LYON : L’ENNEMI DE L’INTERIEUR, EN 1564 DEJA

publié le 3 nov. 2011, 07:45 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 2 juil. 2016, 10:23 ]

    Dans un article précédent, lien LES CANUTS ou l’ennemi de l’intérieur… j’avais montré que les canuts Lyonnais -les ouvriers parisiens aussi d’ailleurs- étaient considérés par la bourgeoisie locale et le pouvoir royal comme de vrais ennemis. Après la révolte de 1831, Lyon est entouré d’une enceinte de forts qui portent des batteries de canons orientées vers la place des Terreaux ou le plateau de la Croix-Rousse…

    A vrai dire, ces honteuses édifications avaient eu un précédent. Il remonte à l’époque où l’ennemi intérieur de notre France-fille-ainée-de-l’Eglise était de noir vêtu et chantait des psaumes : le huguenot.

    En 1562, Lyon fut une république protestante, la seconde Genève…

    « Le pouvoir appartient au consistoire (protestant) où siègent, à côté du pasteur Pierre Viret, des marchands et des gens de loi en vue ; à un conseil de l'Église réformée formé de notables. Un « siège pour l'exercice de la justice » a remplacé la Sénéchaussée. Quant au Consulat (conseil municipal, JPR), le départ des conseillers catholiques exilés à Montluel avec de nombreux notables et la plupart des grands marchands - banquiers étrangers, et les élections de décembre 1562 au «temple Saint-Nizier» en ont fait un consulat de notables protestants dont l'action se montrera soucieuse de légitimité et de saine gestion financière (…). La destruction des statues des églises[1], la démolition de Saint-Just, l'exclusion des distributions de l'Aumône[2] des «papistes, yvrognes et séditieux», la suppression de la justice séculière de l'archevêque, les emprunts, les confiscations, les ventes de marchandises, l'échange avec le duc de Savoie de blés contre du sel, telles furent quelques-unes des mesures prises avec l'obligation d'assister à la Cène »[3].

    Après le traité d’Amboise (mars 1563) qui met fin à ce qui sera la première guerre civile de religions, l’expérience lyonnaise est condamnée à péricliter, elle "tiendra" jusqu’en juin.

    C’est dans ces conditions que le pouvoir royal -Charles IX et sa mère Catherine de Médicis- décide une reprise en mains. A Lyon, cela s’exprime par la nomination du maréchal de Vieilleville et surtout la construction d’une citadelle au sommet de la Croix-Rousse. On trouve trace des intentions royales dans ce texte de 1838 : la citadelle fut « construite à Lyon par les ordres de Charles IX [4], en 1564, pour défendre la ville d’entreprises semblables à celle qui avait eu lieu en 1562 de la part des protestants »[5]. 

    L’archiviste lyonnais Benoit Vermorel  (1875-1942) a légué un fonds important à la BM de Lyon. Il écrit la même idée mais apporte une confusion : « pendant son séjour à Lyon, Charles IX fit commencer sous ses yeux la construction d’une vaste et puissante citadelle tournée contre la ville afin de contenir les deux partis catholique et protestant, toujours prêts à en venir aux mains »[6].

    En 1564, Charles IX visait le parti protestant. Ultérieurement, il est vrai que les Lyonnais catholiques regarderont d’un mauvais œil cette citadelle menaçante. Mais il s’agit alors des Lyonnais ultra-catholiques de la Sainte-Ligue. La Ligue est un mouvement d’extrême-droite que j’analyse dans mon livre. Lien : Chapitre 2: La "sainte" Ligue. Ce sont des catholiques de la Contre-Réforme qui s’opposent à la politique royaliste de conciliation entre les deux religions, le parti royaliste que l’on dénommera justement le parti des politiques qui cherche une solution politique et non pas religieuse (laquelle ne pourrait qu’aggraver la guerre civile) à la crise. L’historien R. Gascon écrit : "La Saint-Barthélemy (1572) a marqué à Lyon la fin des tentatives de conciliation. Il y aura d'autres édits de tolérance comme celui de Beaulieu en 1576. Mais le divorce entre les volontés du roi et la politique de la ville est constant et montre que l'esprit ligueur est né bien avant la Ligue. Les contradictions et les incertitudes de la politique royale, les mécontentements provoqués par une fiscalité écrasante, les difficultés des marchands devant la montée de la crise économique et les souffrances du petit peuple devant la dégradation accentuée de sa condition matérielle affermissent cet état d'esprit jusqu'à ce que la lutte contre "l'hérésie" cristallise en elle le malaise qui touche à tous les domaines de la vie urbaine (…)"[7].°.

    On a bien noté le divorce entre la volonté du roi et la politique de la ville contre les édits de tolérance. De surcroît, Lyon suit un mouvement provincialiste qui a pour logique de disloquer le Royaume en principautés plus ou moins indépendantes (à Lyon, c’eût été la principauté du Duc de Nemours). J’ai, d’autre part, dans un article sur les Rebeyne lyonnaises, signalé l’appesantissement sur les épaules des habitants de la ville de l’administration du comte-archevêque, celle du Consulat municipal et, plus récente et encore moins acceptée, celle du roi. Durant la Sainte-Ligue, il y eut donc combat, lutte armée entre les armées du roi et celles des ligueurs. Et les Lyonnais, en majorité, sont ligueurs.

    Dans ces conditions, il est vrai que la citadelle Saint-Sébastien apparaît comme le symbole du pouvoir royal honni par les catholiques ligueurs. Gascon écrit : "le 2 mai (1584), une « journée [8]» entrainait l’adhésion de la ville : le petit peuple encouragé par Mandelot (gouverneur) et le Consulat s’emparait de la citadelle Saint Sébastien, symbole de l’autorité royale, qui fut démolie dans l’allégresse générale".

    L’autorité du roi était donc bafouée mais pour montrer qu’il était toujours souverain, Henri III publia, le 30 juillet 1588, des lettres patentes dans lesquelles il confirmait l’approbation de la démolition de la citadelle.

    Pour en revenir à notre problématique, la construction de cette citadelle contre les protestants lyonnais relevait bien d’une logique de guerre civile contre un ennemi de l’intérieur. Les forts dressés contre la ville des canuts, après 1831, relèvent de cette terrible logique. Comme disait, F. Engels -je cite de mémoire- : La France est le pays où les luttes de classes ont été menées jusqu’au bout, avec le plus de vigueur.

    Les persécutions contre les protestants provoquèrent l’émigration de "l’élite de la librairie et de l’imprimerie lyonnaises" (Gascon), secteurs moteurs de l’économie de l’époque.  

 

Biblio.

- Notes et documents pour servir à l'histoire de Lyon: 1350-[1610]  Par Antoine Péricaud (en ligne).

- « Lyon ancien et moderne », article de J.-S. Passebon, directeur L. Boitel, Lyon, 1838. en ligne.

- http://www.guichetdusavoir.org/ipb/index.php?showtopic=36527

- La ficelle, revue de la Croix-Rousse, n°27, février 2011, qui consacre son numéro à la citadelle en posant les termes de l’énigme : on ne sait toujours pas exactement où elle fut construite. www.laficelle.com



[1] Toujours visibles aujourd’hui -décapitation des statues de pierre de la cathédrale St-Jean- et malhonnêtement attribuées aux révolutionnaires de 1793.

[2] Service officiel de secours aux miséreux.

[3] Extrait de « Histoire de Lyon et du Lyonnais », page 192.

[4] Physiquement présent dans la ville.

[5] « Lyon ancien et moderne », article de J.-S. Passebon, directeur L. Boitel, Lyon, 1838. en ligne.

[6] Cité par la revue Croix-roussienne La ficelle, n°27, février 2011.

[7] Extrait de « Histoire de Lyon et du Lyonnais », Privat éditeur.

[8] Gascon, historien du XVI° siècle, emprunte ce vocabulaire de la Révolution française de 1789-93 où les « journées » furent les grandes étapes de la victoire : 14 juillet, 5&6 octobre, 10 août, 2 juin, etc…

Commentaires