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TERRA NOVA OU… TERRA NULLIUS ? Le territoire français en 2017

publié le 19 mai 2017, 09:35 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 14 déc. 2017, 04:21 ]

Au moment de la passation de pouvoir entre Hollande et Macron, les journaux tentent de réaliser un " état des lieux" après un quinquennat improbable. J’ai déjà publié des articles qui montrent bien le délabrement de certaines portions de notre territoire. En filigrane, il y a recherche de l’explication du vote LePen dans nos campagnes. Combien se sont étonnés de l’ampleur du vote FN alors "qu’il n’y a pas d’immigrés chez nous" ? C’est que la problématique de l’immigration est passée, plus ou moins, derrière la préoccupation émergente chez nos compatriotes : la désertification des pays de nos provinces.

Un des problèmes les plus aigus est celui des "déserts médicaux". Il vient d’ailleurs de se créer une "Association de citoyens contre les déserts médicaux". Voici un article qui nous donne un solide cas concret anti-bavardage.

Le village où il est interdit de mourir chez soi

Un arrêté absurde pour attirer l’attention sur une situation dramatique. Hier, faute d’avoir réussi à trouver un médecin pour constater un décès sur sa commune, Christophe Dietrich, le maire sans étiquette de Laigneville dans l’Oise, a publié un arrêté "portant interdiction de décéder à domicile" sur le territoire de la commune. En cause : la pénurie de médecins.

"J’ai été confronté à un véritable parcours du combattant pour trouver un médecin qui accepte de constater le décès. Cela a pris plus de cinq heures, alors qu’il faisait 30 degrés, et que le corps se décomposait", s’insurge l’élu local qui, faute de trouver un médecin disponible, avait bataillé avec l’Agence régionale de Santé pour qu’elle fasse venir le SMUR. Sous le coup de la colère, il a décidé d’attirer l’attention par une décision "absurde" et "irréalisable" : interdire à ses concitoyens de mourir chez eux. Son objectif : forcer les pouvoirs publics à trouver des "réponses concrètes et rapides".

Instaurer des quotas

    "Ce qui arrive aujourd’hui avec les morts préfigure ce qui se passera demain avec les vivants. Dans six mois, les deux médecins de ma commune partent à la retraite et ils n’ont pas de remplaçants", s’alarme le maire de la commune de 5 000 habitants.

    Ses pistes de solutions ? L’élu plaide pour une refonte des études médicales, avec une "régionalisation des diplômes[1]. Un médecin qui serait formé en Picardie devrait ainsi y rester dix ans". Il réclame également un "numerus clausus régional, adapté aux besoins locaux". Enfin, il voudrait une réglementation de l’installation et des quotas de médecins par habitants. "Chez mes parents dans le Var, il y a six médecins pour 3 500 habitants, alors qu’il n’y en aura bientôt plus aucun pour mes 5.000 administrés", déplore Christophe Dietrich, aujourd’hui condamné à l’impuissance. "Les habitants me reprochent l’absence de médecins, mais ce sont des libéraux, je ne peux pas leur mettre le pistolet sur la tempe pour leur dire de venir chez nous ! "

    Selon le dernier rapport du ministère des Affaires sociales, 8 % de la population française vit dans une commune "sous dense" en médecins généralistes. Un phénomène qui touche des espaces ruraux mais aussi des villes (un quart de cette population réside dans un pôle urbain). Les régions les plus touchées sont les Antilles Guyane, la Corse, Centre-Val-de-Loire, Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche Comté et Île-de-France. Par ailleurs : près de 4 millions de personnes, soit 6 % de la population, résidaient à plus de 30 minutes d’un service d’urgences ou d’un SMUR (Structure mobile d’urgence et de réanimation) fin 2015 en France.[2]

 

Article signé Élodie BECU.

 

Autre problème, l’inégalité d’accès aux télécommunications. La gestion inégalitaire des réseaux participe à la désertification de certains territoires. Voici un autre cas concret anti-bavardage. Nous sommes dans les Cévennes insoumises, à Saint-Germain-de-Calberte bien connu des lecteurs de ce site.

Territoires. Les naufragés du téléphone

Émilien URBACH

Jeudi, 18 Mai, 2017

L'Humanité

 

Dans ce département cévenol, la mauvaise gestion des réseaux de télécommunications par Orange met en danger des villages entiers et leur population.

Leur camion est arrêté dans un virage, sur le bas-côté d’une route bordée de châtaigniers. Ce lundi 15 mai, en Lozère, à équidistance de Saint-Étienne-Vallée-Française et de Saint-Germain-de-Calberte, deux hommes travaillent. Ils sont employés d’une entreprise sous-traitante d’Orange, le géant de la téléphonie.  "On dépanne un client," explique l’un d’eux", aux prises avec un boîtier téléphonique mal accroché à son poteau électrique. On intervient tous les jours. Les installations sont vétustes. Certaines ont plus de quarante ans. ".

Les problèmes avec le téléphone fixe, le portable ou encore le haut débit Internet sont monnaie courante dans ce département cévenol. Et suscitent la colère des élus et de la population. Au début du mois, le député LR de Lozère, Pierre Morel-À-l’Huissier, a sonné le rappel en adressant une lettre à tous les maires de sa circonscription : « J’estime que le comportement d’Orange, avec les lignes coupées, poteaux dangereux, fils cassés… et l’absence de services, peut conduire à des risques avérés en matière de sécurité publique et à des responsabilités juridiques. » Le maire (PS) de Saint-Sauveur-de-Peyre, Michel Guiral, a, pour sa part, déposé une plainte contre Orange pour « délit de mise en danger de la vie d’autrui, par négligence », après que ses 300 administrés ont vu leur ligne téléphonique coupée pendant quinze jours.

(ci-contre : Gérard Lamy, maire de Saint-Germain-de-Calberte, devant un poteau de distribution du haut débit à terre. Exemple d’une mission de service public à l’abandon. Jean-Claude Azria

Économie ou santé, tous les secteurs sont touchés

La situation n’est pas nouvelle. Le maire communiste de Saint-Germain-de-Calberte, Gérard Lamy, mène depuis plusieurs années le combat pour que l’opérateur historique remplisse sa mission de gestionnaire du « service universel de télécommunication s». « Après les mobilisations, en 2014 et 2015, Orange a fait un effort d’entretien, raconte l’édile. Mais la petite embellie n’a pas duré. Des centaines de mètres de câbles sont encore à terre. » L’homme sait de quoi il parle. Il connaît bien les conséquences de l’abandon par Orange de sa mission de service public. Sa compagne, Sabine, est agricultrice et en a récemment fait les frais. "Une brebis était en train d’agneler, se souvient-elle, la mise bas s’est mal passée et j’avais besoin d’aide. Il fallait faire vite. J’ai tenté de joindre mon mari mais le réseau ne fonctionnait pas. J’ai réussi à sauver la mère mais pas l’agneau.".

Le conseil départemental a bien mis en place un plan pour déployer la fibre en Lozère. Mais, finalement, seules quelques communes en bénéficient. Chez eux, Sabine et Gérard accèdent à Internet par satellite. "Au final, on paie plus cher que partout ailleurs et pour un service médiocre", résume l’agricultrice. Une inégalité particulièrement sensible dans ce département où 16 % de la population vivent sous le seuil de pauvreté.

Tous les secteurs de la société sont concernés. "Ça impacte directement l’organisation des soins", tempête Géraldine, infirmière libérale dans le secteur. "Lorsque les patients sortent de l’hôpital, ils ne parviennent pas à me joindre. Parfois je n’ai même pas leur message et la communication avec les autres infirmières ou le médecin est parfois impossible.". Heureusement, aucun drame n’est encore survenu. Mais, à une dizaine de kilomètres, le maire (DVD) de Saint-Étienne-Vallée-Française, Gérard Crouzat, se souvient d’un jour de marché. "Une dame âgée a fait un malaise, raconte-t-il. Nous avons un secouriste parmi nos employés municipaux. Ça aurait dû être simple d’intervenir.". Mais il n’est jamais parvenu à le joindre. "Nous n’allons pas tous mourir", ironise Jean-Marc Maréchal, médecin généraliste et commandant des pompiers, "mais, au XXIe siècle, tout le monde devrait avoir le même accès à ces services.".

Le péril n’est d’ailleurs pas seulement sanitaire. L’économie locale est directement touchée par ces dysfonctionnements. Daniel Martin-Borret est un créateur de fictions radiophoniques plusieurs fois primé. Depuis la Lozère, les échanges avec ses producteurs passent principalement par Internet. « Grâce à la mobilisation d’élus comme Gérard Lamy, j’ai finalement un accès au haut débit qui me convient », explique l’artiste, qui habite à proximité du central téléphonique du village. Mais, à 4 kilomètres de là, Coralie n’a pas cette chance. Elle gère une société de travaux publics. Pour elle, impossible d’avoir une comptabilité en ligne. Coralie ne compte pas, non plus, les fois où elle ne parvient pas à joindre le conducteur de travaux de son entreprise sur le terrain. « Et puis, maintenant, les appels d’offres sont dématérialisés, ajoute-t-elle. Le temps de les télécharger et de renvoyer une proposition, on perd le contrat. »

Coralie est aussi mère de famille et adjointe au maire de Saint-Germain.  "Mon téléphone portable, c’est mon bureau" explique-t-elle. "Mais ça ne marche jamais. Il y a même des personnes au fin fond des vallées qui n’ont accès ni au mobile ni au filaire. Les employés de la mairie de Saint-André, non loin d’ici, n’ont même pas Internet à la mairie… " La jeune élue multiplie les exemples avant de conclure, se levant pour aller chercher ses enfants à l’école : "On paie les mêmes impôts, on devrait avoir accès aux mêmes services !"

La question est cruciale pour toute la population et devient un des combats principaux des élus. "Qu’il s’agisse du filaire, du mobile ou du numérique, la gestion inégalitaire des réseaux polarise l’activité et participe à la désertification de certains territoires," commente Robert Benoit, élu communiste à la communauté de communes de la Vallée longue et du Calbertois. Ces problèmes nuisent au maillage social. Et s’ils persistent, des villages pourraient se transformer en simples zones de passage où il deviendrait impossible de faire société. ". À Saint-Germain-de-Calberte, on ne s’y résout pas.

 

Par rapport à ces réalités qui abondent la désespérance de certains de nos compatriotes, il a y des "têtes d’œuf" qui décident que, quant à elles, tout va bien. Voici un texte du directeur des études de la fondation TERRA NOVA qui, dans l’état des lieux dressé par LE PROGRÈS de Lyon (13 mai 2017), place le territoire comme l’un des grands atouts de la France à l’aube de cette ère nouvelle inaugurée par l’élection d’un nouveau président jeune, dynamique, moderne.  

Après la «"fracture sociale" », on a beaucoup parlé de «"fracture territoriale" » au cours de la campagne électorale. Pourtant, loin du dualisme américain ou britannique, le rapport au territoire constitue un atout majeur de notre pays. Pourquoi ? Oublions les clichés sur "Paris et le désert français" : il y a longtemps que la province est dynamique. Le développement métropolitain se fait désormais à Marseille, Lyon, Toulouse, Nice; Nantes... Grâce à nos amortisseurs sociaux (sic), au maillage des services publics (sic, JPR), aux choix résidentiels des retraités qui privilégient les façades maritimes (et pourquoi ne privilégient-ils pas les campagnes ?), ces ensembles redistribuent massivement la richesse vers le reste du territoire (jusqu’au bout ?). La qualité et la densité des infrastructures (re-sic), l‘attractivité de notre patrimoine, la variété des paysages, la diversité de nos voisinages font de la géographie française un atout européen et même mondial qu'il faut valoriser.

On a là un texte à la langue de bois exercée, un texte écrit depuis la statue de la liberté new-yorkaise, c’est-à-dire complètement déconnectée du réel franco-français. Il est vrai que l’objectif est de vendre, oui vendre la France aux investisseurs étrangers. Rien n’est trop beau, dans ces conditions. Ainsi, le département de l’Isère est devenu Alpes IsHere (Isère = Is here, vous sentez le jeu de mots ? clin d’œil aux anglo-saxons mais pas que…). Les hommes politiques sont devenus des commerciaux et s’achètent les services d’officines spécialisées [3].

 

II. Vote F.N. et vote ouvrier : le cas de la MOSELLE

Aux sources du vote FN : Les métropoles et le désert français, par G. Marin

Lehaucourt, le village malheureux qui vote Le Pen, par Luc Chaillot



[1] Maladroit. Ceci va provoquer des réactions du genre « médecine pour les pauvres et médecine pour les riches. Les diplômes doivent être nationaux.

[2] Article publié, entre autres, par LE PROGRÈS, DNA, le BIEN PUBLIC (Dijon), etc… Lire aussi

[3] Lire la chronique de F. Combes et P. Latour, "La France en solde", L'Humanité du 18 mai 2017.

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