C’est
un film grandiose que nous offrit Bertolucci en 1987, il y a déjà trente ans.
Présenté comme un film « biographique », il fallait nécessairement
parler des différentes étapes de la vie de celui qui fut, effectivement, le
dernier empereur du plusieurs fois millénaire Empire du Milieu :
l’empereur Pu Yi. Et là, celui ou celle qui ne connait rien à l’histoire de la
Chine au XX° siècle est bien embarrassé. D’autant plus que les scénaristes
s’ingénient à éviter un parcours linéaire, simplement chronologique pour –j’imagine-
prévenir une allure scolaire rédhibitoire.
On
commence par le retour d’URSS en 1950 (Pu Yi fut pris par les Soviétiques alors
qu’il se rendait au Japon en 1945, en déroute), on a un flash-back sur l’année
de ses trois ans où il est couronné, on arrive dans la prison maoïste où il est
interrogé sur sa « collaboration » avec l’ennemi, on voit son
adolescence, les années 20’, on retourne en prison des années 50, on voit des
soldats envahir la Cité interdite, etc… Difficile de s’y retrouver.
Les
étapes simplifiées ont été les suivantes. Sa vie est calquée sur l’Histoire.
- E
n
1908, l’impératrice qui assurait la régence (en fait, elle avait évincé Guangxu,
empereur légitime mais trop réformateur à ses yeux) désigne Pu Yi comme
successeur. C’est un enfant, âgé de même pas trois ans. De 1908 à 1911, date de
la révolution républicaine, on peut dire qu’on a le tout dernier échantillon de
l’empire pluri-millénaire. Le film est à cet égard remarquable, avec une
reconstitution parfaite. Tout l’entourage de l’enfant assume le Kotow, soit la prosternation
protocolaire neuf fois face contre terre devant l’empereur. Empereur que
« les gens du commun n’ont pas le
droit de regarder ». On a affaire à l’éducation d’un autocrate
capricieux à qui tout est permis. Rien n’a changé depuis la nuit des temps. ci-dessus : Scène de tournage du film dans un décor au Tobu World Square reproduisant la cité interdite, Importance des moyens.
-En
1911, c’est la révolution de Sun yat-sen. 1911 : SUN YAT-SEN, LA RÉVOLUTION CHINOISE (1ère partie).
Les Républicains respectueux, somme toute, de l’Empire, n’osent liquider
complètement ce qu’il en reste et confine Pu Yi dans la Cité interdite dont il
n’a pas le droit de sortir. Devenu adolescent, ce dernier vérifie qu’il est
bien tout puissant et oblige l’un de ses conseillers à boire de l’encre. Ce
dernier s’exécute. Il vérifie également qu’il n’a pas le droit de sortir de la
Cité : les portes lui sont respectueusement fermées sous le nez. Il est
prisonnier. Le dernier empereur bénéficie d’une liste civile, comme on dit en
Angleterre, substantielle et dans la Cité interdite vivent 1200 eunuques, des
centaines de cuisiniers, des centaines de soldats, etc… Vivent aussi les
épouses secondaires des précédents empereurs lesquelles se conduisent comme les
gardiennes de la tradition. Car, pendant plusieurs années, Pu Yi est éduqué à
l’occidental grâce à un précepteur britannique (Peter O’toole) qui lui –ce fut
un vieux contentieux – ne pratique pas le
Kotow, j’ai vérifié. Et Pu Yi impose le changement : il coupe sa
natte, mode mandchoue que ces derniers avaient imposée aux Chinois, il porte
des lunettes –alors que selon les vieilles femmes de la Cour, un empereur ne
doit pas, ne peut pas porter des lunettes. Tradition oblige, dût-elle lui
coûter la vue ! Il se laisse pousser les cheveux qu’il coiffe à
l’occidental. D’au-delà les murs lui parviennent les bruits des manifestations
de 1919. Bertolucci reconstitue assez rapidement les manifs estudiantines qui
protestent contre les Alliés qui, à Versailles, ont bradé les intérêts de la
Chine –pourtant alliée elle aussi – au profit du Japon qui reçoit les
ex-colonies allemandes de l’Empire du Milieu. Les étudiants manifestent avec
leurs dazibaos, on sait qu’il y a là
l’enfantement du parti communiste chinois. Lien Chine : La révolution du 4 mai 1919. Alors qu’il est engagé dans une partie de tennis sur un court aménagé en
pleine Cité interdite, des soldats font irruption : c’est l’intrusion du
réel dans l’irréel, et il doit quitter Pékin pour ailleurs. On ne veut plus des
accords passés avec Sun Yat-sen.
-
Une autre étape, 1924, est engagée avec son séjour à Tien-tsin. On a là
aussi une reconstitution excellente de la Chine nationaliste des années
20’.
Les paysans sont (toujours) absents du film… A l’image du général Tchang
Kaï-chek qui a épousé une américaine, toute la Chine du changement se
tourne
vers l’Amérique. Les voitures Ford, le jazz avec un band maquillé en
noir, le
goût pour le chewing-gum, pour l’aspirine (de l’allemand Bayer, il est
vrai).
Etc… c’est une jeunesse dorée dans une ambiance dorée. Play-boy, Pu Yi
s’exerce
même à l’interprétation glamour des chansons à la mode. Lors d’une fête
bien
arrosée – le champagne est français – où les privilégiés s’interrogent
sur les
avantages respectifs de la Côte d’Azur et de la Californie, une sorte de
Muscadin interrompt brutalement la fiesta pour dire que « les Rouges sont fichus » jouit-il,
le général Tchang les a chassés de Shanghai et de Canton lien 15 octobre 1934, CHINE : la Longue Marche commence.. Nous
sommes alors en 1927. A l’aide d’anecdotes mises en scène,
Bertolucci montre aussi que ces années marquèrent le début de l’émancipation
des femmes chinoises. Ainsi, le seconde épouse de Pu Yi refuse ce statut et
demande le divorce. Elle sort, il pleut, on lui propose la protection d’un
parapluie, elle refuse, profitant de ces instants d’oxygène et de fraîcheur.
Apparaît aussi une femme aviatrice : symbole des progrès techniques et de
l’émancipation, lesbienne sur les bords, qui fume tabac et opium, comme la
première femme de Pu Yi. D’ailleurs. Pu Yi a cette réplique « l’opium a détruit la Chine ». Mais
l’Occident n’a jamais entendu cette phrase. La Chine humiliée : les traités inégaux (1839 - 1864) 2ème partie.
- La partie suivante s’engage en 1931 avec l’invasion de la Mandchourie
par les Japonais.LES R.I. de 1931 à 1937 : B. La Dégradation Les choses vont se dégrader également pour Pu Yi. Il
devient la marionnette dans les mains des Japonais, impérialistes sans
scrupules (redondance). Les Japonais croient pouvoir créer un nouvel État, le
Mandchoukouo et, ils trouvent un bon paravent avec Pu Yi, précisément, qui est
mandchou, de sang impérial, et même dernier empereur de Chine : on le fait
chef d’État. Mais je l’ai dit ailleurs, ceci est un cas d’école en droit
international : le Mandchoukouo n’a aucun légitimité, ni interne : le
peuple n’est pas consulté, ni externe : aucun autre État que celui de
Tokyo ne le reconnaît comme souverain. L’épouse est plus avertie que le
mari : elle voit bien le côté marionnette de la chose mais Pu Yi qui n’a
pas renoncé mentalement à son titre d’empereur, croit pouvoir lui, manipuler
les Japonais ! À la cérémonie du sacre en 1934, l’Église de Rome envoie un
nonce apostolique. Toujours la finesse diplomatique du Vatican à l’égard des
dictatures anticommunistes. Depuis 1931, Pu Yi est flanqué de Masahiko Amakasu, l’homme peu
discret des services de Tokyo. Mais Pu Yi, selon le film, a des idées sincères.
Il prononce un discours solennel devant les autorités japonaises et tout ce qui
reste des serviteurs de l’Empire chinois, parlant de la souveraineté de son
nouveau pays, de l’égalité, du respect réciproque entre Japon et Mandchourie,
etc… Il n’a décidément rien compris. Les Japonais, furieux, se lèvent et
partent. Suivis très peu de temps après par les « Chinois ». Pu Yi
est un homme seul.
Ci-dessous : l'empereur-potiche.
Il constate que sa garde
personnelle est désarmée… Il doit écouter Masahiko
Amakasu déclarer que, comme l’Inde britannique (c’est historiquement exact,
l’administration du "joyau de la Couronne" n’a pas coûté un penny à sa gracieuse
majesté), le Mandchoukouo doit payer lui-même les frais de sa colonisation par
les Japonais. Puis le Japonais se laisse aller : « l’Asie nous
appartiendra »…
Il
va de soi que les Chinois, communistes ou pas, ont des récriminations
particulièrement nombreuses et graves à formuler à l’égard des militaires de
Tokyo qui tardent à présenter des excuses.Les exactions japonaises, leur guerre d’agression (1931-1937-1945) et le révisionnisme historique Aussi bien, Pu Yi est accusé
de collaboration avec ces derniers et cela donne les interrogatoires de 1950
dans la prison de Fushun.
Les
Chinois et le premier d’entre eux, à savoir Mao, le Grand Timonier, montre une
relative bienveillance à son égard (lire les articles Wiki). Il semble bien qu’on ne puisse pas se
débarrasser en si peu de temps de plusieurs millénaires de domination
impériale. Surtout que Pu Yi est – peut-être – Fils du Ciel. Qui sait ?