Oscars 2011 : Meilleur réalisateur et Meilleur film
Colin Firth (le roi) et Geofrey Rush (l'orthophoniste Logue)
Le film a eu de nombreuses
reconnaissances internationales (Oscars 2011 : Meilleur réalisateur et Meilleur film). Il est vrai qu’il joue à fond sur la corde
sentimentale et de ce point de vue c’est une réussite. Le rôle de
l’orthophoniste, admirablement interprété, "mange" presque le film.
Et il était évident que le bégaiement du roi allait être soigné plus par des
relations à caractère affectif et une quasi psychanalyse que par des
moyens techniques du genre respiration, travail du mouvement des lèvres, boules de bois dans la bouche etc…
Le film ne lésine pas sur le côté cocasse et l’on voit le futur roi se rouler
par terre, balancer des jurons pour se défouler et par là-même réussir des
prononciations jusque là improbables. Une relation d’amitié s’établit entre les
deux hommes. Lionel Logue tenait absolument à considérer son patient hors
normes comme un homme ordinaire et le duc d’York - Georges VI finit par se
plier à ses/ces exigences. Logue ose même poser sa main [1]
sur l’épaule de "Bertie" appelant ainsi Son Altesse Royale comme tout
le monde le fait dans l’intimité de Buckingham. Lors de la prononciation du
fameux discours, il est seul dans le studio avec le roi qui va parler en direct
à toute la nation et il lui dit "faites-le
pour moi". Ce qui semble un peu exagéré tout de même. Mais l’histoire
de cette amitié est très sympathique. Tellement que, si l’on en croit
Wikipaedia, il a fallu corriger le tir du film et, nous dit-on, "la découverte en 2009 des journaux de Lionel
Logue dans le grenier de Mark, le petit-fils de l'orthophoniste, suggère,
contrairement au film, que la thérapie n'utilisait pas de jurons et que
l'amitié entre les deux hommes n'allait pas jusqu'à la familiarité, Logue
nommant respectueusement le roi « Votre Majesté » et non
« Bertie »". Devinez qui a publié en France ce
rectificatif ? Le Figaro, of course,
qui, même dans notre patrie républicaine, tient à ce que les convenances
royales soient respectées. L’emploi du verbe "suggère" montrerait
cependant que rien n’est sûr…Cela dit, le bonus du DVD nous signale que
la découverte du journal du petit-fils a été faite AVANT le tournage du
film. Les auteurs soit n'en ont pas tenu compte, soit possédaient
d'autres sources.
Historiquement, ce film démontre
- après "The Queen" de Stephen Frears,
sorti en 2006 - le rôle et la place de la monarchie en Angleterre. Je l’ai
écrit dans mon article "ANGLETERRE : Vivent DIEU et le ROI ! ", je
n’ai rien à en retirer et je vous y renvoie. A un moment du film, Georges VI
mord le trait et dit « je suis roi
de droit divin ». Erreur ! Les auteurs anglais du film
passent-ils royalement sur la "Glorieuse
révolution" de 1688-89 dont les Britanniques nous rebattent les
oreilles ? Il semblerait. D’ailleurs le film est très légitimiste. Le roi
- la reine, c’est selon - incarne la nation et parle en son nom. Il évoque Dieu
sans vergogne, l’Angleterre n’étant pas un pays laïc.
Winston Churchill est très
présent dans le film ce qui me semble peu historique. On sait les désaccords
politiques graves qui l’opposèrent à Chamberlain à l’occasion de la conférence
de Munich[2]
et le film s’attarde sur lui alors que le Premier Ministre de Sa Majesté est
encore Chamberlain (28 mai 1937 – 10 mai 1940). Selon le film, c’est Churchill
qui, dans un entretien privé, demande à celui qui n’est encore que le duc
d’York de se préparer à remplacer son frère, Édouard VIII, lui faisant valoir
que la nation aura besoin d’un roi légitime qui saura parler en son nom.
Autrement dit, même le grand Churchill accepte la domination du souverain.
L’Angleterre n’a jamais fait une révolution complète et de là découle un
comportement traditionaliste qui n’a jamais failli. Le plus grave est que Churchill
était favorable au maintien sur le trône d’Édouard VIII. Cette séquence du film
est donc totalement erronée.
La période où se situe l’action
du film est très troublée par les crises diplomatiques. Georges VI regarde lors
d’une projection privée un discours d’Hitler et remarque - il ne comprend pas
l’allemand- que ce dernier parle avec conviction. Encouragement pour lui à
faire de même. Rien n’est dit sur la politique d’apaisement de l’Angleterre, prête à tout pour ne pas faire la
guerre au Reich, jusqu’à la compromission, jusqu’à l’abandon de la
Tchécoslovaquie au nom du droit des peuples - les Allemands des Sudètes - à
disposer d’eux-mêmes. C’est ce que demandait Hitler. Mais, le film abonde dans
le sens d’une royauté irréprochable. God save the King !
Concernant Édouard VIII, il y a
une allusion à sa germanophilie et, après son abdication, on voit les murs de
Londres couverts d’affiches de soutien à celui qui est toujours roi pour une
grande partie de la population. Édouard VIII était en effet très populaire.
Dans cette période de chômage systémique -dont l’Angleterre ne sortira que
grâce à la course aux armements - le roi - qui n’était que Prince de Galles-
allait visiter les faubourgs ouvriers, réclamait une politique d’embauche de la
part des capitalistes, avait dit sa sympathie pour les régimes fascistes qui
faisait disparaître le chômage. Édouard VIII incarnait cette propension de
l’aristocratie britannique au fascisme. Elle fut sensible aux thèses de
Gobineau et un Chamberlain (Houston Stewart, 1855-1927) est le pont qui relie
l’Angleterre et l’Allemagne. Cette germanophilie est traitée par Ian Kershaw [3]
et, par ailleurs, disons-le puisque nous sommes dans une page cinéma, brillamment
exposée dans le film "Remains of the day" de James Ivory (1993), les VESTIGES DU JOUR" [4].
On sait que le prince de Galles / Édouard VIII tomba follement amoureux d’une
américaine deux fois divorcée. Celle-ci allait-elle devenir reine
d’Angleterre ? formidable levée de boucliers spirituels contre ce
scandale. Le premier ministre - Baldwin- met en jeu la démission de son
cabinet. Va-t-on vers des élections où les hommes du roi fascisant triompheraient ?
Rien n’était exclu. Finalement, le roi abdiqua.
Curieux phénomène dans un pays
dont la modernité fut fondée par un Tudor - Henri VIII - qui épousa six femmes
après autant de divorces ou de têtes coupées et dont l’héritage politique n’est
pas discuté. En fait cette abdication est la victoire du puritanisme le plus
éculé. Victoire aussi des forces traditionalistes et de l’ordre moral.
Pour conclure, il est vrai que ce
film est aimable à regarder en termes de divertissement même s’il est fort
dommage de nous le présenter en langue française. 118 nominations, 43
récompenses. Mais si on considère le trio Royaume-Uni - Canada - Etats-Unis on
a là une force de frappe médiatique assourdissante et même écrasante. Business
is business. Surtout derrière cette anecdote historique charmante, le film
traîne avec lui une propagande royaliste, légitimiste et traditionaliste qui
fait le bonheur de l’Occident.
Après le discours -réussi- Lionel
Logue qui appela toujours jusqu’ici son patient "Bertie" lui adresse
un hommage solennel, "très bien, …votre
Majesté". C’était attendu.
[1]
Le protocole interdit formellement de toucher la personne du roi. On sait les
charges qu’eut à subir de la part de la presse anglaise, le président Chirac
qui avait lui-même touché l’épaule de la reine Élisabeth pour guider ses pas. Cet
interdit résulte de la conservation du thème du caractère sacré de la personne du roi.
[2]
"Vous aviez le
choix entre la guerre et le déshonneur. Vous avez choisi le déshonneur, et vous
aurez la guerre, ce moment restera à jamais gravé dans vos cœurs".
[3] Dans son livre "Making friends with Hitler, Lord
Londonderry, the Nazis and the road to war", The Penguin press, New
York, 2004.
[4]
James Ivory. Film sorti en 1993, inspiré du roman éponyme de
Kazuo Ishiguro. La diplomatie française y est ridiculisée et la lucidité
américaine fort exagérée. Mais l’ensemble est de belle facture.