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Le coin du bachotage >
DOCUMENTATION PEDAGOGIQUE
l'armement du chevalier au temps de la Guerre de cent ans (XIV°-XV°)
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LA CHANSON DE CRAONNE
Craonne est un village du Chemin des dames. Bataille illustre de la
Guerre qui eut lieu en 1917. Je l’évoque dans l’analyse du roman
autobiographique de Gabriel Chevallier "LA PEUR", roman autobiographique
de Gabriel CHEVALLIER. "LA PEUR", roman autobiographique de Gabriel CHEVALLIER La carte qui y figure permet de le localiser.
J’ai publié dans le même article une photo de ce qui reste de l’église
Saint-Martin de Craonne : rien. L’église
a disparu sous l’effet des trommelfeuers : ces bombardements massifs et
ravageurs qui ne laissent plus rien. Craonne de 1914 est un des
"villages disparus" de l’après-guerre. C’est dans ces conditions que les
Poilus – certains en tout cas, mais très nombreux – décident de ne plus
repartir au combat. La Chanson de Craonne, dont le nom fut donné
lors des mutineries de 1917 - la musique était reprise d'une chanson
d'avant la guerre -, à la suite des pertes militaires, fait partie des
répertoires antimilitariste et révolutionnaire, elle fut censurée sur
les radios jusqu'en 1976 Ci-contre : ce qu'il reste de l'église du village de Craonne : on peut deviner l'importance des bombardements quotidiens. Six villages de la Meuse ont été rayés de la carte. LA CHANSON DE CRAONNE Quand, au bout de huit jours, le repos terminé Adieu la vie, adieu l’amour Huit jours de tranchées, huit jours de souffrance Adieu la vie, adieu l’amour Cʼest malheureux de voir sur les grands boulevards Ceux quʼont le pognon, ceux-là reviendront Parmi les nombreuses interprétations, j'ai choisi celle de Marc Orgeret : https://www.youtube.com/watch?v=wGrdG85mmL0 |
Chronologie : La libération de Paris
3 juin 1944 Proclamation à Alger du gouvernement provisoire de la République française. 5 juin Le colonel Rol-Tanguy est nommé commandant des FFI d’Île-de-France. 6 juin Les Alliés débarquent sur les plages de Normandie, opération « Neptune ». On comptera 1 500 000 hommes arrivés en Normandie à la fin du mois de juillet 1944. Face aux Alliés, 380 000 soldats allemands. 22 juin Sur le front de l’est, début de l’opération « Bagration ». L’Armée rouge se déploie sur une ligne de front s’étendant sur 1 000 km. Elle avance de 600 km en deux mois. Les Soviétiques engagent 2 332 000 hommes contre les 800 000 composant l’armée allemande. 14 juillet Manifestations populaires anti-allemandes en région parisienne. 20 juillet Attentat manqué contre Hitler au lendemain de la libération de Caen. Les forces soviétiques entrent dans la partie nord-est de la Pologne. 1er août La 2e DB, commandée par le général Leclerc, débarque en Normandie. À 17 heures, début de l’insurrection de Varsovie. 10 août Grève des cheminots. 15 août Une armée franco-américaine débarque en Provence. Grève de la police à Paris. 16 août 35 jeunes résistants français sont attirés dans un guet-apens et abattus par l’occupant à proximité de la grande cascade du bois de Boulogne. 17 août Dernier convoi au départ du camp de Drancy. Sur 76 000 hommes, femmes et enfants juifs déportés de France, 67 000 le furent à partir de Drancy. Radio Paris, collaborationniste, suspend ses émissions. Raoul Nordling, consul de Suède, conclut un accord pour la libération de détenus politiques avec von Choltitz, commandant de Paris. 18 août L’affiche du colonel Rol-Tanguy proclamant la mobilisation générale est apposée sur les murs. 19 août Premiers combats de l’insurrection. Occupation de la préfecture de police puis de mairies, de ministères, d’immeubles, de journaux. Les forces de la Résistance parisienne sont sous les ordres du colonel Rol-Tanguy. Attaques allemandes contre la préfecture de police. Une trêve est conclue pour la préfecture de police et prolongée jusqu’au lendemain. La garnison allemande quitte le fort de Romainville. Le 21 août, 11 prisonniers seront découverts derrière le bâtiment central où ils ont été fusillés. 20 août Combats de rue. Les Américains amorcent le contournement de Paris. De Gaulle se rend auprès du général Eisenhower pour le convaincre d’envoyer la 2e DB libérer Paris. Occupation de l’Hôtel de Ville. Négociations au consulat de Suède en vue de l’extension de la trêve. 21 août Continuation des combats. Mise en vente des journaux de la Résistance. La trêve est rompue. Ordre est donné d’édifier des barricades. 22 août Le commandant Gallois, adjoint de Rol-Tanguy, arrive au QG du général Bradley où il rencontre le général Leclerc. Le général Bradley donne l’ordre au général Leclerc de marcher sur Paris. Proclamation du colonel Rol-Tanguy : « Tous aux barricades. » 23 août Hitler donne l’ordre à von Choltitz d’opérer le maximum de destructions à Paris. Incendie du Grand-Palais. 24 août En fin d’après-midi, la radio française annonce l’arrivée de la 2e DB et le capitaine Dronne arrive à l’Hôtel de Ville avec quelques chars. Les batteries allemandes de Longchamp tirent sur la région sud-ouest de Paris. 25 août La 2e DB entre dans Paris. Le général Leclerc installe son PC à Montparnasse. Un ultimatum est lancé au général von Choltitz. Leclerc et Rol-Tanguy reçoivent la reddition de von Choltitz à la préfecture de police, puis le commandant allemand signe à la gare Montparnasse les cessez-le-feu des points d’appui. Le général de Gaulle arrive à la gare Montparnasse. En fin d’après-midi, reddition des points d’appui allemands à la 2e DB. Discours du général de Gaulle à l’Hôtel de Ville. 26 août Le général de Gaulle est acclamé par le peuple de Paris, de l’arc de Triomphe à Notre-Dame. Une fusillade éclate sur le parcours et place du parvis de Notre-Dame. Bombardement aérien de Paris. La 2e DB livre combat dans la région du Bourget contre la 47e division allemande. |
Comment les Russes et les Allemands se moquaient-ils les uns des autres pendant la guerre 14-18 ?
Les propagandistes russes ont souvent dépeint leurs
ennemis de la Première Guerre mondiale comme des nains pathétiques,
comparés aux énormes et puissants guerriers russes. Les Allemands, à
leur tour, aimaient montrer les Russes comme des barbares sales et
barbus.
https://fr.rbth.com/histoire/81215-affiches-propagande-premiere-guerre-mondiale-empire-russe |
Abbaye de saint-Gall : plan et commentaires de M. Pacaut
"Le nom de la rose" - le film ou le livre, le film et le livre,- suscite l'envie de rester à baigner dans l'ambiance médiévale.Le nom de la rose (Eco - Annaud) 1986 je me suis souvenu que je possédais un vieux cours d'agrégation avec le plan de l'abbaye de Saint-Gall qui avait été donné à commenter aux agrégatifs par la professeur Marcel PACAUT, professeur au centre de télé-enseignement et à l'université de Lyon. C'était un grand monsieur, qui était resté un pédagogue, capable de se lever pour écrire un mot compliqué à la craie sur le tableau noir. Tous les universitaires ne le font pas. Rappelez-vous ! Je publie donc, à la fois, la reproduction du plan de l'abbaye telle qu'elle figure dans le livre de Jacques Le Goff (c'était le document à commenter) et le corrigé de M. Pacaut. Le corrigé est éblouissant de clarté, c'est surtout pour cela que Pacaut était un pédagogue. Hommage. J.-P. R. L’Abbaye de Saint-Gall
Nous avons affaire ici à un plan de l'abbaye de Saint Gall, au sud du lac de Constance, fondée vers 614 par le moine Gall, disciple de Saint Colomban (543-615), devenue bénédictine en 747, monastère de toute première importance aux 9ème et 10ème siècles. Ce document, dessiné sur cinq peaux de parchemin a été envoyé à Gauzbert, abbé de Saint Gall de 816 à 836, sans doute par Heito, évêque de Bâle et abbé de Reichenau. Il a sans doute été utilisé pour la reconstruction de l'abbaye, dans les années 830. Il intervient, pour un monastère bénédictin peu après le règne de Charlemagne, qui a profondément marqué l'histoire monastique, et dans les années qui suivent immédiatement la réforme de Benoît d'Aniane et le capitulaire monastique de 817. Il offre donc un grand intérêt pour découvrir à partir de lui ce qu'est le monachisme à Saint Gall et pour estimer l'impact de la politique de Charlemagne et de la réforme de Benoît d'Aniane (747-821). En revanche, ne comportant aucune élévation, il est difficile à utiliser pour une véritable étude structurale. Analyse (c'est-à-dire description) L'examen du document permet de constater qu'il s'agit d'un ensemble assez vaste (130 mètres de longueur sur 100 mètres de largeur), dont une partie (église, bâtiments culturels, habitat des religieux), est construite en gros murs, le reste en murs moins épais et peut-être en bois. Il montre une répartition très fonctionnelle : d'une part, l'église et les bâtiments où vivent les moines et les novices ; d'autre part, des bâtiments d'études (écoles, bibliothèques, scriptorium) ; enfin, des bâtiments de travail (boulangerie, brasserie, herboristerie, palefreniers…). Cela permet d'ordonner le commentaire. 1 Le monastère comme foyer de vie monastique A. Les bâtiments d'habitation - dortoir et réfectoire : le dortoir correspond au n°11 et deuxième étage – le premier étage sert de chaufferie pour le dortoir – et le réfectoire qui ferme le côté sud du cloître est connecté sur les cuisines (n°13), elles-mêmes communiquant avec la boulangerie (n°16) et la brasserie (n°17). Cela indique le nombre de moines (70), la vie en commun : cela est bénédictin. - La maison des novices est à part. Cela est aussi bénédictin ; elle se situe derrière le chevet de l’église abbatiale ; elle possède son propre cloître et sa petite église. - Le logement de l'abbé à part : cela n'est pas réellement bénédictin mais existe souvent ailleurs. La politique de Charlemagne (abbés qui exercent des pouvoirs, abbatial laïc) explique cela. Le confort général (le dortoir possède ses bains (1) et ses latrines (35) réservés et distincts, le nombre de latrines est élevé –cf. le plan de l’abbaye sur son côté nord -) est, aussi, peu bénédictin. B. L’église. - Son importance – elle s’allonge sur 90 m environ - Les traits de son architecture Les deux absides, les tours : cela marque l'influence d'une architecture germanique (Cologne, Reichenau). - Sa position centrale par rapport aux pièces où vivent les moines. Le rôle du cloître. Tout cela fait penser à un monastère conçu selon le système bénédictin (vie en commun), mais n'exclut pas d'autres influences. - Ses particularités : il y a 17 autels ce qui indique qu'on y dit beaucoup de messes donc que la majorité des moines sont prêtres (fait qui n'existe pas dans le monachisme primitif et a été surtout répandu par les colombaniens). Il y a un chœur occidental, la principale entrée vers l'ouest (tours), un ambon (n°3 sur le plan, c'est une tribune pour la lecture de l’évangile et de l’épître, JPR), des fonts baptismaux : tout cela prouve que l'église est ouverte aux fidèles laïcs pour le culte, pour les pèlerinages (tombeau de Saint Gall, importance du culte des saints à cette époque). Tout cela montre un monachisme ouvert au monde donc peu bénédictin dans son esprit et peu conforme à la réforme de Benoît d'Aniane (encore que les bâtiments où vivent les moines soient enfermés et clos par les autres bâtiments). Mais conforme à ce que voulaient Charlemagne et les moines depuis le VIIème siècle (anglo-saxons) : évangélisation, prédication, encadrement des fidèles. C. L'ouverture au monde.D'autres éléments indiquent cette ouverture : - il n'y a pas de clôture marquée par une construction ; - les bâtiments d'hospitalité et de traitement des malades sont importants. - on réserve des bâtiments pour les hôtes de marque et pour l'empereur : preuve que Saint Gall est une abbaye royale, exempte (c'est-à-dire exempte de l'obéissance à l'évêque du lieu) et renommée. L'étude des activités intellectuelles confirme ces constatations. 2. Le monastère comme centre de culture. A. Le travail intellectuel des moines : la bibliothèque - Elle existe ici : dire qu'elle est et va être très riche. - Cela est conforme à la règle bénédictine, surtout lorsqu'on constate que les principaux ouvrages sont des livres de spiritualité ou de sciences religieuses. - Cela est un indice de la valeur de la Renaissance carolingienne (et ici comptent les ouvrages profanes) et de l'un de ses traits fondamentaux, à savoir qu'elle conduit à une culture monastique B. Le travail intellectuel des moines : le scriptorium Le mot scriptorium - n°5 sur le plan - (pluriel scriptoria) est un mot latin dérivé du verbe scribere qui signifie "écrire". Ce nom désigne l'atelier dans lequel les moines copistes réalisaient des livres copiés manuellement, avant l'introduction de l'imprimerie en Occident. Il est directement accessible depuis la nef de l'église (et inversement). Sa présence est aussi un indice de la Renaissance et de la volonté de Charlemagne en ce domaine. Mais c'est encore davantage conforme à l'esprit de la règle bénédictine. C. Les écoles : Il y en a deux. L'une est liée au noviciat : école interne. L'autre est "ouverte" (ou "extérieure") : on retrouve là les idées de Charlemagne (culture, christianisation) et un fait en contradiction avec la règle bénédictine mais non absolument avec la réforme de Benoît d'Aniane qui a demandé que, pour le moins, les deux écoles fussent nettement séparées. 3. Le monastère comme centre de travail manuel A. Les activités agricoles - En faire le bilan,
c'est-à-dire tirer de l'affectation des bâtiments les principales cultures et
les principaux élevages. Noter que cela représente une certaine recherche de
l'autarcie économique, tout à fait conforme aux conditions de l'économie de
l'époque et renforcées sans doute par l'organisation monastique. On cultive des céréales pour le pain (24 = meules ; 23 = greniers ; 16 : boulangeries) mais aussi de l'orge pour la bière (26 = touraille pour le malt ; 15 = brasseries)... - Mettre en valeur certaines originalités : la culture de la vigne (à cause de l'office religieux ; mais la bière peut être la boisson courante). (NB. Saint-Gall étant situé à 675m d'altitude, la culture de la vigne n'y est pas possible. D’ailleurs, le plan n'indique aucun bâtiment consacré au pressoir, ni de cave de conservation et de vieillissement. Les moines devaient acheter leur vin (indispensable pour dire la messe) ou bien posséder des serfs-vignerons, plus bas. JPR). L''élevage du gros bétail -n°28 et 34- (la viande : les moines n'en mangent pas ; c'est donc pour les visiteurs qui doivent être nombreux ; on retrouve ici le monachisme ouvert). - En revanche, rien sur le plan ne permet de préciser l'étendue et l'organisation du domaine (on peut indiquer brièvement que c'était sans doute semblable à ce qui existait dans d'autres abbayes, connues par des polyptiques, telles Saint Germain des Prés, Prüm, etc.). - De même, le plan apprend seulement qu'il y a, pour ces travaux, des domestiques laïcs (surtout bergers), mais il n'indique en rien ce que peut être la participation des religieux, à l'inverse de ce que l'on pouvait déduire du scriptorium, de la bibliothèque et des écoles pour le travail intellectuel. Néanmoins, on peut avancer que, s'agissant d'une communauté dont plusieurs traits essentiels sont notoirement bénédictins, les moines accomplissent un certain travail manuel, mais très minime pour les grands travaux. Surtout du jardinage (on le retrouve sur le plan, n°21). B. Les activités artisanales - Les décrire et les énumérer. Montrer qu'elles ont pour objectif premier de permettre à la communauté de vivre. - Insister sur certaines activités particulières : l'orfèvrerie (pour les objets du culte), la fabrication d'armes (sans doute ornées, sculptées), ces activités étant l'indice d'un certain commerce. - Noter que, en ce domaine, les moines doivent sans doute participer beaucoup à ces travaux, car rien n'indique dans le plan la présence de travailleurs laïcs spécialisés. C'est là leur principal travail manuel (comme l'exige la règle et comme le demande Benoît d'Aniane) et une autre façon, par la fabrication d'objets d'art, de participer à la renaissance lancée par Charlemagne. C La richesse - Elle est difficile à déceler d'après les bâtiments de travail indiqués sur le plan, encore que leur nombre et leur diversité puissent pousser à considérer Saint Gall comme une abbaye très riche. - Mais on la décèle dans l'ampleur générale des bâtiments et dans l'importance accordée aux visiteurs de marque (que l'on traite superbement), aux visiteurs et pèlerins (que l'on accueille avec faveur/ferveur ?), aux malades et aux pauvres (que l'on assiste au mieux, ce qui est un indice supplémentaire de l'observance bénédictine) Conclusion Le
plan de Saint Gall, intelligemment étudié, apporte donc un faisceau d'arguments
qui conduisent à tenir cette abbaye pour un monastère bénédictin (c'est ce à
quoi aboutirait un historien qui n'aurait jamais vu ce plan et à qui on le
soumettrait sans mentionner le nom de l'établissement). Mais ce monastère
n'observe pas la règle bénédictine de la façon la plus stricte. Le monachisme
pratiqué présente des particularités que l'on retrouve ailleurs et qui tiennent
aux objectifs que Charlemagne (et avant lui des clercs et religieux au temps de
Pépin) lui avaient fixés. Il ne suit pas réellement toutes les intentions et
devisions élaborées par Benoît d'Aniane et promulguées dans le capitulaire de
817. Fin du travail de Marcel Pacaut. *** |
"LA PEUR", roman autobiographique de Gabriel CHEVALLIER
je renvoie immédiatement à la fiche de lecture de L. Bergery que voici ; ensuite texte de la conférence sur la lecture historique du roman. « La Peur » de Gabriel Chevalier par Lucien BERGERY, professeur de lettres émérite. L'effervescence éditoriale qui a accompagné le centenaire de la Grande Guerre a permis de remettre en pleine lumière les chefs-d’œuvre littéraires fécondés dans le sang de la « grande boucherie ». Maurice Genevois, Henri Barbusse, Roland Dorgelès, Blaise Cendrars en tête de gondole ! Le temps compté d'un hommage officiel. Le feu vite éteint de la commémoration a cependant ravivé la mémoire de quelques textes incontournables, et parmi eux, incandescent sous la cendre, le plus étonnant, le plus dérangeant, le plus contemporain, le plus oublié: «La Peur » de Gabriel Chevalier. Né à Lyon en 1895, cet écrivain, que la série des « Clochemerle » a consacré (et peut-être injustement marginalisé), a déjà fait l'objet de l'une de nos chroniques (voir « Mascarade » dans « L 'Esprit Canut » n°22 du printemps 2013.) Si nous nous permettons de revenir sur cet auteur c'est parce que « La Peur », son œuvre majeure, parue en 1930 aux éditions Le Dilettante, est injustement restée dans l'ombre malgré les rééditions courageuses de 1951 et 2008. Pourtant quel livre! Ce roman autobiographique écrit à la première personne et au présent demeure probablement le récit le plus fort et le plus réaliste de ce que fut l'horreur des champs de bataille de 14-18. D'abord parce qu'il couvre intégralement toute la période historique de la guerre. Depuis la mobilisation du narrateur jusqu'à l'armistice, le lecteur partage le quotidien de Jean Dartemont alias Gabriel Chevallier, qu'il suit pas à pas dans son parcours sanglant et absurde de combattant du front, de permissionnaire désabusé ou de blessé de guerre tire-au- flanc. Ensuite parce que ce récit reste toujours à la hauteur de l'humanité la plus objective, la plus prosaïque : celle du narrateur qui traverse les quatre années de son enfer en simple poilu, sans grade ... mais non sans peur ... Car l'écriture au scalpel de Gabriel Chevallier explore un quotidien sordide, une réalité physique, organique ; elle ne ménage aucune échappée vers un idéal ou une transcendance. Aucun lyrisme. La peur simplement. Cette peur primaire, sauvage, qui s'empare de chaque homme : peur de mourir, peur d'être blessé, peur de l'inconscience des commandements, peur de l'anéantissement. Il n'est pas étonnant que ce roman ait été censuré en 1939, la « grande muette » dénonçant le « défaitisme » véhiculé par ce livre. Il est vrai que le deuxième classe Gabriel Chevallier ne cache rien des incohérences et des folies de l’État-major : l'inconscience et l'absurdité des commandements aboutit de fait à une forme d'apocalypse. Cependant « La Peur » n'est pas un texte « défaitiste » au sens où l'entendent les stratèges de l'armée française : si défaite il y a, c'est d'abord celle de la raison. Gabriel Chevallier, qui s'abstient de se poser en donneur de leçons, place l'humaine condition au cœur de son œuvre. Sa voix rejoint celle de tous les pacifistes, elle englobe tous les conflits passés, présents et à venir. « La Peur », sa peur, c'est aussi la nôtre. Pour vous inviter, cher lecteur, à lire ou relire « La Peur », voici, en guise de mise en bouche, deux citations tirées de l'édition Le Dilettante de 2008. (il existe aussi une édition en Livre de poche) : p.20: « En une semaine, vingt millions d'hommes civilisés, occupés à vivre, à aimer, à préparer l'avenir, ont reçu ta consigne de tout interrompre pour aller tuer d'autres hommes. » p.344: « Le poilu risque tout: sa peau. Il gagne quoi ? L'exercice dans la boue et le droit de se faire casser la figure. Démobilisé, il devra chercher de l'embauche. Le patron trouvera qu'il pue et qu'il a de mauvaises manières... Je vais te dresser le bilan de la guerre: cinquante millions de morts dont il ne sera plus question, et mille millionnaires qui feront la loi. Une vie de soldat représente environ cinquante francs dans le portefeuille d'un gros industriel de Londres, de Paris, de Berlin, de New-York, de Vienne ou d'ailleurs. Commences-tu à comprendre ? » pcc. Lucien BERGERY "L'Esprit canut" de mars 2015, n°25. L'illustration du livre de proche est un tableau d'André Edouard Devambez, intitulé : Retour de patrouille, Juillet 1915. Je publie, ici, la conférence que j'ai prononcée lors d'une séance de L'Improbable qui avait pour thème le roman "la peur". Mon rôle était de placer le roman dans l'évènement, le drame : la guerre de 1914-1918. Et de tâcher de faire comprendre pourquoi les poilus, au front, vivaient avec la peur au ventre. Chaque seconde. LA PEUR Roman autobiographique de G. CHEVALLIER
I. La guerre de G. Chevallier Gabriel Chevallier est de la classe 1915 et n’a donc été incorporé qu’en 1915, il n’a pas connu les pantalons rouge-garance. Il arrive sur les zones de combat le 15 août 1915 (p.61 [1]). Et reçoit son baptême du feu à la bataille de l’Artois, la seconde, celle de l’automne 1915. Pour lire ces divers déplacements du régiment de Chevallier il faut observer simultanément la carte du front occidental stabilisé (article sur « la guerre : l’année 1915 »). Il est blessé et entre à l’hôpital le 7 octobre où il est opéré le 20 octobre 1915 (p.126). A sa sortie, il est affecté dans les Vosges (citation p.204) au printemps 1916 (p.207), il évite le drame de Verdun. Puis son unité est affectée à Fismes, une vingtaine de km à l’ouest de Reims. De fait, l’État-major a concentré ici des troupes pour la grande offensive Nivelle du 16 avril 1917 et la bataille du Chemin des Dames (p.278, 325). Chevallier participe à la contre-offensive de l’automne. Après un passage sur le front vosgien, il retourne sur le Chemin des Dames pour revenir dans les Vosges. En 1918, on le retrouve dans l’Aisne et en Champagne. Il subit l’offensive Ludendorff de mars-avril 1918 puis celle de juillet. Son unité appartient alors à la IV° armée du général Gouraud, celle qui réussira la contre-offensive des 14 et 15 juillet. Ensuite c’est la progression ininterrompue mais avec autant de périls vers ce qui deviendra la ligne d’armistice. Campagne de 1915 Chapitres IV et V de La Peur. Voici la Carte du front en Artois G. Chevallier combat dans le secteur du village de Neuville-St.Vaast dont il cite le nom.
Commentaire de la carte du secteur d’Arras : - Il s’agit de la ligne de front au mois de Janvier 1915 (trait épais rouge) - ARRAS est sous le feu de l’artillerie allemande et le restera. C’est une ville martyre. La guerre, l'horreur, Arras, ville martyre. - Avec le peu de progression, le front arrivera au niveau de Vimy (chère au cœur des Canadiens). -noter le site du village de Souchez où combat –au même moment que Chevallier- Galtier-Boissière. Lens, Avion et le bassin houiller resteront allemands. N.D. de Lorette se situe au nord-ouest du cadre du document. Campagne de 1916 Après l’hôpital, Chevallier rejoint une unité sur le front des Vosges. Chapitre 2 de la seconde partie "30 degrés de froid". Les Vosges ont été le terrain de très durs combats dès l’entrée en guerre [2]. Sont soulignés les lieux-dits cités par Chevallier dans son texte. Pour le Département des Vosges : La Roche Mère Henry (Pays de Senones), La Chapelotte (Vallée de la Plaine), La Fontenelle (Vallée du
Hure) avec Launois (208)-cf. article wiki sur Launois- Pour le Département du Haut-Rhin : Le Hartmannswillerkopf ou Vieil-Armand, Le Linge (Association du mémorial du Linge et commune d’Orbey), La Tête des Faux (commune de Lapoutroie) Le Col de Sainte-Marie-aux-Mines et la Tête du Violu (Val d’Argent) Le projet d’Ambulance Alpine de Mittlach (Vallée de Munster), L’Abri-mémoire d’Uffholtz (Cernay et environs) Le cimetière militaire roumain de Soultzmatt Voici un extrait du dossier de l' IHS-CGT qui traite déjà du "trommelfeuer" : "Jeudi 3 juin 1915, l'artillerie allemande canonne La Fontenelle. Une trentaine d'obus de 105 provenant de la direction de l'Ortomont sont tombés sur les travailleurs du secteur Delamotte, tuant un sergent et blessant 3 hommes. Puis la position est bombardée avec du 150 de la même direction (environ 50 obus). Pertes : un sergent tué, trois hommes blessés. Le 7, la position de la Fontenelle est violemment bombardée par des 130, 105 et 77 : 2 tués et 1blessé. La tranchée de 1ère ligne est détruite sur une vingtaine de mètres. Nombreux dégâts dans les boyaux des tranchées : 2 hommes tués. 2 blessés. Le 9, les travaux à la Fontanelle sont poussés activement quoique retardés par la pluie qui dans la nuit a dégradé et envahi les boyaux et les puits de mine. Perte de 3 hommes. Le 11, Alphonse est promu au grade de soldat de 1ère classe. Du 22 au 23 juin environ15.000 projectiles de l’artillerie allemande labourent le secteur (un obus toutes les 6 secondes sur 24 heures, JPR). Mardi 22, le bombardement extrêmement violent de l'artillerie allemande cause des dégâts considérables dans nos lignes. Beaucoup d'hommes sont littéralement ensevelis dans les tranchées et les boyaux qu’ils occupaient, des abris avaient été enfoncés par les gros obus, des escouades entières se trouvaient prises dans leurs abris d'artillerie dont l’entrée avait été bouchée par la terre et par les débris des explosions. Sur cette position, le bataillon du 23ème, très éprouvé, qui ne comptait plus qu'un capitaine et environ un officier par compagnie, qui avait perdu la moitié ou les deux-tiers de son effectif, et n'avait été renforcé que par quelques sections du 43ème territorial, fit une résistance acharnée... [À 900 mètres de ce lieu est organisée aujourd'hui, une nécropole nationale]. (...). Trois capitaines et deux lieutenants sont tués. Parmi les blessés, un commandant, un capitaine, un lieutenant, un médecin aide-major, trois sous-lieutenants ; un sous-lieutenant disparu. Parmi les hommes de troupes, 50 tués, 148 blessés et 254 disparus. Le 1er bataillon du 23ème, très éprouvé, a été placé en réserve de secteur à St-Jean-d’Omont (Vosges) "[3]. Fin de citation. Noter l’importance des "disparus" : 254 soldats. Ce sont des cadavres que l’on n’a pas pu identifier tant leur corps a été éclaté, parfois pulvérisé. Campagne de 1917 Il s’agit essentiellement de sa participation à la bataille du Chemin des Dames mais APRÈS l’offensive Nivelle. L’unité de G. Chevallier participe aux offensives qui permettent d’arriver à la ligne de front du 2 novembre 1917, visible sur la carte. Vauxaillon, à l’ouest, est cité page 325. Campagne de 1918
L’unité de G. Chevallier est au feu lors des offensives Ludendorff et de la contre-offensive Gouraud. Il faut lire la page 268 sur ce qui se passe à Fismes (avant l’offensive allemande de 1918), sorte de camp de base, en retrait du front, où les poilus en permission peuvent aller faire quelques achats et où les commerçants exploitant la situation ne leur font aucun cadeau. Bien au contraire. L’Union Sacrée n’existait pas dans les magasins. Lire la carte de 1918 de l’article "l'année 1918" Page 365, l'auteur parle de l'arrivée des Allemands à Château-Thierry ce qui fait dire "ça va peut-être finir". Par une victoire allemande? pourquoi pas ? "chacun de nous s'interroge, au bord de la trahison (...)". II. Les morts J’intitule ainsi ce second chapitre pour dire comment on rencontre la mort sur le champ de bataille. Il s’agit d’expliquer le titre du livre "la peur"… La peur, compagne de chaque jour et de chaque seconde de chaque jour. La principale cause de la mortalité des soldats est la canonnade (70 à 80%). L’artillerie, et notamment l’artillerie lourde, ayant pris une place déterminante. Conséquence malheureuse de la révolution industrielle du XIX° siècle. La seconde cause est la mort par balles, surtout celles des mitrailleuses (p.267 mais très souvent citée partout ailleurs). Enfin, il y a la mort due à la guerre des mines. La mort à l’arme blanche ou arme de poing est très minoritaire, le combat au corps à corps étant beaucoup moins utilisé qu’autrefois sauf au moment de la Guerre de mouvement (fin 14 – début 1915) et à Verdun. A. "Trommelfeuer". Il s’agit là d’un mot allemand, un peu mystérieux, difficilement traduisible (Trommel signifiant "tambour"...) et cette part de mystère permet de laisser travailler l’imagination. Les synonymes sont nombreux. Roulements de tambours ; Pilonnage ; Barrage d’artillerie ; Feu roulant ; tir de saturation ; Préparation d’artillerie ; Déluge d’obus ; Déluge de feu ; Martelage (G. Chevallier)… Les États-majors utilisent la puissance de feu de l’artillerie pour faire place nette à l’infanterie qui suit derrière afin de s’emparer de positions ennemies détruites et/ou évacuées par l’ennemi. C'est en effet un bombardement ininterrompu, systématique, aveugle pour tout détruire afin que l’infanterie, appelée à se mettre en marche ultérieurement, puisse passer sur des terrains vides d'hommes et de vie. Ce bombardement fantastique porte le nom allemand de "Trommelfeuer" L’historien Audoin-Rouzeau étudiant "les modalités des atteintes corporelles infligées et subies" fait l’analyse suivante : "La Première Guerre mondiale a amené, de ce point de vue, une mutation décisive : l'intensité du feu (grâce à l'artillerie et aux mitrailleuses qui font figure d'armes majeures de domination du champ de bataille entre 1914 et 1918) implique un type nouveau d'atteinte au corps des combattants, un type d'atteinte en tout cas sans précédent à une telle échelle. En effet, les lésions internes liées à la vitesse de pénétration des projectiles modernes (éclatement des os, effets de souffle au sein des parties molles), les démembrements, les éventrations, les décapitations, voire dans certains cas la volatilisation complète des corps sous l'effet des coups directs de l'artillerie, prennent une ampleur jusqu'alors inconnue. Cette généralisation d'une violence corporelle extrême s'accompagne évidemment d'une violence visuelle également nouvelle infligée aux combattants, confrontés comme jamais auparavant à la vue des terrifiants délabrements corporels provoqués par l'armement moderne.[4] Après ce texte d’un historien du XXI° siècle, voici la narration d’un trommelfeuer par quelqu’un qui l’a subi, Galtier-Boissières (on lira avec intérêt sa fiche Wikipédia). "Nous arrivons après nous être perdus sur le plateau bouleversé par les obus et dont la topographie se modifie quotidiennement…à peine une torpille a-t-elle explosé à droite qu’une autre tombe à gauche et qu’une troisième est signalée en avant. Nous sommes au centre d’une véritable éruption. Des geysers de boue s'élèvent de toute part, les guitounes s'effondrent, la tranchée se comble, une avalanche d'énormes quartiers de terre nous assomme, tandis que l'épouvantable fracas des explosions nous assourdit et nous ébranle... Assourdis par les déchirants éclatements des torpilles et des grosses marmites, à-demi asphyxiés par leur fumée âcre noire, assommés par les blocs de terre, giflés par les éclats qui cinglent de toutes parts, les yeux exorbités, guettant désespérément dans le ciel l'arrivée des terribles engins de mort, calculant leur point de chute à la vue et au son, s'attendant d'une seconde à l'autre à être ignoblement déchiquetés... enjambant les cadavres et les blessés ensanglantés, les poilus claquent des dents, courent hagards et haletants, sans but. Le cauchemar ne cesse qu'à 5 heures".[5] Gabriel Chevallier l’écrit également bien entendu, voyez la page 99 et suivantes. Ainsi que pp. 263, 279, 291, 330. Les premières photographies aériennes datent réellement de la 1ère
guerre mondiale. Voici deux illustrations. La seconde dont voici le lien (http://gmic.co.uk/topic/60402-artillerie-beobachtung-artillery-observation/)
porte la mention "trommelfeuer" et j’ai pu lire : "Effet de
lumière du Trommelfeuer français. Barrage d’artillerie et grenades éclairantes".
https://en.wikipedia.org/wiki/Second_Battle_of_Artois#/media/File:Die_erbitterten_K%C3%A4mpfe_um_Lorettoh%C3%B6he_(PK_Martin_Herpich_M%C3%BCnchen_1915_TPk132).jpg
B. La mitraille
https://en.wikipedia.org/wiki/Second_Battle_of_Artois#/media/File:Lorettoh%C3%B6hen.jpg https://en.wikipedia.org/wiki/Second_Battle_of_Artois#/media/File:Die_erbitterten_K%C3%A4mpfe_um_Lorettoh%C3%B6he_(PK_Martin_Herpich_M%C3%BCnchen_1915_TPk132).jpg Voici un document d’avant Chevallier,
mais très intéressant. Avant Chevallier puisque les soldats français ont leurs trop célèbres pantalons rouge et pas de casque. Nous sommes en 1914, avant l'hiver. les Français tentent de prendre la colline de Lorette qui est un excellent observatoire sur tout l'Artois et la Flandre et au sommet de laquelle a été bâtie une chapelle dédiée à Marie. J'utilise ce document allemand parce qu'un passage du livre de G. Chevallier semble un véritable commentaire de cette image d’Épinal ; "Nous savions que leur sacrifice avait été vain et que le nôtre –qui allait suivre – le serait également. Nous savions qu’il était absurde et criminel de lancer des hommes sur des fils de fer intacts, couvrant des machines qui crachaient des centaines de balles à la minute. Nous savions que d'invisibles mitrailleuses attendaient les cibles que nous serions, dès le parapet franchis, et nous abattraient comme un gibier. Seuls, Les assaillants se montraient à découvert, et ceux que nous attaquions, retranchés derrière leurs remparts de terre, nous empêcheraient d'aller jusqu'à eux, s'ils avaient un peu de sang-froid pendant trois minutes. Quant à avancer profondément, tout espoir était perdu"[6]. Gabriel Chevallier fait de nombreuses allusions aux fameuses mitrailleuses allemandes. Il est vrai que les Allemands avaient une longueur d’avance dans ce domaine. « L'Allemagne a été une des premières nations à reconnaître l'importance de la mitrailleuse sur le champ de bataille. La mitrailleuse Maxim MG 08, adoptée par l'armée impériale, reste la plus célèbre des mitrailleuses Maxim. Dès l'entrée en Guerre, la tactique allemande d'utilisation des armes automatiques est particulièrement développée et les servants sont parfaitement bien entraînés. Les mitrailleuses, regroupées en une compagnie par régiment, sont parfaitement intégrées dans les manœuvres de l'infanterie, tant dans l'offensive que dans la défensive. Les résultats de cette utilisation bien maîtrisée seront particulièrement meurtriers dans les rangs des Alliés »[7] C. Les mines Voir d'abord un document du cours : La guerre : l'année 1915 autre document : mines et camouflets… Vauquois, près Verdun (à l’ouest), butte
panoramique, enjeu durant quatre années. Vauquois est l’épicentre de la guerre
des mines. Le 14 mai 1916, explose une mine allemande de 60
tonnes qui creuse un entonnoir de 60 m de diamètre et 20 m de profondeur. Il
engloutit 108 Français, 30 m de tranchées et une partie de la colline. La peur vient du caractère inattendu, imprévisible de l'explosion souterraine. Pire encore quand on entend des bruits sourds, réguliers, venus du sous-sol qui sont interprétés comme la construction d'une sape par l'ennemi. à quand l’explosion ? On ne peut pas parler de la guerre des mines sans évoquer le trou de la Boisselle (27 tonnes d'explosifs placés à 16 mètres sous le front allemand explosent le 1ere juillet 1916, jour de la grande offensive britannique sur la Somme). Le cratère mesure 90 mètres de diamètre. Article de mise au point sur Wiki "Trou de mine de La Boisselle". III. Les résultats
Je commence exceptionnellement par le bilan
matériel - et non pas le bilan humain comme toujours - pour monter l’ampleur des bombardements et des destructions... Dans son livre "Un hiver à Souchez (1915-1916)", déjà cité, le journaliste Jean Galtier-Boissière raconte : « Le paysage est si hideux, si hors nature que je me demande si je ne rêve pas : c'est une vision d'infernal cauchemar, le lugubre décor de quelque conte fantastique d'Edgar Poe. Ce ne sont pas des ruines : il n'y a plus de mur, plus de rue, plus de forme. Tout a été pulvérisé, nivelé par le pilon. Souchez n'est plus qu'une dégoûtante bouillie de bois, de pierres, d'ossements, concassés et pétris dans la boue. (...) Quelques flots de ruines émergent seuls de la boue ; néanmoins les obus ennemis s'acharnent à fouiller sans pitié les entrailles du bourg assassiné... » Un bilan matériel de la guerre : Le général Percin, dans Le Massacre de notre infanterie, 1914-1918, cite dans son annexe VIII (" Dégâts matériels causés par les Allemands") : "Évaluation en nature Nombre de communes entièrement détruites : 1.699 Nombre de communes aux ¾ détruites : 707 Nombre de communes à moitié détruites : 1.656 Nombre de maisons complètement détruites : 319.269 Nombre de maisons partiellement détruites : 313.675 Nombre d’usines détruites : 20.603 Nombre de kilomètres de voies ferrées détruits : 7.985 Nombre de ponts détruits : 4.875 Nombre de tunnels détruits : 12 Nombre de kilomètres de routes détruits : 52.754 Nombre d’hectares de terrains non cultivés détruits : 2.060.000 Nombre d’hectares de terrains cultivés détruits : 1.740.000". https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_du_Chemin_des_Dames#/media/File:Craonne.jpg : ci-contre : Emplacement
de l’église St. Martin de Craonne. Il ne reste plus rien de l'église après plusieurs "trommelfeuers"... le village de Fleury-en-Douaumont a quant à lui disparu. c'est aujourd'hui une commune de zéro habitant dont le maire est nommé par le préfet. La dramatique cote 304, rive gauche de la Meuse, à Verdun, a perdu 7 mètres de hauteur, elle n'est plus qu'à 297m d'altitude.
Bilan humain Pour éviter une illustration trop dramatique, j'ai opté pour cette photo de deux chevaux entremêlés par la boucherie (cf. supra). Il en fut de même pour les hommes : ainsi deux poilus méconnaissables ou, plutôt non reconnaissables, soldats "inconnus", ont été enterrés dans le même cercueil : il était impossible de savoir ce qui revenait à l'un et à l'autre.
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cadavres sur l’arbre : le souffle des explosions propulse le corps des soldats à des hauteurs inconcevables. Voici ci-dessous un document (Le Monde du 3 août 2014) qui montre le nombre de morts par mois du côté français. On relèvera le drame absolu de l'été et automne 1914 : en décembre 14 on meurt autant qu'à Verdun en pleine bataille. Malgré les échecs, toutes les offensives alliées ont connu le même schéma, en 1915 (Artois, Champagne), en 1916 (sur la Somme, 1er juillet), en 1917 (Chemin des Dames, 17 juillet) : c’est-à-dire un trommelfeuer d'apocalypse qui, cependant, n'affecte que peu les lignes allemandes parfaitement calfeutrées dans leurs abris bien préparés, puis une attaque d'infanterie que les états-majors croyaient pouvoir mener l'arme à la bretelle et qui, en réalité, furent accueillis par les mitrailleuses allemandes tueuses à l'envi. Observer aussi le nombre de morts en octobre 1918 : pas de répit ! on tue jusqu'au bout...
[1] Les indications de page rapportent à la récente édition du Livre de poche, 2014. [2] Pour ceux et celles qui ignorent ce qui s’est passé dans les Vosges, je donne ce lien : (la liste des mémoriaux qui suit en est tirée) Guehttp://www.front-vosges-14-18.eu/documents/dpfr.pdf
[3] Cahiers d’Histoire sociale, N°111 de mars 2015, Institut régional d’Histoire sociale, CGT (Rhône-Alpes). Numéro spécial « l’ouvrier lyonnais dans la 1ère guerre mondiale ». Il s’agit surtout des carnets du soldat-poilu Laurent Gonon qui nous est transmis par son petit-fils qui s’appelle lui-même Laurent Gonon. [4] Extrait du livre ‘la violence de guerre, 1914-1945’, éditions COMPLEXE avec IHRT-CNRS, page 81. Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker, 14-18. Retrouver la guerre, chapitre 1. [5] Jean GALTIER-BOISSIERE, "un hiver à Souchez", Les Étincelles édit., p.73. Le village de Souchez est visible sur la seconde carte de cet article. [6] "La peur", GC, page 102-103, édition du livre de poche, 2014. |
Les femmes et la guerre de 14-18 (2ème partie)
référence de l’article précédent : Les femmes et la guerre de 14-18 (1ère partie) plan général de la conférence : Présentation Les paysannes Les infirmières Les marraines de guerre Les ouvrières A. Quelques chiffres B. Les conditions de travail Un travail dangereux, un travail dur La question des relations au travail C. Les rapports entre les syndicats et les femmes 1. Femmes en grève A Paris : « les midinettes », à Lyon, Dans la Loire, à Vienne 2. l’organisation syndicale des femmes D. Autres engagements Bibliographie LES OUVRIÈRES Dès avant la guerre de 1914-1918, les femmes formaient une part importante des effectifs industriels. Elles avaient accompagné les débuts de l'industrie textile et depuis on les trouvait dans d'autres activités comme le papier-carton, les raffineries, les conserveries, la métallurgie. Les progrès de la mécanisation avaient ouvert la voie au remplacement des hommes par des femmes. Ce sera en même temps l'occasion de réorganiser le travail en s'inspirant du modèle américain : le taylorisme. Cette substitution est à l'origine de la crainte d'une concurrence des femmes moins payées que les hommes, laquelle concurrence pèsera lourdement sur les rapports qu'entretiendront les femmes avec l'organisation syndicale. A. QUELQUES CHIFFRES Les recensements de 1911 et 1921 donnent à peu près le même nombre de femmes considérées comme actives soit près de 7.200.000 ou 36% de la population féminine. Ces statistiques posent deux questions : - entre 1914 et 1918 le nombre de femmes au travail n'a-t-il pas augmenté ? - si oui pourquoi est-il retombé si vite une fois la guerre terminée ? Rappelons qu'entre le 1er août 1914 et le 30 septembre de la même année ce sont plus de 3.000.000 d'hommes de 18 à 45 ans, soit 20% de la population qui sont mobilisés. Gouvernement et Etat major avaient parié sur une guerre courte, mais avant même la fin de l'année 1914 il apparaît que cette guerre sera longue. Rapidement les femmes vont remplacer les hommes dans de nombreuses activités comme la distribution du courrier, la conduite des tramways, des voitures.... (27-28-29-30). Par ailleurs il faut non seulement rattraper le retard dans les équipements de l'armée, remplacer le matériel détruit, mais équiper une armée dont l'effectif a décuplé avec la guerre. Les industries métallurgiques, chimiques, textiles vont offrir des emplois en nombre croissant, et embaucher des jeunes filles, des femmes mariées, puis les mères de famille. (31) Si, au début de la guerre, 50.000 ouvriers travaillaient en France dans le secteur de l'armement, à la fin de la guerre ils étaient 1.700.000 dont plus de 420.000 femmes.B. LES CONDITIONS DE TRAVAIL. Les lois de protection du travail, comme l'interdiction du travail de nuit sont suspendues, ainsi que la plupart des contraintes imposées aux entreprises en particulier en matière de protection de la santé des travailleurs. Les femmes mariées posent un problème puisque la loi les fait dépendantes de leurs maris. Qu'à cela ne tienne, elles pourront travailler de nuit pourvu que leurs maris les y autorisent. La mobilisation de la main d'œuvre féminine au service de la Défense Nationale concerne quelques zones géographiques : région parisienne, région lyonnaise, bassin stéphanois ... Ainsi, dans la région parisienne le nombre de femmes travaillant dans la métallurgie passe de 9.000 unités à 100.000 en 1919 ; dans le bassin stéphanois les 27.000 ouvrières recensées en 1917 représentent le quart de la main d'œuvre. Pour fixer les idées quant aux besoins de production militaire disons qu'un mois après le début de la guerre les ateliers fabriquaient 10.000 obus par jour pour les fameux canons de 75 ; l'Etat major en réclame 10 fois plus soit 100.000 par jour, avant de passer à plus de 250.000 par jour en 1918.(32-33-34-35-36-37-38-39-40-41-42). Renault et Citroën, outre les véhicules à moteur - camions, chars d'assaut - fabriquent chacun respectivement 8.500.000 obus et 24.000.000. Je cite ces constructeurs car c'est dans leurs usines que travaillaient déjà, avant guerre de nombreuses femmes. Celles qui travaillaient à la fabrication des obus sont appelées, selon le vocabulaire de l'époque les "munitionnettes", une sorte d'équivalent à "midinette", avec ce que comporte ce suffixe à tonalité dévalorisante. Le travail est dangereux. Leurs tenues de travail ne sont pas adaptées aux conditions matérielles de fonctionnement des machines dans les ateliers et seront sources de nombreux accidents. En particulier les vêtements des femmes sont inadaptés à la proximité des machines et autres courroies de transmission et souvent à l'origine d'accidents mortels. Des couturiers proposeront des tenues mieux adaptées. (43) Le travail est dur. Voici comment la journaliste féministe, pacifiste, Marcelle CAPY décrit, dans "La Voix des Femmes pendant la Guerre", son expérience volontaire de munitionnette embauchée dans une usine d'obus :(44) "L'ouvrière, toujours debout, saisit l'obus, le porte sur l'appareil dont elle soulève la partie supérieure. L'engin en place, elle abaisse cette partie, vérifie les dimensions (c'est le but de l'opération), relève la cloche, prend l'obus et le déplace à gauche. Chaque obus pèse 7 kg. En temps de production normale, 2.500 obus passent en 11 heures entre ses mains. Comme elle doit soulever deux fois chaque engin, elle soupèse par jour 35.000 kg. Au bout de trois quarts d'heure, je me suis avouée vaincue. J'ai vu ma compagne, toute frêle, toute jeune, toute gentille, dans son grand tablier noir, poursuivre sa besogne. Elle est à la cloche depuis un an. 900.000 obus sont passés entre ses doigts, elle a du soulever un fardeau de 7.000.000 de kg [soit 7.000 tonnes]. Arrivée fraîche et forte à l'usine, elle a perdu ses belles couleurs, elle n'est plus qu'une mince fillette épuisée. Je la regarde avec stupeur et ces mots résonnent dans ma tête : 35.000 kg". Certes les salaires qu'on leur offre sont supérieurs à ceux de leurs métiers antérieurs. Ce qui entraînera par exemple une pénurie de domestiques (les "bonnes") à Paris du fait de l'attractivité de ces offres d'emploi, mais les femmes au travail continuent à être discriminées. Si le Ministre de l'Armement, le socialiste Albert Thomas, recommande dans ses circulaires de respecter le principe "à travail égal salaire égal", il admet néanmoins qu'il convient de déduire du salaire : "le coût de revient de toutes les modifications de l'outillage, de l'organisation du travail, de la surveillance, et d'une façon générale, de la part de frais supplémentaires entraînée par la substitution de la main d'œuvre féminine à la main d'œuvre masculine". Confronté tout au long de l'année 1917 à des grèves féminines massives, sur lesquelles je reviendrai, Albert Thomas partisan de l'Union Sacrée, négocie le principe de conventions collectives entre patrons, préfet, délégués syndicaux. On trouve dans ces conventions la distinction entre celles et ceux qui ne sont pas payés aux pièces "les professionnels" et les autres. Si les femmes et les hommes ont le même salaire dans chaque catégorie, l'astuce consiste à distinguer les postes de travail. Ainsi, chez Peugeot à Montbéliard, aucune femme n'est classée professionnelle, ou encore les bobineuses professionnelles parisiennes se voient appliquer un abattement de 43% sur leurs salaires, pourtant égal en principe à celui des bobineurs, justifié par le fait que les femmes ne peuvent travailler sur les mêmes machines que les hommes. Par ailleurs le patronat inventera une retenue de 17% sur le salaire féminin pour "contribution à la formation". D'une façon générale si les syndicats avancent prudemment sur la question des salaires - car la concurrence homme/femme est toujours redoutée - ils ne cessent de dénoncer les conditions de travail des femmes. Deux établissements sont signalés à maintes reprises comme très défectueux sur le plan de l'hygiène. Il s'agit des Etablissements Ducellier, où l'on fabrique pour l'essentiel des ampoules électriques, à Paris (Xème arrondissement), et Pathé-Frères de Vincennes. Dans le premier, selon "La bataille syndicaliste" du 3 février 1916 les ouvrières sont entassées à 90 dans un espace de 120 m2 avec pour toute installation d'hygiène un seul robinet dans la cour. Dans le second, qui fabrique des masques à gaz, une centaine de femmes sont occupées toute la journée à "manier avec l'extrémité des doigts la gaze imprégnée d'une matière à base de nickel. Ce travail donne lieu à des irritations de la peau des mains [...] et chez certaines à des dermites irritantes et à de l'eczéma plus ou moins généralisé. Dans cet atelier les femmes enceintes accouchent le plus souvent d'enfants mort-nés". Signalons cependant les réalisations d’André Citroën, qui ne produit pas encore les automobiles que les profits accumulés de la fabrication d'obus lui permettront plus tard : il organise dans son entreprise des crèches et des salles d'allaitement pour les mères de famille. (45-46) Ajoutons à tout cela la question des relations au travail. (47) "Quelle aubaine pour le patronat que cette arrivée massive de femmes jeunes, robustes, totalement inorganisées et ignorantes. A elles, les travaux les plus pénibles, les moins bien payés. Elles ne rechignent pas à la tâche et sont habiles et dociles. Dans les ateliers, contremaîtres, chefs d'équipe leur mènent la vie dure. Elles dépendent totalement d'eux, ils décident des temps de repos, de l'affectation des postes, de l'embauche. Ce sont eux qui réparent les machines. Ils peuvent ainsi priver de travail les ouvrières qui ne se montrent pas "gentilles". Soumises à une surveillance étroite, rivées à leurs machines dix à douze heure par jour, elles ne peuvent bavarder avec leurs voisines, ni se déplacer sans autorisation. A la moindre incartade les amendes pleuvent, réduisant encore leurs maigres salaires. Prises à la gorge, comment n'auraient elles pas cherché le "moyen de s'arranger" ? Terrorisées à l'idée de perdre leur emploi, de se retrouver "sur le trottoir" elles acceptaient les "avances". Filles des campagnes, anciennes servantes dans les villes, n'avaient-elles pas déjà subi la loi du maitre ? Voici le cas d'Antoinette BORDE, jeune ouvrière dans l'usine de tissage Seguin-Frères à Vienne (Isère), renvoyée par un contremaitre : elle s'était refusée à lui, motif qu'il n'osa formuler. Antoinette BORDE va se plaindre auprès du Secrétaire du Syndicat du textile viennois Claudius RICHETTA. Celui-ci écrit au contremaitre : "Sans motif ? Pour un dégoûtant personnage comme vous il y en avait un : mademoiselle BORDE n'a pas voulu se prêter à vos caprices, et par bonne vengeance vous lui enlevez son travail. Vous trouvez naturel que les ouvrières, après avoir servi de chair à travail à votre patron, vous serve à vous de chair à plaisir. Nous exigeons que vous repreniez immédiatement mademoiselle BORDE, sinon nous adressons de suite une plainte à Monsieur l'Intendant Général — n'oubliez pas que vous êtes en sursis d'appel ! Recevez notre mépris. " Pour un cas comme celui là, dont nous avons retrouvé la trace dans les archives de l'Institut d'Histoire Sociale (IHS) de Vienne, combien d'autres n'ont pas été recensés ? C. LES RAPPORTS SYNDICATS-FEMMES Dès 1914 les syndicats comptent dans leurs rangs près de 90.000 femmes syndiquées soit un peu moins de 9% de l'effectif total des syndiqués. Je dis bien syndicats au pluriel, car à côté de la CGT il y a d'autres syndicats. On peut aisément les qualifier de "syndicats féminins chrétiens" libres. Leur objectif est le plus souvent plus éducatif que revendicatif, ils sont animés par des bourgeoises philanthropes. Ces groupements tirent bénéfice d'une sorte de misogynie non avouée du monde syndical. Ainsi en septembre 1917, le Comité fédéral des métaux rappelle sa position : "L'introduction systématique de la femme dans l'atelier est en opposition absolue avec la création et l'existence du foyer et de la famille ; le Comité fédéral estime en premier lieu que l'homme doit obtenir de son travail la possibilité d'assurer la subsistance de son foyer et d'élever dignement ses enfants [...] Le Comité fédéral affirme que l'absorption de plus en plus généralisée de la femme par toutes les industries est en contradiction flagrante avec l'invitation à la procréation, nécessité proclamée par tous [...] Le Comité fédéral décide cependant de faire toute la propagande nécessaire pour organiser syndicalement la femme et qu'il ne serait pas de bonne tactique de les grouper à part des organisations formées par les hommes". C'est peut être dans la Fédération du livre que se développe, à la veille de la guerre, une affaire emblématique : l'affaire COURIAU. Je résume : Le congrès de Bordeaux en 1910 décide d'admettre les femmes aux syndicats du Livre. Au terme de six mois de travail, Emma COURIAU en avril 1913 demande son adhésion, soutenue par son mari, lui même typo syndiqué depuis presque 20 ans. Non seulement la section lyonnaise refuse son adhésion mais elle prononce l'exclusion de son mari. Écoutons ce qu'en dit Alfred ROSMER dans un article publié par "la Bataille Syndicaliste" du 28 septembre 1913 : "[Je suis] étonné de trouver tant de défenseur de la famille parmi les militants ouvriers. Sans doute pour quelques uns c'est un moyen hypocrite de se débarrasser de l'ouvrière. Mais la plupart sont sincères. Quand Paul Bourget ne trouvera plus de disciple chez les bourgeois, il pourra venir en chercher dans les syndicats. Ils défendent la famille comme le feraient les membres de l'Académie des sciences morales. [...il] serait temps que les camarades abandonnent la mentalité antédiluvienne qui leur donne une si étrange conception des rapports qui doivent exister entre l'homme et la femme. Est-il si difficile d'admettre que la femme peut agir par elle même et qu'elle a voie au chapitre quand il s'agit de régler sa vie et sa destinée ? ". Toutes ces conditions matérielles et morales font que les femmes vont entrer dans la lutte. Particulièrement dans les régions citées parisienne, lyonnaise, stéphanoise. 1. Les femmes en grève. Les grèves menées par les femmes sont en général spontanées, et lorsqu'elles ne sont pas à l'initiative elles constituent la majorité des grévistes. Grève intempestive, la grève s'accompagne au printemps 1917 du débauchage. Des cortèges de grévistes auxquels se rallient d'autres corporations vont faire arrêter le travail dans d'autres usines. a. Les "midinettes" à Paris. Les "midinettes" parisiennes entrent dans l'action en mai 1917. (48-49-50) Les couturières de la maison Jenny protestèrent contre la hausse des prix et réclamèrent le retour aux tarifs d'avant guerre. Elles furent 10.000 dans la rue. Au bout de deux semaines, elles obtinrent un congé payé du samedi après midi et une augmentation de la prime de vie chère. Les actions initiées par les femmes seront aidées par la mobilisation syndicale dans ces régions, particulièrement lyonnaise et stéphanoise où le courant anarcho-syndicaliste qui cristallise l'opposition à l'Union Sacrée à laquelle s'est ralliée la CGT est bien présent. b. A Lyon Si la première grève qui alerte les autorités, les 26-28 janvier 1917, est celle des manœuvres chinois employés au chantier de construction de la nouvelle poudrerie de Saint-Fons, c'est bien l'écho de la grève des midinettes parisiennes qui contribue à donner le coup d'envoi pour la région lyonnaise. A Lyon, la première grève sur laquelle va embrayer le mouvement est une action catégorielle à l'état pur : le conflit des employés de banque qui dure du 31 mai au 2 juin se termine par un relèvement des salaires, la semaine anglaise, la mise au mois des auxiliaires, la retraite accordée au personnel féminin. Mais dès ce 2 juin, le mouvement qui se développe rapidement prend un autre tour. Une réunion à la Bourse du Travail rassemble le soir même 2.000 personnes sous la présidence de Bécirard, secrétaire anarcho-syndicaliste de l'UD du Rhône. La déléguée de la CGT Jeanne Chevenard exalte l'union dans la lutte, tout "en regrettant qu'elle n'ait pas existé pour empêcher la boucherie que les femmes de tous les pays belligérants n'ont pas décidé". Très vite le mouvement prend de l'ampleur : du 3 au 12 juin, il entraîne 3.000 ouvriers et ouvrières de la confection civile et militaire. A partir de là, il atteint directement des usines dépendant de la Défense nationale : Paris Rhône TSF 250 hommes, 150 femmes ; Usines de munitions : Société d'Eclairage Electrique ; Pyrotechnie 905 grévistes sur 993 femmes employées. Au mois de juin 1917 le 4, le Préfet du Rhône alerte le Ministre de l'Intérieur (style télégraphique, JPR) : "Agitation ouvrière après trêve hier dimanche a marqué plus grande intensité aujourd'hui et caractère plus sérieux. La grève a gagné en nombre et s'est étendue à nouvelles corporations. Elle englobe la plupart des ateliers confection, corsetières, modistes. Comité directeur occulte a fait pression sur personnel confection militaire dont généralité a persisté dans mouvement gréviste pour affirmer solidarité. Tous incidents ce jour attestent organisation rigoureuse et discipline imposée. De nombreuses colonnes composées plusieurs centaines personnes en grande majorité femmes et toute jeunes filles ont parcouru ville en se scindant à endroits déterminés pour se répandre sur points désignés et pratiquer débauchage selon manœuvres calculées pour égarer police surprendre patron et intimider ouvrières restées délibérément au travail. Ainsi ont été évacués grand nombre ateliers d'autres ont fermé malgré mesures prises pour protéger efficacement liberté travail. Toutefois grâce aux efforts police et à répartition ses forces très restreintes sur points particulièrement menacés aucune violence et aucun ... Le 8, le Préfet revient sur cette journée du 4 : La journée a pris un tour "nettement antipatriotique". La manifestation s'est poursuivie au delà de 20 heures car "après un stage à la Bourse du travail, les manifestants reviennent avec des pancartes reproduisant les mots d'ordre devant l'Hôtel de Ville. Ils sont pourchassés par la police. Vers 23 heures devant la gare de Perrache, de nouveaux incidents entraînent encore 13 arrestations". 28 personnes sont déférées au Parquet dont 5 femmes. Un autre document signale l'arrestation de 27 femmes pour "cortège sur la voie publique". c. Dans la Loire Dans la Loire, une des premières grèves féminine a lieu à Saint-Chamond en janvier 1916 dans une usine textile travaillant pour la Défense Nationale. Les ouvrières cessent le travail pour s'opposer au renvoi de l'une des leurs, partie en avance pour soigner un enfant malade. En juillet de la même année dans l'atelier de pyrotechnie des Forges et Aciéries de Marine de Saint-Chamond, les ouvrières protestent contre une sanction disciplinaire à l'égard de l'une des leurs qui avait refusé de participer à une quête pour la fête du contremaitre jugé autoritaire et trop entreprenant. En juin 1917 les "munitionnettes" de Firminy entrent en grève au cri de "A bas la guerre, vive la grève, rendez-nous nos maris!". Le 23 mai, toujours à Saint-Chamond, un groupe d'une dizaine de femmes se couche sur les rails pour empêcher les trains de partir. Le 25, elles sont arrêtées, emprisonnées, et traduites en justice devant le Conseil de Guerre. d. A Vienne Il faudrait aussi citer les grèves dans le textile viennois en mai 1916. Notons au passage que l'on trouve à la tête du syndicat du textile viennois une femme Claudette COSTE et au secrétariat de la Bourse du Travail une autre femme Clémentine RODOT, toutes deux militantes proches des anarchistes, féministes. Elles invitèrent à Vienne Madeleine VERNET, militante libertaire fondatrice de "l'avenir social", Marcelle CAPY dont nous avons déjà parlé, et mobilisèrent la classe ouvrière viennoise pour défendre Hélène BRION, dont je reparlerai. Citons donc la grève du 3 mai. Ce jour là, 600 tisseurs et tisseuses réunis à la Bourse du Travail apprenaient que les patrons proposaient 1,5 centime d'augmentation en réponse aux 4 demandés par le syndicat. Ils votèrent la grève qui s'étendit immédiatement aux 4000 tisseurs, tisseuses, espouleuses et ourdisseuses des fabriques viennoises. L'intervention de l'autorité militaire conjuguée à la pression de la grève conduisit le patronat à céder. 2. L'organisation syndicale des femmes A Lyon, (51)(52)sous l'impulsion du Secrétaire de la CGT BECIRARD, l'Union Départementale, le Syndicat des Métaux, le Syndicat de l'habillement, dont la secrétaire est Jeanne CHEVENARD, se crée le Comité pour la Reprise des Relations Internationales (CRRI) le 28 septembre 1916. Jeanne CHEVENARD crée un groupe antimilitariste sous le nom de "Nid Rouge" en rassemblant des militants du CRRI et de CQFD (Ce qu'il Faut Dire) de l'anarchiste stéphanois Sébastien FAURE. Pour le 18 mars 1917, le NID prévoit d'organiser une grande manifestation de rue contre la guerre. 10.000 tracts sont distribués en ville et à la sortie des usines. Une perquisition au siège du Nid Rouge, à la demande du Préfet désorganise complètement l'initiative. Il est difficile d'énumérer les divers mouvements de grève dans la région lyonnaise tant ils sont nombreux mais dont les revendications sont communes : égalité des salaires homme-femme ; augmentation des salaires ; retour des poilus. S'il fallait souligner la place prise par les femmes dans la lutte, la décision du 30 mai 1918 de l'Union des Syndicats ouvriers du Rhône serait là pour le démontrer. Elle décide de créer une "permanence féminine" à l'Union dont voici la justification : "En raison de l'entrée de plus en plus considérable de la femme dans l'industrie, de la création de sections féminines dans les syndicats, du nombre toujours croissant des femmes venant à l'Union pour des renseignements, et surtout en raison des nombreuses demandes faites à l'Union pour avoir un orateur pour les réunions syndicales [...] Si nous ne voulons pas voir par la suite de la présence de la femme dans les usines nos salaires avilis, et nos conditions de travail si chèrement acquises, mises en péril, il faut que nous obtenions qu'à travail égal, la femme touche un salaire égal à celui de l'homme [...] Nous ne voulons pas qu'à l'horrible tragédie succède la lutte des sexes, remplaçant la lutte de classes dont le patronat tirerait tous les avantages." Le Comité général a désigné pour la permanence provisoire la camarade Jeanne CHEVENARD, secrétaire du Syndicat de l'Habillement du Rhône. C'est pour Jeanne CHEVENARD le début d'un long engagement en faveur des femmes. Elle réussira à faire prendre en compte ce que l'on va appeler la "question des femmes" dans une CGT qui reste très machiste. Elle sera déléguée à la propagande concernant les femmes, et à ce titre sillonnera la France, participera à divers Congrès Internationaux. Son anarchisme originel, doublé d'un anticommunisme virulent la conduiront jusqu'à une collaboration active avec Vichy, ce qui lui vaudra d'être abattue par la résistance le 29 juin 1944 dans son jardin de Parilly. En résumé on peut dire que si le mouvement ouvrier est pour le moins déstabilisé par la situation de guerre et surtout par le choix fait par la majorité de se fondre dans l'Union sacrée, une minorité active fortement animée par les anarcho-syndicalistes dont le combat sera à double dimension : reprise des relations internationales pour imposer la Paix, défense de la situation des femmes à égalité de droit avec les hommes. D. D'AUTRES ENGAGEMENTS Il faut aussi rendre compte des actions qui sont menées en même temps que les luttes ouvrières, sans que l'on puisse les en dissocier, et qui concernent la Paix et l'Internationalisme. Si l'on trouve parmi les responsables politiques ou syndicaux des militants contre la guerre et pour la reprise des relations internationales, (Merrheim, Bourderon, Monatte, Rosmer, les députés Brizon, Alexandre Blanc, Raffin-Dugens), on trouve beaucoup de femmes engagées dans ce combat. Ainsi : Louise SAUMONEAU couturière, syndicaliste socialiste. Elle lance en 1912 un journal "La Femme socialiste" dans lequel elle combat l'alliance avec les féministes bourgeoises au sein du mouvement des femmes. Elle démissionne du parti socialiste fin 1914 qui s'est rallié à l'Union sacrée, édite sous forme de brochure ses écrits contre la guerre. Elle diffuse en janvier 1915 l'"Appel aux femmes socialistes de tous les pays" de Clara Zetkin. (52) Lucie COLLIARD (53), membre de l'Amicale des Instituteurs et Institutrices, elle milite pour sa transformation en syndicat. Membre de la SFIO dès 1912 elle est révoltée par le ralliement des socialistes à l'Union Sacrée et devient une militante pacifiste. Elle participe au Congrès de Paris en 1916 ce qui lui permit d'établir des contacts avec les milieux internationaux de Genève où elle rencontra Lénine, et de Vevey où elle rencontra Angelica Balabanoff. Surveillée par la police, objet d'une grève des élèves suscitée par des parents qui ne peuvent accepter son militantisme, elle fut trainée en justice et condamnée en mars 1918 à deux ans de prison assortis d'une amende de mille francs. Amnistiée à la fin de la guerre elle fut cependant révoquée de l'enseignement en 1919. Marie GUILLOT (54), institutrice, syndicaliste de l’École Émancipée, défenseur résolue des femmes, elle sera la première femme à entrer au Bureau Confédéral de la CGT-U suite à la démission de son collègue Louis Bouët. Hélène BRION (55): institutrice, syndicaliste, féministe. En 1912, elle entre au Comité confédéral de la CGT, devient secrétaire générale par intérim en 1914. Empêchée par la police de se rendre aux conférences de Zimmerwald et de Kienthal, en 1915, sa correspondance interceptée par la police sera retenue à charge lors de son procès de novembre 1917. "L'accusation prétend que sous prétexte de féminisme, je fais du pacifisme. Elle déforme ma propagande pour les besoins de sa cause : j'affirme que c'est le contraire [...] Je suis ennemie de la guerre parce que féministe, la guerre est le triomphe de la force brutale, le féminisme ne peut triompher que par la force morale et la valeur intellectuelle." Condamnée à trois ans de prison avec sursis par le Conseil de Guerre, révoquée de l'enseignement avec effet au 17 novembre 1917. Elle ne sera réintégrée que 7 ans plus tard (en 1924, victoire du Cartel des Gauches, JPR). D'autres femmes s'engagent dans des formes d'action qui n'ont pas de motivations syndicale ou politique, mais qui ne sont pas moins importantes. Je vais citer deux noms : Marie CURIE (56-57(58) double lauréate du prix Nobel. Après la découverte du rayonnement radioactif de l'Uranium par H. Becquerel en 1898, Marie Curie et son mari Pierre découvrent dans les sels d'uranium deux autres éléments émettant un rayonnement plus intense le Polonium et le Radium. Pour ces découvertes Becquerel, Pierre et Marie Curie reçurent en 1903 le Prix Nobel de physique. Elle est chargée de cours le 1er mai 1906 en remplacement de Pierre, son mari décédé accidentellement le 19 avril 1906. Sa leçon inaugurale est ainsi saluée par "Le Journal" : "C'est une grande victoire féministe que nous célébrons en ce jour. Car, si la femme est admise à donner l'enseignement supérieur aux étudiants des deux sexes, où sera désormais la prétendue supériorité de l'homme mâle ? En vérité, je vous le dis : le temps est proche où les femmes deviendront des êtres humains." En 1911 un second prix Nobel, de Chimie vient couronner ses travaux sur le radium et le polonium. "Et c'est la guerre. Elle révèle d'une autre manière le courage, la générosité, l'esprit de solidarité de Marie Curie car il lui faut participer à la lutte de son pays d'adoption. Le service de santé des armées est dépourvu de tout équipement de radiodiagnostic. Marie Curie obtient le matériel radiologique nécessaire, organise ses équipes, forme des opératrices. En quelques mois, ses efforts portent leurs fruits : une vingtaine de voitures, on les appelle les "Petites Curie", et plus de deux cents postes fixes sont déployés dans la région des combats. Elle circule sans cesse, conduit sa voiture au front, veille à la qualité des installations, s'enquiert des besoins. Sa fille Irène est à ses côtés. Toutes deux subissent sans doute là, au cours de ces heures de dévouement, les irradiations dont les effets devaient plus tard les emporter". (François Mitterrand 1995)
Clotilde BIZOLON (1871 1940) (58) dite "la maman des poilus". Dès les premiers jours de la guerre Clotilde Bizolon, veuve de 43 ans, cordonnière dans le quartier d'Ainay (Lyon), prend l'initiative de dresser, à l'entrée de la Gare Perrache une buvette en plein air (Le Déjeuner du Soldat) pour servir gratuitement des boissons chaudes et des casse-croûtes aux soldats de passage afin de leur apporter un réconfort moral et matériel. C'est, dit-on, en mémoire de son fils Georges, mort au front en mars 1915, qu'elle poursuit quotidiennement son œuvre jusqu'en 1919. Elle la finance d'abord sur ses propres deniers et par les dons qu'elle collecte auprès d'amis, voisins et passants. Un peu plus tard la municipalité lui apporte également son soutien en transformant son comptoir de fortune en cabanon fixe, fait de murs en bois et d'un toit en zinc. Elle devient rapidement célèbre parmi les combattants qui bientôt la surnomment "la maman des poilus". (Peggy Bette : Catalogue de l'exposition "Lyon sur tous les fronts!" 2015) *** Irais-je jusqu'à dire que pendant que les hommes se battent sur le front, les femmes se battent sur un autre front et leur lutte est dans la continuité de la lutte syndicale enrichie de dimensions nouvelles. La CGT engluée dans la stratégie de l'Union Sacrée, malgré les interventions des minoritaires internationalistes, aura failli. Il ne s'écoulera pas longtemps pour qu'une crise éclate dans le mouvement ouvrier syndical et politique qui débouchera en 1920 sur la transformation de la Section Française de l'Internationale Ouvrière (SFIO) en Section Française de l'Internationale Communiste (SFIC), et la création en 1922 de la CGT U Unitaire). La Paix revenue, globalement, chacun retrouva sa situation antérieure, les hommes au travail, les femmes à la maison. Mais l'expérience acquise du travail féminin, apprécié pour diverses raisons par le patronat, tout en esquivant la question de l'égalité, marque le début d'une évolution positive. Mais il reste encore beaucoup à faire.
Clara Zetkin et Rosa Luxemburg Bibliographie : - "Combats de femmes 1914-1918, Les françaises, pilier de l'effort de guerre", Dirigé par Evelyne MORIN-ROTIREAU, Editions Autrement, 2014. - « La vraie histoire des femmes de 14-18 », Franck et Michèle JOUVE, Chronique Editions 2013 - « Femmes égalité de 1789 à nos jours », Avant propos de Fanny COTTENÇON, Editions Messidor, 1990. - Biographies extraites du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier : le « Maitron ». Pour la totalité de l'iconographie, utilisez l'entrée "Envoyer un message", colonne à gauche du texte. |
Les femmes et la guerre de 14-18 (1ère partie)
Voici le texte et (une partie de) l'iconographie
d'une conférence prononcée par Alain Bujard dans le cadre de notre association L'Improbable
dont je vous ai déjà parlé. Avec le centenaire de 14-18, il est inutile
d’expliquer le choix du sujet de cette conférence. Alain Bujard, commença sa
conférence par une boutade : "qu'y-a-t-il
de plus méconnu que le soldat inconnu ? réponse : sa femme". Pendant
des décennies, en effet, peu de travaux ont été réalisés sur la place et le rôle
des femmes durant la guerre. Sans doute, était-il « normal » de
donner la priorité aux Poilus qui subissaient la plus terrible des épreuves, mais
sans le travail des femmes à l’arrière, ces derniers n’auraient pu défendre la
patrie dans les meilleures conditions. On sait que cette guerre fut une guerre
TOTALE : à la dimension militaire s’ajoutèrent l’économie et les finances,
la fabrication du matériel et des munitions, la logistique, le médical et l’infirmerie,
la propagande, etc… Sans ce « reste », les militaires n’auraient pas pu
se battre efficacement or les femmes y jouèrent un rôle essentiel. La
bibliographie, courte et pratique de Bujard, donne quelques pistes. La partie
consacrée aux ouvrières est intéressante en ce qu’elle montre non seulement la
place des femmes mais leurs actions pour ne pas subir la pire des
exploitations. Beaucoup d’entre elles furent donc des militantes et des
dirigeantes syndicales. J’ai mis en « cul-de-lampe » les photos de
Clara Zetkin et de Rosa Luxembourg, deux femmes hors normes, qui donnèrent à
leur action une dimension mondiale et universelle.
Ce travail que je présente ici peut donner la matière à une ou deux leçons au collège et/ou au lycée. Malheureusement, je ne puis publier l’intégralité de l’abondante iconographie rassemblée par Alain Bujard. Photos et images consomment, en effet, énormément de place, et mon site arrive à une dimension telle qu’il va falloir que je paie une sorte de loyer à Google ! si, si c’est sérieux. Ceux d'entre-vous qui désireraient l'intégralité de cette iconographie peuvent me la demander en utilisant l'entrée "Envoyer un message" (regardez la colonne à gauche "navigation"). Alain Bujard passe une bonne partie de son temps à diriger/animer, avec d’autres, l’Institut d’histoire sociale de la CGT - Rhône-Alpes. Outre l’enrichissement de l’histoire, cela lui donne accès à une extrême richesse documentaire. Merci à lui de nous en faire profiter. Jean-Pierre RISSOAN plan général Présentation - Les paysannes - Les infirmières - Les marraines de guerre - Les ouvrières Les femmes et la guerre de 14-18 (2ème partie) A. Quelques chiffres B. Les conditions de travail Un travail dangereux, un travail dur La question des relations au travail C. Les rapports entre les syndicats et les femmes 1. Femmes en grèveA Paris : « les midinettes », à Lyon, Dans la Loire, à Vienne 2. l’organisation syndicale des femmesD. Autres engagements Bibliographie LES FEMMES ET LA GUERRE DE 14-18
Longtemps dans l'imaginaire collectif d'une culture partagée largement répandue, la guerre de 14 18 est incarnée par le glorieux "poilu" parti dans l'allégresse générale pour une guerre qui ne devait pas trop durer. Petit à petit cette image d’Épinal s'est estompée. La guerre fut "longue et massacrante" comme le dira Georges Brassens, certes à propos de la deuxième guerre mondiale, dans sa chanson "Moi mon colon celle que je préfère". Des noms de lieux hantent les mémoires : Verdun, Les Eparges, La Somme .... et quand on s'interroge sur "l'arrière" c'est dans le registre "Pourvu qu'ils tiennent!" Mais dans cette histoire d'hommes que sont devenues les femmes ? Elles seront les veuves dignes du sacrifice de leurs hommes. Puis, petit à petit leur rôle a été mis en lumière. Sans elles, qui firent tourner la machine économique, quel qu'ait été l'engagement des hommes sur le front, rien n'aurait été possible. Il ne faut pas en déduire, par un raisonnement d'un pacifisme à courte vue qu'elles portent une lourde responsabilité dans la guerre, son déclenchement, sa poursuite. Après tout l'opposition à la guerre a été le fait de quelques individualités tant masculines que féminines. L'originalité de la situation des femmes par rapport à la guerre tient au fait que tout en faisant tourner l'industrie de guerre, elles se mobilisent contre leurs conditions de travail, pour faire avancer leur condition de femmes, pour la paix. C'est un peu le pendant de ce que les hommes incarneront avec les mutineries. A travers la présentation des diverses activités des femmes pendant la guerre j'ai tenté d'éclaircir ces questions. Alain BUJARD LES PAYSANNES En août 1914 les paysans ont été mobilisés en masse, au moment même des moissons : 3,7 millions d'agriculteurs sur les 5,2 millions que compte le pays sont mobilisés. Ne restent que les jeunes, les vieux, les faibles. 850.000 femmes d'exploitants et 300.000 ouvrières agricoles labourent, sèment, fauchent. Les rendements s'en ressentent : la récolte de blé de 1917 n'est que de 39 millions de quintaux, à peine la moitié de celle d'avant guerre. Même au ralenti cependant la machine agricole a tourné grâce aux femmes. Le président du Conseil, André VIVIANI avait lancé le 7 août 1914 un vibrant appel aux femmes des campagnes pour prendre la relève de leurs maris : "Debout, femmes françaises, jeunes enfants, filles et fils de la patrie. Remplacez dans les champs ceux qui sont sur le champ de bataille. Préparez-vous à leur montrer, demain, la terre cultivée, les récoltes rentrées, les champs ensemencés ! Il n'y a pas, dans ces heures graves, de labeur infime. Tout est grand qui sert le pays. Debout ! A l'action ! A l'œuvre ! Il y aura de la gloire pour tout le monde. Vive la République ! Vive la France ! Les femmes doivent tout faire : (2-3) décider des productions, diriger la main d'œuvre renforcée par quelques milliers de prisonniers et ouvriers agricoles étrangers, labourer, semer, rentrer les foins, conduire la charrue, tailler les vignes, vendre les produits sur les marchés, où elles sont en butte aux ménagères qui trouvent trop élevés les prix du beurre et des pommes de terre. La mécanisation des travaux agricoles en est encore aux balbutiements et les machines ne sont pas adaptées aux femmes. Les fabricants de matériel agricole vont lancer, à grand renfort publicitaire des machines d'un maniement plus commode, telles les "moissonneuses-batteuses qu'une femme peut conduire" (4-5). Pour aider les femmes le gouvernement va soutenir une initiative privée de ferme-école en Seine et Oise (Saint Germain en Yvelines), mais nous sommes déjà en 1917. (6-7) A toutes ces difficultés viennent s'ajouter les réquisitions (8) de bétail pour l'armée (vaches, chevaux), le tout débouchant sur une pénurie agricole dans les années 1917/1918. LES INFIRMIÈRES La profession d'infirmière ne voit le jour qu'au début de la troisième République, lorsque le Conseil municipal de Paris décide en 1877 de la laïcisation des hôpitaux et la création de Centre de formation du personnel soignant. Jusque là les soins donnés aux malades étaient le monopole des congrégations religieuses. La Croix Rouge, qui à l'époque regroupe trois organisations différentes, se mobilise dès le début de la guerre. Sur le front elle met en place des "ambulances chirurgicales", au passage signalons que le front est interdit aux médecins femmes lesquelles si elles veulent exercer doivent s'engager comme infirmières. A l'arrière, la Croix Rouge organise des Hôpitaux militaires (il y en aura environ 1400 à la fin de la guerre), en même temps que la formation et l'encadrement de 68.000 infirmières, elle met en place des péniches-ambulances, des ouvroirs, et organise les aides aux soldats. A Lyon la formation est assurée par les Hospices civils. Ce n'est qu'en 1923 que sera créée l’École d'Infirmières et de Visiteuses de Lyon. (9-10) Les personnels de santé ont rarement vu une telle accumulation d'horribles blessures et de corps fracassés que pendant la Grande Guerre (1.700.000 morts civils et militaires). Du côté français, au début du conflit, les structures militaires de santé sont légères. Comme on pense que la guerre sera brève, aucun hôpital n'a été prévu près de la frontière de l'Est et du Nord. Les régiments ne peuvent compter que sur les médecins et les unités d'infirmiers qui leur sont attachés. Les emplois offerts par la Croix Rouges sont souvent l'opportunité offerte aux jeunes filles de la bourgeoisie de s'engager dans une activité charitable, bénévole, mais laïque. (11) Les infirmières continuent cependant d’être considérées comme du personnel subalterne. Si les religieuses ne perçoivent qu'une indemnité modeste, les "laïques" sont traitées de "mercenaires cupides, vénales, sans qualité de cœur". Et comme elles ne font pas vœu de chasteté on leur prête des mœurs dépravées. Toucher le corps de l'autre n'est pas anodin. Pour éviter ces critiques on impose aux infirmières des conditions de vie très proches du modèle religieux : internat, ce qui interdit souvent le mariage, disponibilité sans limite, uniforme sévère avec voile, rétribution modeste. Voici le témoignage de l'une d'elles :
"Il n'y a pas que les risques physiques du métier, très réels et exponentiels en temps de guerre : infections contractées en salle d'opération, au chevet des blessés ou au contact de morts, maladies contagieuses (typhus, choléra, tuberculose ...) auxquels s'ajoutent les bombardements et intoxication par les gaz dans les zones proches du front, les affrontements directs avec l'ennemi dans les hôpitaux des zones occupées. Il y a aussi la charge mentale à supporter au quotidien : assister aux plus épouvantables amputations, garder l'odeur du sang et du pus dans les narines, regarder mourir des garçons de vingt ans qui appellent leur maman, ne pas pouvoir trouver les mots qui feraient supporter l'insupportable, être le dernier visage auquel s'accroche un moribond, la main qu'il serre et qui va lui fermer les yeux. C'est peut être une guerre d'usure sur le front, mais l'usure règne ici aussi, sur le deuxième front. Et quand on a réussi à sauver des soldats, à leur redonner le moral, voila qu'il faut les chasser de leur refuge pour les renvoyer au casse pipe. Une fois la semaine, je suis le bourreau qui exécute et, quand je leur annonce leur départ, je lis de la haine dans leurs yeux. Ils me gardent rancœur de les inscrire sur la fatale liste. Rescapés ils ont peur et manquent d'enthousiasme, c'est si humain que l'on ne saurait leur en vouloir". Lucienne MARTINEAU "Journal d'une infirmière, Hôpital temporaire X, 1915" (12-13) LES MARRAINES DE GUERRE Les femmes manifestent, dès le début de la guerre un grand élan de solidarité avec les soldats, dicté à la fois par la compassion et le patriotisme (14). Il prend plusieurs formes. Outre les infirmières qui s'engagent par milliers au front ou à l'arrière, se crée un vaste réseau féminin de soutien des poilus : celui des "marraines de guerre", initiative spécifique des Françaises, encouragée par les autorités dans un premier temps (15). La marraine entretient une correspondance avec le "filleul", qui est en principe choisi avec l'accord de l'officier commandant de l'unité. Elle lui envoie des colis de denrées et, à partir de 1916, peut même le recevoir en permission dans sa famille. La presse passe des petites annonces de femmes et de soldats. Les autorités finissent par craindre que l'espionnage ne profite du phénomène. Ce mouvement promu par Madeleine Clémenceau-Jacquemaire, fille de Georges Clémenceau, n'en concourt pas moins à la consolidation du moral des troupes en venant notamment en aide à de jeunes soldats sans attaches et à ceux des régions envahies. Les institutrices se révèlent des marraines très actives : elles connaissant l'art d'écrire des lettres et font adopter des filleuls par leurs élèves. Le conflit qui ne devait durer que quelques mois s'éternise. Le soutien du moral du soldat devient une nécessité vitale pour l'armée, mais aussi pour la nation. Il s'agit de maintenir la combativité en même temps que la discipline militaire. Quelques initiatives timides, ouvertures de quelques foyers du soldat, où l'on ne peut pas même boire du "pinard", tournées de théâtre aux armées, montrent vite leurs limites. La Grande Guerre a séparé les hommes des femmes, séparation qu'une intense correspondance, et quelques retrouvailles lors de courtes permissions ne peuvent réparer. Les soldats des régions envahies du Nord et de l'Est n'ont même pas cette opportunité, et c'est pour eux que Mademoiselle de Lens crée en janvier 1915 "la Famille du Soldat". Son objectif est d'apporter à ces soldats le soutien de femmes généreuses pour palier la séparation qu'occasionne le front. Voici comment l'une des fondatrices Henriette de VISMES voit leur rôle : Les vraies marraines et les vrais filleuls, la vraie pitié et le vrai malheur ont d'autres sollicitudes et des visées plus hautes [...] Et si parfois, dans les heures immobiles au fond de la tranchée où la nuit triste peu à peu descend, un jeune filleul se prend à rêver plus ému à sa jeune marraine, c'est pour l'apercevoir au-dessus de lui, parée de toutes les grâces, mais aussi de toutes les vertus, intangible et presque sacrée, sous les traits d'un ange ou d'une saint descendue du ciel pour le secourir. On peut imaginer les commentaires qu'a pu susciter la lecture de ce texte dans les tranchées. Reconnaissons cependant qu'il est dans l'air du temps qui voulait ignorer l'expression de besoins bien plus terre à terre. La sexualité ne saurait être évoquée et encore moins la sexualité vénale, pourchassée et bannie d'une France qui n'aurait plus le goût de la gaudriole. (16-17-18-19-20-21-22-23-24-25). L'autorité militaire fait la chasse aux prostituées qui travaillent contre l'intérêt du sang et de la race, agents propagatrices de la syphilis et pourquoi pas agents de l'ennemi. Pourtant ce recours aux prostituées ne doit pas cacher le fait que les relations sexuelles entre d'une part les appelés et d'autre part leurs fiancées vont se multiplier comme en témoigne l'augmentation importante du nombre de naissances hors mariage. Par ailleurs, force est de constater que, revenus des premières lignes, les hommes se précipitent dans le premier lupanar venu pour se prouver qu'ils sont encore vivants. A Paris, autour de la Gare de l'Est d'où partent les poilus pour le front et arrivent les permissionnaires, des centaines de filles attendent et démarchent les soldats. C'est devenu le grand centre de prostitution de la capitale.(26) On observe la même chose, à Lyon dans le quartier de Perrache, où, selon le Préfet en août 1917,"la place Carnot et les rues proches de la Gare appartiennent, à partir de 22 heures aux filles et aux souteneurs". Finalement la circulaire du général Mordacq -je dis bien Mordacq en non Morbaque- crée les bordels militaires le 13 mars 1918 dans les zones proches du front. Le règlement qui en découle précise que le bordel sera exclusivement réservé aux militaires, détaille la liste du matériel et des produits prophylactiques pour servir ante- et post-coït. Dans le même temps que l'on organise ces établissements, on interdit aux épouses de rencontrer leurs maris dans les cantonnements toujours au nom du même prétexte : le risque d'amollir le moral des troupes.La "Vie parisienne" ironise : "Le beau sexe n'a pas besoin de s'exposer inutilement à recevoir des marmites [obus de gros calibre], le pot au feu doit lui suffire."
Le lieutenant-colonel, directeur de l'hôpital militaire belge du Cap-Ferrat à la Direction du Figaro
Monsieur le Directeur, M'autorisant de votre bienveillante sympathie pour tous ceux qui souffrent physiquement et moralement de la guerre, j'ai l‘honneur de vous prier de bien vouloir me faire parvenir l'adresse des marraines désireuses de suppléer, auprès de quelques-uns de nos hospitalisés belges particulièrement déshérités, la mère qui se languit de son gars, la sœur trop pauvre pour lui envoyer ces friandises plus appréciées que la nourriture. Au regret du pays perdu, du foyer souvent dévasté, se joignent pour nos protégés les angoisses de leur santé. Plus que tous les autres, ils ont besoin de mots affectueux, de ces lettres pleines de soleil et de tendresses maternelles. La plupart des femmes belges, qui ne sont pas sous le joug de l'envahisseur, veillent au chevet des malades et ne possèdent pas leurs ressources d'avant la guerre. La femme française excelle dans ce rôle si délicat et si élevé de consolatrice. Voulez-vous, monsieur, être assez bon pour m'aider à découvrir les âmes généreuses qui aideront au réconfort et à la guérison morale, prélude très souvent de la santé recouvrée? Veuillez agréer, monsieur, l'assurance de mes sentiments très distingués. Le lieutenant-colonel, Directeur de la gestion, H. LOPPEUR.
Si quelques-unes de nos lectrices sont désireuses de répondre à ce touchant appel, il nous semble que le plus simple pour elles, est d'écrire directement au dévoué directeur de l'hôpital militaire belge du cap Ferrat. Mais il est bien entendu que nous transmettrons nous-mêmes leurs offres généreuses à l'œuvre, si elles le préfèrent.
Nous recevons cette lettre 13 février 1917. Monsieur, Étant rapatrié d'Allemagne et sans relations, je vous serais reconnaissant si vous pourriez me mettre en rapport avec une correspondante sentimentale (Sic). Dans l'espoir… etc.
Le signataire est un infirmier à qui nous regrettons de ne pouvoir procurer l'honnête joie qu'il sollicite. Mais nous l'avons maintes fois dit, et puisque la poste continue de nous apporter quotidiennement, par paquets, des lettres semblables à celle-ci, nous sommes bien obligés de le redire encore : Nous ne tenons compte sauf exceptions, bien entendu que des lettres apostillées par des chefs. Et s'il s'agit d'une demande de marraine, nous laissons de côté sans exception tout billet dont le signataire nous déclare ingénument ou nous laisse entendre avec esprit que ce qu'il cherche, c'est une liaison «désintéressée»; le plaisir de correspondre avec une femme dont, en général, le signalement sommaire nous est fourni. Quelques-uns, tel le rapatrié dont on vient de lire la lettre s'en remettent à nous du soin de choisir leur correspondante. Mais même si cette liberté nous est laissée, nous préférons nous abstenir. Il y a diverses raisons à cela, sur lesquelles nous nous sommes expliqués. En un mot, l'idylle n'est pas notre affaire.
à suivre... Les femmes et la guerre de 14-18 (2ème partie) |
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