LES DAMNES de L. VISCONTI, Nazisme, communisme, révisionnisme…

publié le 15 juin 2019, 01:52 par Jean-Pierre Rissoan
publié le 27 juin 2011 à 15:44 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 28 févr. 2018 à 11:52 ]

    Le festival de cinéma de Lyon - ville des frères Lumière, inventeurs - vient de s’ouvrir. Une version entièrement restaurée du film de Luchino Visconti, Les damnés, vient d’y être projetée en présence de Helmut Berger. J’y étais.

    Je ne m’étendrai pas sur les qualités esthétiques de ce chef-d’œuvre absolu, d’autres le font mieux que moi. Je m’attache à ce que le film garde de charge explosive.

    L’œuvre est rythmée par les étapes de la mise sous tutelle par les nazis des aciéries - industrie éminemment stratégique - du comte von Essenbeck. Il y en a trois.

    - Les aciéries sont une société par actions, elles appartiennent en majorité au comte Joachim von Essenbeck, vieil aristocrate qui a le portrait du maréchal Hindenburg sur sa commode, et qui comme lui méprise totalement Hitler -dont il ne prononce pas le nom. Compte tenu des circonstances - les nazis sont au pouvoir et organisent les élections de mars 1933 - le comte accepte de collaborer, mais ses/ces réticences ne sont pas au goût des nazis qui veulent une coordination entre le dirigeant de la firme et leur parti. Le comte est assassiné.

    - La seconde étape est marquée par la présence de Frederick Bruckmann à la tête du conseil d’administration. C’est un technocrate compétent et ambitieux, qui a tué le comte sur ordre du cousin S.S. de la famille (c’était la condition mise pour qu’il accède au sommet de la firme). Il est l’amant de la belle-fille du comte, veuve depuis 14-18 où le fils aîné a été tué. Son idéal : lui qui sent sa roture, voudrait devenir aristocrate, Sophie von Essenbeck, veuve joyeuse, obtient des nazis qu’il lui soit octroyé le nom de « von Essenbeck ». Mais le nouveau couple a ses propres projets. Et lorsque le S.S. lui demande de l’argent pour les élections, Frederik lui répond que cela ne peut pas se faire du jour au lendemain, qu’il faut falsifier les comptes de l’entreprise, etc…Bref, ce n’est pas parfait encore pour les nazis.

    - Dernière étape : les aciéries sont dirigées par Martin von Essenbeck, petit-fils du comte, orphelin de guerre, pervers polymorphe, violeur de petites-filles, et aussi, last but non least, actionnaire majoritaire (ce dont sa mère, Sophie, et son nouveau beau-père Frederick, avait voulu le dépouiller). Martin a adhéré au nazisme, il porte l’uniforme S.S. : l’acier coulera sans problème pour les besoins de guerre de la Wehrmacht.


    Le thème de la table court le long du film. Lorsque le vieux comte annonce ses décisions à la famille, on est une douzaine à table, tout est rutilant, les serviteurs sont plus nombreux que les convives, et les bougies aussi lumineuses qu’à Versailles. Le comte frappe trois fois pour obtenir le silence et parle dans un silence religieux. Avec Bruckmann von Essenbeck, les « survivants » comme dit Martin - les nazis ont déblayé le terrain - ne sont plus que cinq autour de la table trop longue. Pour prendre la parole, il frappe un puis deux coups mais n’ose frapper le troisième : il se sent fragile. Martin, lui, frappe les trois coups. Mais il est seul à table, presque dans la nuit.

    Tout cela est magistralement mis en scène.

    Le film n’a pas perdu de sa charge explosive car on est dans un débat où les révisionnistes historiques mettent un signe d’égalité entre fascisme et communisme. Ainsi, F. Furet : « Le mouvement fasciste s'est nourri de l'anticommunisme, le mouvement communiste de l'antifascisme. Mais tous les deux partagent une haine du monde bourgeois qui leur permet aussi de s'unir »…. Je me demande bien où Furet à vu une union, fût-elle électorale, entre communistes et fascistes. Calomnie délibérée. Passons. Le film montre bien le respect des nazis pour la propriété privée. Lorsque Sophie envisage de déposséder son propre fils, c’est le cousin S.S. qui doit lui rappeler que Martin reste l’actionnaire majoritaire. A aucun moment, il n’est question d’étatiser les aciéries alors qu’il s’agit d’un moyen de production essentiel pour l’industrie de guerre des hitlériens.

    Il est vrai que les hitlériens eux-mêmes avec leur audace diabolique n’ont pas hésité à déclamer suivant en cela leur führer : "Le rôle de la bourgeoisie est terminé à tout jamais, mes chers camarades... Quant aux rejetons dégénérés de la vieille aristocratie, ils n'ont plus qu'à mourir en beauté". Le film semble aller dans ce sens. Le comte Joachim est éliminé par un lâche assassinat, la famille Essenbeck est décimée. Mais, in fine, c’est bel et bien Martin, héritier légitime par droit de succession, droit antérieur à l’arrivée des nazis au pouvoir, c’est Martin qui reste aux commandes avec l’uniforme de la S.S.. Le « socialisme » des nazis n’a rien à voir avec l’autogestion salariée ou la gestion collective par les producteurs, les autorités locales et les consommateurs. Les nazis prennent la place des bourgeois, c’est un capitalisme de substitution.

Les Krupp

  

 Au demeurant, et revenons ici à l’Histoire avec un grand H, après les procès de Nuremberg, les propriétaires des grands Konzerns sont déclarés coupables, emprisonnés, doivent restituer leurs biens - ce qui veut dire que les nazis ne les avaient pas accaparés - et l’I.G. Farben est éclatée en trois entreprises distinctes : BASF, Bayer et Hoechst.

    La fortune des Krupp remonte au fondateur, Alfred. Son fils Friedrich-Alfried meurt en 1902 laissant une jeune-fille qui devient dès lors « le plus beau parti d’Europe »… Elle s’éprend d’un aristocrate et diplomate, Gustav von Bohlen und Halbach qui, dès leur mariage est initié à la marche du groupe industriel. C’est Guillaume II qui autorise Gustav à mettre « Krupp » devant son propre nom. (ci-contre photo de Gustav sur la couverture du Goncourt 2017, à lire ABSOLUMENT).
Le Kaiser était très lié à la famille Krupp. Dans la Villa Hügel (construite en 1872), demeure de la famille à Essen, il avait ses propres appartements dont une salle de bain avec eau chaude et chauffage central, considérée comme le ‘top’ du luxe quant elle fut aménagée.

    En 1907 naît Alfried Krupp von Bohlen und Halbach.

    Alfried Krupp von Bohlen und Halbach hérite - les nazis, contrairement à ce que dit Furet, n’ont donc pas supprimé la « propriété bourgeoise des moyens de production » - il hérite en 1943 de la « forge des armes du Reich », il devient directeur général du groupe. Il a déjà travaillé à la direction et il est depuis cinq ans (1938, donc, JPR) membre du parti nazi. Alfried Krupp von Bohlen und Halbach exploite des milliers de travailleurs forcés - comme toutes les grandes entreprises allemandes - (et, ici, la lecture du Goncourt est très féconde !) -. Le 11 avril 1945, il est arrêté, incarcéré, assigné à résidence puis à nouveau incarcéré et soumis à un interrogatoire serré à Nuremberg lors du procès dit « Procès de criminels de guerre devant le tribunal militaire de Nuremberg ». Son procès débute le 17 novembre 1947. Il est accusé de « pillage systématique des biens étrangers, de traitement inhumain envers des civils et des prisonniers ». Tout son patrimoine, y compris ses usines, est mis sous séquestre. Il est condamné à douze ans de prison.

    La Guerre Froide qui mobilise les Américains, le fait sortir rapidement de prison. Comme d’autres criminels de guerre (Allemands ou Japonais) au demeurant: ils peuvent être utiles pour lutter contre l’U.R.S.S..

    Outre le matraquage abêtissant, en rabaissant -tout verbalement- les bourgeois, Hitler et ses comparses pensaient-ils, sans doute, à la bourgeoisie allemande « civilisée » - je renvoie à mon article sur les Identitaires d’aujourd’hui qui reprennent la distinction entre civilisation et culture Les Identitaires, « Nouvelle » extrême-droite ? 3ème partie. Et ils se proclamaient « barbares » ce qui a un sens au second degré - l’Allemagne réformée, celle de Fichte, la « Prusse de Potsdam », se situe sur le territoire qui était au-delà du limes romain - mais eux utilisent aussi le mot au premier degré, ce qui ne fait plus rire personne.

Hitler, le rapace

    « Chez cet homme petit et brun à la moustache trop célèbre, avec ses bottes de cuir qui transforment son pantalon en culottes de cheval, son baudrier qui croise sa chemise brune, on croit voir un ascète psychorigide, un fanatique tout absorbé par ses pensées maniaques de grandeur pour le Reich et pour les beaux hommes blonds aux yeux bleus. Rien de plus faux.

    A. Hitler a d'abord retiré énormément d'argent de son best-seller, Mein Kampf, qui, en vingt ans se vendra, de gré ou de force, à des millions d'exemplaires, lui rapportant des droits d'auteur estimés à quelques 8 millions de reichsmarks-or, soit des dizaines de millions d'euros. La richesse désormais assurée, le parti nazi se développant, les cotisations affluant, de même que les dons des grands industriels qui paient pour assurer l'ordre, le futur dictateur puise dans les caisses du parti et vit largement. Devenu chancelier en 1933, il a bientôt accès, sans limites, aux caisses de l’État, ce qui n'interdit pas les petites combines qui rapportent gros. Hitler touchera ainsi personnellement des droits d'image... sur chaque timbre-poste à son effigie, soit quelque 50 millions de reichsmarks. Il n'y a pas de petits profits. On comprend que Hitler ait protégé jalousement la neutralité des coffres-forts suisses.

    C'est alors qu'Hitler eut le meilleur moyen pour combattre le "fiscalisme" détesté : lorsque, encore naïve, l'administration des finances lui demanda de payer ses impôts, il se fit rayer des rôles, comme un indigent. Il ne paiera pas un pfennig sur ses droits d'auteur ou sur les millions volés dans les pays vaincus et dans les familles juives pillées (…). 

    Aujourd'hui, dans une cave de Berlin, placées sous l'autorité du gouvernement de la nouvelle Allemagne, dorment encore de nombreuses œuvres d'art volées, dont les propriétaires ou leurs héritiers n'ont pas été retrouvés. Demeurent également disputés les droits d'auteur de Mein Kampf, dont, régulièrement, certains ayants droit du Führer demandent, sans succès, le versement. La passion de l'héritage est la chose au monde la mieux partagée ».

    Au fond, et bien contrairement à ce qu’ose écrire F. Furet, Hitler a un comportement très bourgeois, non pas en termes de goût pour le patrimoine culturel - laissons lui le qualificatif de barbare - mais en termes d’avidité pour le patrimoine financier.

[1] Lettre de F. Furet à Ernst Nolte datée du 3 avril 1996.

[2] Qui était impliqué dans le processus de fabrication et commercialisation du gaz Zyklon B utilisé dans les chambres à gaz.

[3] On pourra lire dans l’Encyclopaedia Universalis, à l’entrée ‘Konzern’, la place laissée aux Konzerns capitalistes par les nazis : la première. Ils durent en répondre à Nuremberg (voir aussi le procès Flick -acier, automobiles Daimler-Benz- membre du parti nazi).

[4] Ne pas confondre le grand procès de Nuremberg tenu devant le tribunal international inter-allié et ces procès qui sont tenus devant un tribunal américain mais également à Nuremberg.

[5] Pour eux, c’est la vraie, pas celle qui est née à Weimar…

[6] Extraits de « Traditionalisme et Révolution », chapitre XXII : ‘le veau d’or’.

[7] Tout ce qui suit doit beaucoup au Monde, n° du 20 août 2003, article de G. Marion qui tire lui-même ses informations du film d'Ingo Heim, "l'Argent d'Hitler", diffusé par la chaîne TV allemande ARD.


Commentaires