mise en perspective : https://sites.google.com/site/jeanpierrerissoan/le-coin-du-bachotage/les-relations-internationales/la-stabilisation-1954-1955-1962 Le 26 juillet 1956, devant une foule d’Égyptiens réunis à
Alexandrie pour fêter le quatrième anniversaire de l’abdication du roi
Farouk, Nasser prononce un discours retentissant, qui affirme la pleine
indépendance de L’Égypte par rapport aux puissances occidentales : il
annonce la nationalisation du canal de Suez. Après l’indépendance
politique, obtenue en deux temps, en 1922 puis en 1936, c’est
l’indépendance économique qu’il proclame ainsi. Chloé Maurel, Historienne, Mardi, 2 Août, 2016, Humanite.fr Le canal de Suez, long de près de 200 km, relie la ville
portuaire de Port-Saïd, sur la mer Méditerranée, à la ville de Suez sur
la mer Rouge, permettant donc un trafic de bateaux entre ces deux mers.
Il est d’une importante stratégique et économique majeure pour le pays,
et même pour le commerce mondial. Percé au milieu du XIXe siècle sous
l’impulsion du Français Ferdinand de Lesseps, il permet aux navires
d’aller d’Europe en Asie sans avoir à contourner l’Afrique. Le trafic
sur le canal génère beaucoup de recettes. Or, depuis 1882, ces recettes
étaient confisquées en grande partie par les Britanniques qui avaient
pris le contrôle de l’Égypte.
Le colonel Nasser, qui, à la tête du mouvement des officiers
libres, a renversé le roi Farouk en 1952 et dirige désormais l’Égypte,
entend positionner son pays comme un des leaders du « f »,
ce mouvement qui rassemble des pays qui, à l’instar de l’Inde ou de la
Yougoslavie, se veulent indépendants des deux blocs, en cette période de
guerre froide. Nasser avait d’ailleurs participé l’année précédente en
1955 à la conférence de Bandoeng réunissant 29 pays afro-asiatiques. Et,
le 19 juillet 1956, quelques jours avant la nationalisation du canal de
Suez, il a rencontré à Brioni en Yougoslavie Nehru et Tito pour
consolider cette politique du non-alignement.
Nasser veut aussi, pour stimuler la transformation économique et
agricole de son pays, faire construire un haut-barrage à Assouan. Ce
barrage permettrait de réguler les crues, de constituer un réservoir
d'eau pour l'agriculture, de produire de l'électricité pour le pays, et
d’améliorer la navigation sur le fleuve.
Les États-Unis ayant refusé de financer la construction du barrage
d’Assouan, car le puissant lobby américain du coton craint la
concurrence du coton égyptien irrigué, le leader égyptien décide alors
de nationaliser le canal de Suez, ce qui permettra de financer la
construction du barrage.
Son discours est éloquent : « Nous luttons et nous sentons que
nous triompherons toujours pour consolider nos principes de dignité, de
liberté et de grandeur, pour l'établissement d'un État indépendant d'une
indépendance véritable, d'une indépendance politique et économique. »
En effet, pour Nasser, l’indépendance politique n’est rien sans
l’indépendance économique. L’Égypte ne pourrait pas être pleinement
indépendante si elle continuait à rester sous la dépendance économique
de la France et du Royaume-Uni.
En outre, Nasser est un des pères du panarabisme, cette idéologie
qui vise à renforcer le peuple arabe et à l’unir. Son discours illustre
cette volonté : « Depuis que l’Égypte a proclamé sa politique libre et
indépendante, le monde tout entier a les yeux braqués sur l’Égypte. Tout
le monde tient compte de l’Égypte et des Arabes. (…) La voix de l’Égypte est devenue plus forte dans le domaine international et la
valeur des Arabes est devenue plus grande. » C’est ce panarabisme qui
l’incite à unir son pays avec la Syrie, ce qu’il annonce également dans
son discours : « Aujourd'hui, je proclame que vos frères en Syrie ont
annoncé leur union avec vous, d'une union digne pour la consolidation
des principes de dignité et d'amour-propre et les bases du nationalisme
arabe. (...) Et moi, aujourd'hui, je dis à vos frères de Syrie, soyez
les bienvenus; nous sommes une partie de la nation arabe. Nous irons de
l'avant, unis, formant un seul bloc, un seul cœur ». Cette union, qui
sera effective en 1958, ne sera cependant pas un succès et s’arrêtera
dès 1961.
Face à la nationalisation du canal de Suez, les représailles ne
tardent pas : les Britanniques et les Français, principaux actionnaires
du canal, protestent et gèlent les avoirs égyptiens, et suppriment leur
aide alimentaire. Quelques mois plus tard, en octobre 1956, la France et
le Royaume-Uni lanceront même l’ « expédition de Suez » contre l’Égypte, qui finira par échouer, car l’ONU ainsi que les deux Grands
(États-Unis et URSS) décideront de ne pas cautionner cette agression
franco-britannique. De sorte que le corps expéditionnaire franco-anglais
devra se retirer d’Égypte. C'est l'ONU qui prendra en charge la remise
en état du canal qui sera rouvert à la navigation en avril 1957.
La nationalisation du canal de Suez par Nasser reste un grand
moment de l’affirmation du tiers monde, du non-alignement, et de la
volonté de réappropriation par les peuples des richesses de leurs pays. A
l’heure où, aujourd’hui, la tendance est aux privatisations effrénées,
cet exemple de nationalisation apparaît comme un modèle.
Nasser, un leader non-aligné pragmatique
Nasser, qui entend rester indépendant de l’URSS comme des États-Unis, est aussi un pragmatique qui veut armer son pays pour lui
donner les moyens de ses ambitions. Ayant demandé en vain au Royaume-Uni
de lui vendre des armes, il se tourne alors vers l’URSS et accepte
d’acheter des armes soviétiques. Il s’en explique dans son discours : «
Nous avons demandé des armes à la Grande-Bretagne. On nous a répondu :
Nous vous donnons des armes à deux conditions. D'abord que Gamal Abdel
Nasser qui va à Bandoeng n’ouvre pas la bouche et la seconde condition
est de cesser nos attaques à l'encontre de la politique des alliances et
des pactes. Nous avons répondu que nous voulions des armes pour
consolider notre souveraineté et notre indépendance et notre entité et
non pour nous plier à certaines conditions. Nous avons pris les armes en
Russie. (…) Après cela, quelle histoire ! On a dit : Ce sont des armes
communistes. Je me demande : Y a-t-il des armes communistes, et des
armes non communistes ? Les armes, dès qu'elles arrivent en Égypte,
elles s'appellent des armes égyptiennes. » |