Ce film figura parmi les « poids lourds » lancés au début des années 60’. La distribution d’abord était prestigieuse : Jean Gabin, Bernard Blier, Louis Seigner, Henri Crémieux, Alfred Adam et Renée Faure, tous ces derniers étant fort connus à cette époque ; les "pères" du film ensuite : inspiré par un roman de Georges Simenon, son metteur en scène est Henri Verneuil ; le dialoguiste est Michel Audiard, le compositeur de la BO est Maurice Jarre. Bref, du lourd vous dis-je. Il convient de s’attarder sur la date de création du film : sorti en 1961, il est tourné en 1960. Le général de Gaulle est tout juste revenu au pouvoir. La France est gaulliste à 80%. Peut-on croire une seule seconde que cela n’a pas inspiré les auteurs ? Certes, tous les évènements sont situés sous les III° et IV° républiques, mais il faut être bien naïf pour ne pas y voir l’ombre tutélaire du général. Le président Beaufort – patronyme formé de deux beaux adjectifs – est retiré dans sa propriété de La Verdière qui n’est pas sans évoquer la Boiserie. Son retour aux affaires est évoqué en début de film. On l’appelle "président" parce qu’il est devenu un personnage historique et que, sous les républiques citées, le chef du gouvernement présidait le conseil des ministres et s’appelait donc Mr le Président du Conseil, le titre était valable après la cessation de la fonction. Comment situer Beaufort sur l’arc politique ? Verneuil ne peut pas en faire un "centriste" appellation très dévaluée à la fin des années 50’, il doit être au-dessus des partis lesquels sont insultés/méprisés tout le long du scénario. Le Général, après s’être retiré en 1946, n’avait de cesse de tirer à boulets rouges sur ce "régime des partis". L’anti-parlementarisme s’exprime lorsque Beaufort parle de chaque député en présentant sa carte de visite d’entrepreneur, de membre de Conseil d’administration, d’avocat d’affaires et lorsqu’il conclut que "tous les partis ne sont plus devenus que des syndicats d’intérêts particuliers". Beaufort se définit lui-même comme intermédiaire entre "anarchiste et conservateur", ce qui peut s’appliquer à Clemenceau dont il a d’ailleurs un portrait dédicacé accroché au mur de son bureau. Clemenceau était redouté par tous dans les débats parlementaires mais il a fini à l’extrême-droite à la fin de la guerre en 1917-18. Au demeurant, en promenade, avec sa capeline jetée sur les épaules, son chapeau, Beaufort-Gabin est "déguisé" comme le Tigre avec de surcroît ses épaisses moustaches blanches. Beaufort se plaît à répéter qu’il était critiqué de tous les côtés de la Chambre : Verneuil/Audiard font très fort dans la démagogie. Chacun en prend pour son grade. Lors d’une promenade, accompagné de son fidèle chauffeur (A. Adam, grand second rôle de l’époque), il rencontre un de ses électeurs monté sur son tracteur – indice à cette date de la richesse des betteraviers – qui ne parle des ministres qu’en termes de "voyous" ; à Beaufort qui fait mine de se vexer, il réplique immédiatement "ah ! mais pas vous, Président, vous, vous êtes à part ! ". Une remarque sur la construction du scénario. Lors d’un débat crucial, Beaufort s’oppose à son ancien chef de cabinet, Chalamon. Les deux hommes font référence aux conséquences de la 1ère guerre mondiale, à Verdun, sans jamais placer un mot sur la 2ème guerre, ce qui signifie que nous avons un débat d’entre-deux-guerres. Beaufort est battu par une majorité de députés hostiles à son projet d’Union douanière européenne. L’Europe ! Voilà un thème où l’ombre gaulliste est de longue portée. Beaufort reproche à Chalamont de vouloir une Europe des banquiers, au sein de laquelle la France n’aura plus qu’à approuver les décisions d’un gigantesque "conseil d’administration" des grosses entreprises, entreprises à concentrations "verticales ou horizontales" (sic). On sent un vocabulaire économique tout neuf. Au demeurant, le traité de Rome ne date que de 1957 et la construction européenne inquiète tout un patronat encore bien mal équipé et soucieux de frontières protectrices. En conclusion, le film est centré sur une personnalité, seule, sans guère de soutien, centré aussi sur une virulente détestation du régime parlementaire, mépris des députés, etc… Le roman de Simenon est devenu une arme de propagande pour le régime qui vient de prendre le pouvoir.
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