Le
Monde du 20 octobre nous fait part de cette « surprenante
découverte pour des chercheurs américains : selon une étude publiée mardi 19
octobre, une variation génétique qui protégerait de l'alcoolisme vient d'être
découverte, ouvrant ainsi la voie à de potentiels traitements préventifs. Cette
variante du gène "CYP2E1" est liée à la réaction à l'alcool. Chez 10
à 20 % des personnes ayant cette caractéristique génétique, quelques verres
suffisent pour qu'elles se sentent plus ivres que le reste de la population (…)
».
Les
Américains -le sont-ils toujours ? - furent un temps à la recherche du
gène de l’homosexualité. Maintenant, c’est le gène de l’alcoolisme. Ces
recherches sont sous-tendues par une idéologie : les comportements humains
s’expliquent par des raisons « objectives », exclusivement
somatiques, l’organisation sociale ne peut en aucun cas en être rendue
responsable. L’ordre de la Création est un ordre divin…
Pourtant,
les colons britanniques en Amérique importèrent avec eux-mêmes les idées de
Locke, matérialiste sensualiste, qui fut à l’origine d’une philosophie féconde.
En France, il est vrai. « Le disciple direct et l'interprète français
de Locke, Condillac, dirigea aussitôt le sensualisme de Locke contre la
métaphysique du XVIIe siècle. Il démontra que les Français avaient eu raison de
rejeter cette métaphysique comme une simple élucubration de l'imagination et
des préjugés théologiques. Il fit paraître une réfutation des systèmes de
Descartes, Spinoza, Leibniz et Malebranche. Dans son Essai sur l'origine
des connaissances humaines, il développa les idées de Locke et démontra que
non seulement l'âme, mais encore les sens, non seulement l'art de former des
idées, mais encore l'art de la perception sensible, sont affaire d'expérience
et d'habitude. C'est de l'éducation et des circonstances extérieures que
dépend donc tout le développement de l'homme ».
Condillac
est le maître à penser d’un babouviste éminent : Antonelle. Mais c'est
chez Helvétius (1715-1771), qui part
également de Locke, que le matérialisme prend son caractère spécifiquement
français. Helvétius (De l’Esprit, 1758, De l'homme, 1772) le conçoit
d'emblée par rapport à la vie sociale. Les propriétés sensibles et
l'amour-propre, la jouissance et l'intérêt personnel bien compris sont le
fondement de toute morale. L'égalité naturelle des intelligences humaines,
l'unité entre le progrès de la raison et le progrès de l'industrie, la bonté
naturelle de l'homme, la toute-puissance de l'éducation, voilà les éléments
principaux du système d’Helvétius. Charles Germain, athée, babouviste, est un disciple
d’Helvétius. L’Assemblée générale du clergé de France de 1770 a consacré ses
débats à répliquer à Helvétius, lui portant contradiction sur le point
essentiel de l’organisation sociale de la production et vantant les mérites de
la seule initiative individuelle (et de la charité pour les nécessiteux) (sur
ce point, cf. le chapitre A5 de mon livre, ('ombres & Lumières').
Quand
on étudie les doctrines matérialistes de la bonté originelle et des dons
intellectuels égaux des hommes, de la toute-puissance de l'expérience, de
l'habitude, de l'éducation, de l'influence des circonstances extérieures sur
l'homme, de la grande importance du travail, de la légitimité de la jouissance,
etc., il n'est pas besoin d'une grande sagacité pour découvrir les liens qui
les rattachent nécessairement aux idées révolutionnaires de transformation
sociale.
Mais
c’est précisément pour cela que les Américains, dans leur grande majorité,
veulent prendre le contre-pied de ces idées progressistes et mettre l’accent
soit sur le « gène », soit sur le caractère peccamineux de l’homme
(dont la pomme est restée au travers de la gorge), soit - pire encore- sur le
choix de Dieu qui abandonne certaines de ses créatures pour « élire »
ceux qu’il a choisis selon une procédure impénétrable.
Voilà
à quoi me fait penser cette info sur l’alcoolisme.
Allons
prendre un verre…