1. Moyen âge et temps modernes

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  • La traite négrière, crime contre l'humanité par Mme TAUBIRA         je publie ici l'un des "grands discours de la République" que le journal L'Humanité a fait paraître en série durant cet été 2017. Il s'agit du discours ...
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GCA. BLANDY-LES-TOURS, un château de la Guerre de cent ans.

publié le 17 nov. 2020, 07:43 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 26 mai 2021, 09:21 ]


    Le château de Blandy, Seine & Marne, est intéressant à deux titres majeurs. D’une part, c’est un témoin de la Guerre de cent ans, d’autre part, il a permis de connaître, avec précision, la vie quotidienne des Français à cette époque.

 

UN CHÂTEAU POUR LA GUERRE DE CENT ANS

 

         Blandy est, en réalité plus vieux, puisqu’il a été construit comme manoir – on ignore la date exacte – à l’époque de l’émiettement féodal quand le vicomte de Melun devait lutter contre les empiètements du Comte de Champagne. Lointaine époque des guerres picrocholines comme nous dit François Rabelais, des querelles campanilistes dit Michel Vovelle, c’est-à-dire plus simplement des querelles de clochers. Mais avec la guerre de Cent ans, on passe à l’international – si l’on met à part les Croisades – avec les débarquements anglais suivis des «chevauchées» soit la traversée du royaume de France par les troupes de l’envahisseur. Çà et là, ce dernier s’arrêtait devant quelque ville dont il faisait le siège, tout ce qui pouvait être rançonné tombait sous la loi du plus fort, les campagnes étaient saccagées et tout à l’avenant. Après les désastres de Crécy et de Poitiers, la très lourde rançon du roi Jean II, le traité de Brétigny, Charles d’abord dauphin, puis régent, enfin roi, le cinquième avec ce prénom, réagit avec ses moyens. C’est une guerre d’escarmouches voire une guérilla dans laquelle Du Guesclin excellera, mais c’est aussi le renforcement des moyens défensifs.

Jean Favier résume tout cela avec son brio habituel :

« Les Français n'avaient pu débarquer en Angleterre, les Anglais avaient perdu leur flotte de guerre[1]. Tout se jouait finalement sur terre, forteresse après forteresse. Le sort de la (guerre) n'allait tenir qu'aux «hommes d'armes et de trait» des compagnies et des garnisons. La stratégie des Français était simple, et elle tenait autant aux habitudes de Bertrand du Guesclin qu'au caractère même du roi. Charles V était ennemi des prouesses inutiles et porté à soupeser - dans le secret de son cabinet ou des délibérations du Conseil - le coût politique et financier de chaque opération. Pas de grandes chevauchées, donc, à travers le pays à conquérir[2], et encore moins de ces batailles en règle où le sort du pays se jouait entre l'heure de Prime et celle des Complies (c’est-à-dire en moins d’une journée comme à Crécy, Poitiers…, JPR). (…). La reconquête, ce sont donc dix années d'une lente progression d'un véritable front d'occupation du sol. Ce sont des dizaines de places fortes patiemment enlevées et systématiquement occupées ou démantelées. Ce n'est pas la percée fulgurante des raids sans lendemain, mais l'avance méthodique et obstinée de pions qui sont des garnisons, sur un échiquier fait de courtines crénelées, de ponts fortifiés et de carrefours gardés. La guerre est à la mesure du possible, c'est-à-dire des talents et des finances. Les arrières sont assurés, l'armée est approvisionnée - on se souvient de Tournehem[3] - et la solde est payée en son temps (voir la séquence de la remise de la solde dans le film Du Guesclin, JPR). La sagesse préside à la tactique comme à la logistique. On ne garde une enceinte que si l'on est en état de la défendre, et si elle peut servir à tenir le pays alentour. Sinon, la pioche du démolisseur la met hors d'atteinte de l'ennemi. Aux grandes chevauchées de Knolles, de Lancastre et de Buckingham[4], Charles V et ses capitaines répliquent par la garde et par le guet. On n'affronte pas la chevauchée ennemie, on la harcèle sur ses flancs. Tout cela est moins brillant que la «bataille», mais c'est plus sûr » fin de citation.[5]

A Paris, Charles V réaménage le château du Louvre, fait construire l’enceinte de rive droite, qui portera son nom, avec la forteresse de la Bastille qui garde Paris sur le flanc est. Dans cette même optique, Charles fait renforcer les enceintes des villes et des châteaux. Et c’est là que se place l’essor de Blandy qui, de manoir, devient château-fort. Blandy est situé sur le vicomté de Melun, il est aux avant-postes de la défense de Paris.

Au XIVe siècle, pendant la guerre de Cent Ans et grâce à des mandements du roi Charles V dont l’effort sera prolongé au début de son règne par Charles VI, les comtes de Tancarville Jean II et Guillaume IV – alliés aux vicomtes de Melun - réalisent les aménagements du château-fort. Le château est fortement modifié avec de nouvelles fortifications et structures de défense : les murailles du vieux manoir sont érigées en «courtines crénelées», le fossé est agrandi (à fond plat, 8m de large, 3 à 4m de profondeur), une nouvelle tour-porte avec pont-levis à flèche est percée dans le mur d’enceinte, trois tours sont édifiées avec des murs particulièrement épais : la tour des Gardes, le nouveau Donjon, la tour des Archives, un chemin de ronde est construit en haut des courtines. Le fossé ennoyé est une douve alimentée par les eaux de la région qui n’en manque pas (c’est la Brie des lacs et des châteaux). La platitude de la Brie explique cet aménagement sinon le manoir aurait été construit sur une motte.

         Le château à la fin du Moyen-âge se présente tel que le plan suivant nous l’indique. Ce plan est extrait d’une étude scientifique extrêmement complète dont le libellé est : « Mode de vie et alimentation à la fin du Moyen Age au château de Blandy-les-Tours. Approche pluridisciplinaire des latrines de la salle de l'Auditoire »[6] On trouvera toute une collection de photographies du château de Blandy, pris sous toutes les coutures, avec le lien suivant [7] : https://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Ch%C3%A2teau_de_Blandy-les-Tours?uselang=fr.

Plan du château à la fin du XV° siècle

 

        

Le donjon montre vraiment la vocation militaire allouée à Blandy. On y accède par un escalier qui part de la cour intérieure avec porte et herse. Au niveau du 3° étage, on accède à une sorte de passerelle qui ouvre sur la courtine en direction de la tour des gardes (photo ci-contre). Son plus haut niveau correspond au chemin de ronde ceinturé d’un parapet sur mâchicoulis. Du haut de ses 38 mètres, il domine une grande part de la plate plaine briarde. Appelé à être le dernier recours en cas de siège, le donjon offre une forme de «confort» : les chambres des premiers étages sont dotées de cheminées, de latrines séparées – une tour-latrine flanque le donjon – et des bancs de pierre appelés «coussièges» sont engagés au droit des fenêtres. La tour des archives (à l'est, non visible sur la photo) est, elle aussi, à la fois tour de défense et de résidence. Elle dispose de cheminées, coussièges, d’une tourelle de latrines et larges fenêtres.

Les investissements consacrés à Blandy sont une illustration concrète de la stratégie défensive de Charles V face à l’ennemi qui n’a pas désarmé, stratégie adaptée aux moyens du moment.






UN PARADIS POUR LES CHERCHEURS EN SCIENCES HUMAINES

 

Dans le château de Blandy-les-Tours, la fouille de deux fosses de latrines a permis d'aborder des domaines non pris en compte par les travaux archéologiques précédents qui s'étaient essentiellement attachés à comprendre le monument. Ces deux fosses recelaient en effet un mobilier diversifié de céramique, verre, métal, monnaies et des matériaux de construction en quantité importante, jusqu'alors inconnue dans le château. Les sédiments ont été prélevés, tamisés et traités afin d'y rechercher parasites, graines et pollens, écailles de poissons et os d'oiseaux qui ont apporté des renseignements très intéressants et nouveaux sur le château : l'alimentation végétale et animale, l'hygiène, les occupations des habitants et surtout leur statut social ont pu être mis en évidence par la consommation d'aliments rares, la possession d'objets prestigieux (un flacon bleu de type Murano), etc. Bien que certains apports soient encore à l'état d'hypothèses, l'architecture et le fonctionnement de deux fosses de latrines médiévales ont été étudiés et la micromorphologie[8], alliée à la palynologie[9], en a précisé l'utilisation. Perçue par les chercheurs comme fondamentale, la démarche pluridisciplinaire ainsi entreprise devait aboutir à cette monographie[10].

Les chercheurs se sont alors livrés à une analyse des latrines palynologique, carpologique[11], parasitologique[12] et archéozoologique[13]. Puis à l’étude du « mobilier » : céramique, matériaux de construction, mobilier métallique et non-métallique, verre, monnaies…Voici quelques extraits des conclusions apportées par les chercheurs.

Alimentation végétale d’après l’étude palynologique (Page 41 du rapport) :
    les apports de matières fécales ont permis de déceler que le régime alimentaire des utilisateurs des latrines comportait une consommation relativement importante de céréales, dont le blé et le seigle. D'autres indices polliniques ont permis d'envisager la consommation du raisin ou du vin, du pourpier, l'utilisation du myrte et du genévrier et de supposer un emploi de plantes aromatiques (lamiacées et ombellifères), de plantes sauvages en tant que légumes (orties, crucifères, composées) et de fruits (type prunier). L'étude palynologique permet d'envisager l'emploi de jonchées sur les sols domestiques. Aux graminées dominantes, s'ajoutaient des plantes fortement odorantes.

Hygiène

La parasitologie permet d'apprécier l'état d'hygiène des habitants par la présence d'œufs de vers, trichocéphales ou ascaris, qui sont retrouvés dans les excréments. Il n'y a pas de vers dans la couche 025, mais celle-ci n'a peut-être pas une origine excrémentielle, elle semble provenir du pressurage des grains de raisins et la couleur violette caractéristique (sédiments brun-rouge de la colonne micro-morphologique E7).

La présence d'œufs de parasites indique une mauvaise hygiène personnelle : pas de lavage des mains ; mais également alimentaire : mauvais lavage des fruits et légumes (infestés souvent par épandage du fumier animal sur les lieux de culture) et cuisson de la viande. Cette parasitose n'est pas exceptionnelle non plus, tous les prélèvements effectués dans les latrines anciennes révèlent la présence de parasites humains ou animaux. Les habitants de Blandy n'ont pas de ténia ni de grande ou petite douve : l'absence de ténia signifie que la viande était bien cuite et l'absence de grande ou petite douve du foie signifie la non consommation de foie animal et d'abats. La présence quasi exclusive des deux vers (Ascaris et Trichocéphales) indique une origine humaine (…). Au Louvre, des œufs de parasites de porcs, de chiens et de volailles avaient été trouvés, suggérant des excréments d'animaux élevés non loin. Ce n'est pas le cas ici.

L'apport du mobilier à la connaissance du château

Les vitrages décorés du XIVe s. dénotent une architecture luxueuse dans le château de Blandy, mais ne présagent rien sur l'ensemble du vitrage des fenêtres du château et du niveau de confort des logis, car ils peuvent appartenir à un édifice à vocation religieuse et non pas à l'habitat (P.146).

Quelques pièces du mobilier archéologique permettent d'apprécier la décoration et le niveau de confort du château : un chapiteau montre que les intérieurs étaient raffinés ; des vitrages colorés et décorés de motifs végétaux ou géométriques fermaient les fenêtres ; la présence d'un flacon de verre bleu foncé pouvant provenir de Murano, d'un élément de poêle en céramique, indiquent un certain niveau de confort (p.151).

Le niveau social des habitants est suggéré par la forte proportion de vaisselle de table. L'absence de vaisselle de luxe, grès à décor au cobalt, céramique très décorée francilienne, faïence d'importation, pourrait être due au hasard des rejets. En effet, en ce qui concerne la faïence espagnole, elle n'est pas absente du château comme l'indique la découverte dans la cour, d'un fragment d'albarelle de la fin du XVe s. Rappelons qu'à ce jour, aucun site castral contemporain, pas même le château du Louvre ou le château de Vincennes n'en a livré (p.152).

 

 

 Visite complémentaire indispensable : https://www.chateau-blandy.fr



[1] Après leur défaite devant La Rochelle en 1372.

[2] Sans doute peut-on penser qu’il eût mieux fallu dire « le pays à reconquérir » ? J’invite le lecteur à regarder la carte de France après le traité de Brétigny lequel sanctionne le désastre de Poitiers…

[3] Fin août 1369, après un débarquement anglais à Calais, Philippe de Bourgogne avait reçu ordre de Charles V de refouler l’envahisseur. Après trois semaines de face à face et le ravitaillement venant à manquer, Bourgogne fit demi-tour, « leva le camp, laissant les Anglais libres d’aller où bon leur semblait ». 

[4] Autant de grands capitaines du roi d’Angleterre Édouard III,

[5] Jean FAVIER, la Guerre de cent ans, Fayard, page 338.

[7] Cet édifice est classé au titre des Monuments historiques. Il est répertorié dans la base Mérimée, base de données sur le patrimoine architectural français du ministère de la Culture, sous la référence PA00086817.

[8] Étude de l’organisation microscopique des sédiments meubles et de leur contenu anthropique (os, dents, charbons…).

[9] Étude des pollens et des spores actuels et fossiles.

[10] Extrait de l’ouvrage cité plus haut.

[11] De carpos = fruit ; étude des paléosemences, carporestes conservés et découverts en contexte archéologique.

[12] Étude des parasites pathogènes de l’homme.

[13] Étude des restes des animaux pour comprendre les relations hommes/métazoaires dans les passé (domestication, diffusion des animaux…).

III. NOZEROY au gré des élections...

publié le 19 oct. 2020, 03:24 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 30 nov. 2020, 03:15 ]

Les élections cantonales –ou les résultats par canton – confirment un tempérament politique – mot d’A. Siegfried – nettement marqué à droite.

Pendant longtemps, le conseiller général était élu au suffrage censitaire. On a donc des notables – négociants, notaire, magistrat à Lons – qui représentent le canton à l’assemblée départementale qui porte le nom –création de la Révolution – de Conseil Général. La révolution de 1848 réintroduit le suffrage universel masculin mais on manque d’éléments pour analyser la personnalité du Conseiller général élu en 1851.

En 1855, nous sommes sous le Second empire qui pratique « la candidature officielle » : les élections sont libres en apparence mais le préfet, le sous-préfet indiquent à la population – via le maire qui est nommé – quel est le « bon » candidat pour lequel il faut voter. En 1855, c’est un général de brigade, Gabriel Tyrbas de Chamberet, qui est élu puis réélu sans interruption jusqu’après la chute de l’empire. Chevalier de la Légion d’honneur sous Louis-Philippe (1847), il est officier en 1856 puis commandeur en 1869 : ses états de service ont manifestement plu à sa majesté impériale. On nous dit qu’il était «royaliste», qui peut en douter ?

 SOUS LA III° REPUBLIQUE

 1877 est une date rupture : la majorité des Français opte pour le régime républicain de Gambetta plutôt que pour la monarchie de Mac-Mahon lequel doit «se soumettre». A Nozeroy, le général est remplacé par le maire du chef-lieu : le docteur Charles-Auguste Boichin qui est « républicain ». C’est un progrès ; Nozeroy prend le train de l’avenir. Mais, né dans le département de l’Isère, ayant fait ses études de médecine à Paris, le Dr Boichin n’a pas sur les épaules et sa conscience la pesanteur historique du catholicisme traditionaliste des hauts plateaux du Jura. Cela n’enlève rien à son mérite. Il est élu jusqu’en 1901 : tout porte à croire qu’il a suivi l’évolution des Républicains de Jules Méline.

Avec le long mandat (1901-1918) de Louis Milcent, nous avons l’occasion de présenter une tendance profonde de la droite traditionaliste française. D’autant plus intéressante que je lui ai consacré plusieurs pages dans mon livre. Milcent est un ami d’Albert de Mun, fondateur avec lui, des Cercles catholiques ouvriers. L’objectif est limpide : il faut éloigner les ouvriers des idées révolutionnaires et pire encore socialistes. Pour cela il faut présenter la doctrine sociale de l’Eglise qui est à l’opposé du libéralisme du bourgeois capitaliste[1]. De surcroît, Milcent, maire de Vaux-sur-Poligny, est un militant du syndicalisme agricole, créateur du Syndicat agricole de Poligny (1884) et de la caisse de Crédit agricole (1885), il est aussi fondateur du Syndicat des Fruitières du Jura. On sait qu’à la différence du syndicalisme ouvrier, le syndicalisme paysan officiel rassemble patrons et salariés, employeurs et employés tous unis dans un rejet de la lutte des classes et dans la même ferveur à l’égard de la sainte religion[2]. Tout cela fournissant des militants et des électeurs pour la Fédération Républicaine, qui est à la droite ce que le parti Radical-socialiste est à la gauche.

De 1928 à 1940, c’est Joseph Bœuf qui occupe le siège de conseiller général du canton de Nozeroy. Il est maire de Censeau et est élu, en 1928, avec l’étiquette Union nationale : 802 voix – soit 88% des suffrages exprimés - contre 113 à un courageux candidat radical. L’idéologie de l’Union nationale repose sur le nationalisme et sur l’anti-bolchevisme. A la veille de la seconde guerre, Bœuf porte l’étiquette URD : Union républicaine démocratique, groupe de la Fédération républicaine dont je vais parler. La Fédération républicaine est une sorte d'agglomération de diverses tendances réactionnaires qui est puissante aussi bien à Paris, dans les quartiers de la bourgeoisie patronale, que dans la France profonde comme on ne disait pas encore. Si elle participe à l'écume des évènements parisiens, la Fédération républicaine plonge ses racines dans la France rurale et catholique et Nozeroy est un bon exemple. C'est la Fédération républicaine qui prépare les Français au quasi unanimisme maréchaliste de juin 1940 car « la Fédération républicaine » comme l'écrit René Rémond, historien connu des Droites françaises, « a graduellement repris à son compte l'héritage du traditionalisme... ». Parmi ses leaders les plus connus, je cite arbitrairement Édouard Frédéric-Dupont, Louis Loucheur, Louis Marin, François de Wendel, Philippe Henriot et Xavier Vallat, et dans la génération précédente Jules Méline, ancien président du conseil, Eugène Motte, patron du textile et député du Nord.

Comment s'étonner, dès lors, qu'elle fournira l'essentiel des hommes du régime de Vichy ? Ce parti politique (en réalité un conglomérat) fait le lien entre les masses paysannes catholiques, la grande bourgeoisie d'affaires, le traditionalisme et le régime de Pétain. Certains de ses leaders, Xavier Vallat et Philippe Henriot, seront parmi les pires collaborateurs à Vichy (mais pas Louis Morin, son président, dont le patriotisme servira de boussole). Jacques Bardoux cite en termes élogieux la Fédération républicaine et sociale dans ses livres. Il en présidait la fédération du Puy-de-Dôme qu'il avait créée. Lui également collaborera avec Vichy jusqu'en 1943.

 SOUS LE RÉGIME DE VICHY

 Le cas de Nozeroy démontre l’implantation locale de la Fédération républicaine et, en même temps, sa complexité. Car J. Bœuf perd son poste de conseiller au profit du maire de Nozeroy, de 1943 à 1945, puis retrouve son siège, à la Libération, en 1945 jusqu’en 1949. Que s’est-il passé ?

Il semble que J. Bœuf n’entrait pas dans les vues du régime de Pétain. Par ailleurs, l’État français reprit en main tout ce qui relevait, sous la République, du suffrage universel et s’attaqua aux Conseils généraux. Il les remplace par les Conseils départementaux institués par la loi du 7 août 1942. Parmi les différences, avant tout liées à la nature autoritaire du régime, la plus importante est naturellement la disparition du principe électif. Le choix des candidats par les préfets doit prendre en compte leur ralliement au régime mais aussi leur influence sur l’opinion : avoir été élu sous la III° république est un critère important mais il ne faut pas négliger la représentation sociale. « Il convient en effet de s’appuyer sur les représentants les plus légitimes et les plus traditionnels de l’opinion », ne doivent être exclues du choix du préfet « que les personnalités appartenant aux milieux condamnés : gaullistes, communistes, bellicistes»[3]. Exit donc Joseph Bœuf et bienvenue au maire de Nozeroy, Henri Miélot, nommé comme l’ensemble du nouveau Conseil, par un décret signé Pierre Laval et paru au J.O. de l’Etat français, le 24 mars 1943. Henri Miélot, maire, était donc un bon pétainiste, homme de cette « terre qui ne ment pas ». En 1945, il est évincé et Bœuf retrouve son siège.

 A LA LIBÉRATION

 J’ai la chance de posséder les statistiques complètes, département par département, et canton par canton, des résultats du referendum du 13 octobre 1946 et des élections législatives du 10 novembre de la même année.[4] Le referendum vise à approuver ou rejeter le projet de constitution élaboré par le Tripartisme : MRP, PCF, SFIO. Ces partis proposent le vote « oui », mais De Gaulle appelle à voter « non ! Franchement non ! ». Le vote non permet de mesurer le poids politique du Général dans le pays, sachant qu’il a démissionné en janvier 46 du gouvernement. Cette division provoque le désarroi de nombreux électeurs qui s’abstiennent massivement. On sait que, par rapport au nombre d’inscrits, le oui obtient 35%, le non 32% et environ 31% des Français s’abstinrent. Et à Nozeroy ?

Disons d’abord que le département du Jura vota majoritairement oui à 33,1% des inscrits mais l’abstention fut de 37,1%. Le canton de Nozeroy vota contre le projet de constitution avec 1262 voix contre 594 oui. Pour les élections législatives, on dénombre 23,2% d’abstentions dans le Jura à comparer aux 37,1% du referendum. Quatre listes se présentèrent au suffrage des Jurassiens puisqu’on pratiquait alors le scrutin de liste départementale avec représentation proportionnelle, la liste de chacun des trois partis au gouvernement (PCF, SFIO er MRP) plus le Rassemblement des Gauches républicaines (RGR) coalition de courants radicaux laïques dont Edgar Faure était la tête de liste départementale, liste libérale hostile au programme économique du Tripartisme. 2153 citoyennes et citoyens exprimèrent leur vote. La liste MRP est la seule dans laquelle peuvent se reconnaître les catholiques : elle obtient pile 70% ce qui est un recul sensible par rapport à l’élection de 1928 (88%) mais reste très largement majoritaire. RGR : 16,8% des votes exprimés, PCF : 7% et socialistes SFIO : 6,1%. On aura relevé l’absence d’une liste PRL. Quel score aurait-elle pu faire ?

Je prends le cas d’un canton voisin, celui de Mouthe dans le Doubs, qui a la même morphologie électorale que Nozeroy mais où se présentait une liste PRL. L’orientation politique du PRL est donnée par sa tête de liste départementale : le marquis Roland de Moustier… c’est le parti conservateur-catholique dans toute sa splendeur[5]. Mouthe-canton a rejeté massivement la constitution (1672 contre ; 649 pour). Aux législatives, le PRL obtient 47,4% des suffrages exprimés, le MRP 25,6% soit 73% pour les partis « catholiques ». PCF : 10,2% et SFIO : 16,7%.

Les votes antérieurs et les votes qui vont suivre montrent qu’un candidat traditionaliste aurait fait un aussi bon score à Nozeroy que le marquis à Mouthe.

 SOUS LA IV° REPUBLIQUE

 En 1949, au demeurant, le canton désigne un homme de droite extrême, Pierre Gilles, un membre du PRL – parti républicain de la liberté – qui rassemble tous les nostalgiques de Vichy, tous les ennemis du Tripartisme, tous les non-gaullistes. Voici comment je présente les grandes lignes de la politique PRL dans mon livre (NB. Les passages en italique sont des extraits de la profession de foi PRL)[6] : Le PRL dénonce la scandaleuse alliance gouvernementale du tripartisme ainsi que sa faillite. Il se présente comme un parti antimarxiste qui veut le développement de l'initiative individuelle et la responsabilité de l'homme par opposition à l'anonymat du numéro matricule. (...). Dans le domaine colonial, pour la défense de notre Empire, (...) le P.R.L. veillera à l'intégrité de l'Empire contre les menées séparatistes fomentées par les agents de l'étranger (lire : les communistes, en Indochine). Concernant le problème allemand, le PRL veut que la France obtienne la propriété du bassin de la Sarre, le contrôle de la Rhénanie (on se croirait revenu à Poincaré en 1923, JPR). Au plan des institutions (la France n'a toujours pas de constitution à cette date, le projet de constitution socialo-communiste, instrument d'oppression et de dictature (sic) ayant été repoussé), au plan des institutions donc, le P.R.L. propose une deuxième chambre, en plus de la première élue au S.U., qui représenterait à la fois les collectivités locales, les collectivités syndicales, culturelles et familiales. C'est le retour des communautés naturelles, chères au cœur de nos traditionalistes de toujours. D'ailleurs, les syndicats seraient des syndicats professionnels de patrons, de cadres et d'ouvriers qui fixeraient les modalités de la mise en place du contrat d'association qui remplacerait le salariat. C'est du J. Bardoux, dans le texte. Le P.R.L. se déclare pour les droits de la famille, la liberté de l'enseignement (privé catholique, évidemment), pour le respect du droit "inviolable et sacré de la propriété" tel que nos ancêtres de 1789 l'avaient proclamé. Cette fois, pour nos contre-révolutionnaires, la Révolution de 1789 a du bon. Saint patrimoine.

On voit donc, que, immédiatement après la guerre, en pleine euphorie de la Libération, il y a une poignée d'irréductibles qui gardent un fonds de pensée pétainiste. Pierre Gilles ralliera le nouveau parti fondé par Antoine Pinay, ancien membre lui-même du Conseil national de Vichy, le Centre national des Indépendants et paysans, C.N.I.P., pierre angulaire de la IV° république.

Après 1967, nous avons une succession de Divers droite, R.P.R., UMP.. La droite domine insolemment au point de se permettre une opposition UMP vs UMP comme en 2004.

Cependant, le canton s’émancipe, qui l’eût cru ?, en 2011 le candidat de droite est battu au second tour par un candidat de gauche qui l’emporte avec 4 – quatre - voix de majorité. A quoi tient la démocratie …Quand on dit que chaque voix compte !

 

LE CANTON DE NOZEROY LORS DES RÉCENTES PRESIDENTIELLES

 Faute de statistiques précises, je ne puis remonter qu’à la présidentielle 2002.

On se souvient que ce fut die große Freiheit comme disent les Allemands, la grande liberté, la débandade des électeurs qui décidèrent, aidés en cela par les médias, de n’en faire qu’à leur tête. Et il n’y avait pas moins de seize candidatures. Comment a voté le canton de Nozeroy avec sa rigidité cléricale ?   

Les candidats qui pourraient se retrouver dans l’esprit sinon la lettre de la profession de foi PRL de 1946 ont obtenu 53,5% des suffrages exprimés[7]. Bayrou, candidat issu de l’arbre MRP a obtenu 10,5% soit nettement plus que son score national (6,8%). Christine Boutin fait 4 fois plus dans le canton qu’en France : 4,9 au lieu de 1,2%. Madelin, ultra-libéral, 3,91 en France mais 6,24% dans le canton. Les duettistes Mégret – LePen obtiennent 20,45% à eux deux, Le Pen fait 1,2% de plus qu’en métropole (18,1). Au total 64% des électeurs du canton ont voté pour la droite, droite-extrême et extrême-droite. Ce sont les racines chrétiennes de la France… La gauche, lato sensu, obtient 26,3% mais 37,6% en France[8]. Enfin trois candidats – Saint-Josse, Mamère et Lepage – obtiennent 10,51% à Nozeroy et 11,3 dans le pays.

Au second tour, LePen n’obtient que 16,96% alors que son potentiel était de 20,45. Il ne gagne que 4 voix –dans le cadre d’une mobilisation générale de l’électorat (2175 vs 1989)- alors que Mégret avait obtenu 44 voix. Tout se passe comme si les électeurs se sont dit « quelle bêtise n’a-t-on pas faite ?». Et, cerise sur le gâteau, Jacques Chirac fait mieux à Nozeroy-canton (83,04%) qu’en France (82,2). Dieu est miséricordieux.  

En 2007, le second tour permet une comparaison Droite-Gauche avec le duel Sarkozy-Royal. A l’échelon national, la victoire de Sarkozy avec 53,2% des suffrages exprimés est considérée comme « large » ! Que dire alors de son score à Nozeroy-canton : 68,8%... Notons cependant que la candidate socialiste avec 31,2% - mais moins de 14% au premier tour – fait un score honorable dans ce fief de la droite-extrême.

En 2012, un des faits importants est l’émergence de la gauche révolutionnaire qui avait pratiquement disparu en 2002 et 2007. C’est J.-L. Mélenchon qui obtient 11,1% au plan national avec le soutien essentiel du Parti Communiste. Comment a réagi notre canton imprégné pendant des siècles de la présence divine et de l’existence du diable ? Le candidat du Front de Gauche obtient 8,3% ce qui est, somme toute, historique. Le candidat socialiste, Hollande, obtient quant à lui 16,4%. Le canton fait une bonne place – en termes arithmétiques – à Marine Le Pen qui arrive à 18,9% ce qui, ajouté au score de Sarkozy et Dupont-Aignan, donne à la droite autoritaire, religieuse et anti-communiste le total de 55,9%. Au second tour, le duel gauche-droite, remporté en France par Hollande (51,6 vs 48,4), est gagné par Sarkozy à Nozeroy : 64,7% contre 35,3.

En 2017, le canton de Nozeroy a disparu, suite à la réforme départementale créant des cantons hypertrophiés élisant deux conseillers… Un rapide comptage, intégrant les plus « grosses » communes de l’ancien canton, donne – pour le second tour – un rapport 61/39 pour Macron vs LePen. C’est exactement le même rapport qu’au plan du département du Jura. Sur les dix communes sondées, cinq ont placé LePen en tête, quatre autres ont mis F. Fillon, la dixième plaçant Macron. Il est à relever que les électeurs de la commune de Nozeroy ont voté Mélenchon à hauteur de 16,1%... qui l’eût-cru ?

 

Je signale l’existence de l´Association des "Amis du Vieux Pays de Nozeroy" dont on trouve facilement le site sur internet.

 

 

 



[1] On trouvera quelques pages de mon livre sur l’histoire des « cercles catholiques ouvriers » sur ce site et, pour faciliter le travail :   https://drive.google.com/file/d/0B4Fe2vnvqlt8NWVjYzljNmEtM2Q2YS00NmEyLWEy MDYtODliMzUyOWFiZTRj/view

[2] Sur le syndicalisme paysan animé par les « chefs de terre » comme Milcent voir mon livre, chapitre « La Gueuse » : https://drive.google.com/file/d/0B4Fe2vnvqlt8NmRkNzg0ZjUtMDQ1Ni00OTRiLWE1NDktNWR jMzYzMDA3N2E3/view

[3] Extrait des circulaires officielles, dans « La commission administrative et le conseil départemental du Pas-de-Calais de 1940 à 1944» : « sélectionner un personnel politique et gérer un département au temps de l’État français », Philippe Roger, dans Revue du Nord 2014/4 (n° 407), pages 877 à 916. En ligne. Nonobstant son libellé, ce travail ne traite pas seulement du Pas-de-Calais, Ce qu’il dit des modalités d’application de la loi du 7 août 1942 est valable pour l’ensemble des départements…

[4] RÉSULTATS DETAILLES du REFERENDUM du 13 Octobre 1946 et des ÉLECTIONS à l'ASSEMBLÉE NATIONALE du 10 Novembre 1946 PAR DÉPARTEMENT ET CANTON et des ÉLECTIONS au CONSEIL de la RÉPUBLIQUE des 24 Novembre et 8 Décembre 1946 PAR DÉPARTEMENT (France métropolitaine et France d'Outre-Mer), édition du journal LE MONDE.

[5] L’honnêteté oblige à dire que le père de Roland de Moustier vota contre les pleins pouvoirs à Pétain en 1940 et mourut en déportation. Respect.

[6] Profession de foi du PRL, 1946. Source : BARODET. Sur ce site, lire le chapitre 18, « Sortez les sortants ».

[7] Ces candidats sont : Mégret, LePen, Boutin, Madelin et Chirac.

[8] J’ai comptabilisé les suffrages de Taubira, Chevènement, Jospin, Hue et ceux des trois candidats trotskystes

II. NOZEROY et le parti conservateur-catholique

publié le 18 oct. 2020, 04:34 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 30 nov. 2020, 03:00 ]


Le Jura est « marqué d’une tradition vigoureusement catholique » (Annie GAY). C’est le cas d’ailleurs de toute la Franche-Comté et sur la carte du chanoine BOULARD Chanoine BOULARD : la religion, variable politique majeure (atlas) cela apparaît nettement même si le département du Jura est un peu plus mécréant vers l’ouest, vers les plaines de la Saône. Mais les cantons du Haut-Jura – dont Nozeroy – sont très christianisés.

 Cet article est la suite de I. Nozeroy... la belle inconnue

La ville de Nozeroy, capitale des Chalon créée ex-nihilo, se dote assez rapidement d’établissements religieux ou dirigés par des religieux.

Dès le XIII°, le prieuré de Mièges installe une chapelle à Nozeroy, première église.

1362 : premier hôpital avec deux chapelains

1411 : l’église est constituée en collégiale dédiée à saint-Antoine, avec, au départ, un doyen et six chanoines.

1422 : à l’église collégiale de Nozeroy sont annexés le prieuré et la cure de Mièges avec toutes les églises des divers écarts (Mignovillard, Fraroz,...)

1461 : couvent de Cordeliers.

1479-1490 : Louise de Savoie, châtelaine de Nozeroy, bienheureuse.

XV° : petite école pour l’instruction des garçons.

XVI° siècle : Gilbert Cousin, chanoine du chapitre saint-Antoine, fait de l’école un grand collège pour les garçons des classes dominantes de la Comté.

1618 : Couvent des Annonciades célestes (ordre contre-réformé). Le couvent abrite une cinquantaine de religieuses plus leurs domestiques.   

1647 : Couvent des Ursulines et école pour l’instruction des jeunes filles.

1700 : naissance à Billecul de C.-F. du Tronchet, en religion Jean-Baptiste de Bourgogne, vénérable.

1723 : la direction de l’hôpital sainte-Barbe est confiée à des sœurs hospitalières de la congrégation de Beaune.

 

La Franche-Comté réfractaire à la Réforme...

 Lucien Febvre nous dit que le pays se prêtait mal à une œuvre méthodique de prédication et de propagande : «la montagne, pendant six mois inaccessible, avec ses villages rares, ses habitations dispersées, ses populations disséminées l'été par les forêts et les pâtures, séquestrées l'hiver sous d'épaisses couches de neige, n'était point, sans doute, d'un abord facile. Dans le plat pays, comment animer, éveiller à de nouvelles conceptions la masse amorphe des paysans ? Il aurait fallu, dans des villes converties et gagnées, installer des foyers de propagande d'où auraient rayonné les idées de Réforme : mais les villes étaient médiocres, peu ou pas industrielles ; l'étranger y était vite remarqué, noté, surveillé; toutes les familles se connaissaient entre elles et s'épiaient jalousement; et qu'en masse, elles vinssent aux idées nouvelles, il n'y fallait compter : à défaut d'autres liens, l'intérêt suffisait à tenir la bourgeoisie attachée à l'Église ». Gilbert Cousin (1506-1572), humaniste, ami d’Erasme, témoin de premier plan, nous dit que la population de Nozeroy est «  de mœurs douces et pratique la vraie piété ». La « fausse » était née en 1517 avec Luther. Mais on nous dit aussi que la Comté, si elle fut « très peu touchée par le protestantisme, espagnole elle fut aussi l’une des bases de la contre-réforme catholique ». Il faut mettre à part le Pays de Montbéliard qui appartenait au duc de Wurtemberg lequel avait adopté la religion luthérienne et, en vertu du principe « tel prince, telle religion », les habitants furent protestants. (Voir sur ce site-même, la série d’articles sur le département du Doubs, le Doubs : 1946 - 1984, survol électoral, 2012, 2017, la présidentielle dans le Doubs).

Ajoutons qu’après cette phase habsbourgeoise, l’annexion par la France de Louis XIV n’a en rien facilité la vie des réformés, bien au contraire.

   ...mais amie de la Contre-réforme…

Après le Concile de Trente, l’Église romaine fourbit ses armes pour la reconquête. Voici un exemple de l’expansion du culte contre-réformé, avec ses étendards baroque et rococo, dans le pays de Nozeroy, le Val de Mièges. L’ermitage de Mièges a été construit pour servir d’écrin à une statuette de la vierge de Montaigu apportée par l’ermite François Carlier qui s’installa à l’ermitage en 1613 et fut à l’origine d’un pèlerinage.

L'histoire de l'ermitage de Notre-Dame de Mièges remonte au culte de Notre-Dame de Montaigu[1] et à sa propagation dans le comté de Bourgogne au début du XVIIe siècle. Le développement de ce culte est à l’origine de la diffusion en Franche-Comté, dans la première moitié du XVII° siècle, d'images de la Vierge de Montaigu, honorée à Montaigu, entre Louvain et Diest (aujourd’hui Brabant flamand). La naissance de ce culte eut un formidable retentissement dans les pays catholiques en particulier ceux que gouvernaient les archiducs Albert et Isabelle (Habsbourg d’Autriche), fervents dévots de la Vierge de Montaigu. Ces princes officialisèrent le pèlerinage autour de la basilique (du plus pur style baroque) de Scherpenheuvel et donnèrent une impulsion considérable à la dévotion en diffusant des effigies taillées dans le chêne dans lequel on avait découvert une statue de la Vierge.

Les images de la Vierge de Montaigu furent vénérées en Franche-Comté dans les couvents et les abbayes, les églises paroissiales, les ermitages, les collèges jésuites, les chapelles de confréries, les hôpitaux et chez les particuliers. Au XVII°siècle, on trouvait ainsi des statuettes de la Vierge de Montaigu, dont certaines sont d'ailleurs conservées, à Besançon, Dole, Arbois, Nozeroy, Salins, Baume-les-Dames, Faverney, Château-Chalon, Bellefontaine, Lons-le-Saunier, Mièges, Vesoul et Gray.

Au total, à l’intérieur du territoire de l’ancien canton de Nozeroy, on a dénombré 27 oratoires, 18 calvaires et croix[2]. L’ermitage de Mièges compte toujours parmi les hauts lieux du culte marial dans le Jura. Des ex-voto ont été ajoutés aux côtés de la statuette et ce, dès les XVII° et XVIII° siècles. Le soutien populaire à la religion catholique est patent.

Nozeroy durant la Révolution

 Les habitants de Nozeroy et alentours n’ont pas été à l’avant-garde de la Révolution.

Deux citations montrent la spécificité des villages du Haut-Jura : « On émigra en plus grand nombre dans le bas Jura que dans le haut ; dans les régions pauvres de la haute montagne, il n'y avait pas les grandes propriétés nobiliaires de la région de Dole ou les riches domaines de la Côte (Arbois, Salins, Lons) et donc moins d'aristocrates effarouchés par le cours qu'avait pris la Révolution»[3]. Mais en revanche : « Les cantons montagnards du département du Jura ont manifesté dès l’origine une réelle hostilité au service militaire obligatoire »[4]. Et, donc, « La Franche-Comté a elle aussi connu sa «Petite Vendée». On la localise essentiellement dans les cantons suivants : Le Russey et Maîche et les communes de Sancey, Vercel, et Orchamps ». Mais cela concerne le département du Doubs. Cependant la similitude de l’éco-système – dont le « tradition vigoureusement catholique » - laisse penser que ces insurgés ont bénéficié à tout le moins de sympathie dans le Jura voisin.  

« Survient la Révolution française, bien accueillie au début (car le souvenir de l'annexion est encore vivace). Puis la population devient hostile aux mesures contre le clergé. Les chanoines de la collégiale, les cordeliers et les annonciades refusent de prêter serment à la Constitution civile du clergé. Sans protestation apparente, le chapitre de la collégiale est dissous, les religieux expulsés, les couvents mis en adjudication et convertis en bâtiments publics ou privés [5]. Trois chanoines du ci-devant chapitre demeurent à Nozeroy et, assez facilement semble-t-il, continuent à exercer leur ministère dans des maisons particulières en ville et dans les environs. Les vases liturgiques sont mis à l'abri, les objets et meubles religieux des couvents et du château sont recueillis et transportés à la collégiale devenue église paroissiale ou dans les églises des environs. Plénise récupère des piliers de l'église des Annonciades, Gillois des confessionnaux. Le retable des Annonciades rejoint l'église de Fraroz. Le trésor de l'église renferme de nombreux objets sacrés provenant de Nozeroy, comme les prestigieuses broderies de paille du XVIIe siècle et le fameux ciboire au pélican en argent doré de 1769, mais aussi des objets des églises voisines »[6].

Après le décret de déportation contre les prêtres n'ayant pas prêté le serment, tous ceux qui avaient refusé, tous ceux qui s'étaient rétractés, durent s'exiler : la plupart trouvèrent asile en Suisse et aussi en Savoie mais un certain nombre d'entre eux restèrent et se cachèrent dans les forêts, les chalets, les grottes où ils pratiquaient le culte clandestinement. "Pour officier clandestinement, il suffisait d'une simple table, on y déposait l'ardoise consacrée que les prêtres portaient sur eux pour remplacer le marbre des églises. On tirait d'une armoire secrète un calice, un missel, un crucifix et on allumait un cierge. Dans des maisons, des appartements privés, se tenaient des réunions pour l'exercice du culte clandestin (confession, baptême, bénédiction de mariage) ; Les fermes solitaires étaient aussi des lieux recherchés, puis les grottes, ainsi celles de la roche d'Enfer près d'Arsures dans le canton de Nozeroy (…)".[7]

Les révolutionnaires avaient à cœur de n’oublier aucun canton. Voici comment s’est passé un contrôle de la municipalité de Nozeroy par un envoyé du représentant Lejeune : le ci- devant administrateur d'Arbois Jean Vuillet.[8]

« Le soir du 3 juillet 1794, le sieur Vuillet, accompagné du citoyen Petit, commis de l'administration, arrive à Nozeroy et annonce qu'il réunira le lendemain matin à 8 heures tous les citoyens de la commune dans l'église, appelée pour l'occasion "temple dédié à l’Être suprême". Au petit matin, les habitants du bourg arrivent lentement, ce qui irrite particulièrement nos deux "inspecteurs" qui ne peuvent commencer leur réunion qu'après les 9 heures. Devant toute la communauté, deux groupes sont formés : les 7 officiers municipaux dont le Maire, et les 12 membres du comité révolutionnaire, tous gens élus (?)(le point d’interrogation est de D. Jeandot). L'examen commence ; Vuillet interroge chacune de ces personnes sur le thème "la conduite civique et les opinions relatives au grand intérêt de la République naissante". A l'issue de l'interrogatoire, deux nouvelles listes sont dressées. Le Maire, Jean Claude Renault est destitué ; aucun citoyen ne s'est plaint de son action mais il était, 8 ans plus tôt, "employé de la ci-devant Lauragais". Il est remplacé sur le champ par Joseph Chapeau. Les autres éliminations concernent "des vieillards infirmes ou des gens froids et sans énergie révolutionnaire". En une journée, toute la communauté de Nozeroy avait été "épurée" (…).».

La ci-devant Lauragais n’est autre que l’héritière du château de Nozeroy, propriété jusqu’à la moitié du XVI° siècle de la maison des Chalon-Arlay. Immensément riche, elle est arrêtée à Arras comme « émigrée rentrée en France » et exécutée.

 L’entretien de la piété populaire : la cérémonie du 11 juin 1965

 J’ai cité dans la brève chronologie de départ, le nom de Louise de Savoie (1462-1503), châtelaine de Nozeroy, Bienheureuse. « Savoie » parce qu’elle est fille de la Maison de Savoie, famille régnante du trône d’Italie ultérieurement, et Châtelaine parce qu’elle épousa Hugues de Chalon-Arlay. Par sa mère, elle est petite-fille du roi de France Charles VII. Veuve précocement (1490), elle finit ses jours dans un couvent suisse. Sa vie lui vaut d’être béatifiée, en 1839, par un des papes les plus vivement contre-révolutionnaires du XIX°siècle : Grégoire XVI [9]. Les restes de Louise de Savoie passèrent de Suisse en France puis de France en Suisse. Puis :

« A la demande de M. l'Abbé Déthé, curé doyen de Nozeroy et de M. l'Abbé Weibel curé d'Orbe (Suisse, JPR), et grâce à l'appui de la duchesse de Savoie-Gênes, cousine de l'ex-roi Humbert II, ce dernier accepta de confier aux paroisses d'Orbe et de Nozeroy, une partie des reliques authentifiées. C'est le dimanche 11 juin 1965, en l'église de Nozeroy, dans la chapelle de la Bienheureuse que furent déposées les reliques de Louise de Savoie, au cours d'une imposante cérémonie présidée par Monseigneur Flusin évêque de Saint-Claude, en présence du représentant du roi Humbert Il et de la duchesse de Gènes-Savoie. Étaient présents également, la princesse d'Arenberg et la comtesse Balbino de la Maison de Savoie, le comte et la comtesse de la Guiche, le préfet du Jura, le député Jacques Duhamel et de nombreuses autres personnalités ».[10]

Ces personnalités couronnées témoignent de la prestigieuse histoire de Nozeroy. Rien à dire. En revanche, on peut s’interroger sur la présence de Mr le préfet ? du député Jacques Duhamel, élu au second tour en 1962 contre le candidat gaulliste mais grâce au désistement du parti communiste[11] . Quid de la séparation de l’Église et de l’État ?

J’aurais pu citer également le rôle d’André Pidoux de La Maduère (1878-1955), dont la famille est originaire de Mièges, Archiviste paléographe, docteur en droit, juge au tribunal de Pontarlier, membre de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Besançon et de Franche-Comté. A ce dernier titre il a écrit quelque ouvrage sur Nozeroy, prononcé des conférences. Il fut aussi camérier d'honneur du pape Pie X. Pie X ? no comment La FRATERNITÉ SACERDOTALE SAINT-PIE X a encore frappé…(l’Église catholique au début du XX° siècle)

 Mais tout cela montre la place de la pratique religieuse traditionnelle à Nozeroy.  C'était bien, comme il est dit dans le pays, le "saint-canton"...

 L’analyse des scrutins aux XIX° et XX° siècles permet de cerner le « tempérament politique » des habitants du canton de Nozeroy.

 à suivre :

 III. NOZEROY au gré des élections 


[1] Lire la page Wikipaédia de la basilique Notre-Dame de Montaigu (Brabant flamand en Belgique).

[2] Dans « Nozeroy, Censeau, Mièges, Terre des Chalon », publication du Centre jurassien du patrimoine, achevé d’imprimer le 18 novembre 2005, jour de la Sainte-Aude (sic), 64 pages plus les couvertures illustrées.l'image de N.D. de Montaigu est extraite du même numéro.

[3] Annie GAY, « La Révolution dans le Jura », co-écrit avec M. Péronnet, HORVATH, 1988, page 123.

[4] Daniel JANDOT, « Le Jura dans la Révolution », éditions de l’Aleï, Dijon, 1989, page 177.

[5] «Le couvent des Cordeliers est déclaré bien national en 1792 et vendu à ce titre à la commune. Les bâtiments sont conservés, morcelés et aménagés en logements », publication du Centre jurassien du patrimoine, 2005.

[6] « Nozeroy, cité des Chalon », fascicule exposé et vendu en l’église de Nozeroy, texte de l’abbé R. Dethe, curé de Nozeroy (1950-1972). Gillois et Fraroz sont visibles sur l’extrait de la carte Berlitz que j’ai publié au début.

[7] D’après Annie GAY, page 126.

[8] Le texte qui suit est de D. Jeandot qui, outre sa fonction de professeur à l’E.N.I. de Lons-le-Saunier, était responsable du service éducatif des Archives Départementales du Jura.

[9] Voir mon livre, sur ce site, chapitre VIII, « Silence aux pauvres ! », pages 190-191.

[10] Extrait du petit fascicule écrit par Noël GRAND, page 11, disponible en l’église de Nozeroy sous réserve d’un versement dans le tronc de l’église.

[11] … et qui ralliera théâtralement Georges Pompidou en 1969. Ce qui lui vaudra une place de ministre dans le premier gouvernement Chaban-Delmas.

I. Nozeroy... la belle inconnue

publié le 14 oct. 2020, 02:48 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 28 janv. 2021, 01:30 ]


    Cette page sur Nozeroy, chef-lieu de canton du Jura (jusqu’à la réforme de 2015), trouve la justification de sa présence dans mes lointains souvenirs. Avant mai-68, j’étais instituteur-surveillant à l’E.N.I. de Lons-le-Saunier, préfecture. Comme (presque) tout le monde j’étais travaillé par l’esprit de révolution et je militais dans les bas du département. Nous avions un camarade permanent de Champagnole. Mais Nozeroy ? Jamais. Cette bourgade était pour nous l’objet de rires sarcastiques : c’était l’Extrême-Orient, limitrophe croyait-on de la Suisse, un bout du monde. Le Général y faisait des scores de 90%... Le parti n’y était pas « organisé » comme nous disions, à quoi bon aller tracter là-bas ? Nozeroy c’était un mythe, une abstraction, un fantasme. Comment peut-on habiter Nozeroy ? Et puis, presque un demi-siècle plus tard, le hasard faisant bien les choses, nous nous sommes rendus à l’invitation d’amis montagnards, habitants du Doubs, qui vivent à la limite de la « frontière » du Jura, à quelques kilomètres seulement  de … Nozeroy !



Nozeroy existait donc bel et bien et je n’ai eu de cesse, pendant mon court séjour, de demander à mes hôtes d’aller visiter cette Terra nullius, cette terre inconnue et vide qui était annoncée pourtant par de vrais panneaux de la signalisation routière. Et là… un charmant village, transpirant la prospérité, un château dont il ne reste hélas plus grand-chose si ce n’est un souvenir étincelant. « Quand on voit aujourd'hui les quelques ruines qui subsistent on a peine à croire que là s'élevait un manoir qui passait pour un des plus magnifiques du Comté de Bourgogne »[1]. « Entouré de fossés et de solides murailles, il était défendu par huit grosses tours, dont celle de l'horloge qui seule est encore debout, et la gigantesque Tour de Plomb ainsi nommée à cause de sa couverture métallique. En avant du bâtiment principal contenant la chapelle, s'étendait une vaste cour entourée de communs, et, par un pont enjambant le fossé, on accédait à une autre cour intérieure au centre de laquelle se trouvait une fontaine. Le rez-de-chaussée était occupé par la grande «Salle» pour les festins d'apparat, et les étages par de nombreuses «chambres».

« En 1478, il y avait au château (de Nozeroy) sept pièces de tapisseries de Chypre tissées d'or et de soie ; cinq tapisseries de chasses de laine ornaient la «chambre de chasse». Huit splendides pièces de haute lice avaient valu à une autre le nom de «chambre d'or». A la «chambre rouge» sept pièces de haute lice représentaient «des jeux et esbattements»; sept autres pièces décoraient la «chambre d'Arras». La «chambre blanche», où la dame «gisait» c'est-à-dire réservée aux naissances princières, s'ornait de tapisseries représentant Notre Seigneur «en majesté» et les quatre évangélistes. Ici ou là, relevons encore un dais en damas rouge, vert et pers, des carreaux de drap d'or et de velours cramoisi, des selles dont une ornée de satin bleu, des garnitures de chevaux en velours noir… etc... Le trésor si riche en vaisselles et pierreries, que l'on réputait fabuleux et qui avait engendré le dicton «Riches de Chalon» reposait dans des caveaux, sous la Tour de Plomb»[2] (P.A. Pidoux de la Maduère).

            Relevons qu’en 1478, l’art de la tapisserie tend vers son apogée, c’est un art coûteux et la ville d’Arras en est un des foyers principaux[3]. Au demeurant, on vient de lire que le château de Nozeroy possédait une «chambre d’Arras». Le château était donc parfaitement branché sur les réseaux aristocratiques de cette fin du Moyen-âge … Mais quel était son propriétaire ? le texte du baron de la Maduère nous met sur la voie : Chalon…

 Les Chalon et «l’or blanc»

 La souche est celle de Jean Ier de Chalon le Sage ou l'Antique (1190-1267), comte de Chalon et d'Auxonne au départ, mais le fait décisif est l’échange qu’il effectue en 1237 avec le duc de Bourgogne de ces/ses possessions contre plusieurs seigneuries dont Salins, base de la fortune ultérieure de la maison et le Val de Mièges -chef-lieu Nozeroy- lisible sur la carte. Jean l’Antique est comte régent de Bourgogne[4] en 1248 et seigneur d'Arlay (tenu de son père). D’où le nom de maison de Chalon-Arlay. Cet ancêtre eut l’intelligence d’acheter le péage de Jougne créé dès le XIII° siècle.

« Jean de Chalon, sire de Salins, achetait aux seigneurs locaux en 1266 le bourg de Jougne, son château et son péage, lequel ne sera supprimé qu'en 1780. La seigneurie se composait de Jougne, des Hôpitaux-Vieux, de Métabief et des Longevilles (autant de localités visibles sur la carte). En 1282, Jean Ier de Chalon-Arlay voulait fonder un hôpital dans la localité, pour ce faire le comte de Bourgogne lui donnait des terres et c'est ainsi qu'était créé le village des Hôpitaux-Vieux. Le bourg de Jougne était sous la protection de trois forts, (…), c'était également là qu'était rendue la justice au nom des sires de Chalon. Le château, construit par les comtes de Chalon, et aujourd'hui complètement disparu, se situait au nord-est de l'enceinte fortifiée qui défendait le village. Deux portes donnaient accès, l'une au nord en direction de Pontarlier, l'autre au sud en direction de Vallorbe et de la Suisse. Les XIVème et XVème siècles voyaient les Chalon-Arlay recevoir des empereurs germaniques le droit de battre monnaie à Jougne même.».[5]

Le péage de Jougne était un maillon essentiel du « chemin saunot » comme écrit Lucien Febvre, qui allait de Salins en Suisse. On lira avec intérêt l’article qui lui fut consacré naguère dans la Revue de géographie de Lyon et dont j’extrais ce qui suit :

« Les dépouillements d'archives patiemment poursuivies en Suisse par quelques observateurs scrupuleux des réalités économiques du passé permettent de connaitre avec une précision toujours plus grande le rôle historique et l’importance des péages routiers. En Franche-Comté, il n'est pas de doute que c'est une politique routière (cf. infra le texte de L. Febvre, JPR) qui explique le succès des entreprises de Jean de Chalon l'Antique et de ses successeurs. A deux reprises, sous Jean I de Chalon-Arlay (1258-1315), (puis) au début du XIV° siècle sous Louis de Chalon (1390-1463), à l'époque des fastes renaissants de la Cour de Nozeroy, Jougne a été le pivot de la politique de la Maison de Chalon-Arlay se haussant alors jusqu'aux grands rôles de la politique internationale. Pour s'en convaincre, il faut consulter les archive du château d’Arlay ainsi que les documents des archives savoyardes de Turin qui les complètent. Le trafic du péage a été presque toujours considérable, importations et exportations, sur les grands marchés internationaux : Florence, Venise, Milan en Italie ; Bruges, Anvers et ports normands sur les rivages des mers du Nord. Avec des intermittences ou des variations de volumes dues à l'ouverture de routes transjuranes concurrentes, le trafic international jusqu'à la fin du XVIII' siècle n’a jamais déserté le passage de Jougne. On comprend les raisons qu’avaient les seigneurs d'Arlay à tenir fermement cette position-clé et à ne pas laisser à d’autres le rôle de «portier» de Bourgogne[6] ».

Quant à L. Febvre, il écrit :

« Tout un faisceau de routes délimitait au sud cette contrée mal drainée : route de Pontarlier à Besançon, survivance précaire d'une voie romaine jadis établie par Ètray, Fallerans, l'Hôpital-du-Gros-Bois, détournée maintenant vers le sud et utilisant (…) le couloir de la Loue ; grand chemin de Salins à Pontarlier (…) piste traditionnelle des marchands lombards vers les foires de Champagne ; traverse de Pontarlier à Lons par Frasne, Champagnole, Mirebel : elle desservait les villages heureux du val de Mièges et leur capitale Nozeroy - un des gros marchés de bétail de la région, célèbre par son château où longtemps les Chalon, princes d'Orange, avaient tenu leur cour.(c’est moi qui souligne JPR) »[7].

Lucien Febvre nous montre l’étendue géographique de la puissance des Chalon-Arlay à la mort, en 1544, de René Nassau-Breda, dit « de Chalon », prince d'Orange, comte de Nassau, seigneur de Breda, d’Arlay et de Nozeroy[8] :

« En 1544, le titulaire de la maison de Chalon-Arlay était le plus riche seigneur de toute la Comté. Il y possédait plus de trente seigneuries, toutes admirablement groupées. Le long du Doubs, les châteaux se serraient : avec Vaire, Montfaucon, démantelé sous Louis XI; Arguel, solide encore et menaçant ; Abbans, les Chalon surveillaient les accès, les abords de Besançon. Autre groupe sur la Loue et le Lison, aux avenues de Salins, (…),  sur la route d’Ornans, Montmahoux et l'imprenable Sainte-Anne ; sur celles de Champagnole et de Pontarlier, toutes les routes transversales entre plat-pays et Haut-Jura passaient en partie sur les terres des Chalon. Par Arbois, Sellières, Bletterans, Arlay, Lons le Saunier, Montaigu, Saint-Laurent-de-la-Roche, les ancêtres avisés de Philibert s'en étaient assuré tous les points de départ. Avec Valempoulières, Montroi Mirebel, Châtillon-sous-Curtine, ils avaient occupé les cols de la ride montagneuse qui marque la limite des premiers plateaux. La Rivière, Dammartin, Houtat Lièvremont leur livraient les abords de Pontarlier dont ils tenaient, à Jougne, la clef principale. Montrevel, Monnet, Nozeroy, Chatelneuf, les faisaient maîtres des routes de l'Ain ; Rochejean et Chatelblanc, du haut Doubs ; Réaumont les campait près du Val de Morteau : Orgelet, Montfleur, Chavannes sur les routes de Lyon. Ainsi s'étendait ce vaste domaine, admirablement composé jadis, avec un sens stratégique et topographique indéniable. ».


Certes, l'avantage d'une distribution si ingénieuse des terres était moindre au XVI° siècle. Le temps n'était plus des barons indépendants derrière les murs de leurs châteaux. Mais la valeur économique du domaine subsistait, considérable : dans les greniers des châteaux s'entassaient les grains de la Bresse et des premiers plateaux ; dans les caves les vins de Rougemont, d'Arguel, de Salins, d'Arbois et de Lons. Les forêts du Jura - les énormes joux qu'aux Chalon les moines avaient inféodées - donnaient le bois de charpente et de construction. Des péages subsistaient à Chalamont, à Jougne ; surtout, à Salins, à la grande Sannerie, les héritiers de Jean de Chalon continuaient de détenir, vers 1545, un tiers et un sixième des parts contre un tiers seulement qu'y possédait le Comte : chaque année, en moyenne, la recette s'en montait à 10.000 livres. En 1567, la recette totale s'élève à près de 50.000 livres.

Le domaine de Chalon assurait à son possesseur une influence énorme en Comté. Sur ce petit État, tout un peuple vivait : receveurs, juges, baillis, greffiers, procureurs, sergents, forestiers - tous à la nomination du prince. Au-dessus des officiers locaux, les généraux : un receveur, centralisant tous les revenus ; des auditeurs des Comptes, siégeant régulièrement à Châtelguyon ; un superintendant remplaçant le maître absent et chargé du contrôle ; pour la justice, en plus d'un président d'Orange, un grand bailli avec un lieutenant et un procureur général tenant les assises dans les seigneuries ; à Dole, un procureur pour suivre les procès ; dans les châteaux, enfin, des capitaines, commandant soudards et morte-paies car les murs, les tours, les donjons d'Arguel, de Sainte-Anne, de Saint-Laurent, de Jougne restaient debout et garnis d'hommes, de vivres et d'artillerie. Au dispensateur de tant d'offices, au maître de si grands biens, quelle influence dès lors était réservée… on le devine.

Tout ce petit monde et le plus grand se retrouvaient au château de Nozeroy.

        

LA VIE DE CHÂTEAU

           Avec le fruit des péages liés à l’or blanc, le château a rapidement pris de l‘ampleur. Les étapes ont été les suivantes (source du dessin : Wikipaedia) :

    D’abord la fondation par Jean l’Antique d’un castrum qui générera à ses alentours une ville nouvelle. Gilbert Cousin, l’enfant du pays, secrétaire d’Érasme, écrit en 1552, donc bien plus tard : «Nozeroy est posée sur une colline élevée et aérienne (…) toute son enceinte forme un plateau ; le reste s'abaisse en vallée de tous les côtés. Elle n'est pas bien grande mais elle est telle cependant qu'avec son territoire resserré elle l’emporte sur les plus grandes villes de la Bourgogne»[9]. La ville s'élève sur un éperon rocheux grossièrement triangulaire de 780 mètres d'altitude, orienté Sud-Ouest/Nord-Est. Le site est isolé au centre du val de Mièges, entouré des forêts de Joux, de la Haute-Joux et de la Fresse.

Jean III de Chalon-Arlay (1363-1418) seigneur d'Arlay, Arguel et Cuiseaux ; vicomte de Besançon et prince d'Orange (neveu de Hugues II qui fut le dernier de la branche ainée) élargit considérablement l’aire d’influence de la maison. Il épousa la princesse Marie des Baux, et, par-là, acquit la principauté d'Orange et l'immédiateté impériale (il est immédiatement sous l’autorité de l’empereur du Saint empire romain donc souverain de fait). Cela explique l’intervention ultérieure de la famille royale des Pays-Bas dans l’héritage. Cela explique aussi la notoriété des Chalon en Occident.

Louis, fils du précédent, donne un nouvel élan à la ville et au château. Il aime le faste et transforme complètement sa capitale. La forteresse initiale est rasée – sauf la Tour de Plomb – et en lieu et place est édifié un véritable château de la Renaissance qui sera surnommé « la perle du Jura ». La ville s’étoffe, les établissements et logements religieux se multiplient. C’est Louis qui reçoit à Nozeroy le Duc de Bourgogne Philippe le Bon, puis le Dauphin de France, futur Louis XI…

Ce n’est pas Philibert qui assombrit la vie du château, au contraire, «ses séjours à Nozeroy sont une fête continuelle» et, dit-on, « on se souvient encore du tournoi » qu’il organisa du 26 décembre 1519 au 2 janvier 1520, «l’un des derniers grands tournois de chevalerie en Europe, donné pour fêter son entrée dans l’ordre de la Toison d’Or». Malheureusement, pour Nozeroy, Philibert meurt précocement pour fait de guerre en Italie[10] et, sans héritier, ses biens et ceux des Chalon passent à la famille des Orange-Nassau. Les Nassau sont calvinistes et, à tous égards, fort éloignés de la très catholique Comté.

    Le château va alors passer de mains en mains. La « guerre de dix ans » (1634-1644) est cruelle pour la région, c’est une guerre de religions en Comté, partie de la Guerre de Trente ans européenne, qui voit l’arrivée des Suédois luthériens jusqu’au plateau du Jura. Le château et la ville sont pillés plusieurs fois. En 1677, la Franche-Comté devient française et la « route du sel » est gérée par l’administration de Louis XIV. Les seigneurs de Nozeroy se replient sur leur résidence d’Arlay[11], le château est abandonné au point de servir de carrière pour les habitants de la ville qui veulent soit agrandir, soit rebâtir leur maison. 

    II. NOZEROY et le parti conservateur-catholique

  

[1] Texte de Noël GRAND, « Louise de Savoie, châtelaine de Nozeroy, 1462-1503 », achetée dans l’église de Nozeroy.

[2] Citation par Noël GRAND d’un texte du baron Pierre André Pidoux de la Maduère (1878-1955).

[3] Lire l’entrée « Tapisserie » de l’encyclopédie Wikipaédia.

[4] Évidemment, on ne confond pas le Duché de Bourgogne (Dijon) avec le Comté de Bourgogne (Besançon Franche-Comté).

[5] Extrait de « Racines comtoises, Patrimoine et photocopies de Franche-Comté, Histoire de Jougne ». En ligne.

[6] D’après Ebersolt J.-G., « Jougne, porte du Jura central », In : Revue de géographie de Lyon, vol. 27, n°1, 1952. pp. 47-49. En ligne. DOI : www.persee.fr/doc/geoca_0035-113x_1952_num_27_1_1057.

[7] Lucien FEBVRE, « Philippe II et la Franche-Comté », Flammarion, collection science de l’histoire, publié avec le concours du CNRS, 540 p., 1970. Page 25.

[8] Ouvrage cité, pp. 245-247. C’est moi qui souligne. En rouge, le nom des forteresses éminemment stratégiques détruites par les Français au XVII° siècle sauf Sainte-Anne à Besançon.


9] «Description de la Haute-Bourgogne ou Franche Comté», 1552

[11] Arlay est une commune viticole, située à 12 km au nord de Lons-le-Saunier.




GCA. L'or et le sang à l'époque des premiers Valois.

publié le 23 avr. 2020, 03:10 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 26 mai 2021, 09:20 ]

Ce titre quelque peu accrocheur veut introduire la problématique des rapports entre le recrutement des soldats du roi et la collecte d’argent, autrement dit la fiscalité, qui est selon une bien vieille expression « le nerf de la guerre ». Sans argent, pas d’armée. Et sans armée plus de roi.

Observons que la fonction de roi a failli sinon disparaître du moins être fortement amoindrie précisément après les désastres de Crécy et Poitiers où il fallut trouver de l’argent, exigence essentielle qui failli mettre la bourgeoise au pouvoir. Ce ne fut pas et c’est une autre histoire. Comme l’a écrit un historien, la France ridiculisée au début et même pendant – avec Azincourt – a finalement gagné la guerre (en 1453) : c’est donc qu’elle a changé son outil et la façon de s’en servir. C’est aussi qu’elle en eut les moyens humains, matériels, financiers. L’histoire de la France pendant la guerre de Cents ans, c’est l’histoire de cette longue métamorphose. Pour la clarté de l’exposé, il faut subdiviser ce temps long. Je reprends les articulations trouvées par Philippe Contamine dans sa thèse qui fait toujours autorité : « Guerre, État et société à la fin du Moyen-âge »[1] L’historien distingue quatre grandes phases :

1ère partie : LES FORCES M1LITAIRES DE LA MONARCHIE FRANÇAISE AU MILIEU DU XIVe siècle (1337[2]-1369[3])

2ème partie : L’ARMÉE DE LA RECONQUÊTE (1369-1380) (il s’agit grosso modo du règne de Charles V successeur de Jean II le Bon le vaincu de Poitiers).

3ème partie : De la Survie à l'effondrement : LA DESTINÉE DES REF0RMES MILITAIRES DE CHARLES V (1380-1445) ; De l'apaisement à l'invasion (1380-1418) puis Désordres et mutations au temps du royaume de Bourges (1418-1445)

4ème partie : Les DÉBUTS DE L'ARMÉE D'ANCIEN RÉGIME (1445-1494)

Cette première partie est donc consacrée aux règnes de Philippe de Valois (roi de 1328 à 1350) et de son fils Jean le Bon (roi de 1350 à 1364).

 

A.  L’Armée

L'armée doit être organisée pour le combat que l'on conçoit alors sous forme de charges et d'assauts de front, mais l'indiscipline y est grande à cause du maintien d'un recrutement féodal -par la haute noblesse au moins-, à cause du désir des nobles de conduire le combat pour faire des prisonniers personnels qu'ils pourront rançonner, à cause de la tentation du pillage et du brigandage.

Au moment du siège de Calais, Philippe VI dispose de 32.000 h. répartis de la sorte : 5.000 hommes d'armes, 5.000 hommes de cheval, 15.000 gens à pied, 7.000 auxiliaires pour les services.

- les "gens d'armes" – ou hommes d’armes - forment une troupe montée et fondamentalement noble, avec une hiérarchie qui est celle de la noblesse à savoir : prince, duc, comte, vicomte, baron, chevalier-banneret, écuyer-banneret, damoiseau banneret[4], chevaliers simples ou bacheliers écuyers. L'ensemble dispose du même armement lourd : l'épée, la lance de bois terminée par un fer, parfois la hache et la masse d'arme, le petit bouclier triangulaire, écu ou targe; le casque avec ou sans visière mobile (il n'y a plus de heaume) La chevalerie du roi de France (1ère partie) l'armure rigide avec plaques de fer aux jambes et aux bras et le haubert - cotte de mailles parfois renforcée de plaques, En revanche, chaque combattant n'a pas le même nombre de chevaux (la plupart en ont 2, les plus riches en ont 4). Les chevaux n'ont pas de protection, car ces hommes combattent souvent à pied (après la charge).

- les "gens de cheval" se transportent à cheval mais combattent uniquement à pied (arbalétriers, archers, flêchiers) ; ils sont alors peu nombreux.

- les "gens à pied" ou bideaux (sergents lanciers, pavesiers –archers qui combattent derrière des haies, autrefois le pavois -, arbalétriers), parmi lesquels on compte fort peu d'archers (à la différence de l’armée anglaise). Comme les précédents, ils portent le bassinet sur la tête et un camail en cotte de mailles.

 Le recrutement a trois origines :

Le ban et l’arrière-ban, survivance féodale, qui s’exerce sur le domaine du Roi et dans les fiefs et apanages, sauf en Flandre, Bretagne et Guyenne, et en théorie pour un temps illimité. Le roi convoque aussi les "communes" -c'est-à-dire les milices urbaines en fonction du droit royal sur les villes-.

Deuxième source d’effectifs : Le roi procède par semonce des nobles, soit avec l'arrière-ban, soit sans que celui-ci soit décrété. Mais il mobilise ainsi les nobles ou des nobles, mais non uniquement ceux qui lui doivent service vassalique (la noblesse devient ainsi le corps qui sert militairement le roi). Il solde les nobles qu'il mobilise ainsi, de même que ceux qu'il retient par l'arrière-ban.

Enfin, le roi dispose de volontaires, en traitant avec des chefs de troupes qu'il "retient" à son service avec un certain nombre d'hommes, moyennant paiement d'une certaine somme. On appelle ces troupes des "retenues". Cette source est appelée à un grand développement.

 C'est le roi qui qui a le commandement suprême. Régionalement, il y a des lieutenants du roi assistés de capitaines généraux qui se chargent de l'application du recrutement et contrôlent les garnisons (commandées par un capitaine ou châtelain). En campagne, les troupes sont réparties en "batailles" (nous dirions corps d’armée) aux effectifs variables :

-celles qui dépendent du roi sont commandées par des "gouverneurs" nommés par le monarque ; elles comprennent en leur sein les "montres", petites unités constituées à partir des troupes de volontaires (conduites par les chefs de route et les capitaines).

-Mais les troupes menées par les Grands (seigneurs des grands fiefs) sont sous le commandement de ces princes et hauts nobles.


 la rançon : source de l'indiscipline des armées :

Ce dernier point pose de gros problèmes. En effet, les nobles – a fortiori les plus hauts placés dans la hiérarchie – font la guerre suivant leur mentalité qui est de chercher « le profit, le butin, la rançon » (M. Pacaut) et non pas de suivre les commandements du Roi. Sur le champ de bataille chacun choisit son adversaire et l’affrontement ressemble à une juxtaposition de combats singuliers. Désarçonner le chevalier ennemi, éliminer ses gens, mais –essentiel- le préserver en vie afin de le ramener prisonnier et de fixer la rançon que paieront son épouse, ses enfants, son clan etc...

La solde est l'élément permanent et stable du profit, mais il y a aussi ce que Froissart appelle les "grands prouffits de la guerre" : les rançons et les pillages.

La rançon tient une place importante dans la société militaire (Code, fixation et partages). Cet aspect est commun à toute la chevalerie occidentale. Ph. Contamine publie le texte d’un traité passé entre le roi d’Angleterre et un de ses « capitaines » :

Gains de guerre. Que tout homme paye le tiers de ses gains de guerre à son capitaine, seigneur ou maître.

Prisonniers. Si un homme met un ennemi à terre, c'est à lui qu'il appartient ; mais si, une fois à terre, l'ennemi donne sa foi à un autre, celui qui l'a fait tomber l'aura pour moitié et celui qui a reçu la foi pour l'autre moitié ; ce dernier recevra en outre la garde du prisonnier. Si un homme fait un prisonnier, et si un autre arrive et en demande une part, menaçant, si elle lui est refusée, de tuer le prisonnier, le deuxième homme n'aura rien du tout, même si cette part lui est due ; s'il le tue, il sera arrêté par le maréchal et ne sera libéré qu'après payement de l'amende; que nul ne soit si hardi qu'il rançonne ou vende son prisonnier sans le congé de son capitaine; que nul ne fasse prisonniers un enfant de moins de 14 ans s'il n'est fils d'un seigneur, d'un gentilhomme honorable ou d'un capitaine.[5]

Les rançons ne sont valables que pour les hommes de qualité. Les simples archers ne sont pas faits prisonniers, ils sont tués ou laissés libres. Le combat cherche à désarçonner l'adversaire ; les ennemis accourent pour se disputer le butin. La rançon va en partie au capitaine de l'homme qui a fait le prisonnier.

Ces rançons sont fixées à un très haut prix. Elles sont débattues entre l'auteur de la capture et le prisonnier. La vainqueur demande le plus haut prix possible, mais le vaincu ne demande pas le plus bas : il faut montrer sa haute valeur sociale et ne pas avoir l'air chiche ; Du Guesclin a lui-même fixé très haut le prix de sa rançon. Film. Si le chevalier veut sa liberté conditionnelle, il doit donner des otages, mais aussi une caution (Il hypothèque ses terres). Des sommes considérables ne sont pas pleinement levées, les rançons ont toutes connu des défauts de paiement.

L'attrait de ces paiements en espèces est très vif. Les rançons font l’objet de spéculations chez les Anglais ou les Français lors de leurs succès. Il existe un marché des rançons. L'auteur d'une capture ayant besoin d'argent fait cession de son prisonnier à un tiers qui ne sait pas s’il sera payé (gros bénéfice ou perte sèche) : on parie sur la solvabilité du prisonnier ! Ce marché financier comporte d'immenses transferts d'espèces. Au milieu du XIVème en Angleterre, l’afflux de rançons influe sur les prix qui tendent à la hausse.

Au total, ces stratégies individuelles contrarient l’unité de commandement. Si commandement il y a.

 

B. L’Argent

 I. Le coût de la solde.

Les combattants reçoivent une solde fixée par barème officiel et élevée ; les troupes sont payées selon un tarif qui se fixe vers 1360, et reste pratiquement inchangé jusqu'en 1515.

- chevalier-banneret 40 sous tournoi (s.t.) par jour

- chevalier-bachelier 20 s. t. – Écuyer 10 S. t. - Archer étoffé 10 s. t.

- Archer non étoffé 5 s. t. / j

Ce métier est lucratif, ainsi, sur une année pleine, le chevalier-banneret coûte 720 livres tournoi, l’écuyer et l’archer étoffé, à raison de 10 sous tournoi par jour, coûte 180 livres par an. L’archer non étoffé coûte 5 sous/jour soit 90 livres par an.

On peut essayer d’évaluer le coût de l’armée de Philippe VI, un seul jour, lorsque’ Édouard III assiège Calais (cf. supra). 5000 hommes d’armes à 40 s.t. /j soit 10.000 livres tournois. 5.000 hommes de cheval à 10 sous soit 50.000 donc 2.500 livres tournois. 15.000 gens à pied à 5 sous/j. coûtent 3750 livres. On arrive à un total de 16.250 livres pour un seul jour sans compter les auxiliaires de service. A quoi il faut ajouter le coût des chevaux, des armements –pour ce qui relève des soldats du roi-. On atteint vite des sommes astronomiques. C’est pourquoi la guerre de Cent Ans est entrecoupée de trêves : les belligérants sont à court au même moment.

Rappelons pour mémoire que la rançon du roi Jean fut fixée par traité à 3 millions de livres soit 12,5 tonnes d’or. Mais il s’agissait-là d’un prisonnier hors pair. Jean II sera libéré après un premier versement de 425.000 livres, le régent, le futur Charles V, étant incapable de rassembler les 600.000 prévues dans un premier temps, malgré toute sa bonne volonté (reconnue par Édouard III).

 II. Les impôts

Évoquant le problème du financement de la guerre par les belligérants,  Jean Favier écrit tout de go : « alors que commence une guerre dont l’enjeu est plus considérable que jamais, ni Philippe VI, ni Édouard III n’ont les moyens de la gagner durablement ».

Les Français depuis déjà des siècles paient des sommes d’argent à leur seigneur. Mais ce sont des redevances. C’est-à-dire de l’argent que l’on doit en échange de la terre qu’il autorise à cultiver, en échange du droit de retrait dans son château en cas d’invasion, en échange de l’utilisation de son moulin ou de son four, la dîme est payé à l’Église en échange des services rendus par Mr le Curé, etc… Mais l’impôt pour payer la guerre du roi est difficile à faire accepter. Quel est sa légitimité ? C’est une contrainte, un viol, un arrachement obtenu par la soldatesque de l’officier royal… L’impôt régulier payé sans rechigner par le paysan français a une bien longue histoire.

Les rois ont compris qu’il fallait l’assentiment de leurs sujets et, avant notre période, c’est Philippe IV le bel qui a convoqué les tout premiers États généraux. Philippe VI n’innove donc pas – l’innovation est toujours mal vue au Moyen-âge - en réunissant les États de 1343, les premiers de la guerre de Cent Ans, après le premier désastre naval de l’Écluse mais avant Crécy. Le roi signe et les États ratifient une ordonnance créant l’impôt sur le sel. Il est relativement facile à faire admettre : on achète le sel alimentaire et de conservation, produit-clé. De la même façon, les États de février 1346, toujours avant Crécy, acceptent l’établissement d’impôts indirects sur les biens de consommation et les marchandises.

« Les États n’ont rien exigé » écrit Jean Favier « mais ils ont senti à quel point la politique royale dépendait de leur bon vouloir. Il tient à eux que le roi ait ou n’ait pas les moyens de son gouvernement »[6].

Cette lucidité des États deviendra vive contestation après Crécy et le départ-fuite de Philippe VI du champ de bataille La bataille de Crécy (26 août 1346), sa mort en 1350, la catastrophe de Poitiers en 1356 avec le roi de France fait prisonnier sur le champ de bataille. 

Si le roi Jean est très applaudi après son acte de courage, si les Français participent massivement au paiement de sa rançon, le rôle de la noblesse, en revanche, est vivement remis en cause : la chevalerie est la cause de tous nos maux.  

Les États généraux lors desquels une nouvelle forme de constitution est donnée au royaume ayant eu lieu lorsque le dauphin Charles supplée son père prisonnier à Londres seront abordés dans la partie suivante.



[1] Philippe Contamine, Guerre, État et société à la fin du Moyen Âge. Études sur les armées des rois de France (1337-1494), Paris – La Haye, Mouton éditeur, 1972, 757 pages.

[2] Le 7 octobre de cette année-là, Édouard III, roi d'Angleterre, dénonce l'hommage prêté à Philippe VI de Valois et revendique la couronne de France (il est le petit-fils de Philippe le Bel par sa mère Isabelle de France) et le 1er novembre, le roi de France Philippe VI de Valois reçoit les lettres de défi –soit une déclaration de guerre - écrites par le roi d'Angleterre  : c'est le début de la guerre de Cent Ans entre la France et l'Angleterre.

[3] Le 9 mai 1369, les États généraux de France réunis à Paris approuvent les hostilités contre l'Angleterre. C’est la reprise de la guerre de Cent Ans qui avait cessé après le traité de Brétigny de 1360.

[4] Les bannerets sont accompagnés de quelques dizaines d'hommes sous leur « bannière ».

[5] Philippe CONTAMINE, Azincourt, Julliard, 1964, page 175.

[6] La guerre de Cent Ans, éditions FAYARD, 678 pages, 1980, page 144.

GCA. AZINCOURT, sang et larmes de la chevalerie française...

publié le 15 avr. 2020, 06:46 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 26 mai 2021, 09:21 ]


Après Crécy La bataille de Crécy (26 août 1346) , voici une page sur AZINCOURT, autre mot immortel de la liste de nos désastres nationaux. Vous avez toute latitude de vous renseigner sur Wikipaédia ou ailleurs. J’ai choisi pour ma part de vous donner un extrait de la chronique de Jean Lefèvre (1395-1468) (sera roi d'armes à la cour de Bourgogne), témoin de la bataille « assis à cheval au milieu du charroi », c’est-à-dire des bagages de l’armée anglaise. C’est la base sur laquelle s’appuient tous les historiens.

Voici un extrait de la liste des morts illustres – côté français – fournie par Wikipaédia :

Charles Ier d'Albret, (1370-1415), connétable de France, comte de Dreux.

Jean IV d'Alençon, (1385-1415), duc d'Alençon et comte du Perche, prince du sang de France.

Antoine de Bourgogne, (1384-1415), duc de Brabant et duc de Limbourg, prince du sang de France.

Philippe de Bourgogne, (1389-1415), comte de Nevers, comte de Rethel, prince du sang de France.

Louis de Bourbon, (v.1389-1415), seigneur de Préaux, prince du sang de France.

Édouard III de Bar, (v.1377-1415), duc de Bar.

Robert de Bar, (1390-1415), comte de Marle et de Soissons.

Guillaume IV de Melun, (1350-1415), vicomte de Melun, comte de Tancarville. Etc…

« Prince du sang » signifie membre de la famille royale : on a donc affaire à du lourd, du très lourd. C’est le top de la chevalerie qui était présent à la bataille avec des milliers d’autres nobles : la responsabilité du désastre est clairement attribuée. Beaucoup relèvent de la génération 1385 – ils ont trente ans – et n’ont guère connu que le royaume avec un roi fou, la guerre civile, la gabegie… La génération des années 1370 a connu Charles V, règne un peu plus glorieux, mais elle a pu entendre parler – moins cependant que les chevaliers nés en 1350 – des désastres de Crécy et de Poitiers. Quels enseignements en ont été tirés ? Aucun.

D’après la chronique de Jean Lefèvre, citée dans l’ouvrage de Philippe Contamine ainsi que d’après Henrici V regis Angliae gesta, Philippe Contamine nous précise ce qui suit : «Quelle que soit leur langue originale -dialectes français de langue d'oïl ou de langue d'oc, français utilisé à la cour d'Angleterre, anglais ou latin-, tous les documents (de cet ouvrage) ont été transcrits en français moderne. Cependant, on s'est efforcé, en respectant la construction de la phrase et en conservant un minimum de termes d'époque (…) de conserver à ces textes leur caractère archaïque ; effort indispensable, surtout quand les sources ont, comme c'est le cas pour Froissart, une véritable valeur littéraire ». Concernant le texte de Jean Lefèvre, il faut savoir que l’auteur, quoique Bourguignon, est, lors de la bataille d’ Azincourt, aux côtés du roi d’Angleterre, Henri V. Il adopte donc le point de vue anglais.

"Le lendemain, vendredi, fête des saints Crépin et Crépinien, 25° jour d'octobre, les Français à l'aube ordonnèrent leurs batailles et prirent position devant nous dans la plaine d'Agincourt par où passait notre route vers Calais. Leur nombre était impressionnant. (Henrici V regis Angliae gesta).

Vérité est que les Français avaient ordonné leurs batailles entre deux petits bois, l'un touchant à Agincourt, l'autre à Tramecourt. La place était étroite et très avantageuse pour les Anglais, et au contraire pour les Français ; car les Français avaient été toute la nuit à cheval, et si pleuvait. Jean FAVIER indique : "Pis encore, la pluie avait condamné les hommes d’armes à demeurer toute la nuit à cheval, engoncés dans leurs armures. Au matin, hommes et bêtes étaient fourbus. A deux portées de flèche ; les Anglais avaient passé la nuit dans leurs tentes, assurés que les Français ne chargeraient pas dans la boue" [1].

ci-dessous : tableau (wiki) d'un peintre anglais célèbre Sir John Gilbert (1884) qui montre remarquablement l'état de la chevalerie française le matin de la bataille, après une nuit de pluie. l'artiste n'a pas oublié le vol noir des corbeaux... 


   Pages et valets et plusieurs, en promenant leurs chevaux, avaient tout dérompu la place qui était molle et effondrée des chevaux, à telle manière qu'à grand peine se pouvait ravoir hors de la terre, tant était molle. Or d’autre part les Français étaient si chargés de harnois qu’ils ne pouvaient avancer. Premièrement étaient armés de cottes d'acier longues, passant les genous et moult pesantes. Et par-dessous harnois de jambes ; et par-dessus blancs harnois ; et de plus bassinets de camail. Et tant pesamment étaient armés, avec la terre qui était molle, comme dit est, à grand peine pouvaient-ils lever leurs bâtons. A merveilles y avait-il de bannières et tant qu'il fut ordonné entre les Français que plusieurs seraient ôtées et ployées. Il fut aussi ordonné que chacun raccourcit sa lance, afin qu’elles fussent plus roides quand ce viendrait à combattre. Assez avaient archers et arbalétriers ; mais ils ne voulurent point les laisser tirer ; et la cause était pour la place qui était si étroite qu'il y avait place fors pour les hommes d'armes. (Chronique de Jean Lefèvre).

Pendant ce temps notre roi (Henri V, JPR), ayant écouté la messe et rendu louange à Dieu, fit son ordonnance sur la plaine, non loin de son logis, et forma une seule bataille, faisant de son avant-garde, commandée par le duc d’York, une aile sur sa droite, et de son arrière-garde, à la tête de laquelle se trouvait le seigneur de Camois, une autre aile sur sa gauche. Les groupes d'archers furent mêlés à chaque corps. On leur fit planter des pieux devant eux, comme cela avait été prévu, afin de briser la charge des chevaux. Apprenant cela par des éclaireurs, pour cette raison ou je ne sais quelle ruse, l'ennemi se tint en face de nous, sans s'approcher.

Un long moment du jour se passa en ces préparatifs et les deux armées se tenaient de part et d’autre sans bouger. Voyant que la multitude en face refusait la charge qu'il attendait, le roi se décida à avancer. Auparavant, il avait placé le charroi derrière la bataille, de peur qu'il ne devînt une proie pour l'ennemi ; des prêtres devaient y officier et prier avec ferveur pour lui et ses hommes, dans le village et les vergers de la veille, avec l'ordre d'y attendre la fin du combat ; car les pillards français qui avaient aperçu le charroi, se préparaient à s’en emparer aussitôt la rencontre commencée. De fait, ils s'y précipitèrent par la suite, profitant de la négligence de l'entourage royal, dérobant entre autres, le précieux trésor royal, l'épée et la couronne.

Aussitôt que le roi put penser que le bagage se trouvait en sûreté derrière lui, (…) il s'avança vers les ennemis, qui faisaient de même. (Henrici V regis Angliae gesta).

 Les Français, voyant venir les Anglais vers eux, se mirent en ordonnance, chacun dessous sa bannière, ayant le bassinet en la tête. Le connétable, le maréchal et les princes admonestaient fort leurs gens à bien combattre, et hardiment, les Anglais. Quand ce vint à l'approcher, leurs trompettes et clairons menèrent grand bruit. Les Français commencèrent à incliner le chef, surtout ceux qui n'avaient point de pavois, pour le trait des Anglais ; lesquels tiraient si hardiment qu'il n'était nul qui osât les approcher, et ne s'osaient les Français découvrir, et ainsi allèrent un petit à l'encontre d'eux et les firent un petit reculer. Mais avant qu'ils pussent aborder ensemble, il y eut moult de Français blessés et navrés par le trait des Anglais. Et quand ils furent venus jusqu'à eux, ils étaient si près serrés l'un de l'autre qu'ils ne pouvaient lever leurs bras pour férir sur leurs ennemis, sinon aucuns qui étaient au front devant, lesquels les boutaient de leurs lances qu'ils avaient coupées par le milieu pour être plus fortes et plus roides, et afin qu'ils pussent approcher de plus près leurs ennemis.

Les Français avaient fait une ordonnance de 1 000 à 1200 hommes d'armes, dont la moitié devait aller par la côte d'Agincourt, et l'autre par devers Tramecourt afin de rompre les ailes des archers anglais. Mais quand ce vint à l'approcher, ils n'y trouvèrent que 160 hommes d'armes, lesquels retournèrent parmi l'avant-garde des Français auxquels ils firent de grands empêchements, et les dérompirent et ouvrirent en plusieurs lieux, et les firent reculer en terre nouvellement semée, car leurs chevaux étaient tellement navrés du trait qu'ils ne les pouvaient tenir ni gouverner. Et ainsi par eux, l'avant-garde fut désordonnée et commencèrent à choir hommes d'armes sans nombre. Et lors leurs chevaux se mirent à fuir arrière de leurs ennemis, à l'exemple desquels se partirent et mirent en fuite grande partie des Français.

Et tantôt après, les archers anglais, voyant cette rompture et division en l'avant-garde, tous ensemble issirent hors de leurs pieux, jettèrent jus arcs et flèches, en prenant leurs épées, haches et autres armures et bâtons. (cf Favier).  Si se boutèrent par les lieux où ils voyaient les romptures. Là abattaient et occisaient les Français, tant que finalement ruèrent jus l'avant- garde qui peu ou néant s'était combattue. Et tant allaient frappant Anglais à dextre et à senestre qu'ils vinrent à la seconde bataille qui était derrière l'avant- garde. Lors se férirent dedans et le roi d'Angleterre en personne avec ses gens d'armes. Lors commença la bataille et occision moult grande sur les Français qui petitement se défendirent ; car, à la cause des gens de cheval, la bataille des Français fut rompue. Lors les Anglais pressèrent de plus en plus les Français en dérompant les deux premières batailles, et en plusieurs lieux abattant et occisant cruellement sans merci. Entre temps, les aucuns se relevèrent par l'aide de leurs valets qui les menèrent hors de la bataille ; car les Anglais étaient moult occupés à combattre, occire et prendre prisonniers. Pourquoi ils ne chassaient ni poursuivaient nullui. Et lors toute l'arrière- garde, étant encore à cheval, voyant que les deux premières batailles avaient le dessous, se mirent à fuir, excepté aucuns de ses chefs et conducteurs.

Lors derechef en poursuivant sa victoire et voyant ses ennemis déconfits et qu'ils ne pouvaient plus résister contre lui, ils commencèrent à prendre prisonniers de tous côtés, dont ils crurent être tous riches, et à la vérité ils l'étaient, car tous étaient grands seigneurs qui étaient à la bataille. Et quand les Français furent pris, ceux qui les avaient prisonniers les désarmaient de la tête. Lors leur survint une moult grande fortune; car une grande assemblée de l'arrière-garde, en laquelle il y avait plusieurs Français, Bretons, Gascons, Poitevins et autres qui s'étaient mis en fuite, avaient avec eux grande foison d'étendards et enseignes, eux montrant signes de vouloir combattre ; et de fait marchèrent en ordonnance. Quand les Anglais les aperçurent ensemble en telle manière, il fut ordonné de par le roi d'Angleterre que chacun tuât son prisonnier. Mais ceux qui les avaient pris ne voulurent pas les tuer, car ils en attendaient grande finance. Lors, quand le roi fut averti que nul ne voulait tuer son prisonnier, il ordonna un gentilhomme avec 200 archers et lui commanda que tous prisonniers fussent tués. Si accomplit cet écuyer le commandement du roi, qui fut moult pitoyable chose. Car, de sang-froid, toute cette noblesse française fut là tuée, et découpés têtes et visages, qui était une merveilleuse chose à voir. Cette maudite compagnie de Français, qui ainsi firent meurdrir cette noble chevalerie, quand ils virent que les Anglais étaient prêts de les recevoir et de les combattre, tous se mirent soudain à fuir et à se sauver, sauve qui peut. La plupart se sauvèrent étant à cheval mais parmi ceux qui étaient à pied, plusieurs moururent.

    Quand le roi d'Angleterre vit et aperçut clairement qu'il avait obtenu la victoire contre ses adversaires, il remercia Notre Seigneur de bon cœur; et bien y avait cause car de ses gens ne furent morts sur la place qu'environ 1.600 hommes de tous états, entre lesquels y mourut le duc d'York, son grand-oncle, et le comte d'Oxford. Ensuite le roi, se voyant demeuré victorieux sur le champ, et tous les Français départis, sinon ceux qui étaient demeurés prisonniers ou morts sur la place, appela avec lui aucuns princes au champ où la bataille avait été. Quand il eut regardé la place, il demanda comment avait nom le château qu'il voyait assez près de lui; on lui répondit qu'il avait nom Agincourt. Alors le roi d'Angleterre dit : « Pour autant que toutes batailles doivent porter le nom de la prochaine forteresse où elles sont faites, celle-ci, maintenant et perdurablement aura nom: la bataille d'Agincourt ». Puis quand le roi et les princes eurent été là un espace et que nuls Français ne se montraient pour lui porter dommage et quand il vit que sur le champ il avait été bien quatre heures, et aussi voyait qu'il pleuvait et que vèpre approchait, il se tira en son logis de Maisoncelles. Et là, archers ne firent depuis la déconfiture, que déchausser gens morts et désarmer, sous lesquels trouvèrent plusieurs prisonniers en vie, entre lesquels le duc d'Orléans. Les archers portèrent les harnois des morts en leurs logis par chevalées, et aussi emportèrent les Anglais morts en la bataille.

Quand ce vint au soir, le roi d'Angleterre fut averti et sut que tant de harnois on avait apporté à son logis. Il fit crier en son ost que nul ne se chargeât de plus qu'il n'en fallait pour son corps et qu'on n'était point encore hors des dangers du roi de France. On fit bouillir le corps du duc d'York et celui du comte d'Oxford, afin d'emporter leurs os au royaume d'Angleterre. Lors le roi commanda que tout le harnois qui serait outre et par-dessus ce que ses gens emporteraient, avec les corps d'aucuns Anglais qui étaient morts en la bataille, fussent boutés en une maison ou grange, et là qu'on fit tout ardoir (brûler, jpr). Ainsi fut fait. Lendemain, qui fut samedi, les Anglais se délogèrent très matin de Maisoncelles, et avec leurs prisonniers, derechef ils avaient sur le champ où avait été la bataille, et ce qu'ils trouvèrent de Français encore en vie, les firent prisonniers ou occire. Le roi s'arrêta sur le champ en regardant les morts, et là était pitoyable chose à voir la grande noblesse qui avait été occise pour leur souverain seigneur, le roi de France. Lesquels étaient déjà tous nus, comme ceux qui naissent de mère. (…)." (Chronique de Jean Lefèvre).



[1] La guerre de Cent ans, Fayard, page 441.

GCA. La chevalerie du roi de France (seconde partie)

publié le 23 janv. 2020, 03:53 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 1 juin 2021, 05:29 ]

    Cette partie présente l'armement du chevalier au XIV° siècle puis au XV°. L'exemple de Du Guesclin illustre bien le cas général du combattant du XIV° siècle. Mais, peu à peu, tout devient plus compliqué jusqu'à l'absurde...




 - L’épée de connétable de France, d’une longueur totale de 1,20 m (la lame seule atteignant 0,91 m) et d’un poids de 3,7 kg avec son fourreau est celle que le roi de France remet rituellement au connétable, garde vers le bas, pour lui rappeler qu’il lui confie le commandement de l’armée ; source : "Signes du pouvoir militaire : de l’épée de connétable au bâton de maréchal",     https://journals.openedition.org/crcv/11815#tocto2n1
- bassinet ou bacinet : casque enveloppant la tête, le mézail, également nommé ventaille, carnet ou viaire est la partie mobile (grâce à       des charnières) qui se rabat sur le visage à l'avant du casque. le bassinet présenté ici est du type "à bec de passereau".
- camail : capuchon ou pèlerine de mailles protégeant le cou et les épaules.
- mailles : enchaînement de petits anneaux de fer ou d'acier, rivés ou soudés.
- cote de mailles : c'est l'armure de mailles, souple, dite aussi haubergeon
    citation relative à l'armement de Du Guesclin : "Un bon gippon ouvré vêtit et boutonna,
                                                                    Un haubergeon dessus vêtit et endossa
                                                                    Dessus ce haubergeon, un grand jaque posa". [1]
- grand jaque : vêtement comportant plusieurs épaisseurs d'étoffe
- écu armorié : petit bouclier triangulaire dit aussi "targe" et portant les armoiries du chevalier.
- guiche : courroie passant par le cou à laquelle est attachée l'écu et qui libère les bras du combattant.
- grève ou jambière : pièce métallique protégeant la jambe du genou au cou-de-pied.
-soleret : lames métalliques articulées protégeant la chaussure du pied.
Ce petit dessin montre - outre le bassinet en tête de passereau - l'utilisation des plaques de cuir bouilli et surtout des plaques métalliques aux dimensions variées qui recouvrent les parties du corps exposées et se "superposent l'une l'autre comme des écailles de poisson", telle est l'armure de plates [2].







Texte de Marcel PACAUT : Les complications de l'armement :

- le costume militaire évolue très rapidement à partir de 1340 : ceci dû à l'efficacité du tir des archers anglais armés du long-bow à la portée utile de 200 mètres. L'arbalète moins rapide, obtient les mêmes résultats sur un armement défensif. Le tir nourri des archers oblige la chevalerie à combattre à pied, d'où la nécessité d’adapter l'équipement (au plus près du corps). Dès le règne de Charles V l'armure est faite de plaques de fer battu articulées (gantelets, avant-bras, coudières, bras, épaulières, cuissots, genouillères, jambières, solerets), sur le haubergeon, brigandine ou cuirassine, bassinet, gorgerin et visière mobile.

- l’équipement d’apparat : sur la brigandine, un pourpoint collant sans manche orné d'armoiries ; sur le casque, un cimier munificent (dès le milieu du XIVème) orné de branches latérales, queues de paon, aigles, dragons, griffons, panaches plumes d'autruche. Aux solerets sont fixées des pointes interminables et recourbées avec chaînettes ; les éperons peuvent être énormes.

-les ornements des chevaux comptent : on y emploie le velours, les brocarts, le satin, la soie et les fourrures, l’or et l’argent, des plumes en toutes sortes de combinaisons. On utilise également des grelots et des clochettes, certaines grosses comme la tête d’un enfant, certaines imitant des fruits et/ou des fleurs. Fin de citation.


Au XV° siècle, l'armure est de plus en plus sophistiquée.


  
A l'instar au demeurant du vêtement civil : ainsi le soleret se prolonge par la poulaine parfaitement inutile et même gênante. le haubergeon, modèle de mailles et de plates du siècle précédent, est remplacé par des protections métalliques individuelles qui recouvrent désormais la quasi-totalité du corps de l’homme d’armes. Le terme de "harnois blanc" désigne cette protection complète de corps utilisée dans l’ensemble de l’Europe au cours du XVe siècle [3].
TIMBRE : Le timbre est la partie arrondie formant la calotte du casque et portant la fioriture telle ici le panache emplumé : "Un cimier important avec parfois couronnes ou tortils complétés de lambrequins coiffait le timbre du casque" [4]
BRACONNIÈRE : Lames articulées qui, dans les armures à plates, défendent le ventre et le haut des cuisses.
FAUCRE : Pièce de fer ou d'osier, qu'on plaçait sur le côté droit des cuirasses, au moyen âge, pour tenir la lance en arrêt.
TASSETTE : plaque de forme triangulaire ou trapézoïdale dont le but était de pallier le défaut de l'armure au niveau de l'aine, sans affecter la mobilité du chevalier.







 


     [1] cité par Ph. Contamine, Azincourt, Julliard coll. Archives.
    [2] ibidem
    [3] https://www.musee-armee.fr/fileadmin/user_upload/Documents/Support-Visite-Fiches-Objets/Fiches-departement-ancien/MA_fiche-harnois-blanc.pdf
   

CHEVALIERS DU XVe SIÈCLE. La fin du Moyen Age est une époque de fêtes et d'extravagances pour la classe chevaleresque. On voit ici le duc de Bretagne (à gauche) et le duc de Bourbon s'affronter en un duel qui n'est plus qu'un jeu. Casques, vêtements des hommes et des chevaux manifestent un goût délirant pour le faste et les formes bizarres (miniature du Livre des Tournois du roi René d'Anjou). Extrait de BORDAS 68, L.GIRARD – J. LE GOFF.


GCA. La chevalerie du roi de France (1ère partie)

publié le 18 janv. 2020, 10:11 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 26 mai 2021, 09:22 ]

    Je publie un texte de Jean FAVIER, extrait d'un de ses maîtres-ouvrages : "LA GUERRE DE CENT ANS" (Fayard). Je publie également quatre dessins trouvés sur l'encyclopédie Wikipédia qui ont l’intérêt de montrer les changements du XI° au XV° siècles. L'idée est de faire passer le vocabulaire de l'armement médiéval. Dans une seconde partie, je donnerai la définition des mots de vocabulaire non présentés dans le texte de J. Favier. NB. les mots en gras sont surlignés par moi-même.

"Ces chevaliers qui s'apprêtent à charger (Favier introduit le bataille de Crécy, JPR La bataille de Crécy (26 août 1346)) à quoi ressemblent-ils au juste ? Du croisé et du combattant de Bouvines, ils ont encore l'allure générale : celle d'un cavalier lourd, solidement appuyé sur les étriers dont il s'aide quand il faut soudain projeter, à la pointe de la lance, toute sa force vers l'avant. Il est lourd de son armement, et d'abord de cette lance - elle a bien trois mètres de long - faite d'un bois dur et ferré, calée sous coude droit en attendant le choc effroyable qui, selon l'habileté de l'un ou de l'autre, enverra la cible au sol ou l'assaillant en l'air. Dans le tournoi, où les rangs se croisent à chaque assaut, la lance est de bon usage, et les valets en tendent une autre si la première se brise. Au combat, où la mêlée suit l'assaut, la lance ne sert guère qu'une fois: mieux vaut s'en débarrasser au plus vite et dégainer l'épée....

   NB. Citation de Philippe Contamine : "c'est vers 1450 que l'armure atteint son apogée, combinant désormais l'usage des mailles et celui des plaques de métal (...)".
    Je signale également : http://www.histoire-france.net/moyen/guerre

     ... Cette épée n'est pas moins lourde, avec son épaisse lame à deux tranchants, qu'une chaînette retient si la poignée tourne dans la main. Elle est assez longue pour le combat à cheval, quand le temps de la lance est passé. Elle est assez maniable pour l'escrime à pied, quand le cavalier tombé peut se relever. Bien des chevaliers, et non des moindres, devront à leurs moulinets le salut et parfois la victoire. Mais il n'est pas indigne d'un combattant de bonne race de manier des armes moins chargées de symboles que la grande épée. II faut des muscles de fer pour faire tournoyer la masse d'armes, cette lourde boule hérissée de pointes, qui s'articule au bout d'une courte chaîne. Quant à la hache, elle sera, aux derniers moments de la bataille de Poitiers, l'arme du roi Jean.

Alourdi de son arsenal offensif, le cavalier n'est pas moins engoncé dans l'armure qui doit le mettre à l'abri des morts intempestives. Car l'idéal du chevalier est de prendre son adversaire pour en tirer rançon, non de le tuer comme font les manants. (...). On tue des piétons, des sergents et des coutilliers, des archers et des arbalétriers, toutes gens que rien ne différencie vraiment du vilain qui manie le gourdin ou le couteau. On ne tue pas le chevalier ou l'écuyer désarmé; il est même de bonne guerre de lui faire honneur et de le traiter avec largesse : on ne l'en revend que plus cher aux siens.

    C'est là, dans cette armure défensive, toujours trop lourde et jamais assez sûre, que la silhouette du chevalier a le plus changé depuis le temps des croisades. Même s'il figure encore sur les effigies équestres des sceaux, on ne porte plus guère au combat le grand heaume cylindrique (cf. ci-dessus XII°s.) qui enserrait la tête et gênait la vue. La plupart des combattants à cheval ont fait leur un casque léger, le bassinet. Une visière s'articule parfois sur 1es tempes ; on la relève hors des moments de danger.

L'écu, c'est maintenant un bouclier léger, un petit triangle que l'on porte le plus souvent accroché au cou, conservant ainsi l'usage de la main gauche pour guider le cheval. Le grand bouclier du XI° siècle (cf. ci-dessus), celui des compagnons de Guillaume le Conquérant que nous montre encore la tapisserie de Bayeux, avait pour fonction de recevoir les javelots, ces lances légères à l'ancienne mode qu'on lançait sans espoir de les récupérer. Ce temps est révolu, et la lourde lance tue comme un boutoir, non comme une flèche. L'écu est alors bien inutile: recevoir un choc de deux cents livres au galop sur l'écu ou en pleine poitrine ne change pas grand-chose : le cavalier se retrouve au sol, assommé. Au mieux peut-on détourner le coup mal porté... Quant aux flèches, que l'écu recevait avantageusement, elles volent trop vite, et il est vain de chercher à les parer.

Contre la flèche (de l'archer) ou le carreau (de l’arbalétrier), contre l'épée ou le couteau, il y a l'armure. Mais cette armure est ce que la fait la fortune de chacun. L'armure du riche baron fait rêver le modeste écuyer, souvent mieux armé pour tailler que pour se protéger. La simple cotte de mailles, ce long vêtement de souple fil de fer qui protégeait du tranchant des lames, non des pointes, paraît désormais insuffisante. On la renforce de plaques rigides, propres à dévier les coups, sinon à les arrêter. II n'est guère de cotte de fer qui ne protège ainsi d'une dure carapace la poitrine, les bras et les jambes. Ce sont des plaques de fer, de cuir bouilli, de corne, finement articulées ou tout bonnement cousues sur les mailles, selon la technique propre ou l'inspiration de l'artisan ou de l'homme d'armes lui-même. Les riches ont des jeux de « plates » qu'ils revêtent carrément sur la cotte de mailles. Les moins aisés se contentent de rembourrer de laine, de coton ou de cuir les parties du corps où le coup fait mal, même lorsqu'il ne blesse pas. De telles armures ne protégeront pas d'un grand coup de lance, elles éviteront peut-être de mourir d'un coup de sabot ou d'avoir les membres brisés d'un coup de houe.

Le cheval, lui, connaît ses derniers combats du Moyen Age. On sait qu'on ne protège pas efficacement un cheval, sauf au tournoi, où nul coutillier ne vient normalement lui scier les tendons. Et l'on va comprendre que la charge de cavalerie à l'ancienne mode est devenue une inutile boucherie en prélude au combat véritable, celui qui décide de la victoire. Quelques « plates » de fer, de corne ou de cuir protègent encore le poitrail ou les articulations ; on y renoncera vite, et le cheval sera tenu à l'écart de l'escrime. Il sera moyen de commandement, d'observation, de reconnaissance. Il sera surtout l'indispensable auxiliaire de toute manœuvre. Sans cheval, pas de surprises, pas de mouvements tournants, pas de routes coupées et de ponts occupés. Mais on se battra à pied. La lance rejoindra, dans la panoplie des tournois, les grands cimiers et les longues cottes armoriées.

En attendant, Crécy est le triomphe des coutilliers, des coupe-jarrets, des archers embusqués dans les bosquets, des piques tendues au travers des chemins comme au tournant des haies. La hache et la massue l'emportent sur la lance et sur l'épée longue.

(...).

Le bon chevalier, c'est celui qui multiplie les combats singuliers au cœur de la mêlée; l'idée d'une stratégie d'ensemble l'effleure rarement. C'est aussi celui qui remet le dernier son épée au fourreau. A Poitiers, Jean le Bon méritera son nom". Fin de la citation du texte de Jean FAVIER.

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 à suivre :

La chevalerie du roi de France (seconde partie)

 récit de la bataille : La bataille de Crécy (26 août 1346)

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GCA. La bataille de Crécy (26 août 1346)

publié le 17 janv. 2020, 15:07 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 26 mai 2021, 09:23 ]

    Je présente la bataille de Crécy d'abord avec une miniature extraite des chroniques de Froissart - parues au XV° siècle -  suivie d'un texte de Jules Isaac qui cite longuement les propos du célèbre chroniqueur médiéval puis je commente la miniature. Concernant l'armement des gens de guerre à Crécy, j'ai publié la description qu'en fait Jean FAVIER dans l'article La chevalerie du roi de France (1ère partie).

   
    Il est toujours très difficile de savoir ce qui s'est passé exactement dans une bataille. On connaît la bataille de Crécy surtout par le récit du chroniqueur Froissart, dont nous donnons ici l'analyse, et des extraits (Chroniques, liv. I, § 274 à 287, éd. de la Société de l'Histoire de France). Mais Froissart, né vers 1337, était un enfant en 1346 ; il a écrit ses Chroniques longtemps après, en se servant du récit d'un chroniqueur plus ancien, Jean le Bel ; cependant il a cherché à se renseigner auprès de seigneurs qui avaient pris part au combat.  Ce qui est le mieux connu, ce sont les préliminaires de la lutte, car, pour la bataille elle-même, "aucun homme" avoue le chroniqueur, "ne pourrait exactement concevoir ce qui s'y passa, notamment du côté des Français, tant il y eut pauvre ordre en leur ordonnance. Et ce que j'en sais, je l'ai su surtout par les Anglais, qui se rendirent bien compte de la situation..." .
    Le matin du samedi 26 août Édouard IlI fit rassembler tous les chevaux dans un parc formé de chariots. II divisa son armée en trois corps ou batailles, disposés en échelons au flanc du coteau, fit reposer ses hommes et leur défendit, sous peine de mort, de sortir des rangs pour quelque cause que ce fût. D’après Jean le Bel, les Anglais étaient 4.000 hommes d'armes, 10.000 archers, 3.000 coutilliers Gallois.
    Dans cette même matinée, Philippe VI était parti d'Abbeville, à la recherche de l'ennemi. L’armée française était beaucoup plus nombreuse que l'armée anglaise : Froissart estime qu'elle comprenait 20.000 hommes d'armes, 60.000 hommes des milices urbaines, 15 ou 20.000 arbalétriers génois, chiffres qui paraissent exagérés. En tout cas, les Français s'avançaient en grand désordre, encombrant les routes, débordant sur les champs.    .
    Quatre Chevaliers, envoyés en éclaireurs, reconnurent la position anglaise .et revinrent en hâte avertir le roi. Sur leur conseil, Philippe
ordonna à ses maréchaux de faire arrêter les troupes, de façon à pouvoir les mettre en ordre et les faire reposer ; on livrerait bataille le lendemain. L'ordre ne put être exécuté : "Ceux qui étaient premiers s'arrêtèrent, mais les derniers point, et chevauchaient tout en avant. Ils disaient qu'ils ne s'arrêteraient point, jusqu'à ce qu'ils seraient aussi avant que les premiers étaient. Et quand les premiers virent qu'ils les approchaient, [de nouveau] ils chevauchaient avant. Ainsi, par grand orgueil, fut démenée cette chose, car, chacun voulait dépasser son compagnon... ". Avançant ainsi à qui mieux mieux, ils se trouvèrent tout d'un coup face aux Anglais, bien postés de l'autre côté d'un vallon, assis et au repos. à la vue des Français, les Anglais se levèrent et se rangèrent en bataille, les archers devant, « en manière de herse », les hommes d'armes derrière eux, pied à terre. Le roi de France lui-même, dès qu'il eut aperçu les Anglais, perdit tout son sang-froid : "Si lui mua [tourna] le sang, car trop les haïssait". Bien que son armée ne fût pas rassemblée, qu'hommes et chevaux fussent accablés de chaleur et de fatigue, et que la journée fût déjà très avancée -on était au milieu de l'après-midi -, il fit donner aux arbalétriers génois l'ordre d'attaquer. Juste à ce moment un orage éclata "et descendit une pluie du Ciel, si grosse et si épaisse que merveille, et un tonnerre, et des éclairs moult horribles". Quand le soleil reparut les Français "l'avaient droit en l'œil, et les Anglais par derrière". Cependant les Génois s'avancèrent à l'attaque en criant très fort "pour ébahir les Anglais". Ils poussèrent ainsi trois clameurs, s’arrêtant chaque fois, puis reprenant leur marche. Les Anglais "se tinrent tout cois et ne firent nul semblant [d'en être émus]". A la troisième fois, les Génois commencèrent à tirer. Alors les archers anglais firent un pas en avant et ripostèrent par une pluie de flèches, si drue "que ce semblait neige". Sous cette averse de projectiles, les Génois se débandèrent et voulurent s'enfuir. Mais ils se heurtèrent aux chevaliers français, impatients d’attaquer et furieux "tuez toute cette ribaudaille", cria Philippe, "ils nous encombrent et tiennent la voie sans raison". Ce fut alors une effroyable bousculade, les chevaux se cabraient et culbutaient, les archers anglais tiraient à coup sûr, les chevaliers à terre incapables de se relever étaient achevés par les coutilliers.

Après cette échauffourée, il n’y eut plus dans la nuit tombante que des charges désordonnées menées par les escadrons de chevaliers au fur et à mesure qu’ils débouchaient sur le champ de bataille. Puis ce fut la débandade générale   je rappelle ce qu'écrit J. Favier : "En attendant, Crécy est le triomphe des coutilliers, des coupe-jarrets, des archers embusqués dans les bosquets, des piques tendues au travers des chemins comme au tournant des haies. La hache et la massue l'emportent sur la lance et sur l'épée longue".

Le roi Philippe, la rage au cœur, n’ayant plus avec lui qu'une poignée d'hommes, dut aller en pleine nuit demander asile à un châtelain du voisinage. Quelques vaillants se firent tuer plutôt que de s’enfuir tel le vieux roi de Bohême, Jean de Luxembourg, beau-père du roi de France, aveugle, il exigea de son escorte quelle le conduisit assez avant pour qu’il put frapper un coup d'épée.

Par prudence, sur l'ordre d’Édouard III, les Anglais attendirent jusqu’au matin pour sortir de leurs positions et compter les morts. D'après Jean le Bel et Froissart, les Français auraient laissé sur le terrain 1200 chevaliers et 15 ou 16.000 hommes, écuyers, Génois, bourgeois des villes. Un Anglais, dont le témoignage est plus sûr, puisqu'il était à Crécy, avec Édouard III, écrit dans une lettre, datée du 4 septembre 1346 qu'on a compté les morts : ils étaient 1542 "gens d'armes", non compris "la piétaille" (Document conservé dans les Archives de Londres et publié par CHAMPOLLION-F1GEAC, Lettres de rois, reines et autres personnages, t II).

Commentaires de la miniature illustrant la chronique de Froissart.

L'image doit être lue de bas en haut : on va voir que cela correspond à la chronologie de la bataille. Mais auparavant il faut distinguer le camp anglais et le camp français. Ce dernier est aisé à reconnaître grâce au drapeau royal bleu frappé de trois lys d'or. De plus, est brandi l'oriflamme rouge et or sur lequel on peut lire "Saint-Denis". Côté anglais, le drapeau est écartelé en quatre parts : en 1 et 4 on a les trois lys d'or ; en 2 et 3 : "gueules à trois léopards d'or, armés et lampassés d'azur". Le drapeau anglais porte les trois lys d'or car les Anglais revendiquent la couronne de France, c’est là une des causes principales de la Guerre de Cent ans, l'autre cause étant les querelles interminables en Guyenne entre le vassal (qui est roi d’Angleterre) et le suzerain (qui est roi de France).

Au tout premier plan, l'artiste nous présente le combat des hommes de trait c'est-à-dire les archers et les arbalétriers ; côté anglais, les archers sont très affairés et ne cessent de tirer leurs flèches à raison de trois par minutes (cf. le "cela semblait neige" du texte de Froissart). Ils ont posé leur flèches au sol, pied dessus, pour avoir les mains libres. Côté français, le pauvre arbalétrier doit armer son arbalète avec une flèche anglaise dans les chairs : il manipule son cranequin qui permet de tendre le mécanisme et de lancer le "carreau" : on devine qu'il a le temps de se faire frapper par une flèche adverse ! et d'ailleurs, un collègue, dégouté, rebrousse chemin à gauche de la miniature avec une flèche dans la cuisse, une autre dans la fesse droite. Avec un cadavre au sol, l'auteur nous montre les pertes humaines côté Valois ; notons cependant que les archers d’Édouard III ont surtout atteint les chevaliers et pas la piétaille... mais ce serait sans doute honteux de le montrer aux lecteurs aristocratiques de la chronique de Froissart.

au second plan, côté français, est représenté un des épisodes les plus dramatiques de la bataille : le fameux cri du roi - chef des armées, de toutes les armées, "tuez toute cette ribaudaille, ils nous encombrent et tiennent la voie sans raison" a été exécuté, on voit un chevalier donner un coup d'épée à un fantassin-ami . Un autre chevalier monté sur un cheval brun reçoit des coups de la part d'un homme de trait qui ne se laisse pas faire.

au troisième plan, on voit la masse des chevaliers nous tourner le dos : ils rebroussent chemin... Alors que dans un dernier plan, au pied du château-fort, une troupe de chevaliers qui a pris la fuite - même Philippe VI de Valois -  s'apprête à demander asile au seigneur du lieu. "ouvrez ! c'est l'infortuné roi de France " s'écriera-t-il devant les gardes du château de la Broye (situé près de Bray-sur-Somme).

Bref, c'est la déroute : la chevalerie française a fait faillite, tout est perdu même l'honneur.

NB. liste des morts illustres de Crécy (non exhaustive, tirée de Wiki) :

  • Jean Ier de Luxembourg roi de Bohême et comte de Luxembourg ;
  • Raoul de Lorraine, duc de Lorraine ;
  • Louis de Dampierre, comte de Nevers et de Flandre ;
  • Henri IV de Vaudémont, comte de Vaudémont.
  • Charles II de Valois, frère du Roi, comte d'Alençon, de Chartres et du Perche ;
  • Louis de Châtillon, comte de Blois ;
  • Enguerrand VI de Coucy, sire de Coucy, de Marle, de la Fère, d'Oisy, d'Havrincourt ;
  • Hugues d'Amboise, seigneur de Chaumont et son fils Jean ;
  • Jean d'Auxy, seigneur d'Auxy-le-Château et de Fontaines, chevalier, sénéchal de Ponthieu ;
  • Jean IV d'Harcourt, comte d'Harcourt, vicomte de Châtellerault ;
  • Guillaume Kadot, écuyer, seigneur de Douville, maître d'hôtel du roi ;
  • Jean V de Pierrepont, comte de Roucy ;
  • Louis II de Sancerre, comte de Sancerre ; etc...

La fine fleur de la chevalerie française - dont le bravoure n'est pas en cause - a été décimée... Rappelons que, lors de la bataille, les membres de la haute noblesse gouvernent leur propre troupe : il n'y a pas d'unité de commandement.


voir aussi : AZINCOURT, sang et larmes de la chevalerie française...






Nos ancêtres les Gaulois... texte de J.-P. Demoule

publié le 22 août 2019, 11:34 par Jean-Pierre Rissoan

publié le 1 oct. 2016 à 15:10 par Jean-Pierre Rissoan

Nicolas Sarkozy s’est encore fait remarqué en parlant de nos ancêtres les Gaulois. Tous les Français un peu instruits savent que la population d’aujourd’hui ne descend pas en ligne directe de nos célèbres moustachus. Le journal l’Humanité a donné la parole à des spécialistes qui devaient répondre à la question "L’usage de l’expression « nos ancêtres les Gaulois » est-il dangereux ?" J’ai choisi de sélectionner ce texte de J.-P. Demoule qui est un protohistorien, c’est-à-dire un spécialiste de l’histoire des peuples sans écritures qui vécurent en même temps que d’autres qui avaient adopté une langue écrite ; Exemple type : les Gaulois contemporains des Romains. Nous connaissons leur histoire grâce aux écrits latins de leurs conquérants venus d’au-delà des Alpes. Demoule nous dit avec sobriété : "L'histoire du peuplement de l'actuel territoire français n'est, banalement, qu'une suite ininterrompue de mélanges et de métissages". Les Identitaires doivent être accablés. D’autant plus que nous avons un vieux fonds africain…

La France a été un melting-pot bien avant que ce mot soit inventé. Inutile de chercher une quelconque pureté ethnique. Fichte, prussien, honteux des défaites que lui fit subir un Corse de surcroît adepte de la Révolution, cherche des racines lointaines et est tout fier de dire que son peuple est barbare, c’est-à-dire maintenu au-delà du limes romain, sans mélange donc pur. Au contraire, dit-il, les Francs d’origine germanique, installés de l’autre côté du mur, sont un peuple métissé, condamné au déclin. On sait où a pu mener un tel discours.

Demoule conclut en disant que, ce qui fonde une nation, c’est la volonté du vivre ensemble. Formule qu’a popularisée Ernest Renan après la défaite de 1870-71, pour protester contre l’annexion de l’Alsace-Moselle au prétexte de la loi du sang –dogme allemand- alors que nos compatriotes étaient Français par leur désir de le rester. C’est pourquoi on peut dire que la France d’aujourd’hui est née le 14 juillet 1790, jour anniversaire de ce que vous savez, où se rassemblèrent toutes les délégations des chacun des départements en gestation, Français qui jurèrent fidélité à la Nation. Il est clair que ce sont les valeurs de 1789 et 1793 qui cimentèrent les "peuples désunis" que la Royauté d’Ancien Régime a été incapable de rassembler.

J.-P. R.

 

La volonté de vivre ensemble fonde une nation

par Jean-Paul DEMOULE,

Ancien président de l'institut-universitaire de France, professeur émérite de protohistoire européenne à l'université de Paris-1.

http://www.jeanpauldemoule.com/blog/

Évoquer "nos ancêtres les Gaulois" peut faire sourire : les- Gaulois, ce sont les gauloiseries, Astérix, ou encore les manuels scolaires d'antan, à l'époque des blouses et des encriers[1]. Mais quand ils sont évoqués par un homme politique à propos d'identité nationale, il n'y a plus de quoi rire. Quitte à alimenter sa stratégie de communication, quelques évidences doivent être rappelées. Se revendiquer d' " ancêtres gaulois" est absurde sous deux angles au moins : les Français et la France. L'histoire du peuplement de l'actuel territoire français n'est, banalement, qu'une suite ininterrompue de mélanges et de métissages. Arrivent, il y a au moins un million d'années, les premiers humains répertoriés, des Homo erectus venus d'Afrique. Lesquels évoluent sur place en hommes de Neandertal, il y a 300.000 ans, que supplantent en se mélangeant les Homo sapiens, vous et moi, venus eux aussi d'Afrique, il y a 40.000 ans (nous avons tous en nous 4 % en moyenne de gènes néandertaliens). Il a 8.000 ans, des pionniers venus en masse du Proche-Orient apportent l'agriculture et l'élevage. Puis, on arrive aux Gaulois, dans le dernier millénaire avant notre ère, le nom que leurs donnent les Romains, tandis que les Grecs - qui ont fondé à Marseille en -600 avant J.-C., la première ville digne de ce nom - les appellent "Celtes".

Pour les Romains, la Gaule n'est qu'une entité géographique divisée en une soixantaine de petits États, répartis en trois grandes zones culturelles du nord ou sud, qui diffèrent totalement, disent-ils, tant dans leurs langues que dans leurs mœurs et institutions. Les Gaulois seront "romanisés", perdant langues, religions et cultures d'autant que l'Empire romain proclame, en l'an 380, le christianisme comme seule religion autorisée.

Au V° siècle de notre ère, arrivent des populations germaniques - Wisigoths, Burgondes, Francs, entre autres. Les derniers laisseront leur nom au pays et à la langue locale, pourtant descendante du latin, en même temps qu'ils s'immergent et disparaissent culturellement. Puis, viendront les Bretons, Vikings, Arabes. Et, un peu plus tard, les juifs expulsés d'Espagne en 1492, puis les morisques (musulmans christianisés), expulsés de même, les premiers Tziganes, mais aussi les suites des reines de France, toutes étrangères, les mercenaires des armées royales, composées pour un quart d'étrangers, et on arrive aux migrations de la révolution industrielle.

Mais qu'en est-il de la France elle-même ? L'empire de Clovis ne comprend à sa mort qu'une partie de notre actuel territoire, mais englobe la Belgique et le sud-ouest de l'Allemagne. Au XVl° siècle, il manque encore toute la partie orientale - Alsace, Lorraine, Savoie, comté de Nice, Corse -, sans compter les futurs territoires d'outre-mer. En même temps, l'agrandissement continu du domaine royal se fait aux dépens de populations linguistiquement et culturellement bien différentes : Bretons, Flamands, Basques, Occitans (eux-mêmes subdivisibles), Alsaciens, Corses, etc.

A partir de quand peut-on donc parler de "la France" ? Si l'école républicaine la fit commencer aux Gaulois, c'est par opposition à la monarchie et à l'aristocratie qui se réclamaient des Francs, et parce que la III° République fut fondée grâce à une défaite, Sedan, qui redoublait ainsi celle d'Alésia. La droite catholique préférait comme début, le baptême de Clovis, roi franc ; événement tout aussi absurde puisque, on l'a dit, le christianisme est alors depuis plus d'un siècle la seule religion permise, tandis que les rites païens continueront longtemps encore, comme le montre l'archéologie.

La nation comme communauté de citoyens n'a que deux siècles d'existence à peine ; c'est la volonté de vivre ensemble qui fonde une nation, pas des romans historiques confus, contradictoires, voire manipulés.

 

Publié dans l’Humanité, n° du 28 septembre 2016



[1] Comme celui écrit par BONIFACIO & MARECHAL, publié par les classiques HACHETTE, classe de fin d’études, 1957. Que je garde religieusement. (JPR)

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