Du franglais au frenglish par Francis Combes & Patricia Latour chroniqueurs à L'Humanité numéro du 27 novembre 2014 « Nous allons commencer ce débriefing par un brainstorming à partir du reporting du 10 courant. Ces questions de management doivent entrer dans notre process métier, dans une vraie logique B to B. De toute façon, à l'ère du global business, nous sommes tons soumis a un benchmarking permanent ! Le rush ne doit pas nous conduire à être speed dans nos public-relations. Le back-office doit rester au top. Je sais que vous êtes tous overbookés. Mais apprenez à relaxer votre body. Faites du jogging, du training ou du scrapbooking. Vous devez tous être capables de switcher en fonction de la demande. Utilisez mieux la confcall. Le winner takes all est la règle et tant pis pour le blurring ou le burnout ! On ne vous demande pas de devenir des geeks. Le pitch de notre start-up est clean : on se la joue marketing one to one, c'est ça l'avenir pour rester high-tech Les actions one shot sont so likés par nos clients. Notre cash-flow en est la preuve. Le business-plan intègre ce -trend. Le workflow de chacun sera dispatché prochainement. Ces éléments devront être backupés dans le cloud computing de tous. Tout sera uploadé pour plus de sûreté. Les followers doivent se faire connaître. Garder le leadership, c'est le challenge. On va focuser sur les objectifs. On verra qui est vraiment bankable dans le team. Des flyers marketing vont vous être mailés. Suivez bien la roadmap. La deadline est fixée à vendredi, oui, juste avant le week-end. Pour le feeling, nous organiserons une garden-party samedi. Un powerpoint vous présentera les objectifs. C'est Nicolas qui travaille les slides. Un scoop: le boss sera là. Il vous présentera la storytelling de notre filiale offshore et le teaser de notre prochaine campagne, remake de celle qui vient de faire le buzz. Et pour le feedback, ASAP!». Vous n'avez pas tout compris ? Soyez rassurés, nous non plus. Et si c'était là l'objectif? Que personne en dehors de ceux qui sont dans le secret ne comprenne. Alors, imperceptiblement, on glisse du franglais au frenglish ? Du latin macaronique des docteurs Diafoirus de Molière au jargon « entrepreneurial» d'aujourd'hui, c'est toujours la même histoire: faire de son ignorance une science et tenter pour une soi-disant élite d'en imposer au vulgum pecus afin de défendre son pouvoir et de préserver ses privilèges. Au fond, c'est toujours la crainte du peuple qui s'exprime. L'usage massif de ce «basic english» de mauvaise cuisine dans les relations de travail et la vie sociale n'est pas qu'un effet de mode. En même temps qu'une entreprise de soumission, c'est une violence faite à la démocratie. fin de citation |