Dans de nombreux articles, je
vous renvoie à la lecture de
la carte du chanoine Boulard. Conscient qu’elle n’est pas si facile à
trouver
et mieux armé depuis que mon épouse maîtrise l’outil informatique, je
publie
aujourd’hui cette fameuse carte.
Dans son
livre[1],
François Goguel, l’un des pères de la science politique française avec
A.
Siegfried- accompagne cette carte du commentaire suivant
(extraits) : "La carte de la pratique
religieuse dans la France rurale, dressée par le chanoine Boulard permet
de
faire des rapprochements intéressants. On retrouve en effet sur la carte
religieuse les bastions de l'Ouest, de l'Est, du Massif Central et de
l'Ouest
des Pyrénées qui caractérisent les cartes politiques. Mais cette
analogie est
loin d'être une identité : depuis le début du siècle jusqu'à la fin de
la
Quatrième République, les positions occupées par la droite dans la
France de
l'Ouest et dans la France de l'Est ont été constamment plus étendues que
les
zones religieusement fidèles. Il leur est même arrivé en 1946 de se
rejoindre à
travers bon nombre de départements indifférents.
Dans la
moitié méridionale de la France, au contraire, les positions du
catholicisme
sont nettement plus étendues que celles de la droite. (Hautes-Pyrénées,
par
ex. JPR)
En 1946, les zones
déchristianisées décelées par le chanoine
Boulard n'ont pas la même attitude politique : celle de
Champagne-Brie-Bourgogne (Aube, Seine-et-Marne, Yonne) vote non
au référendum[2], celle de la Marche et du Limousin (Creuse,
Haute-Vienne,
Corrèze) vote oui. Le même contraste
- moins net parce qu'il ne s'agit plus d'une alternative - se retrouve
dans les
cartes des élections de 1951 et de 1956".
Et F. Goguel
conclut prudemment, beaucoup trop prudemment à mon sens : "Il n'est donc pas possible de considérer que la
géographie
de la pratique religieuse donne toujours et partout la clé de celle des
opinions politiques. L'une et l'autre ont sans doute des points communs,
mais
presque autant de points de divergence".
Cette
carte fait autorité chez
les historiens et les politologues. Ils s’en servent pour montrer le
rôle de ce
que ces derniers appellent une variable politique majeure : la religion.
Le vote Giscard en
1981.
Je publie
la carte des résultats
du vote Giscard en 1981. Elle prend pour subdivision la plus basse le
département alors que Boulard a utilisé le
canton ce qui est évidemment bien plus fin. Nonobstant la causalité
explose
aux yeux du lecteur :
Les
évidences : l’Ouest
armoricain, à l’exception des Côtes-du-Nord- vote Giscard au bureau
électoral
après être passé par l’église"Les régions cléricales de l'Ouest", hier et aujourd'hui (atlas). Il en va de même pour l’Alsace et la
Lorraine.
Les quatre départements du sud du Massif Central ainsi que la
Haute-Savoie et
les Pyrénées atlantiques votent infailliblement à droite. Les Alpes
maritimes
votent à droite mais la montagne religieuse pèse certainement moins
lourd que
la Côte d’Azur où le rôle du patrimoine et de la catégorie
socio-professionnelle
-autres variables majeures selon les politologues- joue davantage. Une
carte
par canton aurait montré que la Flandre française -religieuse comme sa
jumelle
belge - est fidèle à la droite la Flandre, traditionalisme et vote LePen (circonscriptions de Bergues et
d’Hazebrouck). De
même, le Pays de Caux (Seine-Maritime) vote à droite (circonscription
d’Yvetot).
Les différences : On peut dire
la même chose pour Paris
que pour les Alpes maritimes, Paris qui vote Giscard sur la base
patrimoniale
et non religieuse. La Meurthe&Moselle a voté à gauche en 1981 -alors
qu’elle est "terre chrétienne"- grâce à l’influence communiste dans
la sidérurgie. Le Var -terre de gauche, voir les travaux d’Agulhon- est
passé à
droite avec le recul de la paysannerie socialiste, des ouvriers
communistes
(bauxite, aluminium, chantiers navals…) et grâce aux retraités parisiens
(lato sensu) qui viennent passer leur
troisième et quatrième âges dans le département qui ne manque pas
d’attraits
comme chacun sait. Le changement du site de la préfecture (de Draguignan
à
Toulon) a matérialisé ce passage du centre de gravité varois de
l’intérieur au
littoral. Les Yvelines, l’Eure-et-Loir et le Loiret ont voté Giscard sur
une
base socio-professionnelle et patrimoniale : les électeurs sont des
"Parisiens"
vivant dans cette grande banlieue rurbanisée.
Globalement, néanmoins, la
ressemblance entre la carte de
Boulard et celle du vote Giscard est évidente.
Le vote Marchais en
1981
Cette
carte apparaît comme le
négatif des cartes Boulard et Giscard. Le PCF obtient -obtenait- ses
votes surtout
chez les "sans religion" et
les "catholiques non pratiquants".
Il obtient de maigres suffrages dans tout l’Ouest sauf en Côtes-du-Nord
où le
Trégorrois vote communiste depuis des lustres (Circonscription de
Guingamp).
Pareil à l’Est sauf en Meurthe&Moselle où l’immigration (italienne
notamment) a été sensible à ses arguments. La Haute-Savoie, Les Pyrénées
atlantiques et les quatre départements du Massif central lui sont
défavorables.
La Loire -peuplée de "paroisses chrétiennes"- est très défavorable
même si le PCF avait remporté la municipalité de Saint-Étienne en 1977.
Les
Monts du Forez (à l’ouest du département) et les Monts de Tarare et du
Lyonnais
(à l’Est) sont un vide politique pour le PCF. Observons que l’Ardèche et
le
Gard donnent en revanche un assez bon score : il y a là une tradition
protestante (outre une forte présence ouvrière) qui abondait le vote de
gauche
radicale.
Je
rappelle que Boulard parle de
paroisses chrétiennes et non pas exclusivement catholiques, c’est ce qui
explique l’absence de nuances de couleurs sur les territoires de ces
deux
départements (ainsi d’ailleurs qu’en Moselle-Alsace).
Le vote Front de
Gauche en 2009
Quelque
30 ans plus tard, la
carte du vote Front de Gauche présente de grandes similitudes : on
retrouve les faiblesses dans le Grand Est (sauf en Lorraine
sidérurgique), dans
l’Ouest, surtout sur les marges armoricaines. Le Trégorrois reste une
terre rouge
même si la couleur pâlit. Le lecteur remarquera la "blancheur" de la
Flandre, du Forez, de la Haute-Savoie, du Pays basque, des hauteurs des
Alpes-Maritimes, du cœur du Massif central : toutes choses conforment au
schéma de la carte Boulard.
Tout
cependant ne s’explique pas
par l’imprégnation religieuse : ainsi le Front de Gauche est
relativement
plus fort dans le Bassin Aquitain que le PCF de G. Marchais. Cela
s’explique
par la candidature de J.-L. Mélenchon, ancien membre du PS, qui apporte
ici,
dans ces terres socialistes et radicales, son coefficient personnel.
Le vote
Boutin en 2002.
L’ineffable Mme Boutin, la
championne des monastères
bénédictins[3],
représente la tendance traditionaliste de la religion catholique. lien :
Madame Boutin et le parti Radical
Malgré la
maigreur de son score,
la géographie du scrutin est bien conforme à celle des "paroisses
chrétiennes" de Boulard. Voyez sa présence en Alsace-Moselle, dans le Grand Est en général. Voyez
sa
présence relativement forte dans les marges armoricaines, dans la Vendée
catholique et royale. Beaucoup moins présente en Basse-Bretagne
(Trégorrois et
ses alentours). Présence également dans les montagnes orientales du
Massif
Central ainsi qu’au cœur de celui-ci. Haute-Savoie et Pays basque
répondent à
l’appel de Christine. La carte élaborée au niveau des cantons permet une
finesse d’analyse.
Mais des
différences apparaissent :
ainsi dans le Bassin parisien, dans le nord de Champagne-Ardenne, dans
l’Allier.
Le
referendum de Maastricht en 1992 : le vote oui
Cette carte
du vote montre que le
oui l’emporte dans les régions de vieilles traditions catholiques. Je
vous laisse
le soin de comparer. Ne pas oublier que l’Europe (l’Europe !
l’Europe ! l’Europe ! disait le Général) fait partie du patrimoine
génétique des catholiques et a eu le soutien du Vatican. C’est le cri de
ralliement des démocraties-chrétiennes occidentales[4].
Il y a
des différences :
ainsi les Landes, plutôt mécréantes selon Boulard votent-elles oui.
Mais ne pas oublier que le PS et le
PRG avaient fait campagne pour le oui.
Inversement, Philippe de Villiers, grand catholique devant l’Éternel,
faisait
campagne pour le non et la carte
montre qu’il a été suivi en Vendée et alentours. En Ile-de-France, c’est
le oui des nantis, des gens intégrés dans
la mondialisation. Les considérations religieuses sont absentes.
En conclusion, cette carte du
chanoine Boulard doit faire partie de l’arsenal de l’analyste électoral.
Mais
pas seule, évidemment. Il faut tenir compte des évolutions : j'ai parlé
du Var, en sens contraire parlons de la Bretagne qui est maintenant
terre de Gauche : qui l'eût cru en 1946 lorsque Boulard élaborait sa
carte ? Nonobstant cet outil est un élément essentiel de compréhension
du
comportement politique des Français.
Autres applications et
analyses en rapport avec cette carte Boulard :I.
Le
F.N., les ouvriers : le cas de l'Yonne
Mme
BOUTIN
et le parti Radical
le
F.N.
débarque en Haute-Loire… I.
Vote
F.N. et vote ouvrier : le cas de la MOSELLE André
CHASSAIGNE
, une candidature de valeur(s) (Auvergne - Puy-de-Dôme)la Flandre, traditionalisme et vote LePensurtout :
FRANCE 2012, géographie électorale : ça bouge ! (atlas)
[1]
"Géographie des élections françaises sous la 3° et la 4°…", cahier de
la F.N.S.P. n°159, Armand Colin, 1970.
[2]
Referendum pour ou contre le projet de constitution présenté par le PCF
et le
PS-SFIO.
[4]
Dont le MRP a été l’incarnation en France et dont F. Bayrou est
l’héritier
spirituel. Je ne parle pas de la démocratie chrétienne de Mme Boutin qui
se
situe en dehors de notre République laïque.