"Le nom de la rose" - le film ou le livre, le film et le livre,- suscite l'envie de rester à baigner dans l'ambiance médiévale.Le nom de la rose (Eco - Annaud) 1986 je me suis souvenu que je possédais un vieux cours d'agrégation avec le plan de l'abbaye de Saint-Gall qui avait été donné à commenter aux agrégatifs par la professeur Marcel PACAUT, professeur au centre de télé-enseignement et à l'université de Lyon. C'était un grand monsieur, qui était resté un pédagogue, capable de se lever pour écrire un mot compliqué à la craie sur le tableau noir. Tous les universitaires ne le font pas. Rappelez-vous ! Je publie donc, à la fois, la reproduction du plan de l'abbaye telle qu'elle figure dans le livre de Jacques Le Goff (c'était le document à commenter) et le corrigé de M. Pacaut. Le corrigé est éblouissant de clarté, c'est surtout pour cela que Pacaut était un pédagogue. Hommage. J.-P. R. L’Abbaye de Saint-Gall
Nous avons affaire ici à un plan de l'abbaye de Saint Gall, au sud du lac de Constance, fondée vers 614 par le moine Gall, disciple de Saint Colomban (543-615), devenue bénédictine en 747, monastère de toute première importance aux 9ème et 10ème siècles. Ce document, dessiné sur cinq peaux de parchemin a été envoyé à Gauzbert, abbé de Saint Gall de 816 à 836, sans doute par Heito, évêque de Bâle et abbé de Reichenau. Il a sans doute été utilisé pour la reconstruction de l'abbaye, dans les années 830. Il intervient, pour un monastère bénédictin peu après le règne de Charlemagne, qui a profondément marqué l'histoire monastique, et dans les années qui suivent immédiatement la réforme de Benoît d'Aniane et le capitulaire monastique de 817. Il offre donc un grand intérêt pour découvrir à partir de lui ce qu'est le monachisme à Saint Gall et pour estimer l'impact de la politique de Charlemagne et de la réforme de Benoît d'Aniane (747-821). En revanche, ne comportant aucune élévation, il est difficile à utiliser pour une véritable étude structurale. Analyse (c'est-à-dire description) L'examen du document permet de constater qu'il s'agit d'un ensemble assez vaste (130 mètres de longueur sur 100 mètres de largeur), dont une partie (église, bâtiments culturels, habitat des religieux), est construite en gros murs, le reste en murs moins épais et peut-être en bois. Il montre une répartition très fonctionnelle : d'une part, l'église et les bâtiments où vivent les moines et les novices ; d'autre part, des bâtiments d'études (écoles, bibliothèques, scriptorium) ; enfin, des bâtiments de travail (boulangerie, brasserie, herboristerie, palefreniers…). Cela permet d'ordonner le commentaire. 1 Le monastère comme foyer de vie monastique A. Les bâtiments d'habitation - dortoir et réfectoire : le dortoir correspond au n°11 et deuxième étage – le premier étage sert de chaufferie pour le dortoir – et le réfectoire qui ferme le côté sud du cloître est connecté sur les cuisines (n°13), elles-mêmes communiquant avec la boulangerie (n°16) et la brasserie (n°17). Cela indique le nombre de moines (70), la vie en commun : cela est bénédictin. - La maison des novices est à part. Cela est aussi bénédictin ; elle se situe derrière le chevet de l’église abbatiale ; elle possède son propre cloître et sa petite église. - Le logement de l'abbé à part : cela n'est pas réellement bénédictin mais existe souvent ailleurs. La politique de Charlemagne (abbés qui exercent des pouvoirs, abbatial laïc) explique cela. Le confort général (le dortoir possède ses bains (1) et ses latrines (35) réservés et distincts, le nombre de latrines est élevé –cf. le plan de l’abbaye sur son côté nord -) est, aussi, peu bénédictin. B. L’église. - Son importance – elle s’allonge sur 90 m environ - Les traits de son architecture Les deux absides, les tours : cela marque l'influence d'une architecture germanique (Cologne, Reichenau). - Sa position centrale par rapport aux pièces où vivent les moines. Le rôle du cloître. Tout cela fait penser à un monastère conçu selon le système bénédictin (vie en commun), mais n'exclut pas d'autres influences. - Ses particularités : il y a 17 autels ce qui indique qu'on y dit beaucoup de messes donc que la majorité des moines sont prêtres (fait qui n'existe pas dans le monachisme primitif et a été surtout répandu par les colombaniens). Il y a un chœur occidental, la principale entrée vers l'ouest (tours), un ambon (n°3 sur le plan, c'est une tribune pour la lecture de l’évangile et de l’épître, JPR), des fonts baptismaux : tout cela prouve que l'église est ouverte aux fidèles laïcs pour le culte, pour les pèlerinages (tombeau de Saint Gall, importance du culte des saints à cette époque). Tout cela montre un monachisme ouvert au monde donc peu bénédictin dans son esprit et peu conforme à la réforme de Benoît d'Aniane (encore que les bâtiments où vivent les moines soient enfermés et clos par les autres bâtiments). Mais conforme à ce que voulaient Charlemagne et les moines depuis le VIIème siècle (anglo-saxons) : évangélisation, prédication, encadrement des fidèles. C. L'ouverture au monde.D'autres éléments indiquent cette ouverture : - il n'y a pas de clôture marquée par une construction ; - les bâtiments d'hospitalité et de traitement des malades sont importants. - on réserve des bâtiments pour les hôtes de marque et pour l'empereur : preuve que Saint Gall est une abbaye royale, exempte (c'est-à-dire exempte de l'obéissance à l'évêque du lieu) et renommée. L'étude des activités intellectuelles confirme ces constatations. 2. Le monastère comme centre de culture. A. Le travail intellectuel des moines : la bibliothèque - Elle existe ici : dire qu'elle est et va être très riche. - Cela est conforme à la règle bénédictine, surtout lorsqu'on constate que les principaux ouvrages sont des livres de spiritualité ou de sciences religieuses. - Cela est un indice de la valeur de la Renaissance carolingienne (et ici comptent les ouvrages profanes) et de l'un de ses traits fondamentaux, à savoir qu'elle conduit à une culture monastique B. Le travail intellectuel des moines : le scriptorium Le mot scriptorium - n°5 sur le plan - (pluriel scriptoria) est un mot latin dérivé du verbe scribere qui signifie "écrire". Ce nom désigne l'atelier dans lequel les moines copistes réalisaient des livres copiés manuellement, avant l'introduction de l'imprimerie en Occident. Il est directement accessible depuis la nef de l'église (et inversement). Sa présence est aussi un indice de la Renaissance et de la volonté de Charlemagne en ce domaine. Mais c'est encore davantage conforme à l'esprit de la règle bénédictine. C. Les écoles : Il y en a deux. L'une est liée au noviciat : école interne. L'autre est "ouverte" (ou "extérieure") : on retrouve là les idées de Charlemagne (culture, christianisation) et un fait en contradiction avec la règle bénédictine mais non absolument avec la réforme de Benoît d'Aniane qui a demandé que, pour le moins, les deux écoles fussent nettement séparées. 3. Le monastère comme centre de travail manuel A. Les activités agricoles - En faire le bilan,
c'est-à-dire tirer de l'affectation des bâtiments les principales cultures et
les principaux élevages. Noter que cela représente une certaine recherche de
l'autarcie économique, tout à fait conforme aux conditions de l'économie de
l'époque et renforcées sans doute par l'organisation monastique. On cultive des céréales pour le pain (24 = meules ; 23 = greniers ; 16 : boulangeries) mais aussi de l'orge pour la bière (26 = touraille pour le malt ; 15 = brasseries)... - Mettre en valeur certaines originalités : la culture de la vigne (à cause de l'office religieux ; mais la bière peut être la boisson courante). (NB. Saint-Gall étant situé à 675m d'altitude, la culture de la vigne n'y est pas possible. D’ailleurs, le plan n'indique aucun bâtiment consacré au pressoir, ni de cave de conservation et de vieillissement. Les moines devaient acheter leur vin (indispensable pour dire la messe) ou bien posséder des serfs-vignerons, plus bas. JPR). L''élevage du gros bétail -n°28 et 34- (la viande : les moines n'en mangent pas ; c'est donc pour les visiteurs qui doivent être nombreux ; on retrouve ici le monachisme ouvert). - En revanche, rien sur le plan ne permet de préciser l'étendue et l'organisation du domaine (on peut indiquer brièvement que c'était sans doute semblable à ce qui existait dans d'autres abbayes, connues par des polyptiques, telles Saint Germain des Prés, Prüm, etc.). - De même, le plan apprend seulement qu'il y a, pour ces travaux, des domestiques laïcs (surtout bergers), mais il n'indique en rien ce que peut être la participation des religieux, à l'inverse de ce que l'on pouvait déduire du scriptorium, de la bibliothèque et des écoles pour le travail intellectuel. Néanmoins, on peut avancer que, s'agissant d'une communauté dont plusieurs traits essentiels sont notoirement bénédictins, les moines accomplissent un certain travail manuel, mais très minime pour les grands travaux. Surtout du jardinage (on le retrouve sur le plan, n°21). B. Les activités artisanales - Les décrire et les énumérer. Montrer qu'elles ont pour objectif premier de permettre à la communauté de vivre. - Insister sur certaines activités particulières : l'orfèvrerie (pour les objets du culte), la fabrication d'armes (sans doute ornées, sculptées), ces activités étant l'indice d'un certain commerce. - Noter que, en ce domaine, les moines doivent sans doute participer beaucoup à ces travaux, car rien n'indique dans le plan la présence de travailleurs laïcs spécialisés. C'est là leur principal travail manuel (comme l'exige la règle et comme le demande Benoît d'Aniane) et une autre façon, par la fabrication d'objets d'art, de participer à la renaissance lancée par Charlemagne. C La richesse - Elle est difficile à déceler d'après les bâtiments de travail indiqués sur le plan, encore que leur nombre et leur diversité puissent pousser à considérer Saint Gall comme une abbaye très riche. - Mais on la décèle dans l'ampleur générale des bâtiments et dans l'importance accordée aux visiteurs de marque (que l'on traite superbement), aux visiteurs et pèlerins (que l'on accueille avec faveur/ferveur ?), aux malades et aux pauvres (que l'on assiste au mieux, ce qui est un indice supplémentaire de l'observance bénédictine) Conclusion Le
plan de Saint Gall, intelligemment étudié, apporte donc un faisceau d'arguments
qui conduisent à tenir cette abbaye pour un monastère bénédictin (c'est ce à
quoi aboutirait un historien qui n'aurait jamais vu ce plan et à qui on le
soumettrait sans mentionner le nom de l'établissement). Mais ce monastère
n'observe pas la règle bénédictine de la façon la plus stricte. Le monachisme
pratiqué présente des particularités que l'on retrouve ailleurs et qui tiennent
aux objectifs que Charlemagne (et avant lui des clercs et religieux au temps de
Pépin) lui avaient fixés. Il ne suit pas réellement toutes les intentions et
devisions élaborées par Benoît d'Aniane et promulguées dans le capitulaire de
817. Fin du travail de Marcel Pacaut. *** |