Le
nouveau coronavirus va-t-il confiner la Chine contre son gré ? À l’aune
de la pandémie, les Nouvelles Routes de la soie, grand contre-projet de
civilisation porté par le président Xi Jinping depuis 2013, ont –
temporairement au moins – du plomb dans l’aile. Censée fédérer autour de
l’idée d’un développement partagé, la Ceinture terrestre et maritime a
du mal à ignorer la nouvelle donne créée par le Covid-19 : rupture des
chaînes d’approvisionnement, restriction des voyages et contrôles
stricts aux frontières… Déjà, les retards et les dépassements des coûts
se font sentir sur les chantiers, et interrogent leur viabilité. « Les
entreprises publiques centrales ont connu des retards dans les contrats
en cours, une baisse des nouvelles commandes et des risques pour
l’approvisionnement en matières premières », explique Xia Qingfeng, chef
du service de publicité de la Commission d’État chinoise de supervision
et d’administration des actifs.
Main-d’œuvre et monnaie
Ainsi en va-t-il, en Indonésie, de la ligne ferroviaire à grande
vitesse reliant Jakarta à Bandung, bâtie par un consortium
sino-indonésien (Kereta Cepat Indonesia-China, Kcic). « La pandémie de
Covid-19 a retardé la livraison de matériel importé de Chine. Les
experts chinois ne sont pas encore revenus parce que les conditions ne
sont pas encore favorables », confirme Chandra Dwiputra,
président-directeur général de Kcic. Comme pour l’ensemble des projets
en cours sur la Route de la soie, les restrictions imposées par la Chine
ont empêché les 300 travailleurs – un cinquième de la main-d’œuvre du
projet indonésien – de reprendre les travaux, qui doivent pourtant
avancer. L’emploi d’ouvriers chinois plutôt que de travailleurs locaux
est d’ailleurs l’une des critiques formulées à l’égard des Routes de la
soie et pourrait aujourd’hui pousser Pékin dans ses contradictions.
Vishnu Bahadur Singh, de la fédération népalaise de
l’industrie hydroélectrique, admet que « beaucoup étaient des ouvriers
spécialisés, difficiles à remplacer localement ». La défiance règne
pourtant à leur égard, compliquant la reprise. « La plupart de nos
collègues chinois veulent revenir, mais les employés locaux restent
effrayés à l’idée de les côtoyer », concède un contremaître chinois à
l’AFP. Le Bangladesh, lui, n’accorde plus aucun visa aux ressortissants
chinois, mettant de fait en suspens la construction de la centrale
électrique de la Bangladesh-China Power Company à Payra (Sud), qui
emploie quelque 3 000 Chinois. Aux prémices de l’épidémie, en janvier et
février, 39 000 ressortissants de la seconde puissance mondiale ont été
envoyés à l’étranger, soit 29 000 de moins qu’en 2019 à la même
période.
Autre problème : celui de la baisse de la valeur des
monnaies. Le gouvernement sri-lankais, qui avait donné son accord à
plusieurs projets stratégiques qui permettaient à la Chine de s’insérer
dans l’environnement proche du rival indien, a mis en œuvre une
interdiction totale de l’importation de produits dits non essentiels
afin d’endiguer le glissement de la roupie et préserver ses réserves de
change. Les importations d’équipements et de machines de construction
ont en conséquence subi un coup d’arrêt. Et de toucher ici à un autre
problème soulevé par les Nouvelles Routes de la soie, celui de
l’endettement pour des projets dont l’utilité est remise en question
face aux besoins actuels des populations. Au Sri Lanka, c’est le cas du
Colombo Financial District, une presqu’île artificielle qui doit abriter
une cité financière internationale, une marina, des hôtels et enseignes
de luxe et un casino, pour un coût total de 1,27 milliard d’euros.
Formation, prévention, recherche
Face à des pays au bord de l’insolvabilité, la crise du coronavirus
pourrait ainsi relancer les interrogations autour des Routes de la soie,
conçues comme un soutien à la croissance chinoise, un débouché pour ses
entreprises et un relais hors de ses frontières.
Plutôt que d’y mettre un frein définitif, les pays tiers
devraient donc étudier avec davantage de précision la viabilité des
projets, car le développement des infrastructures pourrait jouer un rôle
de stimulus économique à l’échelle mondiale pour entamer la sortie de
crise. Les dommages ne sont donc pas irréparables. D’autant que la Chine
possède une capacité d’adaptation extrêmement rapide lorsqu’elle
identifie un problème.
Ainsi, aux critiques qui font valoir que les Routes de la
soie ont permis de faire circuler le virus, Pékin répond qu’elles sont
un projet multidimensionnel qui recèle une dimension de recherche et
d’échanges universitaires capables de relever les futurs défis. Cette
« route de la soie sanitaire » comprend, par exemple, un volet de
formation en Indonésie et au Laos, de prévention des maladies
infectieuses en Asie centrale et dans la sous-région du Mékong et,
ailleurs, de dotation en équipements médicaux. En 2017, le Forum de la
Ceinture et la Route pour la coopération internationale, et une réunion à
haut niveau à laquelle participaient trente ministres de la Santé et
dirigeants d’organisations internationales concrétisaient cette idée.
Dix-sept protocoles d’accord y ont été signés avec des pays mais aussi
des agences de l’ONU. Le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom
Ghebreyesus, assure que « si nous voulons garantir la santé de milliards
de personnes, nous devons saisir les opportunités offertes par
l’initiative la Ceinture et la Route ». La crise actuelle, qui révèle
les besoins criants d’infrastructures sanitaires dans certains pays,
offre à la Chine une possibilité en ce sens. Et un moyen de regagner une
confiance écornée.