"Les camisards" de René Allio.

publié le 10 mai 2012, 08:54 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 15 oct. 2019, 07:12 ]

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    Le scénario de ce film n’embrasse pas la totalité de la lutte des protestants des Cévennes, ni même l’ensemble de la « guerre des camisards », en fait, la trame est donnée par l’engagement de Gédéon Laporte en l’an 1702 qui n’aura duré qu’à peine un an puisqu’il meurt lors d’une confrontation avec les soldats de Louis XIV, le 23 octobre de cette même année. À cette date, l’Édit de Nantes est révoqué depuis 17 ans (1685), une nouvelle génération arrivait à l’âge des responsabilités.

    Gédéon Laporte, trafiquant de cochons et forgeron ou marchand de fer (sic[1]), est un chef de guerre dans l’âme (excellente interprétation de Jacques Debary), il prend le commandement d’une troupe levée par Abraham Mazel (Gérard Desarthes, terrifiant dans son rôle de prophète de Dieu). Cette troupe est constituée de paysans et artisans de quelques villages. Des contacts seront pris ultérieurement avec Jean Cavalier -autre personnage historique- d’ Anduze. Ce n’est que progressivement que toutes les Cévennes vont s’embraser. Film à petit budget, financé pour partie par les auteurs, techniciens et artistes du film, Les Camisards ne pouvaient être une œuvre à la Bondartchouk… Mais on y croit. On adhère. Les prises ont été effectuées dans les maisons, villages, ruelles où les drames ont eu lieu, les figurants sont des Cévenols qui, paraît-il, prirent très à cœur leur participation et, si l’on en croit Rufus -qui présente le film sur un Thema d’ ARTE- « on pouvait penser que la guerre avait eu lieu lors de la génération précédente » tant les souvenirs étaient immédiats dans le cœur de ces Cévenols qui vivent pourtant trois siècles après les évènements. Les acteurs, quant à eux, étaient encore totalement imprégnés par l’esprit de mai 68 et ce film sur une guerre d’émancipation, sur une guerre pour la liberté religieuse, de conscience, politique ne pouvait que les motiver. Je pense aussi à la scène bucolique où les camisards insurgés prennent un temps de repos, se baignent entièrement nus dans un cours d’eau, s’aiment, bref, ont libre disposition de leur corps. Je ne saurais dire si cette liberté de disposer de soi est soixante-huitarde ou camisarde.

    Le film évoque aussi la guerre du Viêt-Nam dont il est contemporain (sortie en 1972). Je m’explique. Les officiers français qui lutteront pour l’ OAS en Algérie avaient étudié les méthodes de guerre des Viêt-Cong durant la Guerre d’Indochine. Ce n’était pas une guerre entre deux armées régulières mais entre l’armée française et des partisans, paysans paisibles courbés dans leur rizière le jour, guerriers inflexibles la nuit. Mao Tse Toung avait dit aussi que le révolutionnaire doit être comme un « poisson dans l’eau parmi la population ». Bref, les militaires français appelèrent cela « la guerre révolutionnaire ». On trouve tout cela chez les Camisards et dans le film. Jacques Combassous -survivant qui écrivit des mémoires que Rufus[2] nous lit en voix off- rapporte que les habitants des villages fournissaient aux camisards le gîte et le couvert, prévenus ils pouvaient même « préparer une soupe chaude ». Philippe Joutard, spécialiste des Cévennes, de leur géographie et de leur histoire, peut écrire lien Cévennes : LE DÉSERT ET LE REFUGE que « Le paisible moissonneur d'un jour devenait, le lendemain, un terrible combattant qui faisait s'enfuir le dragon au seul son du «psaume des Batailles», tandis que le berger inoffensif, du haut des serres [3], était son meilleur agent de renseignements ». Ainsi le film nous montre ces paysans assister sans sourciller et même avec zèle à la messe du curé catholique avant et après avoir réussi un joli coup de main contre les soldats du roi. Dans cette guerre populaire, les filles s’impliquent comme leur compagnon. Naissent les femmes-soldats. Une scène très émouvante, pleine de tact, est celle où l’on voit le père Bancilhon - un acteur non professionnel d’une vérité bouleversante - laisser partir sa fille qui entre en résistance.


    Ce fut une guerre de religions. Abraham Mazel est un prophète, il est désigné ainsi par Gédéon Laporte. Il parle souvent en citant l’Écriture. Il prend de véritables crises nerveuses, hystériques, durant lesquelles il se roule par terre, ses yeux s’égarent, ses mains arrachent l’herbe, etc… après quoi Gédéon s’écrie : « l’Esprit vient de parler »…Ils forment le régiment des enfants de Dieu. Bousculant un peu la chronologie, Allio filme une scène où s’expriment les « fous de Dieu ».

En octobre 1701, Abraham Mazel est « visité » de « l'esprit de prophétie », qui lui donne l'ordre de « chasser les bœufs noirs (qui mangeaient les choux) du jardin », les « bœufs noirs » étant les prêtres de l’Église catholique. Le foyer de départ de l'insurrection a lieu le 22 juillet 1702, à Vieljouves, un hameau situé au-dessus du village du Rouve, au pied de la montagne du Bougès. Ce soir-là, invité par Salomon et David Couderc, deux habitants du Rouve, un groupe se réunit autour d'Abraham Mazel, qui reçoit une nouvelle « inspiration divine » lui enjoignant de délivrer les huguenots faits prisonniers et soumis à la question par l'abbé du Chayla au Pont de Montvert.[4] .

    C’est la scène du 22 juillet. Les paroles de Mazel sont prophétiques, ses paroles ne sont pas siennes mais divines. Cela déclenche des cris, des soupirs, des semi-évanouissements et ceux qui en sont pris lancent « Babylone ! Ninive ! ». Dans la bouche des Réformés, Babylone est la « grande prostituée » et l’Église romaine est la nouvelle Babylone. Aussi bien, les camisards partent au combat en chantant, ils chantent des psaumes comme les Têtes rondes de Cromwell, un demi-siècle avant eux. "Nous courions lorsque nous entendions le chant des psaumes, nous courions comme si nous avions des ailes. Nous ressentions, à l'intime de nous, une ardeur exaltante, un désir qui nous soulevait" Des mots ne peuvent traduire nos sentiments. (…). Le camisard poursuit : "C'est quelque chose qu'il faut avoir ressenti pour le comprendre. Aussi harassés que nous pouvions être, nous ne pensions plus à notre fatigue et nous devenions enthousiastes dès que le chant des psaumes arrivait à nos oreilles"[5]. Ce sont des adeptes de l’Ancien testament -cf. le prénom Abraham, les psaumes- et lors d’un combat on entend « œil pour œil, dent pour dent ». Cette conduite n’est pas celle du Jésus de l’Évangile qui condamne cette morale de vengeance, loi du talion, et demande au contraire « de tendre la joue gauche » (selon Matthieu, 5- 38/41). …. Mais les protestants préfèrent l’Ancien testament dans lequel avec l’épopée d’Israël, ils vivent leur propre espérance.

    Sans lui donner apparemment une force particulière, Allio évoque une autre cause de la guerre des paysans cévenols : il s’agit d’une lutte antifiscaliste, contre la dîme, impôt versé à l’Église, et la perception ne se fait pas en douceur mais avec le concours de la force armée.  

    Le combat fut inégal. Les camisards manquèrent de cadres. Le baron de Vergnas a adopté la RPR, religion prétendue réformée. Mais il s’est converti après les Dragonnades et est devenu NC soit Nouveau Converti. Il continue cependant de lire la Bible en cachette, seul, chez lui. Il va même rejoindre les camisards pour partager le pain et le vin. Mais, on le retrouve chez l’establishment catholique quelque temps plus tard et sa fille épousera le jeune lieutenant du roi, François de la Fage. De même, la trahison guette chaque jour et une réunion de nuit, au désert, a été dénoncée. Le paysan coupable est exécuté par les camisards.

    Cette lutte a laissé malgré tout des traces indélébiles. La visite du Musée du Désert est indispensable et montre l’extraordinaire ingéniosité des combattants pour tromper l’ennemi. Astuces, feintes et manœuvres qui seront reprises en 1940-44 par d’autres résistants.

    Je termine sur une note musicale. Philippe Arthuys, compositeur, a su trouver un thème musical qui ne nous quitte pas. Comme le leitmotiv wagnérien, le thème est repris à chaque fois qu’apparaît une scène qui met en jeu les camisards. Thème guilleret, gracieux, rythmé, dont la flûte donne les notes dominantes comme pour marquer le rôle de l’esprit dans cette lutte sans merci.

  



[1] Extrait de sa biographie du site camisards.net (cf. infra)

[2] Rufus interprète également le personnage de Combassous dans le film.

[3] Nom donné aux montagnes cévenoles ravinées par les pluies torrentielles d’automne et qui, entre deux rivières qui descendent vers la Méditerranée, ne sont plus que des sommets effilées parallèles aux cours d’eau et qui dominent les deux vallées qui limitent chacun d’elles. On sait par les westerns que les Indiens d’Amérique utilisaient la même technique des signaux pour, de sommet en sommet, annoncer l’arrivée de l’ennemi et préparer l’embuscade. 

[4] Source : encyclopédie Wikipaedia, article Abraham Mazel.

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