Le 12e Congrès du Parti communiste vietnamien a réaffirmé les ambitions
maritimes du pays. La stratégie vietnamienne recoupe des enjeux certes
économiques, mais également de souveraineté. Vendredi 4 Mars 2016, l'Humanité, Lina SANKARI texte suivi par le point de vue de deux universitaires, Daniel WEISSBERG (Toulouse) et Nathalie FAU (Paris VII) NB. Concernant le vocabulaire maritime, lire : Révolution nautique du dernier quart du XX° siècle : Introduction : gigantisme maritime, conteneurisation... La zone rurale de Hiêp Phuoc est méconnaissable. Il y a quelques années encore, cette commune méridionale disposait d’à peine assez d’électricité pour faire tourner l’économie locale. Aujourd’hui, la zone rurale a laissé place au nouveau terminal de conteneurs de Hô Chi Minh-Ville, qui s’étend sur quarante hectares. Les infrastructures flambant neuves du port international illustrent les ambitions maritimes du Vietnam. Ce nouveau terminal vise en réalité à faire face à la saturation des infrastructures existantes, surtout dans la région de Hô Chi Minh-Ville qui représente 21,7 % du PIB national, et à la forte croissance des échanges maritimes (+ 19 % par an en moyenne jusqu’au ralentissement de 2009). Pourtant, en termes d’insertion dans le trafic maritime mondial, les ports vietnamiens restent loin derrière leurs homologues chinois et singapouriens. Le commerce est d’environ 4,5 millions de conteneurs pleins par an grâce à l’exportation manufacturière, mais aussi à l’importation de fournitures et de biens de consommation pour la plupart chinois. Le 12e Congrès du Parti communiste vietnamien, qui s’est achevé le 28 janvier, s’est donné pour ambition de faire contribuer l’économie maritime à hauteur de 55 % du PIB national. Situé sur l’une des voies maritimes les plus fréquentées au monde, le pays entend étendre ses activités liées à la pêche et à l’exploitation du pétrole offshore. Le Vietnam, première puissance démographique de la péninsule indochinoise, jouit d’une accessibilité maritime totale. Outre ses 3 400 kilomètres de rivages, toutes les principales villes se situent sur la côte et les fleuves, mais « l’accessibilité maritime totale du pays n’empêche pas les problèmes de logistique avec une modernisation nécessaire des réseaux routier et ferroviaire pour fluidifier les échanges internes », note Paul Tourret, directeur de l’Institut d’économie maritime. Pour réaffirmer ses ambitions maritimes en mer de l’Est, le Vietnam mise aussi sur l’aspect social et développe un modèle de pêche hauturière en groupes et en confédérations de pêcheurs par le biais de la Confédération générale du travail du Vietnam (CGTV), qui rassemble plus de 50 millions de travailleurs vietnamiens. Des filets, des assurances, des équipements de communication ont été livrés aux pêcheurs, qui profitent également de la modernisation de leurs bateaux. Un point essentiel dans la concurrence régionale. Si les rivalités régionales sont réelles, elles restent néanmoins à relativiserSi le maintien d’une indépendance, obtenue de haute lutte, passe par le renouveau économique, les ambitions maritimes du Vietnam sont également à comprendre dans le cadre des rivalités territoriales avec la Chine pour la souveraineté sur les îles Paracels et Spratleys, autrement appelées Hoang Sa et Truong Sa au Vietnam. Les ambitions vietnamiennes dans la zone se heurtent également aux revendications malaisiennes, indonésiennes et philippines. Selon les chiffres de la Banque mondiale, la mer de Chine méridionale, ou mer de l’Est pour les Vietnamiens, recèle des réserves d’au moins sept milliards de barils de pétrole et 25 billions de mètres cubes de gaz naturel, essentielles à l’expansion économique des pays riverains. Zone de pêche importante, cette étendue d’eau voit enfin passer 50 % du trafic pétrolier mondial. Mais les rivalités constantes et les démonstrations de force de part et d’autre créent malgré tout une insécurité juridique et matérielle qui entrave l’exploitation des ressources de la zone. En 2005, un accord a pourtant été conclu avec la Chine pour mener des patrouilles conjointes dans le golfe du Tonkin (Bac Bô) et une zone de pêche commune. En 2015, les deux pays ont réaffirmé leur volonté de régler les questions maritimes de manière pacifique et dans le respect du droit international, dont la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (Unclos) de 1982. Selon Paul Tourret, si les rivalités régionales sont réelles, elles restent néanmoins à relativiser. En atteste "le rapprochement entre les Philippines et le Vietnam, entamé début 2014, (qui) montre que l’Asie du Sud-Est engage des relations complexes avec la puissance chinoise. D’une manière générale, c’est l’une des caractéristiques de l’Extrême-Orient de construire des liens économiques de plus en plus denses et une prospérité commune, tout en cultivant (à l’excès ?) les tensions de voisinage". fin du texte de Lina SANKARI Vendredi 4 Mars 2016 Par Daniel Weissberg, professeur de géographie à l’université Jean-Jaurès de Toulouse Que 15 km² de terres émergées, près de 230 îles au total dispersées sur
environ 425 000 km² de mers, cristallisent depuis plusieurs décennies
les tensions régionales en mer de Chine méridionale, la mer de l’Est
pour les Vietnamiens, interroge la géopolitique. La possession des
Truong Sa et Hoang Sa, leurs noms vietnamiens, Nansha et Xi Sha en
chinois, revendiquée aussi par quatre autres États constitue un enjeu
stratégique majeur. Pour tous, des zones économiques exclusives (ZEE)
élargies en fonction du droit international, au-delà de l’exploitation
des ressources naturelles, halieutiques et offshore (pétrole et gaz
naturel sont déjà exploités par divers consortiums), permettent
d’asseoir le contrôle des grands détroits régionaux à l’heure où est
devenue effective la littoralisation des activités économiques sur toute
la façade orientale de l’Asie. Si chacun des États riverains revendique
une antériorité d’occupation, et en sus pour le Vietnam l’héritage
juridique de la souveraineté coloniale française, l’enjeu consiste aussi
pour la Chine, à travers l’occupation militaire des principaux îlots, à
affirmer sa stature de leadership régional et mondial. Le Vietnam,
puissance émergente, doit ancrer une volonté de maritimisation
réaffirmée, aussi bien pour des raisons économiques que pour des raisons
de politique intérieure. Elle se heurte de fait à la redéfinition, à
son profit, par la Chine des frontières maritimes selon une carte dont
le tracé dit en « langue de bœuf » conférerait à Pékin la souveraineté
sur les trois quarts des mers régionales. Pour le Vietnam, remettre en
cause l’imperium maritime chinois par le renforcement de sa présence
dans les archipels nécessite un appui multilatéral régional au sein de
l’Asean, déjà acquis par l’implication de la Malaisie, des Philippines,
de Brunei dans le débat. Mais cela suppose aussi un soutien
international, déjà manifesté ouvertement par les États-Unis, l’Inde,
l’Australie. Par certains aspects, le conflit des Spratleys et Paracels,
entre initiatives sur le terrain et statu quo global, illustre les
multiples aspects de la reconfiguration d’un monde multipolaire, montre
aussi les limites de l’arbitrage international. Vendredi 4 Mars 2016 Par Nathalie Fau, Maître de conférences à l’université Paris-VII Située sur la principale route conteneurisée mondiale et sur l’axe maritime asiatique Singapour-Hong Kong-Japon, le Vietnam dispose de nombreux atouts pour s’affirmer comme une nouvelle puissance portuaire. Le Seaport Master Plan (2010-2020) ambitionne d’instaurer des liaisons directes entre le Vietnam et l’Europe et les États-Unis afin de ne plus recourir au transit par des hubs régionaux et de faire émerger sur la carte maritime mondiale un hub de transbordement vietnamien. Les résultats sont optimistes. Le taux de croissance annuel de conteneurs manipulés dans ses terminaux a été en moyenne de 16,8 % entre 2000 et 2012 et devrait se poursuivre à un rythme de 8-9 % par an jusqu’en 2020. En 2014, le port d’Ho Chi Minh-Ville a dépassé les 100 millions de tonnes qu’il s’était fixées. Ces chiffres masquent cependant un manque de clairvoyance dans la planification. Le Vietnam, qui a longtemps pâti de l’absence de ports en eaux profondes pour ses exportations, souffre désormais d’une surcapacité de ses infrastructures. Les terminaux en eaux profondes de Cai Pei, construits à 80 km de la capitale, ont été surdimensionnés ; ils fonctionnent à une moyenne de 15-20 % de leur capacité et la concurrence interne est tellement vive que les prix de manutention demandés sont désormais en dessous du seuil de rentabilité. Au nord du pays, la congestion du port de Haiphong justifiait la construction d’un nouveau port. Mis en opération en 2004, le port de Cai Lan présente cependant un bilan mitigé et son taux d’utilisation ne dépasse pas les 20 %. En dépit de ces résultats médiocres, un second terminal (CICT) a été inauguré en août 2012. Enfin, l’ambition de construire un hub de transbordement au centre du Vietnam à Van Phong paraît peu réaliste : absence de marché local suffisant, forte concurrence asiatique. Actuellement, aucun investisseur n’a répondu à l’appel d’offres du gouvernement. En fait, l’avenir des ports vietnamiens dépendra surtout de leur capacité à capter les flux régionaux des pays limitrophes. |