29/04/2011 Dur, dur d’échapper à cette manie antirépublicaine de célébrer les amours royales dont on se fiche éperdument. Le goût des Anglais pour le faste royal et, en réalité, pour la monarchie n’est pas unanime, fort heureusement, mais enfin, il est largement majoritaire. L’histoire peut-elle être de quelque secours pour aider à comprendre cet engouement ?
.Et d’abord, Sa Majesté… La reine Victoria a donné à l’institution un prestige incontestable. En plein XIX° siècle où l’Angleterre, à une vitesse vertigineuse, devient majoritairement ouvrière et urbaine, où les révolutions succèdent aux révolutions - cela vaut surtout pour le continent et la France en particulier -, où le système dit ''de Westminster'' - « le roi règne et ne gouverne pas » - peut se passer d’un monarque, en plein XIX° siècle donc, la royauté eût pu disparaître. Mais l’institution incarne l’éternité pour les conservateurs. Même le parti travailliste a pour objectif d’amener « l’individu à se mettre au service et sous la protection de l’État ». Alors, quant l’État est incarné par une veille dame dans laquelle tout le monde retrouve soit une mère, soit une grand-mère… Walter Bagehot (1826-1877), journaliste politique à The Economist, très libéral, considéré comme le meilleur spécialiste de la vie politique anglaise de son vivant écrit : « L’utilisation de la reine, de ses fonctions d’apparat est incalculable. Sans elle, l’actuel gouvernement de l’Angleterre tomberait et disparaîtrait. (…). La Couronne a un rôle plus psychologique que constitutionnel. (…). La monarchie anglaise donne à notre gouvernement la force de la religion. Elle donne aujourd’hui une force immense à toute la constitution en lui gagnant l’obéissance crédule de masses populaires énormes »[1]. La fortune de la famille royale est incommensurable. Mais cela importe peu aux yeux des couches populaires dont une bonne fraction de la classe ouvrière, particulièrement la partie la plus qualifiée professionnellement. En attribuant le titre d’Impératrice des Indes à Victoria, Disraeli et le Parlement ont -fort habilement- réhabilité, rajeuni, actualisé la fonction. Concrètement, la monarchie permet le fonctionnement du mécanisme de l’aliénation politique. Cette aliénation remonte à la révolution anglaise de 1640. « Révolution » qui fut incomplète : la tête coupée du roi Charles Ier ne suffit pas à en faire une révolution totale, où le peuple anglais prend en mains ses propres affaires. L’ambigüité de la Révolution : hétéronomie ou autonomie ? Cette révolution est marquée, en effet, par une ambigüité fondamentale : elle ne se libère pas entièrement de la pensée religieuse ; le principe d’autorité s’appuyant sur les Écritures reste donc en vigueur et, au total, le compromis fondé sur l’association entre un souverain exprimant l’hétéronomie et un parlement expression de l’autonomie est énoncé dès l’époque cromwellienne. Certes, il est dit : « Le peuple d’Angleterre et de tous les territoires et dominions y ressortissant est constitué comme République et État libre et est désormais gouverné (…) par la suprême autorité de cette nation : les représentants du peuple dans le Parlement et par ceux qu’il désignera et constituera comme officiers et ministres pour le bien du peuple et cela sans aucun roi ni chambre des Lords »[2]. Mais cette résolution est hélas contrebalancée par une autre, prise peu de temps auparavant et qui en réduit la portée, l’avenir le montrera. La voici : « Resolved, & c. That the Commons of England, in Parliament assembled, do Declare, That the People are, under God, the Original of all just Power : And do also Declare, that the Commons of England, in Parliament assembled, being chosen by, and representing the People, have the Supreme Power in this Nation». Toute l’ambigüité réside dans ces mots : "the People are, under God, the Original of all just Power". Apparemment, le peuple représenté est déclaré souverain. Mais il l’est APRÈS DIEU : Under God. « The people are under God the original of all just power. (…). The Commons being choice by, and representing the people, have the supreme power in this nation. (…)». Alors, certes, il est dit que les services d’un roi ne sont pas nécessaires : The office of a king is unnecessary, burdensome and dangerous to the liberty, safety and public interest of the people». La chambre des Lords est qualifiée useless and dangerous[3]. Mais Cromwell qui se considère/conduit comme un prophète n’hésitera pas à imposer la parole de Dieu (la sienne) au Parlement (je devrais dire "aux parlements" car il y en eut plusieurs) qui exprimera des velléités de souveraineté. Dieu et le peuple sont les deux légitimités sur lesquelles repose la gouvernance anglaise. Aujourd’hui, la loi de Dieu - le Bible et l’Église - est complétée par la voix des experts d’Oxbridge et d’ailleurs (MIT & Harvard) qui savent mieux que quiconque ce qu’il faut faire. Mr Blair, ancien Premier ministre, est un pur produit du système : ancien élève de l’une des deux et militant convaincu de la cause anglo-saxonne : « this country is a blessed nation » eut-il le culot de déclarer dans son discours d’adieu. Ce pays est élu de Dieu. Ce qui l’autorise sans doute à torturer en Irak aux noms des compagnies pétrolières anglo-saxonnes. Dieu sauve la reine ! lire aussi : iDiscours d'un roi, Tom Hooper (2010). (critique du film)[1] W. Bagehot, the English Constitution, 1867. Ouvrage moult fois réédité et traduit en plusieurs langues. Ce n’est pas l’excellent film de Stephen Frears, The Queen (2006), qui peut démontrer que les choses ont beaucoup changé… [2] Act du 17 mars 1649. Texte en anglais dans M. BRAURE, page 578. “The people of England and of all the dominions and territories thereunto belonging are and shall be, and are hereby constituted, made, established and confirmed, to be a Commonwealth and Free State ; and shall from henceforth be governed as a Commonwealth by the supreme authority of the nation, the representatives of the People in Parliament and by such as they shall appoint and constitute as officers and ministers under them for the good of the people, and that without any King or house of Lords”. [3] Cité par O. LUTAUD, Les deux révolutions…, page 62. « Le peuple est, après Dieu, la source de tout pouvoir légitime. La chambre des Communes étant élue par et représentant le peuple détient le pouvoir suprême dans cette nation. La fonction de roi n’est pas nécessaire, elle est onéreuse et dangereuse pour la liberté, la sécurité et l’intérêt général du pays. (…). La chambre des Lords est inutile et dangereuse ». Janvier-février 1649. |