17/08/2010 A. 1870 : Quand les canuts proclamaient la République à la Croix-Rousse, trois semaines avant Paris Par Jean Butin, l’esprit CANUT, (2ème partie)
(Les agents de la Préfecture) avaient réussi à s’emparer d’une douzaine d'émeutiers qui leur avaient paru particulièrement excités et de leur meneur dans la serviette duquel on avait trouvé des papiers qui ne laissaient aucun doute sur son appartenance au mouvement d'extrême gauche du vieux chimiste libertaire Raspail. Le soir même de ce 13 août, le gouverneur militaire De Caussade avait annoncé « des désordres ont eu lieu ce matin, des meurtres ont été commis. Des mesures seront prises pour réprimer de pareilles tentatives. Les bons citoyens sont invités à s'abstenir de toute participation à des réunions tumultueuses». Quant à la presse locale, bien entendu aux ordres, elle avait minimisé l'événement et présenté le responsable des troubles comme un vaniteux écervelé, un « toqué »connu de longue date à l'image de son vieux maître Raspail. Ainsi le Salut Public du 14 août publiait : « qu'on le mène à l'Antiquaille et qu'on le fasse doucher : il n'a pas droit à autre chose ». Et Le Progrès du 15 : « l'intervention de cet olibrius annonçant la proclamation de la république à Marseille, la police aurait eu la sagesse d'assister sans rien faire à cette scène plus comique que dangereuse ». Quelques jours plus tard, On pouvait trouver en effet une interprétation plutôt comique de l'événement dans le même Salut Public : « l'arrivée de la troupe a eu pour effet de faire détaler les canuts et canuses. Comme tout le monde marchait en sabots, cela n’a pas facilité la fuite. La troupe et les urbains étant aux trousses des fuyards, ces derniers, affolés, pour courir plus facilement, se débarrassaient de leurs sabots. Bientôt les lieux furent libres de manifestants, mais couverts de sabots, que leurs possesseurs se gardaient bien de revenir chercher. Cela fit la fortune d'un dauphinois qui, le soir venu, vint les ramasser pour les entasser dans son entrepôt. Pendant plusieurs jours, il changea les brides, remit du vernis, puis ouvrit boutique». Et c'est ainsi que cette mémorable journée fut qualifiée par certains de « journée des sabots ». Le verdict : la vérité du 4 septembre Le samedi 3 septembre à midi, le Conseil de Guerre avait rendu son jugement : Lentillon était condamné à un an de prison, ainsi que deux tisseurs. Les neuf autres prévenus étaient acquittés. On considéra avec soulagement que le tribunal avait jugé sans trop de sévérité ce qu'on qualifiait aussi, benoîtement d'« échauffourée de la Croix-Rousse » alors qu'une sentence impitoyable (et redoutée) aurait donné à l'événement une autre portée. Les juges avaient-ils senti venir le vent de l'histoire ? La veille même du verdict, Napoléon III signait la capitulation de Sedan. Le matin du 4 septembre, sitôt cette nouvelle connue, des groupes de manifestants venant des faubourgs (maintenant quartiers) de Vaise, de la Guillotière, et, bien entendu, de la Croix-Rousse convergeaient vers les Terreaux. L'Hôtel de Ville était envahi et, une fois de plus, devançant Paris de quelques heures, la « Commune de Lyon » faisait afficher la déchéance de l'Empire et la proclamation de la République. Un comité provisoire de Salut Public, nommé par acclamations s'installait à l'Hôtel de Ville. L’une de ses premières initiatives fut de libérer Joseph Lentillon (aussitôt nommé membre de ce comité) et ses compagnons. D’autres prisonniers, en particulier l’avocat Louis Andrieux, qui, au cours d’un banquet à Tassin en avril 1869 avait traité Napoléon de « ramolli, usé par la débauche, gouverné par une espagnole et dirigé par un déserteur républicain (Emile Ollivier) » et, de ce fait, avait été condamné à 3 mois d'emprisonnement, furent aussi rendus à l'air libre et portés en triomphe. En revanche, le préfet, son secrétaire général, tous les commissaires de police et quelques autres fonctionnaires impériaux, étaient arrêtés et incarcérés (pour quelques semaines seulement) à la prison Saint-Joseph. Le 15 septembre, des élections eurent lieu et une municipalité issue du suffrage universel remplaça à l'Hôtel de Ville les hommes du 4 septembre. D’autre part, le gouvernement parisien de la Défense Nationale avait envoyé à Lyon le préfet «vigoureusement républicain» Challemel-Lacour. Le rôle politique de Lentillon s arrêta là. Il regagna son étude de Thurins, puis la presse annonça son décès le 21 janvier 1872. Louis Andrieux devait l’évoquer ainsi : «mystique de la fraternité, météore éteint à peine entrevu ». Il n'en reste pas moins que, dans l'histoire lyonnaise, poussé ou soutenu par les canuts de la Croix-Rousse, ce personnage avait, d’une tribune improvisée, proclamé la future république. Jean BUTIN L’Esprit CANUT. Été 2010, n°15. Directeur de la publication B. WARIN 133 boulevard de la Croix-Rousse, mairie du 4ème. |