Les Roms, la peur en Occident, l’étrange et l’étranger

publié le 27 juin 2011, 07:57 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 2 juil. 2011, 02:12 ]
  09/09/2010  

L’Humanité de ce jeudi 9 septembre 2010 donne la parole à Madame Françoise PICQ, présentée comme universitaire et chercheuse féministe. Celle-ci écrit « En dénonçant ‘certains parmi les gens du voyage et les Roms’, Sarkozy a cru ressouder ceux qui l'ont élu. Il joue sur des fantasmes enfouis dans la mémoire collective : peur de l'autre, du différent, du vagabond sans feu ni lieu, et met en scène sa détermination à faire respecter l'ordre et la sécurité ». Ces fantasmes « enfouis », le sont depuis, le Moyen Age, l’époque moderne et perdurent. 

Jacques Le Goff, médiéviste bien connu, déclare que la psychologie des masses populaires, est dominée, au Moyen Age "par le sentiment d'insécurité". Jean Delumeau nous dit la même chose pour la période moderne (XVI°-XVIII° siècles) dans son livre « La peur en Occident ».

Concernant le Moyen Age, je prendrais la paroisse comme exemple de communauté close. Pendant des siècles, 90% de la production du village étaient consommés à l'intérieur des limites du village. Par ailleurs, l'endogamie villageoise a toujours été très élevée sous l'Ancien régime. C'était quasiment la "norme" de se marier avec un conjoint rencontré dans le village. Bien sûr, ce n'était pas toujours possible, alors le marié venu d'une paroisse voisine était l'objet (victime ?) d'un charivari qui n'était pas forcément un chahutage sympathique. Et par la suite, il fallait se faire accepter par le village. Avoir "l'esprit de clocher" dit bien ce que cela veut dire.

La communauté juive en pays catholiques a toujours été tenue pour collectivement responsable de la Passion du Christ. Mais son sort se détériore brutalement. Le XIII° siècle est, en effet, "la grande période de rejet des communautés juives par la Chrétienté"[1]écrit Jacques Le Goff. C'est également au XIII° siècle qu'émerge le thème du Juif condamné à vivre jusqu'au jour du jugement dernier pour avoir frappé le Christ lors de sa Passion[2]. Ainsi se mettent en place, les conditions mentales de l'expulsion/ghettoïsation des juifs. "La chrétienté qui, par essence, postule l'unanimité a progressivement imposé celle-ci par la force"[3].

Dans son livre sur "La peur en Occident, XVI° XVIII° siècles", J. Delumeau ne parle-t-il pas de mentalité obsidionale, d'atmosphère obsidionale ? Que ce soit dans son village-paroisse ou dans sa mère-patrie ou, plutôt, son Eglise-patrie, l'homme de l'époque moderne s'est souvent senti en "situation d'état de siège" écrit-il. Les autorités politiques et religieuses et tout particulièrement "l'Eglise maternante" (p.517 de son livre) ont dressé "comme des murailles qui délimitèrent et protégèrent un espace menacé, (…), hors de l'enceinte surveillée, le pire était possible, pour ne pas dire certain, (…), introduire dans la cité barricadée, désormais enclose de forts remparts, la nouveauté ne pouvait être que dangereu(se)" (p.517). L’historien ajoute qu’un livre écrit pour prévenir les dangers qui menacent s'intitule de façon significative "Fortalicium fidei" : la forteresse de la foi !…Il ajoute que l'on retrouve toujours "cet élément constitutif de toute mentalité obsidionale : le traître de l'intérieur est pire que l'ennemi du dehors".

Le petit peuple, quant à lui, remarque surtout le comportement différent du huguenot. Le protestant est "un homme dangereux parce que différent" écrit fort justement J.-M. Constant. Il mange de la viande le vendredi, se moque des rites d'adoration de la Vierge Marie, s'habille de noir, n'aime pas le carillon des cloches, ne danse jamais, bref, il ne fait pas comme tout le monde. Il est - mot-clé - le désordre. Tous les malheurs viennent de lui.


Tout cela a duré des siècles. Le capitalisme du XIX° siècle avec ses crises Juglar qui amènent, tous les dix ans, faillites et chômage, avec ses phases B Kondratiev comme la Grande dépression de 1873 à 1895, et celui du XX° siècle avec ses guerres mondiales et sa crise de 1929 qui rebondit quatre-vingt ans plus trad., ont-il contribué à faire disparaître le sentiment d'insécurité ? Les peurs ancestrales, si bien analysées par J. Delumeau, sont restées allumées sous la cendre. « La peur devant la force aveugle du capital, aveugle parce que ne pouvant être prévue des masses populaires, qui à chaque instant de la vie de l'ouvrier et du petit patron menace de lui apporter et lui apporte la ruine subite, inattendue, accidentelle, qui cause sa perte, qui en fait un mendiant, un déclassé, une prostituée, le réduit à mourir de faim, voilà les racines de la religion moderne » : ainsi s'exprimait Lénine qui décrivait un siècle avant tout le monde l'insécurité sociale permanente d’aujourd’hui.

Croit-on que cela ait pu disparaître grâce aux Lumières de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ? Beaucoup de nos compatriotes sont les héritiers de ces autorités maternantes dont parle Delumeau et reprochent à celles d'aujourd'hui de ne l'être pas assez.

Bref, est-ce que tout cela a contribué à faire des Français un peuple ouvert ? accueillant ? Bien sûr, la réalité est plurielle et il faut éviter les généralisations absurdes. Mais le rejet de l'étranger est un fruit mauvais de tout ce qui précède.

 

Mais Mme Picq termine son billet par une note optimiste. « Ce n'est plus seulement le peuple de gauche qui proteste. C'est toute une partie de la droite républicaine, des institutions européennes et internationales, des chrétiens nombreux qui n'acceptent pas que les Roms soient traités en parias ».

Le pire n’est jamais sûr.

Par exemple, "on se réunissait devant la maison des nouveaux mariés, le soir des noces autant que possible, munis de toutes sortes d'instruments susceptibles de mener le plus de vacarme possible. Puis, à l'aide de leurs casseroles, cornets, grelots et trompettes, on faisait la fête, on chantait et on dansait jusqu'aux petites heures de la nuit".


[1] J. LE GOFF, "Le juif dans les exempla médiévaux : l’Alphabetum Narrationum", dans "le racisme, mythes et sciences", pp. 209-220, page 209.

[2] François CROZON, "La légende du juif errant", L'HISTOIRE, n°219, mars 1998, pp. 24-25.

[3] Hervé MARTIN, "l'Information Historique", n° 3 et 4, 1975, page 158.

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