18/08/2010 A. LA RÉPUBLIQUE : LYON, 13 AOUT 1870, 4 SEPTEMBRE 1870. C’est avec grand plaisir que je fais une place sur mon blog à Jean BUTIN, érudit lyonnais, qui raconte les évènements survenus à la Croix-Rousse, le 13 août 1870, évènements annonciateurs de la révolution républicaine du 4 septembre de la même année. République proclamée à Lyon avant Paris, ce qui flatte toujours un peu les patriotes entre Saône et Rhône. (Les titres de paragraphe sont de moi-même, JPR)
Quand les canuts proclamaient la République à la Croix-Rousse, trois semaines avant Paris (1ère partie). Par
Jean Butin, l’esprit CANUT,
Le 1er septembre 1870 (c'était un jeudi) s'ouvrait au Palais de Justice de Lyon, devant la juridiction exceptionnelle d'un Conseil de Guerre, le procès de 12 accusés, prévenus de rébellion, d'attroupement, d'outrages envers les agents de l'autorité et d'apologie de faits pouvant être qualifiés de crimes. Les dits faits s'étaient déroulés le samedi matin 13 août sur la place de la Croix-Rousse. Mais en quoi pouvaient-ils être qualifiés de rébellion relevant d'unetelle justice exceptionnelle ? Le Second Empire vivait alors ses derniers jours. Faut-il rappeler avec quelle légèreté l'empereur Napoléon III et son premier ministre Emile Ollivier avaient pris la funeste initiative de tomber dans le piège tendu par Bismarck et de déclarer la guerre à la Prusse le 17 juillet 1870 ? Dès les premiers jours, et en dépit de leur héroïsme (épisodes de Reichshoffen, Gravelotte), nos armées, mal encadrées (comme en 1940) avaient essuyé une série de désastres : Wissembourg, Frœschwiller, Forbach, propres à déstabiliser et démoraliser une opinion pour laquelle une rapide victoire ne faisait aucun doute. Les prévenus étaient donc au nombre de 12, dont 9 exerçaient les professions de tisseurs et tullistes, autrement dit canuts, et habitaient la Croix-Rousse, commune qui se considérait encore comme indépendante de Lyon, en dépit du rattachement de 1852. Il y avait aussi un ébéniste, une femme sans profession et, pour finir, un notaire établi à Thurins, dans le Rhône, considéré comme le meneur, Joseph Lentillon. Ils avaient, pour la plupart, une trentaine d'années et le plus jeune avait tout juste quinze ans; il s'appelait Alexis Deloche et était le neveu de l'anarchiste Christophe Deloche qui devait prendre la tête de la manifestation fatale au Commandant Arnaud le 20 décembre 1870. Quant à Joseph Lentillon, établi notaire à Thurins depuis 1857, il n'était pas inconnu des croix-roussiens. Né en 1823 à Condrieu, il avait été ouvrier-cordonnier avant d'entreprendre des études de droit, et, disciple du savant anarchisant Raspail, il pouvait faire figure d'ancien quarante-huitard, ayant fait partie du Comité de l'Hôtel de Ville de Caluire de fin février à début avril 1848. Après quoi, devenu clerc de notaire à Lyon, il n'avait cessé de manifester son opposition à l'Empire, sans être autrement inquiété. Le Conseil de Guerre était composé de huit officiers et sous-officiers. La défense était assurée par six avocats, dont un ancien bâtonnier. La foule, nombreuse et hostile à l'Empire, restait calme néanmoins, contenue par de nombreux gendarmes. Parmi les pièces à conviction, figurait l'habit taché de sang d'un sergent de ville mort de sa blessure reçue dans l'échauffourée.
« La journée des sabots » Quant au déroulement des faits, plusieurs témoins rapportèrent devant le tribunal que, ce matin du 13 août, deux à trois mille personnes (mais trois cents selon la police!) s'étaient rassemblées sur la place de la Croix-Rousse, qu'une émeute avait éclaté, sur la foi d'une double nouvelle (fausse) selon laquelle la révolution se déchaînait à Paris et que 30000 marseillais avaient déjà proclamé la république et commençaient à marcher sur Lyon. S'agissait-il d'une provocation ? En tout cas, des cris avaient commencé « la République ! A bas l'empereur !». C'est à ce moment là que le nommé Joseph Lentillon avait pris la tête du mouvement en se hissant sur la croix rousse encore en place et en lisant une proclamation par laquelle il appelait le peuple « Aux armes ! ». Des flots de curieux débouchaient alors de toutes parts, il pouvait bien y en avoir 3000, et les plus excités reprenaient en chœur « à bas l'Empire ! Vive la République ». Et, du même coup, les boutiques de la place et de la grande rue avaient prudemment ferlé leurs devantures. Etait alors arrivé le commissaire de police de la Croix-Rousse qui, accompagné de six sergents de ville, s'était efforcé de fendre la foule pour s'emparer du principal agitateur. Lentillon et ses amis n’opposaient qu'une résistance passive, mais la foule se montrait de plus en plus hostile, saisissant les agents à bras-le-corps, arrachant leurs épées des fourreaux et se mettant à les frapper. C'est ainsi que l'un deux avait eu le corps traversé de son arme, qu’un autre avait reçu un coup de poignard dans le dos et qu'un troisième avait été violemment atteint d'un coup de pierre à la face. Des femmes s'étaient jetées sur les autres agents, les lacérant de leurs ongles. Quant au commissaire, pris à la gorge, il avait eu ses vêtements complètement déchirés. Informée de ces événements croix-roussiens, la Préfecture du Rhône (alors située place des Jacobins) avait expédié en toute hâte une forte escouade d’agents qui était parvenue à dégager le commissaire et ses hommes avant qu'ils ne fussent mis en pièces. Jean BUTIN. (À suivre) 1870 : Quand les canuts proclamaient la République à la Croix-Rousse, trois semaines avant Paris
Par Jean Butin, l’esprit CANUT, ((2ème partie) (Les agents de la Préfecture) avaient réussi à s’emparer d’une douzaine d'émeutiers qui leur avaient paru particulièrement excités et de leur meneur dans la serviette duquel on avait trouvé des papiers qui ne laissaient aucun doute sur son appartenance au mouvement d'extrême gauche du vieux chimiste libertaire Raspail. Le soir même de ce 13 août, le gouverneur militaire De Caussade avait annoncé « des désordres ont eu lieu ce matin, des meurtres ont été commis. Des mesures seront prises pour réprimer de pareilles tentatives. Les bons citoyens sont invités à s'abstenir de toute participation à des réunions tumultueuses». Quant à la presse locale, bien entendu aux ordres, elle avait minimisé l'événement et présenté le responsable des troubles comme un vaniteux écervelé, un « toqué »connu de longue date à l'image de son vieux maître Raspail. Ainsi le Salut Public du 14 août publiait : « qu'on le mène à l'Antiquaille et qu'on le fasse doucher : il n'a pas droit à autre chose ». Et Le Progrès du 15 : « l'intervention de cet olibrius annonçant la proclamation de la république à Marseille, la police aurait eu la sagesse d'assister sans rien faire à cette scène plus comique que dangereuse ». Quelques jours plus tard, On pouvait trouver en effet une interprétation plutôt comique de l'événement dans le même Salut Public : « l'arrivée de la troupe a eu pour effet de faire détaler les canuts et canuses. Comme tout le monde marchait en sabots, cela n’a pas facilité la fuite. La troupe et les urbains étant aux trousses des fuyards, ces derniers, affolés, pour courir plus facilement, se débarrassaient de leurs sabots. Bientôt les lieux furent libres de manifestants, mais couverts de sabots, que leurs possesseurs se gardaient bien de revenir chercher. Cela fit la fortune d'un dauphinois qui, le soir venu, vint les ramasser pour les entasser dans son entrepôt. Pendant plusieurs jours, il changea les brides, remit du vernis, puis ouvrit boutique». Et c'est ainsi que cette mémorable journée fut qualifiée par certains de « journée des sabots ».
Le verdict : la vérité du 4 septembre Le samedi 3 septembre à midi, le Conseil de Guerre avait rendu son jugement : Lentillon était condamné à un an de prison, ainsi que deux tisseurs. Les neuf autres prévenus étaient acquittés. On considéra avec soulagement que le tribunal avait jugé sans trop de sévérité ce qu'on qualifiait aussi, benoîtement d'« échauffourée de la Croix-Rousse » alors qu'une sentence impitoyable (et redoutée) aurait donné à l'événement une autre portée. Les juges avaient-ils senti venir le vent de l'histoire ? La veille même du verdict, Napoléon III signait la capitulation de Sedan. Le matin du 4 septembre, sitôt cette nouvelle connue, des groupes de manifestants venant des faubourgs (maintenant quartiers) de Vaise, de la Guillotière, et, bien entendu, de la Croix-Rousse convergeaient vers les Terreaux. L'Hôtel de Ville était envahi et, une fois de plus, devançant Paris de quelques heures, la « Commune de Lyon » faisait afficher la déchéance de l'Empire et la proclamation de la République. Un comité provisoire de Salut Public, nommé par acclamations s'installait à l'Hôtel de Ville. L’une de ses premières initiatives fut de libérer Joseph Lentillon (aussitôt nommé membre de ce comité) et ses compagnons. D’autres prisonniers, en particulier l’avocat Louis Andrieux, qui, au cours d’un banquet à Tassin en avril 1869 avait traité Napoléon de « ramolli, usé par la débauche, gouverné par une espagnole et dirigé par un déserteur républicain (Emile Ollivier) » et, de ce fait, avait été condamné à 3 mois d'emprisonnement, furent aussi rendus à l'air libre et portés en triomphe. En revanche, le préfet, son secrétaire général, tous les commissaires de police et quelques autres fonctionnaires impériaux, étaient arrêtés et incarcérés (pour quelques semaines seulement) à la prison Saint-Joseph. Le 15 septembre, des élections eurent lieu et une municipalité issue du suffrage universel remplaça à l'Hôtel de Ville les hommes du 4 septembre. D’autre part, le gouvernement parisien de la Défense Nationale avait envoyé à Lyon le préfet «vigoureusement républicain» Challemel-Lacour. Le rôle politique de Lentillon s arrêta là. Il regagna son étude de Thurins, puis la presse annonça son décès le 21 janvier 1872. Louis Andrieux devait l’évoquer ainsi : «mystique de la fraternité, météore éteint à peine entrevu ». Il n'en reste pas moins que, dans l'histoire lyonnaise, poussé ou soutenu par les canuts de la Croix-Rousse, ce personnage avait, d’une tribune improvisée, proclamé la future république. |