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Iles Britanniques

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Wycliff et les Lollards

publié le 13 déc. 2014, 10:23 par Jean-Pierre Rissoan

LES TUDOR : le règne d’Elisabeth, apogée de la dynastie

publié le 12 sept. 2014, 06:49 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 2 janv. 2019, 07:47 ]

    Élisabeth Ire par un artiste inconnu, vers 1575La politique de la reine Élisabeth Ière offre une belle continuité avec celle de ses père et grand-père. Le rôle de l’argent, des rapports monétaires se substituant aux rapports d’homme à homme comme sous la féodalité, ce rôle est de plus en plus prégnant. Surtout, l’Angleterre réformée devient un "mouton noir" dans l’Europe catholique contre-réformée. Il ne faut pas - en termes stratégiques du côté anglais - que ni l’Irlande ni l’Écosse servent de bases arrières aux armées papales fournies par le roi-très chrétien (le Français) ou le roi-catholique (l’Espagnol). Pour sauver sa première révolution, l’Angleterre doit donc mener une politique irlandaise et écossaise conséquente, ce qui n’indique rien de bon pour les deux peuples, surtout l’irlandais, martyr des nations.

    Mais commençons par ce qui concerne le plus les Anglais : l’argent

 

L’ARGENT EN PREMIÈRE LIGNE

    Les hommes élisabéthains vouaient à l’argent un culte zélé.

"Argent ! ", dit un couplet du temps cité par Chauviré, "le favori, la source de toute joie ; argent ! le remède qui guérit tous les maux ; argent ! le bijou que chacun garde dans son trésor ; argent ! l’idole qu’adorent les femmes... ".

"Tous, avec un désir acharné, sont à la chasse de l'argent, gens d'affaires qui lancent les sociétés par actions, gens de cour à tâcher d'attraper un monopole : les uns comme les autres, et la reine elle-même, pour faire plus vite fortune, à risquer encore, bien plutôt qu'entasser. Entre un placement et une spéculation, leur choix est fait : tellement joueurs que les "aventuriers" s'embarquant pour les mers lointaines s'assurent à l'envers ; ils déposent une somme, à fonds perdu s'ils ne reviennent pas, rentable au quintuple s'ils reviennent ; ils jouent leur chance à cinq contre un. L'argent, ils en usent pour le parier encore, le jeter à servir des projets, des curiosités, des fantaisies, de la vanité, des rêves. A côté de fabuleuses fortunes (…) on rencontre la ruine de ceux qui ont joué et perdu, pour la découverte scientifique, pour une chimère flatteuse (…). C'est pourquoi leur corruption, qui est certaine, éveille un sourire d'indulgence" [1]. "L’individu a découvert que dès ce temps-là la vraie puissance, c'est l'argent. Les grands seigneurs encore à demi-féodaux du Nord, les Percy et les Dacres, qui ont des hommes et point le sou, font creuse figure ; les autres, Bedford, Leicester, qui font de l'argent, ont un autre poids".

    De là cette cupidité, commune certes à toutes les classes, mais plus claire encore chez celles qui donnent le ton, noblesse, cour, négoce. L’entrepreneur élisabéthain est un homme pressé, il sait déjà que time is money. Dans l’excellent film Shakespeare in love [2], on constate que le mode de déplacement dans le Londres d’Élisabeth est la course à pied. On ne marche jamais. On y voit également l’illustration de l’affirmation de Christopher Hill selon lequel "le capitalisme s’infiltra dans tous les secteurs y compris l’industrie des loisirs". Shakespeare est soumis à la contrainte de rentabilité qu’exige son commanditaire, Mr Henslowe. Shakespeare in love (Shakespeare et Juliette) John Madden, 1999.

"Ce qui enrageait Latimer [3] et ses amis contre les nouveaux riches de leur temps, c’était moins la misère proprement dite (…) que la répudiation des principes par où, semblait-il une société humaine se distingue d’une meute de loups. (…). Pour une société religieuse, le but de l’activité humaine est non pas la satisfaction des désirs mais l’accomplissement des obligations imposées par Dieu. Les parvenus, eux, réclamaient un droit de propriété absolu, et qui n’entrainât aucune responsabilité parallèle"[4].

    On sait que Thomas More s’était insurgé contre les "moutons qui remplacent les hommes". Mais le développement des enclosures est inéluctable. "Par deux fois, le Parlement prohibe la clôture ou, du moins, son extension, En vain. La loi du profit joue et prévaut". Ce comportement économique se poursuit et le pasteur Harrison peut s’indigner…

"devant l’insigne accroissement en nombre des gens trouvant l’élevage des bestiaux qui est nécessaire bien préférable à l’augmentation de l’humanité qui est superflue. De tels hommes sont semblables au pape et au diable"

… il n’arrêtera pas la mise en œuvre de la loi du profit.

    En Angleterre, sous Élisabeth, tout le monde gagne de l’argent. Ou tâche de le faire. Non pas seulement ceux dont c’est le métier et l’affaire, mais tous, la gentry, la noblesse, la reine –femme d’argent (sic) [5]- . Au rebours de la France, trafiquer n’y déroge pas à noblesse.

"Il s'élevait par spéculation, péculat, piraterie, des fortunes démesurées; et le spectacle de cet argent qui, une fois acquis, bien ou mal, donnait tout, rang, faveur, titre, honneurs, ne pouvait manquer d'être démoralisant. Les gens n'avaient plus guère de scrupule, et leur manque de scrupule ne scandalisait plus guère" (Chauviré, p.184).

    Shakespeare n’eût pas été un génie s’il n’avait pas détecté ce rôle moteur mortel de l’argent. Ainsi dans La vie de Timon d'Athènes (1608) :

"De l'or ! de l’or jaune, étincelant, précieux!... Ce peu d'or suffirait à rendre blanc le noir, beau le laid, juste l'injuste, noble l'infâme, jeune le vieux, vaillant le lâche... Cet or écartera de vos autels vos prêtres et vos serviteurs ; il arrachera l'oreiller de dessous la tête des mourants ; cet esclave jaune garantira et rompra les serments, bénira les maudits, fera adorer la lèpre livide, donnera aux voleurs place, titre, hommage et louange sur le banc des sénateurs ; c'est lui qui pousse à se remarier la veuve éplorée. (…). Allons, métal maudit, putain commune à toute l'humanité, toi qui mets la discorde parmi la foule des nations (...) 0 toi, doux régicide, cher agent de divorce entre le fils et le père, brillant profanateur du lit le plus pur d'Hymen, vaillant Mars, …, toi dieu visible qui soudes ensemble les incompatibles et les fais se baiser, toi qui parles par toutes les bouches et dans tous les sens, pierre de touche des cœurs, traite en rebelle l’humanité, ton esclave, et par ta vertu jette-la en des querelles qui la détruise, afin que les bêtes aient l’empire du monde »[ 6].

    Cette citation est le fait d’un lecteur de choix : K. Marx, l’homme du Capital. Marx écrit :

"Shakespeare décrit parfaitement l’essence de l’argent. (…). La perversion et la confusion de toutes les qualités humaines et naturelles, la fraternisation des impossibilités - la force divine - de l'argent sont impliquées dans son essence en tant qu'essence générique aliénée, aliénante et s'aliénant, des hommes. Il est la puissance aliénée de l'humanité" [7].

    Les élisabéthains arrivent en Irlande pour faire fortune. Tels des bêtes qui exigent l’empire du monde. Rien ne les arrêtera.

 ci-dessous : les trajets de DRAKE, le grand navigateur élisabéthain.


LES CONQUISTADORES ANGLAIS EN IRLANDE…

    Il y eut un seul pape anglais dans l’histoire de l’Église catholique. Il se nommait Adrien IV et prit sur lui de faire du roi anglais Henri II le "seigneur d’Irlande" (XII° siècle). Il est vrai qu’à ce moment, tout le monde était catholique. Mais cela renforça de manière irréversible l’idée - géostratégique - que les Anglais avaient des droits sur l’île qui les flanquait à l’ouest. Sous le règne des deux premiers Tudor, le statut de l’Irlande a quelque peu changé. Avec Henri VII, le parlement du royaume d’Irlande - ou ce qui en fait fonction – est subordonné formellement au "roi en son conseil" à Westminster ou au lord-député (représentant de Londres) en son conseil privé de Dublin. Henri VIII quant à lui, prit le titre de "roi d’Irlande" et l’Acte de suprématie fut appliquée à l’Irlande : le roi d’Angleterre était aussi le chef de l’Église irlandaise. Quelle conséquence cela peut-il avoir quand Londres évolue vers la Réforme alors que l’Irlande demeure ne varietur catholique ? Énorme.

    Lorsque l’Église romaine entreprend sa propre réforme avec la réunion du concile de Trente et que les États catholiques se mobilisent soi disant pour lutter contre l’hérésie, l’Irlande devient une pièce du puzzle européen. La France, l’Espagne, le pape, pouvaient envoyer des armées dans l’île qui servirait de point d’appui contre l’Angleterre hérétique. Les comtes du Desmond [8] puis Hugh O’Neill (1540-1616) - "homme politique de classe internationale" (R. Chauviré) - furent le premier irlandais à inscrire leur action dans le grand jeu européen. "Les comtes d’Ulster - base territoriale des O’Neill - proposèrent la couronne d’Irlande à Philippe II (d’Espagne) " écrit Joannon. C’est dire le danger pour l’Anglais.

    Cette guerre irlandaise menée par les Tudor est une guerre de conquête et de rapine - les Merchants Adventurers auraient pu s’appeler conquistadors - et, à la fois, une guerre géostratégique pour prévenir les débarquements des puissances catholiques contre-réformées. Les Anglais avaient tout bonnement l’envie "d’extirper les Irlandais du sol de l’île"… (Sir John Davies, attorney général d’Irlande, cité par Lecky), ce qui, en langue anglaise se dit "root out the Irish". Déraciner. Arracher. Les Anglais n’y parviendront pas, ils n’ont pas débarqué sur une terra nullius, une terre vierge… Mais ils auront bien tout fait pour y arriver, attendons Cromwell. En attendant, justement, un conquérant élisabéthain comme Sir Charles Coote massacre indistinctement hommes, femmes et enfants. A ceux qui lui reprochent "de faire boucherie des nouveau-nés et des enfants en bas âge", il répond : "les lentes deviennent des poux" [9]. Déraciner. Pour l’Américain Stannard (U. d’Hawaï), le fait de s’en prendre systématiquement aux femmes et aux enfants -qui représentent l’avenir et le futur- traduit une politique génocidaire.[10]

 

L’initiative privée en lieu et place de la fonction publique.

    L’origine remonte sans doute au règne d’Élisabeth Ière. Les Anglais ont toujours eu des problèmes avec l’impôt. Pour leur politique extérieure, les Tudor avaient besoin d’argent et donc de prélever un nouvel impôt mais cela passait nécessairement par une autorisation du Parlement qu’il fallait donc convoquer. Cela engendrait un abaissement de l’autorité politique du souverain. Élisabeth contourne la difficulté en faisant appel à l’argent privé pour financer des initiatives publiques.

    "Le goût immodéré pour les relations humaines monétarisées qui se substituent aux anciennes relations féodales d’homme à homme se manifeste même dans le domaine militaire". A court d’argent, soucieuse d’éviter des levées d’impôts qui la rendrait dépendante du Parlement, Élisabeth "afferme la guerre à l’entreprise" (Chauviré). Comment cela ? Les "aventuriers", dirions-nous aujourd’hui "capitaux-risqueurs", s’engagent à rétablir l’ordre en Irlande en finançant eux-mêmes l’expédition. Une fois vainqueurs et l’Irlandais anéanti, ces entrepreneurs de guerre se remboursent par éviction du propriétaire gaélique, se dessinent une propriété du type landlord anglais et, généreux avec le bien des autres, en donnent autant à leurs officiers. Ce sont ces méthodes d’expropriation éhontée, employées par les Warham Saint-Leger, les Carew, les Grenville, les Gilbert, qui provoquèrent la Desmond rebellion (1579-1584). Les Anglo-saxons inventèrent ainsi la gestion privée de la mission de service public. 

    Sir John Perrot, nouveau lord-député, se conduisit comme un tueur. Il "prit un parti, dévasta le pays scientifiquement, brûlant les récoltes, massacrant les troupeaux, seule source de vie pour ces pâtres, organisa la faim". La famille Fitzgerald de Desmond fut exterminée. Les deux millions d’hectares récupérés par les Anglais furent découpés en "seigneuries" pour les entrepreneurs de guerre. W. Raleigh reçut 16.000 hectares. Le poète Edmund Spenser, engagé dans l’armée anglaise, compère de Raleigh mais d’extraction fort modeste, obtint un grand domaine dans le comté de Cork. C’est un vrai élisabéthain.

    La reine arrivait ainsi à ses fins : soumettre l’Irlande, "implanter" des Anglais qui la coloniseront, contrôler géostratégiquement l’île afin d’éviter les débarquements "papistes", espagnols ou français. Le tout sans avoir à débourser la moindre £…(ou très peu).

    Mais l’Anglais est dans son bon droit : c’est Dieu qui l’a choisi.

 

LE THÈME DE L’ÉLECTION : LE MESSIANISME EN ANGLETERRE

 

    Pour imposer leurs réformes, les souverains anglais et leurs idéologues mettent en place des outils de propagande [11].

Lawrence Stone écrit :

"Henri VIII et Élisabeth avaient été l'objet d'une adulation qui devait beaucoup à une grande vague de fond de nationalisme populaire, même si beaucoup de ces manifestations nous donnent aujourd'hui la nausée par le chauvinisme qui les inspire et les basses flagorneries qu'elles adressent au souverain. L'un et l'autre bénéficièrent des théories du droit divin soutenues par les premiers réformateurs protestants, et plus tard des sentiments nationalistes des anglicans".

Henri VIII revendiqua la dignité impériale, « "l’origine britannique de l’empereur Constantin [12] et les fables concernant le roi Arthur constituaient le maigre arsenal sur lequel se fondaient les prétentions du roi" (Haran). L’historiographe officiel de la Cour édita un livre sur ce thème en 1534. Le titre impérial eût donné toute autorité à Henri VIII sur le pape de Rome. Mais Londres fut la seule capitale à y croire quelque peu. Latimer (vers 1485-1555), qui sera évêque de Worcester, fut le premier à parler du Dieu de l'Angleterre.

Les Puritains surtout sont sensibles à ce thème de l’élection, c’est-à-dire à l’idée que Dieu a choisi le peuple anglais, l’a distingué des autres peuples et, donc, en a fait un peuple supérieur et dominant. "Cette conception constitua le noyau des écrits de John Bale (1495-1563), John Foxe (1516-1587) et Thomas Brightman (1562-1607)". Selon Bale, contemporain du roi (1547-1553) Édouard VI Tudor, la réforme calviniste du royaume - réforme menée par la Providence - est l’accomplissement de l’histoire anglaise. Dans son ouvrage, Book of martyrs, Foxe présente le peuple anglais comme le peuple élu qui a reçu la vraie foi des apôtres et l'accession au trône de la reine Élisabeth comme une manifestation décisive de la Providence divine, sauvant la vraie religion pour tous les peuples du monde. Pour Brightman, "la septième trompette de l’apocalypse venait de sonner en 1558 avec l’arrivée au pouvoir de la reine Élisabeth". Les Anglais ne font pas les choses à moitié.

Aylmer, futur évêque de Londres, alla encore plus loin en proclamant : "Dieu est Anglais". C’est, en effet, en 1559 que l’on entend pour la première fois "God is English". Le thème fut repris par John Lyly (1553-1606) en 1580 avec ce péan d'orgueil national : "O paix bénie, ô heureux prince, ô peuple fortuné ! Le Dieu vivant est simplement le Dieu anglais, "Brittain’s God"" Il dit aussi "We little Israel of England" : Dieu est aux côtés de la petite Angleterre comme il fut aux côtés de David contre Goliath. Goliath, c’est l’Espagne.

Sous Élisabeth, Spenser - l’homme de l’Irlande - rédige un grand poème épique dédié à The Faerie Queene qui est une adaptation de la quatrième églogue de Virgile. L’enfant prodigieux attendu serait issu des dynasties rivales de York et de Lancaster et sous son règne se produira le retour du siècle d’or et elle incarnera la déesse Astrée qui établira la paix et la justice universelles. "L’âge d’or" devient sous la plume de Spenser une époque aventureuse d’intrépides voyages et de grandes découvertes. On se met au goût du jour… "Le thème de la vierge Astrée eut un succès foudroyant" nous dit Haran "particulièrement après la victoire sur l’invincible Armada". Preuve manifeste de la supériorité de la Réforme sur l’Antéchrist papal, sur la nouvelle Babylone. Élisabeth fut l’objet d’un véritable culte, c’est la "diva Elizabeth", seconde, juste après la vierge Marie, auprès du Christ. Le naufrage espagnol est tout bonnement l’engloutissement des troupes de Pharaon dans la mer Rouge après que celle-ci se soit refermée derrière les Hébreux. L’Angleterre a été choisie pour établir la Nouvelle Jérusalem sur terre.

    Cette reprise des clichés archéo-testamentaires, cette littérature vont perdurer avec une pointe aigüe lors de la révolution puritaine de 1640. Cromwell se considérant ni plus ni moins qu’un simple outil dans les mains de Dieu. Plus tard, au XIX° siècle, Chamberlain, le maire de Birmingham, leader du parti impérialiste, déclarera au Parlement, ne pas pouvoir parler de la "race britannique, sans un frisson d’enthousiasme". Et le point d’orgue est joué - pour l’instant- par Anthony Blair : "This country is a blessed nation. The British are special, the world knows it, in our innermost thoughts, we know it. This is the greatest nation on Earth. It has been an honour to serve it".

    Revenons à nos moutons si nombreux à cette époque en Angleterre. L’inconvénient du culte de la personnalité, nous dit Lawrence Stone, c'est le problème de la suite : (…) la facture politique de l’exaltation d’Élisabeth fut payée par les Stuart.

 

FIN DE LA DYNASTIE TUDOR

 



[1] Roger CHAUVIRE, "Le temps d’Élisabeth", page 315. Ne dit-on pas que la presse people anglaise est toujours plus bienveillante à l’égard des scandales financiers qu’à l’égard des affaires de mœurs. C’est plutôt l’inverse en France.

[2] John Madden, 1999. Shakespeare et Juliette pour nos amis québécois.

[3] Martyr réformé, brulé vif sous le règne de Marie « la sanglante » (catholique).

[4] R.H. Tawney, historien du XX° siècle, cité par CHAUVIRE, page 146, Le temps d’Elisabeth.

[5] Élisabeth était actionnaire -entre autres choses- d’une compagnie de navigation pour un capital de £40.000.

[6] Acte IV, scène 3, traduction Pierre Messiaen, Les Tragédies, 1941, pages 1035 et 1046. Les mots soulignés en caractère droit le sont par Marx.

[7] K. MARX, Manuscrits de 1844, traduction E. Bottigelli, Éditions Sociales, 1962.

[8] Desmond : nom du Munster occidental, bien situé par ailleurs pour recevoir les navires espagnols.

[9] Les Anglais puritains débarqueront en Amérique avec la même mentalité. Ils combattirent/massacrèrent des Indiens qui, a contrario, avait "un code de l’honneur" qui leur faisait "épargner les femmes et enfants de leurs adversaires", D.E. STANNARD, American Holocaust, page 111. Mais on constate que les Anglais innovent et leur exemple sera repris. Lors de la guerre de 1941-45, sur le front russe, un officier de la Wehrmacht déclara -concernant le meurtre de dizaines d’enfants- que "cette couvée devait être éradiquée". Cf. la thèse de Lindqvist.

[10] Je n’en dis pas plus sur la terreur anglaise en Irlande, me réservant la possibilité de faire un "Nuremberg" de l’impérialisme britannique. (Allusion à Thatcher, amie de Pinochet, qui réclamait un Nuremberg du communisme).

[11] Tout ce qui suit doit beaucoup à A.Y. HARAN, Le lys et le globe, p.94, ainsi qu’à L. STONE, p.131 et suivantes.

[12] Constantin fut proclamé 34° empereur en 306 par les légions de Bretagne, ancien nom de l’Angleterre. 


BIBLIOGRAPHIE

Diachronique

Michael POSTAN & Christopher HILL, Histoire économique et sociale de la Grande-Bretagne, tome 1 : des origines au XVIII siècle, éditions du Seuil, L’Univers Historique, Paris, 1977 pour la traduction française, 510 pages.

-          M. POSTAN : des origines au XVI° siècle (pp. 9-227)

-          C. HILL : de la Réforme à la révolution industrielle (pp. 229-503). 

Eric J. HOBSBAWM, Histoire économique et sociale de la Grande-Bretagne, tome 2 : de la révolution industrielle à nos jours, Seuil, L’Univers Historique, Paris, 1977 pour la traduction française, 384 pages.

G.M. TREVELYAN, (Cambridge), Précis d’histoire de l’Angleterre des origines à nos jours, Payot, Paris, 1955, 512 pages.

Michel DUCHEIN (Archives de France), Histoire de l’Écosse, librairie Arthème Fayard, Paris, 1998, réédition 2005, 594 pages.  

Roland MARX, Histoire de la Grande-Bretagne, éditions Perrin, 2004, révisée par Philippe CHASSAIGNE, coll. Tempus, Paris, 586 pages.

Roland MARX, "Lexique historique de la Grande-Bretagne", Armand Colin, Paris, 1976, 214 pages.

XVI° siècle : les Tudors

Liliane CRETE, "Les Tudors", Flammarion, Paris, 2010, 296 pages.

Guy BOQUET et Edouard GRUTER, "les îles britanniques au XVI° siècle", l'âge des grandes mutations, Armand Colin, Paris, 1994, 416 pages.

Jean-Yves LE BRANCHU, "Les origines du capitalisme en Angleterre", Sirey, Paris, 1935, 100 pages.

Bernard COTTRET (Versailles- St Quentin), Henri VIII, le pouvoir par la force, Payot, Paris, 1999, 464 p.

David LOADES, professeur à l’université du Pays de Galles, « Élisabeth Ière, la reine de la propagande politique », revue L’HISTOIRE, n°43, mars 1982, pp. 48-58.

Roger CHAUVIRE, « Le temps d’Élisabeth », Marcel Didier éditeur, Paris, 1960, 340 pages.

Lawrence STONE, Causes of the English revolution, 1529-1642, Routledge, London, 186 pages, 2002.

M. SOKOLOVA, K.G. DAVIES, C.N.R.S., actes du colloque de Toulouse des 12-16 novembre 1968, L’abolition de la féodalité dans le monde occidental, Éditions du C.N.R.S., 1971, deux volumes.

Les TUDOR : Henri VIII

publié le 11 sept. 2014, 06:45 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 19 janv. 2016, 16:05 ]

    L’ouvrage d’Olivier Lutaud est intitulé "les deux révolutions d’Angleterre" [1]. Tout le monde pense à celle d’Olivier Cromwell (1640-1660) - la "grande Rébellion" pour ceux qui la dénigrent - et pense à celle qui mena Guillaume d’Orange et la reine Marie au pouvoir - la "Glorieuse révolution" (1688-89) pour ceux qui la magnifient (et qui sont les mêmes). Faut-il donc en rajouter une troisième ? Beaucoup le font. L’historien américain Lawrence Stone [2] étudie les causes de la révolution anglaise de 1640 en remontant à 1529.

   Pourquoi cette date de 1529 ?

    Avant de répondre à cette question, il faut revenir sur le concept de révolution. Le passage de l’Europe chrétienne dirigée par l’aristocratie terrienne sous l’autorité du pape à une Europe éclatée en États-nations dirigés par la bourgeoisie marchande et financière qui a dans de nombreux pays établi une religion réformée peut servir de base à la réflexion, quoique schématique. L’édifice de l’Europe médiévale des papes tirait sa légitimité de l’autorité de l’Église dont le chef était réputé "successeur de Saint-Pierre" lui-même choisi par Jésus, la source des décisions se trouvait dans la Bible, livre révélé, exprimant la parole de Dieu. Un seul Dieu, une seule Église : il était évident que l’Europe chrétienne était aussi unie et unique : on ne déchire pas la tunique du Christ ! Or, en 1529, Henri VIII convoqua "l’un des parlements les plus justement célèbres de l’histoire insulaire, assemblée connue sous le nom de Parlement de la Réforme – Reformation Parliament – elle siégea jusqu’à 1536 et posa les bases de la séparation du royaume d’avec la papauté" [3]. Imagine-t-on ce que représente pour un pays unanimement chrétien, ce que représente la soustraction volontaire à l’autorité papale ? Cela ne va pas sans moult résistances, pas sans violences pour vaincre les opposants et entretenir la flamme des partisans. La force même d’un Henri VIII n’y suffit pas, il lui fallut le soutien d’une institution incarnant "les libertés d’Angleterre". L’an 1529 marque le début du processus de rupture avec la papauté et l’entrée dans la révolution, par le roi en son Parlement.

LA RÉVOLUTION HENRICIENNE

 

    On sait que le facteur déclenchant fut l’affaire du divorce. J’en parlerai très peu, cette histoire étant très connue et surtout, elle n’est guère qu’un arbre (disons le bosquet, car il y eut six épouses…) cachant la forêt des désaccords entre pape et roi d’Angleterre, cachant l’éveil de la conscience nationale anglaise. La Réforme anglaise est un produit de l’identité nationale anglaise. Sans que le roi prenne appui sur elles, les "hérésies", hostiles à Rome, anticléricales mais non -loin s’en faut- irréligieuses, aident Henri VIII dans sa démarche.

Permanence du courant révolutionnaire en Angleterre

    La situation est révolutionnaire dans les campagnes anglaises, en termes sociaux, c’est-à-dire exploités contre exploiteurs. Les "hérésies" prospèrent concomitamment. "Bien que persécuté et interdit, le lollardisme ne disparut jamais" écrit Trevelyan (Wycliffe & les Lollards XIV° siècle et ensuite).

    Ces révolutionnaires suscitèrent des mesures d’exception comme nous l’avons indiqué dans la chronologie. Le lollardisme eut ses martyrs tout au long du XV° siècle. Et au début du XVI°, les historiens observent un "revival" - une renaissance - de la pensée révolutionnaire. Ces thèses audacieuses inspireront Thomas More, dont les travaux sont une nouvelle étape dans l’histoire du communisme primitif. Les hommes ont besoin d'utopie. On constate donc qu’il y a une permanence du courant révolutionnaire anglais, les campagnes anglaises s’agitent sous les premiers rois Tudor. Les Lollards aident grandement Henri VIII dans son entreprise de dépossession de l’Église d’Angleterre. C’est une idée vieille d’au moins cent-cinquante ans quand il la met en œuvre et une idée adoptée par de larges masses, autrement dit une force matérielle.

    Et voici que cette tradition anglaise rencontre l’innovation luthérienne. "Les doctrines luthériennes firent immédiatement entrer les Lollards dans le mouvement protestant" écrit Trevelyan. Cambridge deviendra un foyer réformé. Mais le plus intéressant pour notre sujet est "l’importation" du courant anabaptiste depuis le continent. L’anabaptisme est une secte religieuse. Deux points de sa "doctrine" sont à souligner. D’abord, ce souci de responsabiliser l’adulte : c’est un sujet libre qui doit décider de son entrée dans la communauté chrétienne [4], pas un nouveau-né. Le baptême doit se faire à l’âge adulte. Cela relève de la démarche autonomique. Ensuite, les Anabaptistes sont pour la révolution sociale. Les Anabaptistes, croyant résolument en la liberté de l’adulte responsable, conçoivent l’existence de "congrégations" créées par un "élu" en lieu et place de l’Église instituée. Avec leur refus de la dîme, il y a là la négation de l’ordre ecclésiologique (de la hiérarchie catholique, si l’on préfère). Et dès lors que devient le roi "chef suprême de l’Église d’Angleterre" ? Surtout, ainsi que l’écrit Christopher Hill : "still more were alleged to carry egalitarianism to the extent of denying a right to private property. The name came to be used in a general pejorative sense to describe those who were believed to oppose the existing social and political order" -D’autres encore ont été accusés de porter la notion d’égalitarisme jusqu’à la négation du droit à la propriété privée. Le mot "anabaptiste" fut finalement utilisé dans un sens très péjoratif pour désigner tous ceux dont on pensait qu’ils s’opposaient à l’ordre social et politique existant- [5].

 

CHRONOLOGIE

-          - 1519, réforme de Luther.

-          - 1521, Cambridge à la tête du mouvement anglais de réforme religieuse.

-          - Les étudiants ‘luthériens’ se réunissent à la « petite Allemagne » (auberge du Cheval Blanc à Cambridge)

-          - 1525, W. Tyndale adopte définitivement les idées luthériennes. Il traduit en anglais le Nouveau Testament et le fait imprimer.

-          - 1525, échec du mouvement paysan allemand de Thomas Münzer. L’Angleterre sert de refuge aux exilés.

-          - Le lollardisme se fond dans l’anabaptisme.

-          - 1535, échec de l’expérience de Münster. Des anabaptistes rejoignent l’Angleterre.

-          - échec anabaptiste également en Hollande, fournisseur de réfugiés en Angleterre.

-          - 1549 : soulèvement paysan dans le fief lollard du Norfolk : Robert Kett’s rebellion.

-          -1563 : édit des Trente-neuf articles dont le 38° condamne explicitement l’anabaptisme (communauté des biens).

    Les échanges de toute nature sont multiples de part et d’autre de la Manche. Les allers-retours fréquents pour les marchands comme pour les intellectuels. Un vieux dicton ne dit-il pas :

"Hops [6], Reformation, bays, and Beer

Came into England all in year"

    L’anabaptisme est donc, lui aussi, un "produit d’importation" du continent en Angleterre où il rencontre le fonds lollard. On sait que l’anabaptisme se répandit de façon significative en Allemagne du sud et en Suisse, à l’occasion de "la Guerre des paysans", aux Pays-Bas également. On sait aussi que "nulle confession n’a fourni autant de victimes à la répression de l’hérésie" (H. Pirenne). Il en va de même en Angleterre. Mais dans ce dernier pays, l’hostilité à la secte va être portée au niveau institutionnel, au niveau théorique et philosophique en quelque sorte. Cela par le biais des articles de foi de 1563 (cf. infra).

 Une révolution nationale : marche vers l’autonomie

    Le processus de sortie de l’Angleterre du monde féodal européen centré sur la papauté, son entrée progressive dans le capitalisme et la domination des "moneyed men" (qui se substituent aux "landed men") s’effectuent en trois étapes dont la première est le fait des Tudor : Henri VIII, Édouard VI et Élisabeth. C’est ce qui justifie le titre de l’ouvrage de Lawrence Stone qui fixe comme limites chronologiques à son étude des causes de la révolution anglaise les dates de 1529 et 1642.

    Prenons un à un les éléments énumérés par Hobbes – dans son Béhémoth - qui expliquent la dépendance des États à l’égard du Vatican et voyons par quoi l’Angleterre de Henri VIII s’y est soustraite.

- Premièrement, l'exemption, de tous les prêtres, frères et moines dans des causes criminelles, de la prise en compte par des juges civils. Autrement dit, les membres du clergé sont soustraits à la justice du roi d’Angleterre.  

En 1532, la chambre des Communes conteste la légitimité des tribunaux d’Église. L’Acte pour la soumission du clergé de 1534 confirme et amplifie celui de 1532. En 1533, le Parlement déclare que « le royaume d’Angleterre est un empire (comprendre : un État souverain) qui a, à sa tête, un roi doté d’une couronne impériale, à qui l’ensemble du corps politique, incluant même le clergé, doit obéissance ». En 1536, est signé un premier Acte de dissolution des monastères, un second en 1539.

- Deuxièmement, l'attribution de bénéfices à qui leur plaît, indigène ou étranger, et l'exigence de dîmes, annuités et autres paiements.

Le paiement des annates au pape est restreint en 1532 puis définitivement annulé en 1534. Les dispenses ecclésiastiques, les visitations de monastères sont, à partir de l’Act of Dispensations de 1534, décidées en Angleterre.

- Troisièmement, appels à Rome dans toutes les causes où l’Église peut prétendre être concernée.

En 1533 est décidée l’interdiction de se pourvoir en appel auprès du Saint-Siège.

- Quatrièmement, d'être le juge suprême au sujet de la validité des mariages, ce qui concerne la succession héréditaire des rois, et avoir la juridiction sur toutes les causes en matière d'adultère et de fornication. (…).

L’Act of supremacy de 1534, fait du roi le "chef suprême" de l’Église d’Angleterre.

- Cinquièmement, un pouvoir de dispenser les sujets des devoirs et des serments de fidélité envers leur souverain légitime, si le pape l'estime opportun pour extirper l'hérésie.

En 1533, le chancelier Thomas Cromwell [7] organisa une campagne d’information à l’échelle du pays, montrant la vanité de l’excommunication éventuelle du roi, rappelant que seul Jésus-Christ est à la tête des chrétiens, affirmant l’autonomie de l’Angleterre, et prétendant à la supériorité d’un concile universel – dont Henri VIII demande la réunion excipant de sa qualité d’empereur (cf. infra) – sur l’autorité du simple évêque de Rome.

    Face à cette batterie de mesures, on est en droit de se demander où se situe la réforme protestante. Nulle part. Sauf – ce qui n’est pas rien – dans la dénégation de la légitimité du pape de Rome. Mais pour l’heure, ce qui s’effectue c’est une révolution nationale : l’Angleterre coupe tous les liens avec une suzeraineté pontificale, l’Église catholique ne peut plus être un "État dans l’État" avec ses propres tribunaux, le droit d’appel à Rome, son droit d’immunité [8], ses impôts spécifiques [9], etc.… Henri VIII, son Parlement et ses sujets ne redoutent même plus l’excommunication ou l’interdit. Un siècle plus tard (1647), un révolutionnaire levelleur admettra cette dette à l’égard des Tudor : "il est exact que les rois ont été les instruments qui permirent de rejeter la suprématie du pape (…)" [10]. Pour certains historiens anglais, la date de 1533 correspond à l’année 1776 pour les Américains : c’est une proclamation d’indépendance [11].  

 

La Réforme par l’argent : "l’âge du pillage".

    Pour expliquer d’autres motivations profondes des Anglais quant à la réforme de leur Église (et là nous quittons le champ idéologique des Lollardo-Anabaptistes), B. Cottret cite un historien de sa majesté qui écrit tout de go en 1902 que

"le rôle que joua la justification par la foi en Allemagne, ou la prédestination en Suisse, fut dévolu à l’argent en Angleterre". "Formule provocante, certes, mais assez exacte, à s’en tenir aux années 1530" prolonge Cottret [12]. Et il est vrai que l’Église devint, nous dit-il, "la vache à lait" du régime, "au grand soulagement des laïcs, plus profiteurs qu’idéologues, et ultérieurement d’une nomenklatura de spoliateurs d’autant plus attachée à la Réforme religieuse qu’elle y trouvait son intérêt".

    J.-P. Moreau, autre historien de la période, affirme, avec l’aval de Cottret –qui nous dit que le règne de Henri VIII tout entier se vit qualifier dans les années 1970 "d’âge du pillage" et que « l’évolution religieuse du pays se doubla, il faut bien l’avouer, de menées assez sordides en vue d’un enrichissement personnel par le biais des spoliations religieuse »- J.-P. Moreau, donc, affirme que « la dissolution et la suppression des monastères furent une manipulation politique et financière déguisée, au début, en réforme religieuse ».

    Je doute que les Anglais fussent les seuls à mériter cette volée de bois vert. Il y a le mot de Frédéric II, roi de Prusse : "Si l’on veut réduire les causes du progrès de la Réforme à des principes simples, on verra qu’en Allemagne, ce fut l’ouvrage de l’intérêt". Il faut rappeler aussi et surtout que le "moteur" des Grandes Découvertes au XV° siècle était la recherche de l’or et des épices par les Européens [13]. Henri VII (le père), roi d’Angleterre, sponsor des marins Cabot, était continuateur du prince portugais Henri le navigateur. L’appât du gain se tournait aussi bien vers les nouvelles routes et comptoirs commerciaux que vers les Biens ecclésiastiques : un tiers du capital de l’Europe occidentale appartenait à l’Église ! Pour les loups de Hobbes, de quoi se lécher les babines …

 

LES TRENTE-NEUF ARTICLES : TURNING POINT ?

 

    Les réformés anglais ont à plusieurs reprises définit leur credo (Roland Marx). Les 39 articles de 1563 sont un aboutissement de la réflexion du premier XVI° siècle anglais, c’est pourquoi, quoiqu’ adoptés sous le règne d’Élisabeth, je les fais figurer dans la partie consacrée à la révolution henricienne.

    L’édit des 39 est la constitution de l’Église anglicane. Ce n’est pas rien. "Toujours valable aujourd’hui" écrivait Roland Marx en 1976. Et dans ce texte (sacré ?) on parle de choses aussi triviales que le droit de propriété. En effet, l’article 38 dénonce nommément les Anabaptistes, preuve manifeste de leur importance concrète dans les villes et campagnes anglaises, preuve des sentiments révolutionnaires qui habitent le peuple anglais durant cette première étape de la Révolution. Il faut savoir d’abord que le maître Jean Calvin a publié un texte sévère et définitif sur les Anabaptistes de Genève et de la Confédération helvétique : "Brievre instruction pour armer tous bons fidèles contre les erreurs de la secte commune des Anabaptistes". Cela en 1544. Il fut introduit en Angleterre et traduit en langue vernaculaire en 1549. On voit donc la mobilisation des esprits contre la secte honnie.

Que dit l’article 38 ?

“Article XXXVIII:  Of Christian men's good which are not common. The riches and goods of Christians are not common, as touching the right, title, and possession of the same, as certain Anabaptists do falsely boast; notwithstanding every man ought of such things as he possesseth liberally to give alms to the poor, according to his ability”.

    Comme on le voit, les biens des Chrétiens ne sont pas propriété commune, ce sont les Anabaptistes qui divulguent cette grossière tromperie. Bien entendu, chacun se doit en fonction de ses possibilités de faire un peu l’aumône. Mais le substrat est clair : pas de communisme en Angleterre ! On comprend mieux cette exclamation de William Penn (1644-1718) qui parle ainsi de la Réforme : "Je suis sûr qu’on l’a faite pour assurer les droits de la propriété et de la conscience : le Protestantisme a été la protestation élevée par la conscience contre les atteintes portées à la Propriété" [14]. Il faut dire que ces "communistes" primitifs qui parlent de partage, qui nient la propriété privée, sont bien à contre-courant dans cette Angleterre remplie de loups hobbesiens qui se lèchent les babines devant les biens des couvents et autres monastères, qu’ils convoitent et qu’ils accapareront. Ainsi, dès le milieu du XVI° siècle, l’État anglais légifère sur le statut de la propriété : elle sera privée. Cela justifie les affirmations du philosophe A. Badiou qui peut écrire :

« J'appelle ‘État’,…, le système des contraintes qui, précisément, limitent la possibilité des possibles. On dira aussi bien que l'État est ce qui prescrit, ce qui, dans une situation donnée, est l'impossible propre de cette situation, à partir de la prescription formelle de ce qui est possible. L'État est toujours la finitude de la possibilité, et l'événement en est l'infinitisation. Qu'est-ce qui aujourd'hui, par exemple, constitue l'État au regard des possibles politiques ? Eh bien, l'économie capitaliste, la forme constitutionnelle du gouvernement, les lois (au sens juridique) concernant la propriété et l'héritage, l'armée, la police... On voit comment, au travers de tous ces dispositifs, de tous ces appareils, y compris ceux, naturellement, qu'Althusser nommait ‘appareils idéologiques d'État’ - et qu'on pourrait définir par un but commun : interdire que l'Idée communiste désigne une possibilité -, l'État organise et maintient, souvent par la force, la Distinction entre ce qui est possible et ce ne l'est pas. Il en résulte clairement qu'un événement est quelque chose qui advient en tant que soustrait à la puissance de l'État » [15].

    Les fameuses "libertés anglaises" dont on nous rebat les oreilles sont limitées, à droite, par l’exclusive anticatholique, à gauche, par l’exclusive anticommuniste. On retrouvera cependant une forme de communisme sous la Révolution de 1640-1660.

 

LA FORCE NÉCESSAIRE POUR ÊTRE "PAPE"

 

    Observons que dénier l’autorité du successeur de Saint-Pierre, tenter de le remplacer aux yeux - et dans l’âme - de ses sujets, se faire appeler "pape en son royaume" exigent une certaine carrure, une capacité à supporter un lourd poids sur ses épaules.

"Pour durer, pour inspirer aux sujets la pensée que le roi était leur Providence, et que, s'il échouait, c'était la volonté de Dieu que leur sort fût précaire, il fallait un homme ayant le sens de l'autorité et de la mesure, sachant, s'entourer d'une sorte d'auréole magique et imprégner son règne de mystique" [16].

    Henri VIII avait cette ampleur mais un homme seul ne fait jamais l’histoire : s’il n’avait pas été supporté par des forces nationales multiples Henri VIII eût échoué.

1. La démarche autonomique s’exprime par la poursuite du nationalisme économique d’Henri VII qui est déjà une forme de démarche autonome : on maîtrise le fonctionnement de l’économie nationale qui est auto-centrée. Henri VIII poursuit, mais en plus dote le pays d’une navy, la Marine royale : flotte militaire permanente.

 2. en 1533, le Parlement vote "l’acte pour restreindre les appels" qui interdisait aux sujets du roi de se pourvoir à Rome (Cf. supra) ce faisant, il fait clairement référence au caractère "impérial" –c’est-à-dire sans suzeraineté, sans pouvoir souverain au-dessus de lui, pouvoir auquel on pourrait faire appel de sa décision – au caractère impérial de la couronne d’Angleterre : Cottret écrit de manière éclatante qui est dans la parfaite ligne de notre problématique :

"cette loi constitue une authentique révolution : l’Angleterre était définie comme un « empire » dont le prince souverain n’avait de compte à rendre à aucune autre puissance, temporelle ou spirituelle" (p.223).  

3. L’affirmation de la langue vulgaire. Il n’y a pas de sentiment national sans langue nationale. A Poitiers (1356), lorsque les Anglais terrassèrent leurs ennemis français, ils célébrèrent la victoire… en français. Or, la future langue anglaise était en gestation. En 1359, le Parlement déclara que "la langue française étant très peu connue en ce royaume (…) les hommes de loi doivent à partir de maintenant plaider dans leur langue maternelle". L’anglais, notamment grâce aux établissements d’enseignement, "redevint le langage de la classe supérieure et instruite, ce qu’il avait cessé d’être depuis Hastings" [17]. L’invention de l’imprimerie, on s’en doute, multiplia les livres en langue anglaise.

    En 1535, est publiée à Zurich la bible anglaise de Miles Coverdale. "Ce qui marque, dit Cottret, autant un aboutissement qu’un point de départ" (p.240). Un aboutissement dit-il car "elle est largement tributaire de la traduction de Tyndale". Sur le plus long terme, on peut dire que c’est aussi le triomphe posthume de Wycliffe qui entreprit cette traduction dès le XIV° siècle. La bible en anglais fut interdite longtemps, comme expression de l’hérésie puis du protestantisme. C’est aussi un point de départ "parce qu’elle fut à l’origine de la Grande Bible, officielle celle-là, de 1539". Ainsi, comme Tyndale l’avait souhaité, la Bible – installée désormais en permanence dans chaque église/paroisse – devint connue "de tous les artisans et "du garçon qui mène la charrue"". Tout cela ne pouvait que favoriser l’éclosion du patriotisme et du sentiment national.

4. Le "nationalisme fiscal". Cette expression est de B. Cottret. La fiscalité pontificale est dénoncée depuis longtemps. Au XVI° siècle, Luther déclencha les hostilités en condamnant les flux financiers qui pompent l’or et l’argent de sa belle Allemagne au profit de la "prostituée romaine" (sic). On observe ce même comportement chez les Anglais. C’est le Parlement qui prit l’initiative de dénoncer "les grandes sommes d’argent emportées du royaume, sous le titre de prémices ou d’annates" et de voter "l’acte pour l’interruption conditionnelle des annates". Les flux fiscaux, au lieu de s’échapper vers Rome, furent recentrés sur Londres.

5. Le rôle du Parlement. "L’instrument que choisit Henri pour effectuer sa Réforme royale fut le Parlement" écrit le plus modestement possible, l’historien Trevelyan. Cottret y voit au contraire "l’un des rares traits de génie" du second Tudor. Et quel parlement ! un "mangeur de curés" (sic, p.188). Henri VIII lui fit adopter successivement l’Act for the pardon of the clergy (admirable renversement des rôles : c’est le roi qui daigne accorder une amnistie à son clergé -et en échange d’une somme d’argent- à cause des affres dressées par l’Eglise romaine sur la voie du divorce). Puis l’Act for the Submission of the clergy. Puis l’Act of supremacy qui fait de lui le "chef suprême" de l’Eglise d’Angleterre. Enfin, les Acts of dissolution of the Monasteries. Avec la dissolution des monastères, Henri VIII se bâtit une clientèle qui lui achète les terres confisquées. Pairs, courtisans, fonctionnaires, marchands achetèrent puis revendirent les terres à de plus petites gens. Un vaste marché du foncier s’établit. Cela créa un effet de cliquet : impossible de revenir en arrière. Les détenteurs de ces biens seront les soutiens indéfectibles de la Réforme et des adversaires non moins résolus du retour au catholicisme.

    C’est au cours de cette accumulation de textes fondateurs qu’une expression apparut, destinée à faire florès : "Votre majesté royale et vos Lords spirituels et temporels, ainsi que les Communes, représentant tout l’État du royaume dans cette haute cour du Parlement, avez tout pouvoir et autorité… etc... ". Le roi fait partie intégrante désormais du Parlement : c’est la nouvelle sainte trinité anglicane : le roi, la chambre des Lords, la chambre des Communes sont trois et un à la fois. L’expression King-in-Parliament – le "roi-en-son-Parlement" écrit Cottret – marque sans ambigüité le caractère collectif de la souveraineté.

Henri VIII - le roi-en-son-Parlement - a réformé l’Angleterre avec la coopération du Parlement de la Réformation. Elisabeth réunit dix fois le Parlement, soit une fois tous les quatre ou cinq ans, c’est peu mais suffisant pour accréditer l’idée que le roi règne et gouverne avec les deux chambres. On comprend mieux la colère des Anglais lorsqu’ils constateront que les Stuart veulent s’en passer. Onze ans (1629-1640) sans convocation sous Charles Ier. "Le roi et son Parlement ont définitivement laissé place au roi en son Parlement" : c’est le définitivement qui ne comprirent pas les rois Stuart et bouleversa le XVII° siècle anglais.

6. Last but non least : le patriotisme voire le nationalisme. Henri VIII mit fin aux ordres religieux cosmopolites. "Henri ordonna aux prêtres de réciter dans leurs congrégations, aux pères de famille d’enseigner à leurs enfants, la prière, les Commandements et les Articles de la foi en anglais" etc. Le nationalisme anglais avait atteint sa pleine maturité (Trevelyan 203).

Cottret souligne avec force légitimité : "la convocation du Parlement (de la Réforme) se révéla extraordinairement efficace pour orchestrer dans le pays entier le soutien à la cause du souverain". Je l’ai déjà dit : un homme seul ne peut rien. S’il n’avait pas bénéficié de multiples forces matérielles – au sens du matérialisme historique – Henri VIII eût échoué dans sa tentative.

 

LA PERSÉCUTION

 

    La révolution henricienne ne se fit pas sans violence. Trevelyan (Cambridge) emploie les mots de "terreur, besoin d’un serviteur plus rude et moins scrupuleux, révolution accompagnée de violence et d’injusticeanticléricalisme monstrueux… scènes tragiques". Cottret (U. de Versailles-St-Quentin) - qui sous-titre sa biographie de Henri VIII "le pouvoir par la force" - parle de "délation, d’âge du pillage, sordide enrichissement personnel, supplice, roi sanguinaire…". Les exécutions de Thomas More, de Thomas Cromwell et de bien d‘autres sont autant de crimes politiques.

 ci-dessous : le climat de répression avec des suppliciés trainés sur la claie avant d'être roués et d'être écartelés par quatre chevaux. 

La politique d’Henri VIII

    Une lettre écrite de la main même d’Henri VIII à son chancelier donne un aperçu de ses méthodes de gouvernement :

"(Voici) ce qui doit demeurer entre vous et moi : vous devez surveiller de près le duc de Suffolk, le duc de Buckingham et le Lord Northumberland, sans oublier le seigneur Derby(…) et tous autres que vous trouverez suspects…".

    Mais cela n’est rien par rapport à l’issue finale. Quand il apprit l’existence d’un complot papiste franco-impérial contre l’Angleterre, complot mené, entre autres, par Reginald Pole, Henri VIII eut

"une riposte foudroyante. Les membres de la famille Pole restés en Angleterre furent décimés. Pour Henri VIII vengeur, il s’agissait en outre de mettre fin une nouvelle fois à la Guerre des Deux-Roses. Cette préoccupation demeura une obsession constante du règne [18]. Les Pole n’étaient-ils pas les descendants de la famille d’York ? (…). Le frère ainé de Reginald fut décapité en compagnie de Courtenay, marquis d’Exeter, et de Sir Edward Neville, tous deux proches de la famille. Les Pole, les Courtenay, les Neville : toute la fine fleur de la vieille noblesse fut ainsi brutalement fauchée" (B. Cottret, p.276).

    Après l’assassinat de T. Cromwell, maquillé sous un procès en bonne et due forme, ce furent trois chefs "anabaptistes" qui furent exécutés. Avec cette politique de bascule qui frappe à droite (contre les catholiques) ou à gauche (contre les Lollards-Anabaptistes),

"la cohérence doctrinale échappe aux observateurs qui furent très sensibles au caractère sommaire de la procédure. « Ces hommes - écrit un contemporain - professaient l’évangile de Jésus-Christ et ils le prêchaient. La raison pour laquelle ils ont été aussi cruellement exécutés m’échappe encore" (cité par B. Cottret, p.310).

 

L’exemple de l’extermination des Chartreux

    La suppression des couvents et l’expropriation de leurs biens au profit de la Couronne se sont effectuées sans une guerre civile d’ampleur. Il y eut nonobstant des persécutions à l’encontre des récalcitrants. Je viens d’en donner quelques exemples. Voici le cas de l’ordre des Chartreux, possessionné au cœur de Londres et dans d’autres villes d’Angleterre. L’extermination de l’Ordre demanda plus de deux ans. Deux ans d’exécutions et de harcèlement -Henri VIII allant jusqu’à se déplacer en personne pour convaincre un de ses amis, moine chartreux-. En mars 1535, il y eut trois exécutions. Trois prieurs de trois chartreuses dont Augustin Webster, qui refusa –comme les autres- le serment d’allégeance au Roi, persévérant dans sa fidélité au pape. C’est le chancelier Cromwell qui le fit emprisonner, puis pendre, décapiter et mis en quartier. Trois autres exécutions quelques semaines plus tard. En 1537, il fallut inventer de toutes pièces un dossier de trahison pour faire exécuter quatre autres moines chartreux. Ils furent enchaînés aux remparts de la cité d’York jusqu’à ce que mort s’ensuive. L’affaire fut bouclée avec l’emprisonnement des irréductibles enchaînés à des pieux dans les caves de la prison de Newgate, abandonnés sans eau ni vivres. L’histoire de ces martyrs prend un tour épique avec le dévouement de Margaret Clément, ancienne servante de Thomas More, qui réussit à convaincre le geôlier, à passer avec un déguisement de fermière et à apporter quelques nourritures aux victimes, évacuant leurs excréments, etc. ... Henri VIII s’interrogea sur la survie mystérieuse de ces moines. Alors Margaret passa par les toits de la prison pour faire descendre des paniers suspendus à une corde, etc. ... Le calvaire de ces martyrs dura plusieurs semaines. Aujourd’hui, sur "un site internet hébergé par l’Église catholique en France", on peut lire la fin atroce de l’un d’entre eux : Saint John Davy.

« Religieux de la chartreuse de Londres, il refusa de reconnaître Henri VIII comme seul chef spirituel de l’Église d'Angleterre. Il fut condamné, avec huit autres moines, chartreux comme lui, à l'exécution la plus longue "drawn-hanged-drawn-quartered". Être traîné sur une claie à travers la ville de la prison à la potence (drawn), puis pendu (hanged), et descendu de la potence à moitié étranglé mais respirant encore pour être à nouveau traîné sur une claie de la potence au billot (drawn). Enfin avoir la tête coupée et être équarri comme un bœuf à l'abattoir (quartered) ».

    Tout cela est fort exact. Le site gagnerait en crédibilité à dire que tel était le sort des condamnés à mort dans toute l’Europe catholique avant la Réforme, que Mme de Sévigné nous relate la même chose à l’époque du Très Chrétien Louis XIV et que les catholiques espagnols firent de même pour le chef des Libéraux révolutionnaires, Riego, en 1823, après la Révolution française et après la proclamation des droits de l’homme.

    La révolution anglaise n’a donc pas que des heures de gloire, loin s’en faut. J’observe que la balance n’est pas égale entre la France et l’Angleterre. Dans notre pays on a droit régulièrement à la programmation du « dialogue des carmélites », qui relate l’abomination terroriste de la soldatesque jacobine contre des religieuses sans défense sinon leurs prières et leur rosaire mais en Angleterre, les martyrs chartreux restent au fond des oubliettes de la Tour de Londres.



[1] O. LUTAUD, Éditions Aubier, collection bilingue, 1978.

[2] L. STONE, Causes of the English revolution, 1529-1642, Routledge, London, 186 pages, 2002.

[3] B. COTTRET, Henri VIII, page 167.

[4] Cela annonce les lumières d’E. Kant et son célèbre « aie le courage de te servir de ton propre entendement ».

[5] C. HILL, p26. « D’autres encore ont été accusés de porter la notion d’égalitarisme jusqu’à la négation du droit à la propriété privée. Le mot "anabaptiste" fut finalement utilisé dans un sens très péjoratif pour désigner tous ceux dont on pensait qu’il s’opposaient à l’ordre social et politique existant ».

[6] Hops : houblon ; bays : Étoffes fines à contexture assez légère (Le Branchu).

[7] Ne pas confondre avec Olivier Cromwell l’homme de la grande révolution de 1640-1660.

[8] Par le droit d’immunité, les biens ecclésiastiques étaient exemptés d’impôts.

[9] La dîme est maintenue mais est versée à l’Église d’Angleterre et non plus à Rome.

[10] Cité par O. LUTAUD, Cromwell, les Niveleurs et la République, page 149.

[11] Par exemple Dale HOAK, professeur au collège William &Mary.

[12] B. COTTRET, Henri VIII, page 174. L’historien précise que l’auteur anglais de cette formule est « assez fier au demeurant que les idées aient importé aussi peu à ses compatriotes », ce qui témoignerait d’une fidélité séculaire au culte du veau d’or (JPR). Autres citations extraites des pages 197 et 200.

[13] P. CHAUNU, « L’expansion européenne, du XIII° au XV° siècle », P.U.F., 1969. Jean FAVIER, « De l'or et des épices : Naissance de l'homme d'affaires au Moyen Age ».

[14] R.B. PERRY, Puritanisme & Démocratie ; Robert LAFFONT, Paris, page 345.

[15] Alain BADIOU, l’hypothèse communiste, (2009), Nouvelles éditions Lignes, extraits.

[16] BRAURE, L’Angleterre moderne, Albin Michel, page 36.

[17] TREVELYAN, page 175.

[18] Déjà, le duc de Buckingham, cité précédemment, fut décapité après un procès consécutif à une dénonciation, parce qu’il était descendant de la famille des Lancastre (rose rouge) et, à ce titre, pouvait menacer le trône de la dynastie encore fragile des Tudor.

Les TUDOR : Henri VII

publié le 11 sept. 2014, 03:52 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 27 août 2017, 02:05 ]

Vous avez bien lu : il s’agit d’Henri VII et non pas -pas encore - Henri VIII. D’où le titre :

 

L’ANGLETERRE AVANT LA REFORME

 

    Il me faut immédiatement montrer que l’Angleterre était préparée depuis des lustres à la séparation d’avec Rome. Voyez la citation de l'historien DELUMEAU. « Dès 1380 apparurent en Angleterre des projets de confiscation des biens ecclésiastiques (avec Wycliffe et ses disciples Lollards, JPR). (..). L'Angleterre avait (…) pris ses distances avec la papauté. Le roi décidait des nominations et gardait le temporel durant la vacance du bénéfice ecclésiastique. Bien avant le schisme d'Henry VIII, l’Église anglaise était devenue le chose du roi et elle n'était plus rattachée à Rome que par lui ». Les idées de Wycliffe et des Lollards Wycliffe & les Lollards XIV° siècle et ensuite sont diffusées depuis un siècle et demi, la politique tant intérieure qu’extérieure d’Henri VII – le père – est aussi décisive.

 

Le premier Tudor

   Vainqueur de la Guerre des deux roses, Henri Tudor devient roi d’Angleterre en 1485.

    Mon propos n’est pas, ici, d’écrire une biographie exhaustive, la fiche Wikipaedia d’Henri VII donne des renseignements utiles. Je voudrais m’attacher à ce qui a préparé la révolution d’Angleterre du XVI° réalisée sous le règne d’Henri VIII, le fils.

    Durant la seconde moitié du XV° siècle, le commerce extérieur anglais est en pleine ascension. Il concerne surtout les exportations de laine et de draps, exportations réalisées pour les deux tiers par des commerçants anglais. Ces commerçants ont une organisation professionnelle très ancienne, the Company of Merchant Adventurers of London, dont le statut a été renouvelé par une charte octroyée en 1505 par Henri VII. Sur le continent, la porte d’entrée des produits anglais était la place d’Anvers [1]. Ces exportations étaient alimentées par la laine des moutons élevés dans les fameuses enclosures mais aussi par le travail des manufacturiers. Dans son livre célèbre, l’Utopie, Thomas More dénonce la place exorbitante faite aux moutons dont les prairies clôturées évincent les terres arables où poussaient les céréales nourricières des hommes. Et cela en 1516. C’est dire que le "mal" est fait depuis déjà longtemps. On connaît l’aphorisme célèbre de More : "le mouton, chasse l’homme". La laine était, selon les dires de l’ambassadeur de Charles Quint à Londres, « la seule chose qui nourrit » les Anglais.

    L’élevage du mouton pour sa viande et sa laine est une spéculation commerciale, il n’est donc pas surprenant que les enclosures progressent autour de Londres, centre de consommation et, surtout, d’expédition maritime. Les comtés où les enclosures dominent sont ceux Hertford, Essex, Kent et Suffolk et Norfolk, autrement dit le Bassin de Londres. Il y a intégration économique entre la ville et sa campagne [2]. Concernant la manufacture de la laine, les rois d’Angleterre ont rapidement soutenu cette activité de main d’œuvre. Dès le XIV° siècle, les droits de douane à l’exportation étaient de 33% ad valorem pour la laine brute et de 2% ad valorem pour les draps. En 1489, Henri VII signe un acte qui fait réserver la laine anglaise aux manufacturiers anglais, les Clothiers. Très tôt, les artisans sont sous la dépendance de ces Clothiers qui sont à la laine anglaise ce que les marchands-fabricants étaient à la soierie lyonnaise : ils ne fabriquent rien, mais fournissent la matière première à l’artisan et lui rémunèrent le produit fini pour le commercialiser à l’exportation. En 1527, la guerre avec l’Espagne ébranlent toute la filière, en faisant chuter les ventes, et ce sont les Clothiers qui allèrent en délégation exposer leurs doléances au roi. L’industrie anglaise démarre avec Henri VII.

    Le rôle du roi Henri VII, père de celui qui engagera l’Angleterre dans la Réforme, est capital. Pour augmenter ces revenus générés par les droits de douanes, Henri VII essaya d’encourager les exportations, de protéger les industries nationales, d’aider la marine anglaise à l’aide de ces fameux Actes de navigation qui garantissaient le transport des marchandises anglaises par des navires anglais. Il tenta également de trouver de nouveaux marchés en finançant les voyages de découverte de Jean Cabot et fils. Par ses traités de commerce, comme le célèbre "Intercursus Magnus" signé en 1496, Henri VII établit une sorte de libre échange entre l’Angleterre et les Flandres ce qui eut des conséquences très importantes pour l’industrie lainière. Un second traité, signé dix ans plus tard, donna des privilèges encore plus grands aux marchands anglais, au détriment de ceux des Pays-Bas qui appelèrent par dérision ce traité "Malus intercursus"Henri VII a toujours utilisé sa diplomatie de façon à assurer l’enrichissement de son pays.

    Par ailleurs, il gouverna en président le plus souvent possible un Conseil de gouvernement dont les participants les plus influents étaient des juristes, des clercs ou des membres de la gentry classe très engagée dans la filière de la laine [3].

    Bref, et c’est là où je voulais en venir, Henri VII est, dans une large mesure, le père du nationalisme économique anglais. Il a puissamment préparé les esprits à la "révolution nationale" opérée par son fils. On ne saurait trop insister sur l’importance du moteur économique anglais. Toute l’histoire de l’Angleterre est celle d’une expansion [4] et c’est pour l’accentuer ou pour lui permettre de se réaliser que les Anglais effectueront les ajustements nécessaires qui seront les révolutions analysées ici.

"L’histoire de la transformation de l’Angleterre médiévale en Angleterre moderne pourrait fort bien s’écrire sous la forme d’une histoire sociale du commerce des draps anglais" écrit l’historien Trevelyan (Cambridge) [5].

    Avec cet auteur, on peut dire que

"pendant toute la Guerre des Deux-Roses, (puis) sous les règnes d’Henri VII et de Henri VIII, les marchands de drap entreprenants (Merchant Adventurers, JPR), les tisserands et les éleveurs de moutons produisirent et répandirent de la richesse parmi toutes les classes, hautes ou basses, grâce à leur seule initiative qui n'était soumise qu'à la protection et au contrôle de l'État. Ces hommes, grands fondateurs de chapelles au XVe siècle pour assurer le salut de leurs âme et perpétuer leur nom, montrant une forte tendance anti-cléricale au début de l'époque des Tudors, devinrent, pour la plus grande partie, des lecteurs de la Bible (traduite en Anglais depuis Jean Wyclif, 1382, JPR). Les plus riches d'entre eux, achetant des terres et contractant des mariages avec des familles de squires –gentry- dans le besoin, fondèrent de nouvelles «familles de comté »[6].

    Bref, on le devine, ces hommes étaient mûrs pour l’acceptation de la Réforme. Mais ils eurent une importance plus grande encore :

"C'est grâce à eux que la marine des Tudors puis des Stuarts put étendre sa loi sur les mers. Car l'un des principaux avantages dont jouissait l'Angleterre sur l'Espagne pour l'exploitation du Nouveau Monde, c'est qu'elle avait du drap à vendre en échange des produits de celui-ci, tandis que les Espagnols n'avaient rien à y envoyer que des soldats, des prêtres et des colons".

   Cet aspect des choses est fondamental. Pendant longtemps, très longtemps, les Anglais eurent une politique franco-centrée à cause des Plantagenet qui avaient hérité de presque toute la moitié ouest de la France actuelle ; Le roi d’Angleterre porta même le titre de roi de France. C’est une conséquence du désastre d’ Azincourt et, en 1431, le roi anglais Henri VI se fait sacrer roi de France à Paris. Avec Henri VII, l’Angleterre commence à se détourner du mirage français et à s’orienter vers le Grand large comme dira Winston Churchill. Cette politique sera toujours suivie par les Tudor. Les Stuart, au contraire, au XVII° siècle auront des politiques tournées vers l’alliance française, se mettant à dos tout le monde maritime britannique.

source des illustrations : http://free.sbooks.net/DH_Montgomery/Beginners_American_History/kindle.html

[1] Dès l’affaire du « divorce » entre Henri VIII et Catherine d’Aragon, tante de Charles Quint suzerain des Flandres, les marchands lainiers anglais eurent peur de perdre le marché anversois par un conflit « qui risquait d’entraîner le pays dans la ruine », cité par B. COTTRET, Henri VIII.

[2] Il en va de même dans les arrière-pays des ports de Newcastle et de Bristol mais c’est Londres et son bassin qui sont l’essentiel du système. Les privilèges de Londres sont nommément cités dans la Grande Charte de 1215. 

[3] D’après THE NEW ENCYCLOPAEDIA BRITANNICA, 15° édition, article Henry VII.

[4] Je parle de la période moderne de l’histoire anglaise, qui commence après la Guerre des deux roses. Pour ce qui concerne le Moyen-âge, l’historien Postan nous avertit : "au Moyen-âge, comme dans toutes les sociétés pré-industrielles, l’expansion (anglaise) fut discontinue et même spasmodique" (dans Histoire économique et sociale de l’Angleterre, au Seuil).

[5] TREVELYAN, Précis d’histoire de l’Angleterre des origines à nos jours, Payot, Paris, 1955, 512 pages.Page 189.

[6] TREVELYAN, Adaptation du texte de la page 190. Page 191 pour la citation suivante.

Le rôle politique de la monarchie en Angleterre. 2ème partie

publié le 19 févr. 2012, 06:17 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 23 juil. 2013, 08:31 ]

Cet article est la suite de "LE RÔLE IDÉOLOGIQUE DE LA MONARCHIE EN ANGLETERRE".

 

    La monarchie exerce une influence politique beaucoup plus importante qu'on ne le suppose généralement. Celle-ci, il est vrai, s'inscrit dans le cadre étroit établi par deux lois fondamentales : le "Bill of Rights" (1689) et le "Act of Settlement" (1701). La loi de 1689 établit le principe selon lequel le souverain ne peut régner qu'avec le consentement du Parlement et celle de 1701 rend les ministres responsables des actes du souverain, ce qui signifie qu'en général, celui-ci ne peut agir que sur avis des ministres. Le souverain possède toutefois, un certain nombre de pouvoirs discrétionnaires, connus sous le nom de "Prérogatives Royales".


    Les prérogatives royales.

    Le plus important est sans nul doute celui qui donne au roi le droit exclusif de nommer le Premier ministre. Son choix est bien entendu limité par fait que le nouveau Premier ministre doit pouvoir s'appuyer sur une majorité parlementaire et former un Cabinet. Il n'en demeure pas moins vrai que ni le Parlement ni le parti majoritaire ne peuvent désigner leur Premier ministre. Il s'ensuit que lorsque le parti majoritaire est divisé, le monarque peut exercer une influence décisive.

    C'est ainsi que la Reine Victoria nomma Lord Rosebery à la place de Sir William Harcourt et que George V préféra Stanley Baldwin à Lord Curzon en 1923.

    L'action menée par George V en 1931 est encore plus significative. Au mois d'août de cette année, le Cabinet travailliste qui était au pouvoir depuis deux ans, grâce au soutien du groupe parlementaire libéral, se trouva placé devant une crise financière extrêmement grave. Le Trésor et les milieux d'affaires de la City exigèrent des mesures économiques draconiennes comprenant notamment une réduction massive des allocations de chômage. Le Cabinet travailliste décida de demander au Premier ministre, Ramsay MacDonald, de donner sa démission au roi. MacDonald accepta, se rendit au palais et présenta sa démission. On s'attendait à ce que le roi invitât Stanley Baldwin à former un gouvernement conservateur avec l'appui de libéraux. Sur l’avis de Sir Herbert Samuel, leader du parti libéral, le roi, cependant, demanda à MacDonald de continuer son mandat à la tête d'une nouvelle coalition gouvernementale décidée à mettre en pratique les "économies" nécessaires. En prenant cette décision, le roi négligea de solliciter l’avis des autres membres du cabinet travailliste. Seuls Snowden et Thomas acceptèrent de rentrer dans le nouveau gouvernement qui fut condamné par l'ensemble du Parti travailliste. Le roi avait réussi toutefois à discréditer le Parti travailliste qui devait subir une cuisante défaite aux élections de 1935.

    L'exemple le plus récent est le choix de Macmillan en 1956 alors que Butler était l'élu de son parti. En certaines circonstances, le monarque peut donc choisir effectivement son premier ministre ; il le fait toujours dans l'intérêt de la bourgeoisie capitaliste la plus réactionnaire.


Quelles sont ses autres prérogatives ?

    Aucun projet ne prend force de loi sans "l'Assentiment Royal". En outre, le souverain est seul habilité à convoquer ou à dissoudre le parlement. Seul le souverain peut élever à la pairie. Ceci constituera un élément politique important aussi longtemps que la Chambre des Lords existera et qu'il lui restera un certain pouvoir politique. La tradition, il est vrai, veut que le souverain n'use de ce droit qu'après avis de ses ministres et qu'il le tasse chaque fois que ceux-ci le lui demandent. En réalité, le roi est, parfois à cet égard, l'objet de pressions considérables de la part des éléments les plus rétrogrades, comme ce fut le cas pour la partition de l’Irlande.

    En fait, l'influence journalière qu'exerce le souverain sur l'action gouvernementale est beaucoup plus importante que ne le sont ses droits constitutionnels décrits plus haut. Bagehot a résumé ceci dans une formule célèbre : "le Souverain a, dans une monarchique constitutionnelle comme la nôtre, trois droits : le droit d'être consulté, le droit d’encourager, le droit de mettre en garde".

    Le souverain a, en effet, accès à tous les documents officiels, ordres du jour, minutes, rapports des comités ministériels, etc. Il doit être informé de toutes les décisions majeures ; il peut exiger d'être consulté à leur sujet et d'en discuter avant qu'elles soient prises. Toutes les dépêches du Ministère des Affaires Étrangères doivent 1ui être soumises avant d'être envoyées, ce qui lui donne la possibilité de proposer une politique différente s’il le juge utile. Toutes les nominations ministérielles doivent lui être soumises. il entretient avec le Ministère de la Défense des relations personnelles et peut, là encore, exercer une certaine influence sur le choix des responsables.

    Jennings résume la question de la manière suivante[1] : « On peut dire que le roi est presque un membre du Cabinet et le seul membre n'appartenant pas à un parti. Il est le mieux informé et le seul à qui on ne peut imposer le silence. Son statut lui permet d'avancer son opinion auprès du ministre qui fait la proposition et (ce qui est beaucoup plus important) de la donner au ministre qui n'en fait point. Il peut faire davantage : il peut donner son opinion au Premier ministre... (Le souverain) est lié par les décisions du Cabinet, mais il a pu jouer un rô1e considérable dans l'élaboration de celles-ci».

    Les activités du monarque régnant se déroulent, le plus souvent, dans les cou1isses ; rares sont les occasions où le public en prend connaissance au moment où elles s'accomplissent. Ainsi sont préservés l'image du monarque au-dessus "des factions et des partis" et le concept de "neutralité de l’Etat". C'est seulement lorsque sont publiées les biographies officielles, bien des années après la mort du monarque, que les faits sont portés à la connaissance générale, mais leur impact est largement atténué par le temps. On apprit que George V avait été l'architecte de la partition de l'Irlande vingt ans après sa mort ; que, sans lui, le gouvernement "national" de 1931 n’aurait jamais été formé. Nous savons maintenant qu'en 1917, il envoya, à l'insu du Cabinet, un message de sympathie au Tsar quand celui-ci fut forcé d'abdiquer ; qu'il participa à des intrigues menées par des généraux contre le Cabinet pendant la guerre de 1914 ; qu'il usa de son influence: pour faire nommer ou pour empêcher la nomination de ministres ; qu’il joua un rôle important dans les affaires coloniales,[2] bref, qu’il fut, selon ses propres termes, une "grande force politique".

    Tout porte à croire que ses successeurs ont joué (et jouent), eux aussi, un rôle politique non négligeable. Élizabeth II a déjà utilisé la prérogative royale pour conférer l'Ordre de la Jarretière à deux éminents dirigeants du Parti conservateur et de la réaction : Winston Churchill et Anthony Eden. Quand au mari de la reine, nous savons qu’il exerce une influence de premier plan dans le domaine de l'industrie, pour le compte du capital monopoliste. C'est lui, par exemple, qui, en 1956, prit l'initiative de convoquer une "Conférence du Commonwealth" au cours de laquelle employeurs et syndicalistes discutèrent des "facteurs humains" dans l’industrie.

    Pour résumer, on peut donc dire de la monarchie anglaise :

1°) que la classe dirigeante la considère comme un "élément précieux" du système de gouvernement ;

2°) que son rôle est surtout "idéologique" et vise essentiellement à obscurcir la conscience de classe des travailleurs ;

3°) que son rôle politique n'est pas négligeable ;

4°) que les milieux les plus réactionnaires la considèrent même comme une arme de réserve à utiliser en certaines circonstances (ex. : révolution violente).

    Il n'est guère douteux qu'un gouvernement progressiste, décidé à prendre des mesures de caractère socialiste, serait conduit à considérer le problème de l'existence même de la monarchie; de par sa nature et ses fonctions, celle-ci ne peut se concevoir dans la perspective d'une société sans classes. C'est d'ailleurs ce que propose le Parti communiste de Grande-Bretagne (cf. The British Road to Socialism (p. 52)).

 

La Nouvelle critique (1970)

Article signé René Salles

 

Voir aussi, sur les raisons de la pérennité de la monarchie malgré les « révolutions anglaises », mon article "Angleterre : vivent Dieu et le roi !"

 



[1] Jennings, « Cabinet Government », édition 1951, (p. 327-8).

[2] C'est George V qui nomma Lord Irwin, Vice- roi des Indes en 1927. Ce dernier fut responsable des mesures répressives les plus brutales jamais appliquées en Inde.

Le rôle idéologique de la monarchie en Angleterre. 1ère partie

publié le 19 févr. 2012, 06:12 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 29 sept. 2016, 15:06 ]

    Je publie un article archivé depuis fort longtemps. C’est la conjonction de la sortie des films "The Queen" et "Discours d’un roi" qui me pousse à le faire, cet article sera mieux placé sur mon site que dans un coin perdu de ma bibliothèque. C’est un article paru dans la revue "La Nouvelle critique", éditée par le P.C.F. et dédiée aux intellectuels. Il date de 1970 vraisemblablement. Comme son angle d’approche est historique, il n’a pas beaucoup perdu de sa valeur. On pourra par exemple en extraire d’excellentes citations. Je crois que la problématique de l’article est bonne. La voici présentée par la rédaction de la revue : Contrairement à une idée fort répandue, la monarchie anglaise n'est pas à ranger parmi les nombreuses reliques conservées au Musée de l'Histoire pour la seule joie des enfants et des touristes. Ses fastes ne sont pas uniquement les témoins surannés d'un attachement sentimental à ce qui constitue le symbole de la continuité et de l'unité nationales ; ils ne sont pas, non plus, seulement ceux d'un entêtement chauvin à voir se perpétuer les apparences d'une grandeur que les réalités du XX° siècle s'acharnent à démentir. La monarchie anglaise s’articule dans la société britannique d’une manière qui, bien que spécifique, n’en garde pas moins un caractère de classe.

 

LE RÔLE IDÉOLOGIQUE DE LA MONARCHIE

 

La monarchie et l’État

    En 1867, en un temps où la classe montante - celle du capitalisme industriel - commençait à entrevoir les utilisations possibles que pouvait lui offrir la monarchie (parlementaire) Walter Bagehot écrivait : « L'utilisation de la reine, de ses fonctions d’apparat, est incalculable. Sans elle, l'actuel gouvernement de l’Angleterre tomberait et disparaîtrait ».[1] Les commentaires de cet historien bourgeois perspicace prennent toute leur signification quand on sait que la réforme électorale de 1867 marque une étape capitale dans l’évolution du mouvement ouvrier britannique puisqu'elle fournit la première base sérieuse à « la constitution d'un parti indépendant de la classe ouvrière au Parlement»[2].

    La bourgeoisie dynamique de l'industrie et des affaires, dans sa lutte contre l'aristocratie terrienne pour s'imposer comme classe dirigeante[3], n'avait jusqu'alors montré qu’indifférence, et souvent hostilité, à l'égard de la monarchie qu'elle considérait à juste titre comme l’alliée des forces conservatrices. Installée au pouvoir, son attitude commença de changer lorsqu’elle comprit que celle-ci pourrait d'une part, servir sa politique impérialiste, d'autre part, être utilisée comme arme idéologique pour freiner la marche en avant du mouvement ouvrier. Bagehot attribuait d'ailleurs déjà à la Couronne un rôle plus « psychologique » que « constitutionnel » : "la monarchie anglaise donne à notre gouvernement la force de la religion... Elle donne aujourd'hui une force immense à toute la constitution en lui gagnant l’obéissance crédule de masses populaires énormes ".

    Renforcer et maintenir à son plus haut degré possible le prestige de la monarchie a toujours été depuis, l'un des soucis de la classe dominante. En faisant de la Reine d'Angleterre, l'Impératrice des Indes, Disraeli, en 1871, affirmait non seulement la vocation impérialiste de la Grande-Bretagne, mais il démontrait en même temps l'aptitude de la bourgeoisie à utiliser, en le rénovant, le prestige d'une institution décadente.

    La bourgeoisie fut aidée dans sa tâche, dès l'origine, par les dirigeants réformistes du mouvement ouvrier dont elle sut s’assurer l'allégeance, tant dans les organisations politiques que syndicales, par corruption et une politique astucieuse de concessions mesurées et de compromis.

    Elle sut, en outre, s'assurer la collaboration habile des rois George V et George VI qui contribuèrent à « fondre le Parti Travailliste et ses partisans dans le cadre moral de la vie nationale»[4]. Clement Attlee, par exemple, après bien d'autres dirigeants réformistes, exprimait ainsi l'attitude officielle du Parti Travailliste face au problème de la couronne ; s'élevant contre une proposition de réduction draconienne des dépenses royales, il déclarait le 9 juillet 1952 : «C'est une grande faute de rendre le pouvoir trop triste. Ce fut, je pense, l'erreur de la République allemande après la première guerre mondiale. Ils étaient trop ternes, trop tristes ; l'ennui est qu'ils ont laissé le diable tirer les marrons du feu»[5]. Et toujours dans le même discours : «Nous pensons qu’il est juste de conserver un certain apparat parce que cela plaît au peuple et que cela contrarie un certain penchant à d'autres formes d'agitation ».

    L'objectif est clair, il s'agit essentiellement de détourner les travailleurs de la lutte de classe ou, tout au moins, de contribuer à en estomper la réalité et la nécessité. Comme l'écrivent fort justement E. Shils et M. Young : « l'agressivité qui est canalisée vers l'arène politique est à son tour tempérée et annulée par le sentiment d’unité morale que la couronne contribue à créer ».

    La bourgeoisie s'efforce en effet de présenter la monarchie, symbole du pouvoir d’État, comme ce en quoi tous, riches et pauvres, peuvent se reconnaître au-delà des conflits dont l'acuité est d’ailleurs atténuée par le jeu du bipartisme politique. Le succès de cette mystification apparaît clairement aussi dans la conception social-démocrate de l’État «neutre» et «arbitre» qui contribue à renforcer l'idée d'une monarchie « et des factions au-dessus des partis »[6]. Dès les premiers jours du Parti Travailliste, Ramsay Mac Donald consacra une grande partie de sa réflexion à la question de l’État. Selon lui : « Les socialistes devraient considérer l’État et l'autorité politique non comme l'expression de la domination de la majorité ou de la domination d'un secteur quelconque, mais comme l'incarnation de la vie de la communauté tout entière».[7] Quarante ans plus tard, Herbert Morrison exprimait en d'antres termes la même opinion lors d'une allocution aux fonctionnaires : «le peuple britannique a, sur l’État, une opinion qui diffère considérablement de celle entretenue dans certaines parties de l'Europe... Notre État n'est que l'expression de nous-mêmes en tant que groupe qui essaie d'œuvrer d'une façon équitable et ordonnée»[8].

    La propagande bourgeoise n'a cessé (et ne cesse) de représenter l’État et la monarchie comme totalement indépendants des structures économiques, sociales et politiques.

    Cortèges d'apparat et cérémonies officielles auxquels participe la famille royale sont l'une des armes "psychologiques" préférées de la bourgeoisie anglaise. Grands du royaume, dignitaires civils et militaires, hommes politiques conservateurs et travaillistes, leaders syndicalistes et magnats de la City s'y côtoient et célèbrent ensemble des rites plusieurs fois centenaires. Tout est mis en œuvre pour offrir au peuple l'image d'une élite unie dans le culte de la tradition et de la continuité, gages de sécurité et d'harmonie sociale, et pour consolider l'attitude de déférence si caractéristique d'une partie importante de la classe ouvrière britannique.

    Les techniques modernes de communication de masse et de publicité ont permis depuis la dernière guerre de magnifier l'influence de telles manifestations. En 1953, le peuple entier, et non plus seulement les rares privilégiés admis dans Westminster Abbey, a pu, grâce à la télévision, vivre en direct le couronnement de sa reine. La ferveur populaire indéniable suscitée par l'événement avait de longue date été préparée par une publicité commerciale intense et par la presse dont on connaît les liens intimes avec le capitalisme monopoliste et la réaction. L'investiture de Charles à Caernarfon [9] en juillet 1969 a été précédée du même battage publicitaire ; des millions de britanniques ont assisté à la cérémonie devant le petit écran. Pourtant l’événement a soulevé des critiques plus vives et plus nombreuses que par le passé. Au Pays de Galles, premier intéressé, de nombreux travailleurs ont exprimé leur colère de voir plus de 250 millions de livres ainsi gaspillées en frais d'apparat alors que le pays manque de « logements décents », d'écoles et d'hôpitaux. Cette hostilité atteste la vigueur du sentiment nationaliste, mais elle reflète surtout l'angoisse de la classe ouvrière galloise et de la petite bourgeoisie devant l'ampleur de la crise économique qui frappe le pays. La «Welsh Language Society» a rassemblé à Cilmery plusieurs milliers de personnes dans une manifestation de protestation. De leur côté, les sections du Parti Communiste au Nord comme au Sud du Pays de Galles et les jeunes socialistes du Parti Travailliste ont organisé de nombreux meetings pour s'opposer à l'investiture. La presse bourgeoise, de son côté, a joué son rôle de propagande en avançant les mêmes arguments mystificateurs, parfois avec une franchise déconcertante. «Ce qui s'est passé au Pays de Galles montre à nouveau pourquoi la monarchie constitue un élément précieux du système de gouvernement britannique…, derrière les décors chamarrés, ces grandes manifestations de la royauté jouent un rôle important dans le système politique sensé de la Grande-Bretagne, bien que la plupart ne s'en rendent pas compte» (The Economist, 5 juillet 1969). Ou bien encore : «On a prétendu récemment que la monarchie pourrait servir de pont avec les régions déshéritées ; que la reine était le dernier rempart qui nous protège de la révolution violente ; qu'en certaines circonstances le souverain pourrait être amené à jouer un rôle vital en usant de son droit de véto en matière de législation» (The Observer, 6 juillet 1969).


    Une famille unie.

    La bourgeoisie britannique utilise aussi le thème de la famille comme moyen de pression idéologique. Elle s'efforce de donner de la famille royale une image morale exemplaire de paix et d'harmonie, qui symbolise, par inférence, la paix et l'harmonie indispensables dans les rapports sociaux. Pour cela, avec l'aide de l’Église, elle "sacralise" certaines valeurs - amour, générosité, loyauté, esprit de sacrifice - qu'elle présente comme opposées aux concepts de revendication, agitation, lutte de classe, esprit critique, etc.

    On a, en effet, remarqué que les grandes manifestations inspirées par la monarchie - le couronnement en particulier - tendent à revigorer les liens familiaux. En écoutant la radio, en regardant la télévision, en se promenant dans les rues décorées, ce qui frappe l'observateur c'est l'omniprésence de la famille. Ni le père ni la mère ne sont loin lorsque les enfants participent aux multiples réjouissances que des dizaines de milliers de comités locaux, créés pour l'occasion, organisent en leur honneur. Dévouement à la famille royale signifie donc dévouement à sa propre famille, les valeurs qu'incarnent l'une et l'autre étant ressenties comme communes. Cet aspect de la relation entretenue entre les deux apparaît clairement dans l’allocution que le souverain prononce chaque année à l'époque de Noël sur le thème invariable de la famille royale, des millions de famille britanniques, de l'unité de la nation. Tout est mis en œuvre, en effet, pour présenter la famille royale comme un "modèle" et comme la famille de tous[10]. A l'occasion de la polémique soulevée par la demande d'augmentation des «salaires» royaux, le très conservateur "Daily Telegraph" écrivait de la reine : « Elle est en un sens notre mère à tous, l'incarnation de notre histoire et de l'espoir de tout ce que nous fûmes, sommes et serons »[11].

    Le fait que la reine a décidé cette année (1970, JPR) de ne pas prononcer son allocution de Noël sera confusément ressenti par beaucoup comme une punition infligée par la mère à ses enfants ingrats.


    Monarchie populaire

    Pour rendre plausible cette identification, la famille royale ne ménage pas ses efforts, surtout depuis une soixantaine d'années. L'essor du mouvement ouvrier ne semble pas étranger à cette conduite. Comme l'écrivait le « Times » dernièrement : «II ne suffit pas que les membres de la famille royale soient exposés à la vue de tous ; il leur faut être vivants en tant que personnes, ce qui signifie qu'il leur faut apparaître dans un cadre aussi informel que le leur permet la dignité».

    C'est George V (1910-1936) qui, le premier, prit l'habitude de rendre visite aux quartiers les plus pauvres, serrant la main des ouvriers, bavardant avec eux, à un moment où les luttes ouvrières menaçaient de prendre un caractère révolutionnaire. Ces tournées avaient, pendant la première guerre mondiale un but très précis, comme le souligne Lloyd George dans ses «Mémoires de guerre» : « Il serait difficile de surestimer la valeur du service rendu à la nation par le souverain lors de ses tournées dans les fabriques de munitions... Rien ne pouvait être plus heureux que ce désir spontané du roi de se mêler à eux, (les ouvriers), de leur serrer la main, de bavarder avec eux... Il exprima son espoir que "toutes les mesures restrictives seraient abolies et que tous travailleraient dans un but commun". Ce fut, de la part du roi, un geste très courageux, destiné à promouvoir la solution de ce très difficile problème de la suspension des restrictions imposées (par les travailleurs) aux syndicats qui, à l'époque, gênaient considérablement la production».

    Depuis cette époque, visiter les quartiers populaires, se mêler au peuple, est devenu monnaie courante pour la famille royale. Ces tournées et la publicité qui en est faite s'efforcent de montrer l'affinité qui existe entre la famille royale et le peuple, entre la reine (la mère) et ses sujets (ses enfants).

    L'extrait suivant de l'allocution radiodiffusée à l'intention des ménagères, par le Maréchal Sir William Slim, alors chef d'État-major Impérial, illustre assez bien l'effort de la classe dominante dans ce domaine : «Vers la fin de la guerre, ma femme et moi eûmes l'honneur en un seul jour, d'être reçus par deux dames âgées dans leur foyer respectif. L'une était la Reine Mary [12] à Marlborough House ; l'autre était la mère du soldat qui me servit de chauffeur en Birmanie, dans sa maison de l'East End de Londres. Je suppose que vous pourriez dire qu'elles se trouvaient aux deux extrémités de l'échelle sociale - si d'aventure ces choses-là vous intéressent - mais croyez-moi, pour la courtoisie, la gentillesse, la fierté nationale, le courage et l'humour, elles étaient sœurs, simplement des britanniques » (6 juillet 1952).

    L'objectif est, bien entendu, d'estomper les différences entre les classes sociales et de présenter les intérêts de la classe dominante comme coïncidant avec ceux des travailleurs.

 

La Nouvelle critique (1970)

Article signé René Salles

A suivre (le rôle politique de la monarchie). Le rôle politique de la monarchie en Angleterre.



[1] Walter Bagehot : « The English Constitution », 1867.

[2] A.-L. Morton : « A people's History of England », chapitre XIII.

[3] Cette vision est trop schématique. L’aristocratie n’était pas que "terrienne", elle investissait aussi dans l’industrie et autres activités capitalistiques (JPR).

[4] Shils, E. et Young, M. "The Meaning of the Coronation" (Sociological Review, p. 77), note de l’auteur.

[5] Cité dans James Harvey and Katherine Hood "The British State" (New York, 1959), p. 68.

[6] M. Charlot, "La vie politique dans l’Angleterre d’aujourd’hui", coll. U2, page 236.

[7] "Socialism and Government", 1909, vol.1, page 91.

[8] "Peaceful revolution", 1949, p.111.

[9] Le château -construit à partir du XIII° siècle - a été utilisé en 1911 pour l'investiture du Prince de Galles, le futur Édouard VIII du Royaume-Uni, en raison de ses liens passés avec la couronne anglaise. Ce fut un précédent, qui fut répété en 1969 pour l'investiture de Charles, prince de Galles. (Wikipaedia).

[10] JPR : cet article est paru en 1970. Les choses ont un peu changé du côté de la famille royale en termes de modèle… Peut être que le rôle de films comme The Queen ou Discours d’un roi consiste-t-il à redorer le blason de la monarchie. 

[11] Cité dans « What's the next act in the Royalty show? » (Morning Star, organe du PC de G.-B., 25-10-69).

[12] Épouse du roi George V, (1867-1953).

ÉMEUTES DE LONDRES : UNE EXASPERATION MONDIALE,

publié le 14 août 2011, 12:28 par Jean-Pierre Rissoan

Entretien avec Alain Bertho,

Chercheur et professeur d’anthropologie à l’université Paris VIII,

Spécialiste des phénomènes émeutiers.

 

Pour Mediapart, A. Bertho revient sur la genèse des émeutes britanniques, mais aussi sur leurs points communs avec l’embrasement des banlieues françaises en 2005, et sur le rôle joué par les nouvelles technologies dans ces révoltes, à Londres, comme dans le reste du monde.

Les émeutes de Londres s’inscrivent-elles dans un contexte plus général d’insurrection ?

Il y a eu, depuis janvier et un peu partout dans le monde, un petit millier d’événements de gravité diverse, qui ont des caractères communs d’affrontements entre les gens, les forces de police et les États. De ce point de vue là, les émeutes de Londres s’inscrivent dans l’air du temps. Elles ont été déclenchées après la mort d’un jeune, abattu par la police dans des circonstances obscures si l’on en croit la presse britannique. Cet événement est un événement classique de déclenchement d’affrontements, qui sont des révélateurs ensuite de tensions qui n’arrivent pas à s’exprimer dans le jeu politique traditionnel. 

Des émeutes après la mort d’un jeune, il y en a déjà eu une petite vingtaine dans le monde depuis le 1er janvier 2011. Après, chaque émeute, chaque situation, chaque explosion de colère de ce type, a ses caractéristiques. Cela nous dit des choses qui n’apparaissent pas dans le débat politique traditionnel. 

Les politiques de rigueur des États soumis aux diktats des marchés financiers jouent un rôle dans ces émeutes. Les États, puissants ou non, reportent les exigences budgétaires sur les populations. A cela s’ajoute la généralisation des politiques sécuritaires et policières dans le monde entier. C’est une matrice émeutière tout à fait efficace. On la trouve partout : en Grèce, en Italie, dans les pays africains... C’était également le cas en Tunisie. La révolution tunisienne a démarré après le suicide d’un jeune qui avait été humilié et maltraité par la police, une fois de plus. Si autant de jeunes se sont sentis concernés, c’est que ça ne devait pas être un phénomène isolé. Dans un pays où la corruption était telle qu’il était évident qu’on faisait payer le capitalisme financier à la population, tout a fini par exploser. Nous sommes devant une matrice mondiale. Le reste se donne à voir et se développe dans des circonstances à chaque fois particulières, nationales.

La perte de légitimité des Etats qui négligent leurs peuples : Les relations entre les forces de l’ordre et la jeunesse seraient donc l’une des causes des émeutes britanniques ?

D’après les témoignages sortis dans la presse britannique, il semblerait que nous soyons, en Angleterre, dans des phénomènes de tensions extrêmes, de violences symboliques ou réelles vis-à-vis des classes populaires, qui s’apparentent à la situation française. Si des milliers et des milliers de gens se sentent concernés par la mort d’un jeune dealer alors qu’eux-mêmes, ne sont pas forcément dealers, c’est que le contentieux est très grave et le vécu quotidien vraiment insupportable. De ce point de vue là, la logique sécuritaire, qui fait de la police la quintessence de l’esprit de l’État, semble avoir lieu aussi dans d’autres pays que la France, notamment en Grande-Bretagne. Cela finit toujours mal. C’est également vrai en Chine, où il y a eu quelques émeutes ces dernières semaines qui prouvent que les rapports entre la population et la police ne sont pas bons. 

Les États, quelle que soit leur couleur politique, sont aujourd’hui obligés de mener des politiques d’austérité. Ils finissent par perdre leur légitimité en négligeant les intérêts de leur peuple. La logique sécuritaire, c’est ça : une recherche de légitimité dans la peur, dans l’affrontement, dans la tension.

La manifestation monstre du 30 juin dernier contre la politique d’austérité du gouvernement britannique peut-elle être interprétée comme un signe annonciateur des événements actuels ?

Dans les dernières heures de la manifestation du 30 juin, on pouvait voir les prémisses de ce qui se passe aujourd’hui. Cette manifestation s’est terminée dans l’affrontement, ce qui est assez exceptionnel pour l’Angleterre. De la même façon, je mettrais dans les signes annonciateurs les débordements des manifestations étudiantes, et notamment la mise à sac du parti conservateur, au printemps. On a là, sur différents fronts sociaux, une incapacité à tenir un dialogue politique de la part du pouvoir – ou une volonté, peut-être, de ne pas le faire – qui conduit les gens à se faire entendre autrement. Ce qui est pour l’instant un phénomène assez européen et qu’on ne retrouve pas ailleurs, c’est la séparation des choses. Il y a, d’un côté, des étudiants qui se sont affrontés avec la police pour s’opposer aux réformes universitaires britanniques et, d’un autre, les émeutes de ces trois derniers jours. Ces deux événements apparaissent encore, subjectivement et politiquement, au Royaume-Uni, comme des phénomènes séparés. Ce qui n’était pas le cas en Tunisie, en Égypte ou au Sénégal. Dans ces pays-là, une jonction s’est faite entre la jeunesse populaire la plus pauvre et la jeunesse plus aisée

L’expression d’une impasse politique de plus en plus flagrante : La presse britannique a rapproché les émeutes actuelles de celles survenues dans le même quartier de Tottenham en octobre 1985. Cela est-il justifié ?

Je pense que nous sommes dans une nouvelle période. Même si les événements sont localisés au même endroit, ce ne sont pas les mêmes acteurs. Par ailleurs, nous sommes dans un contexte de rigueur qui n’est pas exactement le même qu’à l’époque, dans la mesure où il y a 20/25 ans, nous pouvions encore penser que la situation résultait du choix délibéré d’une politique nationale et de Madame Thatcher en particulier. Aujourd’hui, ce ne sont même plus les États qui décident, ce sont les agences de notation. L’impasse politique est encore plus flagrante. Certes, il doit y avoir des points communs entre les deux phénomènes émeutiers, mais mon hypothèse est plutôt que nous sommes dans autre chose.

Un autre rapprochement inévitable : les émeutes françaises de 2005. Qu’ont de commun les événements britanniques et l’embrasement des banlieues de l’Hexagone ?

Les émeutes de Londres sont plus organisées que celles de 2005 en France. Et les acteurs sont plus âgés. Les mouvements britanniques semblent recevoir l’assentiment tacite d’une bonne partie de la population qui n’y participe pas, mais qui n’y est pas forcément opposée. J’ai entendu ce matin à la télévision un habitant du quartier qui disait : « Plutôt que de s’en prendre au petit commerce, ils feraient mieux de s’en prendre aux commissariats ». C’est quand même une façon assez curieuse de s’opposer à l’émeute. En 2005, en France, c’était plus clivé. Dans les quartiers où des voitures brûlaient, les gens n’étaient pas forcément scandalisés par ce qu’il se passait, mais c’était très localisé. À Londres, il semble que le phénomène soit plus large. 

Il y a un phénomène qui commence à ressembler à ce qui s’est passé en France : l’extension géographique. Il faudra le regarder de près pour voir s’il se prolonge ou non dans les jours qui viennent (ITW publiée le 10 août, JPR). L’émeute commence par le quartier concerné, puis s’étend dans d’autres quartiers de Londres, avant de gagner Birmingham, Bristol... Le mode opératoire des émeutes britanniques est beaucoup plus violent et plus explicite que celui des événements français. En 2005, il y a eu relativement peu de pillages, d’incendies et d’affrontements directs avec la police par rapport à la durée des choses. A Londres, nous sommes passés dans autre chose. A l’exaspération que l’on retrouve sous toutes les latitudes, due à l’attitude des forces de police vis-à-vis des classes populaires et des jeunes en particulier, s’est greffée une exaspération sur les politiques de rigueur et sur l’extension sans fin des inégalités sociales, y compris dans les pays les plus développés. Là, on a visiblement les deux phénomènes. On sent que la marmite bouillait depuis longtemps et que l’on a juste enlevé le couvercle. 

Les pillages sont également très parlants. J’ai assisté en 2005 à la destruction des vitrines d’un centre commercial de Saint-Denis : pas une chaussette n’avait disparu de la vitrine. L’acte montrait que l’on marquait le territoire en cassant des choses, en prouvant qu’on était là, mais il n’y avait pas de pillages. Le fait d’aller prendre des choses, de se servir au fond en piochant dans tout ce qui est interdit d’habitude faute d’argent, cela dit des choses supplémentaires. La question des inégalités sociales, des politiques de rigueur, est plus présente dans la subjectivité des émeutes de Londres qu’elle ne l’était en 2005 en France.

Si la police attaque, les jeunes répondent : Comment expliquer que certains mouvements, comme celui des « indignés » espagnols, restent pacifiques, tandis que d’autres se muent en violences urbaines, comme à Londres ?

Les mouvements pacifiques comme ceux des «indignés» espagnols sont un phénomène nouveau. On retrouve les tentations de manifestations pacifiques du début du mouvement altermondialiste, mais ces dernières se sont assez vite terminées en émeutes. 

Ce n’est pas assuré que le mouvement espagnol reste pacifique. Ce qu’il s’est passé cet été prouve que la possibilité d’affrontement reste là. Il y a eu des heurts à chaque fois que l’État a décidé d’évacuer soit la place de la Catalogne à Barcelone, soit la place de la Puerta del Sol à Madrid, soit n’importe quelle autre place dans les petites villes espagnoles où la mobilisation avait eu lieu. Il ne s’agit pas d’un principe absolu : si la police attaque, les jeunes répondent.

Les nouvelles technologies, et notamment la messagerie BlackBerry (BBM), semblent jouer un rôle majeur dans l’organisation des émeutes britanniques... Les émeutes évoluent avec les nouvelles technologies, quel que soit le type d’émeutes. On l’a d’ailleurs vu pour le printemps arabe... La police de Philadelphie, aux États-Unis, se préoccupe de cette question depuis au moins deux ans, en se penchant sur les rapports entre l’usage de Twitter et les razzias collectives dans les supermarchés de la ville. Les réseaux sociaux sont des outils d’organisation extrêmement souples, non hiérarchiques, non discursifs, qui permettent de coordonner un acte en temps réel. La propagation des émeutes, par contre, relève de la subjectivité. Elle est dans la colère, dans l’exaspération. Il ne faut pas prendre l’outil pour la cause. Si l’outil est tout à fait adapté à ces formes de mobilisations, la décision d’aller se mettre en danger est de l’ordre de la psychologie, de la subjectivité, de l’arbitraire personnel. Cela n’a pas grand-chose à voir avec les technologies.

Comment envisagez-vous l’évolution des événements en Grande-Bretagne ?

Il y a deux évolutions possibles : soit les choses s’enkystent dans les endroits où ça a déjà éclaté et ça finit par disparaître d’ici quelques jours, soit ça continue à s’étendre. S’il y a un maintien du cycle émeutier, c’est forcément dans l’extension géographique. 

À chaque fois qu’il y a eu des phénomènes de cette ampleur – en France en 2005, en Grèce en 2008 –, on ne sait pas pourquoi ça s’arrête. C’est très difficile à prévoir, comme il est très difficile de prévoir quand les émeutes éclatent. On peut toujours évoquer des causes structurelles, mais on ne se sait pas pourquoi les événements se déclenchent à un moment précis, pourquoi c’est ce jeune là qui va déclencher la colère plutôt qu’un autre.

L’ANGLETERRE EN FLAMMES, OU LE RETOUR DES "DEUX NATIONS"

publié le 10 août 2011, 13:14 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 10 août 2011, 13:28 ]

Ce qui se passe en Angleterre ne laisse évidemment pas indifférent. Les témoignages qu’on peut entendre et voir à la TV laissent souvent pantois. Les Londoniens ne comprennent pas ce qui leur arrive. Armés de leurs balais et pelles à ordures, ils nettoient les dégâts, tout en attendant de pied ferme, avec leur milice d’auto-défense, les casseurs sortis on ne sait d’où.   

Avec sa seule réponse en termes de rapports de force et de répression, le discours du Premier ministre illustre cette fracture sociale qui sépare ceux qui vivent, et parfois très bien, et ceux qui n’arrivent pas à vivre.

"Les jeunes souffrent d'un taux de chômage qui est le plus haut depuis 1992 : presque un million de personnes de moins de vingt-cinq ans (20 %) n'ont pas d'emploi. Le consumérisme peut apparaître également comme une illusion quand bien des gens n'ont pas les moyens de consommer les produits new-look. Il n'est pas surprenant que les grandes surfaces dans bien des quartiers aient été délestées de postes de télévision et de toutes sortes de matériels électroniques, y compris ces Black-Berry fournissant les moyens de communication entre ceux qui mènent les assauts contre l'autorité et contre tout ce qui représente des richesses auxquelles les plus démunis ne peuvent prétendre". Ce texte de Peter Avis, journaliste britannique[1], est conforme aux témoignages -d’une autre nature que les précédents- que l’on a pu relever sur les écrans.


Dirigeant politique, Ken Livingstone, ancien maire de Londres et candidat travailliste à ce poste en 2012, a un discours plus profond que le Premier ministre.

"Le gouvernement a provoqué la colère et la frustration chez les jeunes Britanniques. Il y a certainement de la criminalité dans les événements que nous vivons actuellement. Mais on peut constater qu’un bon nombre de dirigeants politiques, au bout du rouleau, se sont emparés du thème sécuritaire en dénonçant la criminalité. (…). J'ai visité dix-huit arrondissements de Londres, cette année, où j'ai trouvé des jeunes gens très inquiets de leur situation présente et de leur avenir. Je suis allé dans un collège à Tottenham, au Nord, où les étudiants craignaient plus que tout d'être dans l'impossibilité de poursuivre leurs études à cause de l'annulation des aides accordées aux familles les plus défavorisées. Les sévères économies dans le domaine de l'éducation et dans l'aide au logement touchent durement la jeune génération.

La priorité aujourd'hui est de rétablir la paix sociale, d'assurer la sécurité de tous et puis de discuter sérieusement du pourquoi de tels événements. Cela me préoccupe car on assiste à une dislocation sociale à Londres et au risque de voir la police se trouver dans un conflit accru avec nombre de communautés. Nous ne voulons pas retourner aux années 1980. L'austérité imposée par le gouvernement conservateur crée inévitablement des divisions sociales. Elle rappelle la situation où Margaret Thatcher, elle-même, avait mis on oeuvre une telle politique (…)"[2].


Tout cela fait penser à l’analyse d’un fin politique du XIX° siècle : B. Disraeli. Dans son célèbre Sybil or the Two Nations, en 1845, Disraeli avançait notamment, pour le regretter, que la reine Victoria régnait non sur une "communauté" mais sur un "agrégat" de deux nations, "les Riches et les Pauvres", "deux nations entre lesquelles il n'y a ni relation ni sympathie ; qui sont aussi ignorantes des coutumes, des pensées et des sentiments l'une de l'autre que si leurs habitants appartenaient à deux planètes différentes"[3]. On croit vivre ce qui se passe, en direct.

L’incompréhension des Londoniens d’aujourd’hui me rappelle cette lettre d’une bonne lady qui perçoit parfaitement la "nation" à laquelle elle n’appartient pas et qui écrivit à son journal :

"Monsieur le Rédacteur en chef,

Depuis quelque temps on rencontre dans les grandes rues de notre ville une foule de mendiants qui, tantôt par leurs vêtements en haillons et leur aspect maladif, tantôt par l'étalage de blessures béantes et d'infirmités repoussantes, cherchent à éveiller la pitié des passants de façon souvent fort impudente et fort offensante. J'incline à croire que lorsqu'on paye non seulement l'impôt pour les pauvres, mais qu'on apporte en outre une généreuse contribution à l'entretien d'établissements de bienfaisance, on en a fait assez pour avoir le droit d'être enfin à l'abri d'importunités aussi désagréables et cyniques ; et à quoi donc sert l'impôt si lourd que nous payons pour l'entretien de la police municipale si la protection qu'elle nous accorde ne nous permet même pas d'aller tranquillement en ville ou d'en revenir? J'espère que la publication de ces lignes dans votre journal, qui jouit d'une grande diffusion, incitera les pouvoirs publics à faire disparaître cette nuisance et je reste votre très dévouée,

Une Dame".


Cette brave ( ?) dame exprimait un point de vue largement partagé par sa classe. La pauvreté était telle à la date où Disraeli expose cette coupure sociale que Tocqueville lui-même écrivait : "la civilisation (matérielle, JPR) fait des miracles et l’homme civilisé retourne presque à l’état sauvage". Et un Américain, autre visiteur à la même époque, écrit, soulagé : "chaque jour que je vis, je remercie le ciel de ne pas être un homme sans ressources avec une famille, en Angleterre"[4]. Mais les pauvres parfois -et même régulièrement- s’insurgeaient. L’un d’eux déclara : "j’aimerais mieux perdre ma vie que de rentrer à la maison comme je suis. Je veux du pain et j’en aurai". La violence était de rigueur : "on brisa les batteuses, on brûla la nuit les meules de foin. Les hommes exigeaient un minimum vital" (Hobsbawm, c’est moi qui souligne).

Mais dira-t-on les choses ont changé. Apparemment pas. Il est vrai toutefois que Disraeli, du parti conservateur, a tenté de rapprocher les "deux nations". A l’image de ses contemporains, Napoléon III et Bismarck, il a eu une « politique ouvrière ». C’est lui qui élargit le vote aux ouvriers les plus qualifiés, qui accorda des droits très importants aux syndicats britanniques alors en gestation.

Mais Mme Thatcher était comme Disraeli du parti conservateur ?

Certes, mais du parti de la révolution conservatrice. Elle a tout cassé. Elle a brisé les syndicats, elle a détruit tout ce qu’elle pouvait dans ce qui constituait l’Etat-Providence, qui n’est pas le fait du seul parti travailliste mais qui, historiquement, relevait également du parti conservateur.

Avec elle, et avec le libéral A. Blair, la bourgeoisie britannique a ressuscité les deux nations.    



[1] Correspondant de l’Humanité, 10 août 2011.

[2] Propos recueillis par Peter AVIS.

[3] Wikipaedia qui cite F. BEDARIDA.

[4] Cités par E. J. HOBSBAWM.

ANGLETERRE : Vivent DIEU et le ROI !

publié le 3 juil. 2011, 03:25 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 12 avr. 2021, 07:46 ]

  29/04/2011  

    Dur, dur d’échapper à cette manie antirépublicaine de célébrer les amours royales dont on se fiche éperdument. Le goût des Anglais pour le faste royal et, en réalité, pour la monarchie n’est pas unanime, fort heureusement, mais enfin, il est largement majoritaire. L’histoire peut-elle être de quelque secours pour aider à comprendre cet engouement ?

 

.Et d’abord, Sa Majesté…

La reine Victoria a donné à l’institution un prestige incontestable. En plein XIX° siècle où l’Angleterre, à une vitesse vertigineuse, devient majoritairement ouvrière et urbaine, où les révolutions succèdent aux révolutions - cela vaut surtout pour le continent et la France en particulier -, où le système dit ''de Westminster'' - « le roi règne et ne gouverne pas » - peut se passer d’un monarque, en plein XIX° siècle donc, la royauté eût pu disparaître. Mais l’institution incarne l’éternité pour les conservateurs. Même le parti travailliste a pour objectif d’amener « l’individu à se mettre au service et sous la protection de l’État ». Alors, quant l’État est incarné par une veille dame dans laquelle tout le monde retrouve soit une mère, soit une grand-mère… Walter Bagehot (1826-1877), journaliste politique à The Economist, très libéral, considéré comme le meilleur spécialiste de la vie politique anglaise de son vivant écrit :

« L’utilisation de la reine, de ses fonctions d’apparat est incalculable. Sans elle, l’actuel gouvernement de l’Angleterre tomberait et disparaîtrait. (…). La Couronne a un rôle plus psychologique que constitutionnel. (…). La monarchie anglaise donne à notre gouvernement la force de la religion. Elle donne aujourd’hui une force immense à toute la constitution en lui gagnant l’obéissance crédule de masses populaires énormes »[1].

La fortune de la famille royale est incommensurable. Mais cela importe peu aux yeux des couches populaires dont une bonne fraction de la classe ouvrière, particulièrement la partie la plus qualifiée professionnellement. En attribuant le titre d’Impératrice des Indes à Victoria, Disraeli et le Parlement ont -fort habilement- réhabilité, rajeuni, actualisé la fonction. Concrètement, la monarchie permet le fonctionnement du mécanisme de l’aliénation politique.

Cette aliénation remonte à la révolution anglaise de 1640. « Révolution » qui fut incomplète : la tête coupée du roi Charles Ier ne suffit pas à en faire une révolution totale, où le peuple anglais prend en mains ses propres affaires.

 L’ambigüité de la Révolution : hétéronomie ou autonomie ?

Cette révolution est marquée, en effet, par une ambigüité fondamentale : elle ne se libère pas entièrement de la pensée religieuse ; le principe d’autorité s’appuyant sur les Écritures reste donc en vigueur et, au total, le compromis fondé sur l’association entre un souverain exprimant l’hétéronomie et un parlement expression de l’autonomie est énoncé dès l’époque cromwellienne. Certes, il est dit :

« Le peuple d’Angleterre et de tous les territoires et dominions y ressortissant est constitué comme République et État libre et est désormais gouverné (…) par la suprême autorité de cette nation : les représentants du peuple dans le Parlement et par ceux qu’il désignera et constituera comme officiers et ministres pour le bien du peuple et cela sans aucun roi ni chambre des Lords »[2].

Mais cette résolution est hélas contrebalancée par une autre, prise peu de temps auparavant et qui en réduit la portée, l’avenir le montrera. La voici :

« Resolved, & c. That the Commons of England, in Parliament assembled, do Declare, That the People are, under God, the Original of all just Power : And do also Declare, that the Commons of England, in Parliament assembled, being chosen by, and representing the People, have the Supreme Power in this Nation».

Toute l’ambigüité réside dans ces mots : "the People are, under God, the Original of all just Power".

Apparemment, le peuple représenté est déclaré souverain. Mais il l’est APRÈS DIEU : Under God. « The people are under God the original of all just power. (…). The Commons being choice by, and representing the people, have the supreme power in this nation. (…)». Alors, certes, il est dit que les services d’un roi ne sont pas nécessaires : The office of a king is unnecessary, burdensome and dangerous to the liberty, safety and public interest of the people». La chambre des Lords est qualifiée useless and dangerous[3]. Mais Cromwell qui se considère/conduit comme un prophète n’hésitera pas à imposer la parole de Dieu (la sienne) au Parlement (je devrais dire "aux parlements" car il y en eut plusieurs) qui exprimera des velléités de souveraineté.

Dieu et le peuple sont les deux légitimités sur lesquelles repose la gouvernance anglaise. Aujourd’hui, la loi de Dieu - le Bible et l’Église - est complétée par la voix des experts d’Oxbridge et d’ailleurs (MIT & Harvard) qui savent mieux que quiconque ce qu’il faut faire. Mr Blair, ancien Premier ministre, est un pur produit du système : ancien élève de l’une des deux et militant convaincu de la cause anglo-saxonne : « this country is a blessed nation » eut-il le culot de déclarer dans son discours d’adieu. Ce pays est élu de Dieu.

Ce qui l’autorise sans doute à torturer en Irak aux noms des compagnies pétrolières anglo-saxonnes.

Dieu sauve la reine !

lire aussi : iDiscours d'un roi, Tom Hooper (2010). (critique du film)


[1] W. Bagehot, the English Constitution, 1867. Ouvrage moult fois réédité et traduit en plusieurs langues. Ce n’est pas l’excellent film de Stephen Frears, The Queen (2006), qui peut démontrer que les choses ont beaucoup changé… 

[2] Act du 17 mars 1649. Texte en anglais dans M. BRAURE, page 578. “The people of England and of all the dominions and territories thereunto belonging are and shall be, and are hereby constituted, made, established and confirmed, to be a Commonwealth and Free State ; and shall from henceforth be governed as a Commonwealth by the supreme authority of the nation, the representatives of the People in Parliament and by such as they shall appoint and constitute as officers and ministers under them for the good of the people, and that without any King or house of Lords”.

[3] Cité par O. LUTAUD, Les deux révolutions…, page 62. « Le peuple est, après Dieu, la source de tout pouvoir légitime. La chambre des Communes étant élue par et représentant le peuple détient le pouvoir suprême dans cette nation. La fonction de roi n’est pas nécessaire, elle est onéreuse et dangereuse pour la liberté, la sécurité et l’intérêt général du pays. (…). La chambre des Lords est inutile et dangereuse ». Janvier-février 1649. 

Commentaires


ADVENTURERS, CONTRACTORS, ELISABETH IERE ET G.W.BUSH

publié le 3 juil. 2011, 03:24 par Jean-Pierre Rissoan

  26/08/2010  

Dans son édition du 19 août 2010, Le Monde publie un excellent entretien entre Ph. Bolopion et Peter Galbraith, ex-numéro2 de l’O.N.U. en Afghanistan. Le thème est celui des sociétés de sécurité privées. On les appelle aussi Sociétés militaires privées (SMP). Je ne vais pas recopier le contenu de cet entretien. Je cite simplement cet extrait :

« (les forces américaines -en Afghanistan-) dépendent de ces sociétés pour assurer la sécurité de leurs bases ou acheminer leur ravitaillement. Leur présence explique que les Etats-Unis et l'OTAN puissent faire tant de choses avec seulement 140 000 hommes sur place. Durant la guerre du Vietnam, ces tâches étaient assurées par les troupes américaines, qui devaient être beaucoup plus nombreuses sur le terrain pour obtenir un impact similaire ».

Autrement dit nous avons là une forme de sous-traitance, une « délégation » du service public de défense ( ?) nationale à des sociétés privées.

1.      Quelle est l’origine de cette forme de privatisation de la force publique ?

Comme souvent, on trouve en Angleterre les racines d’un phénomène américain.

L’origine remonte sans doute au règne d’Elisabeth Ière. Les Anglais ont toujours eu des problèmes avec l’impôt. Pour leur politique extérieure, les Tudors avaient besoin d’argent et donc de prélever un nouvel impôt mais cela passait nécessairement par une autorisation du Parlement qu’il fallait donc convoquer. Cela engendrait un abaissement de l’autorité politique du souverain. Elisabeth contourne la difficulté.

« Le goût immodéré pour les relations humaines monétarisées qui se substituent aux anciennes relations féodales d’homme à homme se manifeste même dans le domaine militaire. A court d’argent, soucieuse d’éviter des levées d’impôts qui la rendrait dépendante du Parlement, Elisabeth « afferme la guerre à l’entreprise » (Chauviré). Les « aventuriers », dirions-nous aujourd’hui « capitaux-risqueurs », s’engagent à rétablir l’ordre en Irlande en finançant eux-mêmes l’expédition. Une fois vainqueurs et l’Irlandais anéanti, ces entrepreneurs de guerre se remboursent par éviction du propriétaire gaëlique, se dessinent une propriété du type landlord anglais et, généreux avec le bien des autres, en donnent autant à leurs officiers. Ce sont ces méthodes d’expropriation éhontée, employées par les Warham Saint-Leger, les Carew, les Grenville, les Gilbert, qui provoquèrent la Desmond rebellion (1579-1584). Les Anglo-saxons inventèrent ainsi la gestion privée de la mission de service public. 

Alors arrive un tueur : Sir John Perrot, nouveau lord-député. Celui-ci « prit un parti, dévasta le pays scientifiquement, brûlant les récoltes, massacrant les troupeaux, seule source de vie pour ces pâtres, organisa la faim ». La famille Fitzgerald de Desmond fut exterminée. Les deux millions d’hectares récupérés par les Anglais furent découpés en « seigneuries » pour les entrepreneurs de guerre. W. Raleigh reçut 16.000 hectares. Le poète Edmund Spenser, engagé dans l’armée anglaise, compère de Raleigh mais d’extraction fort modeste, obtint un grand domaine dans le comté de Cork. C’est un vrai élisabéthain ».

La reine arrivait ainsi à ses fins : soumettre l’Irlande, ‘implanter’ des Anglais qui la coloniseront, contrôler géostratégiquement l’île afin d’éviter les débarquements « papistes », espagnols ou français. Le tout sans avoir à débourser la moindre £…(ou très peu).

Cette méthode sera souvent reprise des deux côtés de l’Atlantique.

Mais, dira-t-on, en Irak ou en Afghanistan, aujourd’hui, il n’en va pas de même puisque ces SMP ont pour recettes les subsides versées par le gouvernement américain (essentiellement) et donc par le contribuable

2.      Les Américains en Irak.

En Irak, il ne s’agit pas de prendre de la terre aux autochtones et de la distribuer à de nouveaux pionniers/farmers anglo-saxons. En revanche, l’objectif de contrôler ce pays grand producteur de pétrole est un objectif géostratégique.

Alors comment les Américains se remboursent-ils des frais engagés pour la mobilisation de leur armée et des SMP ? La réponse est simple : l’attribution des contrats de reconstruction n’est pas soumis aux règles OMC de la concurrence « libre et non faussée » mais réservée aux pays qui participent à l’expédition militaire.

En 2003, le porte-parole de la Maison Blanche indiqua qu’il était « normal et raisonnable de s’attendre à ce que les contrats principaux aillent au peuple irakien et aux pays qui partagent avec les Etats-Unis la tâche difficile de construire un Irak libre, démocratique et prospère ». Les Soixante-trois pays de l’expédition étaient donc en lice pour décrocher ces contrats y compris « Rwanda, Palau et Tonga » dont nul n’ignore que les entreprises sont parfaitement compétitives face aux sociétés anglo-saxonnes. France et Allemagne et les autres abstentionnistes étaient exclus.

Avec cette recette inspirée de celle du pâté au cheval et à l’alouette, le cheval américain rassasié aura largement compensé ses dépenses en faveur des sociétés militaires privées qui sont par ailleurs - qui en doutaient ? - de droit américain.


Le Monde diplomatique, numéro de mai 2004, article d’Ibrahim Warde : « l’Irak, l’eldorado perdu ».

Le Monde diplomatique, autre article disponible sur le net : Sociétés militaires privées dans le chaos irakien.

[1] Ou qui provoquerait – comme la Poll tax de 1381 – la révolte des Travailleurs…

[2] R. CHAUVIRE, histoire de l'Irlande, Que sais-je ?, page 46.

[3] Il s’agit d’un extrait de mon livre en préparation sur les révolutions anglaises.

[4] Avec la dégradation des conditions de sécurité, ces groupes occidentaux – les sociétés militaires privées (SMP), ou private military companies – ont proliféré pour représenter officiellement un ensemble de plus de vingt-cinq SMP, essentiellement américaines et britanniques, répertoriées par les services du département d’Etat américain.

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