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Le projet de loi gouvernemental visant à autoriser l'enseignement en langue anglaise dans nos universités nationales apparaît comme une capitulation en rase campagne.
jusqu'où ne tomberons-nous pas ? avec le projet de libre échange intégrant les "produits culturels" pour prendre l'expression anglo-saxonne entre l'Europe des 27 et l' ALENA , ce serait la mort, en plus, de notre cinéma et autres créations intellectuelles et artistiques.
AU SECOURS !
Voici le cri d'alarme de Michel Guillou, Membre de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer, Président
du Réseau international des Chaires Senghor de la Francophonie,
Directeur de l’Institut pour l’Étude de la Francophonie et de la
Mondialisation (Université Jean-Moulin Lyon-III).
J.-P.R
Non au suicide linguistique de la France, oui au multilinguisme
par Michel GUILLOU,
Cela suffit, il faut dire non à l’article 2 du projet de loi Fioraso
sur l’enseignement supérieur et la recherche, qui sera examiné fin mai
par l’Assemblée nationale, et ce pour une raison simple : ce texte
permet, sans le dire explicitement, en contournant la loi Toubon, de
remplacer le français par l’anglais comme langue d’enseignement pour les
étudiants français dans les universités.
L’ Académie française a dénoncé sans ambiguïté, le 21 mars, cette
manœuvre, attirant l’attention « sur les dangers d’une mesure qui se
présente comme d’application technique, alors qu’en réalité elle
favorise une marginalisation de notre langue ». Véritable suicide
linguistique, cette volonté de renoncer au français au bénéfice de
l’anglais est depuis plusieurs années une constante de la vie politique
et socio-économique de la France.
Mais le suicide est aussi culturel. Une partie de l’élite française
cherche son modèle ailleurs, considérant le sien comme dépassé. Elle
pense que la France serait plus heureuse si elle devenait américaine.
Mais ce ne serait plus la France.
Pour parvenir à remplacer le français par l’anglais, on utilise le
harcèlement, le contournement et le grignotage. C’est le contrôleur du
train qui traduit son propos en anglais, le service recherche de
l’université qui travaille en anglais, votre avancement qui dépend de
vos seules publications en langue anglaise. Sait-on que les profils de
candidature pour un poste d’enseignant titulaire dans l’université
française doivent être obligatoirement traduits en anglais, ce qui
permet de recruter un professeur ne parlant pas un mot de français. La
publicité, les médias font tout, par ailleurs, pour rendre irréversible
et naturel ce mouvement.
Cependant, cette tentative de substitution n’est pas à ce jour
irréversible. Elle le sera demain si l’enseignement supérieur français
est dispensé en langue anglaise, et ce d’autant plus si, comme le
préconise le ministre de l’Éducation nationale, Vincent Peillon, on
enseigne une seule langue étrangère à l’école primaire, car ce sera
l’anglais qui sera choisi majoritairement par les familles au nom de
l’intérêt de l’enfant. L’heure est grave.
Les arguments en faveur d’une langue internationale unique sont
connus. Il s’agit de disposer d’un véhicule linguistique commun pour
faciliter les échanges, accélérer le progrès et circuler au mieux dans
le « village global ». Cette pratique donne aux personnes la possibilité
d’acquérir plus facilement une notoriété internationale et aux
entreprises d’avoir accès à de nouvelles opportunités de développement
dans un marché plus large. Dans cette perspective de la langue unique,
l’anglais est aujourd’hui préféré au français et à toutes les autres
langues. Faut-il en déduire qu’il faille abandonner le français ? Non,
et pour plusieurs raisons.
En matière de choix linguistique, deux options sont possibles : la
langue unique ou le multilinguisme. La langue unique présente un
inconvénient majeur. Elle entraîne uniformisation des modes de vie et
acculturation au bénéfice de la culture dont elle est issue. Quand il
s’agit de l’anglais, c’est d’autant plus vrai que cette langue est celle
de l’hyperpuissance actuellement dominante. Ce choix est une erreur,
une mauvaise réponse à un vrai besoin. L’autre option, qui est le bon
choix, c’est le multilinguisme. Il permet l’accès à la langue dominante,
l’anglais aujourd’hui, ce qui peut changer demain, mais n’enferme pas.
Antidote au repli identitaire, il offre une respiration vers d’autres
cultures.
Faute de multilinguisme, on transforme l’ouverture linguistique en
assimilation anglo-saxonne. Enfin, le principe de précaution doit à ce
stade être rappelé. Qui peut dire aujourd’hui quels choix seront faits
dans ce XXIe siècle en matière de langues, alors que le monde change et
que les États-Unis ne sont plus aujourd’hui la seule hyperpuissance.
On constate, d’ailleurs, une croissance rapide du pluriel
linguistique international du fait de la montée en puissance de langues
de pays émergents tel le chinois, et d’autres langues monde comme
l’espagnol. Le multilinguisme tant individuel que collectif a le vent en
poupe.
Cependant, si on s’enferme dans l’unilinguisme anglais, alors le
multilinguisme international qui est en train de se construire se fera
sans la langue française.
Une double évidence s’impose, la faiblesse du français face à
l’anglais en tant que langue unique, la force du multilinguisme face au
concept de langue unique en général et à l’anglais en particulier.
Ajoutons que le français est aussi un atout économique. Porte-étendard
de la diversité culturelle, c’est une langue utile. La plupart des
investisseurs en Afrique l’apprennent. Même les Chinois.
C’est, de même, un atout universitaire. Le français est attractif.
Les gros bataillons d’étudiants étrangers de la France viennent des pays
francophones. Faut-il renoncer à cet avantage ? Ils sont très nombreux
aussi qui viennent d’ailleurs et qui parlent français, par exemple de
Chine où la demande de français explose.
ire que le basculement à l’anglais augmentera l’attractivité des
établissements d’enseignement supérieur français, c’est oublier que les
bons étudiants ne parlant pas français préféreront toujours l’original à
la copie, c’est-à-dire les universités anglophones, et c’est faire fi
des conséquences négatives sur l’image du français. Multiplier les
programmes anglophones en France et à l’étranger, c’est se tirer une
balle dans le pied, en montrant à la face du monde que la France ne
croit plus à l’universalité de sa langue.
Par ailleurs, sacrifier au tout-anglais nos autres atouts légués par
nos aînés et deux mille ans d’histoire serait contraire à l’intérêt
français et une véritable folie.
Une folie car le choix de l’anglais langue unique amènera au
décrochage des pays qui utilisent le français comme langue
d’enseignement. Ce sera la fin de la francophonie. Pourquoi les pays
francophones continueraient-ils à utiliser le français dans
l’enseignement supérieur et la recherche si la France elle-même s’en
détourne ? Comment continueraient-ils à enseigner en français si la
France ne considère plus sa langue comme une langue importante ? De
plus, outre la fin programmée de la francophonie, ce serait le déclin de
l’influence de la France et de son universalisme.
On veut faire croire que, dans l’Afrique francophone où il est langue
d’enseignement, le français est assuré d’un développement exponentiel
du fait du fort accroissement démographique africain en cours. Pour ce
courant de pensée, quelque 700 millions de personnes devraient parler
français en 2050. Mais ceci n’est naturellement possible que si le
français s’enracine en tant que langue africaine et que si, en cours de
route, les pays d’Afrique n’abandonnent pas le français. Soyons
conscients qu’il peut en être autrement, surtout si les Français
continuent à déconsidérer leur langue et si la France ne fait pas
l’effort de contribuer, comme par le passé, à son enseignement à
l’étranger. Des craquements avertisseurs se font déjà entendre au
Rwanda, au Gabon et même au Sénégal.
Une folie car le choix de l’anglais comme langue unique, sonnant le
déclin de la France, affaiblira l’identité française et la nation qui
reposent toutes deux sur une vision spécifique du monde, fruit d’une
longue histoire allant de Saint-Louis à la République.
Tout sacrifier sur l’autel de la langue unique en pensant à tort que
c’est la meilleure, voire la seule manière de faire pour accéder à la
modernité et jouir de la prospérité, c’est accepter sa subordination et
l’assimilation à un autre univers, et mettre à mal l’indépendance
intellectuelle de la France.
Mais la tâche est difficile, les combattants de l’uniformité avancent
à marche forcée. Il faut stopper immédiatement le basculement vers
l’anglais langue unique sinon, telle une avalanche, il balayera tout sur
son passage. Il s’agit de s’engager fermement dans la promotion du
multilinguisme, ce qui suppose des politiques linguistiques affirmées et
cohérentes : apprentissage de deux langues étrangères dès le plus jeune
âge, promotion du français à l’international, généralisation du
multilinguisme dans la société.
Les vrais modernes, ce ne sont pas ceux qui prônent l’anglais partout
et avant tout, mais ceux qui mènent le combat de la diversité et du
multilinguisme. Ils ont un train d’avance.
Michel Guillou