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La vie de l'esprit >
Critiques de films français
Le président, Henri Verneuil, 1961.
Ce film figura parmi les « poids lourds » lancés au début des années 60’. La distribution d’abord était prestigieuse : Jean Gabin, Bernard Blier, Louis Seigner, Henri Crémieux, Alfred Adam et Renée Faure, tous ces derniers étant fort connus à cette époque ; les "pères" du film ensuite : inspiré par un roman de Georges Simenon, son metteur en scène est Henri Verneuil ; le dialoguiste est Michel Audiard, le compositeur de la BO est Maurice Jarre. Bref, du lourd vous dis-je. Il convient de s’attarder sur la date de création du film : sorti en 1961, il est tourné en 1960. Le général de Gaulle est tout juste revenu au pouvoir. La France est gaulliste à 80%. Peut-on croire une seule seconde que cela n’a pas inspiré les auteurs ? Certes, tous les évènements sont situés sous les III° et IV° républiques, mais il faut être bien naïf pour ne pas y voir l’ombre tutélaire du général. Le président Beaufort – patronyme formé de deux beaux adjectifs – est retiré dans sa propriété de La Verdière qui n’est pas sans évoquer la Boiserie. Son retour aux affaires est évoqué en début de film. On l’appelle "président" parce qu’il est devenu un personnage historique et que, sous les républiques citées, le chef du gouvernement présidait le conseil des ministres et s’appelait donc Mr le Président du Conseil, le titre était valable après la cessation de la fonction. Comment situer Beaufort sur l’arc politique ? Verneuil ne peut pas en faire un "centriste" appellation très dévaluée à la fin des années 50’, il doit être au-dessus des partis lesquels sont insultés/méprisés tout le long du scénario. Le Général, après s’être retiré en 1946, n’avait de cesse de tirer à boulets rouges sur ce "régime des partis". L’anti-parlementarisme s’exprime lorsque Beaufort parle de chaque député en présentant sa carte de visite d’entrepreneur, de membre de Conseil d’administration, d’avocat d’affaires et lorsqu’il conclut que "tous les partis ne sont plus devenus que des syndicats d’intérêts particuliers". Beaufort se définit lui-même comme intermédiaire entre "anarchiste et conservateur", ce qui peut s’appliquer à Clemenceau dont il a d’ailleurs un portrait dédicacé accroché au mur de son bureau. Clemenceau était redouté par tous dans les débats parlementaires mais il a fini à l’extrême-droite à la fin de la guerre en 1917-18. Au demeurant, en promenade, avec sa capeline jetée sur les épaules, son chapeau, Beaufort-Gabin est "déguisé" comme le Tigre avec de surcroît ses épaisses moustaches blanches. Beaufort se plaît à répéter qu’il était critiqué de tous les côtés de la Chambre : Verneuil/Audiard font très fort dans la démagogie. Chacun en prend pour son grade. Lors d’une promenade, accompagné de son fidèle chauffeur (A. Adam, grand second rôle de l’époque), il rencontre un de ses électeurs monté sur son tracteur – indice à cette date de la richesse des betteraviers – qui ne parle des ministres qu’en termes de "voyous" ; à Beaufort qui fait mine de se vexer, il réplique immédiatement "ah ! mais pas vous, Président, vous, vous êtes à part ! ". Une remarque sur la construction du scénario. Lors d’un débat crucial, Beaufort s’oppose à son ancien chef de cabinet, Chalamon. Les deux hommes font référence aux conséquences de la 1ère guerre mondiale, à Verdun, sans jamais placer un mot sur la 2ème guerre, ce qui signifie que nous avons un débat d’entre-deux-guerres. Beaufort est battu par une majorité de députés hostiles à son projet d’Union douanière européenne. L’Europe ! Voilà un thème où l’ombre gaulliste est de longue portée. Beaufort reproche à Chalamont de vouloir une Europe des banquiers, au sein de laquelle la France n’aura plus qu’à approuver les décisions d’un gigantesque "conseil d’administration" des grosses entreprises, entreprises à concentrations "verticales ou horizontales" (sic). On sent un vocabulaire économique tout neuf. Au demeurant, le traité de Rome ne date que de 1957 et la construction européenne inquiète tout un patronat encore bien mal équipé et soucieux de frontières protectrices. En conclusion, le film est centré sur une personnalité, seule, sans guère de soutien, centré aussi sur une virulente détestation du régime parlementaire, mépris des députés, etc… Le roman de Simenon est devenu une arme de propagande pour le régime qui vient de prendre le pouvoir.
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Du Guesclin, film de Bernard de Latour (1948)
Voici d’abord une critique intéressante du site qui s'intitule "L'âge d'or du cinéma français" [1] dont on trouvera les cordonnées en bas de page (NB. les mots en gras sont soulignés par moi)..
Hélas, cette bonne idée passée, le film s'enfonce avec assurance dans le grotesque du carton-pâte y compris ... pour les extérieurs réels ! La vie de Du Guesclin est caricaturée, vidée de toute ambiguïté - celle-là même qui suscite toujours la colère des nationalistes bretons qui n'hésitent pas à faire sauter les statues du Chevalier - et teintée d'un mysticisme de carnaval. Il faut voir Du Guesclin dire, en plein jour, "Regardez ! L'étoile a disparu !". Les poncifs sur la période médiévale s'accumulent aussi rapidement que défile la vie du héros, sans qu'on ne puisse voir une seule bataille - manque de moyens probablement, de volonté sûrement. Il ne faut pas non plus s'attendre à comprendre quoique ce soit au contexte difficile de l'époque puisque les séquences s'enchainent mécaniquement, presque sans logique et se concentrent autour de Du Guesclin et de son fidèle compagnon (Jagu). On ne peut s'empêcher de sourire en les voyant se battre à deux, dos au mur, et lancer des coups d'épée sur des adversaires qui tombent comme si on soufflait dessus. Ainsi des grandes étapes de la vie du Connétable, n'espérons pas comprendre ce qu'il part faire en Espagne et comment il a pu devenir le chef des armées royales.
Hélas vraiment, car l'interprétation est de qualité et sauve le film du
naufrage. Fernand Gravey apporte beaucoup de crédibilité à son
personnage et peut ressembler à l'idée que l'on se fait de Du Guesclin,
froid, spadassin et presque analphabète. Gérard Oury campe un sobre
Charles V de France, tout comme Junie Astor en Tiphaine et Gisèle
Casadesus en Jeanne de Penthièvre. Noël Roquevert n'est pas à sa place
dans le rôle du fidèle compagnon et fait beaucoup pour rendre le film
involontairement comique (tout comme Howard Vernon en Duc de Lancastre),
à la différence d'un jeune Louis de Funès que l'on s'amuse à retrouver
dans plusieurs petits rôles ! De quoi, égoïstement, me rendre heureux de
penser qu'on est loin du grand film que l'on pourrait consacrer au plus
célèbre des Connétables de France". Fin de citation. Ce film est une bizarrerie digne d'intérêt pour les historiens du cinéma et les cinéphiles collectionneurs. Il est immontrable en public sous peine de risées généralisées. Mais bon, quand on amorce une étude de la vie de Bertrand Du Guesclin, une des grandes figures de notre histoire nationale, il faut l'avoir vu. Au demeurant il est sorti récemment sous forme de DVD en copie remastérisée haute définition et je l'ai acheté au festival Lumière de Lyon. La critique ci-dessus parle non sans raisons du "grotesque de carton pâte" et d'adversaires qui tombent comme si on soufflait
dessus". et, en effet, lors des séquences qui retracent le célèbre tournoi de Rennes où Bertrand Du Guesclin mit à terre une douzaine de chevaliers avant de refuser le combat contre le denier adversaire prévu qui était son propre père, on peut voir les lances des vis-à-vis restées en l'air ! et les cavaliers tombent sans même avoir été touchés. Pareil lors d'autres séances de "combat". Il y a un point sur lequel on ne peut réprimander les scénaristes du film c'est la place qui est donnée à l'astrologie, croyance très partagée au Moyen-âge et encore plus en cette période de la Guerre de Cent ans où les défaites succèdent aux défaites sur un fond omniprésent de Peste noire et de famine. On cherche désespérément de quoi sera fait l'avenir et, effectivement, "Charles V s’occupait d’astrologie et fonda à Paris un collège d’astrologues", la chroniqueuse Christine de Pisan le décrira comme un "roi astrologien, très expert en icelle science" [2]. C'est ainsi que le cabinet du roi est doté d'une carte du ciel qui domine le mur du fond. En revanche, les auteurs prennent cela au premier degré, sans aucune distance ni humour. Tiphaine, l'épouse de Bertrand Du Guesclin, lui donne une sorte de calendrier sur lequel sont indiqués en noir "les jours mauvais où il est défendu de rien entreprendre" et Bertrand Du Guesclin est fait prisonnier par Jean Chandoss, généralissime anglais, un jour "qu'elle avait prédit noir" (sic). Quant au mysticisme de carnaval, il correspond à cette séquence de la mort de Tiphaine, à mille lieues de son époux lequel voit à l'instant une étoile s'éteindre dans le ciel, et l'aide de camp de s'exclamer aussitôt : "Tiphaine"... C'était l'étoile que les deux époux, séparés par la guerre, devaient regarder ensemble chaque nuit .. Tout cela est très sérieux (si j'ose écrire). D’ailleurs, Bertrand Du Guesclin a été choisi comme Capitaine général par le roi sur la base des conseils d'un mage qui lui déclara que les planètes étaient bien alignées et en accord avec l'horoscope de sa majesté... Bizaremment, l'astrologie est pêle-mêlée à la religion catholique la plus envahissante. Les séquences du début montrent Bertrand Du Guesclin, adolescent caractériel, irascible et violent ce qui désespère sa mère mais surgit une religieuse surmontée d'une cornette identique à celles des religieuses de la Grande Vadrouille ce qui me semble pour le moins anachronique, mais cette religieuse dit l'avenir et annonce à la maman que Bertrand est un futur grand homme. Ce film est une hagiographie lourde d'un héros national, soldat de Dieu. Sur son lit de mort, son fidèle Jagu lui retire deux bagues pour, dit une voix off, "une jeune fille qui viendra de l'Est" (sic). Quand on compare avec Fanfan-la-tulipe (qui n'est produit guère que trois ans après), la résistance au vieillissement est stupéfiante. Hagiographie mensongère de surcroît car on fait dire à Bertrand, après sa promotion à la chevalerie, que les embuscades et autres ruses sont finies et que, dorénavant, on ne se battra plus "qu'à combat ouvert". Tant Jules Isaac que Jean Favier, d'autres encore, disent exactement le contraire parlant même de "guérilla" pour définir la tactique du Connétable pour reconquérir les terres perdues après le désastreux traité de Brétigny. Mais Du Guesclin est plus ou moins accaparé par les traditionalistes légitimistes et l'on comprend (presque) tout quand on regarde les suppléments au film (le "bonus" comme on dit aujourd'hui) dont un entretien avec Philippe d'Hugues ; ce dernier est présenté comme historien du cinéma mais est surtout membre de l'association des amis de Robert Brasillach. I. Et voilà que l'on nous ressort BRASILLACH…Du Guesclin participe des héros de légende de la royauté avec Geneviève de Paris, Jeanne d'Arc et le chevalier Bayard. Cela dit, la mort du connétable est très bien mise en scène, le réalisateur montre l'émotion qui étreint l'état-major autour de la dépouille ainsi que le respect de l'ennemi qui vient déposer à ses pieds les clefs de la ville que Du Guesclin était en train d’assiéger et immortalisée sous le nom de Châteauneuf-de-Random. Le film s’achève par où il a commencé : le gisant de Du Guesclin sur son tombeau à la basilique des rois de Saint-Denis. C'est la photo en haut à gauche du carré proposé par 'l'âge d'or du cinéma français" où l'on voit le fidèle Jagu (Noël Roquevert) se pencher sur le tombeau. A droite, le public lors d'un combat, avec Tiphaine (Junie Astor) ; en bas à gauche, le duc de Lancastre interprété par Howard Vernon ; à droite, Charles V (Gérard Oury) remettant à Du Guesclin le bâton de Connétable de France. NB. Philippe CONTAMINE remet vigoureusement les choses en place dans son article au titre explicite : "Du Guesclin, la gloire usurpée ?" , revue L'HISTOIRE, N°20, février 1980. PS. La fonction de connétable a été créée sous les Mérovingiens. le titulaire était comte de l'étable c'est-à-dire des écuries, en charge de la cavalerie royale ou impériale. La charge a évolué au point d'en faire un véritable ministère de la guerre qui commande aux maréchaux. La remarque fut faite par Du Guesclin qui se savait "de basse venue" et qui aurait à commander à des chevaliers de haute volée, princes fleurdelisés et autres... Charles V l'assure de son appui total et on sait qu'il fit déposer une relique dans la basilique des rois. [1] http://lagedorducinemafrancais.blogspot.com/2012/12/du-guesclin-de-bernard-de-latour-1949.html |2] http://chrisagde.free.fr/valdirects/ch5vie.php3?page=3 : CHARLES V ET L'ASTROLOGIE |
Raphaël, ou le débauché Maurice RONET, françoise FABIAN
C’est un film que je n’ai jamais oublié. Le duo formé par Maurice Ronet et Françoise Fabian est mythique et pourtant il est très peu célébré. Les hasards du surf internet m’ont fait découvrir que le film était visible en streaming, j’ai sauté sur l’occasion. Sorti en 1971, il a bientôt 50 ans et n’a pas une ride. C’est un drame absolu, avec la mort des deux protagonistes, parcouru par l’intensité d’un amour définitif qui traverse le film comme une flèche. A vrai dire, c’est cette tension qui fait la valeur du film et l’intérêt historique est mince. Quoique…Françoise Fabian (Aurore de Chéroy) est une jeune aristocrate qui vient de perdre son vieux mari, elle est toujours entourée de demoiselles d’honneur et elle est rayonnante. Le rayon évoque cette dispersion de la lumière à partir d’un point central et l’éblouissement. Son veuvage l’a pourtant glacée et elle est indifférente aux hommes qu’elle se plait à faire souffrir. Le soir du bal qui inaugure le scénario elle est belle et sans aucune parure d’orfèvrerie, assez rare pour être relevé. Les garçons s’enflamment : «voici ma citadelle dont je vais faire le siège » dit l’un, « tu ne seras pas le seul sous les remparts » lui dit le maître de maison. Maurice Ronet (Raphaël de Loris) est la virilité fine. Ses yeux bleus ont fait plus d’une victime. Sa voix grave a un timbre exquis. Il est au bal avec des amis qui sont des compères et ces bals solennels où les danseurs et leurs cavalières sont à un mètre l’un de l’autre ne les intéressent guère. Pour tout dire, ils préfèrent les bordels. De classe, mais bordels tout de même. Une seule chose peut les détourner, un instant, des filles : le bon vin et en abondance... Avec les perpétuels éclats de rire, cela leur permet « d’oublier qu’ils sont tristes ». Raphaël voit Aurore. Flash. « Ce soir-là, j’ai vu une reine, j’ai vu une femme dont, pour le première fois, je me suis dit que je ne l’aurais jamais ». L’attirance est réciproque. Mais Aurore, toute à son personnage de femme frigide qui a fait son deuil de l’amour, après une séquence à l’église, fait voir à Raphaël le théâtre de ses bonnes œuvres de dame-patronnesse : l’hôpital où elle réconforte les malades. C’est un abîme sans fond qui sépare ses valeurs de celles de cet homme qui, pourtant, vient de réveiller la belle au bois dormant. Après une scène capitale, dans la chambre d’Aurore, qui se rebelle face à la pression aimante, puis, dans une scène de mentir-vrai, s’abandonne « j’ai été mariée, je sais ce que c’est », Raphaël la laisse tomber, refusant de faire l’amour à une poupée inerte. Sadisme ? En tout cas, Aurore va regretter vivement son propre comportement. Quel gâchis ! Aurore effectue une démarche qui ne peut avoir de marche arrière : elle va, seule, chez celui qui la bouleverse, son personnage tombe, elle est amoureuse. Point. C’est Raphaël, le débauché, qui se montre raisonnable : « vous voyez bien que rien n’est possible entre nous ». Aurore part. Se retourne. Raphaël l’a suivie. S’en suit une scène bouleversante amplifiée par la musique de Bellini, Raphaël à ses genoux pose sa tête sur le ventre d’Aurore qui sent affluer des émotions trop longtemps refluées. Baiser sur les lèvres, enfin. « Part » enjoint Raphaël.On va atteindre un degré inférieur encore. Aurore va carrément se prostituer. Être comme ces filles que Raphaël côtoie chaque jour, faire disparaître toute barrière. Et Raphaël dans un bordel mal famé – on est arrivé dans les bas-fonds de la ville – constate, stupéfait, la présence d’Aurore fardée comme une pute. Il réalise – authentiquement meurtri – que celle qui fut reine un soir l’aime au point d’accepter la déchéance et qu’il est la cause de cela. Finalement, Raphaël domine totalement Aurore, la lave de son maquillage, lui dit de rentrer et de prendre ses responsabilités. Aurore met fin non pas à ses jours mais à
sa vie : elle accepte de se marier au dégoûtant sénateur Horace de
Granville (Jean Vilar) richissime et très vieux : elle l’avait dit ;
catholique sincère, elle ne peut se suicider, si ce devait être le cas elle
irait chez Granville. C'était alors un défi, mais dès lors c'est le concret. Le jour des noces, dans le parc du château où se
trouvaient moult animations, le funambule du haut de son fil est tué par une
balle anonyme : c’est Raphaël qui avait commandité son suicide auprès d’un
malfrat. Il meurt comme il a vécu : sur un fil.
L’intérêt historique du film réside dans l’excellente reconstitution de la Restauration. La Restauration, c’est une tentative de retour à l’Ancien Régime et l’on retrouve cela dans la présence obsédante de ce seigneur de Granville qui arrivera à ses fins en attirant dans ses serres la si belle et jeune Aurore de Chéroy. On retrouve le schéma matrimonial de l'Ancien régime selon lequel une jeune fille belle et relativement désargenté épouse un vieillard richissime dont la mort rapide fera une veuve "joyeuse". RIDICULE, à voir … Le film se passe dans les années 1830, création de l’opéra Norma de Bellini dont les auteurs ont judicieusement utilisée la musique pour la bande originale. Cette bande de jeunes gens étale devant nous sa désespérance, son oisiveté, c’est une jeunesse dorée du régime mais nous sommes loin de la jeunesse romantique qui criait « levez-vous ! Orages désirés ». Après les épopées révolutionnaire et napoléonienne, la Restauration c’est le calme plat, l’ennui, le stupre et la religion… Car l’ordre moral est là. Raphaël, lorsqu’il constate le mal qu’il fait à Aurore, se fait fouetter avec une discipline sans se référer à Dieu pour autant. . Aurore prie Dieu pour qu’elle revienne « comme avant », pour qu’elle oublie le Diable dont elle a découvert la beauté et soumet son poignet à la brûlure de la flamme d’une bougie. C’est l’époque du Curé d’Ars, grand adepte de la mortification. Dernier mot : les décors urbains, naturels, sont un sans-faute. |
REGAIN, Jean Giono, Marcel Pagnol (1938)
Événement révélateur de l'atmosphère politique de l'avant-guerre, la "première" du film de Pagnol, Regain, eut lieu le 28 octobre 1937, lors d'une soirée de gala organisée par le journal L'Intransigeant (journal pacifiste, pétainiste) sous le patronage du président de la République, Albert Lebrun. On sait qu'il s'agit de l'adaptation pour le cinéma "du célèbre roman de Jean Giono" comme le dit le générique. Le succès fut considérable et eut des retentissements sur la diffusion du roman qui fut un des plus grands succès de librairie de J. Giono. Comme par hasard, mais ce n'en est pas un, c'est au moment du tournage et de la sortie du film que les historiens situent l'apogée du mouvement de Dorgères, entre 1936 et 1938, les "Chemises vertes".
Il est indispensable de regarder de près le roman[i]. Surtout dans la seconde partie qui se prête davantage que la première à une analyse politique et idéologique. On suppose connue du lecteur l'histoire du roman qui est la rencontre de Panturle et d'Arsule, lesquels "fondent un foyer" et mettent en culture des friches abandonnées dans le village quasi désert d'Aubignane. Il y a de prime abord un thème d'analyse : celui de la liberté paysanne. "Mettons-nous sur notre terre, (…), on sera nos maîtres", voilà qui résume à peu près tout. Loin du salariat oppressif, le travail où le paysan est chef de son exploitation est facteur de liberté. "On m'a fait deux yeux et deux oreilles, et deux bras, avec de bonnes mains et je m'en sers seul, et je sais regarder l'alentour sans l'aide de personne" dit Panturle. Ainsi peut-il espérer rejoindre la situation de l'Amoureux, un autre personnage du roman, ami de Panturle, qui est un exploitant indépendant, patron de plusieurs domestiques. Cette paysannerie est indépendante. Avec le blé qui lui restera – car il faut tout de même en vendre une partie – Panturle fera son propre pain, "ma femme aime le bon pain", sous-entendu : celui de la ville est moins bon et l'on sent bien à travers la description des repas confectionnés par Arsule que l'objectif à atteindre est l'autosubsistance permise par la polyculture vivrière[ii]. Cette paysannerie heureuse est solidaire. Autre thème. Avec son nouveau voisin, lui aussi revenu à la terre, Panturle partage la même vie : "c'étaient des frères". L'épouse envisage tout de suite les rencontres entre les familles et dit à Arsule : "si nous commençons dès ce soir à faire compagnie, il ne nous restera rien pour les veillées de cet hiver". D'ailleurs, Amoureux donne immédiatement, sans la moindre contrepartie, tout ce qui est nécessaire à Panturle pour ses investissements de départ : des sacs de semence, le prêt d'un cheval… A Panturle qui propose de lui payer le gros pain qu'il donne, Amoureux répond: "t'as qu'à faire ça si tu veux qu'on se fâche". C'est qu'il ne saurait être question de rapports d'argent entre paysans. La détestation de l'argent, voilà un autre thème d'analyse. Et qui incarne mieux l'argent que le commerçant ? "Il y a des marchands à l'aune avec leur règle de bois un peu plus courte que mesure. "Et je vous ferais bonne longueur ; venez donc"". "La terre, elle, ne ment pas" dit Philippe Pétain, à la même date. Pire encore que le commerçant, qui, au moins, vend des objets, il y a le courtier, qui est l'intermédiaire entre le paysan qui vend son blé et ? ... et on ne sait pas trop qui. Le courtier ? "Le pansu qui vient ici pour racler le pauvre monde parce qu'il sait mieux se servir de sa langue et qu'il veut acheter avec le moins de sous possible". Le courtier Monsieur Astruc ? "C'est un beau ventre bien plié dans son gilet double, avec une chaîne de montre qui attache tout (…). Dès qu'il apprend qu'il y a du blé à acheter et, donc, une affaire à faire, "M. Astruc court comme un rat malgré son gros ventre". L'appât du gain des gens de la ville est aussi caractérisé par le comportement d'Agathange qui n'a pas fermé boutique malgré le décès de l'oncle, parce que c'est jour de foire et qu'il ne faut pas raté une telle recette, et c'est vrai "le tiroir du comptoir tout ouvert déborde de billets de cinq franc". Dans la pièce voisine, le corps du défunt n'est pas encore mis dans le cercueil "c'est pas que je m'inquiète, mais … il ne sent pas bon, tu sais", dit la tante tout en regardant le tiroir du comptoir. Gédémus, le rémouleur, incarne, à l'inverse de Panturle solidement enfoncé dans la terre comme une colonne, l'itinérance, l'instabilité, le mouvement ; il n'a pas de patrie : il n'est d'aucun village. "On aime sa patrie parce qu'on aime son village" dira Pierre Laval. Et surtout, Gédémus se livre à un sordide marchandage : il explique à Panturle qu'il a perdu Arsule, laquelle lui servait bien puisqu'elle tirait la meule montée sur roues. Il obtient 60 francs de réparation. Le paysan, lui, ne dépense pas. Panturle, un peu, mais il est vrai qu'il y a tout à reconstruire dans sa maison où il vivait comme un demi-sauvage de chasse et de cueillette. Non, le paysan est économe. Chez Panturle ce n'est pas le bas de laine, la lessiveuse, le matelas ou la pile de draps bien repassés, non, "c'est, sur la cheminée, une petite boîte, (…), sur la petite boîte, il y a marqué "poivre". Pour le cas où... Ça peut arriver. Il faudra voir. Et Giono jette : "on ne peut pas toujours vivre d'emprunt". Les dettes, l'endettement, c'est la faute. Pire : lé désordre. Le très conservateur banquier Achille Fould, ministre du II°empire, ne disait-il pas, déjà, "je déteste le désordre dans rue et le déficit dans les budgets, autre forme de désordre". C'est le regain de l' autrefois. Les paysans ont "voulu faire de ce blé d'Inde". "C'était nouveau encore, ça". Depuis des siècles, l’Église leur dit d'éviter les "novelletés" ! Le résultat est catastrophique. Une récolte diminuée de dix fois, etc.… Par contre, le blé de Panturle c'est du blé du pays. "Ce blé du dehors, pour nos terres, ça ne vaut pas le blé du pays". André Tardieu volera au secours des paysans en faisant voter la loi du 1er décembre 1929 qui détermine la quantité de blé français entrant dans la fabrication de la farine. Mais ce beau blé français, lourd comme du plomb, sain, propre, sans une balle, est beau pour une autre raison. Il est battu à la main, au fléau, pas battu à la machine ! et vanné au mistral. Le mistral, on le sait depuis Alphonse Daudet[iii], est le souffle du bon Dieu… Foin des conseils de ceux qui s'y entendent sur les choses de la terre, ou, du moins (qui) le disent, de ces professeurs payés par le gouvernement. Giono s'abandonne à l'hostilité aux fonctionnaires, thème de droite qui naît dans les années 1920[iv]. A ces professeurs on donne une ferme proprette, ordonnée, mais ils la transforment en désert, un désert je te dis. Si tu voulais la reprendre cette ferme (…) c'est tout mort. Tu le vois cet homme, le médecin des racines, avec son gros livre à la main ? Ça s'apprend pas dans les livres, ça. Ce monde rural, qui est sûr de ses racines, fuit la ville. Ah ! la ville, le temple du vice. La ville que Dorgères voue également aux gémonies. Arsule, avant de s'appeler ainsi, était Irène "des grands théâtres de Paris et de l'univers" ! Oui, Paris -ce Paris que détestait déjà le vicomte de Bonald LA HORSE (1969) ; Lambesc, Granier-Deferre, et le vicomte de Bonald.- était venu polluer jusqu'à la ville proche où Irène donna une représentation… Elle se fit violer par une bande d'ouvriers agricoles qui ramassaient la lavande avant de s'abandonner à leur bassesse. La ville, antre des marchands voleurs, de l'appât du gain qui dédaigne le respect dû aux morts. La ville, c'est aussi le bruit, le boucan qui empêche de penser. "Ça me fait un zonzon dit Panturle qu'à l'endurer je deviendrais fou". Mais tout diffère au retour à la ferme. La campagne, à nouveau cultivée par l'homme, respire le beau et le bon. Ça arrive net et propre devant les yeux et l'on voit bien les pourquoi et les comment. Panturle est heureux. "Il voit l'ordre". Comme le héros de Corneille, Nicomède, qui dit : "je suis maître de moi, comme de l'univers". Voilà, on peut le dire, un roman bien réactionnaire. La pensée de Louis de Bonald est omniprésente[v]. Même si Giono ne le sait pas. Le misonéisme a bien imprégné les consciences. Le thème de la liberté paysanne est commun à Giono, à Dorgères et à Bardoux. Pour le chef des "chemises vertes", "le paysan idéal est à la tête d'une exploitation paysanne, petite ou moyenne, vivant de son travail et de celui de sa famille, modèle vers lequel toute la société rurale doit tendre"[vi]. La détestation de l'argent est bien catholique. Ne parlons pas de la naïveté de l'ensemble. Si le village de haute Provence est abandonné, c'est que l'agriculture a connu la révolution commerciale, les régions les moins bien placées sont condamnées XIX° siècle, le train : son impact économique et géographique, la désertification est dure pour les hommes et les choses mais croire que le retour à la terre se fera aussi facilement…Quant aux prix agricoles, s'il est aussi facile que cela de négocier avec le courtier[vii] on ne voit pas bien les raisons de l'exode rural. Je n'ignore pas qu'il s'agit d'un roman et non pas d'un traité d'économie politique. Il n'empêche, l'idéologie c'est comme l'air que l'on respire, elle est partout. Cela dit, le roman n'est pas de la veine traditionaliste. Il y a au moins deux arguments pour le dire. D'abord, la religion est absente. Panturle et Arsule s'unissent et vivent ensemble. Pas de mariage religieux. Il n'y a ni curé, ni Église. L'église est en ruine. La seule présence significative est la statuette de la Vierge, entourée d'un rosaire, chez la Mamèche. Mais la religion de la Mamèche est du type donnant-donnant : "je crois, mais en échange, tu t'occupes du village". Or, le vieux Gaubert s'en va. Au début de l'histoire, il ne reste plus que Panturle et la Mamèche. De rage, à voir partir Gaubert, la Mamèche jette un bol de lait sur la Vierge. L'autre argument est dans la splendide description de la sensualité, du besoin d'amour et, particulièrement du besoin d'amour physique, qui habite Arsule et Panturle. Le vent semble la vraie divinité qui poursuit Arsule. "Le vent entre dans son corsage comme chez lui. Il lui coule entre les seins, il lui descend sur le ventre comme une main ; il lui coule entre les cuisses. (…) et tout d'un coup, elle se met à penser aux hommes". Etc.… Mais le texte de Giono est bien dans l'air du temps. Déjà Tardieu en présentant, à peu près à la même époque, son Plan d'outillage national, largement destiné à l'agriculture, avait déclaré que la paysannerie était la "source de nos vertus nationales". Le plan devait mettre un terme à l'exode rural et, donc, préserver "l'équilibre économique et moral de la nation"[viii]. Au total, et pour en rester au plan politique, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Les paysans sont des travailleurs indépendants, égaux, qui s'estiment et s'entraident, c'est la fraternité en quelque sorte. Il y a cependant une pierre d'achoppement. Amoureux est un patron qui commande à ses ouvriers. Il ne mélange pas les torchons et les serviettes. Discutant avec Panturle, il fait signe à ses commis de s'éloigner. "Tu comprends, j'aime mieux qu'on soit à parler de ça rien que tous les deux. On sait jamais. Tu sais les domestiques ça ramasse comme ça dix mots, une fois l'un, une fois l'autre, dans les choses qu'ils entendent et ça leur fait dix pierres à te jeter à la figure après". Petit aspect de conflits de classes. Le monde de Giono "ne plane pas dans les airs", c'est un monde de petits propriétaires, de classes moyennes, qui travaillent certes, et beaucoup, mais c'est l'idéologie - tant pis pour la langue de bois - petite-bourgeoise.
C'est de ce texte dont s'empare Pagnol. Pagnol en rajoute une couche très épaisse. On peut dire que lui en fait un film à l'idéologie traditionaliste. Relativement aux deux arguments précédemment évoqués, Pagnol rectifie lourdement. D'abord, Arsule est vêtue d'un tailleur très strict, avec un chemisier ras le cou et un énorme foulard bien attaché autour du cou. Par question pour le vent de s'amuser sous ce harnachement vestimentaire. Ce n'est qu'un exemple. La sensualité est absente du film. La censure - au sens freudien - règne. Quant à la présence religieuse, elle est carrément intégrée. Les lits dans les intérieurs sont surmontés d'un crucifix. La Mamèche s'est installée dans l'église et la statuette de la Vierge est sur un autel. Lorsque Panturle apporte à Arsule le pain de l'Amoureux, celle-ci récite le Notre-Père "donnez-nous aujourd'hui notre pain de chaque jour". Scène appuyée et pesante… Chez Jasmin Gaubert, le mur est décoré d'un assiette peinte qui porte le portrait de… Charles X [ix]. On est dans la Provence carliste de Mistral, de Daudet, et de Maurras aussi il est vrai. Donc, un traditionalisme très orthodoxe. Pagnol se déchaîne contre les fonctionnaires. Déjà chez Giono, le professeur de l'école d'agriculture est un fonctionnaire : professeur et fonctionnaire ! Deux tares. Pagnol met en scènes trois administrations par le biais de trois personnages : le garde-champêtre, couard qui refuse d'aller sur le lieu du viol, les gendarmes que n'effraient pas une erreur judiciaire, et, Jasmin, qui n'est pas exactement un fonctionnaire mais qui porte l'uniforme de la compagnie P.L.M. -la S.N.C.F. vient d'être créée-. Le chef de gare renâcle à accorder une autorisation d'absence à Jasmin qui veut accompagner son père qui quitte Aubignane. Les administrations anonymes empêchent l'expression de l'amour filial. Et les gendarmes demandent à Gédémus ses papiers, or, à la campagne, tout le monde se connaît, mais les gendarmes sont des fonctionnaires étrangers au village… Jasmin quitte la P.L.M. et demande à Panturle des conseils pour reprendre une exploitation agricole à ses côtés. Panturle accepte avec plaisir, et comme il était dans son champ à labourer, Jasmin lui demande de tracer le sillon. Alors tombe l'insulte : "quitte ta veste", lui dit Panturle, "les costumes pour obéir, c'est pas des costumes pour travailler" (sic). Les fonctionnaires ? Tous des fainéants, c'est bien connu[x]. Pagnol amplifie le thème du retour à la terre et du rejet de la révolution industrielle. Les lavandiers sont devenus des charbonniers. Le charbon, pain de l'industrie. Gédémus qui travaille et aiguise l'acier est qualifié d'"industriel" par ses interlocuteurs. Et "l'industriel" de dire qu'on lui a dit que "le progrès, c'est une divinité insatiable qui dévore ses enfants avant de leur servir à quelque chose". La tradition, il n'y a que ça de vrai. Quant à la politique… c'est la cause du départ de Jasmin qui quitte la ville "où ils font tous de la politique : royalistes, syndicalistes, communistes, radicalistes" (sic). Le film de Pagnol n'est pas politique, non, le catholicisme traditionalisme, ce n'est pas de la politique, c'est la France. "Pétain, c'est la France et la France c'est Pétain"[xi]. Très bonaldien, Pagnol en rajoute aussi quant à l'anarchisme de droite. Jasmin quitte la Compagnie et la ville parce qu'il en a assez de toujours obéir à quelqu'un ou à quelque chose. Il quittera son "costume-pour-obéir". Quant à Gédémus, au brigadier qui lui dit de déguerpir sinon il lui dresse procès-verbal pour "avoir camper en nomade et sans autorisation, allumer un feu à moins de 400m d'une forêt, vagabondage, refus de circuler et outrage à magistrat", il réplique "moi ? j'ai fait tout ça, sans m'en apercevoir ?". Eh ! oui, restons simples, pourquoi tant légiférer ? Mais Gédémus incarne l’errance, c’est en quelque sorte un S.D.F., et le gendarme non plus n’est pas du "pays" soumis qu’il est à la mobilité des fonctionnaires. Ces hommes exigent un ordre malsain, contraire à l’ordre naturel qui s’impose de lui-même entre paysans attachés à leur terre qui, elle, ne ment pas. Et puis, autre thème bien droitier, le film est résolument machiste. C'est l'homme qui commande. C'est le père, le mari du code civil napoléonien qu'il faut défendre. Le mâle français des années trente devait se sentir fragile. Pagnol vole à son secours[xii]. Il y a trois scènes dans le film où l'homme montre que c'est lui qui commande. Entre Jasmin et sa femme, Gédémus et Arsule, Panturle et Arsule. Jasmin foudroie son épouse qui déclare que la présence de son beau-père va gêner le ménage. Jasmin exige des excuses et montre qui "porte la culotte". Séquences lourdes[xiii]. Travail ? Famille ? Patrie ? Oui, tout y est dans le film de Pagnol. La patrie est représentée par le village, qu'il ne faut pas quitter ! Pétain a dit : "l'attachement à la petite patrie, non seulement n'ôte rien à l'amour de la grande, mais contribue à l'accroître". Handicapé par la vieillesse, le vieux Gaubert dit "c'est la punition, j'aurais pas dû quitter Aubignane". Punition divine, cela va de soi… Si le film a eu beaucoup de succès cela montre qu'il y avait une forte montée du traditionalisme et le cinéaste y a contribué. Cette certitude que les bases paysannes de la France sont l'avenir du pays est ancrée chez des hommes politiques d'envergure comme Tardieu, on l'a vu, et comme Bardoux. Ce dernier ne conçoit pas son "ordre nouveau" sans "la vitalité des valeurs spirituelles et la valeur de la personne humaine". Mais il s'interroge gravement : comment le faire "si le foyer paysan cesse d'incarner la survie de l'individu libre et si la vieille cloche de l'église romane, au-dessus des tombes ancestrales, cesse de sonner son appel millénaire" ? Texte écrit au début de l'année 1939[xiv]. Après 1945, cet homme et ses acolytes créeront le parti du Centre national des Indépendants et Paysans. [i] Jean GIONO, "Regain", collection Le livre de poche, éditions Grasset, Paris, 1977, 192 pages. [ii] Page 173. [iii] Alors que la vapeur est "le souffle du Diable" (sic), A. Daudet, le secret de Maître Cornille, "Les lettres de mon moulin" également portées au cinéma par M. Pagnol. A. Daudet était, politiquement, monarchiste. [iv] La guerre a créé une inflation qui désavantage gravement les fonctionnaires au traitement fixe. La droite, au parlement, refuse toute concession aux fonctionnaires "budgétivores"… [v] Voir le chapitre "Les chevaliers de la Foi" (disponible sur ce site). [vi] Robert O. Paxton, "Le temps des chemises vertes. Révoltes paysannes et fascisme rural, 1929-1939", LE SEUIL, Paris, 1996, 315 pages, page 200. [vii] Le courtier propose 110, Panturle 130, et M. Astruc accepte. C'est simple. [viii] Cité par R.F. KUISEL, "Le capitalisme et l'Etat en France", page 102. [ix] C'est le portrait très célèbre réalisé par le peintre Horace Vernet. [x] Insulte d'autant plus insupportable que les cheminots seront les premiers à savoir désobéir quand il le faudra : contre l'occupant nazi. Menant avec succès, l'inoubliable "bataille du rail". Alors que les paysans qui ont Charles X comme décoration dans leur foyer… [xi] Cardinal Gerlier, archevêque de Lyon. [xii] Il y avait pourtant la noble figure de Gabin. Mais ces films sont d'une autre veine. C'est l'ouvrier solide. [xiii] En revanche, cet aspect est absent du roman de Giono. [xiv] J. BARDOUX, "L'ordre nouveau", pp. 185-186. |
FANFAN LA TULIPE, CHRISTIAN-JAQUE (1952) L’ARMEE AUX XVII-XVIII° SIECLES
mots-clés : armée
d’Ancien régime, régiment de Lyonnais, régiment d’Anjou-Aquitaine, Gérard
Philippe, Gallica, BNF, Jules Isaac, Revue d’histoire de Lyon, Christian-Jaque,
recrutement des soldats, Louvois, Vauban, désertion, drapeau, colonel de régiment.
Mise en bouche : https://www.youtube.com/watch?v=F6zcDwCBU4U https://www.youtube.com/watch?v=nEcTor_Q8ek Il y a longtemps que j’ai envie d’écrire cette fiche sur Fanfan-la-tulipe, film épique, cocasse, émouvant, tonique, virevoltant, inoubliable qui a bercé ma jeunesse et me berce toujours. Évidemment l’apport historique du film est mince et c’est ce qui m’a retenu mais en cherchant bien il y a là une approche/illustration de la vie militaire sous l’Ancien Régime. Je pourrais commencer par des expositions ennuyeuses mais il faut dire d’abord ce qui plaît. Fanfan est un film qui va à cent à l’heure. C’est une tornade. Et Gérard Philippe – le vol arrêté – est tout simplement merveilleux. Il a la grâce. La grâce du danseur-étoile sauf que là c’est un guerrier, un bretteur, un escrimeur hors pair. C’est un cavalier qui parcourt à bride abattue des prairies infinies à la poursuite des carrosses qui enlèvent sa bien-aimée, et quelle bien-aimée : Gina Lollobrigida, belle comme… je vous laisse deviner. C’est un héros capable, avec ses compères Tranche-Montagne et La Franchise, d’arrêter tout l’État-major ennemi et de créer la panique dans ses rangs. Ah ! qui peut oublier l’entrée fracassante de La Franchise, à cheval, sabre au clair dans le cloître du couvent de Morte-l’âme où est menacée Adeline ! Toutes ces aventures véloces et galopantes sont accompagnées par la musique de Georges Van Parys qui est parfaitement adaptée au mouvement perpétuel et à la mise en scène de Christian-Jaque (prix de la mise en scène à Cannes, 1952). Quand on souffle un peu, on a droit aux dialogues d’Henri Jeanson, le créateur de l’atmosphère atmosphère de l’Hôtel du nord… "La guerre est le seul divertissement des rois où les peuples aient leur part" ! "Sire, l’aile gauche sera à droite, et l’aile droite au centre... Et le centre à droite, comme il se doit…" Tout le monde, dans les salles, savait les tergiversations du centriste MRP ! Jeanson était un auteur venimeux, féroce mais, pacifiste absolu, il est très à son aise dans ce film qui est aussi une arme contre la guerre et il est bien entouré… Gérard Philippe fut l’un des plus célèbres compagnons de route du PCF (à cette date, à 25% dans les urnes), Christian-Jaque – croix de guerre 39-45 - fut membre des F.F.I., H. Jeanson termina les trois dernières années de l’Occupation dans la clandestinité, René Fallet, co-auteur du scénario, fils d’un communiste de Villeneuve-st-Georges, entre dans la Résistance en 1944 alors qu’il n’a pas 17 ans… On sait que Fallet recevra le prix de l’humour pour un livre écrit ultérieurement. Etc… Tout ce beau monde s’entend comme larrons en foire. En 1951/52, la guerre est encore bien présente dans les esprits, l’Allemand n’est pas chéri, et les Français ont besoin d’aventure, de sorties, de respiration. C’est l’époque de la préparation de la grande expédition de l’ Annapurna ! Le film fut un très grand succès : 6 millions 730.000 spectateurs à sa sortie soit 16% de la population totale de la France (y compris les bébés et le 4° âge), un remake raté de 2003 – que je n’ai jamais vu, on ne cautionne pas un sacrilège – a fait 1,2 million d’entrées soit 2% de la population du pays. Tout n’est-il pas dit ? Le film a été adapté en bande dessinée sous le même titre par le scénariste Jean Prado et le dessinateur Étienne Le Rallic dans l'hebdomadaire français L'Intrépide d'avril 1952 à avril 1956. Et vous savez quoi ? je l’ai lue, cette BD, je m’en souviens. J’avais tiqué sur le grade de "maréchal des logis" ne comprenant pas bien ce qu’un maréchal faisait dans les logis… Le film de Christian-Jaque a été gravé sur DVD en 2000, en versions NB et colorisée. La version colorisée est valable mais je préfère de loin la version NB qui me replonge à chaque fois dans mes souvenirs. Je peux revoir des « seconds rôles » aussi brillants que Jean Parédès (capitaine de la Houlette) – "que je te taquine la rate ? l’expression est heureuse..." -, Noël Roquevert, Jean-Marc Tennberg, 1er valet du roi (cynique et servile à la fois) qui échoue dans sa tâche et s’évanouit ce qui fait dire à Louis XV "évacuez tout cela mais que l’on prenne soin des chevaux", Geneviève Page, Georgette Anys aux formes surabondantes, que j’ai l’impression d’avoir toujours vue, épouse de Tranche-Montagne et mère d’une famille (très) nombreuse… Marcel Herrand, l’un des protagonistes des Enfants du paradis, dans le rôle du roi de France grand fornicateur devant l’Éternel et chef de guerre nullissime, attiré par les charmes de Gina Lollobrigida/Adeline laquelle, femme, décidée et fière, refuse ses avances et lui balance carrément une baffe. Oui, en 1951/52 on pouvait balancer des baffes aux rois de France sur les écrans et le public adorait ça... Vraiment, quelle troupe ! Le fichier Gallica et la Revue d’histoire de Lyon Le film peut ouvrir une présentation des conditions de la guerre sous l’Ancien Régime. Disons toutefois que, sa vocation étant de distraire et de faire rêver, il ne parle pas des horreurs : mises à sac, vols et rapines, viols, anthropophagie. J’ai trouvé des informations sur un manuel passionnant : "Petite histoire de la région lyonnaise", écrit notamment par M. Chaulanges, en 1941 dans la zone dite libre et portant la date de publication de 1942 [1]. Les auteurs consacrent une leçon à l’armée sous la monarchie aux XVII° et XVIII° et leur source principale est un article de la Revue d’histoire de Lyon de 1903. Or cet article on peut l’avoir sous les yeux. C’est le miracle du numérique, miracle dû à Jean-Noël Jeanneney qui lança il y a 2 ou 3 décennies un cri d’alarme, disant que Google était en train de tout numériser et que l’essentiel de notre patrimoine archivistique, allait, si nous n’y prenons garde, nous échapper. C’est sous son impulsion que la Bibliothèque nationale de France (BNF) a créé le fichier Gallica, en libre accès depuis 1997. C’est ainsi que l’on peut lire, chez soi, devant son écran, l’article d’A. Bleton, "Le régiment de Lyonnais" [2]. Le toujours nécessaire Isaac apporte des infos supplémentaires [3]. Le recrutement et ses implications Fanfan échappe au mariage en s’engageant dans le régiment d’Aquitaine[4]. Sur la place du village, le sergent La Franchise, dûment mandaté par le capitaine de la Houlette, joue le sergent-recruteur. Il s’agit de fournir en soldats le régiment, victime des pertes infligées par la guerre du moment qui dura Sept ans (1756-1763). A Monsieur, Monsieur le prévôt en la Marechaucée générale de Lyonnois, Forest, et Beaujollois.[5] Suplie humblement, Jean-François de Ruols, écuyer (noble), lieutenant dans le régiment de Ponthieu-Infanterie, et vous remontre en se plaignant que le vingtsixième de ce mois il obtint une permission de Monsieur le Marquis de Rochebonne de faire battre la caisse dans les villages et lieux circonvoisins de cette ville pour engager des soldats (Pour compléter les effectifs des troupes de ligne (différentes des milices), on envoyait des officiers « en semestre », dans leurs provinces, pour recruter des engagés volontaires ; munis d'argent pour payer les primes d'engagement et accompagnés de tambours, ils parcouraient les villages en cherchant des volontaires NDLR). Le lendemain (27 décembre 1724), s'estant rendu avec un tambour dans la maison de campagne d'un de ses parents située dans la paroisse de Chaponost ou il entendit la messe, il fit battre un banc après la messe dans la place publique dudit Chaponost et fit faire une publication sans pouvoir engager personne. Mais après la messe, le sieur curé dudit Chaponost lui ayant dit qu'il pourrait trouver occasion d'engager quelqu'un dans la paroisse de Messerny, il s'y rendit le mesme jour avec son tambour, ou, après avoir fait battre un banc dans la place publique et fait faire une publication, il remit a son tambour une somme de deux cens livres en or et en argent bland, laquelle somme il exposa sur la caisse affin de faire connoitre à ceux qui auroient envie de prendre parti qu'ils auraient de bons engagements. (…). Tout est bon pour faire signer le badaud et c’est la tâche assignée à Adeline La Franchise. Celle-ci se fait bohémienne et diseuse de bonne aventure. Saouler le paysan du coin et lui escroquer sa signature est le moyen le plus courant. Lui faire des promesses, le fait fantasmer et signer. Ainsi promet-elle à Fanfan qu’il connaîtra des aventures dans toute l’Europe et même qu’il épousera rien moins que la fille du Roi ! On fait jouer aussi le goût pour la parade et l’uniforme (cf. infra). Le régiment se compose de volontaires, d’autres sont soldats de métier, d’autres enrégimentés de force. Tous sont mercenaires. La première difficulté est de garder sous le drapeau ces recrues, la tentation de la désertion est forte chez ces soldats souvent peu motivés. Selon la conjoncture, la désertion était plus ou moins grande et, ce, malgré les peines qui frappaient les déserteurs : amputation du nez ou des oreilles, marque au fer rouge, galères… En 1697, Vauban expose à Louis XIV les effets du système de racolage : Presque tous les enrôlements sont devenus frauduleux et forcés. Je laisse à penser quelles troupes cela a dû produire, et quelle fidélité on doit attendre de soldats ramassés de toutes espèces, qui n’ont dans l'esprit que le chagrin d'être forcés de faire un métier pour lequel ils n'ont nulle disposition ; ce sont les contraintes, jointes à la faiblesse de la solde, qui ont donné lieu à tant de désertions dans les armées pendant le cours de cette dernière guerre, et causé tant de désordres parmi les peuples de la campagne par l'enlèvement fréquent des hommes le plus en état de soutenir leurs familles et de les faire subsister du travail de leurs mains [6], ce qui, ayant mis une infinité de femmes et de pauvres enfants hors d'état de pouvoir plus trouver de quoi vivre, grande quantité sont morts de faim et de misère, et plusieurs autres ont été réduits à la mendicité pour avoir été privés de ceux qui pouvaient les faite subsister. Le roi prenait pourtant des ordonnances pour lutter contre les déserteurs : Mande et ordonne Sa Majesté, tant auxdits prévôts, qu'aux vice- baillis, vice-sénéchaux et autres officiers de robe-courte, même eux gardes établis pour la conservation de la ferme des gabelles et pour la garde des ponts, ports, péages et passages et à tous autres ses officiers et sujets, de saisir et arrêter lesdits soldats déserteurs, de les conduire dans la prison royale du lieu ou la plus prochaine, et d'en donner avis sur-le-champ au secrétaire d'État de la guerre pour être par 1ui pourvu à la conduite desdits déserteurs. Le colonel. Le drapeau du régiment de Lyonnais Les recrues prêtent serment de fidélité non pas à l’officier propriétaire du régiment – sa mort les eût déliées de tout engagement - mais au drapeau. Le drapeau du régiment de Lyonnais est divisé en quatre quartiers coupés par une croix blanche (en souvenir des bannières paroissiales portées en têtes des troupes des communes - depuis Bouvines, j’imagine -) .deux cantons noirs rappellent les enseignes des bandes du Piémont qui constituèrent, pendant les guerres d'Italie du XVIe siècle, les compagnies dont la réunion forma plus tard le régiment ; deux cantons bleus, couleur de Villeroy - le premier colonel.Ainsi le nom du régiment rappelle la province, le drapeau rappelle les origines du corps et son premier chef. Selon le système de l'Ancien régime, le régiment est 1a propriété [7] de son colonel (ou la compagnie est celle du capitaine) qui a la charge du recrutement, de la nourriture et de la solde. Le colonel reçoit une somme mensuelle du Roi avec laquelle il se rémunère et fait face (ou pas) aux dépenses que je viens d’indiquer. Le ministre de la Guerre fait respecter ce devoir. Voici le texte d'une lettre adressée par Louvois en 1674 à un capitaine qui n'avait pas ses effectifs au complet : "Si au moyen de deux mois que le roi vous a fait payer complets, votre compagnie ne l'est pas au plus tôt, vous devez vous attendre, non seulement à être cassé, mais aussi à être arrêté pour la restitution de l'argent que vous avez reçu pour les hommes que vous n'avez pas"… Madame de Sévigné raconte dans sa correspondance une scène dont elle fut témoin à la Cour : M de Louvois dit l’autre jour tout haut à Monsieur de Nogaret - Monsieur votre compagnie est en fort mauvais état. - Monsieur, dit-il, je ne le savais pas. - Il faut le savoir, dit M. de Louvois, l'avez-vous vue ? - Non, Monsieur, dit Nogaret. - il faut l’avoir vue, Monsieur. - Monsieur, j’y donnerai ordre. - Il faudrait l'avoir donné. Il faut prendre parti, Monsieur, ou se déclarer courtisan, ou s’acquitter de son devoir quand on est officier [8]. Fermez le ban ! L’impossible discipline Ces soldats ne savaient ni pour qui ni pour quoi ils se battaient mais de ces recrues, il fallait faire des "soldats du Roi". La tâche n’était pas simple. Pour maintenir la discipline dans de pareilles armées il fallait la bastonnade, la potence voire la roue. Les exécutions étaient quotidiennes écrit Jules Isaac. Durant le service, les officiers se devaient d’être impitoyables. Mais hors du service liberté absolue étaient laissée aux soldats, lesquels en abusaient. Le mot célèbre du général De Gaulle "l’intendance suivra" eût été, alors, sans objet : il n’y avait pas d’intendance. L’armée vivait sur le terrain. Chacun pillait pour vivre. Le pillage était d’autant plus effroyable que ces soldats déracinés avaient cependant leurs familles et que femmes et enfants les suivaient en campagne. On peut estimer qu’une armée de 40.000 combattants étaient suivie de 100.000 personnes, femmes, enfants, traînards et enfin maraudeurs - "corbeaux de champ de bataille" … (J. Isaac). Le passage d’une armée était marqué par d’effroyables excès qui appelaient parfois une vengeance ; dès lors la guerre nourrissait la guerre. La soldatesque était crainte par tous les paysans. Fanfan-la-tulipe, je l’ai dit, est beaucoup plus souriant. On peut voir Adeline, fille du sergent La Franchise, conduire son chariot couvert d’une bâche floquée du titre "régiment d’Aquitaine", chariot dans lequel elle transporte toute sorte de choses. Quant à Tranche-Montagne, il est avec madame et ses huit enfants ! chacun conçu pendant les quartiers d’hiver durant lesquels les armées se reposent et licencient leurs soldats. Ce film est une propagande discrète pour les familles nombreuses. Le mouton à cinq pattes sera tourné deux ans après. En 1954, Maurice Chevalier tourne J'avais sept filles de Jean Boyer. La famille nombreuse était la norme pendant les années 50’. Le régiment cantonne dans un vaste bâtiment où chacun s’affaire : soldats à la manœuvre pendant le dur apprentissage des classes ; exercice à cheval, forgeron au travail, soin des chevaux, travaux divers, corvées régimentaires, etc… L’uniforme Aussi bizarre que cela puisse nous paraître, l’uniforme clinquant et les boutons dorés étaient un attrait pour les badauds. On peut lire sur une affiche de racolage :"II se lève une compagnie de cent arquebusiers pour la garde du Trésor et du quartier du Roi ; ils auront leur quartier d'hiver autour de Paris et ont double paye et double ration. Il y a dans cette compagnie des cadets qui sont habillés d'écarlate avec un chapeau bordé d'or, une plume blanche et une cocarde, et ceux qui entrent en qualité de cadets sont faits officiers quand ils ont resté trois mois dans ladite compagnie ; on donne tous les jours vingt sols à - dépenser jusqu'au départ. Avancez-vous parce que la compagnie est presque complète". Le régiment de Lyonnais avait l’uniforme suivant (Revue d’histoire de Lyon, 1903, page 176 ) : depuis 1750, la tenue comportait l’habit, la culotte et la molletière de drap blanc ; la veste, le collet, les parements rouges, à boutons jaunes, avec les doubles poches garnies de trois boutons et autant sur la manche ; le chapeau galonné d’or. Tout cela est bel et bon mais qu’en reste-t-il après la bataille ? Vanité des vanités… Mais de ce point de vue, le film ne prétend à aucune justesse historique. Il est censé évoquer la Guerre de sept ans mais cette guerre nous l’avons déplorablement perdue [9] or, Fanfan et ses acolytes mettent en déroute l’armée prussienne : cela n’a rien à voir. Mais Christian-Jaque flatte un peu l’esprit français qui a encore la guerre de 39-45 en mémoire. Cela fait du bien de ridiculiser les Allemands commandés par le maréchal de Brandebourg - alors que durant cette guerre, c’est toujours Frédéric II, roi de Prusse, qui était aux commandes -. Et comment cette victoire ? par un fait d’armes qui ravit tous les enfants du monde : Fanfan, Tranche-Montagne et La Franchise, égarés derrière les lignes prussiennes, tombent sur un tunnel. Tunnel qui est un souterrain et on arrive dans les entrailles d’un château. Fanfan soulève une trappe et le voici au cœur de la réunion d’état-major de Brandebourg. Les officiers sont autour d’une table et l’on ne voit que leurs bottes, ces bottes prussiennes qui dépassent les genoux… Prestement, nos héros arrivent à désarmer les officiers…Je ne raconte pas tout. Fanfan sera fait capitaine par le roi qui lui donnera – comme prévue naguère – sa fille en mariage ! oui, Adeline est devenue fille adoptive de Louis XV… Voici donc la prédiction d’Adeline réalisée. Fanfan l’avait reprise à son compte : "mon destin sera celui que vous avez décidé et que j’ai choisi (…) oui, mon destin, je le prends au mot, j’épouserai la fille du roi ! ". Quel beau film sur l’amitié, l’amour, la joie, certes mais aussi sur la liberté individuelle, la création par chacun de sa vie.
[1] Éditions Charles Lavauzelle & Cie, Paris, Limoges, Nancy. [3] Librairie HACHETTE, coll. Malet&Isaac, "XVII & XVIII° siècles", classe de seconde, conforme aux programmes de 1923, 1er dépôt en 1928, réimpression en 1948. [4] Qui a droit – comme le régiment de Lyonnais - à sa fiche Wikipédia. [5] (1724, 28 décembre). - Plainte d'un officier recruteur victime d'une émeute de paysans. (Arch. dép. Rhône, B, Maréchaussée, 1724.) extrait de « Histoire du Lyonnais par les textes », publication du C.R.D.P.. NB. L’orthographe de l’auteur a été respectée. [6] Vauban annonce les troubles que provoquera (dans certaines régions), sous la Révolution, le décret exigeant la levée en masse. [7] On achetait la charge d’officier, dans ce cas d’officier militaire. [8] Ce dialogue, rapporté par Mme de Sévigné, est exploité in extenso dans le film Les Camisards. |
1789-1793 : UN PEUPLE ET SON ROI , film de SCHOELLER (2018)
avant-propos n°2 (sic) : après la vision du film, je vous présente comme à l'habitude, mes commentaires. Je laisse publiés les propres commentaires de Mme Lacroix-Riz qui ont l'immense mérite de compenser le caractère quelque peu désenchanté de mon opinion. 1789-1793 : UN PEUPLE ET SON ROI
Je viens de voir « un peuple et son roi ». J’ai envie de dire, « c’est pas mal »… mais honte à moi ! pas mal ! Est-ce une formulation qui sied à la Révolution française ? un des plus grands évènements de l’histoire mondiale ? Il faut dire qu’au début du film j’étais terrorisé par la déception qui m’a envahi, puis, peu à peu, les faits évoqués sont d’une telle envergure qu’ils vous prennent à la gorge et on réalise que l’auteur du film, les acteurs, tous, sont à la hauteur de l’évènement. Il faut dire que je me suis installé dans le fauteuil avec à l’esprit le souci d’essayer de répondre à la question : pourquoi le film a-t-il fait un four dans les salles ? pourquoi ça n’a pas marché ? la première séquence nous montre une rue de Paris qui est inondée de soleil à son lever, surprise pour tous ceux qui vivaient à l’ombre. C’est que l’on est en train de démolir la Bastille, château-fort médiéval, et une des tours dissimulait le lever de notre étoile. La prise de la Bastille apporte la Lumière ! ça n’a pas levé mes appréhensions. Puis c’est la marche des femmes de Paris vers Versailles, lesquelles vont chercher le boulanger, la boulangère et le petit mitron, car on a faim à Paris et on pense que la présence du roi parmi son peuple lui fera prendre de bonnes décisions, loin de la Cour infestée et détestée. Mais là, la foule des Parisiennes n’est pas assez fournie, il manque des figurantes ! et leur colère, détresse, angoisse, est un pétard mouillé. Et tout se passe devant les députés alors que l’on nous dit que les manifestantes sont venues jusque dans les appartements du Roi ! Vous imaginez ? C’est le symbole de la barbarie pour le bon Burke, un whig, traditionaliste anglais qui n’a de cesse de vomir sur notre révolution. Après ces épisodes j’ai ressenti le manque de moyens du cinéaste. L’attaque des Tuileries, par exemple, est un autre pétard mouillé… et là, je regrette en plus une erreur historique : le château des Tuileries n’a pas été pris par les seules 48 sections parisiennes mais par les Parisiens PLUS les Fédérés venus de toute la France comme les Marseillais qui ont laissé un souvenir sonore connu. Mais il aurait fallu des figurants supplémentaires. La reconstitution de la salle de l’Assemblée Nationale qui deviendra Législative puis Convention laisse aussi un goût amer. Cela m’a rappelé les émissions de Stellio Lorenzi, La caméra explore le temps, mais c’était dans les années 60’, on est en 2018 ! Je ne pense pas que j’aie suffisamment d’influence pour vous dissuader de voir ce film mais je rectifie mon tir parce que je suis beaucoup trop négatif. Cependant, revoyez votre chronologie de la Révolution. Je sais trop ce qui se passe dans les lycées et donc je sais l’ignorance des Français sur l’histoire de leur Révolution : je pense que c’est pour cela que le film n’a pas "marché". Je laisse donc le texte d’Annie Lacroix-Riz à l’enthousiasme communicatif. J’ai aimé la présence d’Olivier Gourmet, présence au sens de "Gabin a de la présence". Il est, dans le film, un artisan-maître verrier qui bascule rapidement dans le camp de la sans-culotterie, il a la solidité du sans-culotte, quand il marche vers les Tuileries sa détermination est totale. Parfaitement secondée par Noémie Lvovsky, son épouse, il forme un couple de sans-culotte indestructible. Parfait. De surcroît, il prend avec lui un délinquant, cloué au pilori pour vol, mais dont il va faire son apprenti, lui inculquer le métier : la Révolution est une rédemption. L’avenir du peuple passe par l’éducation/formation. La performance de l’acteur qui incarne Marat est remarquable. Il saute à la figure. Marat, cet homme "violent, excité, sanguinaire, laid, débraillé, sordide", un "cynique dégoûtant vivant publiquement avec ces misérables filles qu'on rencontre dans les rues les plus sales, et qu'un honnête homme ne voudrait pas toucher du bout de son soulier" oui, une sorte de Gilet jaune de l’époque, mais ami du peuple, et un vrai. La mort du roi laisse un autre goût amer parce que là, on a l’impression que l’auteur a comme des regrets. Certes, on est contre la peine de mort mais qu’est-ce que cela signifie en temps de guerre ? Lorsque le coupable a commis le crime répété de collaboration avec l’ennemi ? et surtout comme le dit excellemment Robespierre "Le roi doit mourir pour que la patrie vive". La grandeur de la Révolution est exprimée dans cette sentence épique du député Le Bas qui déclare après l’exécution du ci-devant Louis : Nous voilà lancés, les chemins sont rompus derrière nous ; il faut aller en avant bon gré, mal gré, et c'est à présent surtout que l'on peut dire : Vivre libre ou mourir. J’aurais aimé que cette grandeur hugolienne transperçât l’écran.
avant propos de votre serviteur : je n'ai pas encore vu ce film. En attendant, je publie ce point de vue d'une historienne, plus que confirmée, Annie Lacroix-Riz, normalienne, professeur émérite des universités, qui n'a pu retenir son enthousiasme... 1789-1793 : UN PEUPLE ET SON ROI Publié le 2 octobre 2018 par FSC Maximilien
ROBESPIERRE opposé à la peine de mort : "Louis doit mourir pour que la patrie vive." Commentaire
d'Annie Lacroix-Riz ; Je viens de voir le film de Schoeller. Certes, on peut lui reprocher des défauts dans l’exposé pédagogique des traits majeurs des années 1789-1793 : on peut regretter des manques, il y en a, et, puisque le parti pris, d’ailleurs excellent, est très parisien, l’absence, notamment, de la référence au manifeste de Brunswick, à la Prusse donc (il est question de l’Autriche, de l’Espagne, de l’Italie, pas de la Prusse…), ou au conflit Jacobins-Gironde (évoqué par les seuls noms des protagonistes). Mais l’artiste est libre de ses partis pris, et le film, passionnant, permet de comprendre la logique de ce qui suit, c’est-à-dire la "Terreur"– en l’occurrence, des mesures de salut public au moment où la République est attaquée de toutes parts –, qui a permis à la France révolutionnaire de vaincre l’ennemi extérieur, en nourrissant le peuple combattant contre "les accapareurs" de farine affameurs. Ce spectacle intelligent, dont les acteurs, tous remarquables, laissent éclater la satisfaction d’y avoir participé, montre comment se radicalise et se mobilise, vite et de plus en plus profondément, un peuple écrasé par la misère et la répression, voué au mépris de classe écrasant des nobles pour "les gens de peu", affiché à l’Assemblée, de plus en plus ouvertement partagé, au fil des mois, par les grands bourgeois à la Barnave, dont le discours du 15 juillet 1791 conjurant les élites sociales, les "propriétaires", de "finir la Révolution" est heureusement mentionné. Pour le coup, alors que la catégorie du "genre" est devenue si réactionnaire et si anti-"classe", il rend un extraordinaire hommage à l’intelligence et à l’action des femmes du peuple, à la fois "patriotes" et "révolutionnaires", en nous rappelant que c’est la Révolution française qui a créé ce double concept, si pertinent sous l’Occupation comme aujourd’hui. Enfin, un des aspects les plus puissants du film consiste à montrer en quoi l’exécution du roi qui conspirait depuis 1789 avec l’Europe monarchique contre son peuple a incarné et scellé la rupture révolutionnaire : plus rien du vieux monde ne demeure sacré. On comprend que, en face, il "les" rende malades, et parmi eux l’ordonnateur des convenances et élégances historiques Laurentin qui peine à supporter l’obligation (rarissime) d’inviter des "dissidents" à prendre la parole dans sa "Fabrique de l’histoire", d’ordinaire si bien huilée, et que la citation, fidèle, de textes de Robespierre, Saint-Just ou Marat fait crier au "léninisme". Quelle belle mise en valeur par Schoeller que Marat, le meilleur d’entre tous, celui qui comprenait si bien tous les enjeux, et que la bourgeoisie diabolise depuis l’origine ! Les gens qui nous gouvernent, économiquement, politiquement et culturellement, aiment mieux les veaux nourris au lait "européen", nourriture qu’ils dispensent eux-mêmes si généreusement. Ce qui fait horreur à ces Thermidoriens, c’est l’émergence du nouveau monde, le vrai, celui où le peuple, secondé par des délégués dévoués à ses intérêts, constate que ses intérêts sont antagoniques avec ceux des grands possédants, se prend en main, et balaie le mépris qu’ont aujourd’hui conservé intact les privilégiés, et plus que tous, au sommet de l’État, la petite cohorte des inspecteurs des Finances et assimilés qui, assurés de l’impunité, aiment tant insulter le peuple français. Franchement, tout ça donne envie de reprendre ses manuels de la Révolution de Mathiez, de Lefebvre, de Soboul. Vive la formation des militants ! Vive le cinéma progressiste ! Annie Lacroix-Riz, historienne, qui a eu l’honneur de suivre comme agrégative les cours à la Sorbonne d’Albert Soboul, grand historien, communiste et juif, révoqué en 1942 par Vichy, résistant, brillant thésard du grand Georges Lefebvre.
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"Que la fête commence !"... (B.Tavernier, 1975)
Ce film est un éblouissement, un régal pour l’esprit. Le scénario est un feu d’artifice d’arguments historiques. Sont intimement mêlés le côté décadent de la Régence qui suit la mort de Louis XIV, l’esprit des Lumières comme on ne dit pas encore, le système de Law (justement prononcé Lasse par les acteurs), la réaction nobiliaire menée par le duc de Bourbon-Condé, la conspiration du marquis de Pontcallec en Bretagne, le krach du système de Law provoqué, pour partie, par le même duc de Bourbon, le grand jeu diplomatique de l’abbé Dubois au centre de la lutte d’influence entre Espagne et Angleterre, la mécréance du haut clergé de France, la "peuplade" de la Louisiane, etc… etc… N’omettons pas toutefois l’idée de génie d’utiliser la musique même du Régent, Philippe d’Orléans, comme musique du film. C’est un aspect important pour esquisser le portrait de ce personnage historique. Soucieux du statut des intermittents du spectacle, Tavernier utilise une foule d’acteurs comme dans tous ses films. Il est grandement aidé par le trio Marielle, Rochefort, Noiret. Marielle et Rochefort sont déjà au sommet de leur art. Ils sont éblouissants, le premier dans le rôle du marquis de Pontcallec, le second dans celui de Dubois, principal ministre du Régent, titre que le dernier à avoir porté n’est autre que Mazarin. Tavernier fait appel à la génération montante : on repère dans de petits rôles : Juniot ; Clavier, Michel Blanc et Lhermitte. Et puis les acteurs classiques : Hélène Vincent, Marina Vlady, Alfred Adam, Gérard Desarthe –méconnaissable en Duc de Bourbon-Condé borgne -, Nicole Garcia, Christine Pascal ; Jean-Roger Caussimon… Le fil rouge – pas toujours écarlate, il est vrai – qui parcourt tout le film, c’est la conspiration instiguée par le marquis de Pontcallec. Il s’agit d’un fait historique authentique et Pontcallec a réellement existé et est mort exécuté. Il est exact également que l’Espagne catholique a aidé les rebelles au grand dam de l’Angleterre. Le scénario insiste sur le rôle de Dubois qui exacerbe le retentissement de cette tentative d’émeute afin de convaincre le Régent qu’il faut décapiter Pontcallec et ses conjurés. Il parle de 3.000 émeutiers là où il n’y en eut pas 100. Philippe accepte très mal cet écran levé par son principal ministre entre lui et la réalité du terrain. De même, Dubois intercepta le courrier écrit par Séverine, filleule du Régent, depuis son couvent breton pour demander la grâce de Pontcallec. En fait, Dubois veut casser toute résistance de la noblesse à sa nouvelle politique de rapprochement avec les nations protestantes dont la plus illustre : l’Angleterre. Il pense raison d’État là où le Régent pense tolérance et attitude humanitaire. L’exécution des quatre conjurés reste au travers de la gorge de Philippe qui à la fin du film traite son ministre de la manière la plus basse : "j’espère que tu souffriras atrocement…" (Dubois se savait très malade et d’ailleurs il mourra dès 1723) ou encore "monte devant, c’est la place des domestiques…". À quoi Dubois rétorque "tout ça parce que ce sont des nobles, ç’aurait été des paysans vous n’auriez rien dit" … La "peuplade" – c’est-à-dire le peuplement – de la Louisiane, colonie française depuis Louis XIV, d’où son nom, est parfaitement montré par Tavernier. On ramasse tout ce qu’on trouve dans les rues, sur les quais, partout. Même dans les bordels où un client s’appelle... Pontcallec, monté à Paris dans le cadre de sa conspiration. Je me permets de me citer : "Les premiers pionniers étaient souvent "gens de peu", nous dit l’historien Jean Meyer, fréquemment recrutés de force dans les prisons, "bas-fonds à forte criminalité". H. Arendt évoque cet aspect des choses en parlant de « "cet autre sous-produit de la production capitaliste : les déchets humains (sic). (…). L’exportation de ces hommes avaient contribué à peupler les dominions aussi bien que les États-Unis"[1]. Certains colons furent carrément enlevés et les archives du gouverneur de Virginie indiquent que les nouveaux arrivés étaient "pour la plupart des enfants ramassés par centaines dans les rues des villes anglaises et expédiés en Virginie pour y travailler". La Chambre des bourgeois de cet État s’effrayait que "les serviteurs de Dieu dans ce pays appartiennent, pour la plupart, à la pire engeance que l’on puisse trouver en Europe". On voit à l’œuvre, ainsi que l’écrit H. Arendt (…) "le parfait gentilhomme et la parfaite canaille (qui) finissaient par bien se connaître dans la ‘grande jungle sauvage et sans loi et (qui) s’y trouvaient bien assortis dans leur immense dissemblance ; âmes identiques sous des masques différents"" Pour tenter de civiliser un peu ces méthodes, l’Église catholique – bonne mère - accepta de marier les nouveaux pionniers. Et Tavernier met en scène deux colonnes l’une de bonshommes, l’autre de bonnes femmes, et les deux personnes qui arrivent simultanément devant Monsieur le curé sont déclarés mari et femme. Et l’on effectue ainsi des centaines de mariages par jour. Saint sacrement. Mais Tavernier, mécréant de haut vol, n’est pas tendre avec la Sainte Église. Dubois n’a en tête que sa promotion à l’archevêché de Cambrai – 120.000 livres de rente ! - mais il ne sait même pas dire la messe ! Dans une séquence parfaitement blasphématoire, on voit Dubois piétiner les vêtements sacerdotaux qui l’encombrent. Philippe lui glisse "tu vas être sous-diacre, diacre, prêtre, évêque et archevêque en 1 jour". Cette carence du Haut-clergé durera jusqu’en 1791. Lorsqu’il fallut nommer un nouvel archevêque de Paris, le nom de Loménie de Brienne revenait sans cesse mais Louis XVI eut ce mot célèbre " il faudrait au moins que l'archevêque de Paris crût en Dieu ! ". Brienne faisait étalage de son incroyance. Nous avons là l’effet du Concordat de Bologne signé par François Ier en 1516, concordat qui faisait que "le roi de France avait à sa disposition les bénéfices majeurs, soit 150 évêchés et archevêchés auxquels s’ajoutent 500 abbayes ou prieurés " (wiki). Ces dispositions auront sursis la Révolution dans le royaume puisque le Roi avait à sa guise la fortune de l’Église. Ailleurs, l’appropriation de l’immobilier clérical sera la cause majeure du succès de la Réforme (Prusse, Angleterre, etc…). Lorsque le Régent dit sa colère en apprenant qu’il n’a pas pu lire les lettres de sa filleule, Dubois lui lance "faîtes-la abbesse !" C’est si facile. Autre ressort du film : le système de Law, son ascension rapide, sa chute tout aussi brutale. Avec une intelligence diabolique Tavernier fait le lien avec la conspiration de Pontcallec. Lorsque celui-ci toujours sans le sou, "tape" ses petits camarades pour monter à Paris, l’un lui tend un billet, un billet de banque, celle de Law. C’est remarquable. Cela donne au film son unité. Je ne puis, ici, raconter l’histoire de ce système très moderne, qui introduisit l’usage des billets de banque en papier en lieu et place des monnaies sonnantes et trébuchantes mais peu pratiques. Au début, on est tout feu, tout flamme : "je veux de la Louisiane"[2] dit une marquise en échange d’un service rendu au Régent. Puis, la spéculation allant croissant, cette monnaie-papier se dévalua. On a un échange très serré entre le duc de Bourbon-Condé et des gens d’Église inquiets de la fiscalité que Dubois veut mettre en place. "- achetez des actions de Law qui échappent à l’impôt. – du papier qui ne vaut rien dit le cardinal interprété par Caussimon. – oui, mais qu’on peut changer en or…". A ces mots Bourbon s’arrête et réfléchit. Les actions-papier sont encore convertibles en or. Il va immédiatement réaliser son capital. Rien moins que 60 millions en or. Le film laisse penser, et c’est fort probable, que l’Église, soufflant à Bourbon –prince du sang, archétype du noble ultra-conservateur - ce qu’il a à faire, sabote le travail de Dubois et du Régent qui envisagent ni plus ni moins de prendre des terres d’Église pour les revendre aux paysans, de taxer la même Église sur les terres qui lui resteraient, etc… l’Ancien régime n’était pas réformable (3). La séquence des trois chariots d’or traversant à vive allure les rues étroites de Paris, renversant tout sur leur passage, est très pittoresque : c’est-à-dire qu’elle décrit bien la réalité de l’époque. Elle annonce la scène finale du film. J’ai trouvé cette excellente citation (datée du règne de Louis XVI) que l’on peut élargir à tous les cas de figure mettant en scène les rapports sociaux inégalitaires : "Au passage du prélat dans son carrosse, le curé de campagne est obligé de se jeter à tâtons le long d'un talus, pour se garantir des pieds et des éclaboussures de leurs chevaux, comme aussi des roues et peut-être du fouet d'un cocher insolent, puis, tout crotté, son chétif bâton d'une main et son chapeau, tel quel, de l'autre, de saluer humblement et rapidement, à travers la portière du char clos et doré, le hiérarque ronflant sur la laine du troupeau que le pauvre curé va paissant…". Reste le luxe qui baigne l’entourage du Régent, les tables fastueuses dressées pour ses célèbres "petits soupers" d’où "les convives sortaient le plus souvent emportés au bras des laquais" (J. Isaac). Le grand historien omet de dire que ces loques puant le vomi étaient incapables de satisfaire ces Dames, aussi bien y avait-il des pis-aller, à jeun eux, qui les emportaient pour les fourrer d’abondance… Tout cela sent la pourriture et Philippe est pris d’une mini psychose, à la fin d’une orgie, sentant partout la puanteur, sa main gauche pue, tout pue, il ouvre toutes les fenêtres… mesure insuffisante pour réformer le royaume de France. Au petit matin, on part. Le carrosse royal s’en va à toute allure et renverse une voiture de paysans dans laquelle dormait un petit garçon qui est tué. Sa grande sœur est offusquée, en colère, elle rameute les paysans du coin et tous mettent le feu au carrosse royal qui était abandonné, l’une de ses roues s’étant brisée. "On va en brûler d’autres petit frère, on va en brûler d’autres…" Que la fête commence !
PS. L’encyclopédie wiki écrit : "La séquence finale annonce explicitement la Révolution française. En réalité, l'action se déroulant en 1720, il faudra attendre 69 ans". C’est méconnaître notre histoire nationale. Si la France est célèbre pour sa Révolution, elle est aussi le centre de rebellions permanentes. Jean Nicolas a écrit - avec l’aide de dizaines de correspondants locaux – un livre monumental –que je présenterai un de ces jours – sur "La rébellion française, 1661-1789". Il y dénombre 8528 cas de rébellion dont il dresse une typologie et une chronologie. Après l’agitée régence, le ministère Fleury – un des successeurs de Dubois – est plutôt tranquille "mais l'année 1740, avec 72 rébellions, inaugure un nouveau cycle de turbulences. Points culminants en 1750 et 1754 (93 et 96 cas), alors que Machault d'Arnouville, arrivé aux affaires, s'efforce de moderniser l'État et la fiscalité. Après une décennie de décrue, l'agitation reprend à partir de 1764 pour s'intensifier continûment jusqu'à la fin du siècle, avec de brefs replis. On dénombre 101 émeutes de tout calibre en 1766, 145 en 1768, 141 en 1770 et 138 encore en 1771. La situation reste tendue, dépassant, toujours la centaine d'affaires annuelles, pour monter à 226 cas en 1775, année de la guerre des Farines. La tension retombe ensuite, mais les troubles s'intensifient à nouveau en 1781, 1784 et 1788, atteignant pour finir le chiffre record de 310 entre janvier et avril 1789. ".
[1] Hannah ARENDT, L’impérialisme, page 54. [2] Après la banque, Law créa de grandes entreprises commerciales dont, en 1717, la Compagnie du Mississippi qui reçut le monopole de l’exploitation de la Louisiane. Ces compagnies étaient des sociétés par actions. Parties à 500 livres, les actions montèrent jusqu’à 20.000 livres, quarante fois leur valeur primitive, au début de 1720. [3] ces mesures envisagées par Dubois étaient cohérentes avec sa politique de rapprochement vers les puissances protestantes. à un moment du film, il dit au Régent "mais l'argent ce sont les Protestants, il faut favoriser les protestants !". Depuis Colbert, depuis Vauban (la dîme royale) tout le monde sait cela. Sauf les catholiques conservateurs. |
Bon voyage ! de J.-P. Rappeneau (2003)
Excellent film, à voir et revoir. Ci-dessous les six principaux personnages, tous parfaitement interprétés. En tête, le jeune écrivain Frédéric Auger, qui progressivement émergera de la lie bordelaise pour rejoindre, séance tenante, abandonnant tout (comme le firent les premiers vrais résistants) la Résistance à Londres. En 1942, parachuté, il retrouve Camille, elle-même membre d'un réseau au Collège de France. Il s'aimeront d'amour tendre... Le cadre historique est donc grandiose. Le ton du film est pourtant à la comédie même si, lorsque l’argument le veut, on passe à la tragédie. Rappeneau a réalisé ici une merveille de film. Plusieurs trames se superposent et donnent une apparence de complexité au film. Il y a, c’est vrai, cette affaire policière avec la mort d’André Arpel pour une sombre histoire de bijoux non restitués par Viviane Denvers-Adjani. Elle fait appel à un ami d’enfance, Grégori Dérangère/F. Auger amoureux d’elle qui l’exploite à n’en plus finir, pour se débarrasser du corps d’Arpel qu’elle vient de tuer. En prison à Paris, évadé à l’occasion de la débâcle, Auger retrouvera, par hasard, le neveu d’Arpel à Bordeaux. Il y a l’exode, dramatique, avec ce train sur-occupé, bondé, où la jeune et jolie Camille (Virginie Ledoyen), tout droit sortie du Collège de France, fait la rencontre de Frédéric Auger mais aussi de Raoul, évadé lui aussi : il avait les mêmes menottes que Frédéric Auger. Il y a le ministre Beaufort – Depardieu – homme-fort du gouvernement et amoureux de Mlle Denvers, devenue sa maîtresse. Le parlement de la République est réuni dans la cour du Lycée de Bordeaux et une vaste salle de classe et les débats sont à couteaux tirés entre ceux qui veulent capituler et ceux qui pensent pouvoir continuer le combat à partir de l’Afrique du Nord. Beaufort est écouté et suivi lorsqu’il demande d’approuver l’appel à Pétain. Il y a la bande à Raoul, qui a tout loisir pour piller les chais de Bordeaux et s’émerveiller devant une bouteille de Pichon-Longueville 1928. Raoul et ses potes sont émerveillés de pouvoir côtoyer de si près une star comme Viviane Denvers de surcroît amour de Frédéric. Il y a les Allemands, les vrais, les nazis qui sont partout, confirmant que les murs ont réellement des oreilles. C’est Alex Winckler (joué par Peter Coyote) qui parle excellemment français, fût-ce avec un accent à couper au couteau, qui se fait passer pour journaliste britannique et qui a une équipe à Bordeaux installée dans une mansarde avec un poste émetteur d’où ils peuvent joindre Berlin. Il y a enfin, le professeur Kopolski (Jean-Marc Stehlé) un savant comme dit Raoul, avec son nœud papillon très classe, professeur au Collège de France qui emmène avec lui et son fidèle Monsieur Girard (Vuillermoz réellement excellent) le stock d’eau lourde du laboratoire du Collège. Il est hors de question pour le Professeur que les nazis s’emparent de ces bonbonnes, à l’arrière de la voiture de Girard, mal protégées des regards indiscrets, il sait bien que les Allemands veulent mettre au point une bombe atomique et sont prêts à tout. Ces bonbonnes doivent partir en Angleterre. Absolument. Tout cela est étroitement imbriqué. Les scénaristes s’en sont donné à cœur-joie mais il faut admettre qu’un minimum de culture générale est nécessaire pour en profiter pleinement. Pourquoi "Bon voyage !" ? C’est une réplique du film. Brémont (Xavier de Guillebon), chef de cabinet de Beaufort, partisan de la poursuite de la guerre à la différence de son ministre, accablé par la désignation de Pétain, s’est démené pour trouver une voiture qui amène le général De Gaulle à l’aérodrome d’où il s’envolera pour l’Angleterre. La star Denvers-Adjani esseulée arrache à Brémont la possibilité de monter dans la voiture et lorsqu’elle descend précipitamment, lance un désinvolte " bon voyage !" comme si on partait pour une croisière Costa. "Ciao, on se fait une bouffe !" mais toute la légèreté du personnage est là, elle ne sait pas ce qui se passe. Le destin de la France, comme lui dit Beaufort, elle s’en fout, elle est empêtrée dans son affaire d’assassinat, elle ne sait comment s’en sortir sinon pas des mensonges répétés. Trois hommes sont après elle : Beaufort, Winckler, Frédéric. C’est le type même de la capricieuse, de la chiante, chipie… Elle va jusqu’à déranger le premier conseil des ministres de Pétain pour parler de ses petits problèmes à Beaufort, membre du nouveau gouvernement. Isabelle Adjani incarne excellemment ce personnage. Sur la fin du film, tout se précipite, le scénario se décante pour se concentrer sur la bataille de l’eau lourde (cf. article Wiki), si je puis dire. Frédéric, dont la conscience politique s’éveille à la vitesse de la lumière, a rencontré des marins anglais, il sait que des navires amis partent de Soulac, il y emmènera les bonbonnes. Catastrophe ! arrive la diva ! tout le monde comprend que c’est fichu, que Frédéric va craquer une nouvelle fois et c’est ce qui se passe. La jeune Camille est effondrée, elle s’est éprise secrètement de Frédéric et, surtout, elle veut qu’on évacue cette eau lourde sur l’Angleterre. La Star fiche tout en l’air. Mais heureusement, il y a Raoul qui, lui aussi, s’éveille. Il dit à Camille "nous sommes tous des hors-la-loi, maintenant, mademoiselle, vous comme moi" et commence la dernière partie du film, où l’on va se battre, la nuit, dans la forêt landaise, les Allemands étant aux trousses de la voiture de Monsieur Girard. Frédéric, qui s’est ravisé, arrive à la rescousse de Raoul et des autres. C’est haletant, fantastique… Je me souviens avoir découvert le mot délétère en écoutant un débat télévisé dans les années soixante. Un baron du gaullisme, comme on disait, résistant bien sûr, évoquait l’ambiance "délétère de Bordeaux". Rappeneau nous la restitue parfaitement. Quel bordel ! quel capharnaüm ! Le pont sur la Gironde totalement obstrué nous donne une idée de l’ampleur des moyens matériels sur lesquels Rappeneau n’a pas lésiné. Les débats dans la salle du Lycée…, la prise d’assaut du Grand Hôtel par des centaines de privilégiés qui veulent tous une chambre "sinon j’appelle le ministre", la bourgeoise qui se félicite de l’annonce de l’armistice "enfin, on va rentrer à Paris – un Paris avec des Allemands ? – bah ! on s’habituera"… Film vu six ou sept fois. J’attends la huitième. |
"Marguerite" avec Catherine Frot (2015)
Ce n’est pas un film à proprement parler "historique". La reproduction des années 1920 est cependant absolument parfaite. On sait qu’il s’agit de l’histoire de Marguerite Dumont qui adore chanter les grands airs d’opéra alors qu’elle chante dramatiquement faux. Elle donne dans son château – baroque, qui fait penser à Dresde – des récitals pour les victimes de la guerre qui vient de s’achever et qui est dans tous les esprits. C’est l’époque du chagrin, du deuil, du souvenir mais tout uniment celle du mouvement dada, du surréalisme, de la déconstruction des certitudes d’avant-guerre, de la liberté de créer. Il y a un personnage intéressant de ce point de vue, qui n’est certes pas le personnage central du film mais qui est caractéristique de cette période de notre histoire, c’est Kyrill von Priest (joué par Aubert Fenoy) qui trouve les interprétations explosives de Marguerite parfaitement en accord avec ce moment d’après-guerre où tout est permis, où rien ne fait obstacle à la liberté… D’ailleurs, il organise une soirée dans un cabaret où il invite Marguerite à chanter La Marseillaise. Elle le fait devant un parterre d’anciens combattants, officiers, veuves de guerre parfaitement scandalisés par Kyrill qui vient de hurler sur la scène sa détestation de l’existant et sa soif de changement à tout prix, son nihilisme tous azimuts... Et il est vrai que la voix de Marguerite nie toute harmonie. Mais le tout début des années 20’ n’est-il pas l’instant des recompositions musicales ? Josef-Matthias Hauer, Arnold Schönberg… et Pezzini (M.Fau) ne dit-il pas "entre le génie et le ridicule, il n'y a parfois qu'une faible différence" ? Les propos de Kyrill provoquent une bataille générale alors que Marguerite balance ses notes inexorablement fausses. C’est un scandale et Marguerite est exclue du Cercle de Musique qui organisait les réceptions dans son château. Mais devant l’aréopage chargé de la juger, Marguerite fait parler son cœur : ne peut-on pas chanter en toute liberté La Marseillaise qui est le chant de toutes les libertés ? Il est vrai qu’elle ignore toujours qu’elle chante dramatiquement faux. Car personne n’a encore osé le lui dire. Mais peut-on le lui dire ? Marguerite est d’une spontanéité/gentillesse parfaitement déconcertante. On finit par aimer sa sincérité et au moment de lui dire la vérité, on cède, on capitule, on dit autre chose. La naïveté de Marguerite est telle et la
passivité de son époux (André Marcon, parfait, notamment en pionnier de l'automobile directement sorti de chez Tintin avec sa peau d'ours, son casque de cuir et ses grosses lunettes) sont telles qu’il est parfaitement
possible d’abuser de sa gentillesse et beaucoup ne s’en privent pas. Cela a
failli être le cas avec Lucien Beaumont (Sylvain Dieuaide), journaliste musical
et quelque peu cynique et désabusé, quoique encore bien jeune, mais Marguerite le
désarme et il la présente à un Divo - interprété par Michel Fau -. Lucien est impressionné
par le talent d’une jeune cantatrice fort prometteuse (Hazel, interprétée par Christa Theret),
il n’ose même pas flirter avec elle. Son blocage est à l’opposé de la franchise
spontanée de Marguerite et c’est peut-être pourquoi, il finit par estimer cette dernière, l’aimer
peut-être. Michel Fau (dans le rôle d'Atos
Pezzini)
est d’une drôlerie époustouflante, il réalise là une vraie performance d’acteur.
Marguerite le voit d’abord dans son interprétation du grand air de Paillasse :
Recitar... Vesti la giubba… En
réalité Fau chante en play-back sur la voix du ténor Mario Del Monaco
(qui berça ma jeunesse). Pezzini finit par accepter de devenir professeur de
chant de Marguerite (sinon le serviteur/confident de Marguerite le ferait
chanter sur son homosexualité, péché mortel à cette époque). Sur la photo : el Divo fait travailler son élève... Il y a là des séquences hilarantes. Le Divo présente son groupe à Marguerite : le pianiste qui est muet, une tireuse de cartes qui est une femme à barbe et son mignon attitré. Tout ce beau monde apprécie hautement la table et la cave de la comtesse. Lors d’une répétition où Marguerite se trouve au sol avec des livres de gros volume sur le ventre pour lui faire travailler sa respiration on annonce que le repas est prêt et tous d’enjamber le corps de Marguerite et de se précipiter au salon, laissant l’élève par terre. Mais là-aussi, cette petite équipe va apprécier Marguerite et c’est ainsi que cette apprentie-chanteuse à la voix calamiteuse devient le centre d’un cercle d’amis qui l’accompagne jusqu’à sa mort. D’autant que son époux abandonne sa maîtresse, accepte la passion de sa femme pour le chant. Marguerite mourra dans ses bras. Excellent film, émouvant. Parfaite reconstitution des années vingt.
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