Cet article est de la même veine que celui qui l’a précédé et concerne le vote des "cités". Lien : Le Front de Gauche séduit les cités, oui…mais ! (1ère partie : Marseille) . Après Marseille, Toulouse. Puis je donnerai l’exemple de la cité des Minguettes à Vénissieux (69).
TOULOUSE
Le journal L’Humanité publiait, au lendemain du premier tour de la présidentielle, un article consacré aux résultats obtenus par Jean-Luc Mélenchon dans ce qu’il est convenu d’appeler « les cités », titre : "De Marseille à Gennevilliers, le Front de gauche séduit les cités" [1]. « Dans les quartiers nord de la cité phocéenne, dans ceux de la rive gauche de la Ville rose ou dans les bastions rouges de la banlieue parisienne, Jean-Luc Mélenchon a frisé, voire dépassé la barre des 20%. La défense du vivre ensemble contre les discours anti-immigrés y a trouvé un écho favorable, relayé par de solides réseaux militants. Dans les quartiers populaires, le premier tour a été un plébiscite pour la gauche. Elle réunit plus de 75% des voix, dans le quartier de la Grande Borne à Grigny (Essonne) ou dans la cité des Cosmonautes à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Dans ces territoires, François Hollande dépasse allègrement les scores atteints en 2007 par Ségolène Royal, profitant d’un profond désaveu de Nicolas Sarkozy, en net recul. Mais c’est surtout dans ces zones populaires et urbanisées que Jean-Luc Mélenchon réalise ses meilleurs scores, dépassant souvent les 20% en banlieue parisienne. Là où le Front de gauche progresse, notamment grâce à un puissant réseau de militants, le FN est contenu ». L’article -dont on vient de lire le « chapeau »- est signé par trois auteurs, chacun ayant visité une cité dans une métropole : Christophe Deroubaix à Marseille, Pierre Duquesne à Gennevilliers et Bruno Vincens à Toulouse. Comme je possède les numéros du Journal La Dépêche du midi qui rend compte des résultats toulousains, bureau par bureau, j’ai prolongé les observations de Bruno Vincens. Voici d’abord son texte :
« Bagatelle, la Faourette, Papus, trois quartiers populaires toulousains où le Front de gauche a suscité un espoir auprès des habitants[2]. Sur l’ensemble de ces trois quartiers voisins (11 bureaux de vote), Jean-Luc Mélenchon obtient 1.255 voix (18%). Il dépasse ici sa moyenne nationale et sa moyenne toulousaine (15,9%). Sur ce même secteur, il fait mieux que Sarkozy (16,5%) et distance Le Pen (12,4%). Cf. infra tableau élaboré par mes soins, JPR). En détaillant par quartier, on constate que Mélenchon recueille un total de 501 voix (18,2%) dans les quatre bureaux de vote de Papus. Isabelle Cordray, quarante-neuf ans, habite ce quartier. Cette aide à domicile au chômage a voté Mélenchon : «Il dit des choses vraies. La politique de Sarkozy profite aux riches. Quitte à changer de politique, pourquoi pas Mélenchon ? » Martine Andurand, cinquante-quatre ans dont quinze dans le quartier Papus, a fait le même choix. Par le passé, cette assistante d’école maternelle – actuellement sans emploi – a voté pour les Verts ou les Alternatifs. Mais, le 22 avril, son choix était clair : elle a accordé ses suffrages au Front de gauche depuis les élections régionales de 2010. Explication de son vote : «Le Front de gauche a la volonté de rassembler des groupes, des citoyens. Mélenchon dénonce le capitalisme, la BCE, les méfaits de la finance. Ce qui m’intéresse aussi : donner davantage la parole aux citoyens. J’ai envie que le Front de gauche prenne de l’ampleur». Quant à Georges Valentino, cadre au chômage habitant le Mirail tout proche, il s’enthousiasme : «Je cherchais une structure fédérative, je l’ai trouvée avec le Front de gauche. Cette structure ne peut s’arrêter, il y a trop de souffrance sociale. Le Front de gauche a pour logique de changer la société ». Dans les quatre bureaux de vote de la Faourette, Mélenchon totalise 398 voix (17,3%). C’est mieux que Le Pen (10,8%), mais moins bien que Sarkozy (18,4%). Marie-Hélène Marty, orthoptiste, vit et travaille à la Faourette : «Je n’ai pas eu d’hésitation, mon vote Front de gauche était décidé de longue date». Marie- Hélène est une ancienne sympathisante socialiste, «mais depuis une dizaine d’années, le Parti socialiste s’adapte au système capitaliste, pose quelques rustines». Elle dit avoir parfois voté PCF. «Et puis, il y a eu l’émergence du Front de gauche». Pour elle, cette nouvelle force politique signifie «autre mondialisation» et «esprit de résistance». Autres thèmes qui l’ont convaincue : «La volonté de fonder le pouvoir autrement et la revendication d’une VI° République». Sa crainte aujourd’hui est de voir les sensibilités du Front de gauche ne plus s’entendre. «J’espère que ça va tenir le coup!». Une habitante de la Faourette qui veut rester anonyme a voté Front de gauche. Dans son bureau, le n°181, Jean-Luc Mélenchon (17,9%) dépasse Sarkozy et laisse Le Pen (9,1%) loin derrière. Cependant, l’abstention est forte (32,9%). «Il n’y a pas de cheminement vers le vote Mélenchon, assure-t-elle. C’est le fait de citoyens engagés qui ont des convictions affirmées. Moi, je n’ai pas hésité». Tout près de là, dans le quartier Bagatelle, l’un des plus défavorisés de Toulouse, Mélenchon réussit le remarquable score de 18,4%. Presque deux fois plus que Le Pen (9,5%). Pourtant, le FN obtenait, dans un passé récent, des résultats très élevés. L’abstention, encore forte, a elle aussi reculé le 22 avril. Les temps changent à Bagatelle. Peut-être la réhabilitation du quartier, engagée par la mairie, y est-elle pour quelque chose. De même que les militants du Front de gauche, pas nombreux mais très actifs. Mireille Dunand, ancienne socialiste, a rejoint le PCF voici cinq ans : «Plus on avançait dans la campagne, plus les gens acceptaient les tracts qu’on distribuait devant la poste ou au métro». Dans l’immeuble de dix-sept étages où habite Mireille, le vote Front de gauche n’est pas encore au cœur des conversations, mais elle suppose des changements de fond : «Peut-être que d’anciens électeurs FN ont voté Mélenchon»… Bruno Vincens à Toulouse. Fin de citation.
Comportement des quartiers au 1er tour de scrutin
Etabli à partir des chiffres fournis par la Dépêche du midi du 23 avril 2012.
Comportement des quartiers au second tour du scrutin.
source : Établi à partir des chiffres fournis par la Dépêche du midi du 7 mai 2012.
Au bureau 175 du quartier Bagatelle, école G. Hyon, le referendum anti-Sarkozy s’exprime le plus nettement : 81,9% de "non" -comprendre votes Hollande- et 18,1% pour le président sortant, ce qui représente moins de 12% des électeurs inscrits. Pour l’ensemble de la Cité et ses 10059 électeurs, le rapport en exprimés est de 72/28 et, en inscrits de 50/20. Le vote Hollande ne dépasse pas la majorité absolue des inscrits (49,2) à cause d’une très forte abstention : 28,3%. L’abstention dans les cités est donc un phénomène d’ampleur nationale. Dans le canton de Toulouse-VIII, l’abstention n’est que de 14,8% et le président sortant fait presque jeu égal avec le candidat F. Hollande : 48,5 pour N. Sarkozy contre 51,5 pour son adversaire. La consigne de vote blanc lancée par LePen n’a guère été suivie. D’une part, la participation électorale augmente entre les deux tours, d’autre part, le pourcentage de votes exprimés ne baisse que de 0,7% alors qu’au premier tout, la candidate FN avait obtenu 865 voix et 12,38% des suffrages exprimés. Au bureau 170, école Papus, le nombre de voix Sarkozy au 2ème t. est strictement égal à la somme des voix obtenues au 1er t. par chacun des deux candidats : 87 + 159 = 246[3]. Ce qui s’est passé dans les cités de Marseille et de Toulouse se retrouve à Vénissieux, bien connue pour sa cité des Minguettes.
L’exemple des Minguettes (Vénissieux-69) La cité des Minguettes est célèbre chez les urbanistes, les sociologues et les forces de police (pas toujours, n’exagérons pas). En 1981, il y eut "l’été chaud des Minguettes". Bref, c’est une "cité". Là aussi le vote-refus du candidat sortant est massif. Le comportement ANBl. est ici aussi excessivement élevé : 34,2%.
Très beau score de Jean-Luc Mélenchon, là aussi nettement supérieur à son score national. Par rapport au résultat obtenu par Mme M.-G. Buffet en 2007, il s’agit d’une ascension verticale. Mais on ne peut pas ne pas voir aussi le résultat de F. Hollande qui obtient la majorité absolue des exprimés sur l’ensemble de ce quartier des Minguettes. Qu’a-t-il fait pour obtenir ce score ? Mystère. Jean-Luc Mélenchon a semé le bruit et la fureur dans les rangs lepénistes, il a parlé de « nos peuples frères, arabe et berbère, du Maghreb » ce qui était en avance sur de très nombreuses consciences, les you-you animaient ses meetings mais les votes sont allés sur Hollande. Lequel ne manquait pas de rappeler l’utilité du vote utile… en sa faveur, mais n’a pratiquement rien dit sur le F.N.. Au second tour, le vote-rejet est encore plus ample qu’à Marseille-15°. L’appel au vote blanc de LePen n’a rien donné. Le nombre d’exprimés est supérieur au second tour à celui du premier.
source : Etabli à partir des chiffres fournis par Le PROGRES de Lyon (les deux tableaux).
Au bureau 26-Paul Langevin, le rejet est de l’ordre de 85,8%... En guise de conclusion : Après Toulouse et Vénissieux, on pourrait citer également le cas du quartier de la Grande-Borne, à Grigny -dans l’Essonne- où le candidat du Front de gauche a obtenu 21,3% au premier tour. Il avait tenu un meeting important au fort retentissement. Organiser un meeting dans ces quartiers -où d’ailleurs des caïds locaux avaient tenté de s’interposer- n’est pas chose aisée[4]. Beau meeting, beaucoup de monde, mais on vote majoritairement… Hollande qui obtient comme à Vénissieux ou Marseille, 85,1% des voix exprimées, au second tour, dans un bureau de la Grande-Borne. Il est hors de doute que le Front de gauche a gagné en influence dans les "cités". De même, il est hors de doute que le vote "utile" a fonctionné à fond au détriment de Jean-Luc Mélenchon. Le candidat socialiste a bien joué sur cette corde. Mais il a bénéficié aussi du TSS : tout-sauf-Sarkozy. Maigre comme programme...
[1] Numéro du 2 mai 2012. [2] Ces trois quartiers de la ZUP du Mirail appartiennent tous au 11° canton de Toulouse (Toulouse XI). [3] C’est éclatant, mais cela ne signifie pas obligatoirement que tous les électeurs FN aient voté NS. Par exemple, 5 électeurs Bayrou ont pu voter NS et 5 électeurs FN s’abstenir, etc…et le total reste à 246. Mais restons-en aux grandes lignes. [4] « Dimanche 1er avril 2012, Jean-Luc Mélenchon était en déplacement à Grigny dans l'Essonne où il a rencontré les habitants du quartier populaire de la Grande Borne avant de prononcer un discours, sur le stade du Bélier, devant 5000 participants ». La vidéo du meeting est disponible sur le blog de J.-L. M. http://www.jean-luc-melenchon.fr/?s=grigny |
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