publié le 27 juin 2011, 07:36 par Jean-Pierre Rissoan
[
mis à jour : 25 janv. 2016, 06:12
]
19/04/2011
Dans
l’inquiétante affaire de la destruction de "Piss Christ", on a vu
réapparaître - outre l’évêque du coin dont j’ai parlé dans un de mes articles
sur le Vaucluse- le zombie de la Fraternité S.S. Pie X avec un de ses leaders
au nom qui évoque bien son Ancien régime : l’abbé Régis de Cacqueray[1].
Cette association veut entretenir le souvenir du pape Pie X qui a été déclaré
"saint" par l’Eglise, on se demande bien pourquoi. Mais
rassurons-nous : l’Eglise-ne-peut-pas-se-tromper.
L’Église
catholique de Pie X est effrayante. L'histoire de ce pontificat (1903-1914) est
controversée. Il existe une "fraternité de Saint Pie X"[2], en
accointance avec l'évêque schismatique Lefebvre de son vivant, qui est d'extrême-droite
sans fard et qui est aujourd'hui la FSSPX : fraternité sacerdotale Saint
Pie X. Parmi les admirateurs de Pie X figurait l'abbé Georges de Nantes, leader
de la "Contre-réforme
catholique" (CRC) qui a appelé à la "révolution
nationale" en faveur de Le Pen et dont j'utiliserai
l'apologétique[3].
A l'inverse, beaucoup de catholiques ont fait une critique pénétrante de cette
période. C’est le cas de M. Jourjon, professant son cours d'histoire de l’Église contemporaine à la faculté catholique de Lyon.
Comme
disait Braudel à Marc Ferro "plus tu
recules dans le passé, mieux tu analyses". Reculons donc jusqu’à ce
début du XX° siècle puis nous évoquerons Georges de Nantes.
Faire
simple est compliqué. Disons pour aller à l'essentiel que l'Eglise, à l'entrée
du XX° siècle, trouve sur sa gauche à la fois les "Modernistes" et les catholiques républicains de Marc Sangnier,
et sur sa droite, l'Action française. Pie X
condamne les modernistes et Sangnier et conserve/préserve l'Action française.
M. Jourjon enseigne : "Pie X condamna le Sillon mais ne toucha pas à
l'Action française. Délibérément : le mouvement qu'il estimait blâmable était
utile à l’Église. Le dossier de condamnation cependant était prêt. Il suffisait
de le tirer des tiroirs et de le signer". Léon Daudet pourra donc
sortir son journal au titre criminel : "L'avant-guerre" et
influencer les catholiques qui n'hésiteront pas à se croiser. Utile à l’Église
? Georges de Nantes semble nous donner une explication[4]. Pie
X souhaite la constitution "d'un parti catholique, regroupement le plus
large de tous les bons chrétiens et honnêtes citoyens pour jeter hors du
gouvernement de l’État les ennemis de Dieu qui s'y sont retranchés. C'était
exactement l'équivalent religieux de ce "compromis nationaliste" qu'à
ce moment même, et se battant aux côtés des catholiques contre les inventaires,
réclamait l'Action française".
Le
modernisme, en revanche, c'est selon les propos de Pie X "le résumé et
le suc vénéneux de toutes les hérésies". Il entre dans ce conflit entre
le Vatican et les modernistes des considérations théologiques qui ne relèvent
pas de ma compétence. Ce qui nous concerne en revanche, ce sont les méthodes
utilisées par le Vatican, car ces méthodes font exemple. Un pape dogmatique qui se
soustrait au dialogue favorise l'éclosion de catholiques dogmatiques peu
enclins au dialogue. Il n'est pas sans intérêt de noter que le R.P. Le Floch,
spiritain, supérieur du Séminaire français de Rome et conséquemment en relation
avec tout l'épiscopat français est un suppôt des intégristes. Cela aura des
conséquences considérables[5].
Mais revenons à Pie X.
"Le nombre de livres mis à l'index sous Pie X est effarant",
nous dit Jourjon. Dans le motu proprio de Pie X, on lit cette phrase
étonnante : "nous déclarons (…) que tous (…) sont tenus d'obéir aux
décisions doctrinales (…) à celles qui ont été émises comme à celles qui le
seront (…)"[6].
Admettre sans la connaître, une décision quelle qu'elle soit… Abdication de
tout esprit critique… Un hiérarque zélé n'hésite pas à dire le fond de sa
pensée : "sans beaucoup d'efforts on pourra même reconnaître que l’Église a été constituée sous la forme monarchique, forme spécialement propice
pour maintenir l'ordre". On ne va pas le contredire.
Le
diabolique cardinal Benigni.
Mais
le pire est à venir. Le combat anti-moderniste a été mené par des
méthodes dignes de l'extrême-droite la plus pure, par l'entourage du pape,
certes, mais "sans qu'on puisse invoquer en faveur (de ce dernier) que
cela se fît à (son) insu" (Jourjon). Cet entourage est dirigé par un
certain cardinal Benigni, qui sera démissionné dès l'élection du nouveau pape
Benoît XV. Benigni est-il celui qui fit disparaître le dossier "Action
française" que Pie XI chercha désespérément après son élection, en 1922 ?
Tout est possible chez cet homme que Jourjon nous présente de la façon
suivante. Tout ce qui se passe avec Benigni relève de la basse police et de la délation. Benigni établit pour chacun de ses collègues
cardinaux une fiche que les historiens ont retrouvée. Un cardinal est décrit
ainsi : "louche, connu comme lié avec tous les traîtres de l’Église".
Dans sa correspondance avec ses compères, il signe d'un pseudonyme et
recommande de brûler ses lettres après usage. Ses compères ? Ce sont les
membres de l'association Sodalitium Pianum (sodalité
Pie V), connue aussi sous le nom de La Sapinière. Leur but ? Organiser
et diriger l'espionnage et la dénonciation de tout ce qui n'est pas intégriste.
Le mot
intégrisme apparaît en France à cause de la crise moderniste[7].
Benigni le définit dans dix-huit propositions parmi lesquelles j'extrais celles
qui ont un impact socio-politique. "Nous luttons pour le principe et le fait de l'Autorité, de
la Tradition, de l'Ordre religieux et social, (...), nous considérons comme des
plaies l'esprit et le fait du libéralisme et du démocratisme soi-disant
catholique aussi bien que du modernisme, (...), contre le syndicalisme
ouvertement ou implicitement "areligieux", (...), contre le
féminisme, (...), contre la séparation de l’Église et de l’État, (...), contre
tout ce qui est opposé à la discipline, au sentiment du Catholicisme
intégralement Romain". Tous les évêques français qui
suivent Benigni sont de solides soutiens du journal L'Action française,
organe du nationalisme intégral. L'osmose est parfaite. C'est que le
thème essentiel de la Contre-Révolution vaut à l'Action française les
sympathies de tous les intégristes romains et, écrit A. Latreille, "cachait
à leurs yeux l'amoralisme avoué de sa doctrine politique"[8]. En ne condamnant pas la ligue avant 1914, Pie X a concouru,
qu'il le veuille ou non, à la compétition nationaliste qui provoqua le conflit
mondial. En revanche, cette Église fulmina contre le Sillon
Haro sur le
Sillon !
Le
25 août 1910, Rome condamne les initiatives de Marc Sangnier, un
démocrate-chrétien authentique qui avait voulu "sonner le rassemblement
de toutes les bonnes volontés aux avant-postes mêmes de la démocratie
républicaine". C'était le "Sillon"[9]. La
condamnation est sans appel : " La vérité est que les chefs du Sillon"
écrit Pie X dans sa lettre aux évêques de France, "ont une conception
spéciale de la dignité humaine, de la liberté, de la justice et de la
fraternité, et que, pour justifier leurs rêves sociaux, ils en appellent à
l'Évangile, interprété à leur manière (…). Le Sillon réclame (…) au nom de la
dignité humaine, la triple émancipation politique, économique et intellectuelle
; la cité future à laquelle il travaille n'aura plus de maîtres ni de
serviteurs ; les citoyens seront tous libres, tous camarades, tous rois. Les
chefs du Sillon veulent placer l'autorité dans le peuple, (la démarche
autonome, la démocratie restent diaboliques, JPR) prendre comme idéal à
réaliser le nivellement des classes. [...] Est-ce que toute société de créatures inégales par nature (c'est
moi qui souligne, JPR) n'a pas besoin d'une autorité qui dirige leur activité et impose sa loi ? Les
chefs du Sillon ont [été] entraînés vers un nouvel évangile, leur idéal
étant apparenté à celui de la Révolution, ils ne craignent pas de faire entre
l'Évangile et la Révolution des rapprochements blasphématoires"[10]. On
voit que la Révolution reste, comme pour Joseph de Maistre, la pure impureté…
Avec des textes comme celui-ci, la voie est libre pour le courant intégriste.
Péguy, Psichari et comparses peuvent se croiser pour la guerre juste : celle de
1914.
Le
grain de Georges de Nantes
Que
Pie X fût saint, il n'y a pas de doutes pour Georges de Nantes et la CRC. Ce
pape a fait de vrais miracles : "un incendie s'éteint à sa seule parole, des insectes qui
ravageaient les vignes disparaissent à sa prière. (…)". Le
jour où il peut enfin entrer dans Venise, son nouveau siège épiscopal, "cette nuit-là,
les cloches de (la ville) se mirent à sonner toute seules"[11].
Dans son livre publié en 1910, "Libéralisme et Modernisme"[12], le
vicaire général de Reims, Mgr Cauly, met les choses au net, bien dans la ligne
définie par Pie X et Benigni. Ainsi, après avoir exposé in extenso les
quatre-vingt propositions du Syllabus de 1864, et les avoir commentées, il tire
des "conclusions opportunes", dont une intitulée "tous
les enseignements de l'encyclique et du Syllabus conservent leur actualité"
qui dit "c'est le caractère des Décisions doctrinales de l’Église et de
son chef d'être permanentes : la Vérité ne change pas"[13].
Voilà le modèle idéologique des fanatiques qui ont
détruit l’œuvre de l’artiste Serrano. Ce sont des intégristes. Depuis la Bible
les choses ne changent pas et ne changeront pas. L’ange est apparu à l’ânesse
de Balaam. Enfer pour celui qui n’y croit pas !
[1] Le Monde du mardi
19 avril, l’Humanité du même jour.
[2] Lire La Croix,
numéro du 23 mars 2006.
[3] Trouvée sur le site
internet de la CRC.
[4] Ce qu'écrit cet
individu n'exprime pas forcément la réalité objective. Ses écrits sont plus
intéressants pour connaître les pensées de l'extrême-droite religieuse
d'aujourd'hui que pour apprendre l'histoire du règne de Pie X.
[5] Voir le chapitre
"La question". Des prêtres de la Cité catholique furent formés
dans ce séminaire.
[6] Cité par CAULY,
page 121. C’est une méthode fasciste.
[7] Voici une
définition possible donnée par Jourjon. Un anti-moderniste s'exprime ainsi :
"Si les paroles de l'ânesse de Balaam (Livre des Nombres, 22-24)
et l'apparition de l'ange sont une fiction, un songe, alors que l'Ecriture
Sainte les rapporte comme un fait, pourquoi toute l'histoire de Balaam ne
serait-elle pas une fiction, pourquoi la Bible tout entière ne serait-elle pas
un mélange de fiction et de vérité ? Alors qui démêlera la fable d'avec
l'histoire, l'allégorie d'avec la vérité". Jourjon tire les conclusions
suivantes de cette attitude "Il faut donc si on veut rester catholique
ne rien sacrifier de la Bible, il faut la prendre intégralement et donc être
intégralement catholique. Et s'il en est ainsi de l'Ecriture Sainte, il en sera
de même du dogme. I1 faut adhérer à la foi article par article et à chacun des
dogmes. Tout est donné depuis l'origine et tout peut aussi se dégrader à partir
d'un état d'esprit introduit par la Révolution Française".
[8] A. LATREILLE, vol.
III, Histoire du catholicisme en France.
[9] Marc Sangnier, mort
en 1950, eut le temps de voir ses idées aboutir. A la Libération, il contribua
à la formation du M.R.P. (Mouvement Républicain Populaire), qui est notre
démocratie chrétienne française. L'héritier spirituel mutatis mutandis en
est, actuellement, l'U.D.F. de François Bayrou.
[10] Cité en partie,
par l'Abbé A. BOULENGER, chanoine horaire d'Arras, "Histoire de
l'Eglise", Librairie catholique Emmanuel Vitte, Lyon – Paris, 1928,
652 pages, page 580. Voilà ce que l’Eglise a canonisé en 1954, il est vrai en
pleine Guerre froide.
[11] G. DE NANTES,
"Saint Pie X, sauveur de l'Eglise", extrait de la CRC, n°96,
septembre 1975, pp. 12-14. Visible sur le site crc-resurrection.
[12] Nihil obstat.
Remis, die 2 Augusti 1910. L. Gaillot Lib. Cens. ; Imprimatur : Remis, die 5
Augusti 1910. L. J. Card. Luçon, Arch. Remensis. ; Imprimatur : Parisiis, die
15, octobris 1910 E. Thomas, v.g. –tout cela pour dire que c'est un livre officiel,
JPR.
[13] Mgr CAULY, page
25. C'est lui qui souligne. A aucun moment il ne cite Mgr Dupanloup.
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