Hyppolite TAINE ou LA CONTRE-REVOLUTION ABSOLUE (2ème partie)

publié le 30 nov. 2011, 03:23 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 31 déc. 2013, 16:28 ]

    Lien vers la 1ère partie (analyse d'un texte de Taine sur l'anarchie révolutionnaire) : Taine ou la contre-révolution absolue.

    Bien sûr, si l’on réduit l’idéologie contre-révolutionnaire aux écrits de Bonald ou De Maistre, catholiques intégristes, traditionalistes invétérés et légitimistes, Taine ne relève pas de cette lignée. Mais il ne faut pas croire pour autant que Taine relève de la tradition protestante cévenole, contestataire, camisarde, qui apporta résolument son soutien à la Révolution -à l’instar de Rabaut Saint-Etienne- et à la République. On l’a souvent écrit, la III° république fut la république des protestants, à tout le moins ceux-ci firent leur miel de la République : « Faut-il rappeler qu’en 1882, après le vote des lois Ferry, les protestants considérant qu’avec la fin du monopole de l’Eglise catholique sur l’enseignement, la liberté était enfin assurée, remirent solennellement à la République leurs écoles primaires ? ».[1]Cette tradition bien réelle, bien concrète, n’est cependant pas la seule. Il existe au XIX° un courant protestant ultra-conservateur, anti-révolutionnaire et Taine s’y plonge résolument.


    Les Néerlandais n’ont pas eu leur Commune de Paris - qui terrorisa les bourgeois- ils ont eu un gouvernement libéral et laïque qui provoqua l’alliance de l’eau et du feu, de la carpe et du lapin, celle des Protestants orthodoxes (Gomariens) et des Catholiques de Saint Pie IX, pape du Syllabus… En 1879, naissait l’Anti-Revolutionnaire Partij. Les calvinistes hollandais ont eu leur théoricien : Guillaume Groen van Prinsterer (1801-1876). Les protestants conservateurs ont de la révolution une définition parfaite :

« Il faut choisir entre l’esprit de la « Révolution permanente » et l’esprit de la Reformation selon la parole de Dieu. L’esprit de la Révolution, c’est le culte de l’homme ne reconnaissant d’autre souverain que lui-même, d’autre lumière que celle de sa propre raison, d’autre loi que sa volonté[2] ».

    Pour les idéologues néerlandais de l’Anti-révolution, les Lumières et la Révolution française ne s’en sont prises que secondairement aux abus et aux injustices criants (…). Ce qu’elles ont attaqué et rejeté surtout et d’abord, c’est la vérité et l’autorité de la Révélation divine. A la place du Dieu trinitaire, Créateur et Sauveur, on pose l’homme absolutisé, norme suprême, point central de référence. Au début du XIX° siècle, c’est encore et toujours l’humanisme - la religion de l’homme, en place de la religion du Dieu vivant - qui reste à l’ordre du jour. Ce subjectivisme ne tient compte ni de la volonté de Dieu, ni de la chute et de la faiblesse de l’homme. Car il ne s’agit pas d’ajouter « la religion » aux autres sujets enseignés à l’école mais d’enseigner tous les sujets selon la vraie religion, celle du Dieu vivant.


Taine est l’absolu contemporain des Anti-révolutionnaires hollandais du XIX° siècle.

    Et l’esprit de la Révolution c’est donc la souveraineté de la nation qui s’exprime concrètement par le suffrage universel. Mais, les conservateurs « oppose un non vigoureux à l’omnipotence de l’État qui émanerait du suffrage universel, (et qui aboutirait) à une centralisation administrative excessive. "Je me suis opposé au despotisme de la bureaucratie (…) j’ai demandé de véritables libertés provinciales et communales" écrit Groen». Taine est tout aussi opposé au suffrage universel. On a vu son mépris sidéral pour l’homme du peuple : comment accorder le droit de suffrage à un ivrogne et une brute épaisse ? Mais Taine élabore un peu mieux sa pensée en disant que l’homme de base n’est pas assez formé pour décider de l’avenir du pays, il lui manque trop de formation/informations. "La réponse, la France n’est guère plus en état que moi de la donner : dix millions d’ignorance ne font pas un savoir"[3]et voici une preuve de l’impact de Taine sur l’Action française : le marquis Marie de Roux, bras droit de Charles Maurras, voix de son maître, parle de la "dignité assez ridicule (d’être) un dix millionième de roi de France"[4]. Au moins monsieur le marquis avait-il compris, lui, que la révolution c’est le passage, le translatio imperii, de la souveraineté du roi aux 10 millions d’hommes adultes, la nation quoi.

    Lors des discussions des années 1870-1875 sur les projets de nouvelle constitution pour la France républicaine, Taine fustige "l'idolâtrie du suffrage universel, l'adoration bête du nombre, (qui) y (sont) par trop évidentes ; avec de telles lois, on (périt) à échéance fixe"[5]. Taine écrit "le nombre" au lieu de "peuple". Cette manie que l'on retrouvera systématiquement chez Maurras est typique de l'extrême-droite traditionaliste, pour laquelle il n'y a que hiérarchie, élite, notables.

    Il faut être journaliste au Monde pour écrire que Taine n’est pas contre-révolutionnaire. Formule facile, perverse et retorse : Taine déteste la Révolution française mais N EST PAS contre-révolutionnaire. Voilà qui soulage tout un lectorat d’intellectuels en pédalo qui sont habitués à lire dans leur journal de vigoureux articles hostiles à la Révolution mais que l’on réconforte en disant qu’ils ne sont pas contre-révolutionnaires. S’ils savaient …

lien vers la 1ère partie : Taine ou la contre-révolution absolue. 

lien vers la 3ème partie : Hyppolite TAINE ou la contre-révolution absolue (3ème partie)



[1] P. DAZORD, conférence sur Les origines historiques de la loi de 1905.(sur ce site)

[2] C’est moi qui souligne cette phrase écrite par des contre-révolutionnaires qui est parfaite en ce qu’elle dit merveilleusement ce qu’est l’autonomie de la pensée humaine (ce qu’ils condamnent !).

[3] Extrait de la préface à "Les origines de la France contemporaine". « Dix millions » parce que les femmes sont exclues du vote.

[4] M. de ROUX, "Charles Maurras et le nationalisme de l’Action française", Grasset, 20° édition, 1927.

[5] Cité par D. HALEVY, "La fin des notables".

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