LA REPUBLIQUE EN FRANCE : 1879-1914 (2ème partie)

publié le 23 avr. 2013, 08:47 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 5 nov. 2017, 10:30 ]

LA RÉPUBLIQUE EN FRANCE : 1879-1914

le plan

 

I. LA REPUBLIQUE "FRAGILE" 1879-1899 (1ère partie) lien : LA RÉPUBLIQUE EN FRANCE : 1879-1914, 1ère partie

A. La République "Opportuniste"

1. les efforts de consolidation

2. la crise "boulangiste"

B. Une vie politique hésitante (1889-1898)

1. De nouveaux acteurs

2. La république conservatrice : un nouveau "centrisme"

II. LA RÉPUBLIQUE INSTALLÉE : 1899-1914

A. "L' Affaire" :

1. La crise antidreyfusarde

2. La riposte : la république "radicale"

B. Les grands problèmes de 1905 à 1914

1. Une vie politique agitée

2. La France en 1914

 

2ème partie :

 

LA RÉPUBLIQUE INSTALLÉE : 1899-1914

 

    Après l'affaire Dreyfus et ses menaces dictatoriales, les Radicaux se rassemblent, en 1899, pour une politique de défense et d'action républicaines. Après 1905, les problèmes sociaux deviennent les plus importants puis les problèmes militaires et financiers passent au premier plan. Par rapport à la période précédente, on observe une stabilité bien plus grande : le ministère Waldeck-Rousseau dure presque trois ans (juin 99 - juin 1902), celui de Combes -qui lui succède- dure deux ans et huit mois (1902-1905), le ministère Clemenceau dure aussi presque trois ans (oct. 1906 - juillet 1909).

  

A. "L'AFFAIRE" :

    A nouveau, avec l'affaire Dreyfus, la République est menacée.les médias et l’opinion publique : l’affaire Dreyfus

 

        1. La crise antidreyfusarde

    C'est, au départ, une banale affaire d'espionnage mais elle se complique d’une criminelle iniquité judiciaire. Un officier français, noble d’origine hongroise, Esterhazy, vendait aux Allemands des renseignements militaires contre de l’argent. Un de ses papiers, le célèbre bordereau, écrit à la main, fut retrouvé dans la corbeille à papier de l’ambassade par la femme de ménage qui était en réalité un agent du Service de renseignements. Le ministre de la Guerre, Mercier, après enquête de l’État-major, fait arrêter le capitaine Dreyfus au prétexte que son écriture est celle du bordereau et qu’il est juif alsacien (la famille Dreyfus a des usines à Mulhouse). En fait, le dossier est vide, et Mercier fait alors passer au jury du Conseil de guerre des « documents secrets » dont ni Dreyfus, ni son avocat n’ont connaissance. Tout part de là (1894). Un officier du Service, Picquart, découvre, toujours grâce à la femme de ménage, un document adressé à Esterhazy mais non transmis. Après enquête, Picquart découvre que c’est bien Esterhazy qui a écrit le bordereau. L’état-major refuse de reconnaître son erreur. C’est la guerre au ministère de la Guerre entre Picquart et tous les autres [1]. L’officier Henry fabrique un faux document qui montre la culpabilité de Dreyfus. Esterhazy passe en Conseil de guerre mais l’état-major, parfaitement convaincu que c’est lui le coupable, le fait acquitter !

    L'affaire prend un tour politique avec le célèbre "j'accuse" de Zola (1898) qui déchaîne les passions et divise tous les groupes politiques. Les Dreyfusards sont en général les intellectuels (l'expression apparaît à cette occasion) soutenus par les antimilitaristes, pour les Droits de l’Homme, avec création d'une ligue qui existe toujours. Pour la vérité et la justice !

    Les antidreyfusards se recrutent dans l'armée, le clergé catholique, les nationalistes, les antisémites, pour la patrie et l'honneur de l'armée ! Pour la raison d’État. L’Action Française est créée à cette occasion.

    En été 1898, le colonel Henry avoue avoir commis le faux en écriture pour démontrer la culpabilité de Dreyfus et se suicide. La révision du procès, pourtant inévitable, déchaîne les antidreyfusards.

    Le jour des obsèques du président Félix FAURE, Déroulède demande à l'armée de marcher sur l’Élysée (23 février 1899), jugé il est acquitté. Après la décision de la Cour de cassation d'annuler le procès Dreyfus de 1894 et d'en faire un second (à Rennes, en 1899), c'est la "journée des Muscadins", le 4 juin 1899, au grand steeple-chase d'Auteuil, le Président  Loubet est frappé à coup de canne par un nationaliste : le baron Christiani.

 

        2. La riposte : la république "radicale"

    Ce qui fait la gravité de l’Affaire, c’est que la France a été à ce moment exposée au risque d’un coup d’État militaire. C’est le Chef d’état-major qui, au procès Zola, refuse de discuter des documents secrets en exigeant qu’on croie l’Armée sur parole. Il avance la menace d’une démission générale de l’état-major si « la France -le jury d’assises- n’a pas confiance dans son armée » : la justice est à la discrétion de l’Armée ; c’est Déroulède qui tente son coup d’ État, c’est le général Mercier qui déclare à la Cour de cassation : « je ne crois pas que la Cour ait à s’occuper de cette question » ! C’est l’attentat de Christiani ; C’est la balle de revolver qui a failli coûter la vie à Maître Labori, avocat de Dreyfus au procès de Rennes, ce sont plusieurs dizaines de conseils généraux qui envoient des motions de soutien à l’armée. Etc., etc…

    Le radical Waldeck Rousseau dirige alors un ministère de défense républicaine.

    Dans les 24 heures qui suivent sa désignation, Waldeck-Rousseau remplace le préfet de police (de Paris), relève de leur fonction le procureur de la République et le procureur général ; plusieurs généraux sont mutés. Dès juin 99, les chefs nationalistes (Déroulède [2], Guérin) sont traduits devant la haute cour de justice (le Sénat) et condamnés. En janvier 1900, douze religieux de la "congrégation des pères Augustins de l’Assomption", factieux et fanatiques antidreyfusards, sont condamnés par le tribunal correctionnel de la Seine pour constitution d’association non autorisée.

    Dreyfus est gracié mais ce n'est pas suffisant. Il faudra attendre 1906 pour qu'il soit réhabilité et réintégré dans l'armée.

    La loi de 1901 sur les associations privées est très libérale mais les congrégations religieuses toutes antidreyfusardes et activistes sont dissoutes et ne pourront se former qu'après le vote d'une loi et nul ne pourra enseigner s'il n'est pas membre d'une congrégation autorisée. C’est en application de cette loi que divers radicaux, francs-maçons, républicains socialisants créent le parti républicain radical et radical-socialiste, en 1901, c’est le plus vieux parti de France [3]. Fidélité à 1789, valorisation de la propriété privée et laïcité sont les fondamentaux de ce parti.

    Des mesures de "gauche" sont prises en faveur du Travail : création d'un corps d'inspecteurs du travail, d'un Conseil Supérieur du travail, journée réduite à 10h. Il s’agit, autant que faire se peut, de ramener à la République la classe ouvrière.

    Les élections de 1902 marquent un nette poussée à gauche et c'est un radical : Combes, qui entreprend un lutte anticléricale3 juillet 1905, le projet de loi relatif à la séparation de l'Église et de l'État est adopté. Le travail de Jean Estèbe cité plus haut démontre que ces élections ont apporté une "démocratisation du recrutement ministériel avec une chute brutale des enfants des catégories supérieures et un renforcement parallèle des « parvenus sociaux »"[4].

    Cette politique aboutit à la loi de 1905 de séparation de l’Église et de l’État. L’ Église catholique n'est plus une institution officielle. 3 juillet 1905, le projet de loi relatif à la séparation de l'Église et de l'État est adopté C’est politique radicale n’a rien à voir avec la révolution sociale : à preuve, le ministre des Finances n’est autre que Rouvier, un affairiste compromis dans le Panama mais qui rassure les milieux… d’affaires.

 

 B. LES GRANDS PROBLÈMES DE 1905 A 1914

 

        1. Une vie politique agitée

    Après le long ministère de Clemenceau de 1906 à 1909, caractérisé par une violente répression des grèves ouvrières et de celles des employés, se succèdent 10 ministères de 1909 à 1914, soit une moyenne de deux par an. L’année 1905 est marquée, au plan international, par la première crise marocaine. C’est une année charnière à partir de laquelle l’hystérie nationaliste, guerrière et anti-allemande va progressivement atteindre les sommets d’autant qu’en 1911, éclate la seconde crise marocaine (Agadir). L’année 1906 voit le triomphe électoral des radicaux, toutes tendances confondues, qui peuvent gouverner à la chambre sans l’appoint des voix socialistes. Mais dès avant 1914, André Siegfried nous avertissait : « (…) les mots les plus rouges en arrivent à ne plus rien signifier du tout ou même à signifier le contraire de leur sens originel et logique ». Après avoir traité du cas de l’épithète « progressiste », Siegfried nous dit de « radical » qu’il « s’embourgeoise à partir de 1906,…, et l’on s’étonne à peine d’entendre parler, dans la conversation, de radicaux ‘modérés’ ou de radicaux ‘conservateurs’ ». Il pense évidemment à Clemenceau (Introduction au « tableau politique de la France de l’Ouest », page XVI). .

    Les problèmes sociaux :

    Dans l'agriculture, crise vinicole de 1907, avec la célèbre mutinerie des "braves soldats du 17°" régiment d’infanterie qui refusent de tirer sur leurs pères et frères vignerons (Agde).

    Dans l'industrie : grèves avec répression sanglante par Clemenceau qui se montre ennemi féroce des ouvriers et des syndicalistes, grèves relancées par le congrès de la CGT à Amiens en 1906 mais qui aboutissent à des résultats : création d'un ministère du travail, rétablissement du repos du dimanche, retraites ouvrières pour certaines catégories (Prévoyance sociale). Clemenceau a mené une véritable guerre sociale à la CGT anarcho-syndicaliste et son nom reste entaché des meurtres de grévistes de Draveil-Villeneuve-St-Georges (1908).

    Dans la fonction publique : les grèves sont interdites, les fonctionnaires sont réquisitionnés, le droit syndical n'est pas obtenu.

     C'est pourquoi il est curieux de voir, aujourd'hui, des hommes politiques soi-disant "de gauche" se réclamer de Clemenceau lequel a eu le soutien et l'admiration de l'extrême-droite (il est vrai après la guerre de 14-18).

    Les problèmes budgétaires :

    Ils sont liés à l'évolution de la situation militaire et à la course aux armements. Le service national devenu totalement universel et réduit à 2 ans en 1905 est prolongé à 3 ans par les radicaux et les modérés malgré la vive opposition de Jaurès et des socialistes (1913).

    Le financement devait se faire par un nouvel impôt proposé par les chefs du parti radical : l'impôt sur le revenu. Les réticences sont nombreuses même à gauche : "Nous entendons que ce nouvel impôt soit préparé avec beaucoup de prudence. Qu'il ne comporte ni vexation, ni inquisition, ne trouble pas le secret des fortunes et n'entrave pas la marche des affaires", Pichery, député radical de Romorantin (mais nous avons vu plus haut ce que Siegfried pense de l'épithète "radical"). Au total,  c'est un refus des députés et les impôts indirects sont augmentés.

    L'impôt sur le revenu sera voté en 1914 et appliqué ultérieurement.

 

        2. La France en 1914

    Politiquement : la France est une démocratie grâce aux républicains et notamment aux radicaux. Économiquement, la France est prospère mais surtout grâce à sa finance davantage qu'à son industrie mais la 2° R.I. est dynamique (aviation, automobile, aluminium, cinéma, etc…). Socialement, le problème ouvrier demeure (pas d'assurance-chômage pour tous, ni de retraite, ni de congés, ni de conventions collectives) mais le pouvoir d'achat a augmenté. Au plan de la civilisation, Paris est la capitale mondiale des arts et des lettres. Le plus gros problème est celui de la démographie : la France est vieille, elle n'a que 39 millions d'habitants alors que l'Allemagne a bondi à 67 !

    Malgré tout, grâce à l'école publique, à la démocratie locale et parlementaire, grâce à l'homogénéisation du peuple français avec les transports, le service militaire universel, la langue nationale, la république a cimenté l'union du peuple de France qui devient attaché à la patrie et à la République.

    Malheureusement, la France en 1914 est travaillée par l’idéologie nationaliste et guerrière avec des Léon Daudet qui publie des journaux comme L’ Avant-guerre (1913), ce qui est un crime contre la paix. On assiste à des revirements étonnants et nombreux sont les Dreyfusards de naguère qui deviennent de chauds partisans de la course aux armements et de la Revanche. Seul, le parti socialiste, unifié en 1905 (S.F.I.O.), peut tenter derrière Jaurès de « mener la guerre à la guerre ». Mais, il est divisé et d’ailleurs, la grève de la CGT en 1912 est un échec qui annonce le désastre de 1914. L'année 1912 : La grève de la CGT en 1912 Si la droite nationaliste est belliciste - la guerre est dans la nature de l’homme dit-elle - le parti républicain radical et radical et radical-socialiste l’est également et tout autant. Dès 1870, Clemenceau souhaitait la revanche contre l’Allemagne. Parti du capitalisme, ce n’est pas le parti radical qui allait faire obstacle à la couse aux armements, elle-même liée à la compétition impérialiste (dont les affaires marocaines sont une belle illustration)[5]. L’année 1912 : il y a cent ans déjà…AGADIR et la haine anti-allemande

    Au total, si la République a duré si longtemps, c’est qu’en définitive elle satisfaisait aux exigences de la force montante du moment : le capitalisme industriel et bancaire. Colonialiste avec les Opportunistes, belliciste avec les Radicaux, la République bourgeoise - conservatrice aurait dit Adolphe Thiers - a donné satisfaction.

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Biblio : je me permets de renvoyer aux trois chapitres de mon livre qui traitent de cette période : chapitres XI, XII et XIII. Disponibles sur ce site. -onglet "Traditionalisme & Révolution".

Jean-Denis BREDIN, "L'Affaire", Julliard éditeur, Paris, 1983, 768 pages.

Eugen WEBER, "L’Action française", Stock éditeur, Paris, 1964, 652 pages.

Eugen WEBER, "Fin de siècle, la France à la fin du XIX° siècle", Fayard, Paris, 1986, 358 pages.

Zeev STERNHELL, "La droite révolutionnaire", 1885-1914, les origines françaises du fascisme, Seuil, Paris, 1978, 448 pages.

Georges SOREL, "La révolution dreyfusienne", réédition de la deuxième édition de 1910, Éditions du Trident, Paris, 1988,76 pages. 

Georges SOREL, "Réflexions sur la violence", 10° édition, Librairie Marcel Rivière et Cie, paris, 1946.

Philippe ORIOL, "J'accuse ! Émile Zola et l'affaire Dreyfus, une anthologie", coll. Le Monde/Librio, Paris, 2001, 160 pages. (Indispensable aux lycéens).

BOUJU & DUBOIS, "La III° république", coll. Que sais-je ? n°520.

 

PS. Pour la crise boulangiste, la biblio se trouve à la fin de l’article Les médias et l’opinion publique : la crise boulangiste (1886-1889)


[1] « Envoyez-le se faire tuer en Afrique » ! dit un des supérieurs de Picquart lequel sera effectivement envoyé en mission en Tunisie saharienne.

[2] Arrêté avec ses acolytes avant qu’il ne procède à sa seconde tentative de coup d’État.

[3] Il existe toujours : c’est le parti radical qui a son siège Rue de Valois. Sa fidélité à la propriété l’a progressivement emmené à droite, il a soutenu J. Chirac et N. Sarkozy… les Radicaux les plus à gauche l’ont quitté et ont crée le mouvement des Radicaux de Gauche, aujourd’hui, parti radical de gauche, allié-satellite du P.S., il a un groupe à l’assemblée.

[4] Revue L’Histoire, n°59, septembre 1983. C’est ce que la droite (comme A. Dansette) et l’extrême-droite (comme Alfred Sorel) ont appelé « la révolution dreyfusienne ». En fait, avec Waldeck-Rousseau, grand avocat d’affaires, le risque révolutionnaire est bien mince. Et le parti radical est un farouche défenseur de la propriété privée. De surcroît, tous les « radicaux » n’adhèrent pas à ce parti et gardèrent leur liberté de vote à la Chambre.

[5] Notons cependant qu’un homme comme Caillaux -radical- échappe à cette analyse.

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