré-Cœur, des processions,
des pèlerinages dont celui d’ Amettes, village artésien -canton d’ Auchel- où est
né le saint mendiant Benoît-Joseph Labre qui sera opportunément canonisé en
1881. La cause de Pie IX - le pape de l’infaillibilité - et celle du comte de
Chambord (Henri V) se mêlent alors dans les élans des foules, à l'exécration de
la République et au salut de la patrie coupable, châtiée mais repentante. Ci-dessous : 10 mars 1906, bénédiction des mineurs victimes de la catastrophe. II. L’HOSTILITÉ A LA RÉVOLUTION ET, DONC, A LA RÉPUBLIQUE Pays agricole, l’Artois est socialement coupé en deux ; les riches et les pauvres, les seigneurs et les paysans. Ces derniers suivront la Révolution de 1789 à contrecœur, une fois chassés les moines, gros décimateurs détestés [4]. De cette méfiance témoignent tous les administrateurs et les missi dominici de la Révolution : "La cocarde civique ne paraît plus se porter dans Lille qu'avec peine" (Lille, 1790); "jetez donc les yeux sur notre malheureux canton (de Pernes-en-Artois) toujours en proie à la voracité du royalisme et du fanatisme" (Pernes, an IV); "l'esprit public se détériore de jour en jour... " (Douai, an V); "la plupart des fonctionnaires sont animés par l'esprit de la contre-révolution" (Arras, an VI); "toujours même insouciance pour les affaires publiques, toujours même dégoût pour les institutions républicaines" (Lille, an VII). Les rapports des agents du Directoire signalent de très nombreux attentats contre les arbres de la liberté qui ont été plantés en 1789. Outre les dégâts provoqués par les guerres et les armées qui passent et repassent dans cette traditionnelle zone de transit et d’invasions, les paysans s’insurgent contre la levée en masse qui leur prend les bras de leurs fils. La levée en masse de 300.000 hommes (1793) est appliquée en Artois comme ailleurs. Dans le district de Saint-Pol (aujourd’hui Arras), les résistances sont fortes, surtout à Pernes (aujourd’hui canton d’ Heuchin) qui fut qualifié de "petite Vendée". Même chose lorsqu’est mise en place la conscription, "en 1813-1814, les déserteurs et les insoumis pullulent (…). Une armée qui prépare le retour du roi et l’arrivée des alliés" est mise sur pieds. Ainsi, "une autre « petite Vendée » se constitue en Artois " écrit Pierrard. Les Bourbons sont accueillis avec ferveur et tout rentre dans l’ordre : "les hommes à passion sont peu nombreux ici et la masse des habitants sincèrement dévouée au roi, à la légitimité et à la charte, ne se mêle pas de politique" (préfet du Nord, 1819). <= L’Angélus Sous la Monarchie de juillet, malgré l’élargissement du scrutin censitaire, "l’Artois et la Flandre sont le plus souvent représentés par des légitimistes" alors que le reste des deux départements votent pour la bourgeoisie orléaniste. Au referendum de 1852, suffrage universel masculin, pour le rétablissement de l’empire, "le Pas-de-Calais, avec 84,7 de oui par rapport aux inscrits (c’est moi qui souligne, JPR) est en tête des départements français. 3876 non sur 161450 votants". A l’échelle nationale, le "oui" obtient en effet 76,7% des inscrits. En 1857, tous les candidats officiels de l’administration impériale "passent sans mal, souvent sans concurrent" lors des élections législatives. Le second empire correspond, grosso modo, à une phase d’expansion économique (phase A d’un Kondratieff), Napoléon III est un interventionniste en économie, bref, le Pas-de-Calais garde longtemps la nostalgie de cette période et cela se traduit au plan électoral. Lors du plébiscite de mai 1870, le département vote "non" à hauteur de 6% des inscrits au lieu de 14% pour l’ensemble du pays. Bully, à l'ouest de Lens, qui n'est encore qu'un bourg rural et qui prendra le nom de Bully-les-Mines en 1921, donne 355 voix à l'empereur, le 8 mai 1870, 1 seul votant la lui refuse... , C’est pourquoi aux élections de 1876, alors que la République est officiellement -quoique fragilement- proclamée depuis l’amendement Wallon de 1875 - le Pas-de-Calais se distingue en envoyant à Paris -outre deux légitimistes- quatre députés bonapartistes ce qui lui vaut le qualificatif de Corse du Nord (Pierrard)… Il existe un courant anti-républicain chez les
ouvriers artésiens dont certains ont été sensibles aux sirènes bonapartistes.
Daniel Halévy, dans son livre célèbre "La fin des notables", raconte
cet épisode significatif : "l'hostilité des chefs républicains à tout
ce qui portait la marque prolétarienne était si visible que les mineurs
d'Anzin, en juillet 1878, déclarant la grève, (sic) adopteront pour
meneurs des agents bonapartistes. C'est au cri de : "Vive Napoléon IV" qu'ils tenteront
de débaucher les mineurs de Denain qui refuserons de les écouter et les
chasseront au cri de : "Vive la République". Freycinet [5],
au mois d'août, traversant la ville, félicitera ceux-ci d'avoir su résister,
patienter et souffrir pour la République". Certes, cet incident
extrêmement révélateur se situe dans le Nord, département voisin. On
m’accordera que les mentalités ont pu être les mêmes en Pas-de-Calais, la Corse du Nord. III. Les élections de 1877 : "se soumettre ou se démettre" 10 députés sont à élire. En 1877, lors de la grande crise entre monarchistes et républicains, entre Mac Mahon et Gambetta, le Pas-de-Calais, au rebours de ce qui se passe en France, envoie une nette majorité de monarchistes. Les élections générales de 1877 résultent d’une dissolution de la Chambre, élue en 1876, par le président de la république royaliste (oxymore qui dit bien le danger de restauration monarchique) le maréchal-duc de Mac Mahon (voir mon livre, ici-même, vol. 1). L’enjeu est clair et grave : république ou monarchie. Le PdC choisit son camp : ce sera la monarchie. Tableau : vote de 1877 en Pas-de-Calais
Source :
établi à partir des données de l’Atlas électoral N.-PdC.(% par rapport aux INSCRITS) Le chiffre des abstentions montre le degré de mobilisation des masses (cf. tableau) pour voler au secours de la monarchie et du maréchal. Mac-Mahon bien sûr. Les 16% d’électeurs supplémentaires vont, pour 11% aux Monarchistes, pour 5% aux Républicains. La couleur politique des monarchistes est la suivante : 7 bonapartistes, 1 légitimiste, 1 monarchiste. Parmi lesquels le marquis Alphonse d’Havrincourt grand propriétaire foncier (Arras 2°), Louis de Clercq, fils de banquier, administrateur des mines de Courrières, propriétaire terrien (Béthune 2°), le châtelain Adolphe Partz de Pressy, grand propriétaire, légitimiste d’extrême-droite [6] (St-Pol). Citons encore le bonapartiste intransigeant (sic) Charles Levert, sous-préfet et préfet bonapartiste sous l’empire, élu député par les Artésiens dès 1872, futur boulangiste. Jules Hermary, industriel dans la brasserie (Béthune 1°). Omer Dussaussoy, industriel (Béthune II°). Ce goût des Artésiens pour les élites, cette servitude volontaire, est une conséquence directe de l’imprégnation religieuse et d’un solide encadrement par les notabilités religieuses ou civiles. Mais les masses en question restent aussi fidèles à la droite césarienne : le bonapartisme. Toutes choses à retenir pour expliquer le vote LePen, des décennies plus tard. Après la victoire définitive des républicains -en France, pas dans le département- les catholiques artésiens réagissent aux lois laïques de Ferry. Et les efforts considérables des catholiques portent leurs fruits. "En 1893, le Nord est le premier département français à la fois pour le nombre d'écoles primaires congréganistes (783) et le nombre d'élèves (144030) et pour le nombre d'écoles libres (550) et le nombre d'élève (92 898) Proportionnellement, il en est de même dans la Somme et surtout le Pas-de-Calais" (Pierrard, c’est moi qui souligne JPR). Mais la question scolaire, en créant parallèlement à l'enseignement officiel un enseignement "libre" -en fait catholique- avec tous ses organismes scolaires et parascolaires, a fortement contribué à opposer, dans les départements du Nord-Pas de Calais, deux blocs antagonistes : face à un parti conservateur et clérical puissant et organisé, appuyé sur ses écoles, ses collèges, ses facultés, ses œuvres, et aussi ses presbytères de campagne, les républicains anticléricaux constituent une force importante s'appuyant sur les ouvriers et les classes moyennes des villes (où prospèrent des loges maçonniques) et sur les campagnes peu chrétiennes de l'Avesnois et d'une partie du Cambrésis, du Santerre ou environs de Bapaume (Pierrard). IV. Les élections de 1902 : la république radicale 12 députés sont à élire. Un mot d’abord sur les élections partielles qui ont précédé ces élections générales. Les élections partielles de 1891-92 ont vu poindre le courant socialiste. Les trois premiers succès socialistes dans la région du Nord sont obtenus lors de trois élections partielles successives en 1891-92. Outre celle de Lille (Paul Lafargue), deux concernent le bassin houiller du Pas- de- Calais. Le syndicat des mineurs, qui a organisé les grandes grèves des années 1884 et 1889-91, fait élire ses dirigeants Émile Basly et Arthur Lamendin. A Béthune I° (Lens-Carvin) Basly est élu largement dès le premier tour avec 8.895 voix sur 20019 inscrits. Le candidat arrivé second obtient 5.477 voix. A Béthune II° (cantons de Béthune, Houdain, Cambrin) il faut deux tours. 1er Tour : Inscrits 22.353. Lamendin, 6.083 - Legillon, opport, 5.491 - Dellisse, cons. 5.037 2ème Tour: Lamendin, 8.731, élu - Dellisse, 7.040 - Legillon, 333 Le choix des élections de 1902 se justifie de la façon suivante : depuis 1899, la France a un gouvernement de défense républicaine, élu par la Chambre en raison des excès des anti-dreyfusards, le gouvernement Waldeck-Rousseau LA RÉPUBLIQUE EN FRANCE : 1879-1914 (2ème partie). En 1902, la question posée au peuple français est de savoir s’il faut donner quitus à ce ministère et poursuivre sur la même voie ou, au contraire, s’il faut le sanctionner et retourner à un gouvernement conservateur. Vandenbussche parle d’une "élection de combat" et de "conditions réunies pour faire de ce scrutin un véritable referendum pour ou contre la défense républicaine » ". J’ajouterais pour ou contre l’alliance du sabre et du goupillon. Comment réagissent nos Artésiens ? D’après
les auteurs de l’Atlas électoral [7],
la participation électorale est très forte dans les campagnes et les beaux
quartiers mais en baisse chez les ouvriers qui avaient voté socialiste en 1898.
Mécontentement chez ces derniers d’une part, réaction à droite virulente face à
la République expliquent l’échec de Jules Guesde à Roubaix (Nord), par exemple.
La droite catholique progresse fortement, les centristes autoproclamés "républicains progressistes" sont en réalité de droite : ils sont
élus dans le St-omerois (1° et 2°) où la droite ne présente pas de candidats
contre eux, à St-Pol. Quant à Beharelle (Béthune 4°), "il doit son élection à la droite". En
fait, les républicains progressistes sont les pères de la Fédération
républicaine, droite qui se déplacera vers l’extrême-droite. NB. les chiffres du tableau ci-dessous sont donnés par rapport au inscrits.
Somme toute, il y a stabilité des rapports de force malgré une radicalisation de la droite. Mais droite et centre (en réalité droite-extrême et droite) gardent la majorité absolue des électeurs inscrits. La droite conserve ces 9 députés, la gauche en a 3, grâce au découpage qui a fait passer la représentation de 10 à 12 députés. Le Pas-de-Calais n’est encore pas un bastion républicain. V. LE CAPITALISME PATERNALISTE
Avec le développement de l’industrie extractive et la diffusion des idées socialistes, un fief se dresse face au parti conservateur : le bassin minier. Avec des nuances locales : "le mineur du Nord, plus anciennement implanté, manifeste plus tôt que le mineur du Pas-de-Calais, d'atavisme plus paysan, une indifférence religieuse qui se muera rapidement en hostilité". (Pierrard). Le capitalisme se développe de manière impétueuse dans le Pas-de-Calais où l’exploitation du charbon débute en 1841. De grandes grèves éclatent sous le Second empire. Le patronat est critiqué sur sa droite par les royalistes tenant de l’ancien code de conduite des Corporations et sur sa gauche par les premiers socialistes. Non sans sincérité, le dit-patronat s’engage dans une politique paternaliste qui reçoit le meilleur des accueils chez les ouvriers restés catholiques lesquels redoutent les idées du type luttes des classes. Face au grave problème de la sécurité dans les mines de charbon, une loi très importante est votée mettant en place des délégués mineurs chargés de lancer l’alerte lorsqu’ils constatent un problème. Ces délégués vont vite jouer un rôle-clé dans l’introduction du socialisme dans le Bassin houiller et donner à ce courant politique une orientation qui sera un élément de clivage au sein des mineurs et, par là, de la classe ouvrière artésienne. La critique de droite du capitalisme : Le capitalisme, surtout au début de son implantation est particulièrement criminel quant aux accidents du travail. Les ouvriers n’ont strictement aucune protection. Ce qui n’était pas le cas sous l’Ancien régime où le droit des corporations de métiers prévoyait un minimum de protection sociale. C’est pourquoi, l’extrême-droite légitimiste, favorable à un retour de la royauté, effectue une critique de droite du capitalisme. Voici par exemple une justification de l’inspection du travail, c’est-à-dire l’immixtion de l’administration dans les affaire privées du patronat : "Le vicomte Alban de Villeneuve-Bargemont, préfet de Louis XVIII et de Charles X, (…) tient sans hésiter que l'intervention de l’État chargé du bien commun est légitime et nécessaire dans le règlement des problèmes du travail : "L'inconvénient de pénétrer dans l'intimité des fabriques, d'établir des pénalités, de choquer quelques amours-propres, de contrarier certaines habitudes, disparaît devant une grande nécessité de justice, d'humanité et d'ordre. On surveille, on inspecte les lieux publics, les écoles et les divers établissements destinés à recevoir un grand nombre d'individus ; l'autorité a le droit de les faire fermer s'ils apportent quelque dommage à la société ; elle impose des conditions à leur création et à leur existence. Loin de s'en plaindre, la société applaudit à ces précautions justes et sages""[8]. Villeneuve-Bargemont, devenu député du Nord, plaide également pour la limitation de la durée du travail des enfants et il est à l’origine de la loi du 22 mars 1841 qui traite de cette limitation. Malheureusement, cette loi n’est pas mise en œuvre concrètement. Villeneuve est à l’origine d’une tradition qui rebondit avec le comte Albert de Mun, lui-aussi extrême-droite légitimiste. Toute la droite du Parlement ne suit pas ce réformisme chrétien. Ainsi Jean Jaurès, rapporteur de la loi sur la mise en place de délégués des mineurs pour la sécurité, stigmatise les députés qui torpillent la bonne volonté des chrétiens réformateurs : "c’est-à-dire qu’au fur et à mesure que le socialisme chrétien — où quelques habiles du parti conservateur avaient vu, à l’origine, un moyen nouveau de conserver leurs privilèges de dirigeants — laisse apparaître ce qu’il y a en lui de fonds fraternel et humain, au moment où par la force même des choses et par la noblesse de son inspiration première, il se rapproche des idées de justice, d’émancipation, de solidarité sociale qui sont les nôtres, il est désavoué et déserté par le gros du parti conservateur. (Applaudissements à gauche.). Il apparaît donc, messieurs, qu’aux heures décisives, quand il faut faire, au nom des classes dirigeantes, ou un abandon du superflu, ou un abandon d’autorité, vous résistez aussi bien aux sacrifices commandés par l’esprit chrétien qu’aux transformations réclamées par l’esprit démocratique. (Très bien ! très bien à gauche. — Dénégations à droite.) " La politique des compagnies "Le patron du Nord -lato sensu, JPR- est naturellement et substantiellement paternaliste écrit Pierrard, ou si l’on veut paternel : son goût de l’ordre, son sens de l’autorité, de la famille et des affaires et aussi la simplicité qu’il apporte dans les relations humaines, tout chez lui commande cette attitude. (…) Longtemps le patron - un mot qui dans le Nord prend tout son sens - a travaillé à côté et au rythme de ses ouvriers, à qui il parlait "à la papa" et bien souvent en patois. Époque du bouquet de fleurs que le patron - ch’maît’ va attacher de ses mains à la tête du métier qui a réalisé le meilleur rendement de la semaine ". (Pierrard 359). Bon gré, mal gré, les compagnies se penchent sur le sort des mineurs et il en sortira le statut présenté plus bas. La fosse, les maisons, l'église, les écoles, les dispensaires, le presbytère sont la "chose" de la compagnie ce qui réduit à rien l'initiative et la liberté d'opinion de l'ouvrier, lequel ne peut espérer pouvoir travailler et vivre, lui et ses enfant en dehors de la compagnie. L’Église, protectrice de l'ordre apparaît comme ayant partie liée avec les Compagnies. Ainsi, le 30 mai 1866, l'archevêque, après avoir béni la première pierre d'une école bâtie à Sin-le-Noble par la compagnie des mines d'Aniche, au cours du déjeuner qui suit, porte un toast au directeur, félicitant la compagnie "d'avoir compris qu'en remplissant les devoirs que la religion impose aux patrons envers les ouvriers qu'ils emploient, elle servait en même temps ses propres intérêts" [9]. On ne saurait mieux dire. Les compagnies concessionnaires recrutent leur main-d’œuvre sur place, soit de bons fils de paysans bien catholiques. Mais la dureté du travail, son insécurité, les négligences coupables des compagnies font que des grèves spontanées éclatent, puis des actions concertées. Cela exprime un "républicanisme laïcisant de plus en plus évident. (..). L’ouvrier paraît s’habituer à l’idée que l’Église est liée aux riches " (Pierrard). Les grandes grèves de 1862 et de 1866 (dont s'inspire Zola -Germinal-) se terminent par l’intervention de l’armée et des peines de prison ferme.j Nonobstant, il y a une tradition réformiste à droite, fût-elle minoritaire. Si bien qu’avec l’accord de ces hommes de bonne volonté, des Républicains avancés et de l’action syndicale des mineurs - tous ne sont pas soumis - on a, en 1914, une situation qui se présente de la sorte : "salaire élevé, rémunération assurée en cas de maladie, soins médicaux partiellement gratuits et, surtout, mise à disposition du logement [10] et du charbon sont acquis progressivement dès avant 1914. Ce statut a généré un corporatisme profond reposant sur un syndicalisme puissant, s’appuyant lui-même sur les délégués à la sécurité élus par le personnel depuis (la loi) de 1890" (F. Sawicki). Les délégués mineurs Rapporteur de la commission parlementaire ayant discuté du projet de création de délégué mineur à la sécurité, Jean Jaurès (député d’une circonscription minière) parle ainsi : "Les membres de la commission sont absolument d’accord sur la plupart des points : tous, sans exception, estiment qu’il est utile de créer des délégués mineurs ; tous pensent que ces délégués doivent être choisis parmi des ouvriers mineurs travaillant ou ayant travaillé à la mine ; tous pensent encore que les délégués doivent être élus, pour trois ans, au suffrage universel de leurs camarades ; tous sont d’accord sur les attributions à déterminer pour ces délégués, visites aux chantiers, dans certaines conditions, et constatation des accidents ; tous sont d’accord également pour déclarer que les délégués doivent être payés par les mains de l’État avec des sommes prélevées sur les compagnies". L’élection se fera à la mairie de la commune ayant une fosse, le vote sera secret avec mise du bulletin sous enveloppe réglementaire (ce qui n’était pas encore le cas pour les élections politiques). Une loi de 1901 impose l’utilisation d’isoloirs et de cartes électorales pour éviter la fraude. Cette institution des délégués mineurs a des conséquences importantes. Tout ce qui suit doit beaucoup au travail de F. Sawicki. D’abord, elle contribue à créer une corporation minière qui passe de l’en-soi au pour-soi. Les mineurs sont à part, ils sont l’élite d’une classe ouvrière qui dispose, et elle-seule à cette date, d’une représentation institutionnalisée, découlant de cette loi de 1890. Cette loi confère une place centrale aux délégués-mineurs qui cumulent rapidement mandat syndical et mandat politique : "le déroulement des élections (professionnelles) dans les mairies ne pouvait que renforcer la confusion des élections professionnelles et politiques" écrit F. Sawicki. L’histoire de la mobilisation politique et syndicale des mineurs du Pas-de-Calais révèle l'importance de la remise de soi à quelques leaders peu enclins à s'engager dans les grèves et qui pratiquaient une forme non avouée de cogestion avec le patronat houiller (c’est moi qui souligne JPR) et l’importance aussi du rôle central des délégués à la sécurité. L'influence des représentants du syndicat tient non seulement au faible niveau culturel des mineurs, généralement sous-scolarisés, mais à leur position stratégique dans le dispositif de négociation avec les représentants patronaux. Ils sont en effet les seuls en mesure de coordonner des actions dans les puits des différentes compagnies qui mènent chacune leur propre politique salariale, et d'obtenir des acquis soit sur le plan conventionnel, soit sur le plan législatif par le bais des députés-mineurs. La grève générale chez les mineurs était conçue comme "un moyen de pression exceptionnel, exercé tant sur les Compagnies que sur les pouvoirs publics et sur le Parlement". Un des articles des statuts du syndicat prévoit au demeurant que celui-ci doit faire "tous les efforts pour prévenir les grèves générales ou partielles en proposant aux patrons la création d'un tribunal d'arbitrage composé moitié d'ouvriers, moitié de patrons". On voit bien la distance qui sépare l’orientation de ce syndicat des mineurs avec celle de la CGT adoptée au congrès d’Amiens, en 1906. Les 157 délégués-mineurs recensés en 1906
constituaient une élite, elle-même hiérarchisée jusqu’au sommet "où règnent les députés-mineurs,
pères-fondateurs du syndicat : Émile Basly, Arthur Lamendin, Henri Cadot, (…)". VI. Les élections de 1914 14 députés sont à élire. Jusqu’aux élections de 1914, le département du Pas-de-Calais vote à droite. Dans sa carte, créée pour montrer l’ancienneté de l’orientation à gauche ou à droite des départements, FRANCE 2012, géographie électorale : ça bouge ! (atlas) F. Goguel classe notre département dans la catégorie "à gauche depuis 1919-1936" [11]. Autrement dit, le Pas-de-Calais est resté longtemps une terre de mission pour les Républicains. C’est en 1936, seulement, élections du Front populaire, que la majorité des députés bascule à gauche. En 1914, élections très favorables au récent parti SFIO (né en 1905 de l’unification des divers socialismes), le département est représenté par 6 députés socialistes et 1 radical de gauche [12] soit la moitié des sièges. Mais, exception qui confirme la règle, la SFIO est avantagée par le scrutin majoritaire ; à la proportionnelle, elle aurait eu 1 siège de moins. [1] A cette date, « Pays-Bas » signifie : la Hollande actuelle -Nederland est plus juste-, la Belgique et notre région du Nord-Pas de Calais. [2] Cependant qu’un autre frère prit le titre de Comte de Provence (Louis XVIII), autre terre traditionaliste et FN aujourd’hui. [3]
Paragraphe rédigé d’après le texte de Marc FERRO, Pétain, Fayard, 1988, 790 pages.
[4] Tout ce qui suit doit beaucoup au livre de Pierre PIERRARD (Institut catholique de Paris), « Histoire du Nord », Hachette littérature, 1978. [5] Type du grand ministre républicain opportuniste, polytechnicien, titulaire du portefeuille des Travaux publics, plusieurs fois président du Conseil.
[6) C’est-à-dire opposant politique déclaré sous le règne de Napoléon III, pour les Bourbons, contre l’usurpateur. [7] Il s’agit de l’Atlas électoral du Nord-Pas de Calais, conçu et réalisé par des universitaires du Nord-PdC (P.U. Lille). Trois volumes indispensables pour qui s’intéresse à ce thème et à cette région.[8] Extrait du livre de Villeneuve-Bargemont "traité d'économie politique chrétienne" (1834), cité par Xavier Vallat, "La croix, les lys et la peine des hommes", page 33-34.. [9] D’après le texte de Pierrard, page 308. [10] Particularité qui distingue le Pas-de-Calais de son voisin, le Nord. Dans les houillères du Pas-de-Calais, 50% des mineurs sont logés dans des corons ou cités-jardins. Sawicki citant J. Michel. [11] Cahier F.N.S.P. n°159, Géographie des élections françaises, A. Colin, 1970. [12] C'est-à-dire élu contre un candidat de droite, en l’occurrence un candidat investi par l’Action libérale populaire. Il s’agit de Victor Morel, élu dès le premier tour à Montreuil-sur-mer. Parce qu’il existe des candidats radicaux (indépendant ou autres) qui se présentent contre des candidats socialistes ou radicaux-socialistes. Il est vrai qu’en 1919, Morel se présentera sur la liste du Bloc national contre celle du parti socialiste S.F.I.O., ce qui abonde l’affirmation des auteurs de l’Atlas électoral qui le classe à droite dès 1914. Dans ce cas, la représentation du PdC en 1914 est paritaire : 6 députés S.F.I.O., 6 députés de droite.
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