Routes de la soie : ouvertures et barrages


Aspects historiques du canal de Suez + article de P. Barbancey

publié le 30 mars 2021, 03:10 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 31 mars 2021, 09:42 ]


        En ce mois de mars 2021, le blocage du canal de Suez par un mastodonte de 22.000 evp a fait la "une" de presque tous les journaux du monde. Pleins feux étaient mis sur un phénomène pourtant vieux d'un demi-siècle : le "révolution maritime", aspect visible et concret de la mondialisation. J'ai consacré au moins deux chapitres sur cet aspect des choses

VIE ÉCONOMIQUE DU MONDE : la "révolution nautique" du dernier quart du XX° siècle ainsi que Routes de la soie : ouvertures et barrages

    La catastrophe de l'EVERGIVEN - tous les navires propriété de la compagnie taïwanaise EVERGREEN commencent par "ever" - a montré, tout à la fois, l'aspect du gigantisme maritime (400m de long, 22.000 "boites, etc...), le rôle névralgique du canal égyptien (par où passent 13% du commerce mondial), le rôle mondial de l'Asie du Sud-est, le rôle des pavillons de complaisance (le navire taïwanais est immatriculé au Panama). L'idée de faire passer les navires ailleurs est revenue au premier plan "Routes de la soie" : La route maritime du nord-est, Chine - Europe via l'Océan arctique. Tout cela a montré que le 'toujours plus gros" n'était pas forcément le meilleur.  Il y a gros à parier que cet accident va faire revoir à la baisse les ambitions des productivistes.
    à l' IEP de Lyon, j'avais professé un cours sur la vie maritime mondiale et, donc, un paragraphe sur l'isthme de Suez. Il n'a aujourd'hui qu'un intérêt historique. Mais cela offre une mise en perspective.



Le canal a d'abord été construit pour raccourcir la route des Indes et il est devenu ultérieurement une voie primordiale du transport du pétrole moyen-oriental (1ère partie). Ce rôle crucial l'a en un sens désavantagé et un tube de contournement a pris l'essentiel de son trafic au point qu'aujourd'hui, le pétrole n'est plus qu'un appoint dans les recettes qui financent l'activité de la société gestionnaire du canal (2ème partie).

I. LE CANAL PÉTROLIER

A. Sur la route des Indes

Ouvert à la navigation maritime le 17 novembre 1869, le canal réduisait de 50% la distance entre Londres et Colombo.

Le canal de Suez est aujourd'hui une voie d'eau de 190,3 km, sans écluse, d'une profondeur de 19,5m, capable de recevoir des navires de 250.000 tpl à pleine charge et des porte-conteneurs de plus de 4.000 Evp et même des over-panamax.

A l'origine, les besoins en transport de pétrole sont inexistants, ce sont les intérêts des négociants anglais de marchandises générales (thé en particulier) qui ont poussé à sa réalisation. Très tôt, les Anglais ont remplacé les Français à la tête de la Compagnie internationale (1878) laquelle fut nationalisée par le colonel Nasser en 1956.26 juillet 1956, nationalisation du canal de Suez par Nasser

B. Une voie primordiale

En 1956, le canal est la route de transit normal du pétrole du Moyen-Orient vers l'Europe occidentale et les Etats-Unis (le pavillon britannique représentait 38% du trafic et les pavillons américain et panaméen 11,5 et 11%, autres pavillons européens 38%). En 1959, son trafic était de 163 Mt dont 114 pour les seuls produits pétroliers et le trafic nord-sud (produits industriels) comptait pour moins de 20% du total.

Le trafic du canal a été interrompu du 29.X.56 au 15.IV.57 et, une seconde fois, du 7.VI.67 au 5.VI.75. C'est dire qu'il a connu trois des guerres qui ont eu pour théâtre le Proche-Orient. Mais les acteurs régionaux n'ont pas attendu l'état de guerre pour comprendre que le canal était un passage stratégique assez facile à barrer et qu'il était dangereux de ne compter que sur lui pour le transit des flux pétroliers. Cette situation a donc fait rechercher des solutions de remplacement.

La première fut l'ouverture d'oléoducs de contournement :

- l'oléoduc transirakien construit en 1935 entre le Golfe et les échelles du Levant : Sidon au Liban et Haïfa aujourd'hui en Israël (fermé), le Tapline, le pipe de Bassorah .

- l'oléoduc en territoire israélien : Eilat - Ashdad

La seconde fut l'ouverture de la route du Cap pour les liaisons pétrolières entre le Golfe et l'Europe avec mise au point et construction des V.L.C.C.. (NB. VLCC est l'acronyme de Very Large Crude Carrier, soit en anglais « très grand pétrolier transporteur de brut ». Il s'agit d'une classe de pétroliers géants dont le port en lourd est compris entre 150 000 tonnes (fin de la taille Suezmax) et 320 000 tonnes (début de la taille ULCC) (source wikipaedia).

Ces raisons expliquent la baisse du rôle du canal dans le trafic mondial du pétrole mais la relève est prise par l'oléoduc SUMED et les lignes maritimes porte-conteneurs lui donne un intérêt nouveau.

II. AUJOURD'HUI : LE CANAL ET LE TUBE

A. Le sumed

Le canal ne laisse plus passer que 53 Mt de produits pétroliers (au lieu de 176 Mt en 1966) ce qui ne représente plus que 14,4% de son trafic total. La raison principale est la concurrence exercée par l'oléoduc Suez-Méditerranée. Le Sumed a été construit en 1967 après l'occupation israélienne du Sinaï et la fermeture du canal. Les capitaux avaient pour origine l’Égypte et l'Arabie Saoudite. Sidi Kerir (https://www.pinterest.fr/pin/311522499198279923/) est le terminal de chargement des navires sur la Méditerranée, à l'ouest d'Alexandrie. Aïn Sukhna, terminal de déchargement des navires en provenance du détroit d'Ormuz, est situé au fond du golfe de Suez. Le tube passe au niveau de la ville du Caire. Un autre poste de déchargement a été construit plus au sud, c'est-à-dire plus loin du canal, à Ras Sukheir.

Le flux du Proche-Orient vers l'Europe Occidentale qui est le 3° mondial par ordre d'importance emprunte donc des voies diverses et variées : le canal et Sumed d'une part, la route du Cap, d'autre part.

B. Une voie pour les marchandises générales

Le transport total de marchandises (du pétrole brut aux conteneurs) a porté sur 368 Mt en 2000, équilibré dans les deux sens pour ce qui concerne les marchandises autres que les produits pétroliers. Selon les Images Économiques du Monde, le nombre de navires porte-conteneurs aurait pour la première fois dépassé celui des pétroliers en 1995. Le canal est emprunté aujourd'hui par la ligne "Suez Express" de SEA-LAND (21 escales par semaine) qui va de la côte ouest à la côte est des Etats-Unis en évitant le canal de Panama. Le gouvernement égyptien a permis à la Chine d'établir une zone franche à Port Saïd servant de centre de tri pour l'exportation vers l'Europe et l'Afrique.

Les droits de passage rapportent plus de 2 milliards de dollars par an à la Suez Canal Authority et représentent la seconde source de devises de l’Égypte (ou la troisième, selon la conjoncture). Selon Les Échos, C'est la troisième source de devises du pays derrière le tourisme et les transferts opérés par les émigrés. Cette source a connu une baisse à cause de la diminution du nombre de passages des navires (tous types confondus) : de 21.266 en 1978 à 14.141 en 2000. Les causes sont multiples : préférence des européens pour le gaz, réorientation des exportations russes vers l'Europe et, surtout, profondeur limitée du canal qui empêche l'accès aux plus gros navires pétroliers. Pour ce qui concerne les porte-conteneurs, l'augmentation de leur taille en réduit le nombre. C'est pourquoi le creusement du tirant d'eau de 58 à 72 pieds est prévue mais pas encore réalisée (à actualiser, évidemment). Pour les armateurs pétroliers, d'ailleurs, il y a là un dilemme : d'une part, il faut mettre en ligne des navires au gabarit de Suez pour garder l'avantage du raccourcissement des distances, d'autre part, en cas de nouvelle fermeture du canal, les navires actuels ne seraient pas suffisamment gros pour la route du Cap.

Aujourd'hui, le trafic pétrolier concerne pour moitié les produits raffinés : 28,691 Mt de brut et 24,291 Mt de produits finis (ces derniers surtout dans le sens sud-nord). Il est envisagé d'associer le tube et le supertanker : les très gros pétroliers déchargeraient une partie de leur cargaison dans le Sumed et pourraient traverser le canal avec un tirant d'eau diminué grâce à ce délestage. Cela augmenterait les recettes de la Suez Canal Authority.


Comment le blocage du canal de Suez a fait tanguer le commerce mondial

Mercredi 31 Mars 2021

Son obstruction, pendant près d'une semaine, par un porte-conteneurs géant a affolé les marchés. Inauguré en 1869, en Égypte, cet axe est d’une importance capitale pour le fret maritime.

La fameuse sardine qui a bloqué le port de Marseille peut retourner dans l’imaginaire des Phocéens. Elle a été détrônée par l’ Ever Given, un porte-conteneurs géant qui obstruait depuis près d’une semaine le canal de Suez, une voie cruciale pour le commerce maritime mondial. Il se murmure que même les cigares du pharaon y auraient transité. Peut-être une fake news.

La véritable nouvelle, c’est la façon dont ce navire de plus de 220 000 tonnes et d’une longueur équivalente à quatre terrains de football a réussi à se trouver coincé dans le sud du canal, à quelques kilomètres de la ville de Suez. Un incident provoqué par des vents violents combinés à une tempête de sable, et voilà le mastodonte balayé comme un vulgaire fétu de paille. Mais on évoque la possibilité d’ « erreurs, humaines ou techniques », à l’origine de l’échouement. La bataille juridique et judiciaire ne fait que commencer. Les limiers des grandes compagnies d’assurances sont déjà sur les dents.

« Épicerie portuaire »

« Nous l’avons dégagé ! » s’est félicitée, lundi soir, Royal Boskalis Westminster, la maison mère de la société néerlandaise mandatée pour le sauvetage de l’ Ever Given, comme si l’on venait de retrouver des survivants sous les décombres à la suite d’un tremblement de terre. Le matin, le navire avait commencé à bouger après la libération de sa poupe. 30 000 mètres cubes de sable ont été dragués et 13 remorqueurs déployés.

Le président égyptien Sissi y est allé lui aussi de son tweet vainqueur en se félicitant d’une opération « réussie ». Il est vrai que la nouvelle a levé les inquiétudes qui pesaient depuis la semaine dernière sur le commerce international, dont 10 % transitent par le canal. Chaque jour d’immobilisation entraînait des milliards de dollars de pertes avec plus de 400 navires bloqués, chargés de marchandises, de pétrole ou encore de bétail vivant. Paul Tourret, directeur de l’Institut supérieur d’économie maritime (Isemar), a trouvé le mot juste, sur France 24. Le canal de Suez, a-t-il expliqué, « c’est l’épicerie portuaire par excellence. C’est toute la variété qu’on trouve sur le transport maritime ».

Un embouteillage de 425 navires

Selon la revue spécialisée britannique Lloyd’s List, le blocage du canal a créé un embouteillage (seulement en voie de résorption) de 425 navires qui attendaient de pouvoir franchir cette voie longue de quelque 190 kilomètres reliant la mer Rouge à la Méditerranée. Et l’assureur Allianz a estimé que chaque journée de blocage pourrait coûter entre 6 et 10 milliards de dollars (5 à 8,5 milliards d’euros). La valeur totale des biens bloqués ou devant emprunter une autre route a différé selon les estimations, oscillant entre 3 et plus de 9 milliards de dollars (2,5 à 7,7 milliards d’euros).

Quant à l’Égypte, elle perdait entre 12 et 14 millions de dollars (10 à 12 millions d’euros) par jour de fermeture du canal, emprunté par près de 19 000 navires en 2020. Les recettes dégagées par le canal de Suez représentent pour Le Caire la deuxième source de richesse du pays, derrière le tourisme, avec 5,5 milliards de dollars par an (4,7 milliards d’euros).

Un péage à 500 000 dollars

Ferdinand de Lesseps, le constructeur de ce canal inauguré en 1869 dont toute la France était si fière, oubliant ainsi l’exploitation esclavagiste des ouvriers qui l’ont creusé, n’en croirait pas ses yeux. Chaque année, près de 15 millions de conteneurs – pleins de tout, il n’y a pas que des pétroliers – franchissent le canal, dont 75 % proviendraient de Chine.

Pékin, qui est directement présent avec un contrat d’exploitation de 7,3 km2 dans cette zone économique du canal de Suez. Personne ne doute de l’importance de cette voie maritime qui permet d’éviter de contourner l’Afrique par le cap de Bonne-­Espérance, économiser du temps – une à deux semaines de navigation – et du carburant. L’économie financière, en revanche, n’est pas si évidente lorsqu’on sait que pour certains tonnages, le péage du canal de Suez avoisine les 500 000 dollars !

Les cours de l'or noir bondissent

L’impossibilité de franchissement du canal a entraîné d’importants retards de livraison de pétrole et d’autres produits. La nouvelle a évidemment fait bondir les cours de l’or noir jusqu’à 6 %, mercredi dernier, avant de retomber le lendemain. Si certaines compagnies avaient envisagé, au bout de trois jours de blocage, de faire faire marche arrière à leur navire, une autre question, tel un iceberg, a émergé publiquement mais très certainement déjà en boucle dans ces milieux : faut-il absolument toujours passer par Suez ?

« Le blocage de Suez accélérera le changement de la chaîne d’approvisionnement mondiale », a ainsi souligné Soren Skou, le directeur général du transporteur danois Maersk, dans un entretien au Financial Times. Il y a bien évidemment le canal de Panama (où Lesseps s’était aussi fait remarquer pour des détournements de fonds).

Vers la route maritime septentrionale ?

Mais les regards commencent également à se tourner vers la route maritime septentrionale, au nord de la Russie. Un transit plus court de près de 40 % lorsqu’il est envisagé de la Chine ou de la Corée du Sud vers les ports d’Europe du Nord, note ainsi le site Arctictoday. Un designer finlandais, Aker Arctic, a même présenté la semaine dernière un porte-conteneurs brise-glace pour des routes arctiques plus courtes. Pas de la science-fiction, mais pas encore une réalité tant les problèmes sont légion par cette route polaire.

Reste le fret ferroviaire, que la Chine, toujours elle, aime particulièrement. Mais, pour l’heure, le train ne représente que 1,6 % des flux de conteneurs entre l’Europe et l’Asie. Par le canal de Suez « passe une diagonale de la Terre qui joint idéalement et matériellement la Grande-Bretagne et l’Inde et l’Europe industrielle au monde investi », écrivait l’anthropologue Jacques Berque. Une diagonale fragilisée mais toujours là.


Le Viet-Nam, future puissance maritime

publié le 8 mars 2021, 08:30 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 8 mars 2021, 14:58 ]


    Le 12e Congrès du Parti communiste vietnamien a réaffirmé les ambitions maritimes du pays. La stratégie vietnamienne recoupe des enjeux certes économiques, mais également de souveraineté.
Vendredi 4 Mars 2016, l'Humanité, Lina SANKARI
texte suivi par le point de vue de deux universitaires, Daniel WEISSBERG (Toulouse) et Nathalie FAU (Paris VII)


    La zone rurale de Hiêp Phuoc est méconnaissable. Il y a quelques années encore, cette commune méridionale disposait d’à peine assez d’électricité pour faire tourner l’économie locale. Aujourd’hui, la zone rurale a laissé place au nouveau terminal de conteneurs de Hô Chi Minh-Ville, qui s’étend sur quarante hectares. Les infrastructures flambant neuves du port international illustrent les ambitions maritimes du Vietnam. Ce nouveau terminal vise en réalité à faire face à la saturation des infrastructures existantes, surtout dans la région de Hô Chi Minh-Ville qui représente 21,7 % du PIB national, et à la forte croissance des échanges maritimes (+ 19 % par an en moyenne jusqu’au ralentissement de 2009). Pourtant, en termes d’insertion dans le trafic maritime mondial, les ports vietnamiens restent loin derrière leurs homologues chinois et singapouriens. Le commerce est d’environ 4,5 millions de conteneurs pleins par an grâce à l’exportation manufacturière, mais aussi à l’importation de fournitures et de biens de consommation pour la plupart chinois. Le 12e Congrès du Parti communiste vietnamien, qui s’est achevé le 28 janvier, s’est donné pour ambition de faire contribuer l’économie maritime à hauteur de 55 % du PIB national. Situé sur l’une des voies maritimes les plus fréquentées au monde, le pays entend étendre ses activités liées à la pêche et à l’exploitation du pétrole offshore.

Le Vietnam, première puissance démographique de la péninsule indochinoise, jouit d’une accessibilité maritime totale. Outre ses 3 400 kilomètres de rivages, toutes les principales villes se situent sur la côte et les fleuves, mais « l’accessibilité maritime totale du pays n’empêche pas les problèmes de logistique avec une modernisation nécessaire des réseaux routier et ferroviaire pour fluidifier les échanges internes », note Paul Tourret, directeur de l’Institut d’économie maritime. Pour réaffirmer ses ambitions maritimes en mer de l’Est, le Vietnam mise aussi sur l’aspect social et développe un modèle de pêche hauturière en groupes et en confédérations de pêcheurs par le biais de la Confédération générale du travail du Vietnam (CGTV), qui rassemble plus de 50 millions de travailleurs vietnamiens. Des filets, des assurances, des équipements de communication ont été livrés aux pêcheurs, qui profitent également de la modernisation de leurs bateaux. Un point essentiel dans la concurrence régionale.

Si les rivalités régionales sont réelles, elles restent néanmoins à relativiser

Si le maintien d’une indépendance, obtenue de haute lutte, passe par le renouveau économique, les ambitions maritimes du Vietnam sont également à comprendre dans le cadre des rivalités territoriales avec la Chine pour la souveraineté sur les îles Paracels et Spratleys, autrement appelées Hoang Sa et Truong Sa au Vietnam. Les ambitions vietnamiennes dans la zone se heurtent également aux revendications malaisiennes, indonésiennes et philippines. Selon les chiffres de la Banque mondiale, la mer de Chine méridionale, ou mer de l’Est pour les Vietnamiens, recèle des réserves d’au moins sept milliards de barils de pétrole et 25 billions de mètres cubes de gaz naturel, essentielles à l’expansion économique des pays riverains. Zone de pêche importante, cette étendue d’eau voit enfin passer 50 % du trafic pétrolier mondial. Mais les rivalités constantes et les démonstrations de force de part et d’autre créent malgré tout une insécurité juridique et matérielle qui entrave l’exploitation des ressources de la zone. En 2005, un accord a pourtant été conclu avec la Chine pour mener des patrouilles conjointes dans le golfe du Tonkin (Bac Bô) et une zone de pêche commune. En 2015, les deux pays ont réaffirmé leur volonté de régler les questions maritimes de manière pacifique et dans le respect du droit international, dont la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (Unclos) de 1982. Selon Paul Tourret, si les rivalités régionales sont réelles, elles restent néanmoins à relativiser. En atteste "le rapprochement entre les Philippines et le Vietnam, entamé début 2014, (qui) montre que l’Asie du Sud-Est engage des relations complexes avec la puissance chinoise. D’une manière générale, c’est l’une des caractéristiques de l’Extrême-Orient de construire des liens économiques de plus en plus denses et une prospérité commune, tout en cultivant (à l’excès ?) les tensions de voisinage".

fin du texte de Lina SANKARI

Spratleys et Paracels, quels enjeux géopolitiques pour le Vietnam et la Chine?

Vendredi 4 Mars 2016

Par Daniel Weissberg, professeur de géographie à l’université Jean-Jaurès de Toulouse

Que 15 km² de terres émergées, près de 230 îles au total dispersées sur environ 425 000 km² de mers, cristallisent depuis plusieurs décennies les tensions régionales en mer de Chine méridionale, la mer de l’Est pour les Vietnamiens, interroge la géopolitique. La possession des Truong Sa et Hoang Sa, leurs noms vietnamiens, Nansha et Xi Sha en chinois, revendiquée aussi par quatre autres États constitue un enjeu stratégique majeur. Pour tous, des zones économiques exclusives (ZEE) élargies en fonction du droit international, au-delà de l’exploitation des ressources naturelles, halieutiques et offshore (pétrole et gaz naturel sont déjà exploités par divers consortiums), permettent d’asseoir le contrôle des grands détroits régionaux à l’heure où est devenue effective la littoralisation des activités économiques sur toute la façade orientale de l’Asie. Si chacun des États riverains revendique une antériorité d’occupation, et en sus pour le Vietnam l’héritage juridique de la souveraineté coloniale française, l’enjeu consiste aussi pour la Chine, à travers l’occupation militaire des principaux îlots, à affirmer sa stature de leadership régional et mondial. Le Vietnam, puissance émergente, doit ancrer une volonté de maritimisation réaffirmée, aussi bien pour des raisons économiques que pour des raisons de politique intérieure. Elle se heurte de fait à la redéfinition, à son profit, par la Chine des frontières maritimes selon une carte dont le tracé dit en « langue de bœuf » conférerait à Pékin la souveraineté sur les trois quarts des mers régionales. Pour le Vietnam, remettre en cause l’imperium maritime chinois par le renforcement de sa présence dans les archipels nécessite un appui multilatéral régional au sein de l’Asean, déjà acquis par l’implication de la Malaisie, des Philippines, de Brunei dans le débat. Mais cela suppose aussi un soutien international, déjà manifesté ouvertement par les États-Unis, l’Inde, l’Australie. Par certains aspects, le conflit des Spratleys et Paracels, entre initiatives sur le terrain et statu quo global, illustre les multiples aspects de la reconfiguration d’un monde multipolaire, montre aussi les limites de l’arbitrage international.

Des ports aux atouts réels pénalisés par un défaut de planification

Vendredi 4 Mars 2016

Par Nathalie Fau, Maître de conférences à l’université Paris-VII

Située sur la principale route conteneurisée mondiale et sur l’axe maritime asiatique Singapour-Hong Kong-Japon, le Vietnam dispose de nombreux atouts pour s’affirmer comme une nouvelle puissance portuaire. Le Seaport Master Plan (2010-2020) ambitionne d’instaurer des liaisons directes entre le Vietnam et l’Europe et les États-Unis afin de ne plus recourir au transit par des hubs régionaux et de faire émerger sur la carte maritime mondiale un hub de transbordement vietnamien. Les résultats sont optimistes. Le taux de croissance annuel de conteneurs manipulés dans ses terminaux a été en moyenne de 16,8 % entre 2000 et 2012 et devrait se poursuivre à un rythme de 8-9 % par an jusqu’en 2020. En 2014, le port d’Ho Chi Minh-Ville a dépassé les 100 millions de tonnes qu’il s’était fixées. Ces chiffres masquent cependant un manque de clairvoyance dans la planification. Le Vietnam, qui a longtemps pâti de l’absence de ports en eaux profondes pour ses exportations, souffre désormais d’une surcapacité de ses infrastructures. Les terminaux en eaux profondes de Cai Pei, construits à 80 km de la capitale, ont été surdimensionnés ; ils fonctionnent à une moyenne de 15-20 % de leur capacité et la concurrence interne est tellement vive que les prix de manutention demandés sont désormais en dessous du seuil de rentabilité. Au nord du pays, la congestion du port de Haiphong justifiait la construction d’un nouveau port. Mis en opération en 2004, le port de Cai Lan présente cependant un bilan mitigé et son taux d’utilisation ne dépasse pas les 20 %. En dépit de ces résultats médiocres, un second terminal (CICT) a été inauguré en août 2012. Enfin, l’ambition de construire un hub de transbordement au centre du Vietnam à Van Phong paraît peu réaliste : absence de marché local suffisant, forte concurrence asiatique. Actuellement, aucun investisseur n’a répondu à l’appel d’offres du gouvernement. En fait, l’avenir des ports vietnamiens dépendra surtout de leur capacité à capter les flux régionaux des pays limitrophes.


Ceylan et son port Colombo : enjeux sur la route de l'océan indien

publié le 5 mars 2021, 06:43 par Jean-Pierre Rissoan


    Lors d’une visite à Colombo, mercredi, le premier ministre pakistanais lui a offert de rejoindre son programme d’infrastructures et de corridor économique chapeauté par la Chine. Une manière de doubler le rival indien dans son « pré carré ».

Au bord de la faillite, le Sri Lanka aiguise les appétits régionaux

Jeudi 4 Mars 2021
Lina Sankari, L'Humanité


    On connaissait l’appétence d’Imran Khan pour le cricket. Ancien joueur international, le premier ministre pakistanais a visiblement aussi développé des talents dans les parties de billard à trois bandes. Celui qui clôturait, mercredi, une visite de deux jours au Sri Lanka aura mis à profit son déplacement pour doubler l’Inde dans son supposé pré carré. Imran Khan a ainsi proposé au Sri Lanka de rejoindre son programme d’infrastructures et de corridor économique chapeauté par la Chine dans le cadre des nouvelles routes de la soie. C’est précisément là que le bât blesse : New Delhi lutte depuis des années pour ne pas voir le Sri Lanka tomber dans l’escarcelle du rival chinois.

Un projet nommé « collier de perles »

L’île tient en effet une position stratégique dans le développement des routes maritimes de la soie dans l’océan Indien. « Ma visite vise à renforcer les relations bilatérales, en particulier le commerce et les liens économiques grâce à une connectivité améliorée », plaide le chef du gouvernement pakistanais, qui voit dans cette offre un moyen pour le Sri Lanka de développer ses liaisons avec le reste de l’Asie centrale via Gwadar. En quelques années, Pékin a transformé ce petit port de pêche pakistanais sur la mer d’Arabie en clé de voûte de ses ambitions mondiales. À proximité du détroit stratégique d’Ormuz, il entre de plain-pied dans le projet de « collier de perles » qui vise à mettre la main sur une série de ports dans la région afin d’encercler l’Inde.

L’escale de sous-marins chinois

    New Delhi voit l’offre pakistanaise d’un mauvais œil car, pour l’heure, environ 70 % des marchandises qui transitent par le Sri Lanka sont transportées vers ou depuis l’Inde. Entre 2005 et 2015 pourtant, l’influence de la Chine s’est considérablement accrue au Sri Lanka, participant à la reconstruction post-guerre civile, au développement d’infrastructures majeures, dont le port en eau profonde d’Hambantota (Sud) dont le bail lui fut cédé pour 99 ans en l’échange de l’effacement d’une dette colossale. Pékin s’est même offert, en septembre 2014, l’escale de ses sous-marins en pleine visite du premier ministre japonais, Shinzo Abe.

Le chef du gouvernement sri-lankais, Mahinda Rajapaksa, en poste depuis 2018, porte toutefois un jugement négatif sur la présence grandissante de la Chine dans son pays et privilégie une politique de « l’Inde d’abord ». Ainsi, Imran Khan n’avait pas encore plié bagage que le Sri Lanka se disait prêt, mardi, à proposer à l’Inde et au Japon un terminal stratégique en eau profonde, un mois après son retrait d’un précédent accord avec les deux pays asiatiques. Ce projet devait justement jouxter le terminal international de Colombo, détenu à 85 % par la Chine. Pour justifier son retrait du projet tripartite, Colombo avait alors rejeté la responsabilité sur les syndicats, qui privilégiaient un développement local plutôt qu’étranger. Car le Sri Lanka est en position d’extrême fragilité. Pris en étau entre le besoin d’accroître la dépense publique pour affronter la crise sanitaire et celui de faire face à ses échéances de dette, le pays suscite aujourd’hui des appétits.

L’Inde promet un crédit de 400 millions de dollars

Lors d’un sommet bilatéral virtuel en septembre dernier, le premier ministre indien, Narendra Modi, a rappelé que « les relations entre l’Inde et le Sri Lanka sont vieilles de milliers d’années », plaidé pour l’intégration des chaînes d’approvisionnement et débloqué un crédit de 400 millions de dollars pour la relance. Une manière de remettre la Chine à sa place. Pour convaincre Colombo de le suivre, le Pakistan pourrait également arguer de sa relation privilégiée. En 1965 et 1971, lors des deuxième et troisième guerres indo-pakistanaises, le Sri Lanka autorisait les navires et avions d’Islamabad à se ravitailler dans ses installations. De même, lors de la guerre civile au Sri Lanka, le Pakistan a fourni des armes et formé des aviateurs contre les séparatistes tamouls, majoritairement hindous. Dernier motif d’inquiétude pour l’Inde, Imran Khan ne s’en tient pas au commerce. Sa visite comportait en effet un volet militaire via le partage de renseignements et une coopération sur les questions de sécurité, dont le « terrorisme » et la criminalité. Pour ce faire, le Pakistan a annoncé le déblocage d’une ligne de crédit de 50 millions de dollars pour les achats de défense sri-lankais.


Les Routes de la soie se cherchent un avenir...

publié le 27 mai 2020, 09:10 par Jean-Pierre Rissoan


    Avec la crise et les craintes liées à la dette des pays, le projet phare de la Chine traverse une phase critique. Pékin entend amplifier les « routes sanitaires », lancées en 2017, pour regagner la confiance alors que les offensives des puissances occidentales se multiplient.
    par Lina SANKARI, L'HUMANITE-dimanche


    Le nouveau coronavirus va-t-il confiner la Chine contre son gré ? À l’aune de la pandémie, les Nouvelles Routes de la soie, grand contre-projet de civilisation porté par le président Xi Jinping depuis 2013, ont – temporairement au moins – du plomb dans l’aile. Censée fédérer autour de l’idée d’un développement partagé, la Ceinture terrestre et maritime a du mal à ignorer la nouvelle donne créée par le Covid-19 : rupture des chaînes d’approvisionnement, restriction des voyages et contrôles stricts aux frontières… Déjà, les retards et les dépassements des coûts se font sentir sur les chantiers, et interrogent leur viabilité. « Les entreprises publiques centrales ont connu des retards dans les contrats en cours, une baisse des nouvelles commandes et des risques pour l’approvisionnement en matières premières », explique Xia Qingfeng, chef du service de publicité de la Commission d’État chinoise de supervision et d’administration des actifs.

Main-d’œuvre et monnaie

    Ainsi en va-t-il, en Indonésie, de la ligne ferroviaire à grande vitesse reliant Jakarta à Bandung, bâtie par un consortium sino-indonésien (Kereta Cepat Indonesia-China, Kcic). « La pandémie de Covid-19 a retardé la livraison de matériel importé de Chine. Les experts chinois ne sont pas encore revenus parce que les conditions ne sont pas encore favorables », confirme Chandra Dwiputra, président-directeur général de Kcic. Comme pour l’ensemble des projets en cours sur la Route de la soie, les restrictions imposées par la Chine ont empêché les 300 travailleurs – un cinquième de la main-d’œuvre du projet indonésien – de reprendre les travaux, qui doivent pourtant avancer. L’emploi d’ouvriers chinois plutôt que de travailleurs locaux est d’ailleurs l’une des critiques formulées à l’égard des Routes de la soie et pourrait aujourd’hui pousser Pékin dans ses contradictions.

    Vishnu Bahadur Singh, de la fédération népalaise de l’industrie hydroélectrique, admet que « beaucoup étaient des ouvriers spécialisés, difficiles à remplacer localement ». La défiance règne pourtant à leur égard, compliquant la reprise. « La plupart de nos collègues chinois veulent revenir, mais les employés locaux restent effrayés à l’idée de les côtoyer », concède un contremaître chinois à l’AFP. Le Bangladesh, lui, n’accorde plus aucun visa aux ressortissants chinois, mettant de fait en suspens la construction de la centrale électrique de la Bangladesh-China Power Company à Payra (Sud), qui emploie quelque 3 000 Chinois. Aux prémices de l’épidémie, en janvier et février, 39 000 ressortissants de la seconde puissance mondiale ont été envoyés à l’étranger, soit 29 000 de moins qu’en 2019 à la même période.

    Autre problème : celui de la baisse de la valeur des monnaies. Le gouvernement sri-lankais, qui avait donné son accord à plusieurs projets stratégiques qui permettaient à la Chine de s’insérer dans l’environnement proche du rival indien, a mis en œuvre une interdiction totale de l’importation de produits dits non essentiels afin d’endiguer le glissement de la roupie et préserver ses réserves de change. Les importations d’équipements et de machines de construction ont en conséquence subi un coup d’arrêt. Et de toucher ici à un autre problème soulevé par les Nouvelles Routes de la soie, celui de l’endettement pour des projets dont l’utilité est remise en question face aux besoins actuels des populations. Au Sri Lanka, c’est le cas du Colombo Financial District, une presqu’île artificielle qui doit abriter une cité financière internationale, une marina, des hôtels et enseignes de luxe et un casino, pour un coût total de 1,27 milliard d’euros.

Formation, prévention, recherche

    Face à des pays au bord de l’insolvabilité, la crise du coronavirus pourrait ainsi relancer les interrogations autour des Routes de la soie, conçues comme un soutien à la croissance chinoise, un débouché pour ses entreprises et un relais hors de ses frontières.

    Plutôt que d’y mettre un frein définitif, les pays tiers devraient donc étudier avec davantage de précision la viabilité des projets, car le développement des infrastructures pourrait jouer un rôle de stimulus économique à l’échelle mondiale pour entamer la sortie de crise. Les dommages ne sont donc pas irréparables. D’autant que la Chine possède une capacité d’adaptation extrêmement rapide lorsqu’elle identifie un problème.

    Ainsi, aux critiques qui font valoir que les Routes de la soie ont permis de faire circuler le virus, Pékin répond qu’elles sont un projet multidimensionnel qui recèle une dimension de recherche et d’échanges universitaires capables de relever les futurs défis. Cette « route de la soie sanitaire » comprend, par exemple, un volet de formation en Indonésie et au Laos, de prévention des maladies infectieuses en Asie centrale et dans la sous-région du Mékong et, ailleurs, de dotation en équipements médicaux. En 2017, le Forum de la Ceinture et la Route pour la coopération internationale, et une réunion à haut niveau à laquelle participaient trente ministres de la Santé et dirigeants d’organisations internationales concrétisaient cette idée. Dix-sept protocoles d’accord y ont été signés avec des pays mais aussi des agences de l’ONU. Le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, assure que « si nous voulons garantir la santé de milliards de personnes, nous devons saisir les opportunités offertes par l’initiative la Ceinture et la Route ». La crise actuelle, qui révèle les besoins criants d’infrastructures sanitaires dans certains pays, offre à la Chine une possibilité en ce sens. Et un moyen de regagner une confiance écornée.

    Lina Sankari

    NB. Ceux qui veulent faire payer la Chine

    C’est une petite rengaine qui se répand comme un virus. Pour mieux cacher leur incurie, certains dirigeants s’attaquent à la Chine et lui demandent… de payer la facture financière et politique. Le 23 avril, l’État du Missouri estimait que « le gouvernement chinois a menti au monde entier sur le danger et la nature contagieuse du Covid-19, a réduit au silence les lanceurs d’alerte et n’a pas fait grand-chose pour arrêter la propagation de la maladie. Il doit être tenu responsable de ses actes ». Le Missouri, qui estime les dommages causés à des dizaines de milliards de dollars, demande également à Pékin des dommages et intérêts. Des avocats nigérians requièrent, eux, 200 milliards de dollars pour « la perte des vies humaines, l’étranglement économique, les traumatismes »… Plus près de chez nous, Francis Journot, membre de l’association Vêtements made in France, estime dans « le Figaro » que « les proches des victimes pourraient former, au cours des mois à venir, une action collective pour homicides qui pourrait amener des dirigeants chinois à s’expliquer devant une cour pénale internationale » ! Et tous de déplorer les réactions « épidermiques » des diplomates chinois…


Japon et Chine sur le continent africain (7° TICAD)

publié le 3 sept. 2019, 10:24 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 21 juin 2021, 01:58 ]

lire au préalable :


Outre l’Asie, Tokyo entend concurrencer la Chine sur le continent africain.

Les ambitions africaines du Japon

Vendredi, 30 Août, 2019

    Dans la novlangue entrepreneuriale, on appelle cela un deal flow. En clair, de nouvelles opportunités d’investissement offertes sur un plateau. Il en aura beaucoup été question lors de la 7e Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (Ticad), l’opération de séduction des ­dirigeants africains qui se tient depuis ­mercredi au Japon. Organisée par l’ONU, la Banque mondiale et l’Union africaine, la session vise, sous couvert de développement, à concurrencer la présence chinoise en Afrique. Comme c’est déjà le cas en Asie, où Tokyo a repris l’idée chinoise de ­corridors économiques rivalisant avec les « nouvelles routes de la soie ». Seulement, Pékin a pris une sérieuse avance en Afrique puisque, depuis le premier sommet Ticad en 1993, le Japon a consacré une enveloppe de 47 milliards de dollars au continent quand la Chine y investit 60 milliards par an. Le Japon fait néanmoins preuve d’activisme : 796 de ses entreprises sont présentes en Afrique, contre 520 en 2010.

    Les services nippons mis en avant

    Pour marquer sa différence avec la Chine, le premier ministre japonais Shinzo Abe a mis l’accent sur la « qualité » des services nippons. En une référence claire au rival chinois, le but affiché par Tokyo n’est pas de faire couler l’argent à flots mais de déve­lopper les « ressources humaines », quand la Chine est accusée d’avoir recours à ses propres ouvriers et de faire peu de cas des droits humains et de la protection de l’environnement. À l’issue de la Ticad, Tokyo devrait ainsi annoncer un prêt de 3,4 milliards d’euros pour l’extension d’équipements éoliens en Égypte et des unités géothermiques au Kenya ou à Djibouti.

    L’autre grief concerne l’endettement massif causé par les « nouvelles routes de la soie ». Fin avril, à Pékin, le président djiboutien Ismaïl Omar Guelleh, dont le pays accueille la seule base militaire chinoise à l’étranger, s’est inquiété du fardeau du prêt du chemin de fer Djibouti/Addis-Abeba et du doublement de la dette en cinq ans (89 % du PIB). À elle seule, la Chine détiendrait près de 20 % des dettes publiques du continent. « Si des pays partenaires sont profondément endettés, cela gêne les efforts de tout le monde pour entrer sur le marché », martèle Shinzo Abe. À l’horizon 2022, le Japon envisage de former des experts à la gestion des risques financiers et de la dette publique dans trente pays. Loin de toute philanthropie, c’est à la promotion de ses propres dispositifs de financement et d’assurance que le premier ministre japonais œuvre désormais.


l'Asia-Africa Growth Corridor contrecarre les routes de la soie

publié le 13 juin 2019, 07:35 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 9 sept. 2019, 01:56 ]


Je publie un article de l'Humanité qui montre l'opposition qui se dresse contre le programme chinois des "Routes de la soie". Face à ces routes, Inde et Japon principalement veulent établir les Asia-Africa Growth Corridor. On lira de petites mises au point fort utiles dans la revue Les yeux du monde. Tout ce qui est entre parenthèses est de moi-même (ainsi que l'insertion de la carte).

    J.-P. R.

     La stratégie indo-pacifique, promue par le Japon et l’Inde, vise à endiguer l’influence chinoise. Elle séduit jusqu’en France et a fait l’objet d’une vive confrontation entre Washington et Pékin lors du Dialogue de Shangri-La sur la défense en Asie (note wiki :
Le Shangri-La Dialogue est une conférence internationale organisée chaque année depuis 2002 par l'International Institute for Strategic Studies (IISS). Elle se tient à l'hôtel Shangri-La (d'où son nom) de Singapour. Elle a pour thème la défense et la sécurité dans la zone Asie-Pacifique. Elle est l’occasion de nombreux échanges entre les représentants des quelque cinquante pays représentés).

    Il y a une certaine ironie à voir le gouvernement indien reprendre à son compte l’idée d’une « confluence des deux océans », une référence empruntée à l’ouvrage du prince moghol Dara Shikoh (1615–1659), daté de 1655, alors même que les nationalistes hindous récusent l’héritage musulman de l’Inde. Quoi qu’il en soit, la formule lancée pour la première fois par le premier ministre japonais, Abe Shinzo, sert aujourd’hui à sceller une nouvelle alliance qui, de l’océan Indien au Pacifique, permettrait de contrecarrer l’influence de la Chine et de ses nouvelles routes de la soie. Malgré l’absence de contours clairs, le slogan d’un (océan) "Indo-Pacifique libre et ouvert" fait florès de Delhi à Tokyo, en passant par l’Indonésie et les États-Unis.

    La stratégie japonaise reprend clairement l’idée chinoise de corridors économiques à travers le continent. Sont ainsi évoquées la présence au Sri Lanka, la modernisation de la ligne ferroviaire Yangon - Mandalay en Birmanie, la création d’un couloir industriel Delhi-Mumbai, en Inde, et d’une voie qui irait jusqu’au port de Nacala, au Mozambique, desservant le Malawi et la Zambie (2). Ce plan s’inscrit dans un programme plus large, l’Asia-Africa Growth Corridor (AAGC, economic cooperation agreement between the governments of India, Japan and multiple African countries), qui prévoit des initiatives dans les secteurs de la santé, de la pharmaceutique et de l’agriculture (1).

La charge de Florence Parly contre la Chine

    

Enfin, l’Inde investit massivement dans le port iranien de Chabahar afin de contourner le rival pakistanais, allié de la Chine, et de relier directement Mumbai et le Gujarat à l’Iran par voie maritime. Cette route créerait également un débouché dans l’océan Indien pour les pays d’Asie centrale comme l’Afghanistan. Une fois ce tableau dressé, on voit mal comment ces "routes de la liberté" se distingueraient des routes de la soie et ne conforteraient pas les autoritarismes locaux.

    La stratégie indo-pacifique séduit jusqu’en France. Lors du Dialogue de Shangri-La sur la défense en Asie, qui s’est tenu à Singapour le week-end dernier (fin mai 2019), Paris s’est livré à une démonstration de force. À l’origine de la charge de la ministre de la Défense, Florence Parly, contre la Chine, une interprétation divergente de la Convention de la mer qui stipule que " tout État a le droit de fixer la largeur de sa mer territoriale" dans la limite de  "12 milles marins". Comme les États-Unis, la France franchit régulièrement cette limite en naviguant près des récifs "poldérisés" par Pékin dans les archipels Spratleys et Paracels (voir carte du MD dans l'article La Chine s’est éveillée… à l’Est), signifiant que sa souveraineté sur ces îlots n’est pas reconnue. Françoise Parly défend, pour sa part,  "la liberté de navigation" et n’entend demander aucune autorisation pour pénétrer dans la zone économique exclusive (ZEE) chinoise.

    "Pourquoi une stratégie indo-pacifique ? Tout simplement car la France est riveraine de la région : plus de 80 % de notre zone économique exclusive est ici", soutient Florence Parly. Les 7 000 militaires français déployés ou prépositionnés en Indo-Pacifique font force de loi. Dans un contexte marqué par la guerre commerciale entre Pékin et Washington, le secrétaire à la Défense américain par intérim, Patrick Shanahan, a appuyé les propos français, expliquant que "l’attitude qui érode la souveraineté d’autres pays et sème la méfiance sur les intentions chinoises doit cesser". Une confrontation qui n’est pas sans faire tiquer nombre de membres de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean), dont la tradition est héritée du non-alignement.

Lina Sankari

Mercredi, 5 Juin, 2019

(1) compléments : https://les-yeux-du-monde.fr/actualite/actualite-analysee/36189-lasian-african-growth-corridor-dernier-avatar-de-la-course-a-la-puissance-en-asie
(2) : https://www.google.com/search?q=desserte+ferroviaire+de+Nacala+(mozambique)&client=firefox-b-d&tbm=isch&source=iu&ictx=1&fir=Nu-c4XphTmyfAM%253A%252CPhefwyDFgn8CbM%252C_&vet=1&usg=AI4_-kSKEZQUyW4VnmuerOYQytcDus6z7w&sa=X&ved=2ahUKEwiA5InOpNLiAhVOx4UKHXG0CTQQ9QEwAXoECAYQBg#imgrc=ffw5rbWGEIfgUM:&vet=1


le détroit de Malacca : point (très) sensible de la planète.

publié le 13 juin 2019, 07:29 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 16 nov. 2020, 14:33 ]

        Je reproduis ici un excellent mini-dossier de l'Humanité sur ce point éminemment stratégique de la planète : le détroit de Malacca. On verra que ce possible goulot d'étranglement pousse les Chinois-Pékin à trouver des alternatives dont les fameuses "nouvelles routes de la soie"

Malacca, cœur de toutes les rivalités en Asie du Sud-Est

Lina Sankari

Vendredi, 29 Janvier, 2016, L'Humanité

Point de passage maritime le plus fréquenté au monde, le détroit de Malacca est l’objet de tensions récurrentes liées à la sécurité commerciale et à la souveraineté. Face au constat d’engorgement, les nations régionales réfléchissent à la manière de contourner ce bras de mer afin de sécuriser leurs approvisionnements.

    

Ce n’est plus un point de passage, c’est un goulot d’étranglement. Couloir maritime de 45 kilomètres de large et 700 kilomètres de long, situé dans le Sud-Est asiatique, coincé entre la Malaisie et l’Indonésie, le détroit de ­Malacca frôle la congestion. En son point le plus étroit, le pas n’excède d’ailleurs pas les 3 kilomètres de large. Moins connu que Suez ou Panama, ce bras de mer, le plus fréquenté au monde – un tiers du trafic mondial et 90 % de celui de la Chine, soit un bateau toutes les huit minutes – est régulièrement l’objet d’actes de piraterie ou de tensions régionales relatives à la ­sécurité du détroit et à la souveraineté. À tel point que, en août dernier, l’Association des nations d’Asie du sud-est (Asean) ­exhortait ses membres à renforcer la sécurité en cet endroit stratégique. Si la zone intéresse le Japon, la Chine et l’Inde, elle est également l’objet d’une attention particulière des États-Unis depuis 1945. En pleine guerre froide, le ­détroit de Malacca permet un déplacement rapide des forces navales américaines entre l’océan Indien et le Moyen-Orient. « Toute ­remise en question de la ­liberté de circulation dans ce détroit était perçue comme une atteinte au déploiement des flottes navales et donc au maintien de l’équilibre des puissances militaires », explique Nathalie Fau, maître de conférences à l’université Paris-VII. Depuis le 11 septembre 2001, Washington considère à nouveau le détroit comme une zone stratégique majeure alors qu’un « front » s’ouvre en Asie du Sud-Est dans la guerre contre le terrorisme.

Le projet du canal de Kra disparu de l’agenda de la junte thaïlandaise

L’engorgement est tel qu’il a ces dernières années poussé la Chine à sécuriser ses échanges commerciaux en envisageant le contournement du détroit de Malacca par le projet des nouvelles routes de la soie pour une partie de ses approvisionnements (voir notre édition du 19 octobre 2015). À une autre échelle, la Thaïlande fait montre du même souci. En 2014, elle envisage ainsi de s’affranchir du détroit de Malacca en construisant le canal de Kra dans la partie méridionale du pays, dont la largeur est réduite à seulement 44 kilomètres. Ce nouveau point de passage permettrait également aux transporteurs de réduire leur trajet de 1 200 kilomètres. Or ce projet, dont l’idée remonte à 1677, n’est plus inscrit à l’agenda de la junte militaire thaïlandaise, plus concernée par la construction d’un port en eaux profondes à Daweï (Birmanie). En début de mois, le cabinet du premier-ministre, Prayuth Chanocha, confirmait qu’à terme Daweï serait la porte d’entrée privilégiée vers l’océan indien.

Rechercher des voies de transit alternatives est une priorité

Plusieurs entreprises chinoises avaient pourtant montré leur intérêt dans la construction du canal de Kra. Membre de l’Institut national de stratégie internationale qui est affilié à l’Académie chinoise des sciences sociales, Zhou Fangye envisageait en 2013 la possibilité de relier le futur canal à la ligne de chemin de fer à grande vitesse reliant le Laos, la ­Birmanie et la Chine. "Promouvoir la coopération économique et ­commerciale entre la Chine et l’Afrique par la route de la soie maritime du XXIe siècle est d’une grande importance pour la Chine en vue de ses objectifs stratégiques mondiaux. Néanmoins, le détroit de Malacca va vite constituer un goulet d’étranglement. Si la Chine parvient à jouer un rôle actif dans ce projet (du canal de Kra – NDLR), le “dilemme de ­Malacca” se réglera de lui-même et ne constituera plus un goulet d’étranglement qui empêche la puissance maritime de la Chine de pénétrer dans l’océan Indien", disait-il alors. En réalité, l’Indonésie, ­l’Australie, le Japon et d’autres pays avaient montré leur intérêt pour un projet de ce type. Mais, l’an dernier, la Chine déjà accusée d’expansionnisme dans son environnement régional, et impliquée dans des incidents réguliers en mer de Chine méridionale, démentait toutes vues sur le canal de Kra. « Je n’ai pas entendu dire que le gouvernement chinois allait prendre part à ce projet », a assuré Hong Lei, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, malgré l’implication de l’entreprise Liu Gong. Pourtant, la ­recherche de voies de transit alternatives au détroit de Malacca relève de la priorité. D’aucuns imaginent désormais la possibilité de profiter de la fonte des glaces pour relier le Pacifique nord à la mer de Norvège.

La menace vient de la congestion plutôt que des tensions régionales

 

Paul Tourret,

directeur de l’Institut supérieur d’économie maritime

En 2003, le président Hu-Jintao aurait évoqué, selon un journal de Hong Kong, le "dilemme de Malacca". Les Chinois découvraient ce que les Japonais connaissaient déjà depuis trois décennies, la dépendance manifeste des économies d’Extrême-Orient envers un passage maritime étroit. Le détroit de Malacca, entre Sumatra et la Malaisie, est le seul passage utile en Asie du Sud pour les échanges maritimes (discutable. Il y a Lombok en Indonésie qui, il est vrai, allonge les distances. JPR). Avec la formidable croissance de la Chine, cette sensibilité au détroit de Malacca a pris une proportion colossale, soit autour de 800 Mt par an. Sur la base des données compilées par l’Institut supérieur d’économie maritime, le transit par le détroit de Malacca représente pour la Chine 100 % du soja importé, 90 % du pétrole, 50 % du fer et 40 % du gaz. Le goulet de Malacca est sensible pour toutes les économies exportatrices d’Asie de l’Est, pour la Chine comme pour ses voisins, la route vers l’Est (ouest ? JPR) est celle des exportations de produits manufacturés vers le reste de l’Asie, l’Europe et l’Afrique. Pour les flux dans les deux sens, une cinquantaine de millions de conteneurs pleins passent chaque année par le détroit, une quinzaine de millions d’entre eux passant quelques jours d’escale sur les quais de Singapour entre deux services maritimes. Le canal de Malacca est ainsi un extraordinaire point de resserrement de l’économie mondiale à un niveau bien supérieur que peuvent l’être Suez ou Panama. L’émergence chinoise a accentué l’importance de cette étroite voie maritime. Pourtant, c’est Pékin même qui est le facteur de perturbation régionale avec les conflits de souveraineté des îlots de mer de Chine méridionale (Spratley). Plus que la piraterie de brigandage ou les tensions de voisinage, la menace directe sur le détroit est simplement la congestion maritime. Au début des années 2000, le passage le plus étroit face à Singapour connaissait un transit annuel de 50 000 navires, il est maintenant de 77 000 navires (soit +154% en 15 ans, 10% de croissance annuelle moyenne. JPR). La question de la fluidité de cette voie stratégique est régulièrement évoquée si l’on dépasse 100 000 passages annuels. Un accident maritime majeur poserait un problème conséquent, mais pas fatal puisque le trafic pourrait être détourné vers l’est par le détroit de Lombok (un détour de cinq jours de mer).

Une zone maritime classée particulièrement sensible

 

Nathalie Fau 

Géographe à l’université Paris-Diderot

États utilisateurs et États riverains ne perçoivent pas de la même façon le détroit de Malacca. Si, pour les premiers, il est un axe stratégique et structurant de l’économie mondiale, pour les seconds, il est une mer intérieure, un espace fragile concentrant sur ses côtes des populations vivant de la mer. Ces divergences d’approche se cristallisent autour de la sécurisation du trafic. Les États utilisateurs, soucieux de la libre circulation dans le détroit, se préoccupent uniquement de la sécurité de leurs navires et de leur chargement (risques de piraterie et de terrorisme). Des préoccupations sécuritaires qui sont pour les États riverains exagérées et potentiellement un risque de remise en cause de leur souveraineté nationale : des puissances militaires extérieures pourraient s’ingérer dans la gestion du détroit en prétextant l’incapacité des États riverains de le faire, comme ce fut le cas en Somalie. Ces derniers préfèrent mettre en avant la question de la sûreté de la navigation dans un détroit congestionné, proche de sa capacité de charge limite et où les catastrophes environnementales (marées noires) risquent donc de se multiplier. Les gouvernements malaisien et indonésien réfléchissent à la possibilité de demander au Comité de protection de l’environnement marin de l’Organisation maritime internationale (OMI –agence technique de l’ONU. JPR-) de classer le détroit de Malacca en "zone maritime particulièrement sensible" ; si leur demande est retenue, ils seraient en mesure d’imposer des normes supplémentaires de navigation aux navires en transit. Une autre pomme de discorde a longtemps été le financement des infrastructures de navigation dans le détroit : d’après la convention de Montego Bay de 1982, il est une obligation pour les seuls États riverains ; or, ils ne peuvent en contrepartie imposer les navires en transit car cette mesure irait à l’encontre de la liberté de circulation dans un détroit international. Les États indonésien et malaisien, qui dénonçaient la lourdeur financière des coûts d’entretien et le peu d’implication des utilisateurs du détroit, ont finalement eu gain de cause : en 2007, l’OMI a mis en place un "système de coopération" qui incite les "États utilisateurs" à financer les aménagements décidés par les États riverains.


Lire aussi : La route maritime du nord-est, Chine - Europe via l'Océan arctique

Routes de la soie du XXI° siècle, Chine - Europe.


            Routes de la soie du XXI° siècle (selon Les Echos)

ASPECTS GÉNÉRAUX : l. VIE ECONOMIQUE DU MONDE : la "révolution nautique" du dernier quart du XX° siécle
le trafic maritime mondial dans le dernier quart du XX° siècle (1973-1997)
Révolution nautique du dernier quart du XX° siècle : Introduction : gigantisme maritime, conteneurisation...

Routes de la soie du XXI° siècle (selon Les Echos)

publié le 13 juin 2019, 07:22 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 9 sept. 2019, 03:05 ]


    
Le journal Les Échos publie un article intéressant sur les ambitions constructives de la Chine-Pékin afin de trouver des solutions alternatives à la saturation le détroit de Malacca : point (très) sensible de la planète.de la voie maritime qui conduit à l'Inde, le Moyen-Orient, le canal de Suez et, donc, l'Europe. J'ai déjà reproduit les articles de l’Humanité qui traitent de la même question.La route maritime du nord-est, Chine - Europe via l'Océan arctique, et aussi Routes de la soie du XXI° siècle, Chine - Europe.

    Voici la carte des Échos :




- on remarquera la place de Shanghai -lato sensu - "plus important marché de gros du monde avec plus de 200.000 fournisseurs" Puissance chinoise : le Shangaï ...du monde
- la route du nord est déjà en place mais demande l'amélioration de points singuliers.
- il y a des départs -surtout japonais - au départ du port de Lianyungang
- Ce que Les Échos appellent "l'ancienne route de la soie existe toujours et est une artère maitresse pour le futur essor de l'Iran
- sur la droite, sortent de la gueule du dragon les chiffres du commerce international avec quelques pays d'Europe

    Voici le texte de l'article publié dans Les Échos le 16 décembre 2015, signé Muryel JACQUE :

    C'est un projet monstre imaginé par la Chine, à même de bouleverser les marchés des matières premières dans les années à venir. Surnommée « La Ceinture et la Route » (« One Belt, One Road »), cette initiative, présentée par le président Xi Jinping fin 2013 et lancée officiellement en mars, veut favoriser les connexions entre les continents asiatique, européen et africain, et les mers et océans voisins, en redynamisant d'anciennes routes commerciales terrestres et maritimes. Elle signe la renaissance des routes de la soie, façon XXIe siècle.

    Ce projet chinois pharaonique estimé à plusieurs centaines de milliards de dollars, aussi économique que politique, englobera quelque 900 projets dans une soixantaine de pays, de l'Asie du Sud-Est à l'Europe du Nord en passant par des pays très riches en ressources naturelles comme le Kazakhstan. Pour la Chine, il s'agit de sécuriser l'accès aux matières premières, et de limiter les coûts de transport des marchandises. "L'objectif plus large est d'améliorer le commerce régional, le développement de l'investissement et des infrastructures, garanti par plus de 140 milliards de dollars de financement via des institutions régionales nouvelles ou existantes", explique-t-on chez Morgan Stanley. C'est aussi un moyen de jouer un rôle plus important dans le système financier international.

    Pékin entend évidemment trouver de nouveaux débouchés pour les entreprises du pays : une nouvelle source de revenus à l'international pour les constructeurs de rails, les transformateurs de métaux, les fabricants de pipelines, etc., qui permettrait de compenser la baisse des ventes locales. "L'évolution structurelle de son économie a aussi laissé le pays face à des surcapacités massives dans de nombreuses industries lourdes", ajoute Nic Brown, responsable de la recherche matières premières chez Natixis. "Mais la solution pourrait être à portée de main si la nouvelle initiative, La Ceinture et la Route, parvient à soutenir la demande asiatique au cours des prochaines années".

    Cela pourrait changer la donne pour les matières premières. Notamment pour l'acier, dont le pic de production pourrait bien être repoussé... Si ce grand projet entraîne une hausse de la construction d'infrastructures, la demande mondiale d'acier devrait augmenter plus que prévu, estime-t-on chez Morgan Stanley. Bloomberg estime qu'il pourrait effectivement doper les besoins pour l'alliage de 272 millions de tonnes d'ici à 2020, soit près d'un quart de la production chinoise de 2014. « Cela amènerait alors certainement la Chine à exporter davantage d'acier, et renverserait nos projections actuelles d'une baisse de la production en Chine au cours des trois prochaines années », avance Joël Crane, analyste matières premières au sein de la banque.

     De nombreux soutiens

    Au cours des derniers mois, de nombreux acteurs dans les matières premières ont manifesté leur soutien à l'initiative stratégique chinoise. Dans le secteur maritime, CMA-CGM a signé un partenariat avec le groupe China Merchants, indiquant que "One Belt, One Road" était « sans doute le plus grand projet au monde de développements d'infrastructures ». L'opérateur Baltic Exchange, la bourse du fret maritime mondial, a décidé de collaborer avec l'opérateur Ningbo Shipping, dont les tarifs sont désormais disponibles gratuitement sur son site. Fin octobre, la Bourse des métaux de Londres, le London Metal Exchange (LME, qui appartient à la Bourse de Hong Kong) a, elle, signé un protocole d'accord avec plusieurs institutions financières chinoises et britanniques "Nous rendons la tâche plus facile aux participants chinois qui s'impliquent dans le processus de détermination des cours afin que la présence significative de la Chine dans les métaux se reflète mieux dans les prix mondiaux", a ainsi expliqué le patron du LME, Garry Jones.

    Cet immense projet pose évidemment encore de nombreuses questions. « Certains pays concernés sont à la fois contents et inquiets », note ainsi Jean-François Lambert. Ce spécialiste du financement des matières premières évoque en particulier la lutte anti-corruption menée depuis des mois par la Chine, qui créée, selon lui, « une incertitude terrible ».


"Routes de la soie" : La route maritime du nord-est, Chine - Europe via l'Océan arctique

publié le 13 juin 2019, 07:19 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 9 sept. 2019, 02:44 ]

    Voici  des documents qui s'inscrivent dans la lignée  des articles sur la vie maritime de la planète à la fin du XX° siècle (lien  Révolution nautique du dernier quart du XX° siècle : Introduction : gigantisme maritime, conteneurisation...) Sauf que ceux que je vous présente ici annoncent le XXI° siècle... Entre la Chine et l'Europe, les potentiels sont tels qu'ils suscitent la création de flux énormes et donc la recherche de voies nouvelles. Le réchauffement de la planète permet le passage des porte-conteneurs par l’Océan glacial arctique. Est-ce une bonne chose ? L’avenir seul le sait. Mais cette actualité est aussi très "politique" en ce sens que les Chinois sont à l’origine d'initiatives qui visent à établir des "routes" matérielles (vois ferrées, ports maritimes, tunnels, etc...) afin de développer leur commerce extérieur. Je publie un point de vue de l'Humanité sur ce point crucial. J.-P.R.

Le dragon rouge sur la route des neiges

    Jérôme Skalski
    Vendredi, 28 Novembre, 2014
    L'Humanité

    Pour la Chine, l’ouverture progressive, pendant la période estivale, de la route maritime du Nord-Est 
trace de nouvelles perspectives de développement et de désenclavement. Un processus à suivre 
sur le moyen et long terme qui marque aussi le retour de la Russie sur le terrain extrême-oriental.

    C’est le 11 septembre 2013 que le Yong Sheng, navire de commerce battant pavillon hongkongais appartenant au géant du fret maritime COSCO, premier armateur de République populaire de Chine (RPC), s’est arrimé sur les quais de Rotterdam. Un événement banal s’il n’était le premier du genre pour un porte-conteneurs chinois de grand tonnage ayant navigué d’est en ouest longeant les côtes septentrionales de la Sibérie. L’arrivée aux Pays-Bas, terre à partir de laquelle Willem Barents tenta, dans la direction opposée, d’atteindre les Indes orientales à la fin du XVIe siècle pour un navire d’une capacité analogue à celle des légendaires bateaux trésors que commandait l’amiral Zheng He, au début du XVe siècle, est à souligner eu égard au temps long qui caractérise traditionnellement la pensée chinoise.

  

 En 2012, le brise-glace Xue Long, « dragon des neiges », avait ouvert son chemin en étant le premier navire de RPC à emprunter cette route du Nord-Est. Un voyage qui avait été vu comme un « grand encouragement » par les autorités chinoises lors de la conférence sur l’Arctique qui s’est déroulée à Oslo, le 12 mars 2013. Un « grand encouragement » pour ce « dragon des neiges », qui acheva quant à lui son périple à Reykjavik à la manière du « drakkar » du fondateur de l’actuelle capitale de l’Islande, mille ans plus tôt, portant, lui aussi, « dragon » en proue. Parti de Dalian le 8 août, port de la province du Liaoning donnant sur le golfe de Corée, c’est en trente-cinq jours que le Yong Sheng a effectué son trajet en passant le détroit de Behring, la mer de Laptev et la mer de Barents. C’est deux semaines de moins environ que pour celui qui transite par le détroit de Malacca, le golfe d’ Aden, le canal de Suez, la Méditerranée, le détroit de Gibraltar et celui du Pas-de-Calais. L’exploit du navire de l’une des plus grandes entreprises publiques de transport et de logistique maritime de Chine a fait grand bruit en Asie. La réduction des délais d’acheminement, des coûts d’exploitation et de carburant, des taxes et des assurances liées notamment à la piraterie maritime et à la longueur du trajet n’intéressant pas seulement la RPC, mais l’ensemble des États et des groupes maritimes et industriels d’Extrême-Orient.

    Si, en effet, la distance de Shanghai à Hambourg se réduit ainsi de 5 200 kilomètres par la route du Nord-Est comparativement à celle passant par le canal de Suez, elle l’est de 7 000 kilomètres pour la route maritime reliant Tokyo à Rotterdam. De fait, si le Yong Sheng, de par son tonnage (19 500 tonnes), son type (porte-conteneurs) et son origine, est le plus remarquable des navires marchands à l’avoir empruntée, il n’est pas le premier. En 2012, pour un total de 1,26 million de tonnes de marchandises, le nombre des navires engagés sur ces eaux s’élevait à 46 contre 34 en 2011 et 4 en 2010. Une tendance qui fait envisager une multiplication par 50 du volume de marchandises transportées par la route du Nord-Est d’ici à 2020, selon la Fédération des armateurs norvégiens.

    Mais l’ouverture progressive de cette voie maritime liée au recul de la banquise ne concerne pas que le transit des marchandises. Elle met au grand jour les ressources naturelles de l’Arctique. L’Institut d’études géologiques des États-Unis estime ses gisements en pétrole et en gaz naturel à respectivement 13 % et 30 % des réserves non découvertes à l’échelle mondiale. Des ressources qui intéressent au premier rang la Chine et, à sa suite le Japon et la Corée du Sud, respectivement deuxième, ­troisième et cinquième puissances industrielles mondiales. On estime à 69 % la proportion de ces réserves appartenant à la Russie. Quelques mois avant le mouillage du Yong Sheng dans le port de Rotterdam, le Conseil de l’Arctique, organisation intergouvernementale dont les membres permanents sont les États-Unis, le Canada, le Danemark, la Norvège, la Suède, la Finlande, la Russie et ­l’Islande, a accordé le statut de membres observateurs à six nouveaux pays dont la Chine, le Japon, la Corée du Sud et Singapour. En jeu les questions ­environnementales posées par un milieu fragile mais aussi le bouleversement en cours de la situation géopolitique de la zone arctique. Peu de chance que le premier de la première liste se contente de chanter jusqu’au bout le Cold Song, d’Henry Purcell et de John Dryden, sans grincer des dents.


Source : Der Spiegel



Dossier paru dans L’HUMANITÉ des Débats...

Contre-feux. Une superpuissance peut en cacher une autre

Vendredi, 26 Avril, 2019

    La Chine accueille ce week-end le sommet des nouvelles routes de la soie. Ce programme de codéveloppement, lancé en 2013, financera des infrastructures dans les pays d’Asie centrale, mais aussi d’Europe et d’Afrique. Ce projet est le nouveau vecteur d’influence de la deuxième puissance mondiale. Cent vingt-cinq pays ont d’ores et déjà signé des partenariats avec Pékin. En acceptant de faire passer des voies de chemins de fer chinoises ou de développer leurs ports, ces pays mettraient en péril leur indépendance, peut-on entendre. Cela permettra à la puissance chinoise de doper ses exportations. Et les pays qui accéderont à la manne de Pékin pour financer leurs infrastructures s’endetteront auprès de la Chine.

    Pour paraphraser Pascal, « vérité d’un côté du Pacifique, erreur au-delà ». Quand les Occidentaux – les principaux exportateurs de capitaux – investissent dans un autre État, on n’entend pas les mêmes cris d’orfraie. Certes, le Pakistan s’endette auprès de Pékin, mais, ce qui pose problème aux habitants de ce pays, c’est d’avoir affaire aux prêts, fortement conditionnés, du Fonds monétaire international. Certes, la Grèce a vendu le port du Pirée à une entreprise chinoise, mais, en même temps, les Européens – par ailleurs apôtres de la libre concurrence – étranglaient financièrement Athènes.

    Les investissements chinois en Europe, bien moins nombreux que ceux en provenance des États-Unis, inquiètent. Il est vrai qu’ils peuvent poser des problèmes de souveraineté, comme dans le secteur des communications. C’est la raison pour laquelle la Commission – d’ordinaire libre-échangiste et qui a détruit tous les services publics de télécommunication du Vieux Continent au nom de la libre concurrence – cherche à limiter l’accès de Huawei, champion chinois de la téléphonie 4G, aux marchés européens. Bruxelles n’a pourtant rien à dire contre le principal concurrent de Huawei, Cisco, espionné par les services de renseignements des États-Unis…

    Lire aussi la seconde partie : Routes de la soie du XXI° siècle, Chine - Europe.



Routes de la soie du XXI° siècle, Chine - Europe.

publié le 13 juin 2019, 07:12 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 9 sept. 2019, 02:58 ]

http://www.jprissoan-histoirepolitique.com/le-coin-du-bachotage/documentation-pedagogique-l-aridite-et-les-deserts/routesdelasoieduxxisieclechine-europe

Routes de la soie du XXI° siècle, Chine - Europe.

publié le 20 déc. 2014 à 16:42 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 7 juin 2019 à 19:32 ]

    Les potentiels de l'Europe et de la Chine, quoiqu'éloignés l'un de l’autre sont tellement puissants qu'ils suscitent le création de voies de passage nouvelles. Après la route maritime du nord-est, voici les nouvelles routes de la soie. Lire l'article que je publie à la fin de "Routes de la soie" : La route maritime du nord-est, Chine - Europe via l'Océan arctique  Notons que se dresse face aux initiatives chinoises les Asia-Africa Growth Corridor conçus par le duo Inde-Japon...    l'Asia-Africa Growth Corridor contrecarre les routes de la soie
    J.-P.R.

La Chine sur la route des caravanes du XXIe siècle


    Jérôme Skalski
    Vendredi, 19 Décembre, 2014
    L'Humanité
    
    Avec son projet des Nouvelles Routes de la soie, 
« une ceinture et une route », la République populaire 
de Chine engage, sous la direction de son nouveau président Xi Jinping, la création d’un corridor commercial continental appelé à bouleverser 
l’espace eurasiatique.

NB. le port de départ de la nouvelle voie ferroviaire est Hangzhou (au sud de ChanghaÏ)
       
    L’ouverture en début de semaine d’une exposition sur l’ancienne route de la soie maritime organisée au siège de l’ ONU à New York ainsi que les déclarations du président chinois Xi Jinping à la veille du sommet annuel de l’ APEC, forum économique intergouvernemental rassemblant 21 États de la zone pacifique, ont été l’occasion de faire le point sur un projet qui marque, outre la résurrection d’un passé entouré de légendes, le tracé d’une nouvelle connexion entre la Chine et l’Europe appelée à bouleverser les échanges internationaux. Le 8 novembre ­dernier, le chef de l’État de la République populaire de Chine a annoncé la création d’un fonds de la route de la soie de 40 milliards de dollars. Ce fonds vient s’ajouter aux 50 milliards de dollars que la Chine a récemment promis d’apporter à la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB) créée en octobre 2014 et regroupant 22 pays asiatiques. Référence au passé, c’est en ­mémoire des routes commerciales qui reliaient la Chine à l’Europe que le projet des nouvelles routes de la soie a été baptisé. Développées à partir du début de la ­dynastie Han, à l’époque de la première expansion de l’Empire romain en Méditerranée, les routes de la soie ont relié l’Orient à ­l’Occident pendant plus de mille cinq cents ans. Côté terrestre, en traversant l’Asie depuis l’actuelle Xi’an jusqu’à Rome dans l’Antiquité, jusqu’à Venise au Moyen Âge. Côté maritime, depuis ­Quanzhou en passant par les ports de la péninsule indochinoise, de ­l’Indonésie et de l’Inde. Ce sont par ces routes que sont venues en Europe, par l’intermédiaire du monde musulman, les inventions qui témoignent, dans notre vie quotidienne, de la ­présence de la Chine. C’est par l’un de ses fils continental que Marco Polo fut envoyé en délégation par les papes Clément IV et Grégoire X auprès de Kubilai Khan au XIIIe siècle, voyage et mission ­auprès du fondateur de la dynastie Yuan qu’il relatera dans son ­Devisement du monde, ouvrage tout d’abord rédigé dans la langue de Chrétien de Troyes. « L’exposition d’aujourd’hui ­rappelle de vieux souvenirs : les cloches à chameaux ­bravant les déserts, les navires en rang dans les ports, les émissaires ­échangeant des plaisanteries et les marchands étrangers se côtoyant dans les rues », a expliqué Liu Jieyi, représentant permanent de la Chine aux Nations unies, lors de son intervention à la cérémonie d’ouverture de l’exposition onusienne, ainsi que le rapporte l’édition française du Quotidien du peuple. « Aujourd’hui, cette exposition photographique illustre comment la nation chinoise a interagi pacifiquement avec d’autres nations par le passé et comment la philosophie de la paix et de la prospérité commune a étayé et continuera de guider la diplomatie actuelle de la Chine », a-t-il précisé avec, à l’esprit, le projet des Nouvelles Routes de la soie.
    
    Première chaîne de ces routes enveloppées par une ceinture d’États engagés dans un processus de coopération, le réseau ferroviaire Yuxinou reliant Chongqing à Duisburg et, par ces villes, ­Rotterdam à Shanghai. Cette voie de 11 200 km passe par Berlin, Moscou et Lódz, traverse le ­Kazakhstan, la Russie, la Biélorussie, la Pologne et ­l’Allemagne en une quinzaine de jours, soit vingt de moins que ceux nécessaires actuellement sur la route maritime passant par le détroit de Malacca et le canal de Suez. Le projet présenté prévoit de doubler cette chaîne par un axe autoroutier transitant par Urumqi, la capitale de la Région autonome ouïghoure du Xinjiang. Il traverserait le ­Kirghizistan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, le Turkménistan, l’Iran et la Turquie. Petits fils de soie sur la bordure de cette trame, un réseau de liaisons ferroviaires reliant la capitale de la province du Yunnan au Laos, au Cambodge, au Myanmar (Birmanie), au Vietnam et au Bangladesh.

    Côté maritime, en observant la carte officielle des nouvelles routes de la soie, on ne peut qu’être frappé par la mise à l’écart de la France dans le projet officiel. La voie maritime de la route de la soie traditionnelle n’esquivait pas Marseille et remontait le Rhône et la Saône. Elle ne traversait les Alpes à partir du seul port de Venise, aujourd’hui Marghera. Son chemin terrestre aboutissait, au Moyen Âge, aux grandes foires de Champagne plutôt qu’en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Malgré les efforts de la Chine, et contrairement à celle de l’Allemagne, il est vrai que la diplomatie économique française a quelque chose des « neiges d’antan » dans les salons gouvernementaux et patronaux obsédés par la financiarisation de l’économie française plus que par son développement réel depuis quelques décennies. Aspect sans doute moins littéraire de la question, l’alignement pro-américain des États ­occidentaux et de la France en particulier, en relation avec les projets de blocs transatlantique et transpacifique portés par l’administration Obama. Autre fait étonnant, malgré ses 500 000 citoyens vivant dans la région pacifique et ses 11 millions de kilomètres carrés de territoire maritime, la France n’est pas membre de l’APEC.

 
le point de vue d'une journaliste chinoise

  
    À l’occasion du 50e anniversaire des relations diplomatiques franco-chinoises, plus de 800 cérémonies se sont déroulées dans les deux pays. C’est avec grand enthousiasme et un dynamisme sans précédent que la France et la Chine développent leurs coopérations dans presque tous les domaines. Une année non seulement pour retracer l’histoire d’un demi-siècle, mais aussi pour éclairer l’avenir des relations entre les deux peuples. En 2013, le ­président chinois Xi Jinping a proposé de construire ensemble « une ceinture et une route », c’est-à-dire la ceinture économique des nouvelles routes de la soie du XXIe siècle, qui fournissent un nouveau levier pour renforcer les échanges déjà riches entre la France et la Chine. Cette année, Lyon, par exemple, a gagné en popularité en Chine. Cette ville était une des stations principale sur la Route de la soie. Depuis la Renaissance, Lyon a joué un rôle pionnier dans la diffusion de la culture chinoise en Europe et a gardé un lien unique et fort jusqu’aujourd’hui dans tous les domaines. Au XIXe siècle, les activités commerciales franco-chinoises étaient décisives pour l’industrie de la soie en France et tout particulièrement à Lyon. Aujourd’hui, « une ceinture et une route » fondées sur l’histoire unique franco-chinoise ouvrira sûrement une nouvelle page des relations bilatérales. La Route de la soie est bidirective. La Chine promeut ses marchandises, sa culture, ses idées à travers cette route. L’Occident, en revanche, pourra connaître une vraie Chine. La Route de la soie, sans doute, était, est et sera une « autoroute » reliant l’Orient et l’Occident qui rapproche les deux peuples et leur permettra de mieux se comprendre. Montagnes et océans n’éloignent pas les amis aux idées communes. La circulation des capitaux chinois et des techniques françaises, les coopérations complémentaires et réciproques, et la volonté d’explorer des marchés tiers s’accéléreront en construisant « une ceinture et une route ». Ce projet sera également bénéfique au mécanisme d’échanges humains de haut niveau entre la France et la Chine. En ouvrant sa porte par « une ceinture et une route », nouveau point de départ historique, la Chine peut mieux communiquer avec le monde. C’est une ­opportunité pour tous.

Xue Xing Correspondante du Quotidien du peuple en France

le point de vue d'un universitaire bordelais

    La question de l’ouverture des Nouvelles Routes de la soie était déjà sur la table dans les années 1990. Aujourd’hui, il y a plusieurs enjeux derrière ce projet au-delà de la référence historique. D’abord, il s’agit pour la Chine de contrer le projet d’accord de libre-échange transpacifique des États-Unis visant à intégrer les marchés asiatiques et à contrebalancer la montée en puissance de la Chine dans la région. Avec ses alliances actuelles, sa fameuse septième flotte qui navigue dans le Pacifique, ses bases militaires, les États-Unis mettent une pression permanente sur la Chine. Dans cette situation, elle tente donc de développer une alternative. Ce qui ne veut pas dire ­cependant qu’elle a renoncé à renforcer ses liens avec l’Asie du Sud-Est. Le deuxième point concerne Xi Jinping, le nouveau président chinois. Xi Jinping, à la différence de ses prédécesseurs, est originaire de la Chine intérieure, et plus précisément de Xi’An, l’aboutissement de l’ancienne Route de la soie. Pour lui, il s’agit de rattraper le retard des régions intérieures sur les ­régions côtières. C’est un enjeu essentiel actuellement en Chine. Essayer de limiter le creusement des inégalités entre classes sociales et entre la Chine de l’Est et de l’Ouest riche en ressources naturelles, mais en retard sur le plan économique. 
Le projet des Nouvelles Routes de la soie s’inscrit dans cette perspective qui vise à dynamiser économiquement l’ouest du pays en en faisant une nouvelle interface à la fois dans le domaine du transport et dans le domaine des infrastructures énergétiques. Il faut prendre en considération le fait que plus de 80 % du ­commerce de la Chine, mais aussi de ses importations énergétiques passe par le détroit de Malacca, détroit sous le contrôle américain ou sous le contrôle d’États alliés des États-Unis. C’est le troisième aspect de la stratégie des Nouvelles Routes de la soie : la sécurisation des approvisionnements énergétiques. Il s’agit pour la Chine de trouver des sources d’approvisionnement et des voies d’exportation qui ne dépendent pas des États-Unis, la Russie, mais aussi l’Asie centrale, le ­Kazakhstan pour le pétrole et le Turkménistan pour le gaz naturel.

Rémi Castets Enseignant à l'Université Bordeaux-III, rattaché à l'Institut d'études orientales

 


bibliographie : se procurer "Atlas des nouvelles routes" édité par LE COURRIER INTERNATIONAL, Hors-série septembre-octobre 2018.

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