13/10/2010 Pour la lecture de ce qui suit, je conseille vivement d’avoir sous les yeux une carte de l’Alsace. On peut en trouver une très facilement sur le site « trésor des régions », carte administrative où sont représentés les sous-préfectures et les cantons. L’objet de cet article est de mettre en avant le rôle du facteur religieux dans le comportement électoral des Alsaciens. Pour ce faire, j’ai utilisé le livre de Strohl « Le protestantisme en Alsace » qui est très documenté et qui fait encore autorité. Certes, il a été publié en 1950 mais cela n’a aucune incidence sur la géographie du protestantisme au XVI° siècle…De plus, on peut prendre connaissance du site Musée virtuel du protestantisme français qui est un condensé -très condensé- du livre de Strohl. J’ai procédé de la manière suivante : je recopie les phrases de Strohl (en bleu dans le texte) et je signale - en noir- le score obtenu par l’extrême-droite lors de la présidentielle de 2002. Le plus souvent, j’ai précisé le canton auquel appartient la commune, cela permet de vérifier si la commune a le même « tempérament politique » comme dit Siegfried que son environnement immédiat. Cela n’est pas sans danger car cela risque d’induire l’idée d’une causalité directe entre une implantation religieuse qui a eu lieu il y a quatre siècles et un vote lors d’une élection présidentielle au début du XXI° siècle. Il n’y a pas de mécanismes automatiques dans les comportements humains. Le Musée virtuel du protestantisme nous indique cependant « La géographie de l'installation du protestantisme en Alsace explique la dispersion des lieux de mémoire. En effet, l'enchevêtrement des territoires restés catholiques et ceux qui virent au protestantisme a entraîné une grande complexité de la carte confessionnelle : en grande partie figée dès le XVIe siècle, ses grandes lignes sont encore présentes, malgré les nombreux bouleversements politiques ». Une carte du protestantisme confrontée à celle de l’extrême-droite montre des corrélations évidentes. Cela est surtout vrai pour la Basse Alsace qui est, pour l’essentiel, le Bas-Rhin d’aujourd’hui.Strohl passe en revue les différentes autorités politiques qui ont opté pour la Réforme appliquant à leurs sujets le principe cujus regio ejus religio (en gros = tel prince, telle religion). N.B. Pour le Bas-Rhin, la moyenne départementale de l’extrême-droite est de 27,3% des suffrages exprimés (1er tour 2002). -Territoires protestants relevant du comté de Hanau-Lichtenberg Le territoire du comté de Hanau-Lichtenberg apporta en 1545 au protestantisme le concours d’une solide race paysanne (sic). L’initiative de la Réforme partit du comte dont l’ancêtre avait reçu en partage les baillages de Bouxwiller (capitale) (32,9%), Pfaffenhoffen (32,2%), Westhoffen (34,5% - canton de Wasselonne 29%), Hatten (35,8% -canton de Soultz-Sous-Forêts 30,8%). La Réforme fut étendue sans difficultés aux baillages qui avaient été donné en héritage à une autre branche de la famille et qui revenaient dans l’escarcelle des Hanau-Lichtenberg, car leurs habitants connaissaient et appréciaient les usages de leurs voisins. Il s’agit des baillages de Ingwiller (30% - canton de Bouxwiller 31,2%), Woerth (canton : 35,3%), Wolfisheim (27,2% - canton de Mundolsheim 25,5%), Offendorf (34,1% - canton de Bischwiller 33,5%), et de Brumath (canton : 28,5%). En 1612, une école latine fut ouverte à Bouxwiller, transformée en 1658 en un gymnase sur le modèle de celui de Strasbourg et appelé à être pendant des siècles une pépinière de pasteurs. Cela cité pour dire le rôle de diffusion de la doctrine à partir d’un centre émetteur. Des villages non touchés initialement par la Réforme ont pu le devenir par la suite. -Relevant de l'électeur comte – palatin L’électorat-comté du Palatinat avait pour capitale Heidelberg mais il était possessionné dans l’Alsace et la Moselle actuelles notamment grâce au duché des Deux-Ponts. En 1558, fut publiée pour ce duché une ordonnance ecclésiastique d’inspiration luthérienne. Le premier territoire dont la réforme fut favorisée par la maison palatine est Bischwiller (31,3%). La seigneurie de Cleebourg, fief de la maison ducale de Deux-Ponts, comprenait les villages de Cleebourg (30,4%), Rott (33,1), Steinseltz (28,4), Oberhoffen (28,3), Hunspach (22,6%), Hoffen (33,7%) et Ingolsheim (30,8%). Cleebourg, Rott, Steinseltz et Oberhoffen sont quatre communes du canton de Wissembourg (26,6%) ; Hunspach, Hoffen et Ingolsheim appartiennent au canton de Soultz-Sous-Forêts (30,8%). La Petite Pierre (canton à 32,6%) est la plus importante possession de la maison palatine en Alsace. Elle comprenait environ de vingt-cinq villages. On a là encore un exemple de « réforme religieuse par le haut, c’est-à-dire imposée par le prince. Ce même prince « réforme » Phalsbourg (canton limitrophe mosellan à 32,8%). La seigneurie de La Roche est achetée par le prince luthérien du Palatinat. Elle comprenait, en plus de la petite ville de Rothau (33,7), les villages ou hameaux de Wildersbach (31,3%) et Neuwiller-la-Roche (15,4%), et dans une autre vallée, ceux de Fouday (31,7%), Solbach (27,7%), Waldersbach (37,9%), Belmont (23,5%) et Bellefosse (23,5%), tous alors encore catholiques. Toutes communes du canton de Schirmeck (29,7%). Il y a là création volontaire d'une industrie minière et métallurgique. Sur un fond de vote massif pour l’extrême-droite, on relèvera la disparité relative des pourcentages, preuve encore une fois de l’absence de relation mécanique. -Relevant d'autres seigneuries Plusieurs seigneurs de moindre importance se décidèrent à appliquer les principes de la Réforme dans leur domaine surtout après que la « paix de religion » leur a accordé le « jus reformandi » (c’est-à-dire le droit d’appliquer le principe cujus regio ejus religio). Les seigneurs de Fleckenstein introduisent la Réforme en 1543. La seigneurie comprend les bailliages de Fleckenstein, Soultz-Sous-Forêts (25,9%), Kutzenhausen (26,7% - canton de Soultz-Sous-Forêts 30,8%) et de Rödern (31% - canton de Ribeauvillé 29,7%), Roppenheim (33,1% - canton de Bischwiller 33,5%), Weiterswiller (28,7% - canton de La Petite Pierre 32,5%). La seigneurie d'Oberbronn comprenait les bailliages d'Oberbronn (37,2%), Gumbrechtshoffen (36,2%), Mertzwiller (43,3%), Rothbach (40,3%), Uhrwiller (41,4%), Zinswiller (41,9%) et Mietesheim (39,2%), toutes communes du canton de Niederbronn-les-Bains (37%.). Ainsi que les baillages de Sparsbach (37,5%) et Zittersheim (26,6%) du canton de La Petite Pierre (32,5%) ; Weinbourg (34,4%) et Schillersdorf (26,8%) du canton de Bouxwiller (31,2%) ; Eckwersheim (25,8%) du canton de Brumath (28,5%). En 1566, une ordonnance ecclésiastique fut promulguée accompagnée de sévères mesures policières, destinées surtout à assurer la fréquentation régulière des cultes. Les seigneurs de Schoeneck (30,6%, canton de Stiring-Wendel -33,4%- en Moselle) installent un pasteur à Langensoulzbach (37,1%) dont ils administraient le haut du village en qualité de vassaux des ducs de Deux-Ponts. Ils purent avoir un pasteur attitré à Froeschwiller (36,8% - canton de Woerth 35,2%). En 1555, la seigneurie de Diemeringen (29,8%) et, en 1565, la baronnie de Fénétrange (38,16%, Moselle) passèrent au protestantisme. En sus de son texte, Strohl publie une carte intitulée « Aperçu des principaux territoires d’Alsace en 1648 ». Il s’agit bien entendu des territoires protestants. On peut y lire les territoires des petites seigneuries suivantes, passées au protestantisme : Roeschwoog (32,98%) et Sessenheim (36,85%) toutes deux du canton de Bischwiller à 33,5%. Plobsheim (27,46% -canton de Geispolsheim à 27,3%) ; Gertsheim (27,9%), Sundhouse (27%), Muttersholtz (27,1%), Benfeld (27,3% - canton du même nom à 31,2%). -Le comté de Nassau- Sarrewerden ou les Sept villages français. L’histoire du protestantisme dans le comté de Sarrewerden (commune de Sarrewerden -41,5%- située dans le canton de Sarre-Union à 35,7%) est un exemple de l’esprit d’initiative des paysans et de leur endurante fidélité à leurs convictions. En effet, après la « paix de religion » les paysans introduisirent la Réforme de leur propre chef. (…) Le comte désirait aussi faire la connaissance de ses nouveaux sujets, des réfugiés français qui s’étaient installés dans des villages abandonnés. C’étaient Altwiller (34,3%) et Diedendorf (29%), (les deux dans le canton de Sarre Union) ; Eywiller (48,6%), Goerlingen (38,6%), Kirrberg (40,2%), Rauwiller (47,6%), Burbach (39,5%), tous du canton de Drulingen (33,3%), appelés aujourd’hui encore « les sept villages français ». Les comtes de Nassau–Weilbourg -nouveaux propriétaires du comté- nommèrent "inspecteur" de leur Eglise luthérienne le pasteur de Bockenheim (ou Bouguenon, aujourd'hui commune de Sarre-Union 36,4%). Ils promulguèrent, en 1576, une ordonnance selon laquelle la discipline ecclésiastique devait être pratiquée avec sérieux. Si les exhortations des pasteurs et des anciens, nommés jusqu’aujourd’hui « censeurs », étaient restées sans effet, les indisciplinés devaient être censurés devant l’autel en présence de toute la communauté En 1617, l’ordonnance fut élargie et complétée par des mesures policières. Tous les cas d’immoralité étaient sévèrement punis. L’assistance aux prêches était rendue obligatoire. Ceux qui allaient au cabaret au sortir de l’église étaient menacés d’emprisonnement. (Ambiance ‘ruban blanc’, JPR). Dépendance des comtes de Sarrewerden, la seigneurie de Harskirchen (38,9%) est située dans ce qui est aujourd’hui le canton de Sarre-Union. -Les territoires des villes libres devenues protestantes. La Réforme fut particulièrement dynamique dans les villes où la bourgeoisie s’activait et regardait d’un œil avide les biens du clergé dont le Grand Réformateur avait autorisé la sécularisation. Dans la ville libre de Haguenau ce furent des bourgeois qui firent preuve de la même ténacité que les paysans de Nassau-Sarrewerden. Strohl nous laisse avec Haguenau en 1648 où le protestantisme a largement reflué. Il ne mentionne pas le « réveil » du XIX° où un temple est inauguré en 1860. Après l’annexion allemande, Haguenau bénéficie d’une promotion dans la hiérarchie administrative. Canton de Haguenau : 30,2%. Les villes libres sont des micro-Etats indépendants immédiats d’Empire, c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’échelon hiérarchique entre eux et l’Empereur. Les villes libres sont des seigneurs collectifs qui peuvent posséder des fiefs loin de leurs murailles et de leur plat pays. Ces fiefs basculent dans la réforme si leur seigneur-ville l’exige. Parmi ces territoires de ville libre devenue protestante, on trouve Dossenheim (27,3%) canton de Bouxwiller, Dettwiller (29,6%) canton de Saverne à 26,7%, Wasselonne (31,04%) éponyme du canton à 29%, Barr (29,3%) éponyme du canton à 28,1%. Le cas de Dettwiller est intéressant : c’est une commune protestante à l’intérieur d’un canton qui fut longtemps le fief de l’évêque de Strasbourg qui y résidait et qui conserva ses terres dans la mouvance catholique. Aujourd’hui, le canton vote pour l’extrême-droite dans une proportion moindre que Dettwiller (ville de Saverne à 22%). J’ai balayé de manière quasi exhaustive la géographie du protestantisme dressée par Strohl pour la Basse-Alsace. J’évoquerai rapidement le cas de Strasbourg en conclusion. A suivre.IV. Vote FN, vote ouvrier, la religion, l’Alsace… (4ème partie)
[1] http://tresordesregions.mgm.fr [2] Comme l’ont fait tous les politologues, j’ai ajouté les voix FN et MNR. |