Plusieurs thèmes restent à aborder. L’IMPASSE DE L’ABSTENTION Longtemps, le Nord - départements 62 et 59 - fut considéré comme la région "la plus civique de France". L’abstention ne dépassait guère les 10% alors que les politologues nationaux qui peuplent les plateaux TV nous disaient que 15% constituaient un seuil incompressible. Rappelons que notre échantillon, représentent plusieurs millions d’habitants. Voici un tableau qui indique l’évolution de l’abstention dans le Pas-de-Calais comparée à celle de la France. Jai rajouté les chiffres du Nord car j’ai conscience qu’isoler le 62 du 59 est un peu artificiel, mais je répète que c’est l’étude de Sawicki, excellente et détaillée à souhait (cf. biblio en 2ème partie), consacrée exclusivement à la fédération socialiste du Pas-de-Calais qui m’a amené à ne traiter que le cas de ce département. Tableau Évolution de l’abstention lors des grands scrutins
Abs.+ nuls+blancs NB. Les cases vides sont appelées à être remplies après la réception de quelques documents. Sources : établi à partir de : Atlas régional (PULille) , ministère Intérieur ; Politiquemania.
Les chiffres de 1958 sont exemplaires. Les Français se sont massivement mobilisés (15% d’abstentions seulement) mais en Pas-de-Calais c’est encore mieux : 10%. L’écart est de 4,9% des inscrits. Jusqu’en 1981, l’écart variera peu. En 1992, il y a déjà beaucoup d’abstentions pour un referendum important : ratification ou non du traité de Maastricht. Les Artésiens qui se déplacent le font pour voter massivement non. Cri qui ne sera pas entendu, ni par les socialistes, ni par l’ UMP. C’est à partir des années 2000 que le comportement électoral du Nord rejoint la moyenne nationale. Le 59 la dépasse même. C’est ainsi qu’en un demi-siècle, les politiques suivies ont modifié le comportement civique de toute une population. Pour notre problématique, il est important de savoir -autant que faire se peut - qui s’est abstenu ? Voici d’abord une carte prodigieusement éloquente.
Les communes teintées de blanc ont gardé leur
comportement d’antan : moins de 11% d’abstentions. Les communes les plus
brunes s’abstiennent de plus du double : plus de 21%. Observons au niveau
régional. Les collines de l’Artois (L'Artois, des Temps modernes à 1914.), la Flandre maritime, l’espace compris entre
l’agglomération de Lille et le Valenciennois (pays de la Pévèle avec Orchies et
Cysoing [1]),
ainsi que le Cambrésis sont blanchâtres : on y vote bien et le plus
souvent à droite. Mais, surtout, et c’est là où je voulais en venir, cette
carte montre parfaitement le Bassin houiller avec sa forme de boomerang
renversé. C’est d’une netteté parfaite. Le bassin
houiller est devenu un bastion de l’abstention. Avec lui, le nord de l’agglomération
de Lille, le littoral -globalement- et l’Avesnois. Et c’est l’électorat
communiste, anciennement communiste qui s’abstient. Comparez aussi cette carte des abstentions avec celle des densités de population L’Artois pendant l’entre-deux-guerres (2ème partie). Tableau Abstentions dans le bassin houiller (PdC)
* canton de Cambrin, commune trop petite, j’ai choisi une commune plus représentative. En 1978, on votait très bien dans ces circonscriptions
où le Parti communiste obtenait ses meilleurs scores. Un peu moins toutefois
que dans l’ensemble du département. En 2012, les circonscriptions ont été
redécoupées après un autre découpage en 1986 qui suivit celui de 1958. Il n’est donc pas possible d’établir
une comparaison. J’ai choisi la commune la plus importante qui donnait son nom
à la circonscription (excepté pour Cambrin -11°-,
petit village qui a vu pousser autour de lui des villes-champignons minières
mais qui est resté chef-lieu de canton). En 2012, on s’abstient dans le Bassin souvent de 8% de plus que dans le département
(et pour être juste, il faudrait calculer le nombre de votants dans le 62 en dehors
du Bassin, on verrait encore mieux le différentiel, car le Bassin pèse lourd en
termes démographiques). A Bruay, à Lens, à Hénin, l'abstention est multipliée par deux ! MILITER AU PS DU PAS-DE-CALAIS
Tout ce qui suit est extrait du chapitre du livre de Sawicki [2] : les citations sont de dates diverses, certaines concernent non pas le PS mais le Vieux-syndicat mais on a vu que celui-ci fut la matrice de parti SFIO dans le Pas-de-Calais. Les passages en jaune sont extraits du chapitre de Sawicki, les passages en gras sont surlignés par moi-même. La classe ouvrière du Pas-de-Calais n’a pas eu, globalement, un niveau de formation élevée, à la grande différence notamment de celle de la Région parisienne. À la fin des années 50’, le pourcentage de ceux qui avaient obtenu un diplôme supérieur au CEP y était presque deux fois inférieur à la moyenne nationale. Même si l'écart s'est progressivement réduit, les taux de sous-qualification restent supérieurs à la moyenne française : 48% des 15-35 ans en 1982 avaient un niveau inférieur ou égal au certificat d’études primaires contre 41% dans l’ensemble du pays. Cela a des conséquences si l’on n’y contrevient pas. Or, il y eut absence de politique de formation syndicale. Le syndicat des mineurs du Pas-de-Calais ne s’est jamais doté d’un appareil de formation, à la différence du parti et des syndicats guesdistes du Nord, pour qui l'éducation est la condition sine qua non de la prise de pouvoir par la classe ouvrière [3]. Dès lors, un mineur interrogé peut dire : "Mais je n'ai jamais pris la parole aux réunions syndicales. Qu'est-ce que vous voulez que je dise ? Je n'ai pas été assez à l'école. Parmi les dirigeants syndicaux, il y avait des gens calés, des gars qui se cultivaient, qui lisaient les journaux syndicaux, qui allaient aux commissions". Sawicki peut écrire : Habitude de la prise en charge et sentiment d'incompétence d'une population sous-scolarisée se conjuguent pour faire du maire l'intercesseur privilégié auprès de l'administration de l'État et surtout des Houillères. C’est la fameuse "remise de soi", forme interne au mouvement ouvrier de l’aliénation politique. Cela induit le mépris à l’égard de la réflexion théorique et de la formation/profession intellectuelle. D’abord le dédain pour les chemises-blanches-cravates : "Ce sont les mineurs qui portent les jugements les plus défavorables sur leurs chefs et qui se montrent les plus hostiles à "ceux qui travaillent dans les bureaux"". Si monsieur l’instituteur est à la réunion, c’est la catastrophe : "Il advient alors que les mineurs ne vont plus dans les sections socialistes ; ils s'y sentent mal à l'aise en présence du maître d'école qui signale leurs fautes d'orthographe et les entorses qu'ils font subir à la langue française"[4]… Mais la formation théorique n’était pas la préoccupation dominante de la fédération socialiste, on peut lire ces choses effarantes : Le Pas-de-Calais est une des fédérations qui a poussé le plus loin l'organisation systématique des Jeunesses socialistes : défilés, uniformes, formation para-militaire, tout en favorisant les activités de loisirs. Cela fera écrire à un responsable fédéral en 1947, (…), que les Jeunesses Socialistes fédérales sont "restées saines (sic) parce que dans notre département, les réunions des jeunesses étaient des réunions fraternelles, des réunions de jeunes, d'où la politique active, réservée aux adultes d'après les statuts du parti, était exclue". Si le parti -quel qu’il soit au demeurant- n’éduque pas les jeunes adhérents, qui va s’en charger ? Et que dire de l’emploi du mot "saine" ? la politique c’est sale ? L’auteur de ces propos évoque la situation des années 30’, on comprend que certains adhérents aient été tentés par le Vichysme. Plus près de nous, un dirigeant d’envergure souhaitera : "Pas de PS à l'américaine. Il faut un PS conquérant pour aborder un problème, pas de colloques où l'on s'essouffle en de vaines discussions" (1990). Les rapports moraux et administratifs envoyés aux adhérents à la veille de chaque congrès signalent ceci : "Le manque de cadres, l'apathie des militants y sont régulièrement soulignés : ainsi en 1948 le rapport fait état de "l'échec de la création d'écoles du propagandiste [...] dû au manque d'élèves". En 1952, une enquête de la fédération auprès de 160 secrétaires de section révèle que "près des deux tiers des réponses signalent l'apathie de nos adhérents qui ne fréquentent plus les réunions mensuelles. De bons camarades (et des dévoués) nous parlent de leur découragement devant les réunions squelettiques. Et on ne fait plus que trois ou quatre réunions dans l'année". Qu’est-ce qui marche alors ? L’importance des niveaux d'adhésion ne s'accompagne (donc) pas d'une participation suivie aux réunions et d'un investissement considérable dans les activités de formation ou dans les débats politiques. Les activités de propagande électorale (affichage, distribution de tracts, porte-à-porte), la participation aux tombolas et aux réunions festives apparaissent comme ce qui intéresse le plus la masse des adhérents dont près de la moitié reste composée d'ouvriers. On ne se pose pas la question -pourtant essentielle- de savoir qui conçoit les affiches, qui rédige les tracts. Seules les réunions où sont projetés des films de propagande (…) les activités de tombolas et les fêtes marchent bien selon les rapports fédéraux. On arrive alors à la panacée de la réunion socialiste : la réunion familiale. Les sections du bassin minier constituent l'idéal-type de ces sections. De recrutement très populaire, les réunions de sections y sont d'ailleurs fréquemment appelées "réunions familiales". "L’ouverture des réunions aux conjoints, aux sympathisants, aux membres des sociétés qui soutiennent l'action de la municipalité, l’absence de discussion (sic), "mais un court discours d'un des secrétaires de section et un d'Henri Darras" (le maire de Liévin, JPR), la présence de boissons, de biscuits (sic), de décoration de la salle, tout concourt à créer "l'ambiance" chère aux membres des classes populaires. Les présentations de sections publiées par le mensuel fédéral y font d’ailleurs fréquemment allusion : "Chaque année, les responsables organisent une grande fête familiale à l'intention de tous les adhérents, leurs épouses et leurs enfants. C'est autour de ces tables qu'on mesure ce qu'est l'ambiance, la solidarité, la fraternité au sein du Parti socialiste. Pas de manuels, pas d'intellectuels, pas de mineurs, pas de professeurs, rien que des socialistes". Le PS est un melting-pot qui pourrait dire "chez nous, plus de classes sociales ! On est tous frères ". Au fond, c’est issu d’une culture très chrétienne. La fédération socialiste du Pas-de-Calais apparaît ainsi comme un vaste comité des fêtes associé à un groupe imposant de colleurs d’affiche et de distributeurs de flyers à la disposition des décideurs qui sont ailleurs. J’en veux pour preuve l’expérience du référendum sur la ratification du Traité constitutionnel européen (TCE) en 2005. Le Pas-de-Calais a littéralement rejeté ce traité, amplifiant son rejet du traité de Maastricht de 1992, condamnant ouvertement les directions socialistes nationale, régionale, départementale et municipales (lire quelques chiffres dans Milieux populaires et vie politique ). Mais le PS continue comme si de rien n’était… C’est lamentable et désolant. Mais avec la qualité politique des débats au sein des sections de cette fédération, il faut n’être surpris par rien. Comment s’étonner que des électeurs attrapés par ce "catch all-party" le quitte pour le FN ? J’y reviendrai. Sawicki ajoute cependant quelque part : "En 1967, la fédération du
Pas-de-Calais regroupait 14,5% des mandats (nationaux) de la SFIO. Ce
pourcentage quoiqu’en régression - il est passé à 11,1% en 1971, 7,5% en 1979
puis 8,4 % en 1987 - reste très élevé et explique que la fédération avec celles
du Nord et des Bouches-du-Rhône, a toujours été une arène stratégique pour le
contrôle de la direction nationale du parti". Il est donc important
de contrôler cette fédération et de multiplier les "fêtes familiales".
Sawicki nous parle alors des cartes d’adhésion gratuites payées - et
distribuées - par le maire qui est secrétaire de section, simultanément. Et
bien d’autres choses. Cela fait autant de mandats. Cela permet de faire passer
le oui à l’Europe au congrès national
alors que la base vote non. Mais le
PS est un parti démocratique… Dans un article écrit en 1972, le dirigeant communiste G. Ansart, député du Nord et secrétaire de la puissante fédération PCF du département, évoque cet aspect des choses, c’est-à-dire la sous-qualification politique des électeurs et adhérents socialistes. Il écrit ceci : "les couches sociales les plus pauvres offrent encore un terrain propice au réformisme de la social-démocratie ou au paternalisme social du patronat et de l’Église. (…)." Après avoir évoqué le cas de Lille, il ajoute : "Ce prolétariat subit, depuis un siècle, à la fois le paternalisme social des patrons du textile qui essayent de le maintenir hors du terrain d’attaque du mouvement ouvrier ; le réformisme de la social-démocratie qui s’en remet pour résoudre les problèmes au développement du Bureau d’aide sociale [5], créant ainsi une mentalité de prolétariat assisté ; l’activité de l’Église qui va dans le même sens. Cela explique que cette partie du prolétariat n’a pas été gagnée à notre influence". Mais il se montre optimiste grâce à des évolutions favorables : "les conditions existent donc pour dégager ces couches ouvrières de leur situation d’assistées et de les entraîner à la lutte". Assistanat et Action revendicative sont l’eau et le feu de la grille de lecture communiste. Le futur n’a pas donné raison à G. Ansart. L’eau semble avoir éteint le feu… L’ANTICOMMUNISME VERTÉBRAL Ici également ce chapitre va être une sorte de pot-pourri formé à partir d’extraits du texte de Sawicki. L’anticommunisme des socialistes est connu, cela va sans dire, mais va mieux en le disant avec les propos tenus par un universitaire dont la déontologie exige l’honnêteté intellectuelle. Ce texte est disponible sur le net et avec l’onglet «rechercher » vous pouvez trouver la citation complète. Les mots en gras sont surlignés par moi, JPR. "La fréquence des réunions festives, si elles n'ont pas explicitement pour but d'entretenir cette unité, n'en ont pas moins pour effet de générer un “esprit de parti” qui trouve dans l'anti-communisme un de ses principaux fondements". Voilà une phrase-clé. Malgré les divisions internes, on est unis grâce à l’hostilité au PCF. "Le syndicat des mineurs voit donc le PC se développer progressivement, via la CGTU, qui gagne un nombre croissant de sièges de délégués mineurs. C'est dans ces circonstances que la règle de l'unité du parti devient la principale forme de légitimité au sein de la fédération (socialiste, JPR). Déjà utilisée de façon récurrente dans l'activité syndicale pour disqualifier les “irresponsables diviseurs de la classe ouvrière”, cette thématique sert désormais à délégitimer (…) la démarche “sectaire” du parti communiste". Et Sawicki de parler fort souvent de "La concurrence qui oppose la fédération (SFIO du 62) au parti communiste". Durant l’entre-deux-guerres, le nombre de municipalités socialistes connaît "un léger tassement jusqu'à la fin des années 20 du fait de la concurrence communiste qui fait perdre certaines mairies en raison d'un refus de désistement réciproque". Tout ne s’est pas fait sans heurt. Ainsi, Henri Henneguelle, chef de Libération Nord, maire socialiste de Boulogne de 1953 à 1977, "ne cesse de s'opposer à l'anticommunisme de Guy Mollet et des élus du bassin minier, préférant l'alliance avec le PC dont il a côtoyé de nombreux dirigeants dans la Résistance". "L'espoir d'unité ouvrière né de la Résistance et la proximité avec les responsables communistes favorisent les discours de réunification ouvrière et contribuent à marginaliser la position des dirigeants du secteur minier très anti-communistes". A l’époque du programme commun, où même
Mitterrand ose parler du "prolétariat", les socialistes sont invités
à jouer au "plus à gauche que moi, tu meurs" [6]. "Le registre
dans lequel puisent les dirigeants fédéraux s'inspire de celui du syndicalisme,
familier aux ouvriers du département, alors même que l'histoire du socialisme
local s'enracine avant tout dans un municipalisme et un syndicalisme localistes, corporatistes, et gestionnaires.
C'est bien à l'invention d'une tradition qu'on assiste alors puisque
historiquement, comme on l'a vu, les dirigeants et élus socialistes du
Pas-de-Calais se sont définis successivement contre les pratiques et les conceptions des militants guesdistes,
anarcho-syndicalistes et communistes".
Certains dirigeants et adhérents ont de la peine à comprendre cette volonté
d’unité prônée en apparence par Mitterrand. Depuis des décennies, ils font
alliance localement avec les partis de la 3° force de la IV° république, dont
le MRP. En 1977, le programme commun est signé mais certains refusent l’union
avec le PCF aux municipales. "André Delelis (maire de Lens, élu dès le 1er
tour en 1973) est contraint de démissionner du comité directeur après les
élections municipales de 1977 pour avoir refusé l'entrée de communistes sur sa
liste". Il ne fut pas le seul dans ce cas. L’anti-communisme amène la SFIO à créer une confédération syndicale concurrente de la CGT dirigée par des membres du PCF et autres compagnons de route. "(…) La violence des luttes entre communistes et socialistes au sein de la CGT, qui a abouti à la scission de 1948, a contribué à réactiver les relations de proximité entre militants syndicalistes et militants politiques. On l'a signalé, l'aide apportée par la SFIO à la mise en place des sections syndicales Force ouvrière a été considérable". Sawicki prolonge "L’investissement dans la CGT-FO éloigne donc beaucoup de militants de l'activité partisane stricto sensu, même si le traumatisme provoqué par les grèves de 1947-1948, en ancrant l'anti-communisme dans l'expérience pratique, a renforcé la cohésion des militants et de l'électorat et assis l'audience du parti socialiste dans les fractions ouvrières qui ont eu le plus à souffrir de l'attitude de la CGT". Les socialistes, pour faire pièce au dynamisme communiste -le PCF sera le premier parti dans le département jusqu’en 1979- investissent tous les réseaux. Investissement qui s’accompagne d'une "transmission de normes communes : violente hostilité au parti communiste, attachement à certaines formes d'humanisme et de tolérance (fondées en partie sur la participation conjointe à des activités maçonniques), reconnaissance de la légitimité de la gestion des institutions républicaines... ". "Cet activisme associatif s'explique par la concurrence acharnée à laquelle se sont livrées sur ce terrain depuis près d'un siècle, d'abord les Compagnies (minières, JPR), l'Église et les municipalités ouvrières, ensuite les militants socialistes, communistes et aussi démocrates-chrétiens". Voilà
donc une autre facette de l’électeur-sympathisant-adhérant-militant socialiste
du Pas-de-Calais : un brave type assisté, farouchement anti-communiste.
EN GUISE DE BILAN Structure de l’électorat : Comparaison législatives 1978/ présidentielle 2012 (Région NPC)
Rappel : ANBl. = abstentions, bulletins nuls et blancs. Comparaison Prés.1981 / prés. 2012 (Pas-de-Calais uniquement)
*1er tour ** 2ème tour
Ces deux tableaux comparent la structure de l’électorat avant et après l’irruption du FN. La gauche est la grande perdante avec moins 30% de son électorat (environ 15% des inscrits). La droite perd également beaucoup : le tiers de son électorat présidentiel de 1981. Ces voix sont allées sur le FN mais les abstentions, bulletins nuls et blancs (ANBl.) progressent de plus de 8% des inscrits. CE QUE DISENT LES RÉSULTATS ÉLECTORAUX. Ils ne le disent pas toujours clairement. Les collègues qui ont œuvré à la rédaction des commentaires de l’Atlas électoral du NPC utilisent parfois des phrases proustiennes pour tenter de coller à la réalité toujours très complexe. Et il est vrai que l’on ne saura jamais les raisons intimes du choix de chaque électeur/trice. En 1981 : présidentielle. Absence du FN. Premiers passages massifs d’électeurs PC vers le PS. "Mitterrand perd des voix en assez fortes proportions dans les circonscriptions tenues pas des socialistes" : il s’agit de voix anticommunistes qui votent depuis des décennies pour le candidat PS -en l’absence de chances sérieuses de la droite - afin de barrer à la route au PCF. Ces voix rejoignent naturellement la candidature VGE. "En revanche, dans les circonscriptions tenues par les communistes, il obtient, au second tour, des résultats analogues à ceux des candidats communistes élus (en 1978, JPR). C'est dire que la discipline à gauche a bien fonctionné mais qu'une frange appréciable de l'électorat législatif du parti socialiste a poursuivi sa défection". Traduction : lorsque le candidat communiste aux législatives était candidat unique de la Gauche au second tour, il ne faisait jamais « le plein » des voix socialistes. Mitterrand aurait dû le faire. Encore une fois, ces voix "socialistes" étaient des voix de droite. Par ailleurs, "Il faut souligner que le vote Mitterrand n'est pas prioritairement un vote hostile au président candidat mais plutôt un vote de ralliement au changement politique escompté. Le candidat socialiste, adossé aux bastions de la gauche, propose une alternance à une clientèle située en dehors de la gauche mais intéressée". L’électorat Mitterrand, une partie en tout cas, est un électoral volatile. Il est « intéressé » : sa curiosité n’ira pas au-delà de la rigueur de 1984. En 1981 : législatives. Vague rose. "Le triomphe socialiste apparaît très brillant; en gagnant 8 sièges, (…). Mais il conquiert ses nouveaux sièges parlementaires aux dépens du parti communiste bien plus que de la droite (6 députés socialistes sont élus à la place de communistes [7] (…)). C'est dire que la concurrence a joué à plein et que le parti socialiste a reconquis sur la gauche, et non à l'extérieur de la gauche, l'électorat nécessaire à la victoire". Voilà où sont allées nombre de voix communistes : le FN était inconnu au bataillon en 1981. 1984 : élections européennes. Irruption du FN qui obtient 6,4% des inscrits en France, autant dans le Nord, beaucoup moins dans le Pas-de-Calais (4,2%). Abstentions massives. "La carte de l’évolution de l’abstentionnisme montre que sa croissance a surtout affecté l’électorat de gauche". J’utilise maintenant les travaux de S. Etchebarne, travaux qui porte sur le Nord (59) mais dont les conclusions peuvent être transposées dans le 62. "En 1984, on assiste, de la part d'un électorat très conservateur, à un rejet de la liste unique RPR-UDF menée par S. Veil. L'observation,…, de l'implantation des scores élevés du FN dans les cantons où la part de la population étrangère est faible, fait apparaître les cantons centraux de la métropole lilloise (Lille-Centre, Lille-Ouest, Lille-Nord et Marcq-en-Barœul). Ces cantons ont la particularité d'être les cantons urbains du département les plus fortement structurés à droite et les plus résidentiels. (…) Il s'agit de bureaux traditionnellement très conservateurs avec une importante population de commerçants et de professions libérales. Cette géographie du FN est, à peu de différence près, conforme à celle de J. Chirac au premier tour de l’élection présidentielle de 1988". Tout cela confirme ce que j’ai écrit et dans mon livre et dans les articles de ce site. C’est le patronat qui a mis le pied de LePen à l’étrier. 1988 : élection présidentielle. Nouveau flux du PC vers le PS. Le candidat Lajoinie et le candidat Juquin n’atteignent pas les 10% à eux deux. Atlas électoral NPC : "même dans ces (ses) lieux favorables, le PC n'obtient jamais un score d'élection législative ou locale et François Mitterrand bénéficie d'un important transfert de voix qu'aucun candidat socialiste aux élections législatives ne peut espérer. Dans ce vote très politique et national où n'intervient que faiblement l'influence des élus locaux, le PC marque nettement ses limites. Tout se passe comme si, au-delà du repli en bastion, le PC perdait une efficacité politique lors de l'élection présidentielle mais pouvait espérer un meilleur destin dans des élections à portée plus limitée, ou, en tout cas, portées par des logiques territoriales". Habitués à dissocier vote national/vote local, beaucoup d’artésiens, électeurs communistes, voteront dès lors, socialiste aux élections nationales (présidentielle suivie des législatives à la botte) et communiste pour la mairie ou le conseil général (en 2014, le PCF a encore 11 sièges de conseillers généraux du 62 dont 9 élus dans le Bassin, tout n’est pas perdu Géographie politique du Pas-de-Calais après les cantonales 2011).
QUE NOUS DISENT LES ÉLECTIONS PROFESSIONNELLES ?
* électeurs ne se sentant proches d’aucun syndicat. ** élections professionnelles www.clesdusocial.com *** Institut Harris Interactive, pour Liaisons sociales.
Ce tableau donne les résultats nationaux de chaque grande confédération ouvrière sauf UNSA. L’UNSA est plutôt d’influence socialiste. Influente dans la police. La ligne en-dessous donne les résultats des confédérations dans la Région Nord-Pas de Calais. On constate l’influence importante de FO très supérieure à son niveau national. C’est encore plus vrai pour la Confédération des travailleurs chrétiens (CFTC) qui, sur une base 100 en France est à plus de 133 en Nord-Pas-de-Calais. La dernière ligne donne ce que j’ai appelé la propension à voter FN lors de la présidentielle 2012. Faible à la CGT, elle est vigoureuse à FO et même à la CFTC. On vote plus FN à la CFTC qui a gardé son étiquette chrétienne qu’à la CFDT où on a préféré s’ouvrir aux autres en utilisant le concept-portmanteau de démocratie. Pour comprendre (Pour qui votent les intégristes ?). Si vous voulez voir à quoi ressemble un mineur FN, https://www.youtube.com/watch?v=IoaJ-m7jyW8 vous pouvez -sans y être obligé- regarder cette vidéo. Le 1er mai 1988, après une messe en latin, traditionalisme oblige, quelques mineurs défilent en tenue de travail et le visage noirci, sans doute pour faire plus authentique. C’est le Travail au sens pétainiste d’effort physique incontournable pour manger son pain à la sueur de son visage (Genèse, III-19), pas au sens révolutionnaire : le Travail face au Capital. Pour ce qui concerne FO, j’ai donné les raisons qui fondaient son anti-communisme systémique. Mais il ne faut pas confondre la base et le sommet [8].
L’histoire a apporté par couches successives les ingrédients qui font que le N-PdC n’est pas, n’est plus une terre de gauche. Seul le système majoritaire à deux tours et la division actuelle FN - UMP permettent cette domination quasi exclusive du PS sur la région. Hélas, cette domination n’apporte rien. J’en veux pour preuve le vote contre le TCE dont les responsables socialistes n’ont absolument pas tenu compte. Je récapitule : un catholicisme contre-réformé, puis ultramontain, avec force écoles privées contre l’école de la République ; un paternalisme patronal renforcé par la même Église -celle de Léon XIII - qui demandait aux prolétaires "aimez vos patrons !" ; un rejet de la tradition révolutionnaire et un soutien sans faille au bonapartisme qui resurgit dans l’avatar pétainiste, puis gaulliste puis lepéniste ; un corporatisme invétéré chez les mineurs notamment et une co-gestion avec les compagnies minières qui ont conduit à une sympathie complice à l’égard du régime de Vichy, le tout précédé par une vive campagne xénophobe contre les travailleurs polonais venus aider à la reconstruction de la France après le désastre de 14-18 ; un anti-soviétisme viscéral dès après le congrès de Tours et une hostilité au PCF qui ne s’est jamais démentie ; la scission de 1947 et une nouvelle aggravation de l’anticommunisme sans oublier une droite puissante, s’appuyant sur un patronat de combat et des forces politiques importantes, majoritaires à partir de 1958, dans les scrutins nationaux. C’est un exploit que réussirent les guesdistes puis les communistes à combattre cette chape de plomb idéologique épaisse comme les couches de terrains au-dessus des galeries de mines. A la vérité, un ouvrier chrétien ou socialiste qui - et il y a de quoi - est mécontent de la situation économique faite à la région bascule aisément vers le vote FN. Inculture -générale ou politique -, tradition de l’assistanat, goût pour les régimes forts tout concourt à une nouvelle remise de soi. Cette photo (Voix du Nord) montrant un vassal baisant l’anneau de son suzerain - Steeve Briois, chef régional du FN - donne une idée parfaite de l’idéologie FN Recul de civilisation.
[1]
6ème circonscription du Nord (découpage de 2012). [3] Cette tradition a toujours été celle du PCF. [4]
Au PCF, la hiérarchie -si hiérarchie il y avait- était plutôt l’inverse. Je
m’imaginais mal morigéner un camarade ouvrier parce qu’il faisait des fautes de
français. L’hypothèse même est invraisemblable. [5] Autrefois appelé Bureau d'aide sociale (BAS), la loi no 86-17 du 6 janvier 1986 a substitué le nom de Centre communal d'action sociale à l'ancienne dénomination (article Wiki : Centre communal d'action sociale (CCAS)) [6]
N’oublions pas que l’objectif de Mitterrand est de prendre 2 à 3 millions de
voix au PCF. [7] Ce commentaire concerne la Région. Le PCF n’a plus que deux députés sur quatorze dans le Pas-de-Calais au lieu de cinq en 1978. [8] Voir par exemple l’article du Monde du mercredi 10 décembre 2014, "le FN tente de séduire la base de Force Ouvrière". |