On apprend à l’instant la nomination d’un Premier
Ministre LR à Matignon. J’en étais resté à l’idée – non inexacte – que Macron
avait ressuscité la Troisième force de la IV° république. A côté de la SFIO (les sociaux-libéraux
de la rue de Solférino), du parti Radical (celui de Borloo et celui de Baylet) on
aurait eu le MRP (incarné aujourd’hui par le courant Bayrou) et – Phoenix
sortant de ses cendres - le vieil Indépendants&paysans
incarné par Alain Madelin. En fait, le panel est incomplet. Voici que le
courant LR dans sa variante juppéiste, que l’on n’ose pas appeler "gaulliste" –
par respect pour le Général – est intégré dans ce fourre-tout.
L’Humanité (15 mai 2017) a eu le nez creux
en interviewant – avant la nomination de l’hôte de Matignon- le politologue
Jérôme Sainte-Marie, selon lequel "Emmanuel Macron rassemble libéralisme
économique et libéralisme culturel, satisfaisant un bloc élitaire qui se sent
menacé". C’est la réunification de la bourgeoisie.
Voici le texte de cette interview.
J.-P. R.
"Emmanuel Macron incarne la réunification de la
bourgeoisie"
Entretien
réalisé par Christophe Deroubaix
Lundi, 15
Mai 2017
L'Humanité
Vous
affirmiez quelques jours avant le second tour que la bourgeoisie avait trouvé
son candidat en Emmanuel Macron. Dans le même temps, celui-ci a été considéré
comme le rempart de la République face à l’extrême droite. Qui a gagné dimanche
dernier ? La bourgeoisie ou la République ?
Jérôme
Sainte-Marie C’est en effet ce que j’ai dit même si je suis un peu sorti de
mon rôle ! (Rires.) Commençons par le contenu idéologique de l’offre d’Emmanuel
Macron, qui est très clair : il s’agit de la réunification de tous les
libéralismes, le libéralisme économique et le libéralisme culturel. L’illusion
que la gauche pouvait promouvoir le libéralisme culturel sans en tirer de
conséquences quant au libéralisme économique – et inversement pour la
droite – vole en éclats. Hamon et Mélenchon figurent le renouvellement du
libéralisme culturel sans le libéralisme économique. Fillon, c’est le
contraire. Cette réconciliation des deux libéralismes est également inscrite
dans les traités commerciaux internationaux, comme le Tafta. Elle est portée
sur le plan international par des chefs d’État comme Justin Trudeau.
Les élites des deux bords se retrouvent idéologiquement.
Cela correspondant aussi à une pratique politique des gouvernements de droite
ou de gauche, dont la convergence, quinquennat après quinquennat, était
toujours plus éclatante. Mais les alternances divisaient de plus en plus
artificiellement le bloc élitaire, que l’on peut appeler plus clairement la
bourgeoisie. Cette dernière s’est rendu compte que ses divisions historiques
étaient fatales à la mise en œuvre de son projet commun de réformes. Elle s’est
donc réunifiée sous la forme du bloc élitaire. Cette réunification aurait pu se
produire entre les deux tours. Cela s’est fait de manière plus brutale et plus
rapide, avant même le premier tour, avec la création du mouvement En marche !
d’Emmanuel Macron. Ce dernier incarne parfaitement cette réunification
idéologique et sociale de la bourgeoisie française pour donner aux réformes la
plus grande force propulsive possible.
Ce projet est-il
majoritaire dans la société française ?
Jérôme
Sainte-Marie : Soulignons d’abord que le premier tour a révélé un vote
de classe d’une puissance inédite, du moins depuis les années 1970. C’est
aujourd’hui une réalité aveuglante. On n’avait pas vu cela depuis le référendum
de 2005.
On a,
d’un côté, les catégories populaires, qui représentent la majorité du salariat,
dont le vote s’est divisé entre Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen. De
l’autre, François Fillon et Emmanuel Macron ont rassemblé le bloc élitaire
– les chefs d’entreprise, les cadres en général, les détenteurs de
patrimoine, donc beaucoup de retraités, et aussi, parmi les jeunes, certaines
catégories d’étudiants. Ces deux blocs rassemblent chacun entre 40 et 45 %
des suffrages exprimés. Le voile d’illusion idéologique que représentait le
clivage gauche-droite est en train de se déchirer.
À cette occasion, la réunification de la bourgeoisie est
éclatante. Globalement, le bloc élitaire, c’est la France qui a voté oui en
2005. Cela lui donne un avantage pour gouverner puisqu’il domine sans partage
l’appareil de l’État et la direction des grandes entreprises. Plus durablement,
toutes les structures institutionnelles convergent, y compris les instances de
contrôle. La division partisane de la bourgeoisie, notamment dans la haute
fonction publique et dans la direction des médias, constituait un garde-fou que
ce processus d’unification idéologique pourrait supprimer.
Ce qui est plus embêtant pour elle, d’un point de vue
politique, c’est que cela devient visible. Une domination s’affaiblit quand
elle avance sans masque. Par exemple, l’alternance sans véritable alternative
est la solution optimale pour maintenir l’ordre social. La clarification
actuelle, pour reprendre le mot de Manuel Valls, pourrait s’avérer une mauvaise
idée. La disparition de médiation entre le monde des affaires et le milieu
politique, avec un président de la République directement issu du premier,
constitue une transparence redoutable pour un système en crise.
Cette élection présidentielle marque
la fin d’un cycle. Quels sont les marqueurs du nouveau cycle ?
Jérôme
Sainte-Marie De manière
très schématique, la vie politique française a été longtemps structurée par
deux grands blocs, la gauche et la droite, subdivisés en leur sein par deux
forces. C’était le clivage politique qui était essentiel. Aujourd’hui, c’est le
clivage sociologique qui est primordial, en ce sens qu’il détermine les
opinions des électeurs et le comportement des élus. À l’intérieur de ce
clivage, les cultures politiques servent de nuancier.
Ce cycle qui s’ouvre sera marqué par
des tensions d’une intensité telle qu’on n’en avait pas connu depuis quarante
ans, dites-vous…
Jérôme
Sainte-Marie Lorsque
vous faites un travail sur la violence politique, vous vous rendez compte
qu’elle peut intervenir lorsque les clivages se superposent. Pour prendre un exemple
extrême, la révolte du prolétariat catholique en Irlande du Nord doit beaucoup
à la coïncidence des séparations sociales et des séparations religieuses. Cette
analogie peut servir pour analyser la situation politique française, en
remplaçant les différences religieuses par les oppositions partisanes. Le
premier facteur de tension est donc l’estompement du clivage gauche-droite au
profit d’un choc entre libéralisme élitaire et souverainisme populaire. Intérêt
social et valeurs politiques coïncident. Le premier tour a ainsi permis une
forme de décantation sociologique, facilitée par l’affaissement du PS, qui
était devenu un parti interclassiste.
Le second facteur est que les Français ont de plus en
plus conscience que cette opposition sociale est fondamentale. Les études
montrent que leur explication de vote renvoie très souvent à des considérations
très matérielles, et antagonistes.
J’ajoute un troisième élément : si nous allons vers
des solutions à la Blair ou à la Schröder, même si la situation générale du
pays devait s’améliorer, dans ce modèle l’accroissement du bien-être de
certains pourrait s’accompagner d’une plus forte précarisation ou paupérisation
pour d’autres. Dans un pays de culture égalitariste comme la France, cela
générerait des tensions très fortes, qui trouveraient dans le nouvel ordre
démocratique une traduction politique directe. C’est tout le paradoxe de la "grande réconciliation" qu’incarne Emmanuel Macron.
PS : le nouveau locataire de Matignon s'appelle .. zut, j'ai égaré la référence