ADVENTURERS, CONTRACTORS, ELISABETH IERE ET G.W.BUSH

publié le 3 juil. 2011, 03:24 par Jean-Pierre Rissoan
  26/08/2010  

Dans son édition du 19 août 2010, Le Monde publie un excellent entretien entre Ph. Bolopion et Peter Galbraith, ex-numéro2 de l’O.N.U. en Afghanistan. Le thème est celui des sociétés de sécurité privées. On les appelle aussi Sociétés militaires privées (SMP). Je ne vais pas recopier le contenu de cet entretien. Je cite simplement cet extrait :

« (les forces américaines -en Afghanistan-) dépendent de ces sociétés pour assurer la sécurité de leurs bases ou acheminer leur ravitaillement. Leur présence explique que les Etats-Unis et l'OTAN puissent faire tant de choses avec seulement 140 000 hommes sur place. Durant la guerre du Vietnam, ces tâches étaient assurées par les troupes américaines, qui devaient être beaucoup plus nombreuses sur le terrain pour obtenir un impact similaire ».

Autrement dit nous avons là une forme de sous-traitance, une « délégation » du service public de défense ( ?) nationale à des sociétés privées.

1.      Quelle est l’origine de cette forme de privatisation de la force publique ?

Comme souvent, on trouve en Angleterre les racines d’un phénomène américain.

L’origine remonte sans doute au règne d’Elisabeth Ière. Les Anglais ont toujours eu des problèmes avec l’impôt. Pour leur politique extérieure, les Tudors avaient besoin d’argent et donc de prélever un nouvel impôt mais cela passait nécessairement par une autorisation du Parlement qu’il fallait donc convoquer. Cela engendrait un abaissement de l’autorité politique du souverain. Elisabeth contourne la difficulté.

« Le goût immodéré pour les relations humaines monétarisées qui se substituent aux anciennes relations féodales d’homme à homme se manifeste même dans le domaine militaire. A court d’argent, soucieuse d’éviter des levées d’impôts qui la rendrait dépendante du Parlement, Elisabeth « afferme la guerre à l’entreprise » (Chauviré). Les « aventuriers », dirions-nous aujourd’hui « capitaux-risqueurs », s’engagent à rétablir l’ordre en Irlande en finançant eux-mêmes l’expédition. Une fois vainqueurs et l’Irlandais anéanti, ces entrepreneurs de guerre se remboursent par éviction du propriétaire gaëlique, se dessinent une propriété du type landlord anglais et, généreux avec le bien des autres, en donnent autant à leurs officiers. Ce sont ces méthodes d’expropriation éhontée, employées par les Warham Saint-Leger, les Carew, les Grenville, les Gilbert, qui provoquèrent la Desmond rebellion (1579-1584). Les Anglo-saxons inventèrent ainsi la gestion privée de la mission de service public. 

Alors arrive un tueur : Sir John Perrot, nouveau lord-député. Celui-ci « prit un parti, dévasta le pays scientifiquement, brûlant les récoltes, massacrant les troupeaux, seule source de vie pour ces pâtres, organisa la faim ». La famille Fitzgerald de Desmond fut exterminée. Les deux millions d’hectares récupérés par les Anglais furent découpés en « seigneuries » pour les entrepreneurs de guerre. W. Raleigh reçut 16.000 hectares. Le poète Edmund Spenser, engagé dans l’armée anglaise, compère de Raleigh mais d’extraction fort modeste, obtint un grand domaine dans le comté de Cork. C’est un vrai élisabéthain ».

La reine arrivait ainsi à ses fins : soumettre l’Irlande, ‘implanter’ des Anglais qui la coloniseront, contrôler géostratégiquement l’île afin d’éviter les débarquements « papistes », espagnols ou français. Le tout sans avoir à débourser la moindre £…(ou très peu).

Cette méthode sera souvent reprise des deux côtés de l’Atlantique.

Mais, dira-t-on, en Irak ou en Afghanistan, aujourd’hui, il n’en va pas de même puisque ces SMP ont pour recettes les subsides versées par le gouvernement américain (essentiellement) et donc par le contribuable

2.      Les Américains en Irak.

En Irak, il ne s’agit pas de prendre de la terre aux autochtones et de la distribuer à de nouveaux pionniers/farmers anglo-saxons. En revanche, l’objectif de contrôler ce pays grand producteur de pétrole est un objectif géostratégique.

Alors comment les Américains se remboursent-ils des frais engagés pour la mobilisation de leur armée et des SMP ? La réponse est simple : l’attribution des contrats de reconstruction n’est pas soumis aux règles OMC de la concurrence « libre et non faussée » mais réservée aux pays qui participent à l’expédition militaire.

En 2003, le porte-parole de la Maison Blanche indiqua qu’il était « normal et raisonnable de s’attendre à ce que les contrats principaux aillent au peuple irakien et aux pays qui partagent avec les Etats-Unis la tâche difficile de construire un Irak libre, démocratique et prospère ». Les Soixante-trois pays de l’expédition étaient donc en lice pour décrocher ces contrats y compris « Rwanda, Palau et Tonga » dont nul n’ignore que les entreprises sont parfaitement compétitives face aux sociétés anglo-saxonnes. France et Allemagne et les autres abstentionnistes étaient exclus.

Avec cette recette inspirée de celle du pâté au cheval et à l’alouette, le cheval américain rassasié aura largement compensé ses dépenses en faveur des sociétés militaires privées qui sont par ailleurs - qui en doutaient ? - de droit américain.


Le Monde diplomatique, numéro de mai 2004, article d’Ibrahim Warde : « l’Irak, l’eldorado perdu ».

Le Monde diplomatique, autre article disponible sur le net : Sociétés militaires privées dans le chaos irakien.

[1] Ou qui provoquerait – comme la Poll tax de 1381 – la révolte des Travailleurs…

[2] R. CHAUVIRE, histoire de l'Irlande, Que sais-je ?, page 46.

[3] Il s’agit d’un extrait de mon livre en préparation sur les révolutions anglaises.

[4] Avec la dégradation des conditions de sécurité, ces groupes occidentaux – les sociétés militaires privées (SMP), ou private military companies – ont proliféré pour représenter officiellement un ensemble de plus de vingt-cinq SMP, essentiellement américaines et britanniques, répertoriées par les services du département d’Etat américain.

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