Source : Proche & Moyen Orient, Richard Labévière, 24-07-2017 On ne peut pas dire tout et son contraire et faire l’inverse de ce qu’on dit… Baisser les impôts et commencer par augmenter la CSG, casser le code du travail et prétendre l’améliorer, annoncer une augmentation du budget de la Défense – pour atteindre 2% du PIB en 2025 – et la veille du 14 juillet décréter une coupe sèche de 850 millions d’euros et un gel de 2,7 milliards, soit près de 10% du budget global de nos armées. Les coupes annoncées touchent, en premier lieu, le régalien : 47% des annulations, soit 1,4 milliard d’euros entre la Défense, l’Intérieur et le ministère des Affaires étrangères. Défense, lutte anti-terroriste et relance diplomatique sont pourtant les thèmes avancés par le nouveau président de la République comme des priorités nationales. Or ce sont leurs crédits que l’on casse en premier dans la précipitation d’un effet d’annonce ! Il y a clairement une incohérence de fond entre la réalité et celle que le Président de la République distille sur son Smartphone… Pour financer les 850 millions de coupes, la Direction générale de l’armement (DGA) va classiquement se tourner vers les industriels pour renégocier des prix à la baisse et des livraisons de matériels différées. Mauvaise nouvelle pour les industriels qui emploient directement 165 000 personnes sur le territoire national. Vont souffrir évidemment les emplois et la sous-traitance… La liste des programmes concernés devrait être connue d’ici la fin de l’été, mais on sait déjà ceux qui trinqueront les premiers : annulation de 360 blindés pour l’armée de terre, filière aérospatiale ciblée, livraisons des frégates intermédiaires et des avions ravitailleurs repoussées… Dans la Marine nationale, la durée des frégates devra passer de 25 à plus de 40 ans de service. Alors que les élites françaises se vantent, presque quotidiennement, de disposer du deuxième espace maritime mondiale avec quelques 11 millions de km2 de ZEE (zone économique exclusive), « la Marine nationale voit le nombre de ses patrouilleurs outre-mer s’effondrer : d’ici à 2020, six sur huit auront été désarmés, aucune assurance sur le calendrier de leur remplacement n’étant fixé », commente un officier général qui ajoute : « notre pays ne dispose toujours pas d’une stratégie maritime adaptée aux intérêts du pays, encore moins de stratégie navale ». Ce qui se voit moins dans les dommages induits par ces problèmes budgétaires récurrents, c’est la tendance à réduire , voire sacrifier les périodes d’entraînement. Évolution, à terme, dangereuse pour les personnels engagés qui auront moins d’expérience alors que l’effet « ciseaux » joue à plein : le pouvoir exécutif multiplie les engagements extérieurs du Sahel à l’Irak et à la Syrie, alors que les moyens diminuent drastiquement et continuellement. Depuis trois ans, les 10 000 soldats de l’opération Sentinelle assument des fonctions de police sur le territoire national. Malgré la multiplication de leurs missions, en dix ans les armées françaises ont perdu 65 000 personnes, soit une réduction de plus de 30% des effectifs, ce qui représente le plus grand plan social de l’administration. A l’évidence le « faire toujours plus avec toujours moins » a aujourd’hui atteint ses limites indépassables. En d’autres termes, l’homothétie négative qui consiste à saupoudrer l’austérité n’est plus tenable et surtout ne doit plus servir de cache-sexe à un pouvoir politique incapable – incapable – de choisir et de hiérarchiser les missions à accomplir. L’équation est pourtant simple : moins de moyens égale moins de missions extérieures et intérieures. Et que ceux qui exercent leur tutelle politique sur les armées – de l’Élysée au cabinet du ministère de la Défense en passant par les « voleurs » de Bercy – prennent enfin leurs responsabilités en assumant des choix clairs, réalistes et tenables, c’est-à-dire des coupes aussi dans l’opérationnel ! Quelles sont aujourd’hui les missions incompressibles de nos armées pour assurer efficacement la défense et la sécurité des Français et des intérêts de notre pays, tant sur le territoire national qu’à l’étranger ? Telle est bien la question ! La seule réponse apportée : une nouvelle réduction des moyens… La belle affaire ! Dans ces conditions, le général Pierre de Villiers, chef d’état-major des armées (CEMA), ne pouvait – bien évidemment – plus exercer correctement son métier. Le CEMA a eu l’honnêteté et le courage d’expliquer les dangers de cette situation devant une commission ad hoc de notre représentation nationale dont la fonction est – justement – d’aller au-delà de la langue de bois pour comprendre la complexité des dossiers, voire pour en infléchir la gestion. Se déroulant à huis clos, l’exercice relève de l’exigence de vérité et de loyauté vis à vis des représentants élus de la nation et du respect qui leur est dû. Il ne constitue nullement un écart au devoir de réserve des militaires et un défi à l’encontre du pouvoir exécutif. Notre nouveau président n’aurait il rien compris , en en faisant une question d’atteinte à son pouvoir personnel ? Lors de la réception qui précède le défilé du 14 juillet, sur la pelouse de l’Hôtel de Brienne et en présence du gratin des hauts gradés militaires, des industriels de l’armement et des représentants des ministères régaliens, Emmanuel Macron lance une diatribe irréparable : « je considère qu’il n’est pas digne d’étaler certains débats sur la place publique. J’ai pris des engagements. Je suis votre chef. Les engagements que je prends devant nos concitoyens et devant les armées, je sais les tenir. Et je n’ai, à cet égard, besoin de nulle pression et de nul commentaire ». Fermer le ban ! En son temps, le maréchal Pétain avait fait don de sa personne à la France. Heureusement pour le pays que cela n’a pas empêché le général de Gaulle de gagner Londres pour y continuer le combat…. Dans les colonnes de prochetmoyen-orient.ch, nous critiquons souvent la politique étrangère des États-Unis et ses interventions extérieures, mais force est de reconnaître que les commissions parlementaires américaines qui précèdent et accompagnent les grandes décisions de la Maison blanche fonctionnent plutôt bien grâce à une authentique séparation des pouvoirs! Vieille exigence calviniste, sans doute, les responsables auditionnés ont l’obligation – oui l’obligation ! – de dire la vérité, du moins leur vérité afin d’éclairer les représentants pour qu’ils puissent être mieux informés avant de participer à la prise de décision politique. Outre-Atlantique, l’expertise, voire les critiques des officiers supérieurs et généraux sont généralement bien accueillies parce qu’entendues comme un apport positif et citoyen, susceptible d’entraîner correctifs et améliorations aux prises de décisions opérationnelles. Gap culturel, en France malheureusement rien de tel : les intervenants qui planchent devant les commissions parlementaires sont – le plus souvent – chaperonnés, sinon espionnés par des envoyés spéciaux de leur ministère qui rapportent aussitôt la teneur des propos tenus au sommet de la hiérarchie, aux cabinets du premier Ministre ou du président de la République. Ici, l’exercice ne relève pas de la maïeutique mais doit conforter et imposer le discours officiel et ainsi servir les plans de carrière de hauts fonctionnaires muselés… Et gare à ceux qui osent sortir du « politiquement correct », le général Pierre de Villiers vient d’en faire la triste expérience. Toujours est-il que le président de la République a commis une lourde faute, relevée par la plupart des responsables militaires de notre pays. Dans une lettre ouverte, Vincent Lanata, ancien chef d’état-major de l’armée de l’air s’adresse au CEMA : « J’étais présent à la réception de l’Hôtel de Brienne le 13 juillet et j’ai écouté avec beaucoup d’attention le discours du président de la République: allocution très bien tournée, pleine de compassion à certains égards et de louanges à l’intention de notre institution ainsi que pour les hommes et les femmes qui la composent. Tout cela n’est que très normal, je dirais très banal, et la moindre des choses une veille de Fête Nationale où les armées sont à l’honneur. Ce qui l’est moins, c’est la diatribe virulente portée contre vous, car c’était bien à vous que ces propos étaient destinés, propos tenus en public qui m’ont beaucoup offusqué, et je ne suis pas le seul à avoir été très choqué. Il me semble que notre jeune président a voulu marquer par ces propos son autorité. Il n’avait nul besoin d’agir ainsi et il aurait certainement pu faire l’économie de ce discours inutile et vexant ». Le plus grave dans cette affaire, qui laissera des traces et dont toutes les ruses ne sont pas dites, est – sans doute – le non-respect de la séparation des pouvoirs. En effet, le Parlement a le droit, un droit constitutionnel, de pouvoir ainsi auditionner en toute indépendance n’importe quel fonctionnaire, expert et sachant de notre pays, sans que l’Elysée ne s’en mêle. Certes, de nos jours le secret n’existe plus, pas même le secret de l’instruction et il ne faut pas s’étonner que les propos du CEMA aient circulé en dehors de l’hémicycle. Bien au fait de la communication moderne, le président de la République n’avait en tout cas pas à s’en étonner ni à s’en plaindre. En personnalisant l’affaire, il a provoqué un vrai gâchis dont les conséquences les plus immédiates touchent trois mécanismes : celui de la confiance liant traditionnellement le pouvoir politique et nos armées, voire la nation et les armées ; celui d’une expertise d’autant plus nécessaire qu’elle implique le sacrifice suprême de nos soldats ; enfin, celui d’une expertise stratégique qui, à n’en pas douter, se fera désormais plus servile, disciplinée et conforme à l’air du temps et des promotions. Un beau gâchis, vraiment… En définitive et au-delà de toutes considérations politiques, il est anormal que, depuis plus de trente ans dans notre pays, les roitelets de Bercy exercent une autorité sans contre-poids sur les budgets des ministères régaliens en maniant gel et coupes de crédits à leur guise et quand cela les arrange! Proprement anormal , car rendant impossible pour les responsables des politiques publiques toute prévision ou planification stable et cohérente de leurs programmes ! On touche ici à la réforme de l’ État, un chantier sans cesse reporté depuis 1981, une réforme de l’ État en profondeur qui n’est – semble-t-il – pas près de voir le jour… Dans ce contexte de verrouillage administratif des esprits et des cœurs, de violation de la séparation des pouvoirs, donc d’une grave altération des fondements de notre démocratie, nous te présentons mon Général, cher Pierre, cher collègue de la 53ème session de l’IHEDN (Institut des hautes études de défense nationale), tous nos respects et notre amitié. Avec ces mots qui accompagnent ta démission, tu sors par le haut, dans l’honneur et la vérité : « j’éprouve une vraie reconnaissance envers nos soldats, nos marins et nos aviateurs avec lesquels j’ai partagé ma vie, pendant quarante-trois années au service de la nation, en toute sincérité. Je sais, pour les connaître, qu’ils continueront à assurer la mission aux ordres de mon successeur avec autant de détermination et de fidélité. Je reste indéfectiblement attaché à mon pays et à ses armées. Ce qui m’importera, jusqu’à mon dernier souffle, c’est le succès des armes de la France ». Ton action et ta réaction grandissent l’institution militaire. Encore tous nos respects mon Général ! Richard Labévière |
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