2. les Canuts

  • Lyon : La révolte des canuts crée le premier journal ouvrier     Mots clés : travail, lyon, prud'hommes, un lieu-une histoire, canuts, séries d'été, virginie varenne, louis babeuf, alexandre dumas,       par Stéphane AUBOUARD       En 1831 et 1834, 
sur les collines ...
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Lyon : La révolte des canuts crée le premier journal ouvrier

publié le 31 janv. 2014, 06:44 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 26 juin 2014, 05:13 ]

    Mots clés : travail, lyon, prud'hommes, un lieu-une histoire, canuts, séries d'été, virginie varenne, louis babeuf, alexandre dumas,

 

    par Stéphane AUBOUARD

 

    En 1831 et 1834, sur les collines de la Croix-Rousse, les ouvriers de la soie luttent pour obtenir de meilleurs tarifs. Une lutte sociale qui sera aussi la naissance d’un formidable creuset de réflexions : l’Écho de la fabrique, journal "industriel et littéraire" de la "caste prolétaire".

    Quelques pas après s’être engagé dans la rue des Pierres-plantées, les clochers, les coupoles et les toits de Lyon se dévoilent, au fur et à mesure que l’on descend la voie pentue. La Croix-Rousse offre le plus beau des tableaux que le promeneur puisse observer de la capitale des Gaules. Sur les murs de la montée Saint-Sébastien, des portraits de Guignol rappellent l’esprit frondeur du quartier et son identité.

    C’est dans cette même montée que les ouvriers de la soie feront parler d’eux dans toute l’Europe voilà presque deux siècles. L’automne 1831 est bien avancé quand se noue le drame. La mollesse de l’activité de la soie entraîne la chute des salaires des ouvriers. Les soyeux, c’est-à-dire les négociants, pour la plupart issus de la classe des canuts, refusent d’augmenter le prix de la façon. Les ouvriers demandent alors au préfet qu’il obtienne des fabricants de tissu un tarif limitant la baisse des prix. Le 26 octobre, les canuts sont écoutés : un tarif limité est imposé que les prud’hommes devront se charger de faire appliquer… Mais, sous la pression des soyeux, les prud’hommes reviennent sur leur parole. Moins d’un mois plus tard, les canuts de la Croix-Rousse descendent dans la rue. La garde nationale, composée principalement de fils de soyeux, leur barre le passage. Les premiers coups de feu éclatent. Trois canuts sont tués, plusieurs autres blessés. Les survivants alertent, dressent des barricades et marchent sur Lyon, drapeau noir en tête, flanqué du slogan qu’ils élèveront en idéal : "Vivre en travaillant ou mourir en combattant". Le 23 novembre 1831, la ville leur appartient après que 600 d’entre eux ont donné leur vie à cet idéal.

    Mais de quel idéal parle-t-on ? D’un simple problème de tarif ? "Longtemps, les canuts ont été décrits comme dans la chanson de Bruant : pauvres et misérables", explique Virginie Varenne, directrice de la Maison des canuts. "“C’est nous les canuts, nous allons tout nus”, dit le refrain… Or la réalité était beaucoup plus complexe" Si les canuts restent aujourd’hui le premier exemple de la lutte du travail contre le capital, les conditions de vie, quoique difficiles, sont loin d’être celles de leurs collègues du nord de la France, victimes de l’industrialisation à outrance des manufactures de textile de la région. "Leur travail était au centre de leurs préoccupations", reprend Virginie Varenne, "Ils étaient quelque 50.000 dans les immeubles de la Croix-Rousse à posséder des métiers dans leurs petits ateliers. Et la conservation de leur savoir-faire était au moins aussi importante que leur lutte contre les négociants". C’est ce qui apparaît aussi à la lecture de l’Écho de la fabrique, premier journal ouvrier de France qui accompagna les deux révoltes des canuts entre 1831 et 1834. Louis Babeuf, petit-fils de Gracchus, fut un des principaux libraires chez qui l’on pouvait trouver le journal. Alexandre Dumas, de passage à Lyon en 1832, avait bien compris la portée de l’événement : "Le progrès le plus grand et le plus remarquable, c’est que les ouvriers eux-mêmes ont un journal rédigé par des ouvriers, où toutes les questions vitales du haut et du bas commerce s’agitent, se discutent et se résolvent. J’y ai lu des articles d’économie politique d’autant plus remarquables qu’ils étaient rédigés par des hommes de pratique et non pas de théorie", écrit-il dans ses Impressions de voyage.

    Les canuts de la Croix-Rousse étaient des gens relativement éduqués. Et leur journal sous-titré "journal industriel et littéraire" avait un quadruple but tout à fait nouveau pour l’époque. En premier lieu, définir la classe sociale à laquelle le journal est destiné. Le 5 avril 1832, dans la seconde présentation du titre, on peut ainsi lire : "Nous serons le journal de la caste prolétaire, tout entière ; à vous donc, artisans de toutes professions, industriels de toutes les classes, ouvriers travailleurs de toute la France". Défendre ensuite ses droits. Dans le numéro du 6 novembre 1831, en plein cœur de la première révolte, les plumes des journalistes se déchaînent contre une certaine bourgeoisie : "Bientôt les grands qui encourageaient la classe industrieuse en devinrent le fléau par leur cupidité (…), on diminua chaque jour le tribut qu’on payait au travail (…), c’était le temps du grand siècle ; ses lumières avaient pénétré jusque dans l’humble demeure de l’artisan, qui lassé de tant d’humiliation leva la tête et demanda le prix de ses peines et de ses travaux". Continuer d’éduquer cette même classe : dans l’édition du 14 octobre 1832, une rubrique spéciale est mise à disposition, donnant même des conseils de lecture : "Chaque pensée doit être lue et méditée avec soin, soit qu’on l’approuve, soit qu’on la rejette, afin de rendre raison des motifs d’approbation ou de blâme". Le journal sera, enfin, le lieu de tous les débats. Traversé par les idées de Fourier, des saint-simoniens et des premiers socialistes, il sera le médiateur d’inventions sociales décisives : le mutuellisme et la coopérative naîtront de cette feuille pas comme les autres. De par ce journal et la lutte des canuts, la Croix-Rousse fut bel et bien la source des futures analyses modernes, notamment marxistes, de la lutte du travail contre le capital.

    L’École normale supérieure de Lyon 
a mis en ligne l’ensemble des numéros de 
l’Écho de la fabrique à l’adresse : echo-fabrique.ens-lyon.fr

    La maison des Canuts. Au 12, rue d’Ivry, dans le quartier de la Croix-Rousse, s’élève la Maison des canuts. Ce musée dirigé par Virginie Varenne est le seul lieu dédié aux canuts de la colline. Outre l’histoire des différentes révoltes des ouvriers, cette maison présente tout le savoir-faire des canuts. Métiers à tisser, navettes, mécaniques Jacquard, lampes, ciseaux, etc., c’est aussi l’occasion de découvrir l’incroyable variété des métiers qui gravitaient autour de la fabrication d’un tissu.

        Stéphane Aubouard

Article de l’Humanité, paru le 9 août 2013, dans la série "un lieu, une histoire"

                                            ***

NB. Je -JPR- rappelle au lecteur qu'il existe une association dénommée L'ESPRIT CANUT qui n'est pas satisfaite, loin de là, de la seule existence de cette maison des Canuts. Voici ce que j'ai pu retirer d'un entretien avec un membre de cette association. :

    La Maison des Canuts, en 2004 après la faillite de la COOPTIS, est restée propriété publique grâce à la mobilisation populaire (de notre association en premier lieu qui s'est créée au cours de cette lutte).

    Nous ambitionnions la création d'un véritable lieu muséal prenant aussi en compte la dimension sociale et politique de l'aventure des tisseurs de soie. La municipalité a fait un autre choix : acheter ce lieu pour le remettre à des "artisans-commerçants" privés dont l'activité principale est la vente de foulards, cravates, cartes postales ... Ils sont tenus, en échange, par un cahier des charges, de faire des démonstrations sur les métiers que la municipalité a acquis en 2004, de résumer en quelques minutes l'odyssée des canuts à des visiteurs (que l'on s'empresse ensuite de rassembler dans la partie magasin). Du coup, cette structure, qui se présente volontiers elle-même comme "le musée des canuts", est en fait une simple vitrine d'un patrimoine canut réduit à quelques aspects, un patrimoine en voie de folklorisation. La Maison des Canuts n'est qu'un cache-misère, un prétexte officiel pour ne rien faire ...

     L'Esprit Canut vient de constituer un collectif (avec d'autres associations, des universitaires, historiens, architectes ...) baptisé CANUTOPIE ... Le travail continue vers une reconnaissance des patrimoines matériel et immatériel que nous ont légués les canuts et la création d'un lieu muséal à l'échelle de cette histoire.

Pour une Renaissance de « L’Esprit canut »… par Lucien Bergery

publié le 15 mai 2012, 06:00 par Jean-Pierre Rissoan

C’est moi qui donne ce titre à cet éditorial que Lucien Bergery signe dans le nouveau numéro de la revue L’Esprit canut dont j’ai déjà publié quelques bonnes feuilles sur ce site. C’est comme un appel à la participation citoyenne !

Je lui laisse immédiatement la parole. J.-P. R. 

 

        Amies lectrices, amis lecteurs,

 

    A l'occasion de la parution de son 20ème numéro, votre gazette, qui essaie depuis 2004 de se faire une petite place parmi les périodiques gratuits distribués sur le quartier, ressent le besoin d'un moment de réflexion ... Réflexion sur la ligne éditoriale, réflexion sur les rubriques et leur contenu, réflexion aussi sur le fonctionnement de la commission qui l'a prise en charge ... Votre journal se permet donc une sorte de revue générale avant un nouveau départ avec vous, lecteurs fidèles ou occasionnels, qui devez, si vous le voulez bien, dessiner de nouvelles perspectives à «L'Esprit Canut» en étant à la fois les architectes et la clé de voûte de cette construction.

    Cette gazette est née dans l'urgence, en 2004, en même temps que l'association « l'Esprit Canut » dont elle est l'expression. II s'agissait à l'époque de sauver «La Maison des Canuts» d'une disparition pure et simple, et de créer, à la Croix-rousse, un lieu de mémoire à la hauteur de l'aventure extraordinaire des tisseurs de soie de Louis XI à nos jours. Ce projet fondateur s'est construit progressivement en se précisant et en s'affinant au fil du temps. Il a pris une nouvelle dimension cette année 2012 autour de deux tables rondes (janvier et juin) avec des échanges tout à fait passionnants.

    La raison d'être de notre association, en même temps que la ligne éditoriale de notre gazette est donc bien de concevoir un lieu muséal original qui tisserait du sens en plaçant sur le métier chaque fil du patrimoine canut : du plus technique au plus humain, du plus ludique au plus tragique, du plus local au plus universel. Une trame qui essaierait de restituer au mieux l'histoire des canuts dans tous ses aspects. Mais aussi un laboratoire ouvert à la réflexion sur le monde du travail, dans ses évolutions contradictoires, aujourd'hui et demain. Un lieu incontournable qui ne remettrait pas en cause les structures existantes autour des tisseurs, mais qui serait un lien sémantique, un catalyseur d'intérêt et de curiosité pour un parcours plus complet et une exploration plus approfondie du patrimoine canut. Amis lectrices, amis lecteurs, notre gazette n° 19 avait commencé son éditorial par cette belle phrase d'André Malraux: « L'héritage ne se transmet pas, il se conquiert ». Cet engagement, le partagez-vous ?

    Dans notre conception de la gazette, ce fil rouge (le lieu muséal à venir), pouvait se trouver renforcé dans une mise en chaîne où d'autres fils, multiples et complémentaires, participent à la cohérence de l'entreprise. Ce sont les rubriques que nous avons tenté, avec plus ou moins de réussite et de régularité, de tenir tout au long de ces numéros. On peut citer en vrac :

    - La question du patrimoine (croix-roussien, mais aussi lyonnais, régional ...) que nous avons élargie à des réflexions plus générales sur les notions de patrimoine matériel et immatériel ;

    - La question du travail aujourd'hui, ses organisations, ses mutations ;

    - La rubrique «une vie» qui présente un parcours humain intéressant (autour des métiers du tissage par exemple, mais pas exclusivement) ;

    - La rubrique «savoir-faire» décrit des techniques professionnelles, des démarches qu'il semble intéressant de faire connaître.

    - Et puis diverses rubriques autour de l'histoire (locale surtout), de la lecture (auteurs lyonnais ou thématiques intéressantes pour «L'Esprit Canut»), de la poésie, de la gastronomie.

    Cette liste bien sûr n'est ni exhaustive ni figée. On pourrait proposer des ajouts, ou, au contraire, préférer un recentrage du contenu autour de thèmes mieux ciblés. N'hésitez pas à donner votre avis. En franchissant le cap de son 20ème numéro, «L'Esprit Canut» revendique son nouveau statut d'adulte : il se veut en harmonie avec les valeurs qu'il défend: échange, coopération, engagement.

    Le fonctionnement de la commission gazette ne nous semble pas, actuellement, répondre à ces valeurs car ses membres assurent très souvent l'ensemble des tâches nécessaires à la réalisation du journal : choix des sujets, rédaction des articles, corrections - C'est le cas par exemple pour cinq articles sur huit dans le n° 19- .

    Amis lectrices, amis lecteurs, cette gazette est la vôtre. L'esprit canut qui l'anime doit se traduire dans la réalité de son fonctionnement et de son contenu qui peuvent se démocratiser au sens premier du terme, c'est-à-dire concerner chacune et chacun d'entre vous. Transmettez-nous vos suggestions et propositions d'articles. Faites connaître ce journal autour de vous. Sollicitez des personnes de votre connaissance susceptibles d'apporter leur contribution. Des dizaines, des centaines de lectrices et lecteurs ont des choses à dire, des expériences à transmettre. Il ne faudrait pas que la difficulté d'écrire apparaisse comme une barrière infranchissable à la contribution de chacune et chacun. Il sera toujours possible de trouver des solutions pour donner vie à vos idées :

-     recueil des informations sous forme d'interview,

    - enregistrement oraux puis réécriture par la commission,

    - aide à la rédaction par un membre de la commission

 

    Parodiant Malraux, on pourrait dire que la parole ne se transmet pas, elle se conquiert... Sinon, ne risque-t-elle pas de vous être confisquée ?

 

    Parlez, criez, écrivez ... L'esprit canut c'est le vôtre.

 

                    Lucien Bergery, 14 mai 2012.

REMUNERER LE TRAVAIL, mais comment ?

publié le 27 juin 2011, 03:18 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 2 juil. 2011, 01:32 ]

  13/05/2011  

Après la publication de mon article sur "les Canuts, ennemi intérieur", je suis allé acheter la presse, comme on dit, et dans "L’Humanité des débats" -que tout honnête homme devrait lire et relire- je tombe sur une interview de Philippe Villemus, auteur du livre "le Patron, le footballeur et le smicard", aux éditions Dialogues. Villemus réclame un débat sur la "juste valeur du travail". Autrement dit, après l’article de L’esprit canut sur la lutte séculaire des Canuts pour le TARIF, et le paragraphe 4 de Prévost Mais qu'est-ce donc que le travail ? on est en plein dans le mille.

Voici des extraits de son ITW.

Vous souhaitez qu’on ouvre un débat sur la juste valeur du travail ?

P.V. : La valeur du travail devrait être la résultante de son utilité sociale, financière, éventuellement son utilité morale ou esthétique (ah ! les Canuts tissant les chasubles d’or ! JPR). A partir du milieu des années 1990, le capitalisme financier a éliminé certaines composantes : la valeur sociale ne compte plus, la valeur esthétique non plus, ce qui compte, c’est la stricte valeur financière. C’est pourquoi une infirmière, un instituteur, un médecin du SAMU, qui sont beaucoup plus utiles socialement, sont moins bien payés qu’un trader, un publicitaire ou un footballeur. 

Vous dîtes qu’on marche sur la tête. Comment remettre tout ça à l’endroit, selon vous ?

P.V. : il faut s’interroger sur les tranches de l’impôt sur le revenu du travail. Aujourd’hui, la tranche maximale est à 42%, on pourrait la faire passer à 60% au-delà de 1 million d’euros, 70% au-delà de 3 millions, 80-90% au-delà de 10 millions d’euros.

Vous jugez illégitimes les rémunérations des très grands patrons ?

P.V. : Il y a patron et patron. Il y a 300.000 dirigeants salariés e, France, avec une rémunération nette par an de 55.000 €. Ce n’est pas excessif. Quant aux patrons du CAC40, quand on cumule tous les avantages, j’arrive à des moyennes de 8 à 10 millions d’euros de revenu par an. Totalement excessif, illégitime. La plupart ne sont pas des créateurs de l’entreprise, mais des salariés qui ont souvent été "héliportés" par le pouvoir politique. On entend : "les patrons créent de la valeur". Mais depuis 2000, la valeur financière des entreprises du CAC40 a été divisé par près de deux ; dans le même temps, les salaires des Pdg ont été multipliés par 2,5. On dit aussi : "ils créent des emplois". Sur la même période, ces entreprises ont détruit des emplois en France…

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LES CANUTS ou l’ennemi de l’intérieur…

publié le 27 juin 2011, 03:16 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 4 sept. 2013, 09:56 ]

  13/05/2011  

    Avec cet article je voudrais "rebondir" sur celui de J.P. Prévost consacré à la lutte permanente des Canuts lyonnais pour obtenir un tarif digne de leur travail et à la hauteur de leurs besoins. LES CANUTS, LE SMIC ET LE POUVOIR D’ACHAT : LA LUTTE CONTINUE…

    Cette lutte a pris en 1831 une dimension telle que chacun a ressenti que les révoltes ouvrières du passé laissaient la place aux révolutions ouvrières que la révolution économique en cours généraient quasi obligatoirement.

    Louis de Bonald, théoricien de l’extrême-droite, reliquat de l’Ancien régime, voit se dresser devant lui le "quatrième État", autrement dit la classe ouvrière. En bon conservateur, il préfère la bonne vieille France agricole, regrette l’industrialisation et les conséquences qui, selon lui, en dérivent. Il se dresse plusieurs fois contre les dépenses de l’État dont celles liées à la misère. "Les maisons de correction, les bagnes, les prisons ne suffisent plus à la multitude des condamnés ; on est obligé de prendre sur la subsistance du pauvre et d'augmenter les impôts pour loger, nourrir, entretenir et garder une population de malfaiteurs, de vagabonds, d'enfants trouvés, de révolutionnaires réfugiés de tous les pays" (xénophobie en germe). Plus loin, il écrit : la plus grande dépense de tous les États sont les pauvres"[2].

    Pour notre extrémiste, l’une des causes principales est le développement inconsidéré de l'industrie : c'est le superflu de la population industrielle qui peuple les hôpitaux, les bagnes, les maisons de détention et de correction. La partie agricole est le peuple de l’État, la partie industrielle en est la populace. Ne nous méprenons pas, Bonald sait très bien la différence entre peuple et populace : il cite ses lettres dont Cicéron : non populus sed plebs. Cela avant que Thiers ne parle de la "vile multitude" peu de temps après.

    Après les barricades des Trois Glorieuses parisiennes, Bonald a connu la révolte des canuts lyonnais de 1831 et les secousses qui ont suivi. Il met au point, alors, son concept de guerre civile : celui d’ennemi intérieur. "A mesure que les États se placent dans leurs limites naturelles, et que de grandes puissances toujours armées se balancent les unes les autres (…) on a moins besoin de grandes armées pour faire la guerre au dehors mais une force publique est nécessaire contre l'ennemi intérieur qui marche constamment au renversement de toutes les institutions sociales, et pour faire cette guerre avec succès, il faut des armées moins nombreuses qu'obéissantes et fidèles au pouvoir et propres à l'état de paix comme à l'état de guerre. C'est le chef d’œuvre de la civilisation chrétienne[3], c'est ce que n'ont pas connu les monarchies de l'antiquité et que ne connaît pas le despotisme oriental. C'est aussi ce que la révolution a tué comme tant d'autres choses en abolissant la noblesse, force morale de l'armée dont le soldat n'est que la force physique". Un peu plus loin, il insiste car cela lui tient à cœur : "Les seules et vraies ennemies des sociétés sont aujourd'hui les fausses doctrines et les mauvais exemples".[4] Bonald théorise donc le recours à l'armée pour mater les révoltes populaires. La peur sociale est bien présente dans son discours "(…) la propriété, objet d'envie plutôt que de respect, est devenue matière de vol et de brigandage et mal défendue par la souveraineté du peuple". Bonald est victime de l’insécurité …

    Ce thème odieux de l'ennemi intérieur est appelé à perdurer. "Le parti communiste est un ennemi de l'intérieur contre lequel il faut décréter la mobilisation générale" déclarera la vice-présidente du Front National lors d'un meeting, en 1984[5].

    Ce mot bonaldien est pris à la lettre. En 1834, à Lyon, on a pu comprendre à quoi pouvait servir la ceinture de fortifications qui enserrent la ville : le feu des forts est dirigé sur la ville insurgée. "Les forts des hauteurs bombardent la ville" écrit Jean Bruhat qui cite un député conservateur de 1834 : "Lyon a subi les ravages d’une horrible dévastation, les lois de la guerre ont été appliquées avec toutes les conséquences. Des habitations sont tombées au bruit de la foudre ou ont été dévorées par l’incendie. Des citoyens inoffensifs, des femmes, des enfants sont morts, victimes des moyens employés pour comprimer et réduire la rébellion". Mais tout cela était prémédité. "Je serai franc" écrit Monfalcon, auteur d’une histoire contemporaine des évènements (1834) "oui, l'autorité en plaçant autour de Lyon une ligne formidable de défense a pensé à l'ennemi intérieur autant qu'aux Sardes[6] et aux Autrichiens ; oui, son système de fortifications porte l'influence dés souvenirs de novembre (1831, JPR), fortement empreints, et celle de la prévision d'une nouvelle attaque à main armée des ouvriers contre nos institutions".

    Pareillement, en 1841, Guizot construit les fortifications de Paris. Cet état d'esprit des classes dirigeantes contre les classes "dangereuses" est conservé en permanence. Les grands travaux haussmanniens à Lyon et Paris, les grandes avenues percées au travers du tissu urbain hérité du Moyen-âge ont explicitement pour objectif "le maintien de la tranquillité de la cité", et la construction de ces avenues -où les pièces d'artillerie pourront manœuvrer facilement[7]- "est encore plus indispensable sous le rapport stratégique que sous ceux de la salubrité et de l'embellissement de cette ville". C’est ce qu’on peut lire dans une lettre du maréchal-comte de Castellane, gouverneur militaire de Lyon, à Vaïsse, préfet du Rhône-maire de Lyon[8] en octobre 1853. La préméditation du massacre des insurgés est patente.

    Mais les objectifs de classe sont atteints, au moins pour un temps. Un mois seulement après l’échec de la tentative de 1834, un député lyonnais déclare à la chambre des députés : "dans Lyon, plus le salaire est faible, plus les ouvriers sont laborieux ; car, lorsque le prix des journées est élevé, ils gagnent en trois jours de quoi ne rien faire le reste de la semaine "[9].

    Voilà des propos que ne contredirait point l’ami Wauquiez qui préfère s’en prendre aux chômeurs plutôt qu’au chômage. 

    L’ennemi de l’intérieur n’est pas mort : il est la force vive de la nation. Cette position dominante n’empêchera pas les répressions sanglantes comme nous le rappelle Zola dans Germinal, ni le massacre de Fourmies, le 1er mai 1891, date anniversaire qui permet de saluer la mémoire des innocents.

Mais notre règne arrivera

Quand votre règne finira.

Mais notre règne arrivera

Quand votre règne finira.

Alors nous tisserons

Le linceul du vieux monde,

Car on entend déjà la révolte qui gronde !

 sur ce thème, lire aussi : LYON : L’ENNEMI DE L’INTERIEUR, EN 1564 DEJA




 

[2] Louis de BONALD (1754-1840), "Réflexions sur la révolution de juillet 1830" suivis d'autres inédits présentés et annotés par Jean BASTIER, Co-édition Duc-Albatros, Paris, 1988, 176 pages. Ce thème est repris trois fois.

[3] Sans doute pense-t-il au chef d’œuvre de répression que fut celle du Maréchal Soult à Lyon en 1831 (Bonald avait rallié Napoléon, faisant passer par-dessus bord ses convictions légitimistes, il a gardé son admiration pour l’armée impériale).

[4] La faute de grammaire est de Bonald.

[5] Journal LA CROIX, 17 janvier 1984.

[6] Le Piémont (et la Savoie à cette date) appartenait au roi de Piémont-Sardaigne.

[7] En juin 1849, à la Croix-Rousse, une manifestation/émeute des canuts fut écrasée par un feu d’artillerie qui dura six heures ! Le célèbre boulevard de la Croix-Rousse n’était pas encore percé.

[8] C’est l’empire : l’élection libre du maire est supprimée.

[9] Cité par J. BRUHAT, Histoire du mouvement ouvrier français, Éditions Sociales, 1952.

Commentaires


LES CANUTS, LE SMIC ET LE POUVOIR D’ACHAT : LA LUTTE CONTINUE…

publié le 27 juin 2011, 03:13 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 2 juil. 2011, 01:33 ]

  12/05/2011  

Je publie aujourd’hui un article de la revue L’esprit canut que j’ai déjà présentée. L’auteur, J.P. Prévost, présente la lutte permanente des Canuts pour le TARIF. Ce fut une lutte poursuivie de père en fils puisqu’il nous apprend que les émeutes/insurrections eurent lieu, sur deux siècles, en moyenne tous les vingt ans, ce qui est l’âge d’une génération. La relève des combattants fut en quelque sorte toujours assurée. La grande bataille de 1831 étonna le monde et fut un exemple international. Je me souviens d’un colloque tenu à Stockholm en 1960 où des savants étrangers citaient en exemple les Canuts lyonnais de 1831. La célèbre devise des travailleurs croix-roussiens "Vivre en travaillant ou mourir en combattant" a mérité de faire le tour du monde. Y-a-t-il autre voie pour améliorer son sort que la lutte concertée et délibérée ? Leur exemple est à suivre, aujourd’hui où on peut noter chez les plus démunis une tendance à baisser les bras.

Marx avait bien dit que le patronat du XIX° siècle ne donnait qu’un salaire capable de reconstituer la force de travail de l’ouvrier et de préparer celle de ses proles, c’est-à-dire de ses enfants car le capitalisme industriel ne peut se passer des ouvriers. Aller au-délà eût été un gaspillage pour ces familles de marchands-fabricants dont J.-P. Prévost nous dit fort justement qu’ils ne fabriquaient rien. Sur ce thème, on lira avec intérêt l’analyse d’un certain Mayet dès 1786, analyse que cite Prévost dans son article fort bien documenté. Mais l’article de Prévost montre aussi que la revendication du Canut tient à la conscience qu’il a de la qualité de son travail : le rémunérer correctement c’est reconnaître le caractère créateur, artistique de ce tissage. Le Canut défend tout à la fois sa dignité de travailleur et celle d’artisan/artiste créatif.

En novembre 2011, souhaitons que la révolte des Canuts lyonnais de 1831 ait l’anniversaire qu’elle mérite. "Ceux qui vivent ce sont ceux qui luttent" disait le grand républicain Victor Hugo. Que les salariés d’aujourd’hui s’emparent de cet exemple lumineux et s’engagent dans la révolution citoyenne dont les Canuts ont ouvert la brèche.

 

Jean-Pierre RISSOAN

 

DE LEUR TARIF A NOS SALAIRES, LE MEME COMBAT !

 

Par Jean-Paul PREVOST

Revue L’esprit canut, n°17.

 

On a largement décrit les révoltes des canuts : les ouvrages cités en référence en témoignent, comme en témoignera aussi le prochain "Novembre des Canuts" lors du 180ème anniversaire de l’émeute insurrectionnelle de 1831. Bien sûr, nous en serons comme vous en serez. Mais au-delà de l’évènement, l’histoire des Canuts est-elle une matière vivante ? Y-a-t-il encore quelque chose à apprendre d’eux ? En quoi ces ouvriers sont-ils exemplaires ?

La haute conscience qu'ils eurent de la valeur de leur travail, du prix auquel ils devaient être payés, comme du rôle de la puissance publique comme arbitre-régulateur des abus des employeurs sont, de notre point de vue, les aspects essentiels que nous retenons. Car depuis l'origine de l'activité de la soierie, les ouvriers canuts n'eurent qu'une constante : la reconnaissance de leur travail au travers de son prix dans la cadre d'une garantie minimum du salaire, qu'ils appelèrent LE TARIF.

Toujours revendiquée, y compris face aux marchands-fabricants-banquiers tout puissants soutenus par des pouvoirs politiques autoritaires soumis totalement au libéralisme économique, cette garantie, toujours promise ne fut jamais obtenue. Qu'il s'agisse des monarchies (absolues ou constitutionnelles), des révolutions (1789, 1830, 1848), des républiques ou des empires, la bataille du TARIF, menée au prix du sang, ne s'éteignit point Les Canuts nous ont appris que la bataille du prix du travail n'est jamais terminée. Aussi, la Croix-Rousse fit-elle avancer le monde lorsqu'en se soulevant elle cria "Vivre en travaillant ou mourir en combattant". Dans leurs émeutes, insurrections, les ouvriers en soie inventèrent le salaire minimum garanti, ils ont comparé le salaire à l'évolution des prix, interpellé l'Etat dans son rôle de régulateur. Ces géants ont placé la valeur travail au centre de l'activité humaine comme ils ont remis en cause la forme inégalitaire du monde, où tout est centré sur le coût du travail humain, tandis que certains "s'enrichissent même en dormant". Et leur monde est, toutes proportions gardées, toujours le nôtre. Voilà pourquoi il est bon de célébrer les Canuts, ces visionnaires.

1. De l'artisanat à la forme capitaliste du tissage des soies

Tout commence lorsque Charles VIII (1436) autorise "tout artisan à travailler la soie en boutique sans y être empêché", puis que Français 1er (1536) invite "les Italiens à s'installer à Lyon" permettant les transferts de technologie et de capitaux nécessaires, la constitution de grandes fortunes. C'est pourquoi, cent ans plus tard (1619), les "financiers appelés aussi marchands" sont exclus de la "Fabrique" qui redevient alors artisanale à la très grande satisfaction des artisans-tisseurs et de leurs ouvriers.

Toutefois, sous les pressions des marchands-financiers, ces derniers seront réintégrés dans la fabrique en 1667, et, malgré les émeutes d'ouvriers à Lyon et dans les faubourgs voisins (Croix-Rousse, Vaise), l'Ordonnance Consulaire de 1731 leur octroie définitivement la maîtrise totale du tissage des soies : coûts et organisation de la production, des prix de vente, des salaires. L'échec des émeutes de 1745 consacrera la forme capitaliste de l'organisation colbertiste de l'industrie de la soie.

Désormais, la question du salaire ne cessera de se poser!

- 1779 et 1786 un tarif régulateur minimum est ébauché qui ne sera jamais appliqué.

- 1789, Révolution. Rien de nouveau. Pire, la loi Le Chapelier (1791) interdit "toute association entre gens du même métier et toute coalition, base du libéralisme économique". C'est une catastrophe sociale et politique. A Lyon, les émeutes se succèdent, durement réprimées ; les clubs révolutionnaires fleurissent, y compris chez les femmes !

Des comparaisons entre hausse des prix et pouvoir d'achat

- 1793 (janvier), le Comité de Salut Public de Lyon convoque une commission mixte fabricants-artisans fixant une augmentation de 30% pour l'aune tissée, avec un blocage des prix des produits de première nécessité car "le marchand a un pied sur la gorge de l'ouvrier et lui dit : pense comme moi, veux un roi ou meurs de faim".

- L'échec de l'insurrection royaliste lyonnaise fin 1793 sera l’occasion d'annuler la mesure salariale. Répression féroce. Denis Monnet et François-Joseph L'Ange sont condamnés à mort pour n'avoir pas démissionné de leurs fonctions électives municipales pendant le siège royaliste de Lyon.

Le Premier Empire une sorte d'âge d’or

1804 : affluence de commandes pour les demeures impériales sous l'impulsion de Joséphine de Beauharnais qui introduit le motif des roses[1]. Création des Prud'homme.

Les conséquences terribles de la crise économique

1826 : la grande crise économique pendant la Restauration (Charles X) cause la fermeture de 11000 métiers sur plus de 40000. Par rapport à 1812 le salaire s'effondre de plus de 50% suite à "une concurrence infernale".

1830 : l'ouvrier ne gagne pas le tiers de ce qu'il gagnait en 1810, ni la moitié de ce qu'il gagnait en 1824. La journée dure de quinze à dix-huit heures, même pour les enfants de 11 ans. Le canut est décrit comme "une des races les plus chétives d'Europe".

Or le canut est un artiste. Chaque ouvrier, aidé de sa famille, possède sa "patte identifiable" au fini de la soie tissée. Avec le métier à bras, tout travail commencé par l'un doit obligatoirement être fini par ce dernier. Mais son art est nié pour mieux en justifier le sous-paiement Aussi le canut est-il décrit comme un être "chétif, malingre, patibulaire, repoussant". Ses conditions de vie sont très difficiles, le salaire est toujours insuffisant, la misère règne. Mais le canut est fier. Sa prise de conscience sociale ira de pair avec celle de son art. La pire des situations étant celle de l’Edit Somptuaire qui contraint au chômage...

2- Un "grand Lyon" d'ouvriers majoritairement précaires en 1830.

Si Lyon compte alors 133000 habitants, avec les villes des faubourgs de La Guillotière (21000), de la Croix-Rousse (16000), de Vaise (5000), de Caluire (5000), le "Grand Lyon" c'est 180000 personnes (104400 ouvriers dont 52000 pour la soie). Au sommet 600 négociants-fabricants "ne fabriquent rien", au milieu 7000 à 8000 maîtres-ouvriers possèdent les métiers dans leurs ateliers, et, (en intérim avant la lettre), 40000 ouvriers canuts (83% de la profession et près de 30% de la population) travaillent à la tâche pour un ouvrage défini, puis sont débauchés à sa fin. S'ils retrouvent de l'ouvrage, ce sera forcément moins payé, compte tenu des délocalisations, des usines-pensionnats, du recrutement de nouveaux canuts dans les campagnes environnantes, de l'emploi des femmes et des enfants, avides hélas de travailler à n'importe quel prix !

Et pendant que les négociants invoquent les "concurrences suisses et anglaises", le préfet du Rhône affirme que "les fabricants supportent avec courage les pertes que les entreprises de commerce éprouvent de la crise commerciale", et les ouvriers chargés de famille sont dans l'impossibilité de subvenir à leurs besoins. Aussi, victimes des prêteurs et des usuriers, ils sont emprisonnés pour dettes et le bureau de bienfaisance est dans l'obligation de leur tendre des secours en nature, et chaque jour "on trouve cinq enfants abandonnés dont deux par leur mère à la naissance".

Aussi 1831 et 1834 voient des émeutes successives pour obtenir "un tarif minimum à l'aune tissée", suivies des sanglantes répressions du pouvoir politique (plus de 150 morts et 1500 arrestations). Et l'échec des tentatives d'interventions originales du préfet et des élus locaux pour concilier les intérêts entre financiers-marchands et ouvriers, toutes désavouées par le pouvoir central partisan du libéralisme pur et dur, entraînera encore de nouvelles émeutes pour LE TARIF en 1848 et en 1885.

Rien de changé en un siècle puisqu'en 1786, dans son mémoire sur les "Fabriques de Lyon" Mayet écrivait déjà, "Personne n'ignore que c'est principalement au bas prix de la main-d’œuvre que Les Fabriques de Lyon doivent leur étonnante prospérité. Il est donc important de ne jamais oublier que le bas prix de la main d'oeuvre rend l'ouvrier plus laborieux, plus réglé dans ses mœurs, plus soumis à la volonté du fabricant et moins suspect de fomenter des ligues".

3- Rien de nouveau sous le soleil : la question du travail et de son prix reste la question

Il y eut donc dix émeutes historiquement connues pendant la période 1667-1885, soit une tous les vingt ans en moyenne. Et la question du TARIF, toujours posée, n'a jamais été solutionnée, toujours été repoussée, vaincue dans le sang. Et toujours elle se pose, encore et encore.

Lorsque le gouvernement de Louis-Philippe annule le tarif négocié à Lyon le 26 novembre 1831, le Journal des Débats (monarchiste) écrit le 8 décembre "la société moderne périra par ses prolétaires, si elle n'en fait pas des propriétaires", et n'entend-on pas dire aujourd'hui "il faut une France de propriétaires et d'auto- entrepreneurs" ? Lorsque l’Echo de la Fabrique écrit "Tant que l'ouvrier ne gagnera à Lyon que 1fr15 à 1fr25 par jour, il ne pourra vivre. Il faut préserver d’un anéantissement total une branche du commerce qui, à elle seule, fait vivre 200.000 individus" on dit encore aujourd'hui "le prix du travail trop élevé en France fait fuir les investisseurs. Il faut travailler plus pour gagner plus".

Imperturbables, les marchands-fabricants externalisent la Fabrique dans les agglomérations autour de Lyon. Les tonnages de tissus de soie passent de 661 tonnes en 1832 à 718 en 1833, et la question des salaires reste toujours posée. Les patrons d’aujourd’hui délocalisent toujours, c'est seulement plus loin au-delà des frontières et des mers...

Ne sont-ce pas à 180 ans d'intervalle les ni mots, sur les mêmes sujets ?

4- Mais qu'est-ce donc que le travail ?

L'être humain n'est-il pas le seul être à créer, inventer, fabriquer, travailler, transformer la nature ? Mais pourquoi donc la société, telle qu'elle est, réduit-elle le travail, essence de l'homme, au seul salaire, moyen de vie voire de survie ? Pourquoi le travail, œuvre de création pure, est-il ravalé à une marchandise à envisager uniquement comme un "coût" à réduire continuellement ? Les Canuts, entre autres, sont l'expression du refus de cette perversion criminelle quand ils refusent que l'art de tisser devienne un bagne. Hier comme aujourd'hui, on meurt de travailler comme de ne pas travailler. Ne dit-on pas que la pire des punitions est d'empêcher l'être humain de travailler ?

Allez, soyez fiers de votre bataille du TARIF, Canuts ! Elle n'est pas terminée. D'ailleurs, le sera-t-elle un jour ?

 

Jean-Paul Prévost.

Bibliographie de l’auteur :

Cet article se réfère aux ouvrages suivants :

"Les Canuts, Vivre en travaillant ou mourir en combattant" de Maurice Moissonnier, Editions Sociales/Messidor (1988),

"Les révoltes des canuts 1831-1834" de Fernand Rude, Editions La Découverte,

"Les canuts ou la démocratie turbulente" de Ludovic Frobert, Editions Tallandier,

et aux discours de Justin Godart.



[1] Cet "âge d’or" explique sans doute le succès de Louis-Napoléon Bonaparte à la Croix-Rousse, lui qui jouait sans cesse de la corde napoléonienne. (JPR).

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LA REPUBLIQUE : LYON, 13 AOUT 1870, 4 SEPTEMBRE 1870.

publié le 27 juin 2011, 03:08 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 2 juil. 2011, 01:34 ]

17/08/2010  

A. 1870 : Quand les canuts proclamaient la République à la Croix-Rousse, trois semaines avant Paris

Par Jean Butin, l’esprit CANUT, (2ème partie)

 

 (Les agents de la Préfecture) avaient réussi à s’emparer d’une douzaine d'émeutiers qui leur avaient paru particulièrement excités et de leur meneur dans la serviette duquel on avait trouvé des papiers qui ne laissaient aucun doute sur son appartenance au mouvement d'extrême gauche du vieux chimiste libertaire Raspail.

Le soir même de ce 13 août, le gouverneur militaire De Caussade avait annoncé « des désordres ont eu lieu ce matin, des meurtres ont été commis. Des mesures seront prises pour réprimer de pareilles tentatives. Les bons citoyens sont invités à s'abstenir de toute participation à des réunions tumultueuses».

Quant à la presse locale, bien entendu aux ordres, elle avait minimisé l'événement et présenté le responsable des troubles comme un vaniteux écervelé, un « toqué »connu de longue date à l'image de son vieux maître Raspail. Ainsi le Salut Public du 14 août publiait : « qu'on le mène à l'Antiquaille et qu'on le fasse doucher : il n'a pas droit à autre chose ». Et Le Progrès du 15 : « l'intervention de cet olibrius annonçant la proclamation de la république à Marseille, la police aurait eu la sagesse d'assister sans rien faire à cette scène plus comique que dangereuse ».

Quelques jours plus tard, On pouvait trouver en effet une interprétation plutôt comique de l'événement dans le même Salut Public : « l'arrivée de la troupe a eu pour effet de faire détaler les canuts et canuses. Comme tout le monde marchait en sabots, cela n’a pas facilité la fuite. La troupe et les urbains étant aux trousses des fuyards, ces derniers, affolés, pour courir plus facilement, se débarrassaient de leurs sabots. Bientôt les lieux furent libres de manifestants, mais couverts de sabots, que leurs possesseurs se gardaient bien de revenir chercher. Cela fit la fortune d'un dauphinois qui, le soir venu, vint les ramasser pour les entasser dans son entrepôt. Pendant plusieurs jours, il changea les brides, remit du vernis, puis ouvrit boutique». Et c'est ainsi que cette mémorable journée fut qualifiée par certains de « journée des sabots ».

Le verdict : la vérité du 4 septembre

Le samedi 3 septembre à midi, le Conseil de Guerre avait rendu son jugement : Lentillon était condamné à un an de prison, ainsi que deux tisseurs. Les neuf autres prévenus étaient acquittés. On considéra avec soulagement que le tribunal avait jugé sans trop de sévérité ce qu'on qualifiait aussi, benoîtement d'« échauffourée de la Croix-Rousse » alors qu'une sentence impitoyable (et redoutée) aurait donné à l'événement une autre portée. Les juges avaient-ils senti venir le vent de l'histoire ?

La veille même du verdict, Napoléon III signait la capitulation de Sedan. Le matin du 4 septembre, sitôt cette nouvelle connue, des groupes de manifestants venant des faubourgs (maintenant quartiers) de Vaise, de la Guillotière, et, bien entendu, de la Croix-Rousse convergeaient vers les Terreaux. L'Hôtel de Ville était envahi et, une fois de plus, devançant Paris de quelques heures, la « Commune de Lyon » faisait afficher la  déchéance de l'Empire et la proclamation de la République. Un comité provisoire de Salut Public, nommé par acclamations s'installait à l'Hôtel de Ville. L’une de ses premières initiatives fut de libérer Joseph Lentillon (aussitôt nommé membre de ce comité) et ses compagnons. D’autres prisonniers, en particulier l’avocat Louis Andrieux, qui, au cours d’un banquet à Tassin en avril 1869 avait traité Napoléon de « ramolli, usé par la débauche, gouverné par une espagnole et dirigé par un déserteur républicain (Emile Ollivier) » et, de ce fait, avait été condamné à 3 mois d'emprisonnement, furent aussi rendus à l'air libre et portés en triomphe. En revanche, le préfet, son secrétaire général, tous les commissaires de police et quelques autres fonctionnaires impériaux, étaient arrêtés et incarcérés (pour quelques semaines seulement) à la prison Saint-Joseph.

Le 15 septembre, des élections eurent lieu et une municipalité issue du suffrage universel remplaça à l'Hôtel de Ville les hommes du 4 septembre. D’autre part, le gouvernement parisien de la Défense Nationale avait envoyé à Lyon le préfet «vigoureusement républicain» Challemel-Lacour. Le rôle politique de Lentillon s arrêta là. Il regagna son étude de Thurins, puis la presse annonça son décès le 21 janvier 1872. Louis Andrieux devait l’évoquer ainsi : «mystique de la fraternité, météore éteint à peine entrevu ». Il n'en reste pas moins que, dans l'histoire lyonnaise, poussé ou soutenu par les canuts de la Croix-Rousse, ce personnage avait, d’une tribune improvisée, proclamé la future république.

Jean BUTIN

L’Esprit CANUT. Été 2010, n°15.

Directeur de la publication B. WARIN

http://lespritcanut.free.fr

133 boulevard de la Croix-Rousse, mairie du 4ème

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1870 : Quand les canuts proclamaient la République à la Croix-Rousse, trois semaines avant Paris

publié le 27 juin 2011, 03:06 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 17 juil. 2011, 03:04 ]

  18/08/2010  

A. LA RÉPUBLIQUE : LYON, 13 AOUT 1870, 4 SEPTEMBRE 1870.

C’est avec grand plaisir que je fais une place sur mon blog à Jean BUTIN, érudit lyonnais, qui raconte les évènements survenus à la Croix-Rousse, le 13 août 1870, évènements annonciateurs de la révolution républicaine du 4 septembre de la même année. République proclamée à Lyon avant Paris, ce qui flatte toujours un peu les patriotes entre Saône et Rhône.

(Les titres de paragraphe sont de moi-même, JPR)

 

Quand les canuts proclamaient la République à la Croix-Rousse, trois semaines avant Paris (1ère partie).

Par Jean Butin,

l’esprit CANUT,

 

Le 1er septembre 1870 (c'était un jeudi) s'ouvrait au Palais de Justice de Lyon, devant la juridiction exceptionnelle d'un Conseil de Guerre, le procès de 12 accusés, prévenus de rébellion, d'attroupement, d'outrages envers les agents de l'autorité et d'apologie de faits pouvant être qualifiés de crimes. Les dits faits s'étaient déroulés le samedi matin 13 août sur la place de la Croix-Rousse. Mais en quoi pouvaient-ils être qualifiés de rébellion relevant d'unetelle justice exceptionnelle ?

Le Second Empire vivait alors ses derniers jours. Faut-il rappeler avec quelle légèreté l'empereur Napoléon III et son premier ministre Emile Ollivier avaient pris la funeste initiative de tomber dans le piège tendu par Bismarck et de déclarer la guerre à la Prusse le 17 juillet 1870 ? Dès les premiers jours, et en dépit de leur héroïsme (épisodes de Reichshoffen, Gravelotte), nos armées, mal encadrées (comme en 1940) avaient essuyé une série de désastres : Wissembourg, Frœschwiller, Forbach, propres à déstabiliser et démoraliser une opinion pour laquelle une rapide victoire ne faisait aucun doute.

Les prévenus étaient donc au nombre de 12, dont 9 exerçaient les professions de tisseurs et tullistes, autrement dit canuts, et habitaient la Croix-Rousse, commune qui se considérait encore comme indépendante de Lyon, en dépit du rattachement de 1852. Il y avait aussi un ébéniste, une femme sans profession et, pour finir, un notaire établi à Thurins, dans le Rhône, considéré comme le meneur, Joseph Lentillon. Ils avaient, pour la plupart, une trentaine d'années et le plus jeune avait tout juste quinze ans; il s'appelait Alexis Deloche et était le neveu de l'anarchiste Christophe Deloche qui devait prendre la tête de la manifestation fatale au Commandant Arnaud le 20 décembre 1870. Quant à Joseph Lentillon, établi notaire à Thurins depuis 1857, il n'était pas inconnu des croix-roussiens. Né en 1823 à Condrieu, il avait été ouvrier-cordonnier avant d'entreprendre des études de droit, et, disciple du savant anarchisant Raspail, il pouvait faire figure d'ancien quarante-huitard, ayant fait partie du Comité de l'Hôtel de Ville de Caluire de fin février à début avril 1848. Après quoi, devenu clerc de notaire à Lyon, il n'avait cessé de manifester son opposition à l'Empire, sans être autrement inquiété. Le Conseil de Guerre était composé de huit officiers et sous-officiers. La défense était assurée par six avocats, dont un ancien bâtonnier. La foule, nombreuse et hostile à l'Empire, restait calme néanmoins, contenue par de nombreux gendarmes. Parmi les pièces à conviction, figurait l'habit taché de sang d'un sergent de ville mort de sa blessure reçue dans l'échauffourée.

 

« La journée des sabots »

Quant au déroulement des faits, plusieurs témoins rapportèrent devant le tribunal que, ce matin du 13 août, deux à trois mille personnes (mais trois cents selon la police!) s'étaient rassemblées sur la place de la Croix-Rousse, qu'une émeute avait éclaté, sur la foi d'une double nouvelle (fausse) selon laquelle la révolution se déchaînait à Paris et que 30000 marseillais avaient déjà proclamé la république et commençaient à marcher sur Lyon. S'agissait-il d'une provocation ? En tout cas, des cris avaient commencé « la République ! A bas l'empereur !». C'est à ce moment là que le nommé Joseph Lentillon avait pris la tête du mouvement en se hissant sur la croix rousse encore en place et en lisant une proclamation par laquelle il appelait le peuple « Aux armes ! ». Des flots de curieux débouchaient alors de toutes parts, il pouvait bien y en avoir 3000, et les plus excités reprenaient en chœur « à bas l'Empire ! Vive la République ». Et, du même coup, les boutiques de la place et de la grande rue avaient prudemment ferlé leurs devantures.

Etait alors arrivé le commissaire de police de la Croix-Rousse qui, accompagné de six sergents de ville, s'était efforcé de fendre la foule pour s'emparer du principal agitateur. Lentillon et ses amis n’opposaient qu'une résistance passive, mais la foule se montrait de plus en plus hostile, saisissant les agents à bras-le-corps, arrachant leurs épées des fourreaux et se mettant à les frapper. C'est ainsi que l'un deux avait eu le corps traversé de son arme, qu’un autre avait reçu un coup de poignard dans le dos et qu'un troisième avait été violemment atteint d'un coup de pierre à la face. Des femmes s'étaient jetées sur les autres agents, les lacérant de leurs ongles. Quant au commissaire, pris à la gorge, il avait eu ses vêtements complètement déchirés.

Informée de ces événements croix-roussiens, la Préfecture du Rhône (alors située place des Jacobins) avait expédié en toute hâte une forte escouade d’agents qui était parvenue à dégager le commissaire et ses hommes avant qu'ils ne fussent mis en pièces.

Jean BUTIN. (À suivre)

1870 : Quand les canuts proclamaient la République à la Croix-Rousse, trois semaines avant Paris

Par Jean Butin,

l’esprit CANUT, 

 ((2ème partie)



(Les agents de la Préfecture) avaient réussi à s’emparer d’une douzaine d'émeutiers qui leur avaient paru particulièrement excités et de leur meneur dans la serviette duquel on avait trouvé des papiers qui ne laissaient aucun doute sur son appartenance au mouvement d'extrême gauche du vieux chimiste libertaire Raspail.

Le soir même de ce 13 août, le gouverneur militaire De Caussade avait annoncé « des désordres ont eu lieu ce matin, des meurtres ont été commis. Des mesures seront prises pour réprimer de pareilles tentatives. Les bons citoyens sont invités à s'abstenir de toute participation à des réunions tumultueuses».

Quant à la presse locale, bien entendu aux ordres, elle avait minimisé l'événement et présenté le responsable des troubles comme un vaniteux écervelé, un « toqué »connu de longue date à l'image de son vieux maître Raspail. Ainsi le Salut Public du 14 août publiait : « qu'on le mène à l'Antiquaille et qu'on le fasse doucher : il n'a pas droit à autre chose ». Et Le Progrès du 15 : « l'intervention de cet olibrius annonçant la proclamation de la république à Marseille, la police aurait eu la sagesse d'assister sans rien faire à cette scène plus comique que dangereuse ».

Quelques jours plus tard, On pouvait trouver en effet une interprétation plutôt comique de l'événement dans le même Salut Public : « l'arrivée de la troupe a eu pour effet de faire détaler les canuts et canuses. Comme tout le monde marchait en sabots, cela n’a pas facilité la fuite. La troupe et les urbains étant aux trousses des fuyards, ces derniers, affolés, pour courir plus facilement, se débarrassaient de leurs sabots. Bientôt les lieux furent libres de manifestants, mais couverts de sabots, que leurs possesseurs se gardaient bien de revenir chercher. Cela fit la fortune d'un dauphinois qui, le soir venu, vint les ramasser pour les entasser dans son entrepôt. Pendant plusieurs jours, il changea les brides, remit du vernis, puis ouvrit boutique». Et c'est ainsi que cette mémorable journée fut qualifiée par certains de « journée des sabots ».

 

Le verdict : la vérité du 4 septembre

Le samedi 3 septembre à midi, le Conseil de Guerre avait rendu son jugement : Lentillon était condamné à un an de prison, ainsi que deux tisseurs. Les neuf autres prévenus étaient acquittés. On considéra avec soulagement que le tribunal avait jugé sans trop de sévérité ce qu'on qualifiait aussi, benoîtement d'« échauffourée de la Croix-Rousse » alors qu'une sentence impitoyable (et redoutée) aurait donné à l'événement une autre portée. Les juges avaient-ils senti venir le vent de l'histoire ?

La veille même du verdict, Napoléon III signait la capitulation de Sedan. Le matin du 4 septembre, sitôt cette nouvelle connue, des groupes de manifestants venant des faubourgs (maintenant quartiers) de Vaise, de la Guillotière, et, bien entendu, de la Croix-Rousse convergeaient vers les Terreaux. L'Hôtel de Ville était envahi et, une fois de plus, devançant Paris de quelques heures, la « Commune de Lyon » faisait afficher la  déchéance de l'Empire et la proclamation de la République. Un comité provisoire de Salut Public, nommé par acclamations s'installait à l'Hôtel de Ville. L’une de ses premières initiatives fut de libérer Joseph Lentillon (aussitôt nommé membre de ce comité) et ses compagnons. D’autres prisonniers, en particulier l’avocat Louis Andrieux, qui, au cours d’un banquet à Tassin en avril 1869 avait traité Napoléon de « ramolli, usé par la débauche, gouverné par une espagnole et dirigé par un déserteur républicain (Emile Ollivier) » et, de ce fait, avait été condamné à 3 mois d'emprisonnement, furent aussi rendus à l'air libre et portés en triomphe. En revanche, le préfet, son secrétaire général, tous les commissaires de police et quelques autres fonctionnaires impériaux, étaient arrêtés et incarcérés (pour quelques semaines seulement) à la prison Saint-Joseph.

Le 15 septembre, des élections eurent lieu et une municipalité issue du suffrage universel remplaça à l'Hôtel de Ville les hommes du 4 septembre. D’autre part, le gouvernement parisien de la Défense Nationale avait envoyé à Lyon le préfet «vigoureusement républicain» Challemel-Lacour. Le rôle politique de Lentillon s arrêta là. Il regagna son étude de Thurins, puis la presse annonça son décès le 21 janvier 1872. Louis Andrieux devait l’évoquer ainsi : «mystique de la fraternité, météore éteint à peine entrevu ». Il n'en reste pas moins que, dans l'histoire lyonnaise, poussé ou soutenu par les canuts de la Croix-Rousse, ce personnage avait, d’une tribune improvisée, proclamé la future république.

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