D. de VILLEPIN et la présence gaulliste...
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L'ancien premier ministre appelle de
ses vœux un traitement ciblé et impitoyable de la menace terroriste mais
refuse le terme de guerre et les visions «globalisantes».
«LA
FRANCE EST EN GUERRE», A DIT MANUEL VALLS…
Nous
sommes face à un choix. Soit la logique de guerre, en considérant qu'il n'y a
qu'un front continu, de l'extérieur jusqu'à l'intérieur. Nous choisissons
alors la surenchère militaire, l'exclusion de ceux qui ne pensent pas comme
nous sans pour autant penser comme nos ennemis. Cela signifiera, ici comme
là-bas, toujours plus de guerre. Soit nous choisissons la fidélité à
nous-mêmes. Nous gardons à l'intérieur le cap de nos repères républicains en
rassemblant et en unifiant, et nous gardons à l'extérieur nos repères
gaullistes, qui sont une politique de sécurité nationale mais dans le souci
du monde, la recherche de solutions et l'esprit de dialogue. Face au drame
qui l'a frappée, la France a montré une grande dignité. La mobilisation
nationale et populaire a été un sursaut impressionnant. Le peuple a choisi
d'instinct la fidélité à la France. Ce dernier choix me paraît être à la fois
le plus juste et le plus protecteur.
POURQUOI?
Le
terrorisme nous tend un piège. Il veut nous pousser à la faute, et la faute,
c'est la guerre. Il vise à créer des amalgames et à fédérer des sensibilités
différentes, en s'appuyant sur des sympathies, un sentiment d'humiliation, de
rejet. Ainsi il peut élargir sa base au-delà des plus radicaux. Notre intérêt
est donc d'éviter l'engrenage de la force. L'idée d'un unique front extérieur
signifierait que la situation serait la même en Libye, en Syrie, en Irak, au
Mali. Or ce sont des théâtres d'opérations différents qui exigent une
approche fine. Chaque guerre appelle une nouvelle guerre. À l'agenda se
dessine une nouvelle intervention militaire en Libye ou encore au Nigeria.
Chaque guerre augmente l'image d'une guerre globale, celle d'un conflit de
civilisation entre Occident et Islam, et donc le pouvoir d'attraction de
l'ennemi djihadiste. La violence exerce un phénomène d'aimantation. Notamment
chez des jeunes en mal identitaire, en contestation, cela crée le sentiment
d'une mission, d'un statut, d'une reconnaissance. L'enjeu de la lutte contre
Daech, c'est d'empêcher la constitution de territoires du djihad offrant un
refuge à tous les apprentis terroristes. C'est le vide des États faillis qui
la rend possible. Il faut une mobilisation de tous les États de la région
pour réduire les fractures identitaires entre chiites et sunnites, entre Iran
et Arabie saoudite.
LES
DJIHADISTES QUI PARTENT DE CHEZ NOUS ET Y REVIENNENT SE PRÉSENTENT COMME DES
SOLDATS…
Ce
n'est pas parce que les djihadistes utilisent un langage guerrier que nous
devons l'adopter. Il faut vis-à-vis d'eux des politiques sécuritaires
impitoyables mais si nous parlons la langue de l'adversaire, nous nourrissons
leur propagande et leur mythologie.
QUELLE RÉPONSE ALORS ?
Le
terrorisme est un virus mutant, opportuniste : la traque est nécessaire. La
lutte est chirurgicale ; il faut être au plus près de la menace. Des
questions se posent: identitaires, religieuses, sociales, économiques.
Souvent elles s'agrègent dans le même lieu, le même quartier et le tout crée
un foyer. C'est ce qu'il faut éviter. Notre meilleure réponse, c'est de
prendre en compte la nature de la menace. C'est une menace criminelle appuyée
par des réseaux mafieux, des religieux radicaux et qui doit être traitée
comme telle. Nous devons repérer les itinéraires criminels, empêcher de
nuire, traduire en justice et condamner sévèrement. Il faut ensuite apporter
les solutions politiques qui permettent de circonscrire le mal. Il n'y a pas
une exigence de simplification mais une exigence de complexité. Il n'y a pas
qu'une bataille à mener mais plusieurs.
LESQUELLES
?
La
bataille de la sécurité mais aussi celle de l'unité nationale, du respect de
la loi, du respect de la laïcité. L'islam de France doit se réformer,
s'organiser mieux. Il y a des enjeux concrets de formation des imams et de
mutualisation des financements des œuvres de l'islam pour éviter toute
dépendance à des financements étrangers. À l'extérieur, nous ne devons pas
négliger l'importance du dialogue et du jeu des alliances. Nos seules
réponses diplomatiques ne peuvent être l'envoi de l'armée. Le militaire doit
s'accompagner d'une vision politique et stratégique. Il doit toujours être un
élément du clavier et pas tout le clavier. Les djihadistes prennent appui sur
notre passé colonial et ils trouvent là le moyen d'affirmer aux populations
que nous voulons, une fois encore, les dominer.
QUE
VOUS INSPIRENT LES RÉACTIONS A TRAVERS LE MONDE AU DERNIER NUMÉRO DE "CHARLIE HEBDO" ?
Hors
de chez nous, l'esprit de liberté peut être vécu par certains comme une
agression. Les islamistes se nourrissent de l'incompréhension dans le monde
pour faire prospérer leur boutique politique et imposer leur férule. Le fait
est que des populations modérées se sentent victimes d'une injustice de l'Occident
cherchant à leurs imposer ses images. Il ne s'agit pas de renoncer à nos
valeurs mais de prendre en compte avec la retenue nécessaire les conséquences
prévisibles d'un certain nombre d'actions. Il y a un malentendu qui a pu
s'opérer autour de la formule "Je
suis Charlie" dans les manifestations. Cette formule résumait
l'hommage de nombreux Français aux victimes sauvagement abattues. Mais "Je suis Charlie",
ça ne peut être le seul message de la France. De ce point de vue-là, il y a
une ambiguïté. L'État français doit défendre la liberté d'expression mais
cela ne signifie pas endosser les caricatures de Mahomet ou d'une autre
religion.
L'ISLAM
RADICAL MENACE CETTE LIBERTÉ D'EXPRESSION…
Nous
vivons dans la mondialisation et la première idéologie de résistance à la
mondialisation et de contestation des ordres en place, c'est l'islamisme
radical. Il offre une pensée globale alternative. Il se fonde sur le rejet de
la modernité, de l'individualisme, il offre une pensée "du tout"
où rien n'est séparé. Ce dévoiement politique a été nourri par l'histoire de
l'islam, marquée par une charge politique d'émancipation très forte. Dans la
colonisation puis face aux pouvoirs corrompus et autoritaires des régimes
nationalistes, l'islam a incarné la volonté de libération des peuples. Si
l'on fait abstraction de cela, on ne peut comprendre l'emprise de l'islamisme
radical et les immenses tensions au sein de l'islam. Nos libertés chèrement
acquises doivent être défendues mais sans nous couper des réalités du monde.
L'ISLAM
VIT DE FORTS DÉBATS INTERNES…
Ce
débat, c'est aux musulmans qu'il appartient de le régler. Nous n'avons pas à
interférer mais nous devons l'accompagner. Les règles à suivre sont claires:
ne pas être en première ligne mais laisser les pays de la région prendre
cette place. Désoccidentaliser l'action en s'appuyant sur la légitimité
internationale et sur les puissances émergentes comme la Russie, la Chine ou
le Brésil. Responsabiliser en favorisant le dialogue régional. Il nous faut donc retrouver la vocation
historique et diplomatique de la France à travers une nouvelle politique
arabe qui prenne en compte la réalité du monde musulman (souligné par
moi, JPR). Notre rôle de médiateur ne peut être joué si nous choisissons
d'être en pointe dans tous les combats et dans toutes les guerres. On ne peut
pas imposer nos libertés, ni la démocratie comme les Américains en ont fait
la douloureuse expérience.
L’INGÉRENCE APPARTIENT AU PASSE?
Tirons
les leçons de l'expérience. Vis-à-vis des printemps arabes, nous avons opéré
un chassé-croisé désastreux. Nous avons poussé des mouvements démocratiques
qui ont balayé des régimes autoritaires. Comme ces nouveaux régimes ont
laissé craindre une dérive religieuse, nous avons soutenu à nouveau les
régimes autoritaires. Comment voulez-vous que les populations de cette région
y voient clair ? Il faut cesser de croire que nous commandons ces régions.
Chaque intervention fédère encore plus les populations contre nous. Notre
histoire nous le rappelle: l'Algérie, le Vietnam, la guerre d'Espagne sous
Napoléon… Il y a aujourd'hui, en France, une tentation moraliste,
militariste, occidentaliste qui ressemble à ce que fut le néo-conservatisme
aux États-Unis. Or, il n'y a pas une réponse, il y a des réponses. Le chemin
sera long, compliqué, difficile. Un espoir est né le 11 janvier. Nous avons
besoin du soutien de tout le peuple français, c'est pour cela qu'il ne faut
pas confisquer la parole. Nous avons besoin d'un débat et pas de la seule
réponse sécuritaire.
DES
POLITIQUES DE DROITE ET DE GAUCHE ACCUSENT DES PÉTROMONARCHIES DE JOUER UN
DOUBLE JEU…
Soyons
lucides sur les réalités diplomatiques. Par la logique de sanction, de bras
de fer ou d'exigence d'allégeance, nous ne ferons que pousser certains pays
en équilibre fragile vers la radicalisation et l'instabilité. Ce serait
irresponsable. Il s'agit au contraire de mobiliser le plus de pays possibles
autour d'objectifs communs en rendant tout double jeu inopérant. Il en va de
même pour la Turquie. Il faudrait que les États du Moyen-Orient, du Maghreb
soient en première ligne dans la lutte contre le terrorisme islamique. Ne
reproduisons pas la même erreur qu'en Afghanistan, où la coalition n'était
composée que de pays occidentaux.
QUELLE RÉPONSE SÉCURITAIRE FAUT-IL EN France ?
La
réponse doit être implacable mais plus que jamais fidèle à nos principes,
plus que jamais exemplaire. Implacable pour assurer la sécurité de tous et
particulièrement de nos compatriotes juifs qui, à travers de terribles drames
- l'enlèvement d'Ilan Halimi, les meurtres à l'école Ozar Hatorah de Toulouse
et au Musée juif de Bruxelles comme à l'épicerie de la porte de Vincennes -,
ont été les cibles prioritaires des islamistes radicaux. Leur protection doit
être renforcée et la lutte contre l'antisémitisme constante. Il faut avant
tout chercher l'efficacité dans l'identification des menaces. Par le
renseignement ciblé, la coopération avec nos alliés, l'identification des
points de passage de l'apprenti terroriste (salles de prières, Internet,
prison, réseaux). Ces stratégies fines et efficaces peuvent se faire dans le
cadre de la République. Mais cela ne suffit pas, il faut vider l'abcès qui
nourrit ces dérives. Il faut leur couper l'herbe sous le pied. En refusant la
ségrégation de fait qui s'installe, en menant une politique d'éducation et
d'intégration. Dans certains quartiers, la République ne présente souvent que
son visage punitif. Il faut des mains tendues, de la reconnaissance pour ceux
qui se donnent du mal et valoriser l'action de ceux qui agissent sans compter,
assistants sociaux, éducateurs, enseignants. À l'école, nous devons restaurer
les apprentissages élémentaires qui permettent aux individus de devenir des
personnes libres. Il faut abattre les cloisons de notre société, donner accès
aux arts, à la musique, aux sports. Cela passera aussi par l'emploi. Ce fut
un échec, je le regrette, mais c'est au lendemain de la crise des banlieues
que j'ai imaginé le contrat première embauche. Enfin, il faut prendre garde à
ce que les décisions judiciaires ne nourrissent "le deux poids, deux mesures" (je pense notamment au cas Dieudonné), terreau de
la radicalisation de certains quartiers.
FAUT-IL
RESTAURER LE SERVICE MILITAIRE ?
Deux
piliers sont indispensables à l'intégration. La laïcité qui doit être
expliquée et mise en œuvre non pas de façon combattante mais comme un outil
de liberté. La mixité ensuite, sociale mais aussi à l'échelle des
territoires. Un service civique permettrait de faire vivre concrètement ce "nous commun".
Mais tout ne viendra pas de l'État. Il faut que le sursaut du 11 janvier se
traduise en actes politiques, individuels, associatifs. C'est ce qui
distingue les régimes autoritaires, fanatiques et la démocratie. La guerre,
n'importe quel État peut la faire. Nos vraies armes, ce sont nos principes, à
condition de les appliquer et d'inventer un autre chemin que celui de
l'affrontement. publié dans Le Figaro du 20 janvier 2015
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