3. Formation territoriale de la France (3ème partie). Louis XIV et Vauban.

publié le 4 juil. 2013, 02:51 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 28 mars 2021, 09:40 ]

 LOUIS XIV ET VAUBAN


Plan:

A. Vauban et le patrimoine mondial de l'humanité

    1. Le personnage

    2. Le patrimoine mondial de l'UNESCO

B. "la plus belle frontière..."

    1. au Nord, la Flandre et les Pays-Bas  2. L' Ardenne et ses "trouées". 3.De la Moselle à l'Alsace

    4. L'Alsace 5. La frontière du Jura 6.Les Alpes 7. La frontière des Pyrénées catalanes.

    *

    Puis ce sont les guerres de Louis XIV[1]. Louis XIV première manière. Je dis "première manière" parce qu’il y a deux parties dans le long règne de Louis XIV. Au début -c’est-à-dire après la mort de Mazarin- il poursuit la lutte des deux grands ministres et guerroie contre l’Espagne y compris avec l’aide de princes protestants allemands. Après le milieu des années 1680’, la menace des Habsbourg a disparu, la France a remporté le défi. Louis XIV devient ultramontain, il a dressé les puissances calvinistes contre lui (Provinces-Unies et Royaume-Uni) avec la révocation de l’Édit de Nantes, c’est une autre période qui commence dont le prolongement est appelé parfois "seconde guerre de cent ans" (parce qu'elle dure jusqu'en ...1815). La France n’est plus en danger, son expansion se heurte aux ambitions maritimes des pays de la Mer du Nord. Le sens des guerres change.

    Au demeurant, seules les deux premières guerres -qui s’inscrivent dans la logique de celles de Richelieu et de Mazarin- apportent des bienfaits aux frontières de la France. Les deux dernières sont plutôt calamiteuses. Mais Vauban poursuit son travail de fortification, c’est la célèbre "ceinture de fer", jusqu’à sa mort. Ensuite, hélas, la guerre continue…



Les débuts

Guerre de Dévolution

Guerre de Hollande

"Réunions"

Ligue d’Augsbourg

Succession d’Esp.

 

1667-1668

1672-1678

Vauban

1688-1697

1702-1713

-1661 : continuité territoriale de Verdun à Metz et à la frontière*.

-1662 : Dunkerque.

-Marsal 1663

-Travaux à Brest 1665

 

Paix d’Aix-la-Chapelle.

- 12 places flamandes dont Lille et Douai.

Paix de Nimègue.

-Franche-Comté ; -parties de la Flandre : Maubeuge, St-Omer, Ypres, Cambrai et du Hainaut : Valenciennes.

-Givet/Meuse.

-Montbéliard

-Villes de la Sarre, Deux-Ponts

-Luxembourg.

-Strasbourg 1681

Trêve de Ratisbonne (1684)

-Charolais

-Dévastation du Palatinat.

Paix de Ryswick.

-"Réunions" annulées sauf Strasbourg confirmée

Traité d’Utrecht.

- Toutes les conquêtes du règne confirmées.

- Barcelonnette.

* confirmée à Nimègue.

 

    Le tableau précédent résume l’essentiel de l’œuvre de Louis XIV. Il est à compléter par la lecture des cartes 3 et 4 de la II° partie.

    À ce niveau, il convient de s’arrêter sur le rôle de Vauban.

 

A. Vauban, et le patrimoine mondial de l’UNESCO

 

1. Le personnage

  

Vauban a été "le meilleur ingénieur de (son) temps". Très jeune -il n’avait pas trente ans- il se vit confier ses premières fortifications et ses premiers sièges. Puis, son envergure se déployant sans cesse, il est investi -par Louvois et Louis XIV- "du soin de penser la défense du royaume dans son intégralité"[2]. Cela après la Paix de Nimègue (voir tableau) où les acquisitions territoriales de la France qui s’accumulent depuis Westphalie, par leur diversité, posent problème. La carte des voyages de Vauban, de 1678 à 1688, ne laisse pas d’impressionner. Carte n°1. (où l'on voit les frontières les plus "préoccupantes"). 
    Il a parcouru des dizaines de milliers de kilomètres. Plus de 5000 une seule année ! Et à l’époque pas d’avion privé pour les grands commis de l’État ! Mme de Sévigné a su écrire les conditions abracadabrantesques de transport des voyageurs. Vauban était sans doute mieux loti mais tout s’effectuait à cheval, en coche et en diligence aux amortisseurs douteux. Le macadam n’existait pas, l’école des Ponts & Chaussées n’était pas encore créée, etc... Beaucoup de rivières se franchissent à gué ou ne se franchissent pas lors des hautes-eaux et pire encore lors des crues. Il faut presque une semaine, dans les meilleures conditions, pour se rendre de Paris à Marseille. La France était alors un pays immense[3]. Et pourtant, pas une seule frontière, maritime ou terrestre, n’échappe au contrôle et aux aménagements du Commissaire général des fortifications, titre qu’il acquiert en 1678. Vauban a quarante-cinq ans. Ce qui frappe, c’est l’ampleur de son esprit : il a fait entrer dans sa tête tout l’hexagone, il en a une vision globale. Des millions de ses compatriotes connaissaient tout juste la foire annuelle du bourg voisin de leur village.

 

 





Il y aurait beaucoup à dire sur le personnage de Vauban. Bourguignon généreux -il partageait ses primes avec ses collaborateurs mal payés- il osa demander l’annulation de la révocation de l’édit de Nantes et le retour des protestants dont il savait l’entregent et le sens des affaires, il osa démontrer l’inefficacité économique et l’injustice des impôts royaux dans son livre "La dîme royale". Un grand monsieur que les révolutionnaires de 1792 saluèrent en baptisant Fort-Vauban la citadelle de Fort-Louis. La patrie était en danger, on faisait appel aux grands ancêtres.










2. Le patrimoine mondial

    Je ne résiste pas au plaisir de publier la carte des "sites majeurs" du réseau Vauban [4]. Carte n° 2.


Cette carte confirme la carte des voyages du Commissaire général aux fortifications. C’est lui qui a forgé l’hexagone. Créé en novembre 2005, le Réseau des sites majeurs de Vauban est une association loi-1901 qui fédère les 12 sites fortifiés par Vauban inscrits sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO[5]. Sur ce point, visite obligatoire du site : http://www.linternaute.com/sortir/sorties/architecture/citadelle-vauban/diaporama/17.shtml

- la citadelle pentagonale d'Arras (Pas-de-Calais),

- la citadelle, l'enceinte urbaine et le fort Griffon de Besançon (Doubs),

- les forts de Blaye/Cussac-Fort-Médoc (Gironde),

- l'enceinte urbaine, les forts et le pont d'Asfeld à Briançon (Hautes-Alpes),

- la Tour dorée de Camaret-sur-Mer (Finistère),

- la ville neuve de Longwy (Meurthe-et-Moselle),

- le fort de Mont-Dauphin (Hautes-Alpes),

- la citadelle de Mont-Louis (Pyrénées-Orientales),

- la place forte de Neuf-Brisach (Haut-Rhin),

- les tours côtières de Tatihou/Saint-Vaast-la-Hougue (Manche),

- l'enceinte et les forts de Villefranche-de-Conflent (Pyrénées-Orientales).

- la citadelle de Saint-Martin-de-Ré (Charente-Maritime)

Pour l’immédiat, je laisse de côté les ouvrages construits sur la côte atlantique

Nous allons prendre les frontières une à une et tâcher nous aussi de nous approprier le territoire de la France[6].


 B. "La plus belle frontière…"

 

1. Au nord : la Flandre et les Pays-Bas

    Chronologiquement, Vauban a dû commercer ses travaux dans le nord de la France. Ici, se trouve la terminaison occidentale de la grande plaine germano-polonaise avec la plaine de Flandre maritime de sable et d’argile. Tout le monde francophone connaît le « plat pays » de Jacques Brel. C’est ici, surtout, la "frontière artificielle et dangereuse de la France" (Braudel). Comment arrêtez les envahisseurs ? Le plateau crayeux de Brabant est moins inondable mais pas plus infranchissable pour autant. La topographie se présente de la manière suivante : des collines de l’Artois -orientées NO/SE- descendent des rivières orthogonales, orientées SO/NE et grossièrement parallèles : la Lys, l’Escaut, la Sambre. Plus à l’Est, limite de notre région, la Meuse. Ce sont ces rivières dont l’envahisseur remonte le cours. Ailleurs, chaque site est utilisé dès qu’il permet une protection. C’est le cas de Lille dont le nom vient de L’Isle ou L’île formée par un méandre de la Deûle. C’est plus à l’ouest de ce site de départ cependant que Vauban construit sa fameuse citadelle, la "reine des citadelles" dit-on[7], également grâce à un méandre de la Deûle (affluent de la Lys) qui était ici un marais mal drainé. 

    La Flandre ? Dès le XVI° siècle, un Guichardin pouvait dire que cette région était comme "une ville continue"[8]. Les cités très proches l’un de l’autre s’étaient déjà entourées de murailles dès le Moyen-âge. Aux XVI° et XVII° siècles, les Espagnols ont apporté les modifications qu’ils jugeaient nécessaires. Vauban doit tout reprendre. Avant lui, disons avant la paix de Nimègue, l’imbrication des frontières était telle que justement on ne pouvait pas parler de frontières. Des villes françaises étaient exclavées en Pays-Bas espagnols, des villes espagnoles étaient des enclaves au sein du royaume de France[9]. "La conception de la frontière-ligne ne se dégageait pas encore" (cité par Braudel).

    

C’est pourquoi Vauban va plaider pour des annexions décisives : "trouvez bon que je vous dise librement mes sentiments", "sérieusement, Monseigneur, le roi devrait un peu songer à faire son pré carré. Cette confusion de places amies et ennemies pêle-mêlées (sic) ne me plait point. (…). C’est pourquoi, soit par traité, soit par une bonne guerre, prêchez toujours la quadrature, non pas du cercle, mais du pré"[10]. Les trouées des hautes vallées de la Lys, de l’Escaut et de la Sambre forment autant de tentacules vers le royaume[11]. Il faut les réduire. Ainsi sont fortifiées par Vauban : sur la Lys, Menin et Aire, sur l’Escaut : Tournai, Condé, Valenciennes, Bouchain et Cambrai ; sur la Sambre, Maubeuge et le Quesnoy. Le système s’appuie aussi sur des places fortes de la Meuse.

    Bref, Vauban et Louis XIV adoptent le parti d’une double ligne de places fortes. Carte n°3. Lignes perpendiculaires au tracé des cours d’eau. Donc pas de fortification linéaire continue "comme le limes romain ou la grande muraille de Chine" (Braudel) mais un semis de points d’arrêt organisé en deux lignes.


 2. L’ Ardenne et ses "trouées" : Meuse et Moselle

  

 Carte n°4.(supprimée, faute de place) Le lecteur a noté que les frontières de la France progressent vers le nord et vers l’est. Par là-même, des sites qui étaient aux avant-postes deviennent des sites de front puis des sites d’arrière-garde. C’est le cas de Metz. Certaines places fortes deviennent inutiles et sont rasées. "Vauban obtiendra que soit détruite la place de Stenay qui a eu autrefois un rôle majeur mais que l’avance de la frontière a rendue obsolète" (Anne Blanchard).

    Sur la Meuse, Verdun "remarquablement améliorée" devient une place de seconde ligne. Vers l’aval, sont les places de Sedan, Mézières et Givet. Sur la Moselle, Metz passe également en seconde ligne, protégée à l’aval de la rivière par Thionville. Entre les deux rivières majeures, sont les Ardennes considérées, on l’a vu, comme difficilement franchissables. A toutes fins utiles, Vauban obtient de faire construire sur la rivière Chiers, affluent mosan de direction Est-ouest, les deux forteresses de Montmédy et, surtout de Longwy. Cette dernière, créée ex-nihilo par Vauban, "surveille à la fois le débouché des Ardennes, Luxembourg et la trouée de la Moselle".


3. De la Moselle à l’Alsace

Carte n°5.  cette carte montre que le relief n'est en rien un obstacle. La Sarre sépare le plateau lorrain à l'ouest et les Basses Vosges à l'est, visibles sur la carte précédente.

Nous sommes ici en pleine Lorraine où les possessions entre princes français, francophones, germaniques, germanophones, sont plus que partout ailleurs "pêle-mêlées" comme dirait Vauban. C’est l’imbroglio total, mot qui a donné le français "embrouille". D’ailleurs, Louis XIV va effectivement chercher des embrouilles à ses voisins germaniques en faisant travailler des juristes sur les héritages lointains qui découlent de ses récentes conquêtes territoriales (depuis Aix-la-Chapelle et Nimègue). Toute terre qui, à un moment ou à un autre de son histoire, a dépendu des conquêtes louis-quatorziennes, sera réputée française et donc réunie à la France. D’autorité. Que cela plaise ou non. Malgré cela, on est ici en pleine zone d’ exclaves et d’enclaves. Cela rejouera sous la Révolution française avec l’affaire des "princes possessionnés" allemands en France. Comme cela a déjà joué, lors de la Réforme, avec l’introduction du protestantisme par des princes germaniques au cœur de la Lorraine catholique.



     Nous avons vu que Verdun et Metz étaient passées en places fortes de second rang du fait des gains territoriaux. L’Alsace passe à la France. En 1661, Louis XIV supprime toute solution de continuité entre Verdun et l’Alsace par la réunion d’une bande de terres Ouest-Est grosso modo et cela jusqu’au Col de Saverne. Carte n°6


NB. Cela isole, au sud de cette ligne, le Duché de Lorraine qui n’est toujours pas français mais qui, du fait de cette position, est tenu à une neutralité de facto sinon de jure. Autre conséquence : le col de Saverne devient un passage éminemment stratégique. Vauban construit une ville nouvelle à un endroit qu’il avait repéré comme verrouillant à la fois la route de Saverne et la vallée de la Sarre : Phalsbourg. Verdun-Metz-Phalsbourg forment une ligne de second rang en continuité territoriale. Et en première ligne ? On a Longwy et Thionville mais rien vers l’est, vers l’Alsace. "Louvois estime qu’il manque une place forte pour couvrir l’espace découvert entre la Moselle et les Petites Vosges" (A. Blanchard). Ce sera Sarrelouis, dénomination qui dit sa ville nouvelle.  

    Car, écrit Vauban, "c’est une nécessité de continuer notre première ligne de places qui est demeurée à Thionville et de lui faire prendre le chemin du Rhin par la Sarre".

    Un peu plus à l’est encore, "surveillant la forêt de la Warndt et les confins palatins", s’élève Bitche[12]. La petite ville est "réunie" à la France en 1683. Vauban la fortifie. Louis XIV y fait s’installer des "Français" comprendre des francophones car nous sommes ici en pays de langue germanique. La ville-forteresse sera rendue par le roi de France, en 1697, à Ryswick[13] mais redeviendra française sous Louis XV. Aléas trop connus dans cette partie du territoire national et qui sont loin d’être terminés à cette date.

 

4. L’ Alsace

    L’ Alsace était terre d’Empire. Son histoire est celle du Saint-Empire romain germanique au moins jusqu’en 1648. L’enchevêtrement entre les terres alsaciennes et celles qui appartiennent à des princes allemands est inextricable. Je me permets de renvoyer le lecteur à la carte publiée dans mon article "Vote FN, vote ouvrier, la religion, l’Alsace… (3ème partie)".

    L’ Alsace est comme un rectangle long, posé nord-sud. On a vu que la route de Saverne la branchait aux Trois-évêchés, vers l’Ouest. Son côté Nord participe de la frontière "artificielle et dangereuse". La plaine d’Alsace est, en effet, la terminaison méridionale du "grand fossé rhénan", rien ne s’oppose à ce niveau à une armée d’agression.


    Son côté Est est constitué par le Rhin, frontière naturelle, "encore sauvage, divaguant en bras multiples qui enserrent d’innombrables îles plus ou moins mouvantes" (A. Blanchard) voir le site de Fort-Louis : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fort-Louis . Au Sud, l’ennemi peut venir de Bâle, c’est-à-dire du Rhin supérieur, ou du Pays de Bade et, de là, s’engouffrer dans la vallée du Doubs. Entre le Rhin qui file vers le nord après son coude bien connu et le Doubs -qui lui-même ouvre sur la Saône vers l’ouest- il y a un seuil appelé localement "trouée de Belfort" que les géographes appellent de façon explicite "Porte de Bourgogne" (cf. carte 4).

    Vauban doit travailler dans ces trois directions.

  

 Là encore, il fonde sa stratégie sur la base des première et deuxième lignes. Au nord, c’est la ville de Landau qui est chargée de barrer la route. Cette ville sera française de 1648 à 1815. Elle constitue une première ligne avec Bitche, à l’ouest. Du côté du Rhin, la grande affaire est la "réunion" de Strasbourg à la France. Cela se passe en 1681, en pleine paix, et cela "ne s’habille d’aucun oripeau juridique" (P. Goubert). Vauban fortifie la ville et s’empare d’une tête de pont sur la rive droite (orientale) du fleuve mais la paix de Ryswick cantonne la France "à la gauche du Rhin" et cette tête de pont disparaît. C’est Ryswick, également, qui fait perdre Brisach -rive droite du Rhin- auparavant française. Vauban construit alors Neuf-Brisach, en rive gauche. Une de ses plus belles réalisations. 

    Au sud, la route est barrée par la forteresse de Huningue[14]. Landau, Strasbourg, Neuf-Brisach, Huningue forment l’essentiel de la première ligne de défense de l’Alsace.

    En seconde ligne, on a Phalsbourg, Sélestat, Colmar et, surtout, au sud, Belfort.

    Il est à remarquer que ces places fortes, avec quelques aménagements, joueront leur rôle bien après la disparition de Vauban. Lors des guerres napoléoniennes, et même en 1870-1871.

    L’Alsace fut terre d’Empire, du côté allemand de la frontière linguistique qui distingue la langue française et pourtant, elle est bel et bien française, nous aurons l’occasion d’y revenir. Une des raisons -majeure- est la suivante : en 1648, l’Allemagne a subi la Guerre de Trente ans, tout simplement un désastre. Une catastrophe humanitaire et démographique. Ce n’est pas fini. Son calvaire reprend avec la guerre de la ligue d’Augsbourg durant laquelle Louvois ordonne le saccage du Palatinat, politique terroriste qui restera gravée dans les mémoires allemandes. Il faudra plus d’un siècle à l’Allemagne pour se remettre. En comparaison, le royaume de France est un havre de paix ! Les Alsaciens et Strasbourgeois vont prospérer en échangeant avec le royaume si vaste et si peuplé[15]. Les mille liens du tissu économique permettent d’autres liens entre les hommes. En 1789, l’Alsace n’a pas un siècle et demi de "francité", elle ne songe nullement à revenir dans l’Empire.

 

5. La frontière du Jura

   carte n°7 ci-dessus.  Ici aussi nous avons une frontière "naturelle". "L’acquisition de la Franche-Comté simplifie beaucoup la situation" écrit A. Blanchard. On sait que la faiblesse défensive des plis du Jura sont les cluses perpendiculaires à ces plis et éternelles voies de passage. A cet égard, deux cluses appartiennent à ce que l’on pourrait appeler la première ligne : la cluse de Nantua et celle de Pontarlier. Nantua permet la liaison Bourg-en-Bresse/Genève et Savoie. Vauban ré-aménage le fort de l’Ecluse un peu à l’amont de la confluence Rhône-Valserine. Il protège le pont de Seyssel[16]. Le fort de Joux tient la cluse de Pontarlier. Belfort, plus au Nord, appartient aussi au système de défense de l’Est de la France. Derrière elle, se trouve Montbéliard, qui fait partie du Saint-Empire Romain Germanique depuis 1042 (et jusqu’en 1793). Montbéliard appartient à la famille des ducs de Wurtemberg. C’est gênant…Mais les Français y prennent leurs aises (destruction de la forteresse lors de l’occupation de 1676 à 1698).

    En seconde ligne, on a Salins mais surtout Besançon que l’on peut définir comme une citadelle augmentée de forts détachés. Comme le fort Griffon de l’autre côté du Doubs. Auxonne, ancienne place espagnole, devient arsenal.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:0_Besan%C3%A7on_-_Citadelle_%281%29.jpg

 

6. La frontière des Alpes

    Pendant longtemps, la frontière naturelle des Alpes n’exista pas pour le Royaume. Elle était tenue par le duc de Savoie, prince d’Empire, ennemi de la France. La carte de 15592. Formation territoriale de la France (2ème partie). De François Ier à Mazarin. le montre très bien. Les choses évoluèrent avec le déplacement du centre de gravité géographique de la Maison de Savoie qui devient propriétaire du Piémont. Sa capitale passa de Chambéry à Turin, géopolitique significative.

    A l’époque de Vauban, lors de la Guerre de la Ligue d’Augsbourg, les armées de Louis XIV occupèrent la Savoie. Le duc Victor-Amédée constituait donc ses armées du côté italien. La France eut à subir une attaque de sa part dans les Alpes. Les États européens étaient presque tous coalisés contre Louis XIV et les champs de bataille étaient éparpillés un peu partout. Victor-Amédée fut chargé par ses alliés d’attaquer la France par le Piémont italien afin d’obliger Louis XIV à partager ses forces. Stratégie bien connue de tous les militaires. Il fit cela lors de la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1692) mais également lors de la Guerre de succession d’Espagne en 1707. À cette date, Vauban est mort.

    L’itinéraire suivi par les troupes de "Monsieur de Savoie" permet de pénétrer dans le secret militaire des Alpes.


En 1692 : l’invasion du Dauphiné

    La Savoie étant occupée par les armées françaises, le duc attaque le Dauphiné. Cette province comprend le département actuel des Hautes-Alpes. Nous sommes en juillet, les armées ducales franchissent au terme de la montée du val Pellice (ou Pèlis), en Piémont, des cols très élevés (+2500m) à Malaure et La Croix qui donnent sur la vallée du Guil, autrement dit le Queyras. Là, Victor-Amédée pensait trouver des Huguenots qui allaient l’accueillir bras ouverts. Il n’en fut rien. A Guillestre, ces régiments retrouvent un autre corps d’armée qui était passé par le col de Larche, après l’ascension, côté italien, de la vallée de la Stura di Demonte. Après le col, on "tombe" dans le bassin-versant de l’Ubaye. Mais, au lieu de descendre les rives de ce cours d’eau[17], les armées ducales marchent au nord par le col de Vars qui fait basculer sur Guillestre. L’Embrunois et le Gapençais sont ravagés. Elles poursuivent, au Nord, par les cols de Manse et de la Croix-Haute et débaroulent sur le Champsaur -bassin du Drac- et la Matheysine (La Mure). Grenoble est menacé. Par le sud ! [18]


En 1707 : le siège de Toulon

   Le siège de Toulon, pendant la Guerre d’Espagne, s’inscrivit dans une opération d’envergure continentale. Toulon, c’est "le centre unique de la force maritime française en Méditerranée " (Braudel). Les deux grandes puissances maritimes ex-rivales, aujourd’hui alliées, à savoir l’Angleterre et la Hollande attaqueront la flotte française par voie de mer et bloqueront la ville. C’est Victor-Amédée qui doit attaquer par voie de terre, côté non défendu comme souvent, trop souvent. Le duc peut attaquer la France par quatre voies à partir de son piedmont : la route du Petit-St-Bernard qui conduit à la Tarentaise, celle qui conduit au Montgenèvre à partir de Suse ou de Pignerol, celle qui part de Coni (Cuneo), remonte le val di Demonte et débouche sur le col de Larche et donc dans l’Ubaye, enfin celle du col de Tende qui part également de Coni et débouche sur un petit fleuve qui donne accès à ce qui sera plus tard, la côte d’Azur et Nice. Le commandement en chef de l’armée des Alpes s’était installé à Briançon, comme de juste, avec le gros des troupes françaises et attendait de voir.

    Victor-Amédée choisit le col de Tende et se pose à Nice début juillet. Là, il discute le bout de gras, à savoir le prix de sa participation à la guerre. Face aux calvinistes Anglais et Hollandais, on suppute une négociation dure. Tergiversations qui auront permis aux armées françaises de rejoindre Toulon à temps et même de construire - au pied du Mt Faron, au nord de la ville - un camp fortifié et équipé d’artillerie lourde qui barrera la route aux Savoyards. Pour accéder aux arrières du port de Toulon, ces derniers sont passés par Grasse, ont suivi la dépression périphérique qui borde le nord de l’Estérel puis le val d’Argens - autre dépression qui borde les Maures - puis bifurqué vers le sud entre Toulon et Hyères. Ils se heurtent aux rudesses du climat provençal : c’est la canicule, l’eau manque, on boit n’importe quoi. Le gibier est rare.

    Les salves d’artillerie des navires anglo-hollandais permettent aux gens du duc et du Prince Eugène de plier bagages. Ils s’en retournent par le même chemin qu’à l’aller. Même chemin, même terre-brûlée…


La riposte

    L’alerte a été, ici aussi torride. Comme le climat. Vauban tire les conclusions de l’invasion de 1692. Briançon, véritablement névralgique est encore renforcée mais une ceinture de forts complète le dispositif. Pour la vallée du Guil, Vauban renforce le rôle de Château-Querellas et, surtout, crée la ville nouvelle de Mont-Dauphin (confluence du Guil, de la Durance et d’une troisième rivière qui descend du col de Vars). Quant à Grenoble, Vauban en renforce les forts périphériques et réaménage le fort Barrault (nord du Grésivaudan) qui est en France alors que Montmélian est en Savoie ennemie[19]

    Après la mort de Vauban en 1707, la Guerre d’Espagne bat son plein. L’attaque par les Alpes est d’actualité, on vient de le voir. La défense est assurée par le duc de Berwick, Jacques Fitz-James, maréchal de France (1670-1734). Le croquis n°8 ci-dessus -que j'ai complété-montre comment il conçoit sa stratégie. Les postes d’agression sont comme un arc et sa ligne de défense en est comme la "corde". Centré avec le gros de ses troupes à Briançon, il peut au plus vite passer le Galibier et se retrouver en Maurienne, soit - si l’ennemi attaque par le col de Larche - franchir le col de Vars et se retrouver en Ubaye et pour défendre une attaque sur le littoral, passer La Cayolle et descendre le Var. C’est ce qui avait déjà permis aux Français d’arriver aux arrières de Toulon avant Victor-Amédée et le prince Eugène.

    Le traité d’Utrecht (1713) clôt la Guerre d’Espagne, la France annexe Barcelonnette. L’ennemi n’a plus intérêt à ménager cette vallée et s’il descend l’ Ubaye, la situation de Mont-Dauphin devient sans effet. Ville-nouvelle, ville morte. Vauban ne pouvait pas savoir.

 

7. La frontière des Pyrénées catalanes.

    Il aura fallu que des Espagnols attaquent la France par l’Espagne et non par la Flandre pour que Versailles prenne conscience du danger ! Simplifions au maximum. Par où peut-on entrer en France catalane à partir de l’Espagne ? carte n°9.


    

Il y a le sentier qui longe la Côte Vermeille. Trop périlleux. A toutes fins utiles cependant on renforce Collioure et, plus tard, Port-Vendres.

    Il y a le Perthus, bien connu aujourd’hui, qui débouche sur la vallée du Tech au Boulou.

    Le col d’Arès est une troisième voie. Il donne sur le Vallespir, nom donné à la haute vallée du Tech. Mais on peut passer à l’ouest du Canigou et descendre une rivière qui conflue avec le Têt - d’où le nom de "Conflent" donné au "pays". Villefranche-de-Conflent est une ville médiévale autorisée en 1091.

    Enfin un quatrième accès est possible via les sources du Sègre, rivière qui appartient au bassin-versant de l’Ebre, tournée plein sud donc. Une soulane[20]. Le "pays" s’appelle Cerdagne. Le col de la Perche donne accès au Conflent et, à l’aval, au Roussillon. Mais, il y a mieux : à quelques kilomètres après La Perche, en filant au nord, on trouve la source de l’Aude, vallée étroite qui s’épanouit au Capcir. En bas, c’est Carcassonne et le seuil du Lauragais.

L’œuvre de Vauban.

    En seconde ligne, on renforce les places de Perpignan et surtout de Villefranche-de-Conflent*, toutes deux sur le Têt. En première ligne, on a le fort de Bellegarde à côté du Perthus et, haute montagne, la citadelle de Prats-de-Mollo -qui barre la route du col d’Arès- et, surtout, la ville nouvelle de Mont-Louis, véritable "nid d’aigle" qui bloque toutes les voies qui arrivent de La Perche ou qui partent vers le Capcir ou le Conflent.

 * curieusement, Villefranche-de-Conflent n'est pas mentionnée sur la carte. Elle est à l'amont de Prades, sur le Têt..

A suivre : 4.Formation territoriale de la France (4ème partie). La France en 1789



[1] Pour ceux qui peuvent se le procurer, je conseille la lecture de la carte page 116 de l’inimitable Grosser atlas zur weltgeschichte édité par Westermann.

[2] Anne Blanchard, Vauban, Fayard éditeur, 1996.

[3] Sur tout cela, lire les bonnes pages de F. BRAUDEL dans L’identité de la France, Espace et histoire, III. La distance : une mesure qui varie.

[4] Lire l’article de Wikipaedia "Réseau des sites majeurs de Vauban".

[5] Ce réseau a bien sûr un site officiel : http://www.sites-vauban.org/Objets-et-missions. Concernant la décision de l’UNESCO, lire l’article du journal Le Monde du 7 juillet 2008.

[6] Tout ce qui suit doit beaucoup à Anne Blanchard, historienne qui s’est spécialisée dans l’histoire militaire. On se déplace dans le sens des aiguilles d’une montre.

[7] Le mot est de Vauban. Lire à l’article Wikipaedia « citadelle de Lille » les raisons de son non classement au patrimoine de l’UNESCO.

[8] Cité par Anne Blanchard. Cela est dû à une industrialisation textile précoce rendue possible par une révolution agricole (fourragère d’où laitages et viande pour les masses ouvrières) également précoce (XIII° siècle).

[9] Comme écrit F. Braudel, "exclaves et enclaves sont en fait la même chose si vous changez de côté".

[10] Cité par Anne Blanchard, "lettres à Louvois".

[11] Les érudits rajouteraient la Scarpe, affluent de l’Escaut, avec la forteresse de Douai.

[12] Aujourd’hui dans l’arrondissement de Sarreguemines (Moselle).

[13] C’est pour cela qu’elle figure comme « place perdue » sur la carte n°7.

[14] Ville alsacienne considérée aujourd’hui comme faisant partie de la banlieue de Bâle. Cela donne une idée de sa situation.

[15] Cf. le livre de P. Goubert : "Louis XIV et vingt millions de Français". Pour le Saint Empire, P. Chaunu avance les chiffres de vingt millions tombés à cinq à l’issue du désastre des guerres du XVII° siècle.

[16] Seyssel est une ville à cheval sur le Rhône qui est alors frontière avec la Savoie. Il y a, aujourd’hui, Seyssel-Ain et Seyssel-Savoie.

[17] La vallée de l’ Ubaye est appelée vallée de Barcelonnette. Cf. infra.

[18] Pour connaître la suite, lire l’article détaillé de Wikipaedia « l’invasion du Dauphiné en 1692 ».

[19] La citadelle de Montmélian sera ultérieurement détruite par les Français.

[20] Soulane est l’équivalent pyrénéen d’adret. Pour l’ubac on dit "ombrée". En Cerdagne, a été installé le four solaire d’ Odeillo et équipée la station de Font-Romeu.        



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