publié le 19 mai 2020, 06:48 par Jean-Pierre Rissoan
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mis à jour : 29 juin 2021, 05:07
]
Michel Piccoli est l'une des quatre stars masculines du film "La grande bouffe" avec Mastroianni, Tognazzi et Noiret. Ce fut un film évènement qui est devenu aujourd'hui un film de ciné-club. C'est en effet un film historique maintenant qui est une fable sur les Trente Glorieuses. Je vais d'abord publier cet article de l'Humanité, publié 40 ans après les sifflets du Festival de 1973 puis j'ajouterai des considérations personnelles. JPR.
(crédits aquarelles : Marina Cremonini)
Quarante ans plus tard,
la Grande Bouffe a été digérée
Une
standing ovation pour la Grande Bouffe (la Grande Abbuffata). Michel
Piccoli et Andréa Ferréol n’en reviennent pas. Ce 18 mai 2013, le public
du Festival de Cannes applaudit chaudement les deux acteurs pour fêter
les quarante ans de l’œuvre rabelaisienne de Marco Ferreri. Rien à voir
avec l’accueil hystérique qui leur avait été réservé le 21 mai 1973.
Lors de cette première projection, la Croisette est entrée en
ébullition. Les spectateurs, ulcérés par les orgies de nourriture et de
luxure, huent l’équipe du film. Devant les caméras de l’ ORTF, une dame
choucroutée explose : « C’est un scandale, un scandale ! Et ça gagne du
pognon ! Du pognon sur le dos du pauvre populo ! » L’atmosphère est
houleuse. Des « dégueulasse » et des sifflets fusent. Face à ce
déchaînement, Catherine Deneuve, alors compagne de Marcello Mastroianni,
fume d’un air stoïque. Amusé par la situation, Marco Ferreri, le
réalisateur provocateur, envoie des baisers au public enragé. Le regista
italien semble savourer l’esclandre provoqué par sa "farce
physiologique".
Marcello Mastroianni en pilote d’avion érotomane,
Michel Piccoli en producteur de télé pétomane
Célébration des plaisirs de la chair et satire du milieu
bourgeois, le film a été tourné dans une maison de la rue Boileau dans
le 16e arrondissement de Paris. Marcello Mastroianni y incarne un pilote
d’avion érotomane, Michel Piccoli un producteur de télévision pétomane,
Ugo Tognazzi un restaurateur et Philippe Noiret un juge encore dans les
jupes de sa nourrice. Ce dernier invite tout ce beau monde à un
week-end d’agapes. Pour se gaver de petits plats et faire l’amour.
Jusqu’à ce que mort s’ensuive. Ils sont bientôt rejoints par Andréa Ferréol,
plantureuse et gourmande institutrice qui se donne successivement aux
hommes de la maison. Tout en les poussant au suicide culinaire. Entre la
débauche de mets préparés par Fauchon, le sexe et la scatologie, le
film est un feu d’artifice d’outrance. Comme cette scène où Michel
Piccoli joue du piano avant de décéder dans un concerto de pets. Quant à
Ugo Tognazzi, il lâche son dernier soupir après avoir joui et englouti
un gâteau en forme de basilique Saint-Pierre. Marco Ferreri ne veut pas
seulement montrer que « la vie est une farce », une des répliques du
film. Il dépeint des petits-bourgeois prisonniers de la vacuité de leur
existence. Vautrés dans l’abondance, ils sont tour à tour bons vivants
et blasés. Avec cette goinfrerie morbide, le réalisateur mijote une
critique de la société de consommation proche du déclin. Mais les
esprits étriqués de l’époque n’ont pas goûté cette bouffonnerie. Andréa
Ferréol raconte que la polémique s’est poursuivie bien après la
projection à Cannes. « Il y a eu les pour et les contre dans Paris
Match. Des restaurants à Paris nous interdisaient d’aller manger chez
eux. Un jour, j’étais avec une amie, on mangeait des spaghettis, des
gens m’ont dit : “Vous êtes là Madame, je pars !” » Michel Piccoli se
souvient qu’un agent de la SNCF lui avait soufflé : « C’est terrible
votre vie, il paraît que vous n’aurez plus de travail. » Même les
journalistes de l’époque ont majoritairement vomi cette œuvre. Pour
François Chalais, d’Europe 1 : « Le Festival a connu sa journée la plus
dégradante et la France, sa plus sinistre humiliation (le film
concourait pour la France NDLR). » Quant à Louis Chauvet, du Figaro,
il éprouve « une répugnance physique et morale à parler du film ». De
concert, Ingrid Bergman, présidente du jury à Cannes, l’avait jugé
« sordide ». Ce qui ne l’empêchera pas de remporter le prix de la
critique internationale, ex æquo avec la Maman et la Putain de Jean
Eustache, autre œuvre qui fit bruisser le palais des Festivals. Et de
devenir un succès en salles obscures avec près de 3 millions d’entrées. À
Cannes, les huées ont aujourd’hui laissé place aux hourras. Quarante et
un ans plus tard, la controverse est digérée. Tellement bien qu’on
attend toujours le prochain scandale qui secouera la Croisette.
Cécile Rousseau, 6 août 2014. JPR. : Le film est passé sur les écrans télé récemment. Cela n'a pas été une célébration. Il faut dire que les Français de moins de 60 ans n'ont pas vécu les Trente Glorieuses, ils ont connu la Crise puis les crises, le chômage de masse, la misère de masse. J'ai dit, ailleurs, que le Guerre froide a été une lutte sans merci où tous les moyens furent utilisés. Pensez à cette citation américaine : "Il faut noyer Marx dans le Coca-cola". elle veut tout dire : on limitera le vote communiste en donnant à bouffer aux pauvres, parce que pour les Américains on ne peut pas être communistes pour de hautes raisons idéologiques et morales. La "société de consommation" avait une justification idéologique. Et les efforts furent portés sur cet aspect de la civilisation occidentale.
Au moment du tournage du film, Patrick Topaloff obtenait un disque d'or de la chanson française avec un titre bien connu "j'ai bien mangé, j'ai bien bu" prolongé par des paroles d'époque "j'ai la peau du ventre bien tendu ! merci, petit Jésus"... à la fin de l'année 1973, le gros choc pétrolier ouvrait médiatiquement le début de "la Crise". Le film est évidemment une dénonciation de la société de consommation capitaliste de l'Occident. A quelques mois près, il était hors sujet. Cannes qui avait fait grève en 1968 éructe contre la Grande Bouffe cinq ans plus tard. Ce n'est pas à son honneur. La Droite française du moment s'est déchainée avec ses hérauts, les Jean Cau, les Jean Dutourd, Paris-Match ("voir la Grande Bouffe et ...vomir ? jette J. Cau)" est le fer de lance de cette contre-offensive de la bonne bourgeoisie qui refuse de se voir dans le miroir.
Ce film est comme un point d'orgue pour les Trente Glorieuses, après il n'est plus possible de réaliser de pareils brulots. Ce qui ne signifie pas qu'on ne réalise pas encore quelque gueuleton obscène, à Versailles.
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publié le 17 févr. 2020, 02:17 par Jean-Pierre Rissoan
voici le lien pour un artcile avec lequel je suis en quasi plein accord :
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publié le 15 juin 2019, 01:52 par Jean-Pierre Rissoan
publié le 27 juin 2011 à 15:44 par Jean-Pierre Rissoan
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mis à jour : 28 févr. 2018 à 11:52
]
Le
festival de cinéma de Lyon - ville des frères Lumière, inventeurs - vient de
s’ouvrir. Une version entièrement restaurée du film de Luchino Visconti, Les
damnés, vient d’y être projetée en présence de Helmut Berger. J’y étais.
Je
ne m’étendrai pas sur les qualités esthétiques de ce chef-d’œuvre absolu,
d’autres le font mieux que moi. Je m’attache à ce que le film garde de charge
explosive.
L’œuvre
est rythmée par les étapes de la mise sous tutelle par les nazis des aciéries -
industrie éminemment stratégique - du comte von Essenbeck. Il y en a trois.
- Les
aciéries sont une société par actions, elles appartiennent en majorité au comte
Joachim von Essenbeck, vieil aristocrate qui a le portrait du maréchal
Hindenburg sur sa commode, et qui comme lui méprise totalement Hitler -dont il
ne prononce pas le nom. Compte tenu des circonstances - les nazis sont au
pouvoir et organisent les élections de mars 1933 - le comte accepte de
collaborer, mais ses/ces réticences ne sont pas au goût des nazis qui veulent une
coordination entre le dirigeant de la firme et leur parti. Le comte est
assassiné.
- La
seconde étape est marquée par la présence de Frederick Bruckmann à la tête du
conseil d’administration. C’est un technocrate compétent et ambitieux, qui a
tué le comte sur ordre du cousin S.S. de la famille (c’était la condition mise
pour qu’il accède au sommet de la firme). Il est l’amant de la belle-fille du
comte, veuve depuis 14-18 où le fils aîné a été tué. Son idéal : lui qui
sent sa roture, voudrait devenir aristocrate, Sophie von Essenbeck, veuve
joyeuse, obtient des nazis qu’il lui soit octroyé le nom de « von
Essenbeck ». Mais le nouveau couple a ses propres projets. Et lorsque le
S.S. lui demande de l’argent pour les élections, Frederik lui répond que cela
ne peut pas se faire du jour au lendemain, qu’il faut falsifier les comptes de
l’entreprise, etc…Bref, ce n’est pas parfait encore pour les nazis.
- Dernière
étape : les aciéries sont dirigées par Martin von Essenbeck, petit-fils du
comte, orphelin de guerre, pervers polymorphe, violeur de petites-filles, et
aussi, last but non least, actionnaire majoritaire (ce dont sa mère,
Sophie, et son nouveau beau-père Frederick, avait voulu le dépouiller). Martin
a adhéré au nazisme, il porte l’uniforme S.S. : l’acier coulera sans
problème pour les besoins de guerre de la Wehrmacht. 
Le
thème de la table court le long du film. Lorsque le vieux comte annonce ses
décisions à la famille, on est une douzaine à table, tout est rutilant, les
serviteurs sont plus nombreux que les convives, et les bougies aussi lumineuses
qu’à Versailles. Le comte frappe trois fois pour obtenir le silence et parle
dans un silence religieux. Avec Bruckmann von Essenbeck,
les « survivants » comme dit Martin - les nazis ont déblayé le terrain
- ne sont plus que cinq autour de la table trop longue. Pour prendre la parole,
il frappe un puis deux coups mais n’ose frapper le troisième : il se sent
fragile. Martin, lui, frappe les trois coups. Mais il est seul à table, presque
dans la nuit.
Tout
cela est magistralement mis en scène.
Le
film n’a pas perdu de sa charge explosive car on est dans un débat où les
révisionnistes historiques mettent un signe d’égalité entre fascisme et
communisme. Ainsi, F. Furet : « Le mouvement fasciste s'est nourri
de l'anticommunisme, le mouvement communiste de l'antifascisme. Mais tous les
deux partagent une haine du monde bourgeois qui leur permet aussi de s'unir »….
Je me demande bien où Furet à vu une union, fût-elle électorale, entre
communistes et fascistes. Calomnie délibérée. Passons. Le film montre bien le
respect des nazis pour la propriété privée. Lorsque Sophie envisage de
déposséder son propre fils, c’est le cousin S.S. qui doit lui rappeler que
Martin reste l’actionnaire majoritaire. A aucun moment, il n’est question
d’étatiser les aciéries alors qu’il s’agit d’un moyen de production essentiel
pour l’industrie de guerre des hitlériens.
Il
est vrai que les hitlériens eux-mêmes avec leur audace diabolique n’ont pas
hésité à déclamer suivant en cela leur führer : "Le rôle de la
bourgeoisie est terminé à tout jamais, mes chers camarades... Quant aux
rejetons dégénérés de la vieille aristocratie, ils n'ont plus qu'à mourir en
beauté". Le film semble aller dans ce sens. Le comte Joachim est
éliminé par un lâche assassinat, la famille Essenbeck est décimée. Mais, in
fine, c’est bel et bien Martin, héritier légitime par droit de succession,
droit antérieur à l’arrivée des nazis au pouvoir, c’est Martin qui reste aux
commandes avec l’uniforme de la S.S.. Le « socialisme » des nazis n’a
rien à voir avec l’autogestion salariée ou la gestion collective par les
producteurs, les autorités locales et les consommateurs. Les nazis prennent la
place des bourgeois, c’est un capitalisme de substitution.
Les Krupp
Au
demeurant, et revenons ici à l’Histoire avec un grand H, après les procès de
Nuremberg, les propriétaires des grands Konzerns sont déclarés coupables,
emprisonnés, doivent restituer leurs biens - ce qui veut dire que les nazis ne
les avaient pas accaparés - et l’I.G. Farben est
éclatée en trois entreprises distinctes : BASF, Bayer et Hoechst.
La
fortune des Krupp remonte au fondateur, Alfred. Son fils Friedrich-Alfried
meurt en 1902 laissant une jeune-fille qui devient dès lors « le plus beau
parti d’Europe »… Elle s’éprend d’un aristocrate et diplomate, Gustav von
Bohlen und Halbach qui, dès leur mariage est initié à la marche du groupe
industriel. C’est Guillaume II qui autorise Gustav à mettre « Krupp »
devant son propre nom. (ci-contre photo de Gustav sur la couverture du Goncourt 2017, à lire ABSOLUMENT).
Le Kaiser était très lié à la famille Krupp. Dans la Villa Hügel
(construite en 1872), demeure de la famille à Essen, il avait ses propres
appartements dont une salle de bain avec eau chaude et chauffage central,
considérée comme le ‘top’ du luxe quant elle fut aménagée.
En 1907 naît Alfried Krupp von Bohlen und
Halbach.
Alfried
Krupp von Bohlen und Halbach hérite - les nazis, contrairement à ce que dit
Furet, n’ont donc pas supprimé la « propriété bourgeoise des moyens de
production » - il hérite en 1943 de la « forge des armes du Reich »,
il devient directeur général du groupe. Il a déjà travaillé à la direction et
il est depuis cinq ans (1938, donc, JPR)
membre du parti nazi. Alfried Krupp von Bohlen und Halbach exploite des
milliers de travailleurs forcés - comme toutes les grandes entreprises
allemandes - (et, ici, la lecture du Goncourt est très féconde !) -. Le
11 avril 1945, il est arrêté, incarcéré, assigné à résidence
puis à nouveau incarcéré et soumis à un interrogatoire serré à Nuremberg
lors
du procès dit « Procès de criminels de guerre devant le tribunal
militaire de Nuremberg ».
Son procès débute le 17 novembre 1947. Il est accusé de « pillage
systématique des biens étrangers, de traitement inhumain envers des civils et
des prisonniers ». Tout son patrimoine, y compris ses usines, est mis
sous séquestre. Il est condamné à douze ans de prison.
La
Guerre Froide qui mobilise les Américains, le fait sortir rapidement de prison.
Comme d’autres criminels de guerre (Allemands ou Japonais) au demeurant:
ils peuvent être utiles pour lutter contre l’U.R.S.S..
Outre
le matraquage abêtissant, en rabaissant -tout verbalement- les bourgeois,
Hitler et ses comparses pensaient-ils, sans doute, à la bourgeoisie allemande
« civilisée » - je renvoie à mon article sur les Identitaires
d’aujourd’hui qui reprennent la distinction entre civilisation et culture Les Identitaires, « Nouvelle » extrême-droite ? 3ème partie.
Et ils se proclamaient « barbares » ce qui a un sens au second
degré - l’Allemagne réformée, celle de Fichte, la « Prusse de
Potsdam », se situe sur le territoire qui était au-delà du limes
romain - mais eux utilisent aussi le mot au premier degré, ce qui ne fait plus
rire personne.
Hitler, le rapace
« Chez
cet homme petit et brun à la moustache trop célèbre, avec ses bottes de cuir
qui transforment son pantalon en culottes de cheval, son baudrier qui croise sa
chemise brune, on croit voir un ascète psychorigide, un fanatique tout absorbé
par ses pensées maniaques de grandeur pour le Reich et pour les beaux hommes
blonds aux yeux bleus. Rien de plus faux.
A.
Hitler a d'abord retiré énormément d'argent de son best-seller, Mein Kampf,
qui, en vingt ans se vendra, de gré ou de force, à des millions d'exemplaires,
lui rapportant des droits d'auteur estimés à quelques 8 millions de
reichsmarks-or, soit des dizaines de millions d'euros. La richesse désormais
assurée, le parti nazi se développant, les cotisations affluant, de même que
les dons des grands industriels qui paient pour assurer l'ordre, le futur
dictateur puise dans les caisses du parti et vit largement. Devenu chancelier
en 1933, il a bientôt accès, sans limites, aux caisses de l’État, ce qui
n'interdit pas les petites combines qui rapportent gros. Hitler touchera ainsi
personnellement des droits d'image... sur chaque timbre-poste à son effigie,
soit quelque 50 millions de reichsmarks. Il n'y a pas de petits profits. On
comprend que Hitler ait protégé jalousement la neutralité des coffres-forts
suisses.
C'est
alors qu'Hitler eut le meilleur moyen pour combattre le "fiscalisme"
détesté : lorsque, encore naïve, l'administration des finances lui demanda de
payer ses impôts, il se fit rayer des rôles, comme un indigent. Il ne paiera
pas un pfennig sur ses droits d'auteur ou sur les millions volés dans les pays
vaincus et dans les familles juives pillées (…).
Aujourd'hui,
dans une cave de Berlin, placées sous l'autorité du gouvernement de la nouvelle
Allemagne, dorment encore de nombreuses œuvres d'art volées, dont les
propriétaires ou leurs héritiers n'ont pas été retrouvés. Demeurent également
disputés les droits d'auteur de Mein Kampf, dont, régulièrement, certains
ayants droit du Führer demandent, sans succès, le versement. La passion
de l'héritage est la chose au monde la mieux partagée ».
Au
fond, et bien contrairement à ce qu’ose écrire F. Furet, Hitler a un
comportement très bourgeois, non pas en termes de goût pour le patrimoine
culturel - laissons lui le qualificatif de barbare - mais en termes
d’avidité pour le patrimoine financier.
[1]
Lettre de F. Furet à Ernst Nolte datée du 3 avril 1996.
[2]
Qui était impliqué dans le processus de fabrication et commercialisation du gaz
Zyklon B utilisé dans les chambres à gaz.
[3]
On pourra lire dans l’Encyclopaedia Universalis, à l’entrée ‘Konzern’, la place
laissée aux Konzerns capitalistes par les nazis : la première. Ils durent
en répondre à Nuremberg (voir aussi le procès Flick -acier, automobiles
Daimler-Benz- membre du parti nazi).
[4]
Ne pas confondre le grand procès de Nuremberg tenu devant le tribunal
international inter-allié et ces procès qui sont tenus devant un tribunal
américain mais également à Nuremberg.
[5]
Pour eux, c’est la vraie, pas celle qui est née à Weimar…
[6]
Extraits de « Traditionalisme et Révolution », chapitre XXII :
‘le veau d’or’.
[7]
Tout ce qui suit doit beaucoup au Monde, n° du 20 août 2003, article de
G. Marion qui tire lui-même ses informations du film d'Ingo Heim, "l'Argent
d'Hitler", diffusé par la chaîne TV allemande ARD.
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publié le 15 juin 2019, 01:42 par Jean-Pierre Rissoan
publié le 12 sept. 2011 à 17:08 par Jean-Pierre Rissoan
[
mis à jour : 12 mai 2016 à 00:33
]
quelque
temps après cette rubrique, je lisais une interview de Joan Baez dans
Le Monde. je vous renvoie à la fin de cette article.
Ce film, à mon
sens, marquera son époque -la nôtre-.
Disons d’abord que c’est un chef-d’œuvre de mise en scène. Par
certains côtés, le film m’a rappelé celui de Stephen Frears, « the Queen ».
Frears nous faisait parcourir les couloirs de Buckingham palace ou ceux du château
de Balmoral, jusque- sans musique cette-fois- au cabinet et à la chambre du
roi. De même, on se promène dans les couloirs du Vatican pendant la période
sainte du conclave dans une intimité confondante. On est cardinal parmi les
cardinaux. On les voit réaliser un
puzzle avant de s’endormir, faire des réussites, prendre trois gouttes
de médicaments supplémentaires, etc... Chacun n’a qu’un souci : surtout
ne pas être élu ! La tâche
est trop lourde.
Nanni Moretti nous montre des hiérarques d’une humanité banale
sans grandeur, mais qui peut se targuer d’être un « grand de ce monde » ?
à la fin, après moult réflexions, le pape régulièrement élu -Michel Piccoli magnifique-
arrive à prononcer son discours sur le célèbre balcon de la façade du palais Saint-Pierre
pour dire à la foule « je ne suis pas, je ne peux pas être le guide dont
vous avez besoin ».
C’est la chute finale.
Le pape se retire, les cardinaux effondrés se prennent la
figure dans les mains, le peuple, en bas, baisse pavillon, rentre ses drapeaux,
pleure. Le peuple est nu. Il devra faire sans pape.
Ce film est à la rencontre de notre temps. Jamais la crise
du capitalisme universel n’a été aussi profonde, jamais l’impasse aussi
visible. On a pu rêver avec des sympathiques Obama. Mais, que constate-t-on ?
ils ne peuvent rien changer. Les Français attendaient de hurler « Habemus
papam » le 6 mai 2012 au soir, après avoir élu un magicien des finances mais
celui-ci s’est dérobé, par un acte manqué ont dit les psys. Quant à ceux qui
ont donné tant de leçons, un journal fort sérieux - le Monde diplomatique - les a fort justement
qualifiés de … disqualifiés ! ils avaient, ils ont tout faux. Après la
leçon de 2008, ils n’ont tiré aucune …leçon ! Tout recommence, les krachs
succèdent aux krachs. Les politiques devraient eux aussi avoir le courage de
dire « je ne suis pas, je ne peux pas être le guide dont vous avez besoin ».
C’est bien pourquoi le peuple doit cesser de réclamer un
roi. Il n’y a rien de plus actuel que la « révolution citoyenne » prônée
par le Front de Gauche. Ce n’est pas un slogan ; c’est juste la solution.
L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs
eux-mêmes.
PS. voici l'extrait de l'ITW de Joan Baez.
Dans les années 1960,
les événements politiques et sociaux étaient rythmés par la bande-son des
musiques populaires. Cela ne semble plus être le cas. Comment l'expliquez-vous
?
On
écrit encore de bonnes chansons, mais en ordre dispersé. De toute façon, une
décennie comme celle des années 1960 ne sera jamais répétée. Tout était réuni
pour créer cet extraordinaire tourbillon. Le talent d'artistes comme Dylan
permettait de cimenter tout cela. Aujourd'hui, nous croulons sous la diversité,
sans que ce ciment existe. J'ai espéré un moment que Barack Obama ait cette
fonction, qu'il unifie un élan commun, ça n'a pas été le cas.
Son élection a
pourtant dû être pour vous quelque chose d'extraordinaire ?
C'était
exceptionnel. Mais l'accès au pouvoir va de pair avec un constat d'impuissance.
Je pense que s'il avait refusé de se présenter à la présidence, il aurait pu
utiliser plus efficacement son incroyable charisme. D'ailleurs, quand certains
avaient encouragé Martin Luther King à se présenter, il avait eu l'intelligence
de refuser, conscient qu'il perdrait ce pouvoir qui lui venait de la rue.
Fin de l'extrait de cet interview.
Joan Baez évoque l'hypothèse d'un Obama qui in fine
aurait refusé d'être candidat. Son poids politique aurait été, alors,
plus lourd à la tête des manifestants que dans le bureau ovale. le cas
de M.L.King renforçant cette hypothèse. Mais
enfin, il faut bien des gouvernants ! l'essentiel n'est-il pas que le
peuple soit dans la rue ? - c'est une image, il faut aussi qu'il soit à
l'usine et au bureau -- Le débat continue. |
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publié le 14 juin 2019, 09:36 par Jean-Pierre Rissoan
publié le 6 nov. 2012 à 16:11 par Jean-Pierre Rissoan
[
mis à jour : 15 avr. 2018 à 14:50
]
Ours d’or, Berlin 1971
Oscar, meilleur film étranger, 1972.
Il
y a quelque chose de Viscontien dans ce film de Vittorio de Sica.
L’éblouissement de l’aristocratie, les coups de boutoir et le lent déclin, le
malheur symbolisé par la guerre puis la mort du fils Alberto, la catastrophe
finale avec la concentration des Juifs avant le grand départ. Les Finzi Contini
sont une famille aristocratique de Ferrare qui possède une immense propriété, à
vrai dire comme une seigneurie avec un château ceint d’un parc quasi illimité.
Le parc -appelé « jardin » - est lui-même entouré d’un mur d’enceinte
et de grilles qui font que les Finzi-Contini. vivent comme en autarcie, à
l’abri du monde. Ils sont juifs mais rien ne semble devoir les atteindre,
d’ailleurs, ils ont financé la Guerre d’ Éthiopie. Leur demeure est luxueuse
avec moult objets d’art et abrite une bibliothèque plus riche en livres que la
bibliothèque municipale. Symbole de cette richesse historique, il y a dans le « jardin »
des arbres qui ont presque 500 ans ! Qui ont connu le Quattrocento !

Le
film commence par un rassemblement de la jeunesse dorée de Ferrare, tout de
blanc vêtue parce qu’elle se prépare à disputer un tournoi de tennis à
l’intérieur du « jardin ». Toute cette jeunesse étudiante fait plaisir
à voir. Le blanc domine les couleurs du film. Pourtant, la cause de ce
rassemblement est le début du drame : les juifs ont été exclus du cercle
de tennis de Ferrare. La jeune Micòl
Finzi-Contini (Dominique Sanda, troublante) décida en conséquence d’organiser le
tournoi chez elle. Nous sommes donc en 1937, environ.
Mais la communauté juive de Ferrare est bien
ignorante de tout ce qui se trame autour d’elle. Le père de Giorgio - ami
d’enfance de Micòl, qui ne cessait de la regarder à la synagogue (et réciproquement),
amoureux fou d’elle et qui aimerait l’épouser - le père donc, bourgeois aisé, juif
et membre du parti fasciste italien- fustige les Finzi Contini comme des
privilégiés qui « créent des ghettos soumis au grand patronat »
(sic), il persiste à penser que « Mussolini c’est mieux qu’Hitler »,
plus tard, quand les amours de Giorgio et de Micòl sont définitivement brisés,
il dira encore à son fils : « les Finzi Contini ne sont pas des
gens pour nous. On ne dirait même pas des juifs ! Micòl est d’une classe
supérieure…». Quand son fils lui fait lire dans le journal du jour la pluie
de décrets racistes que vient de prendre le Grand Conseil fasciste et qui tombent
sur eux (plus de mariages mixtes, exclusion des écoles publiques, plus de nom
sur l’annuaire, pas d’avis public de décès, pas de service militaire,
interdiction d’employer des domestiques -ce qui a des conséquences très
concrètes chez eux -), le père (mais s’il a adhéré au parti fasciste, c’est
qu’il y avait en lui des convictions) persiste et signe comme un imbécile
mussolinien : « on peut rester un citoyen qui dispose de ses droits
fondamentaux »… aveuglement dramatique aux conséquences fatales.
Se place ici un dialogue cher au cœur de Vittorio
de Sica. Giorgio travaille à la bibliothèque de l’université sur sa maîtrise de
poésie, et un factotum vient lui indiquer qu’il doit partir. Pourquoi ? Il
demande à voir le chef d’établissement. Celui-ci se perd en explications
nulles, se cache derrière la nouvelle législation raciste, regrette un si bon
élément, futur grand intellectuel… Giorgio lui dit de prendre ses
responsabilités mais, avant que le «chef» d’établissement ne le dise, Giorgio le
dit à sa place « oui, bien sûr, vous avez une famille, TOUTE L’ITALIE A
UNE FAMILLE »… Protection de la famille, de la famille chrétienne de
surcroit, argument commode pour ne rien faire contre le fascisme. On trouve
cette réplique presque identique dans La ciociara (1960). Mais dans
d’autres films de De Sica, la famille sert de paravent au recel (Le voleur de
bicyclette) ou au crime organisé (Sciuscia). Alexandra Kollontaï (1872-1952),
révolutionnaire bolchevique, féministe, trouverait ici du grain à moudre pour
vilipender la famille comme « institution bourgeoise ». Cela dit, De
Sica n’est pas bolchevique, loin de là. Mais, sa foi de chrétien ne l’empêche
pas de dénoncer l’hypocrisie. Le grand historien Marc Bloch a abandonné femme
et enfants pour entrer en résistance immédiate. Autre choix. Ainsi que pourrait
le dire le professeur Losurdo, il y a là l’opposition de deux universalités.
L’universalité de l’amour familial et l’universalité de l’amour de l’humanité.
Progressivement,
l’histoire d’amour -tortueuse pour le moins- entre Giorgio et Micòl cède le pas au drame raciste qui se
déroule alors dans toute l’Italie. « Avec tout ce qui se passe, mes
histoires de cœur deviennent ridicules » dit le jeune homme. La guerre
ouvre les yeux. Une séquence est consacrée au père de Giorgio qui, à 2h 25 du
matin- écoute Radio Londres et attend les nouvelles concernant la bataille de
décembre 41 aux portes de Moscou. Cet ancien membre du parti de Mussolini
attend tout, maintenant, de l’URSS… Son fils qui le surprend dans cette écoute
interdite assène : « si les Russes n’y arrivent pas, alors ce sera
la fin… ! ».
Si
le blanc est la couleur dominante du début du film, on ne sera pas surpris par
le noir qui envahit la fin. Noir des chemises fascistes bien sûr. Noir des Finzi
Contini. qui sont tous raflés comme des malpropres, eux qui sont un morceau de
la culture et de l’histoire italiennes. L’entrée des voitures noires dans le
« jardin » pour aller chercher la grand-mère, les oncles et tantes,
le père et la mère, Micòl, bref,
toute la famille, cette pénétration est un viol. Ces personnes âgées, certes,
expient leurs erreurs -elles ont soutenu le fascisme- mais on sent qu’avec
elles c’est toute l’histoire de l’Italie qui est assassinée, brisée, à l’image
de ce bibelot que le fasciste noir détruit dans sa précipitation à cueillir des
vieillards qui lui fait renverser un guéridon dans le salon-musée. Tous les juifs
de Ferrare sont rassemblés dans des salles de classe. L’école, nid de culture,
est transformée en camp de concentration. C’est l’identité du fascisme.
Le
jardin des Finzi Contini. est définitivement clos.
* *
Ce
film se place à une époque particulière de l’histoire du fascisme mussolinien. Ce
dernier n’a pas toujours été antisémite, il ne l’est devenu qu’à partir du
tournant des années1936-1937. Je fais, ici, un copier/coller du livre de l’historien
Pierre MILZA, « Histoire de l’Italie des origines à nos jours » [1]. Cet extrait est pris dans le chapitre XXII intitulé « le Ventennio fasciste ».
LA
RADICALISATION DU RÉGIME
On
a longtemps affirmé que le raidissement du régime mussolinien à partir de
1936 était dû, de manière à peu près exclusive, au rapprochement avec
l'Allemagne et à l'imitation servile du modèle nazi. Pour Renzo De Felice, à
qui l'on doit une réinterprétation complète de la période[2], l'influence de l'hitlérisme sur la manière dont
s'est opérée la « révolution culturelle » du -fascisme est indéniable,
mais elle n'est que la conséquence des choix politiques faits par Mussolini
dans le but d’assurer la survie du régime.
La
mise en sommeil des objectifs révolutionnaires du fascisme, son incapacité à
faire reculer l'hégémonie culturelle des anciennes élites, les résistances
opposées à la fascisation de l'école, de la culture, de la jeunesse -
l'offensive lancée en 1931 contre les organisations de jeunesse catholiques a
entraîné une vive riposte du Saint-Siège l'encyclique Non abbiamo bisogno, qui condamnait l'inspiration païenne et la
«statolâtrie» du fascisme -, la fusion qui a commencé à s'opérer entre ancienne
et nouvelle classes dirigeantes, tout paraît indiquer en effet à la veille du
conflit éthiopien que le régime a du mal à trouver son second souffle et à se
transformer en une véritable dictature totalitaire de masse. Autrement dit que,
malgré la véhémence verbale de ses dirigeants et les démonstrations tapageuses
des foules qu'il manipule, il a de bonnes chances de glisser sur la pente du
conformisme et de l'embourgeoisement.
C'est
dans le but exclusif d'enrayer cette dérive conservatrice que Mussolini aurait
engagé celui-ci dans un processus de fascisation à outrance, qui commence en
1936. Jusqu'à cette date, explique De Felice, le régime a fonctionné sur la
base d'un double compromis. Compromis entre un bloc dirigeant éminemment
composite et les masses italiennes dont le fascisme s'est appliqué à réaliser
l'intégration par des moyens divers. Compromis d'autre part, au sein même du
bloc dirigeant, entre le parti, instrument de pouvoir et de promotion d'une
nouvelle élite, et les forces traditionnelles que constituent l'Église, la
monarchie et la bourgeoisie.
Au
lendemain de la proclamation de l'Empire, Mussolini fait le constat de la
précarité de ces divers équilibres. Certes, l'adhésion des masses au fascisme
n'a jamais été aussi forte qu'au printemps 1936. L'affaire éthiopienne se
trouvant réglée, rien n'empêche l'Italie de renouer le dialogue avec les
démocraties, comme le souhaite une fraction importante des élites. Ainsi se
trouveraient réunies les conditions d'une démobilisation progressive des
esprits, voire d'une libéralisation du régime incontestablement voulue par une
partie de ceux qui avaient favorisé son avènement. De cette tentation du retour
au passé, le Duce a clairement conscience. Il sait que le temps n'est plus de
son côté et que, dans sa configuration présente, le régime survivrait
difficilement à sa propre disparition. Il faut donc radicaliser le fascisme,
l'enraciner durablement, imprimer à la société italienne un mouvement
irréversible, interdisant aux anciennes élites et aux détenteurs du magistère
spirituel la possibilité de reconquérir leurs positions perdues.
(…).
Mais surtout, ce que veut le petit groupe de décideurs rassemblés autour du
Guide suprême, c'est la substitution de 1' «homme
nouveau», défini par ce que le secrétaire du parti, Achille Starace,
appellera la «coutume fasciste», à
l'individu décadent façonné par deux siècles de culture «humaniste» et bourgeoise. De là résultent, pour l'essentiel, les
options totalitaires des dernières années du fascisme : des choix
fondamentalement antibourgeois et censés se rattacher aux perspectives
révolutionnaires du premier fascisme. On connaît les aspects les plus
spectaculaires et les plus grotesques de cette « révolution culturelle », dont
Mussolini lui-même a donné le ton dans son discours du 25 octobre 1938,
qualifiant de «puissants directs à l'estomac» portés à la bourgeoisie italienne
les mesures adoptées par le Grand Conseil : le tu et le voi substitués
dans le langage quotidien à la formule de politesse de la troisième personne,
le lei, bon pour un « peuple de laquais », les mots d'origine
étrangère, ou présumés tels, bannis du lexique officiel parce que révélateurs
des tendances cosmopolites de la bourgeoisie, l'introduction dans les défilés
militaires du pas de l'oie, rebaptisé «pas
romain», etc. (JPR : dans le film de De Sica,
Giorgio se trouve au cinéma, et les Actualités montrent défiler l’armée du Duce
au pas de l’oie, cela suscite chez lui un rire irrépressible).
L'adoption
en 1938 d'une législation raciale essentiellement dirigée contre les juifs
s'inscrit - de manière plus tragique - dans cette politique de rupture avec le
« vieux monde » humaniste et
bourgeois. L'antisémitisme était jusqu'alors un phénomène à peu près inexistant
en Italie et le fascisme lui-même n'avait guère établi de discrimination. Au
même titre que les autres Italiens, les israélites - soit un peu plus de 45 000
personnes - avaient participé au fascisme et à l'antifascisme. Mussolini
lui-même s'était, jusqu'en 1936, désolidarisé en ce domaine du nazisme et avait
ironisé sur le concept de race nordique. Il avait également entretenu de bonnes
relations avec le sionisme.
Comment
est-on passé en peu d'années de cette relation paisible à la persécution
raciale de l'immédiat avant-guerre? Les raisons en sont multiples. Les
contraintes de la politique étrangère et le changement radical qui s'est opéré
sur ce terrain en 1935-1936 ont fortement pesé sur l'attitude de Mussolini à
l'égard des juifs. La carte sioniste, que le Duce avait conservée dans son jeu
à seule fin d'embarrasser les Britanniques, avait cessé de présenter la moindre
valeur pour lui au moment où il s'apprêtait à jouer conjointement celle de
l'alliance allemande et celle du rapprochement avec les Arabes. La guerre
d'Éthiopie s'est accompagnée d'une intense propagande raciste dont les
premières cibles ont été les populations d'Afrique orientale. On a parlé de «défense de la race» et d' «hygiène de la race» au plus haut niveau
de la hiérarchie fasciste, bien avant que soit adoptée la législation
antisémite. C'est dire que le terrain avait été préparé pour que l'opinion ne
fût pas trop surprise par le revirement du pouvoir à l'égard des juifs.
En
quête d'une interprétation plausible du «déclin » démographique de son pays -
les mesures natalistes n'ont pas empêché le nombre des naissances de
sensiblement diminuer -, Mussolini voyait dans ce phénomène la conséquence de
l'hédonisme ambiant, lequel lui paraissait lié à l'influence persistante des mœurs
de la bourgeoisie. Une pierre manquait toutefois à l'édifice pour que
l'explication ne souffrît à ses yeux aucune faille et pût être donnée en pâture
aux masses. Cette pierre était celle de la «judaïsation» des sociétés
occidentales, celles dont la culture servait, assurait-il, de modèle aux
anciennes élites dirigeantes, nourrissant leur individualisme, leur
intellectualisme et leur cosmopolitisme.
Reste
bien sûr à examiner la part du modèle nazi dans la genèse de la politique
raciale du régime. Une chose est certaine c'est que ce n'est pas sous la
pression allemande que le Duce a choisi de s'engager en 1938 dans la voie de
l'antisémitisme d'État. Ni Hitler ni aucun des dirigeants nazis n'eurent besoin
de prendre le risque d'une rebuffade de la part d'un partenaire toujours très
préoccupé d'afficher son indépendance. C'est de lui-même que Mussolini est venu
se placer sur l'orbite de la politique nazie en matière raciale. Il voulait
donner ainsi un gage à Hitler sur une question relativement peu contraignante
pour l'Italie, mais qui était fondamentale pour le maître du III° Reich. Son
seul souci fut de rendre ce choix acceptable pour les Italiens, comme il
l'avait fait pour le «pas romain», en
le rattachant à la «révolution culturelle»
fasciste et à une tradition «italique»
et «romaine» parfaitement illusoire.
Prélude
à l'adoption de mesures discriminatoires, un Manifeste de défense de la race fut publié en 1938 sous l'égide du Minculpop par un groupe de professeurs
d'université, spécialistes d'anthropologie, de pathologie, de zoologie, etc..
Il affirmait l'existence des races humaines et leur inégalité, le peuple
italien constituant l'un des rameaux de la race aryenne, race éminemment
supérieure dont les juifs ne faisaient pas partie et qu'il importait de
protéger de tout risque de contamination. Starace donna aussitôt à ce document
une très large publicité et chargea l'Institut fasciste de la culture, les GUF,
le PNF, les « savants» de diffuser dans le public la nouvelle conception
raciste du pouvoir. Suivit bientôt, après la création en septembre 1938 du
Conseil supérieur pour la démographie et la race, l'adoption par le Grand
Conseil d'une législation spécifiquement dirigée contre les juifs. Les juifs
étrangers d'abord auxquels on interdit de s'inscrire dans les écoles
italiennes, puis de séjourner dans la Péninsule et dans les territoires de
l'Empire. Les juifs italiens ensuite, exclus de l'enseignement, des académies,
instituts ou associations scientifiques, artistiques, littéraires, ainsi que de
l'armée, des administrations, des syndicats, des banques, etc. Les mariages
mixtes étaient interdits et les naturalisations accordées depuis 1919
révoquées.
Si
le régime fasciste, contrairement à son homologue hitlérien, n'a pas poussé
jusqu'à son terme tragique la persécution contre les juifs, si de nombreuses
exemptions ont été accordées aux israélites italiens, tandis que se
manifestaient certaines réticences dans la population, l'idée assez largement
admise d'une Italie tout entière braquée contre la politique raciale du régime
- « Italiani brava gente » - résiste
mal aux apports les plus récents de la recherche. La discrimination a bel et
bien eu lieu, avec son cortège d'humiliations et de souffrances.
L'administration n'a que très ponctuellement résisté aux exigences du pouvoir.
Le recensement des familles juives a préparé le terrain des déportations du
temps de l'occupation allemande.
Mussolini
avait engagé son régime dans la voie de la radicalisation totalitaire dans le
but de renforcer la cohésion du corps social. L'alignement sur l'Allemagne
nazie, le durcissement du totalitarisme, le ridicule des pratiques imposées au
nom de la «coutume fasciste», la
corruption généralisée, la politique belliciste, les effets de l'autarcie sur
le niveau de vie des populations, tout cela a contribué au contraire à éroder
le consensus passif des masses italiennes et à réveiller les oppositions.
[1]
FAYARD, Paris, 2005, 1100 pages.
[2] DE FELICE (Renzo), Mussolini. Il
Duce. II. Lo Stato totalitario (1936-1940), Turin, E. 1981.
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publié le 14 juin 2019, 09:27 par Jean-Pierre Rissoan
[
mis à jour : 13 juin 2020, 03:59
]
publié le 1 mars 2016 à 11:20 par Jean-Pierre Rissoan
[
mis à jour : 7 mars 2016 à 17:26
]
C’est
un film grandiose que nous offrit Bertolucci en 1987, il y a déjà trente ans.
Présenté comme un film « biographique », il fallait nécessairement
parler des différentes étapes de la vie de celui qui fut, effectivement, le
dernier empereur du plusieurs fois millénaire Empire du Milieu :
l’empereur Pu Yi. Et là, celui ou celle qui ne connait rien à l’histoire de la
Chine au XX° siècle est bien embarrassé. D’autant plus que les scénaristes
s’ingénient à éviter un parcours linéaire, simplement chronologique pour –j’imagine-
prévenir une allure scolaire rédhibitoire.
On
commence par le retour d’URSS en 1950 (Pu Yi fut pris par les Soviétiques alors
qu’il se rendait au Japon en 1945, en déroute), on a un flash-back sur l’année
de ses trois ans où il est couronné, on arrive dans la prison maoïste où il est
interrogé sur sa « collaboration » avec l’ennemi, on voit son
adolescence, les années 20’, on retourne en prison des années 50, on voit des
soldats envahir la Cité interdite, etc… Difficile de s’y retrouver.
Les
étapes simplifiées ont été les suivantes. Sa vie est calquée sur l’Histoire.
- E n
1908, l’impératrice qui assurait la régence (en fait, elle avait évincé Guangxu,
empereur légitime mais trop réformateur à ses yeux) désigne Pu Yi comme
successeur. C’est un enfant, âgé de même pas trois ans. De 1908 à 1911, date de
la révolution républicaine, on peut dire qu’on a le tout dernier échantillon de
l’empire pluri-millénaire. Le film est à cet égard remarquable, avec une
reconstitution parfaite. Tout l’entourage de l’enfant assume le Kotow, soit la prosternation
protocolaire neuf fois face contre terre devant l’empereur. Empereur que
« les gens du commun n’ont pas le
droit de regarder ». On a affaire à l’éducation d’un autocrate
capricieux à qui tout est permis. Rien n’a changé depuis la nuit des temps. ci-dessus : Scène de tournage du film dans un décor au Tobu World Square reproduisant la cité interdite, Importance des moyens.
-En
1911, c’est la révolution de Sun yat-sen. 1911 : SUN YAT-SEN, LA RÉVOLUTION CHINOISE (1ère partie).
Les Républicains respectueux, somme toute, de l’Empire, n’osent liquider
complètement ce qu’il en reste et confine Pu Yi dans la Cité interdite dont il
n’a pas le droit de sortir. Devenu adolescent, ce dernier vérifie qu’il est
bien tout puissant et oblige l’un de ses conseillers à boire de l’encre. Ce
dernier s’exécute. Il vérifie également qu’il n’a pas le droit de sortir de la
Cité : les portes lui sont respectueusement fermées sous le nez. Il est
prisonnier. Le dernier empereur bénéficie d’une liste civile, comme on dit en
Angleterre, substantielle et dans la Cité interdite vivent 1200 eunuques, des
centaines de cuisiniers, des centaines de soldats, etc… Vivent aussi les
épouses secondaires des précédents empereurs lesquelles se conduisent comme les
gardiennes de la tradition. Car, pendant plusieurs années, Pu Yi est éduqué à
l’occidental grâce à un précepteur britannique (Peter O’toole) qui lui –ce fut
un vieux contentieux – ne pratique pas le
Kotow, j’ai vérifié. Et Pu Yi impose le changement : il coupe sa
natte, mode mandchoue que ces derniers avaient imposée aux Chinois, il porte
des lunettes –alors que selon les vieilles femmes de la Cour, un empereur ne
doit pas, ne peut pas porter des lunettes. Tradition oblige, dût-elle lui
coûter la vue ! Il se laisse pousser les cheveux qu’il coiffe à
l’occidental. D’au-delà les murs lui parviennent les bruits des manifestations
de 1919. Bertolucci reconstitue assez rapidement les manifs estudiantines qui
protestent contre les Alliés qui, à Versailles, ont bradé les intérêts de la
Chine –pourtant alliée elle aussi – au profit du Japon qui reçoit les
ex-colonies allemandes de l’Empire du Milieu. Les étudiants manifestent avec
leurs dazibaos, on sait qu’il y a là
l’enfantement du parti communiste chinois. Lien Chine : La révolution du 4 mai 1919. Alors qu’il est engagé dans une partie de tennis sur un court aménagé en
pleine Cité interdite, des soldats font irruption : c’est l’intrusion du
réel dans l’irréel, et il doit quitter Pékin pour ailleurs. On ne veut plus des
accords passés avec Sun Yat-sen.
-
Une autre étape, 1924, est engagée avec son séjour à Tien-tsin. On a là
aussi une reconstitution excellente de la Chine nationaliste des années
20’.
Les paysans sont (toujours) absents du film… A l’image du général Tchang
Kaï-chek qui a épousé une américaine, toute la Chine du changement se
tourne
vers l’Amérique. Les voitures Ford, le jazz avec un band maquillé en
noir, le
goût pour le chewing-gum, pour l’aspirine (de l’allemand Bayer, il est
vrai).
Etc… c’est une jeunesse dorée dans une ambiance dorée. Play-boy, Pu Yi
s’exerce
même à l’interprétation glamour des chansons à la mode. Lors d’une fête
bien
arrosée – le champagne est français – où les privilégiés s’interrogent
sur les
avantages respectifs de la Côte d’Azur et de la Californie, une sorte de
Muscadin interrompt brutalement la fiesta pour dire que « les Rouges sont fichus » jouit-il,
le général Tchang les a chassés de Shanghai et de Canton lien 15 octobre 1934, CHINE : la Longue Marche commence.. Nous
sommes alors en 1927. A l’aide d’anecdotes mises en scène,
Bertolucci montre aussi que ces années marquèrent le début de l’émancipation
des femmes chinoises. Ainsi, le seconde épouse de Pu Yi refuse ce statut et
demande le divorce. Elle sort, il pleut, on lui propose la protection d’un
parapluie, elle refuse, profitant de ces instants d’oxygène et de fraîcheur.
Apparaît aussi une femme aviatrice : symbole des progrès techniques et de
l’émancipation, lesbienne sur les bords, qui fume tabac et opium, comme la
première femme de Pu Yi. D’ailleurs. Pu Yi a cette réplique « l’opium a détruit la Chine ». Mais
l’Occident n’a jamais entendu cette phrase. La Chine humiliée : les traités inégaux (1839 - 1864) 2ème partie.
- La partie suivante s’engage en 1931 avec l’invasion de la Mandchourie
par les Japonais.LES R.I. de 1931 à 1937 : B. La Dégradation Les choses vont se dégrader également pour Pu Yi. Il
devient la marionnette dans les mains des Japonais, impérialistes sans
scrupules (redondance). Les Japonais croient pouvoir créer un nouvel État, le
Mandchoukouo et, ils trouvent un bon paravent avec Pu Yi, précisément, qui est
mandchou, de sang impérial, et même dernier empereur de Chine : on le fait
chef d’État. Mais je l’ai dit ailleurs, ceci est un cas d’école en droit
international : le Mandchoukouo n’a aucun légitimité, ni interne : le
peuple n’est pas consulté, ni externe : aucun autre État que celui de
Tokyo ne le reconnaît comme souverain. L’épouse est plus avertie que le
mari : elle voit bien le côté marionnette de la chose mais Pu Yi qui n’a
pas renoncé mentalement à son titre d’empereur, croit pouvoir lui, manipuler
les Japonais ! À la cérémonie du sacre en 1934, l’Église de Rome envoie un
nonce apostolique. Toujours la finesse diplomatique du Vatican à l’égard des
dictatures anticommunistes. Depuis 1931, Pu Yi est flanqué de Masahiko Amakasu, l’homme peu
discret des services de Tokyo. Mais Pu Yi, selon le film, a des idées sincères.
Il prononce un discours solennel devant les autorités japonaises et tout ce qui
reste des serviteurs de l’Empire chinois, parlant de la souveraineté de son
nouveau pays, de l’égalité, du respect réciproque entre Japon et Mandchourie,
etc… Il n’a décidément rien compris. Les Japonais, furieux, se lèvent et
partent. Suivis très peu de temps après par les « Chinois ». Pu Yi
est un homme seul.
Ci-dessous : l'empereur-potiche.
Il constate que sa garde
personnelle est désarmée… Il doit écouter Masahiko
Amakasu déclarer que, comme l’Inde britannique (c’est historiquement exact,
l’administration du "joyau de la Couronne" n’a pas coûté un penny à sa gracieuse
majesté), le Mandchoukouo doit payer lui-même les frais de sa colonisation par
les Japonais. Puis le Japonais se laisse aller : « l’Asie nous
appartiendra »…
Il
va de soi que les Chinois, communistes ou pas, ont des récriminations
particulièrement nombreuses et graves à formuler à l’égard des militaires de
Tokyo qui tardent à présenter des excuses.Les exactions japonaises, leur guerre d’agression (1931-1937-1945) et le révisionnisme historique Aussi bien, Pu Yi est accusé
de collaboration avec ces derniers et cela donne les interrogatoires de 1950
dans la prison de Fushun.
Les
Chinois et le premier d’entre eux, à savoir Mao, le Grand Timonier, montre une
relative bienveillance à son égard (lire les articles Wiki). Il semble bien qu’on ne puisse pas se
débarrasser en si peu de temps de plusieurs millénaires de domination
impériale. Surtout que Pu Yi est – peut-être – Fils du Ciel. Qui sait ? |
|
publié le 14 juin 2019, 09:26 par Jean-Pierre Rissoan
publié le 5 janv. 2017 à 15:06 par Jean-Pierre Rissoan
[
mis à jour : 12 juin 2019 à 11:04
]
Comment peut-on ajouter des phrases aux
commentaires sur ce chef-d’œuvre absolu ? C’est le Père Noël qui m’a
offert ce DVD et c’est pourquoi j’en parle mais, rapport à mon idée d’évoquer
des films qui jettent leurs lumières sur tel fait ou période historiques, on ne
peut dire que Mort à Venise apporte des éléments comme le font Les
damnés et Le Guépard.
Il s’agit d’un cycle, avec de prime abord
l’arrivée, puis l’ascension, l’apothéose, les premiers problèmes puis les départs
massifs et, enfin, la mort. Mais de quoi ? Les derniers jours d’un artiste
cardiaque ? Le tourisme des classes dirigeantes à la Belle époque ?
Métaphore sur l’aristocratie européenne vivant ses derniers grands moments
avant son suicide à Sarajevo ? Ce dernier aspect n’est pas sans rappeler Et
vogue le navire de Fellini (E la
nave va…1983). Mort à Venise se place en l’an 1911, durant lequel l’été fut
caniculaire, le sirocco – vent saharien – soufflant sans discontinuer.
Si l’on veut à tout prix trouver une
histoire à narrer, disons que tout part d’une divergence entre deux amis sur le
thème de la beauté, du beau. Le
compositeur Gustav von Aschenbach (interprété par Dirk Bogarde, le prénom
Gustav n’est pas anodin, c’est celui de Mahler dont la biographie servira au
Maître, je veux dire L. Visconti) le compositeur donc tient que le beau est une
création idéelle, une œuvre d’artiste qui traduit concrètement, visiblement ou
phoniquement, une virtualité dont il est le passeur. Son ami Alfred (Mark
Burns, à la chevelure du David de Michel-Ange) tient au contraire que le beau existe
en dehors de l’esprit de l’artiste, qu’il s’impose à nous par l’impression
qu’il exerce sur nos sens, c’est une émotion provoquée par le réel qui existe
objectivement. Lors d’un concert, Aschenbach produit une œuvre aux
sons…dissonants et se fait siffler/chahuter par le public. Il en tombe malade
et les médecins conseillent une cure de repos. Son cœur est malade. La
discussion fondamentale entre les deux amis revient itérativement au cours du
film pour rappeler l’enjeu, et faire comprendre comment Aschenbach vit
dramatiquement ses contradictions.
Car Aschenbach va voir s’effondrer sa
thèse idéaliste. En cure à Venise, à l’Hôtel
des bains (en français dans le texte), il rencontre un jeune adolescent
d’une beauté indicible, étonnante –mot dont j’aime à rappeler qu’il est de la
famille de tonnerre-. Là, Gustav
constate que ses sens sont mobilisés, la beauté plastique du jeune Tadzio
l’émeut incontestablement. Il finira pas dire « ne me regarde plus comme cela, Tadzio, …, je t’aime ». Il le
dit à lui-même, en mots chuchotés, seul car ce ne sont pas des choses que l’on
dit en public, surtout dans ces années qui précèdent 1914.
L’artiste arrive à Venise, photos du ciel,
photos de la lagune, musique de Mahler, transport par le vaporetto, la gondole
finale, tout y passe, rien ne se passe. Tout est.
Les touristes ne cessent d’arriver, la
clientèle est cosmopolite, les robes, parures, chapeaux rivalisent dans la
recherche de la "classe". Le panorama sur
le grand salon du grand hôtel réserve sans cesse des surprises. Visconti marie
la couleur des vases monumentaux cannelés avec celles des hortensias tout aussi
monumentales, couleur bleu-vert du
céladon
d’un côté, orangé tirant vers le rouge, de l’autre. Couleurs complémentaires. Tout
se complète. Renoncules, camélias, dahlias, c’est vertigineux. L’orchestre
interprète Heure exquise, valse de La veuve joyeuse de Franz Lehár. Oui,
tout est exquis. Et pourtant, nos sens nous portent encore plus haut quand
arrive la plus belle femme du monde, la baronne Moes interprétée par Sylvana
Mangano. Sa beauté impose le silence. Formule pratique qui évite de se lancer
dans une description improbable. La baronne, sa robe, ses bijoux, sa démarche,
sa grâce imposent à nos sens la vision du Beau. Comme Hegel vit l’idée d’État
en voyant défiler Napoléon, nous voyons le concept de Beauté, fascinés que nous sommes par
Sylvana réinventée par Visconti.
Déplaçant quelque peu son regard, Gustav
tombe sur l’image de Tadzio, autre réincarnation de la grâce, celle de l’adolescence
indécise, Gustav est surpris, arrêté. Il ne perdra plus jamais de vue cette
image. Évidemment, Tadzio est un garçon et Gustav reçoit mal cette pulsion d’amour
qui le porte vers lui. Il se remémore sa fille, morte précocement, son épouse
avec qui il eut de beaux moments, il pense aussi à son passage dans un bordel
de Munich, expérience totalement ratée mais ce souvenir douloureux lui rappelle
ses difficultés à aborder la gent féminine. On a vu cela avec Alfred Redl,
officier autrichien La fin des Habsbourg ? « Colonel Redl », film d’István
Szabó. Bref, Gustav est torturé, son sur-moi l’écrase mais Tadzio est
toujours aussi beau et le "ça" de Gustav est indomptable. Musique de Mahler.
A quoi s’ajoute ce qui est une autre explication du titre du film :
le choléra. Malgré l’omerta décrétée par la municipalité et bien suivie par la
population – surtout celle qui vit du tourisme – il faut se rendre à l’évidence :
on colle des affiches d'alerte partout, on passe les murs à la chaux, un pauvre homme s’écroule
à la gare…Bref, on meurt à Venise. On brûle un peu partout ce qui doit l’être
pour éviter une contamination et, malgré cela, la famille de la baronne visite
Venise y compris dans ses coins quelque peu sordides. Elle visite, suivie à une
centaine de pas par Gustav von Aschenbach. Ce dernier finit par s’inquiéter de la présence
maintenue de la famille de la Baronne et pense qu’elle doit quitter Venise. Il
se voit oser dire à la Baronne sur la terrasse du Grand hôtel qu’elle doit
partir et passant sa main sur la chevelure blonde-baltique et ondulée de
Tadzio. Ce n’est qu’un rêve. Mais pas le choléra qui fait des ravages.
Sur la plage désertée – elle fut si animée
naguère – Gustav assiste à une bataille entre Tadzio et un garçon de l’hôtel,
il veut intervenir alors qu'une nouvelle crise cardiaque le frappe. Il meurt. Qui l’a
tué ? Son cœur malade ou son envie de porter secours à Tadzio ? Musique
de Mahler.
J’ai oublié plein de choses mais on
disserte sur ce film partout. Quel intérêt à revoir un tel film ? Que nous
apporte-il ?
Quel intérêt à revoir La Joconde, la Vénus
de Milo ou la Victoire de Samothrace ? Le David de Donatello et celui de
Michel-Ange ? Oui, quel intérêt ?
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publié le 14 juin 2019, 07:37 par Jean-Pierre Rissoan
[
mis à jour : 2 sept. 2020, 05:35
]
publié le 8 nov. 2017 à 13:26 par Jean-Pierre Rissoan
[
mis à jour : 16 avr. 2018 à 10:55
]
Le Guépard de Lucchino Visconti.Le Guépard de Lucchino Visconti. Avec les moyens actuels de restauration des films nous avons
droit à des copies d’une qualité parfaite. C’est le cas avec ce film de L.
Visconti de 1963. Autre film, autre chef-d’œuvre. Il Gattopardo, roman
posthume de l’écrivain sicilien Giuseppe Tommasi di Lampedusa (1896-1957),
est paru en 1958 et a été publié en français dès 1959 au Seuil. Selon le Monde
Diplomatique, on attribue à Lampedusa la phrase célèbre : «Il faut tout
changer pour que rien ne change». C’est en effet par cet échange entre le
prince de Salina (Burt Lancaster, magique) et son neveu Tancrède (A. Delon bien
mis en scène par Visconti) que commence le film. Le prince s’étonne de la
présence de Tancrède aux côtés des révolutionnaires à chemises rouges et celui-ci lui sort cette
réplique célèbre qui est d’une vérité étonnante, historiquement constatée. De
quelle révolution s’agit-il ?
C’est l’époque de la formation de l’unité italienne. Tous
les lycéens et ex-lycéens sérieux connaissent cette phrase de Metternich, chancelier
autrichien, homme fort de l’Europe du premier XIX° siècle -après 1815- « l’Italie est une expression géographique ».
Autrement dit ce n’est pas un État, une réalité politique et militaire. Elle
est morcelée en multiples États, tous sous la domination de petits princes
soumis à l’empereur d’Autriche et à la hiérarchie catholique, à cette époque
particulièrement rétrograde (Grégoire XVI et Pie IX). Dans le film, le jésuite
(Romollo Vialli, magistral), prêtre qui officie à demeure chez le prince Salina
et qui a donc une existence fort enviable, incarne cette Église
ultraconservatrice et résolument contre-révolutionnaire. Le traditionalisme de
la société sicilienne est admirablement montré par Visconti. On assiste à la
lente montée de la nombreuse famille de Salina et de sa domesticité vers son
palais d’été à Donnafugata. C’est le coche de la fable de La Fontaine à
plusieurs exemplaires. Le soleil de la Méditerranée écrase tout. C’est long.
Mais comme toujours chez Visconti la longueur/lenteur a un sens. Poussiéreuse, transpirante,
fatiguée, après quelques poignées de main distribuées par Salina, toute la
famille, avant même la moindre toilette, entre en procession dans l’église où
l’organiste (S. Reggiani, soumis à souhait) veillait afin de ne pas rater l’entrée
du prince. Bien entendu la fanfare du village était là et chaque paysan ôtait
son couvre-chef devant le passage des voitures du seigneur.
La superstructure politique de l’Italie de 1860 - Milanais
et Vénétie possessions autrichiennes, domination militaire de facto
des principicules par l’occupant autrichien, une Italie
coupée en deux par les États de l’Église qui s’étendent de Rome à
Bologne et
Ravenne, omniprésence du Pape et de la hiérarchie - cette superstructure
d’Ancien Régime explose sous les coups des patriotes italiens qui
veulent la
libération et l’unité de leur pays. Après les succès du Roi de Piémont -
dus
surtout à Cavour - avec l’aide française, une expédition est mise en
œuvre sur
la Sicile, marchepied avant la Calabre puis Naples où réside le roi
François II
de la dynastie des Bourbon d’Espagne. Il y a bien révolution puisque ces
monarchies rétablies au Congrès conservateur de Vienne en 1815 ont été
mises à
bas et que l’on a recours au suffrage universel pour demander son
approbation au
peuple quant à l’unification de l’Italie (cf. la seconde carte
ci-dessous). On peut dater au 21 octobre 1860 le referendum sicilien sur
l’adhésion au royaume de Victor-Emmanuel II.
Tout change donc.
Tancrède, qui a pourtant du sang noble dans les veines, est
parmi les Chemises rouges qui
bousculent les troupes du petit François. Mais c’est un calculateur. Mieux vaut
une grande Italie élevée au rang de royaume et créée par des gens comme lui et ses amis plutôt qu’une
République que pourrait installer un Garibaldi si ce dernier se trouvait seul
vainqueur. D’ailleurs, l’objectif atteint, Tancrède rejoint, fier de son nouvel
uniforme, l’armée régulière du nouveau Roi d’Italie et crache sur ses
ex-compagnons de combat : « des
brigands ! ».
Le prince Salina a eu les yeux ouverts par son neveu. Par
des propos qui relèvent plus d’une analyse marxiste -mais Visconti était
marxiste- que d’une conversation banale, il admet que sa classe d’aristocrates,
de Guépards, fauves insoumis que l’on ne soumettra jamais, n’est pas porteuse
d’avenir. L’avenir appartient aux nouveaux riches, aux hommes d’argent, aux
« hyènes » - lesquelles
vivent sur le cadavre des autres - comme Don Calogero Sedara, à l’allure
quelconque voire vulgaire mais qui est à fond pour le changement de régime, il
est d’ailleurs, déjà, maire de Donnafugata. Salina votera « oui » au
referendum d’unification et, faisant volte-face, il demande pour son neveu Tancrède
à Don Calogero, la main de sa fille (Claudia Cardinale, resplendissante). Cela
tombe bien, Tancrède est ruiné. La dot est faramineuse. Un noble avec une
bourgeoise ! La prude épouse de Salina a failli s’étouffer. Mais c’est
l’avenir. Un camouflet pour Concetta Salina qui comptait sur une union avec son
cousin, mais l’avenir quand même.
Tout le monde sait que le film est dominé par ce
chef-d’œuvre inégalé de mise en scène : la séquence du bal qui dure 25
minutes et a été tourné en trois semaines. La scène se tient dans le palais
Valguarnera-Gangi, Palerme, emblème du style baroque sicilien. Ont été invités
tout ce que Palerme compte d’aristocrates, de bourgeois ralliés au panache de
Victor-Emmanuel, l’État-major de la nouvelle armée nationale représenté par
celui du colonel Pallavicino. Invité - les choses ont changé - Don Calogero,
impressionné par la hauteur des plafonds, ne peut que dire « c’est beau »…Pire, avec un collègue
il observe les dorures -qui à l’époque étaient en or vrai - et s’écrie :
« on ne pourrait pas faire ça,
aujourd’hui, au prix où est l’or » et devant un bronze doré il
s’interroge : « ça
représenterait combien d’hectares un objet pareil ? ». Quant il
entend cela, le prince Salina est effondré, un abîme s’ouvre devant lui, il est
habité de pensées morbides. Pour Salina, « un château dont on connaît toutes les pièces ne mérite pas d’être
habité », largeur d’esprit, hauteur de vue de l’aristocrate qui se
heurte à l’étroitesse, la mesquinerie des nouveaux-riches. Mais avec le XIX°
siècle, le pouvoir passe des mains des "landed men" à celles des "moneyed men", de la terre à l’argent, du sens de l’honneur au
calcul arithmétique.
Cette fête est
organisée après un fait historique
majeur : la bataille de l’ Aspromonte (22 août 1862). Garibaldi traverse
le détroit de Messine pensant continuer sa marche vers le nord pour
libérer les États du pape et les
rattacher au reste de l’Italie en gestation. Mais les Français de
napoléon III
s’opposent à cela et s’apprêtent à combattre les troupes de Garibaldi.
Le Roi
d’Italie préfère que ce problème soit réglé par les Italiens eux-mêmes
et
envoie le colonel Pallavicino arrêter les troupes du patriote que tant
d’Italiens admirent déjà… Pallavicino est un m’as-tu-vu de première
classe, un
hâbleur, et tout le monde, au bal, l’admire quand il raconte la bataille
et la
blessure de Garibaldi. Et le film se termine par un évènement tragique
qui
passe presque inaperçu. Garibaldi a été rejoint par des soldats de
l’armée de
Victor-Emmanuel. Ces derniers sont dès lors considérés comme déserteurs
et
condamnés à mort. Tancrède est au courant de tout cela et l’annonce à
qui veut
bien l’entendre. L’ordre doit régner et ces brigands être mis au pas. Le
bal
peut être une fête puisque l’ordre règne partout.
Au petit matin, le bal est fini. On se disperse. Tancrède,
homme neuf, très sollicité, ne sait où donner de la tête pour les au-revoir et
les rendez-vous, pris dans le mouvement il néglige son oncle lequel réalise
qu’il n’est plus qu’un marginal et s’en va prier, s’agenouillant devant le
passage du saint-sacrement. On entend la mitraille qui fusille les
révolutionnaires.
Rien n’a changé. En 1861 est né le royaume d'Italie. Il manque cependant la Vénétie toujours autrichienne - ainsi que le Trentin. Il manque aussi la partie restante des États pontificaux
que napoléon III défend bec et ongle pour ne plus s'attirer les foudres
des Catholiques français. Garibaldi voulait les rattacher, il en est
empêché dès son débarquement sur le continent (petit carré blanc au nord
de Reggio) par la nouvelle armée royale italienne. En 1866, l'Italie
récupère Venise. En 1870, elle envahit les États du pape, la garnison
française les ayant quittés pour cause de guerre franco-prussienne.
PS.
J'ai revu (12-12-2016) le film. Une résurrection grâce aux procédés
modernes de conservation des films. La splendeur des couleurs est
étonnante. la mis en scène des personnages est admirable. J'ai idée que
Visconti s'est inspiré d'un tableau célèbre contemporain du prince
Salina, réalisé en 1855, par Winterhalter, que voici ci-dessous :.
 Je
place le commentaire de Pascal Galtier, du service éducatif du Palais
Impérial de Compiègne où le tableau est exposé. "Ce tableau de grand
format a été commandé à Winterhalter, le spécialiste des portraits des
têtes couronnées, par l'impératrice Eugénie elle-même avant d'être présenté à l'Exposition universelle de Paris en 1855. L'Impératrice
y est représentée avec les dames de sa Maison, c'est-à-dire les jeunes
femmes choisies dans la haute société pour la seconder dans ses
activités quotidiennes et lors des grandes cérémonies. Les dames sont
assises dans une clairière en pleine forêt, vêtues de somptueuses
toilettes de bal, ornées de fleurs et de bijoux, ce qui forme un
contraste peu réaliste. Au milieu d'elles, l'impératrice Eugénie, dans
une robe blanche à rubans violets mais sans diadème, domine légèrement
ses compagnes. La critique de l'époque dénonça cette œuvre comme une
gravure de mode d'autant moins sérieuse que la majesté d'Eugénie n'était
pas suffisamment mise en évidence. Pour autant, les poses
différentes de toutes ces dames, le soin apporté à la représentation de
leurs mains et de leur visage, le jeu de leurs regards croisés donnent
une image précise du raffinement et de la grâce tels qu'on les concevait
à l'époque. Dès lors cette œuvre demeure emblématique de l'élégance et du luxe du Second Empire". Visconti a parfaitement rendu cette élégance et ce luxe. Inoubliable Visconti.
lire aussi, sur ce site : 1867 : Garibaldi défait à Mentana |
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