Nicolas
Sarkozy s’est encore fait remarqué en parlant de nos ancêtres les Gaulois. Tous
les Français un peu instruits savent que la population d’aujourd’hui ne descend
pas en ligne directe de nos célèbres moustachus. Le journal l’Humanité a donné
la parole à des spécialistes qui devaient répondre à la question "L’usage de l’expression « nos ancêtres
les Gaulois » est-il dangereux ?" J’ai choisi de
sélectionner ce texte de J.-P. Demoule qui est un protohistorien, c’est-à-dire
un spécialiste de l’histoire des peuples sans écritures qui vécurent en même
temps que d’autres qui avaient adopté une langue écrite ; Exemple type :
les Gaulois contemporains des Romains. Nous connaissons leur histoire grâce aux
écrits latins de leurs conquérants venus d’au-delà des Alpes. Demoule nous dit
avec sobriété : "L'histoire du peuplement
de l'actuel territoire français n'est, banalement, qu'une suite ininterrompue
de mélanges et de métissages". Les Identitaires doivent être accablés.
D’autant plus que nous avons un vieux fonds africain…
La France
a été un melting-pot bien avant que
ce mot soit inventé. Inutile de chercher une quelconque pureté ethnique.
Fichte, prussien, honteux des défaites que lui fit subir un Corse de surcroît
adepte de la Révolution, cherche des racines lointaines et est tout fier de
dire que son peuple est barbare, c’est-à-dire maintenu au-delà du limes romain, sans mélange donc pur. Au
contraire, dit-il, les Francs d’origine germanique, installés de l’autre côté
du mur, sont un peuple métissé, condamné au déclin. On sait où a pu mener un
tel discours.
Demoule
conclut en disant que, ce qui fonde une nation, c’est la volonté du vivre
ensemble. Formule qu’a popularisée Ernest Renan après la défaite de 1870-71,
pour protester contre l’annexion de l’Alsace-Moselle au prétexte de la loi du
sang –dogme allemand- alors que nos compatriotes étaient Français par leur
désir de le rester. C’est pourquoi on peut dire que la France d’aujourd’hui est
née le 14 juillet 1790, jour anniversaire de ce que vous savez, où se
rassemblèrent toutes les délégations des chacun des départements en gestation,
Français qui jurèrent fidélité à la Nation. Il est clair que ce sont les
valeurs de 1789 et 1793 qui cimentèrent les "peuples désunis" que la
Royauté d’Ancien Régime a été incapable de rassembler.
J.-P.
R.
La volonté de vivre ensemble fonde une nation
par Jean-Paul DEMOULE,
Ancien président de l'institut-universitaire
de France, professeur émérite de protohistoire européenne à l'université de
Paris-1.
http://www.jeanpauldemoule.com/blog/
Évoquer
"nos ancêtres les Gaulois" peut faire sourire : les- Gaulois, ce sont
les gauloiseries, Astérix, ou encore les manuels scolaires d'antan, à l'époque
des blouses et des encriers[1]. Mais quand ils sont
évoqués par un homme politique à propos d'identité nationale, il n'y a plus de
quoi rire. Quitte à alimenter sa stratégie de communication, quelques évidences
doivent être rappelées. Se revendiquer d' " ancêtres gaulois" est
absurde sous deux angles au moins : les Français et la France. L'histoire du peuplement
de l'actuel territoire français n'est, banalement, qu'une suite ininterrompue
de mélanges et de métissages. Arrivent, il y a au moins un million d'années,
les premiers humains répertoriés, des Homo erectus venus d'Afrique. Lesquels
évoluent sur place en hommes de Neandertal, il y a 300.000 ans, que supplantent
en se mélangeant les Homo sapiens, vous et moi, venus eux aussi d'Afrique, il y
a 40.000 ans (nous avons tous en nous 4 % en moyenne de gènes néandertaliens).
Il a 8.000 ans, des pionniers venus en masse du Proche-Orient apportent l'agriculture
et l'élevage. Puis, on arrive aux Gaulois, dans le dernier millénaire avant
notre ère, le nom que leurs donnent les Romains, tandis que les Grecs - qui ont
fondé à Marseille en -600 avant J.-C., la première ville digne de ce nom - les
appellent "Celtes".
Pour
les Romains, la Gaule n'est qu'une entité géographique divisée en une
soixantaine de petits États, répartis en trois grandes zones culturelles du
nord ou sud, qui diffèrent totalement, disent-ils, tant dans leurs langues que
dans leurs mœurs et institutions. Les Gaulois seront "romanisés",
perdant langues, religions et cultures d'autant que l'Empire romain proclame,
en l'an 380, le christianisme comme seule religion autorisée.
Au
V° siècle de notre ère, arrivent des populations germaniques - Wisigoths,
Burgondes, Francs, entre autres. Les derniers laisseront leur nom au pays et à
la langue locale, pourtant descendante du latin, en même temps qu'ils
s'immergent et disparaissent culturellement. Puis, viendront les Bretons,
Vikings, Arabes. Et, un peu plus tard, les juifs expulsés d'Espagne en 1492,
puis les morisques (musulmans christianisés), expulsés de même, les premiers
Tziganes, mais aussi les suites des reines de France, toutes étrangères, les
mercenaires des armées royales, composées pour un quart d'étrangers, et on
arrive aux migrations de la révolution industrielle.
Mais
qu'en est-il de la France elle-même ? L'empire de Clovis ne comprend à sa mort
qu'une partie de notre actuel territoire, mais englobe la Belgique et le sud-ouest
de l'Allemagne. Au XVl° siècle, il manque encore toute la partie orientale -
Alsace, Lorraine, Savoie, comté de Nice, Corse -, sans compter les futurs
territoires d'outre-mer. En même temps, l'agrandissement continu du domaine royal
se fait aux dépens de populations linguistiquement et culturellement bien
différentes : Bretons, Flamands, Basques, Occitans (eux-mêmes subdivisibles),
Alsaciens, Corses, etc.
A
partir de quand peut-on donc parler de "la France" ? Si l'école républicaine la fit commencer aux
Gaulois, c'est par opposition à la monarchie et à l'aristocratie qui se réclamaient
des Francs, et parce que la III° République fut fondée grâce à une défaite,
Sedan, qui redoublait ainsi celle d'Alésia. La droite catholique préférait
comme début, le baptême de Clovis, roi franc ; événement tout aussi
absurde puisque, on l'a dit, le christianisme est alors depuis plus d'un siècle
la seule religion permise, tandis que les rites païens continueront longtemps
encore, comme le montre l'archéologie.
La
nation comme communauté de citoyens n'a que deux siècles d'existence à peine ;
c'est la volonté de vivre ensemble qui fonde une nation, pas des romans
historiques confus, contradictoires, voire manipulés.
Publié
dans l’Humanité, n° du 28 septembre 2016
[1] Comme
celui écrit par BONIFACIO & MARECHAL, publié par les classiques HACHETTE,
classe de fin d’études, 1957. Que je garde religieusement. (JPR)