k.CENTENAIRE DE LA GUERRE 1914-1918

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1914-1918 : des conséquences inouïes...

publié le 5 nov. 2015, 05:12 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 17 sept. 2020, 02:28 ]

    on pourra lire également : "LA PEUR", roman autobiographique de Gabriel CHEVALLIER

    Un conflit militaire entre puissances industrialisées qui dure 4 ans et 4 mois ne peut laisser que des dégâts inouïs, jamais vus, nulle part, jamais. Je vais tâcher de construire un plan exhaustif même si cela m’amène à ne pas être complet sur tel ou tel argument. De plus, je concentre l’analyse sur le cas français. Le potentiel de l’Europe, tant humain que matériel, est gravement atteint d’autant que le poids relatif des concurrents augmente fortement : USA ; Japon (partieAI). Plus lourdement encore, ces dégâts hypothèquent l’avenir (partie B).

 

A.

LE DÉCLIN DE "L'EUROPE"

 

I. AU PLAN DÉMOGRAPHIQUE

 


A ces pertes, il faudrait encore ajouter les millions de civils victimes des conséquences indirectes de la guerre ; disettes et épidémies. On évalue les décès causés par la grippe espagnole de 1918-1919 (lien La grippe "espagnole".) à une vingtaine de millions, dont 13 millions en Inde; une épidémie de typhus dans la Russie ravagée par la guerre civile fit près de 5 millions de morts...



    Après la guerre, les blessés et handicapés sont à retirer de la population active, on fait donc appel aux étrangers (lien L’Artois pendant l’entre-deux-guerres (2ème partie)). De plus, les veuves et orphelins doivent bénéficier de la solidarité nationale ; autant de dépenses supplémentaires pour le budget de l’ État.

    Le changement du profil de la pyramide des âges de la France est l'aspect le plus spectaculaire du désastre. la référence ci-dessous permettra de lire tous les détails.  Le cercle 3 indique la nette dissymétrie entre les hommes et les femmes : ce sont, bien entendu les morts de 14-18. Le cercle 4 indique la profondeur des "classes creuses" c'est-à-dire des naissances qui n'ont pas eu lieu pour des raisons évidentes. Il y a symétrie car ce phénomène concerne les deux sexes. la pyramide de 1954 montre les conséquences des conséquences. 

  

https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/154/population_societes_2014_509_pyramides_ages_guerre.fr.pdf

     Le cercle 5 indique le passage des classes creuses à l'âge de fécondité : le nombre d'enfants est réduit puisque le nombre des parents l'est aussi. Ce phénomène de nouvelles classes creuses précède les classes creuses dues à la guerre de 39-45. La pyramide des âges de la France présente ainsi cette configuration "en sapin de Noël" bien connue des démographes et caractéristique des vieux pays européens.


II. AU PLAN DU POTENTIEL ÉCONOMIQUE

    A l’instar d’Alain Demangeon, géographe éminent qui forma ma jeunesse, des intellectuels à l’esprit vif ont rapidement saisi l’ampleur du déclassement européen.

"Il n'est douteux pour personne que l'Europe, qui régissait le monde vers la fin du XIXe siècle, perd sa suprématie au profit d'autres pays ; nous assistons au déplacement du centre de gravité du monde hors d'Europe ; nous voyons sa fortune passer aux mains des peuples de l'Amérique et de l'Asie (...). En décimant ses multitudes d'hommes, vastes réserves de vie où puisait le monde entier ; en gaspillant ses richesses matérielles, précieux patrimoine gagné par le travail des générations ; en détournant, pendant plusieurs années, les esprits et les bras du labeur productif vers la destruction barbare ; en éveillant, par cet abandon, les initiatives latentes ou endormies de ses rivaux, la guerre n'aura-t-elle pas porté un coup fatal à l'hégémonie de l'Europe sur le monde ? (...) Dépeuplée et appauvrie, l'Europe sera-t-elle apte à maintenir sur le monde le faisceau de liens économiques qui compose sa fortune privilégiée ? Sera-t-elle toujours la grande banque qui fournissait des capitaux aux régions neuves ? Comme puissances capitalistes, le Japon, et surtout les États-Unis sont devenus ses rivaux. Sera-t-elle toujours la grande entreprise d'armement (NB. Il s’agit dans ce sens de l’armement maritime, c’est-à-dire la capacité à équiper les navires et à vendre du transport maritime avec ces navires, JPR) qui transportait de mer en mer les hommes et les produits de toute la terre ? D'autres marines se construisent et s'équipent qui lui disputent ce rôle fructueux de roulier des mers. Sera-t-elle toujours la grande usine qui vendait aux peuples jeunes ses collections d'articles manufacturés ? Aux États-Unis et au Japon, naissent et grandissent des industries qui visent les mêmes débouchés. Sera-t-elle toujours la grande puissance économique du monde? Elle n'est déjà plus seule à l'exploiter, à le coloniser, à le financer. On peut donc dire que nous assistons au déclin de l'Europe"[1].

    Cette synthèse est évidemment frappante - Demangeon n’avait guère de recul chronologique pour écrire ces fortes paroles incontestables, il écrit l’année même du traité de Versailles - le seul reproche qu’on puisse lui faire est que "l’Europe" n’existe pas ! C’est une réalité géographique, lisible sur un atlas, mais politiquement, elle reste puissamment divisée et malgré les efforts de la SDN et d’un Briand par exemple, les querelles et les affrontements vont vite ressurgir.

    L'évolution du stock d'or, essor des États-Unis et du Japon.


Pour les esprits anglo-saxons, une réalité s’impose avant toutes les autres : le stock d’or mondial n’est plus au même endroit. Celui des États-Unis a quasiment doublé. A force de vendre aux Alliés des marchandises de toutes sortes, la balance commerciale des États-Unis est devenue excédentaire et les Alliés payaient le solde en lingot d’or. 1917 : entrée en guerre des Etats-Unis (1ère partie) D’un total de 2,5 milliards de dollars en 1913, les exportations US sont passées à 4,3 en 1916, 6,3 en 1917, 5,9 en 1919. Ce gonflement d’or américain explique les résultats de la conférence de Gênes, 1922, où deux devises convertibles en or sont définies comme moyens de paiement internationaux : le $ états-unien et la £ britannique. Avant-guerre, seule la livre-convertible était acceptée comme moyen de paiement universel. 

    La "décentralisation industrielle mondiale". Demangeon emploie la formule percutante et vraie de "déplacement du centre de gravité du monde hors d'Europe", mais c’est à André Siegfried que l’on doit la formule de décentralisation industrielle. "L’Europe" était l’atelier du monde mais durant cette longue guerre elle ne produit plus rien de consommable en termes de vie civile, en termes d’économie de paix. Outre les USA et le Japon qui, il faut bien le dire, étaient déjà bien partis dès avant 1914, d’autres régions du monde se mettent à fabriquer des produits puisque l’Europe fait défaut : Shanghai, Bombay, la région du Cap, Sao Paulo et Buenos Aires. Au total, en utilisant la grille de lecture "centre-périphérie", on peut dire que le "centre" du monde devient spatialement épars : "Europe", Nord-est des États-Unis, mégalopolis japonaise autour de la Mer intérieure. 

 

B.

UN AVENIR HYPOTHÉQUÉ 

 

    I. LA GUERRE ET SES RÉPERCUSSIONS

        La production pendant la guerre

    L'aspect dominant est l'intervention de l’État dans l'économie, les "Technocrates" apparaissent (Cf. Jean Monnet) ; on s'en souviendra lors de la crise de 1929 et même avant pour un nouveau type de capitalisme (cf. infra, Au bonheur des riches, 1927 : E. Mercier, Foch, le "Redressement français").

    La guerre exige des décisions inédites en régime libéral qui rappellent toutefois les décisions de la "terreur révolutionnaire". C’est ainsi qu’en 1915, on procède à la réquisition du blé et du charbon ; en 1916 : c’est la "taxation" des produits alimentaires (fixation d'un prix maximum). En 1917, Clemenceau procède au rationnement de marchandises stratégiques, mesure accompagnée du contrôle de la marine marchande et contrôle des changes. Ces éléments génèrent le marché noir et la spéculation. Un personnage nouveau fait éruption : le "nouveau riche", profiteur de guerre à la fortune immédiate mais sans la culture ni la distinction d'un aristocrate.

    Concernant la main-d’œuvre, on rappelle du front les ouvriers qualifiés (car les armes sont de la haute technologie...) . On utilise aussi la main-d'œuvre coloniale, des étrangers, et 150.000 femmes dont la part dans l'industrie passe de 34 à 40% (lien Les femmes et la guerre de 14-18 (2ème partie)). Au plan social, c'est la fin du repos hebdomadaire et du repos de nuit, mais sont mis en place un salaire minimum (10.07.1915), une indemnité de vie chère et de charge de famille, les délégués d'ateliers (Albert Thomas), et, après les grèves de 1917, des conventions collectives de travail dans certaines branches.

    Bref, c'est le début de l’État fordiste, de l’ État-providence. Tout cela n’a pas que des aspects négatifs, bien plus graves sont les contraintes d’avenir créées par le financement de la guerre.

    Le financement de la guerre

    En 1913, le budget de la France a compté 5 milliards de francs-or de dépenses sur une année. La guerre a coûté 200 milliards ! Soit environ 35 milliards par an soit une multiplication des dépenses par 7 !

    Le financement a été assuré de la manière suivante :

-          15% par les impôts (droits de douanes, impôts indirects, très peu les impôts directs)

-          13% par la "planche à billets"

-          50% par l'endettement intérieur : bons du Trésor (défense nationale) et "perpétuels"

-          22% par la dette extérieure (USA, R.U.)

Ainsi, la dette publique passe de 33 MF (1914) à 186 (intérieure) + 33 (extérieure) soit 219 MF.

La "planche à billets" est évidemment catastrophique pour la valeur de la monnaie et donc pour les épargnants. L’endettement est également mauvais car il y a toujours des doutes -variables selon la conjoncture- sur la capacité de l’ État à rembourser.

Par ailleurs, en 1913, l'encaisse métallique de la Banque de France (c'est ce qui garantit la valeur du papier-monnaie) représentait 70% des billets en circulation. Les billets étaient convertibles en or sur simple demande. Ce chiffre passe à 21,5% à la fin de la guerre. L’encaisse-métallique est très faible ce qui fragilise la monnaie-papier. Au demeurant, les billets ne sont plus convertibles.

Il y a là, la cause de la dévaluation du Franc (1926) et de l'inflation d'après-guerre.

Tous les pays sont frappés par cette dépréciation des monnaies.

(1) L'Allemagne doit également payer, au titre des « réparations », 132 milliards de mark-or (1 mark-or = 1,2 franc-or). Cette dette, dont 52% doivent revenir à la France, sera réduite à 38 milliards, puis finalement annulée lors de la crise économique de 1929. En fait, l'Allemagne aura payé, à cette date, 28 milliards de marks-or, dont 9,5 à la France (note infrapaginale 2).

    La chute des fortunes

    La guerre a provoqué une baisse importante des patrimoines. Par exemple, les loyers étant bloqués pendant la durée du conflit, les propriétaires ont perçu des revenus en baisse. Cela a empêché le lancement de programme de construction. mais a aussi provoqué la ruine de rentiers. Je renvoie à l'étude de Piketti L' envolée des fortunes...

    Le bilan écologique.

 "Outre ses millions de morts dans les tranchées, la guerre de 1914-1918 a laissé dans le paysage des marques qui ne sont toujours pas effacées aujourd'hui. Les «préparations d'artillerie» ont tourné et retourné la terre sur des milliers d'hectares de Champagne et de Lorraine, transformant champs et prairies en terrains vagues impropres à la culture pour des décennies. Dans les départements les plus atteints, comme la Marne et la Meuse, des cantons entiers ont été laissés en friche parce que l'agriculture n'était plus possible : terre arable volatilisée, sous-sol calcaire mis à nu, terrain défoncé, et truffé d'éclats d'obus...

    Après la première guerre mondiale, la commission des réparations a calculé que, sur les dix départements envahis par les Allemands, plus de 3 millions d'hectares de terres agricoles ou forestières avaient été temporairement stérilisés. Les destructions constatées sur cet immense champ de bataille ont obligé les autorités à procéder aux premiers remembrements : ceux-ci, en 1922, ont affecté pas moins de 235 communes dans huit départements. L'année suivante, selon le ministère de l'agriculture, il restait encore 288.000 hectares à réhabiliter. Les forêts aussi ont souffert des bombardements et de la mitraille, notamment dans le massif des Vosges, mais également en Alsace et en Lorraine. Lorsque les arbres n'ont pas été cassés ou défoliés par le souffle, ils ont conservé des stigmates dans leur "chair" - balles, éclats d'obus et billes de Schrapnells, qui ont pénétré profondément dans le bois ou ont été absorbés dans l'aubier au fur et à mesure de la croissance de l'arbre. On estime que, à l'issue des deux guerres mondiales, quelque 70 millions de mètres cubes de bois ont été ainsi traversés par la mitraille en France et rendus impropres au sciage.

    Mais la forêt a également souffert de surexploitation, du fait de la pénurie de charbon et d'essence dans les pays occupés. Le chauffage au bois et les véhicules à gazogène ont entraîné d'innombrables coupes de taillis à blanc, que l'administration des Eaux et Forêts a mis des années à reconstituer une fois la paix revenue. En revanche, l'interdiction de la chasse a favorisé la prolifération du gibier.

    Un aspect méconnu des années de guerre apparaît dans les statistiques des incendies de forêts. Dans le seul département du Var, les deux années les plus dévastatrices ont été 1919 (45.000 hectares brûlés) et 1943 (70.000 hectares). En 1919, il n'y avait plus d'hommes pour combattre le feu après les hécatombes de quatre années de guerre. En 1943, la pénurie d'hommes était due à l'Occupation, au STO .et au maquis".(3)


    II. LE BILAN MORAL : UN RECUL DE CIVILISATION

           La guerre fut une immense tuerie. Les poilus ont vécu l’enfer, ils ne veulent plus voir ça. De là naît le sentiment pacifiste. 14-18 : un monument aux morts pacifiste...  Les intellectuels disons "de gauche" insistent sur la vanité, l’inanité, le non-sens de cette guerre. A contrario, la droite va insister sur le sacrifice nécessaire pour la défense de la patrie. Les Anciens combattants auront tendance à la suivre, se refusant d’accepter l’inutilité de tout ce qu’ils ont fait et subi. C’est le "pacifisme". Et de fait les associations d’anciens combattants pencheront politiquement vers la droite. Or, il s’agit d’un double jeu. La droite ne veut pas la guerre contre l’Allemagne, fût-elle nazie, parce qu’elle préfère se mobiliser contre l’ennemi mortel du communisme sous sa forme soviétique. Les discours pacifistes des années Trente cachent souvent cette duplicité. Alors que la menace Hitler apparaît et se confirme, les Anciens combattants se feront manipuler par l’extrême-droite pour être les soldats du pacifisme alors que le danger du nazisme exigerait au contraire la mobilisation. Cela ira jusqu’à l’Occupation et la Collaboration. Pétain demandant aux Anciens combattants de jouer le rôle de service d’ordre pour sa "légion", le SOL.

                Les "nouveaux riches", les profiteurs de guerre scandalisent les honnêtes gens, la ruine de nombreuses classes moyennes provoque l'émergence du fascisme qui n'est que l'idéologie d'avant-guerre portée à son paroxysme"Les idées de 1914" : 1914 versus 1789. Il faut savoir que tous les ingrédients du fascisme et du nazisme apparaissent AVANT 1914 : l’impérialisme et ses théories des peuples inférieurs, le nationalisme, le militarisme, la valorisation du rôle de l’État face aux libertés individuelles, le culte du "héros", la nécessité de l’ordre et le rôle indispensable de la force. En Allemagne, un Parti Antisémite –c’est son nom public – sollicite les suffrages de Allemands en tout respect du code électoral, en France, l’affaire Dreyfus a montré l’ampleur de l’antisémitisme. Par conséquent, le fascisme trouve tous les outils pour accéder au pouvoir : les idées, les hommes (classes moyennes ruinées, anciens combattants revanchards[4], capitalistes peureux), il exploite le "désordre" né des combats révolutionnaires engendrés par la Révolution d’Octobre. Sur ce dernier point, je vous renvoie à mon article : Au bonheur des riches, 1927 : E. Mercier, Foch, le "Redressement français"

                L'absurde a envahi les esprits. Il y a un énorme fossé d’incompréhension entre les intellectuels d’avant 1914 qui croyaient la guerre impossible et qui formaient une catégorie homogène à travers l’Europe qu’ils parcouraient en tous sens et ceux de 1920 –qui sont souvent les mêmes - intellectuels qui ont vécu l’horreur, l’indescriptible, l’absurde. A l’immense besoin de vie qui suit cette avalanche de morts et de mutilés correspond l'éclosion des mouvements artistiques dada et surréaliste. Dans l’histoire de l’art, cela est essentiel. Notons toutefois que beaucoup d’artistes avaient pressenti cette fin du monde avec le cubisme, l’abstraction chaude ou bien géométrique, l’expressionnisme et le suprématisme, etc… Là aussi, les artistes de la guerre ou de l’après-guerre avaient les éléments pour créer des œuvres qui traduisent la présence de l’absurde dans la vie des hommes. Un bon tableau du début des années 20' en France dans "Marguerite" avec Catherine Frot (2015).

                Dernier élément, sous réserve d’un inventaire plus complet, la guerre avec ses classes creuses crée des mouvements migratoires. On fait appel à la main-d’œuvre étrangère. Déjà mal acceptés pendant la croissance des années folles, les immigrés seront carrément expulsés dès que la crise fut venue. L’Artois pendant l’entre-deux-guerres (2ème partie). Pourtant, on a conscience - pas tous - qu' "une paix universelle et durable ne peut être fondée que sur la base de la justice sociale". C'est ainsi que nait l'OIT (Organisation Internationale du Travail. 1919 : naissance de l'Organisation internationale du Travail.

        Bien entendu, il faut ici rédiger une phrase de transition qui nous amène à Versailles où vont se discuter les traités et le contenu de ces traités est une conséquence extrêmement importante de la guerre.Versailles 1919/1920 : la paix manquée (1ère partie) et aussi où sont passés les empires d'avant 14 ? "L'Europe centrale, 1914-1939" (corrigé)





[1] A. DEMANGEON, Le déclin de l'Europe, Payot, 1920.

(2) l'Allemagne aura beaucoup de chance avec ses dettes. La crise de 1929 annule celles d'après 14-18 ; la Guerre froide (accords de Londres, 1953) annule celles de 39-45. Elle est beaucoup moins accommodante avec la Grèce aujourd'hui.

(3) Extrait d'un article du Monde, paru le 30 janvier 1991, signé de Roger CANS et intitulé "la guerre, fauteur de crimes écologiques".

[4] Le cas de la France, avec le pacifisme, n’est pas une généralité.

la guerre : l'année 1918

publié le 25 juin 2015, 10:09 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 28 nov. 2017, 01:44 ]

 

    Voici le cours tant attendu (lol) sur l’année 1918. Il eût été normal que chaque année (2014, 2015, 2016, …) soit publié le cours correspondant : la guerre en 1914, la guerre en 1915, etc… Mais cela est impossible, tout le monde a besoin de savoir comment se déroule et se termine cette guerre qu’ont croirait illimitée dans le temps. Fidèle à mon parti pris, je termine avec le cours d’A. Roubaud, écrit en 1927, que je trouve très clair, accessible, même s’il s’agit d’une histoire très factuelle. Après le sommaire qui donne le plan suivra le cours proprement dit.

    J.-P.R.

SOMMAIRE

LA REPRISE DE LA GUERRE DE MOUVEMENT

 

I. LES QUATRE PREMIÈRES OFFENSIVES ALLEMANDES MARS-JUIN 1918

A. Le plan de Ludendorff

    En 1918, la guerre de mouvement succéda à la guerre de positions. Sous la direction de Ludendorff, les Allemands organisèrent 4 offensives successives, de mars à juin 1918.

B. La bataille de St.-Quentin et l’unité du commandement inter-allié

    Ils attaquèrent : 1°) en mars, en direction d'Amiens (à la suite de cette attaque, les Alliés, réalisant le commandement unique, confièrent la direction suprême des opérations au général Foch) ;

C. 2°, 3° et 4° offensives allemandes

    2°) en avril, dans la direction de Calais; 3°) en mai, sur le chemin des Dames, dans la direction de l'Aisne et de la Marne; 4°) en juin, autour du massif de Lassigny, dans la direction de Paris. Cette dernière offensive ne put se développer.

II. LA 2ème VICTOIRE DE LA MARNE ET L’OFFENSIVE GÉNÉRALE DES ALLIES

A. La 5° offensive allemande et la 2ème victoire française de la Marne.

    La 5° offensive allemande déclenchée, le 15 juillet, entre Château-Thierry et les hauteurs de Champagne, échoua. Contre-attaqués sur leur droite, les Allemands se replièrent en hâte vers l'Aisne (seconde victoire française de la Marne).

B. L’offensive générale interalliée sur le front occidental

    Foch, nommé maréchal, ordonna des offensives simultanées, d'abord, pour dégager les grandes lignes de chemins de fer de Paris- Calais, Paris-Avricourt et rejeter les Allemands vers les retranchements Hindenburg ; ensuite, pour les acculer vers le massif des Ardennes (août-octobre 1918).

C. Désastres des puissances centrales en Orient

    Pendant ce temps, le front bulgaro-allemand était rompu le 15 septembre, la Bulgarie contrainte à un armistice, l'Autriche prise à revers, tandis que le front turc s'effondrait.

D. Les dernières luttes

    Les Allemands, forcés de se replier sur les Ardennes, risquaient de voir leurs dernières communications avec l'Allemagne coupées par l’attaque de deux nouvelles armées en Lorraine ; l’Autriche signait un armistice, le 3 novembre 1918.

E. L’armistice

Les délégués allemands signèrent l’armistice en présence du maréchal Foch, le 11 novembre 1918.

 

COURS

 

I. LES QUATRE PREMIÈRES OFFENSIVES ALLEMANDES

MARS-JUIN 1918

A. Le plan de Ludendorff

    Au début de 1918, Ludendorff jugea le moment venu d'obtenir le succès décisif. Grâce à l'effondrement de la Russie, les Allemands pouvaient disposer d'un plus grand nombre de divisions que leurs adversaires, mais, cette supériorité ne devant pas se maintenir par suite de l'entrée en ligne des divisions américaines, il importait d'agir au plus vite. Ludendorff adopta les principes suivants :

    1° L'offensive ne pouvait réussir que si l'assaillant s'assurait le bénéfice de la surprise ; il importait donc d'éviter les longues préparations d'artillerie qui permettaient à l'adversaire de s'organiser. Au dernier moment avant l’attaque, des mortiers de tranchée mettraient en ruines par un feu intense les premiers retranchements ennemis, tandis que des obus toxiques paralyseraient ses défenseurs. L'infanterie avancerait par grandes masses, accompagnée d'avions de combat et toujours soutenue par l’artillerie ; elle ne chercherait à atteindre chaque fois qu'un objectif limité.

    2° Pour épuiser les réserves de l'adversaire, les attaques se succéderaient à des délais très rapprochés, dans des secteurs différents.

    3° Ces réserves épuisées, la victoire finale serait facilement obtenue.

B. La bataille de St.-Quentin et l’unité du commandement inter-allié

    La première offensive allemande fut dirigée contre les lignes anglaises, récemment étendues jusqu’à la vallée de l’Oise. L’état-major espérait s’emparer d’Amiens ainsi que de la grande ligne de chemin de fer Calais-Paris, et séparer ainsi, peut-être, le front anglais du front français. L’attaque commença par surprise le 21 mars entre Arras et La Fère. Contenus au nord, les Allemands bousculèrent les lignes anglaises en face de Saint-Quentin, occupèrent Ham et Péronne, ainsi que toute la plaine unie du Santerre. Des divisions françaises furent jetées à la hâte dans la bataille sous le commandement du général Fayolle, pour combler le vide qui se creusait entre les deux armées alliées. Après avoir pris Montdidier, les   Allemands furent arrêtés le 5 avril, sans avoir pu occuper Amiens. Le 23 mars, ils avaient commencé le bombardement de Paris au moyen d'un canon de longue portée, placé à 100 kilomètres, dans la forêt de Saint-Gobain, et qui reçut le nom de Bertha (la fille de Krupp) ; les obus, joints aux bombes d’avions, causèrent de nombreuses victimes, sans ébranler le moral de la population.

    Devant l'imminence du danger, les ministres alliés décidèrent enfin le principe du commandement unique, dans une conférence tenue à Doullens le 26 mars ; le général Foch, montrant la nécessité d’arrêter les Allemands en avant d'Amiens, en prélevant le plus de forces possible sur les autres fronts, le commandant en chef anglais, sir Douglas Haig, indiqua lui-même qu'il recevrait, de bon gré, ses conseils. Foch, déjà chef d'état-major auprès du ministre de la Guerre, reçut la mission de "coordonner l'action des armées alliées sur le front occidental". On lui confia, le 3 avril, la direction stratégique des opérations militaires ; nommé enfin, le 14 avril, général en chef des armées alliées, il étendit son autorité au front italien, le 2 mai.


C. 2°, 3° et 4° offensives allemandes

    Le 9 avril, les Allemands prononcèrent une deuxième offensive contre les lignes anglaises de Flandre, avec le dessein de s'emparer de Calais et de Boulogne ; ils manœuvrèrent sur un terrain parsemé de marécages ou d'entonnoirs remplis d'eau et furent arrêtés par les efforts combinés des Alliés.

    Prévenant la riposte du général Foch, Ludendorff ordonna une troisième offensive contre les hauteurs du chemin des Dames, très fortes naturellement, mais faiblement défendues. L'attaque, commencée le 27 mai, réussit plus profondément que l'état-major ennemi ne l'espérait. Les Allemands dépassèrent l'Aisne, dès le premier jour, et atteignirent la Marne, le 3o mai, à Château-Thierry. Ils durent s'arrêter alors, après avoir avancé de 55 kilomètres, fait 45.000 prisonniers et coupé la grande ligne de Paris à Châlons-sur-Marne. (Voir carte ci-dessus).

    Les Allemands décidèrent de faire tomber le saillant qui se trouvait entre les deux poches de Montdidier et de Château- Thierry et qui protégeait Paris ; ils entreprirent leur quatrième offensive, le 9 juin, dans la région de Lassigny. Ils réalisèrent d'abord quelques progrès, mais, brusquement contre-attaqués sur leur flanc droit par l'armée du général Mangin, ils furent contraints de s'arrêter après de lourdes pertes (11 juin).

 

II. LA 2ème VICTOIRE DE LA MARNE ET L’OFFENSIVE GÉNÉRALE DES ALLIES

A. La 5° offensive allemande et la 2ème victoire française de la Marne.

    Avant de tenter contre les Anglais, en Flandre, une opération qu'il espérait décisive, Ludendorff organisa une attaque contre le front français, sur une étendue de 8o kilomètres, de Château-Thierry à la Main de Massiges, en Champagne, espérant que l'adversaire jetterait dans la lutte ses dernières réserves, pour sauver ses communications avec l'Est. Mais toutes les précautions se trouvaient prises du côté des Alliés. S'inspirant des directives du général Pétain, le général Gouraud, commandant de la 4° armée, qui allait supporter le principal poids de l'attaque, dégarnit ses premières lignes, ne laissant que quelques postes, dont les hommes avaient fait le sacrifice de leur vie, et reporta en seconde ligne ses principales forces. L’effort allemand vint se briser contre elles (15-17 juillet).

    Le 18 juillet au matin, deux armées françaises (la 10°, général Mangin, et la 6°, général Degoutte) massées entre la Marne et l’Aisne, notamment l'abri de la forêt de Villers-Cotterêts entreprirent, par surprise, une contre-offensive et, avec l’aide de nombreux chars d'assaut, renversèrent les obstacles ennemis. Menacés de voir coupées leurs lignes de communication, les Allemands évacuèrent rapidement tout le territoire jusqu'à la Vesle et à l'Aisne. Le dégagement de Paris, la délivrance de Château-Thierry, de Soissons, de plus de 200 villages, la capture de 35.000 hommes et de 700 canons constituaient les principaux résultats de la seconde victoire de la Marne (voir carte ci-dessous). Foch fut nommé maréchal de France, le 6 août.

B. L’offensive générale interalliée sur le front occidental

    Utilisant immédiatement l’effet moral de la victoire et profitant des ressources que lui procurait l'entrée en ligne des troupes américaines, le maréchal Foch conduisit contre ses adversaires non pas des attaques successives, comme ils l'avaient fait eux-mêmes, mais des attaques simultanées. Les puissants moyens offensifs permettraient, dans les endroits découverts, des manœuvres de front, tandis que les positions trop fortes seraient enveloppées.

    1°. Les opérations préliminaires, déjà entamées, consistaient à dégager la grande ligne de Paris à Amiens, comme celle de Paris à Avricourt, et à rejeter les Allemands vers leurs positions de départ du mois de mars. L'attaque commença le 8 août, en Picardie, sous la direction du maréchal anglais, sir Douglas Haig, et s'étendit bientôt jusqu'à l’Oise ; elle dégagea la ligne de Paris-Calais et enleva en quelques jours aux Allemands tout le territoire occupé depuis le début de l'année. "Le 8 août", a écrit Ludendorff "est le jour de deuil de l'armée allemande dans l'histoire de cette guerre". Les attaques se prolongèrent, dans le courant d'août, au Nord, jusqu'à la hauteur de la Scarpe, et à l'Est, entre l'Oise et l'Aisne ; au début de Septembre, les Allemands se virent refoulés dans l'intérieur des lignes Hindenburg et celles-ci furent même forcées par les Canadiens devant Douai. Le 12 septembre, l'armée américaine entreprit de réduire les positions allemandes de Saint-Mihiel, qui, depuis le début de la guerre, coupaient la ligne ferrée de Verdun à Commercy et menaçaient celle de Paris à Avricourt.

    2°. Ces opérations préliminaires achevées, le maréchal Foch ordonna des attaques concentriques contre les positions fortifiées des Allemands pour refouler ces derniers dans la direction des Ardennes. Du côté de la Meuse, où, pour sauvegarder leurs voies de communication essentielles, ils avaient accumulé leurs moyens de défense, les Allemands parvinrent à ralentir l’avance combinée de la 4° armée et des Américains ; ils résistèrent aussi en Flandre ; mais dans la région centrale leur front s’effondra : Saint-Quentin fut repris le 2 octobre, Cambrai le 9, le massif de Saint-Gobain, reconquis par des manœuvres enveloppantes le 12 ; le 13, Mangin entra à Laon. En même temps, Gouraud occupait Vouziers et, par le défilé de Grand-Pré, établissaient ses communications avec les Américains. Les Allemands avaient évacué, de toutes parts, l’ensemble des lignes Hindenburg et se repliaient vers une seconde série de positions aménagées en arrière. Ils luttaient encore avec vaillance, mais ils ne disposaient plus d’aucune réserve et leurs effectifs fondaient rapidement.

Sur cette carte rare -disparue aujourd'hui des manuels scolaires- on peut voir l'axe Vardar - Morave. On remonte la Vardar jusqu'à Uskub, on passe par le col de Kumanovo et on bascule dans la vallée de la Morave (via Nich). En fait, les armées passèrent par les versants, le passage via le fond des vallées était trop attendu et trop défendu. (PS. dossier intéressant sur Wikipaedia concernant le défilé de Demir Kapou, visible sur cette carte)

C. Désastres des puissances centrales en Orient

    L’armée de Salonique, portée à près de 300.000 hommes se prépara à l’offensive, d’abord sous la direction de Guillaumat, nommé à la place de Sarrail en décembre 1917, puis sous celle de Franchet d’Esperey. Elle parvint, le 15 septembre 1918, à opérer la rupture du front germano - bulgare, en passant par une région montagneuse qui semblait inaccessible, poursuivit 1’ennemi et franchit la frontière de Bulgarie le 20 septembre ; le gouvernement bulgare demanda un armistice le 28 ; les Alliés pouvaient désormais menacer directement l’Autriche et prendre à revers l’Allemagne.

    Le front turc, en même temps, s’effondrait en Syrie par la prise de Damas, 1er octobre, puis d’Alep, 25 octobre. Les nouvelles de Bulgarie, jointes à la situation critique de l’armée d’Occident déterminèrent 1’état-major allemand, à la fin de septembre, à conseiller au plus vite des négociations de paix pour éviter le désastre et, le 5 octobre, le nouveau chancelier de l’empire, le prince Max de Bade, demanda au président Wilson de s’entremettre pour la conclusion d’un armistice et de la paix générale.

D. Les dernières luttes

    Le 19 octobre, le marécha1 Foch rédigea son dernier ordre directeur. À l’aile gauche, les troupes franco-belges, commandées par le général Degoutte devaient attaquer dans la direction de Bruxelles, les Anglo-français, au centre dans la direction de la Sambre (Charleroi, Namur, JPR), les Franco-américains à droite, dans la direction de Sedan. Les Alliés se rendirent maîtres de 1a seconde ligne de défense ennemie et occupèrent, avant le 10 novembre, Gand, Mons, Rocroi, Mézières, Sedan.  Les Allemands se replièrent en hâte vers les Ardennes, ils avaient perdu la grande voie Hirson - Sedan et ne disposaient plus pour communiquer avec l’Allemagne, que des rares lignes du Luxembourg et de celle de Liège à Aix-la-Chapelle. Sur l’ordre du généralissime, deux nouvelles armées, placées sous le commandement de Castelnau, devaient s’avancer des deux côtés de la Moselle, l’une dans la direction de Longwy - Luxembourg, l’autre dans celle de la Sarre, et menacer les dernières lignes de retraite de l’armée adverse. La situation de celle-ci paraissait militairement désespérée ; sous 1'impression des défaites, des émeutes éclatèrent parmi les marins, à Kiel et dans quelques grandes villes.

En Orient, les Serbes rentrèrent dans leur capitale, le 1er novembre. Les Turcs signèrent le 30 octobre, l’armistice de Moudros avec 1es Anglais, et Constantinople se trouva sous la domination de ces derniers.

    Le 24 Octobre, le général en chef italien, Diaz, passait à l’offensive sur la Piave (voir carte): les troupes autrichiennes, incapables de résistance, opérèrent une retraite qui se transforma en déroute et le 3 novembre, les Italiens entrèrent à Trente, Udine, Trieste. Le gouvernement autrichien, menacé à l’Ouest par les Italiens, au Sud-est par l'armée de Franchet-d’Esperey, demanda le 29 octobre un armistice et accepta, le 3 novembre, les conditions des Alliés, tandis que son empire se disloquait. (Voir Carte dans l’article "guerre en 1917").

E. L’armistice

    Le président Wilson, déclinant le rôle de médiateur que le chancelier allemand voulait lui faire jouer, renvoya sa demande d’armistice aux gouvernements alliés et fit savoir, par sa note du 23 octobre, que "les peuples ne pouvaient plus avoir confiance dans les paroles de ceux qui dirigeaient actuellement la Politique allemande". Comprenant l'impossibilité de continuer la lutte, le gouvernement allemand résolut de négocier directement un armistice avec les Alliés et plaça à la tête de la délégation un civil, membre du Reichstag et secrétaire d’État à la Propagande, Erzberger. Hindenburg prit congé de lui, au grand quartier général, en ces termes "Allez avec Dieu, et essayez d’obtenir le plus que vous pourrez pour notre patrie". Tandis que Guillaume II abdiquait et s'enfuyait en Hollande avec le Kronprinz, les délégués allemands furent reçus par le maréchal Foch dans son wagon, à Rethondes, près Compiègne, le 9 novembre au matin, et y prirent connaissance des conditions d'armistice fixées par les autorités militaires alliées. Erzberger les accepta le 11 au matin, quelques heures avant la fin du délai assigné. "Si vous n’arriviez pas à obtenir (les quelques atténuations demandées) ", lui avait télégraphié le grand quartier général, "il faudrait tout de même conclure".

    L'armistice était conclu pour 36 jours avec faculté de prolongation. Les Allemands devaient évacuer dans les 15 jours tous les territoires occupés sur le front Ouest, ainsi que l’Alsace-Lorraine ; dans les 30 jours, toute la rive gauche du Rhin, plus trois zones d’un rayon de 30 km autour des têtes de pont de Cologne, Coblentz, Mayence. Une zone de 10 km à l’Est du fleuve et des têtes de pont, serait neutralisée. Les Allemands abandonneraient tous les pays d’Europe orientale qu’ils détenaient, livreraient 5.000 canons, 25.000 mitrailleuses, 1700 avions, 5.000 locomotives, 150.000 wagons, la plupart de leur navires et sous-marins ; le blocus économique serait maintenu jusqu’à nouvel ordre et les prisonniers alliés immédiatement restitués sans condition de réciprocité. L’armistice ne contenait aucune cause politique mais mettait les Allemands hors d’état de reprendre la guerre. Il entra en vigueur dans les deux armées le 11 novembre à 11 heures du matin. À ce moment, les Alliés avaient reconquis presque tout le territoire français : "vous avez gagné la plus grande bataille de l’histoire" déclara Foch dans son ordre du jour, "et sauvé la cause la plus sacrée, la liberté du monde". Les Français firent leur rentrée à Metz le 19 novembre, à Strasbourg le 22 au milieu d’acclamations enthousiastes.

    La guerre avait duré 4 ans et 3 mois et intéressé plus ou moins directement toutes les puissances du monde ; 27 États, parmi lesquels la Chine, le Portugal, le Brésil, s'étaient déclarés, souvent d'une façon nominale, contre les puissances centrales. On a pu évaluer le nombre des personnes mobilisées à 70 millions, des morts à 8 millions, des blessés à 20 millions. La France qui avait mobilisé 8.410.000 hommes, comptait officiellement 1.383.000 tués, 2.800.000 blessés, dont la moitié l’avait été deux fois ; le nombre des morts pour l’empire britannique s’élevait à 984.000, pour l’Italie à 512.000, pour les Etats-Unis à 115.000, pour la Belgique à 51.000, pour la Russie à 1.700.000, pour l’Allemagne à 1.820.000 hommes.

    Trois grands empires s’étaient effondrés ; des régions entières se trouvaient dévastées en Italie, en Belgique 1914 : le martyre de la Belgique et surtout en France. Les passions nationales restaient surexcitées dans un grand nombre de régions ; les négociateurs de traités de paix devaient procéder à la reconstitution d’une grande partie de l’Europe et même de plusieurs pays asiatiques (Proche et Moyen-Orient, JPR). 

 

Fin du cours d’ A. ROUBAUD (Hatier, 1929)

 à suivre : 1914-1918 : des conséquences inouïes...

 1917 en Russie. 1ère partie : février
1917 en Russie. 2ème partie : Octobre
John REED, "Dix jours qui ébranlèrent le monde", une biographie
"OCTOBRE" de Serge Eisenstein (1927)

La guerre : l'année 1917

publié le 5 août 2014, 10:07 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 14 oct. 2017, 05:57 ]

    suite de La guerre : l'année 1916.

    Je reprends le cours de A. Roubaud, sachant que d’ici à 2017, de nouveaux et nombreux articles auront vu le jour sur cette « année terrible ». En attendant, voici sa synthèse écrite en 1927 et publiée par Armand Colin. J'ajoute quelques mots à la fin de l'article.

 

PLAN DU COURS

 

LES ÉVÉNEMENTS POLITIQUES

L’entrée des Etats-Unis dans la guerre

La révolution russe

PRINCIPAUX ÉVÉNEMENTS MILITAIRES

Les opérations en France

Les opérations en Italie

Les opérations dans les Balkans et en Asie

LA SITUATION A LA FIN DE 1917

 

***

A. LÉS ÉVÉNEMENTS POLITIQUES

 

    L’ENTRÉE DES ÉTATS-UNIS DANS LA GUERRE

    Le gouvernement des Etats-Unis avait d'abord affirmé son intention de rester à l'écart de la lutte européenne. Après le torpillage du paquebot anglais Lusitania en mai 1915, qui avait coûté la vie à 1.000 passagers, dont un grand nombre d'Américains, il s'était contenté d'engager une controverse théorique avec les puissances centrales, et quand â la fin de 1916, il demandait aux belligérants de faire connaître leurs conditions de paix, il semblait les placer encore sur le même plan. Le gouvernement allemand amena lui-même la rupture par la proclamation de la guerre sous-marine â outrance, et le cabinet de Washington, invoquant le principe traditionnel de la liberté des mers, rompit les relations diplomatiques, le 3 février 1917. La découverte d'intrigues allemandes, destinées à faire entrer le Mexique dans une coalition contre les États-Unis, acheva d irriter le public américain, et c'est au milieu de l’enthousiasme que Wilson lut, le 2 avril, au Congrès, le message proposant de déclarer la guerre à l'Allemagne.

    Les Allemands n'apprécièrent pas à sa valeur l'importance de cet événement. Les Etats-Unis, pensait-on généralement, ne pourraient donner à l'Entente qu'un appui économique, puisque leur armée ne dépassait pas 150.000 hommes et semblait difficilement transportable. Contrairement à ce qu'on attendait, ils fournirent un concours industriel secondaire et une aide militaire de premier ordre. Dès le mois de mai 1917; le Congrès vota la conscription ; au mois de mai 1917, la première division américaine commença â débarquer en France, suivie peu â peu de 27 autres.

    pour une analyse détaillée des causes de l'évènement : 1917 : entrée en guerre des Etats-Unis (1ère partie) et la 2ème partie

 

    LA RÉVOLUTION RUSSE

    Par contre, les Alliés perdirent, la même année, l'appui de la Russie. Le mécontentement y devenait de plus en plus vif, dans.les milieux politiques contre l’incurie du gouvernement, et l'attitude suspecte de plusieurs ministres, le premier mouvement révolutionnaire, en mars 1917, fut dirigé par des libéraux patriotes qui voulaient l’établissement d’une monarchie constitutionnelle et la continuation de la guerre contre l’Allemagne. Renonçant à lutter, Nicolas II abdiqua le 15 mars et, désireux de garder son fils près lui à cause du sa santé, laissa le pouvoir à son frère Michel qui le déclina. Un gouvernement provisoire, composé de patriotes, fut organisé, mais déjà s’installait à Petrograd -nom de Saint-Pétersbourg depuis 1914- un comité d'ouvriers et de soldats (soviet), dirigé par la fraction communiste des bolcheviks.

    Connaissant à la fois la lassitude générale des Russes pour la guerre, le désir de posséder la terre qui animait les paysans, les Communistes organisèrent dans l'armée une intense propagande[1]. En vain, un socialiste démocrate, Kerenski, qui exerçait un pouvoir dictatorial depuis juillet 1917, essaya d’entrainer les Russes à une nouvelle offensive en Galicie. Des comités de soldats s’organisèrent dans les régiments ; les officiers furent maltraités et les hommes "fraternisèrent" dans les tranchées avec leurs adversaires. Le chef communiste Lénine, qui se trouvait en Suisse, revint en Russie avec la complicité du gouvernement allemand. Une tentative militaire du général Kornilov, ancien commandant fr Petrograd, pour rétablir 1’ordre, échoua par suite du refus de Kerenski d'y collaborer. Par un second mouvement révolutionnaire, au début de novembre 1917 (calendrier grégorien, JPR), les bolcheviks s’emparèrent du pouvoir avec l’aide de l’armée et instituèrent un régime de dictature terroriste. Ils signèrent, dès décembre, un armistice général avec les puissances centrales, puis, violant la déclaration de Londres, entamèrent avec elles des négociations qui, après, des vicissitudes variées, aboutirent au traité de Brest-Litovsk (mars 1918) et au démembrement de la Russie. lien JPR : La paix de Brest-Litovsk, 3 mars 1918

 1917 en Russie. 1ère partie : février

B - PRINCIPAUX ÉVÉNEMENTS MILITAIRES

    Les évènements militaires ne présentent qu'une importance secondaire à côté des événements politiques.

    LES OPÉRATIONS EN FRANCE

Renonçant aux offensives à objectif limité pratiquées en 1916, le nouveau généralissime français (Nivelle jusqu’au 15 mai 17, JPR), encouragé par ses succès dans la région de Verdun, espérait obtenir par des moyens tactiques la rupture du front ennemi et l'exploiter ensuite stratégiquement.

    De son côté, le commandement allemand avait décidé l’évacuation de l’angle saillant formé par ses positions entre Péronne, Noyon, Soissons, et le repli de l’armée vers de solides retranchements préparés à l'avance, les « lignes Hindenburg » qui par les régions de Cambrai, de La Fère, de la forêt de Saint-Gobain,  venaient se rattacher aux hauteurs de l'Aisne et du chemin des Dames.

    Le recul stratégique s'opéra en mars, sans que les Alliés s’en aperçussent d'abord. Les Allemands dévastèrent le pays abandonné, défonçant les routes, détruisant les usines, coupant même les arbres fruitiers. Le commandement allié dut modifier au dernier moment le plan de l’offensive prévue ; 1'attaque s’engagea néanmoins, en avril 1917, sur le front anglais en Artois, (lire détails dans mon article : La guerre, l'horreur, Arras, ville martyre. ) sur le front français de Soissons à l’Argonne et, malgré de lourdes pertes, n’aboutit qu’à de faibles progrès. Cet échec amena le remplacement du général Nivelle par le général Pétain, à la tête de l’armée française (mai 1917).

    La déception causée par cet insuccès, la lassitude des hommes, 1’action d'une propagande pacifiste qui s’exerçait depuis longtemps à l’arrière du front, causèrent dans l’armée un grave fléchissement moral et même des mutineries. En se mettant en contact avec la troupe, en améliorant les conditions d’hygiène et de sécurité, en s'adressant au patriotisme des combattants, le général Pétain parvint, peu à peu, à rétablir 1'ordre et à ranimer la confiance. Soucieux de ménager les effectifs, il prescrivit, pour la défensive, de ne laisser en première ligue qu’un petit nombre de postes et de reporter les principales forces en arrière ; en même temps, il organisa des offensives limitées qui, soigneusement préparées, furent couronnées de succès. Les Français reconquirent, dans la région de Verdun, les lignes de 1915 et, par la bataille de Malmaison (octobre 1917), acquirent la possession complète des hauteurs de l'Aisne et du chemin des Dames.

    LES OPÉRATIONS EN ITALIE

    Les puissances centrales portèrent leur principal effort vers l'Italie, en octobre 1917. Une armée allemande parvint, par surprise, à rompre le front dans un secteur escarpé des Alpes Juliennes, près de Caporetto, et fut appuyée dans les autres régions par les troupes autrichiennes. Pour éviter l'encerclement, les différentes armées italiennes durent se replier en hâte. Des troupes françaises, puis anglaises, transportées en chemin de fer et en camions, vinrent au secours de leurs alliés et l’armée italienne put se reconstituer, derrière la ligne de la Piave. Elle avait perdu 200.000 prisonniers et 1.800 canons.


    LES OPÉRATIONS DANS LES BALKANS ET EN ASIE

    Le gouvernement français, triomphant de la résistance de ses alliés, adapta une attitude plus énergique à l’égard du gouvernement grec, envoya Jonnart en mission extraordinaire, en juin 1917, et exigea le départ du roi Constantin d'Athènes. Venizélos reprit, comme ministre, la direction des affaires et conclu une alliance avec l'Entente. Libre de ses mouvements, l'armée de Salonique put opérer quelques progrès.

    Si l'action russe s'arrêtait dans le Caucase, les Anglais remportaient en Asie des succès importants. Ils occupaient Bagdad, mars 1917, et, repoussant l’armée turco-allemande de Palestine, ils s'emparaient de Gaza, de Jaffa et enfin de Jérusalem (novembre-décembre 1917).

 

LA SITUATION A LA FIN DE 1917

    À la fin de l’année 1917, l’empire russe effondré ne comptait plus parmi les belligérants. En Autriche, la convocation de la Chambre viennois, après trois ans de vacances, montrait la profondeur croissante des oppositions nationales. Les autres grands pays tendaient toutes leurs forces pour la continuation de la lutte. En Allemagne, l’état-major, sous la direction de Ludendorff, s’efforçait de contrôler toute la vie politique et économique, et le chancelier, Bethmann-Hollweg, dont la situation devenait da plus en plus difficile, démissionnait en juillet 1917. En Angleterre, le cabinet Lloyd-George exerçait une sorte de dictature. En France, un ministère énergique, dirigé par Clemenceau, prenait le pouvoir en novembre 19l7. "Plus de campagnes pacifistes, dit il dans sa déclaration, plus de menées allemandes. Ni trahison ni demi-trahison, la guerre. Rien que la guerre". La confiance revenait dans les esprits, mais on sentait de plus en plus la nécessité d'un commandement unique à la tête des Alliés, d’autant plus que les Allemands, n’ayant désormais rien à craindre de la part des Russes, s’apprêtaient à concentrer toutes leurs fortes sur le front occidental.

 

Fin du cours d’ A. Roubaud

 COMPLÉMENTS D'INFORMATION

    Ainsi que vous le voyez, l'auteur "balaie" tous les champs de bataille de la guerre.  C'est ce qui fait l'excellence de son plan. Cela dit, il est très incomplet sur les "mutineries" qui font l’actualité en 1917, sur le front français. Il faudra y revenir. Mais l'année 2017 verra la publication de nombreuses études sur ce point.

    De plus, l'auteur est très superficiel sur les causes de l'entrée en guerre des États-Unis. Les causes humanitaires sont parfaitement superficielles dans la prise de décision et elles servent surtout à émouvoir l'opinion publique américaine afin de mener une campagne de presse qui arrachera l'adhésion de l'opinion. Sur cela aussi, il faudra revenir. 1917 : entrée en guerre des Etats-Unis (1ère partie)

    Sa chronologie des évènements russes est erronée : Lénine arrive avant Kerenski.

à suivre : la guerre : l'année 1918


[1] Compte-tenu de la structure sociale de la population de l’empire russe, l’immense majorité des soldats est constituée de paysans. En s’adressant aux soldats, Lénine et son parti visent aussi la paysannerie (JPR).


"Les idées de 1914" : 1914 versus 1789

publié le 26 juin 2014, 08:50 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 5 févr. 2021, 07:55 ]

    Après le déclenchement de la guerre, les insultes nationalistes réciproques ne suffisent plus et, pour justifier l’injustifiable, à savoir le carnage de l’année 1914, les tranchées et la guerre d’usure qui commencent dès décembre 1914 pour s’installer dans la durée en 1915, le parti de l’Intelligence -universitaires, journalistes, écrivains- se met au travail pour tâcher de créer des concepts explicatifs et justificatifs. On a vu avec la préface de Clemenceau écrite en 1915 au livre du général Von Bernardi (lien"Notre avenir" par le général**** von Bernhardi (1912), préfacé par Clemenceau (1915)) écrit en 1912 que la guerre était devenue idéologique. Et ce n’est qu’un exemple. octobre 1914 : Appel des intellectuels allemands aux nations civilisées Avec le viol de la Belgique, les Allemands ont donné aux Alliés un argument de poids : ceux-ci se battent pour le Droit, c’est "la guerre du Droit". Et la France a beau jeu de mettre en avant 1789 et la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Les idéologues allemands doivent répliquer et "essaient dans une énorme masse de brochures et d’articles de construire un contre-idéal allemand (…)" (E. Demm, Paris X). Au sein de cette littérature, émergent les auteurs et écrits suivants : Johann Plenge, Der Krieg und die Volkswirtschaft (Münster, 1915) et aussi 1789 und 1914: Die symbolischen Jahre in der Geschichte des politischen Geistes (Springer, Berlin 1916) qui est un complément au travail-phare de Rudolf Kjellen (1864-1922), Die Ideen von 1914, (Leipzig, 1915). On trouve aussi d’Ernst Troeltsch (1865-1923) Die Deutsche Freiheit, (Gotha, 1917), également, de Werner Sombart (1864-1941), Händler und Helden, (Munich, Leipzig, 1915). Malheureusement, ces livres n’ont pas été traduits en France et l’on doit faire confiance à des comptes-rendus effectués par des germanistes comme Joseph Dresch (recteur à Strasbourg en 1945), que j’ai déjà cité par ailleurs, ou Eberhard Demm professeur à Paris X [1]. Il y a aussi la présentation effectuée par R. Steuckers, universitaire d’extrême-droite ce qui ne l’empêche pas, hélas, d’être intelligent et érudit.NB. dans le texte qui suit, les citations surlignées en jaune sont celles extraites du travail en ligne de Steuckers (Vouloir).

    C’est Kjellen, universitaire suédois, soi-disant neutre comme son pays mais en réalité très germanophile, qui pose l’antagonisme autour duquel s’ordonne la bataille idéologique : la guerre de 1914 menée par les Empires centraux s’effectue au nom de valeurs qui ne sont plus celles de 1789 lesquelles ont empoisonné la planète entière, non, elle a ses valeurs propres, originales, fécondes : ce sont les idées de 1914. Ces soi-disant valeurs ne tiennent pas la route à côté de celles de 1789, mais elles alimentent la bête immonde et les nazis feront leur miel fétide avec beaucoup de ces pseudos arguments.

 

LA (SOI-DISANT) DÉFAITE DES IDÉES DE 1789

    Quelle est l’approche des idées de 1789 par Kjellen ? Ce sont des "slogans usés". Elles ont été perverties par "la bourgeoisie dégénérée par le commerce". La Liberté est devenue anarchie individualiste. L’Égalité est une "décollation de l’humanité", comprendre : elle génère la médiocrité et empêche l’émergence des élites. La Fraternité porte en elle le risque de cosmopolitisme ; elle est cependant renforcée par la camaraderie des tranchées, elle est donc ambivalente. 

    Concernant la liberté.

"La liberté, selon l'idéologie de 1789, est l'absence/refus de liens (l'Ungebundenheit, le Fehlen von Fesseln). Après les événements révolutionnaires, l'idée quatre-vingt-neuvarde (sic) de liberté s'est figée dans l'abstraction et le dogme. Le processus de dissolution qu'elle a amorcé a fini par tout dissoudre, par devenir synonyme d'anarchie, de libertinisme et de permissivité (Gesetzlosigkeit, Sittenlosigkeit, Zoegellosigkeit).  Il faut méditer l'adage qui veut que la « liberté soit la meilleure des choses pour ceux qui savent s'en servir ». La liberté, malheureusement, est laissée aux mains de gens qui ne savent pas s'en servir".

    L’égalité a conduit à l’égalitarisme.

"Son hypertrophie a conduit à un autre déséquilibre : celui qui confine l'humanité dans une moyenne, ou les petits sont agrandis et les grands amoindris par décret. En fait, seuls les grands sont diminués et les petits restent tels quels".

                            L’humanité est décapitée, perd ses élites.(idée que l'on retrouvera durant l'entre-deux-guerres chez des hommes comme H. Béraud, Halévy.. ).

    La fraternité aurait pu provoquer la fin du fait national dont la guerre déclarée en 1914 montre au contraire toute la vigueur. Le cosmopolitisme peut dissoudre les nations et, de fait, est un phénomène inorganique.

    C’est toute la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui est remise en cause par ces auteurs.

"L’homme quatre-vingt-neuvard, comme l'a démontré Sombart, veut recevoir de la vie et non lui donner ses efforts. Cette envie de recevoir, consignée in nuce (en résumé, en un mot, JPR) dans la Déclaration des droits de l'homme, transforme l'agir humain en vulgaire commercialisme (obtenir un profit d'ordre économique) et en eudémonisme (avoir des satisfactions sensuelles, recherche du bonheur)".

    Sombart est l’auteur d’un ouvrage qui a inspiré Kjellen : "Les marchands et les héros". Par marchands il faut entendre l’activité du bourgeois anglais préoccupé uniquement par la recherche du profit. Alors que l’Allemand a des préoccupations supérieures qui sont celles de celui qui cherche où est son devoir. Avec un politologue danois, Frédéric Weis, auteur de L’effondrement des idéaux, Kjellen constate, avec la guerre qui s’avère longue et meurtrière, l’effondrement de cinq valeurs fondamentales qui ont parcouru le XIX° siècle :

"1) l'idée de paix universelle

2) l'idéal humaniste de culture

3) l'amour de la patrie, qui, de valeur positive, s'est transformé en haine de la patrie des autres

4) l'idée de fraternité internationale portée par la social-démocratie

5) l'amour chrétien du prochain".

 

    QUELLES SONT ALORS LES VALEURS DE 1914 ?

 

    L’Ordre et le Devoir

    Elles sont bien exposées dans un ouvrage allemand, celui de Plenje, qui présente le travail de Kjellen à ses compatriotes tout en ajoutant sa coloration prusso-allemande. "1914 inaugure l’ère de l’organisation" écrit le Suédois Kjellen, et Plenje ajoute "l’ère de l’organisation allemande". "La révolution de 1914" poursuit-il, "c’est la reconstitution des forces de l’État au XX° siècle contre la liberté destructrice du XVIII° siècle". Cela va évidemment dans le sens des idées de Kjellen qui pense qu’"il y a mieux que la liberté, il y a l’ordre. On a soif d’ordre aujourd’hui, comme au XVIII° siècle on avait soif de liberté". Plenje reprend avec délice l’affirmation de Kjellen qui évoque la grande figure d’Emmanuel Kant, compatriote de Plenje :

"La Prusse, puis l'Allemagne, ajoutent à l'idée des droits de l'homme l'idée des devoirs de l'homme, mettant l'accent sur la Pflicht (Devoir) et l'impératif catégorique (Kant). Le mixte germanique de droits et de devoirs (offre à) l'humanité (…) une perspective supra-individuelle, assortie d'une stratégie du don, du sacrifice. L'idée de devoir implique aussitôt la question : "que puis-je donner à la vie, à mon peuple, à mes frères, etc. ?" ".

    Selon Kjellen, en 1789, le plaisir et le bonheur sont proclamés comme buts de la vie ; la nouvelle valeur principale de 1914 est le devoir. L’Allemagne grâce à l’impératif catégorique de Kant avait un autre idéal que le France.

    L’égalité doit être remplacée par la justice selon Kjellen qui accepterait l’idée nietzschéenne de surhumanité. Quant au cosmopolitisme dissolvant de la nation, il doit disparaître au profit d’un nouveau mot d’ordre : vivre dans un ensemble, dans une totalité, dans un organisme. "L’Allemagne est arrivée à constituer l’État commercial fermé de Fichte [2] ; elle a de plus, réalisé la pensée hégélienne de l’État, c’est en Allemagne qu’est contenu le XX° siècle. L’Allemagne est le peuple modèle. Ses idées vont marquer les buts de l’humanité" (Plenje cité par Joseph Dresch).

    Primauté du fait national

    Autres constats effectués par ces "révolutionnaires de 1914" :

    L’unité de l’internationale religieuse est détruite.

"En effet, les soldats de toutes les puissances belligérantes se réclament de Dieu et non du Christ. Ce Dieu invoqué par les nouveaux guerriers est nationalisé ; il est totémique comme Jéhovah aux débuts de l'histoire juive ou comme les dieux païens (Thor/Wotan). Ce Dieu nationalisé n'est plus le Nazaréen (i.e. Jésus, JPR) avec son message d'amour. Ce panthéon de dieux uniques nationalisés et antagonistes remplace donc le messie universel".

    Mais à ce national-luthérianisme s’ajoute un bienfait : à la lutte des classes bourgeois/ouvriers se substituent le coude-à-coude, l’amitié des tranchées et les tensions se portent au plan international. La lutte des peuples a remplacé la lutte des classes.

"En dépit de cet éclatement du divin, il en reste néanmoins quelque chose de puissant. La paix avait été dangereuse pour Dieu (sic) : des hommes politiques avaient inscrit l’irréligion dans les programmes qu'ils s'efforçaient d'appliquer (comprendre : le socialisme et notamment sa variante marxiste). Et si la guerre suscite l'apparition de dieux nationaux qui sèment la haine entre les peuples, elle déconstruit simultanément les haines intérieures qui opposent les diverses composantes sociales des nations (comprendre : la lutte des classes). La guerre a transplanté la haine de l'intérieur vers l'extérieur. La paix sociale, la fraternité, l'entraide, les valeurs fraternelles du christianisme progressent (mais à l’intérieur des frontières, JPR), d’où l'on peut dire que la guerre a accru dans toute l'Europe l'amour du prochain (à condition qu’il soit un compatriote ou un allié). En conséquence, ce qui s'effondre, ce sont de pseudo-idéaux, c'est l'armature d'une époque riche en formes mais pauvre en substance, d'une époque qui a voulu évacuer le mystère de l'existence".

    Le collectif

    Le collectif prime sur l’individualisme. On trouve cette "valeur" chez trois auteurs différents mais tout à fait contemporains. Plenge écrit : "coopère, c’est la liberté de l’acte ; intègre-toi, c’est l’égalité du service, vit dans le collectif, c’est la fraternité du véritable socialisme" ; Troeltsch définit la liberté allemande (sic) comme "la discipline voulue (…) l’épanouissement de la personnalité individuelle dans et pour le collectif" ; Sombart, quant à lui, demande "le dévouement au collectif, ordre et discipline".

     En conclusion pour ce paragraphe, 1789 versus 1914 c’est tout à la fois, droits vs devoir, bonheur/l’œuvre, plaisir/vie de sacrifice selon Sombart ; Kjellen ajoute l’affrontement moi/Dieu, trafiquant/héros, négoce/militarisme, et reprend les idées de Sombart avec les valeurs antagoniques plaisir vs dévouement, intérêts/sacrifice.

 

QUELLE VALEUR ACCORDER AUX "IDÉES DE 1914" ?

    J’aurais l’occasion d’y revenir, on dispose de copies de baccalauréat composées par des lycéennes d’Essen (Ruhr) pour la session de 1915. L’une d’elles, Frieda B., écrit avec conviction : "le militarisme est le plus noble résultat des capacités organisationnelles de notre peuple" ce qui lui vaut un "Bien" écrit dans la marge par le professeur-correcteur [3]. On voit que les valeurs de 1914 sont descendues jusqu’au niveau des adolescentes. Il était aussi dans des têtes plus pleines, ainsi l’appel des 93 intellectuels allemands d’octobre 1914, appel qui déshonore la fonction :

"Sans notre militarisme, notre civilisation serait anéantie depuis longtemps. C'est pour la protéger que ce militarisme est né dans notre pays, exposé comme nul autre à des invasions qui se sont renouvelées de siècle en siècle. L'armée allemande et le peuple allemand ne font qu'un (…)".

Lien : octobre 1914 : Appel des intellectuels allemands aux nations civilisées

    Le militarisme n’a de sens que si l’on s’en sert, si un jour les intérêts allemands sont réglés par la guerre. Les idées de 1914 sont donc d’abord un crime contre la paix. Mais chez les gens d’extrême-droite, la paix n’est pas une valeur à défendre. Les soi-disant valeurs de 1914 c’est aussi l’assassinat de J. Jaurès.

    On a constaté que les différents auteurs ne parlent nulle part du viol de la Belgique mais ce pays "minuscule" (sic) n’a pas le droit de vivre et son annexion/intégration à l’Allemagne était prévue après la victoire. Et le traité de neutralité de la Belgique n’était que chiffon de papier, le général Bernardi utilise deux ans avant 1914 cette expression. Les idées de 1914 ont été énoncées par l’un des plus importants idéologues allemands avant la déclaration de guerre, Treitschke : (L’idéologie allemande à l’époque de Guillaume II : Treitschke et les autres)

"L'État est le peuple uni par la loi et considéré comme une puissance indépendante. L'État est la puissance qui a le droit et le pouvoir de faire prévaloir par les armes sa volonté contre toute volonté étrangère ; c'est une puissance libre, souveraine, qui ne peut se soumettre à d'autre volonté que la sienne. Ce qui le distingue de toutes les autres associations, c'est qu'il ne reconnaît au-dessus de lui aucune puissance".

    Mépris du droit international qui s’applique à l’annexion par la force de l’Alsace-Moselle :

"Le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, ce mot de ralliement de démagogues sans patrie doit être rayé. L'Alsace et la Lorraine sont à nous par le droit de l'épée. Nous voulons les rendre à elles-mêmes, malgré leur volonté".

    C’est pourquoi, nos auteurs sont peu crédibles lorsqu’ils citent Emmanuel Kant à tout bout de champ. Certes, Kant est le créateur du concept d’impératif catégorique mais il écrivit également, en 1795, un "Projet de paix perpétuelle" que, quelque temps plus tard, Hegel balaiera d’un revers de main. L’idée de paix universelle qui aurait été, soi-disant, dangereuse pour Dieu -parce qu’elle favorisait la diffusion des idées pacifistes et internationalistes (Prolétaires de tous les pays, Unissez-vous !) sera reprise par les concepteurs de la Société des nations, en 1919. L’extrême-droite à la Maurras, en France, n’aura de cesse de critiquer le principe même de S.D.N. et Hitler, une fois au pouvoir, la quittera au premier prétexte.

    Ce culte de l’État souverain qui ne se lie les mains par aucun traité ou qui se croit en droit de le rompre à la moindre occasion, en Allemagne en tout cas, ne date pas de 1914. L’acte fondateur de l’ État-prédateur a été commis par Frédéric II qui, en 1740, à peine couronné roi de Prusse, s’empare, tel un brigand, de la Silésie autrichienne sans informer quiconque surtout pas l’impératrice Marie-Thérèse. (NB. Pour être tout à fait honnête, on doit citer l'annexion de Strasbourg à la France par Louis XIV, en 1685, "sans aucun horipeau juridique" (P. Goubert)).  Prédation qui sera suivie par le partage de la Pologne dont l’État disparaitra totalement (trois partages de 1772 à 1795). La réflexion des intellectuels allemands les amène à rejeter le principe du  droit des peuples à disposer d’eux-mêmes : ce principe de 1789 sera (presque) systématiquement mis en œuvre par les Alliés à partir de 1919.

    Le principe de "l’intégration de l’individu dans le collectif" annonce la constitution de l’État totalitaire. Non pas que l’individu doive refuser toute participation à l’effort commun lorsque c’est nécessaire - et les Révolutionnaire français de 1793 l’ont montré lorsque la Patrie fut en danger - mais il doit garder son libre-arbitre, principe que Kant affirme avec netteté. "Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! " est connu pour être la devise des Lumières. Zeev Sternhell parle la plupart du temps des "Lumières franco-kantiennes" du XVIII° siècle. Il est clair que la liberté de conscience individuelle, de critique peut s’opposer à la volonté du collectif. Poser en théorie que le collectif représente la valeur suprême - et dans un cadre politique non-parlementaire - c’est nier les inégalités, les divergences d’intérêts et d’opinion et surtout c’est nier les différences de classes et la lutte qui est engagée entre elles. Les fascistes verront dans l’amitié, la camaraderie des tranchées où le fils de bourgeois fraternise avec l’ouvrier, tous avec le même uniforme, ils verront l’acte de naissance de la Révolution nationale (Valois en France). En réalité, aucun pays n’offre l’exemple durable d’une paix intérieure bâtie sur la négation des conflits sociaux.   

    Il est frappant qu’aucun des auteurs cités ne parle de Guillaume II, de ses pouvoirs militaires, de la conception divine de sa mission, de l’absence de suffrage universel en Prusse - système des trois classes, cf. un excellent article de Wiki - du caractère non-parlementaire du gouvernement de l’empire où le chancelier n’est responsable que devant le kaiser, etc… Il n’est pas étonnant en revanche qu’ils ne parlent pas de la domination de la noblesse et de l’absence de la bourgeoisie aux postes de commande puisque c’est un état de fait historique admis par la bourgeoisie allemande. Mais le maître-penseur F. Hegel niait l’intérêt même de la démocratie ; il est toujours suivi (cf. supra) en 1914 : (lien Bismarck et l’unité allemande)

"Si, par peuple, on veut désigner ce qui n’est ni le prince ni les fonctionnaires, on doit dire que le peuple est tout à fait impropre à déterminer quels sont les vrais intérêts de l’État. Le peuple, c’est la partie de l’État qui ne sait pas ce qu’elle veut. Les hauts fonctionnaires sont bien plus au courant des besoins de l’État et peuvent bien mieux y pourvoir que le parlement, et même sans le parlement (souligné par moi, JPR)".[4]

    Bref, le système allemand est beaucoup plus marqué par le Traditionalisme que par l’esprit de Révolution.

    Il est un fait presque unanimement acquis, en Allemagne, en 1914 : c’est le mercantilisme de l’Angleterre fauteur de guerre. Les Allemands oublient qu’ils ont inventé la révolution commerciale : si les Anglais se contentèrent comme publicité du célèbre "made in England", les Allemands, arrivés sur le tard, inventèrent le démarchage et le sur-mesure, fabriquant les produits en fonction des besoins exprimés du client. C’est un pays de Luthériens et de Calvinistes qui n’ont pas vocation à rester les deux pieds dans le même sabot, et de fait, on les trouve partout, sur tous les marchés du monde en 1914. Ils aspirent, en réalité, à posséder le même empire que leur seul vrai ennemi : l’Angleterre. C’est sans doute cela la seule vraie idée de 1914.

    C’est pourquoi il est assez stupéfiant de lire ces textes qui présentent l’Allemagne comme modèle à suivre, comme pays qui a un message universel.

 

ROBESPIERRE ET LE DEVOIR DU CITOYEN : LA VERTU

    J’avoue avoir été assez agacé par ces idéologues d’outre-Rhin qui ne nous parlent que de devoir alors que la Révolution française ne serait que source de plaisirs, d’eudémonisme, égoïsme, etc… J’ai cherché et trouvé rapidement chez Robespierre la réplique. Voici quelques extraits de son discours prononcé à la Convention le 17 pluviôse an II (5 février 1794), la Révolution reste, alors menacée de toutes parts :

 

    "Quel est le but où nous tendons? La jouissance paisible de la liberté et de l'égalité; le règne de cette justice éternelle dont les lois ont été gravées, non sur le marbre et sur la pierre, mais dans les cœurs de tous les hommes, même dans celui de l'esclave qui les oublie, et du tyran qui les nie.

    Nous voulons un ordre de choses où toutes les passions basses et cruelles soient enchaînées, toutes les passions bienfaisantes et généreuses éveillées par les lois; où l'ambition soit le désir de mériter la gloire et de servir la patrie; où les distinctions ne naissent que de l'égalité même; où le citoyen soit soumis au magistrat, le magistrat au peuple, et le peuple à la justice; où la patrie assure le bien-être de chaque individu, et où chaque individu jouisse avec orgueil de la prospérité et de la gloire de la patrie; où toutes les âmes s'agrandissent par la communication continuelle des sentiments républicains, et par le besoin de mériter l'estime d'un grand peuple; où les arts soient des décorations de la liberté qui les ennoblit, le commerce la source de la richesse publique et non seulement de l'opulence monstrueuse de quelques maisons.

    Nous voulons substituer dans notre pays la morale à l'égoïsme, la probité à l'honneur, les principes aux usages, les devoirs aux bienséances, l'empire de la raison à la tyrannie de la mode, le mépris du vice au mépris du malheur, la fierté à l'insolence, la grandeur d'âme à la vanité, l'amour de la gloire à l'amour de l'argent, les bonnes gens à la bonne compagnie, le mérite à l'intrigue, le génie au bel esprit, la vérité à l'éclat, le charme du bonheur aux ennuis de la volupté, la grandeur de l'homme à la petitesse des grands, un peuple magnanime, puissant, heureux, à un peuple aimable, frivole et misérable, c'est-à-dire toutes les vertus et tous les miracles de la république, à tous les vices et à tous les ridicules de la monarchie.

    Nous voulons, en un mot, remplir les vœux de la nature, accomplir les destins de l'humanité, tenir les promesses de la philosophie, absoudre la providence du long règne du crime et de la tyrannie. Que la France, jadis illustre parmi les pays esclaves, éclipsant la gloire de tous les peuples libres qui ont existé, devienne le modèle des nations, l'effroi des oppresseurs, la consolation des opprimés, l'ornement de l'univers, et qu'en scellant notre ouvrage de notre sang, nous puissions voir au moins briller l'aurore de la félicité universelle... Voilà notre ambition, voilà notre but.

    Quelle nature de gouvernement peut réaliser ces prodiges? Le seul gouvernement démocratique ou républicain : ces deux mots sont synonymes, malgré les abus du langage vulgaire ; car l'aristocratie n'est pas plus la république que la monarchie. La démocratie n'est pas un état où le peuple, continuellement assemblé, règle par lui-même toutes les affaires publiques, encore moins celui où cent mille fractions du peuple, par des mesures isolées, précipitées et contradictoires, décideraient du sort de la société entière : un tel gouvernement n'a jamais existé, et il ne pourrait exister que pour ramener le peuple au despotisme.

    La démocratie est un état où le peuple souverain, guidé par des lois qui sont son ouvrage, fait par lui-même tout ce qu'il peut bien faire, et par des délégués tout ce qu'il ne peut faire lui-même. C'est donc dans les principes du gouvernement démocratique • que vous devez chercher les règles de votre conduite politique.

    Mais, pour fonder et pour consolider parmi nous la démocratie, pour arriver au règne paisible des lois constitutionnelles, il faut terminer la guerre de la liberté contre la tyrannie, et traverser heureusement les orages de la Révolution : tel est le but du système révolutionnaire que vous avez régularisé. Vous devez donc encore régler votre conduite sur les circonstances orageuses où se trouve la République; et le plan de votre administration doit être le résultat de l'esprit du Gouvernement révolutionnaire, combiné avec les principes généraux de la démocratie.

    Or, quel est le principe fondamental du gouvernement démocratique ou populaire, c'est-à-dire le ressort essentiel qui le soutient et qui le fait mouvoir? C'est la vertu ; je parle de la vertu publique qui opéra tant de prodiges dans la Grèce et dans Rome, et qui doit en produire de bien plus étonnants dans la France républicaine; de cette vertu qui n'est autre chose que l'amour de la patrie et de ses lois.  [ ... ] " [5]

 

 



[1] « Les idées de 1789 et les idées de 1914, la Révolution française dans la propagande de guerre allemande », intervention au colloque tenu à Besançon, 1987, sur le thème "La réception de la Révolution française dans les pays de langue allemande", Les Belles Lettres, Paris 1987, 170 pages.

[2] L’auteur aurait pu évoquer Friedrich List, (1789-1846), créateur du concept de "protectionnisme éducateur".

[3] Numéro spécial du Courrier international, « La guerre des autres », Juin-Août 2014.

[4] HEGEL, Principes de la philosophie du droit, d’après le § 301.

[5] Cité par Claude MAZAURIC, "Robespierre, écrits", Messidor, Éditions sociales, 1989, Paris, 376 pages.

    Référence pour l'ouvrage de Kant : "Projet de paix perpétuelle", Librairie philosophique J. VRIN, Paris, 1975

La guerre : l'année 1916.

publié le 17 mai 2014, 05:44 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 22 févr. 2016, 07:00 ]

Plan du cours d’ A. ROUBAUD

 

 

I.  LES FRONTS D’OCCIDENT

        VERDUN

        BATAILLE DE LA SOMME - DÉGAGEMENT DE VERDUN

        LE FRONT ITALIEN

II.   LES FRONTS ORIENTAUX

        LE FRONT RUSSE

        INVASION DE LA ROUMANIE

        L’ARMÉE DE SALONIQUE

        OPÉRATIONS EN ASIE

        SITUATION A LA FIN DE 1916

 III. LES COMMENTAIRES DE J.-P. RISSOAN


LA VOIE SACRÉE : cordon ombilical entre le front de Verdun et l'arrière. La route est étroite, on distingue le courant montant et le courant descendant. Traction automobile et hippomobile : le rôle du cheval est important. les véhicules sont à l'arrêt : c'est exceptionnel, en principe le flux doit être tendu et jamais interrompu, les soldats dits "territoriaux" -les plus âgés - sont chargés de mettre de côté le véhicule en panne afin que le flux ne cesse jamais. A l'arrière-plan, des wagons sur "le tortillard".(J.-P. R.)

LA GUERRE : L’ANNÉE 1916

 

I. LES FRONTS D’OCCIDENT

    A. VERDUN

    Le commandement allemand, qui avait pu prélever de nombreuses forces sur le front oriental, décida de tenter une grande offensive du côté de 1'Ouest, à la fois pour prévenir celle qu'il prévoyait de la part des Alliés et pour imposer la paix à l'adversaire par un grand succès stratégique et moral. Ne croyant pas au succès des attaques frontales, il résolut de faire tomber un des points vitaux de la défense ennemie et, après avoir hésité entre Belfort et Verdun, se prononça pour l'attaque de cette dernière ville.

    NB. j'admets que le carte ci-dessous est guère lisible. En voici une qui, au contraire est (presque) parfaite

http://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Verdun_%281916%29#mediaviewer/Fichier:Battle_of_Verdun_map.png     MAIS ! cette carte en anglais - la célèbre cote 304 devient hill 304) n'indique ni la VOIE SACRÉE, ni le petit train aux rails à faible écartement, dit LE MEUSIEN, appelé le Tortillard par les Poilus. Repérez Souville, Douaumont, cote 304, mort Homme,

  
     
La place de Verdun se trouvait, en principe, défendue par plusieurs lignes de retranchements, mais les travaux n'avaient pas été poussés comme ils l'auraient dû. L'attaque, confiée au Kronprinz et à 10 divisions, devait commencer par la rive droite de la Meuse, et s’étendre seulement ensuite sur la rive gauche. Les assaillants progresseraient par échelons, en réduisant au minimum les travaux d'approche ; ils se contenteraient d'une préparation d'artillerie intense, mais brève, de façon à se réserver le bénéfice de la surprise.

    Après un feu d’artillerie exécuté avec des pièces de 210 et de 420 millimètres [1],qui dura seulement 12 heures, mais produisit des effets écrasants, les Allemands attaquèrent, le 21 février au soir, et enlevèrent rapidement la première, puis la seconde des positions françaises ; le 25, ils s’emparèrent par surprise du  fort de Douaumont, dépourvu de défenseurs (sic, JPR). L'état-major envisagea, un moment, l'évacuation de Verdun et le repli de l'armée sur la Rive gauche de la Meuse ; mais après la mission du général de Castelnau, il décida que la défense se poursuivrait sur la rive droite. Le général Pétain fut chargé, à la tête de la 2°armée  de la défense de Verdun ; les renforts et les munitions affluèrent. La seule grande voie ferrée occupée entièrement par les Français, celle de Verdun à Sainte-Menehould, se trouvait sous le tir de l’artillerie allemande et l’on ne disposait, pour ravitailler la défense, que d’un chemin de fer à voie étroite tout à fait insuffisant, le Meusien, et de la route de Bar-le-Duc. Il fut convenu que celle-ci serait réservée aux automobiles de ravitaillement qui se succéderaient sans relâche sur deux files au moins, l'une montante, l’autre descendante. La route fut placée sous un service minutieux de contrôle et, à certains moments, plus de 6000 véhicules défilèrent  en 24 heures. La "voie sacrée" permit ainsi le succès de la défense.

    Le fort de SOUVILLE, Juillet J916. Le fort de Souville dont la prise aurait entrainé la chute de Verdun, résista à toutes les attaques. Le terrain été bouleversé par les obus. On voit l’entrée d’une casemate. Une sentinelle la garde munie du casque.

    La première attaque allemande, sur la rive droite se trouva enrayée le 29 février. Appuyés par les batteries placées à l’Est de la Meuse, les Allemands attaquèrent, le 6 mars, les positions françaises de la rive gauche, sans parvenir à s’emparer de leurs objectifs : le Mort-homme et la cote 304 (visibles sur la carte, JPR). Les attaques, suivies de ripostes françaises, se poursuivirent avec intensité sur les deux rives jusqu'à la fin de juin. Le bombardement ne cessait pas de part et d'autre ; le sol bouleversé et privé de toute végétation n’offrait aux défenseurs aucun abri naturel et, ne, pouvant creuser de tranchées, les hommes se dissimulaient, comme ils pouvaient dans des trous d'obus. Les relèves devaient avoir lieu: fréquemment et, pour gagner leurs positions de première ligne, les troupes perdaient une partie de leur effectif.

    A la fin de mars, les Allemands s'emparèrent des ruines du village de Vaux. Le fort de ce nom, complètement investi, se défendit héroïquement jusqu’au 9 juin. A la fin de ce mois, les Allemands tentant un dernier effort, qu’ils espéraient décisif parvinrent à enlever ce qui fut le Village de Fleury, ainsi que l'ouvrage de Thiaumont, maïs échouèrent devant le fort de Souville puis ils se virent contraints de dégarnir le front de Verdun pour répondre à l’offensive  franco-anglaise sur la Somme.

    B. BATAILLE DE LA SOMME - DÉGAGEMENT DE VERDUN

    L’offensive franco-anglaise de la Somme, décidée dès 1915, fut préparée du côté français par le général Foch, du côté anglais par sir Douglas Haig, successeur de French. Les assaillants devaient procéder, comme les Allemands à Verdun par assauts successifs. Après un feu d’artillerie de 5 jours, qui détruisit complètement les premières positions allemandes, l'attaque commença le 1er juillet 1916 et les Français s'avancèrent, en huit jours sur une profondeur de 10 km, arrivant tout près de Péronne. Une nouvelle offensive générale, en septembre, permit aux Alliés de conquérir le village de Combles, au Nord de la Somme. La bataille, qui s’arrêta au mois d'octobre, amena des résultats beaucoup plus importants que ne le jugea d'abord l'opinion : elle dégagea définitivement la région de Verdun, où, les Français, sous le commandement immédiat du général Nivelle (NB. Le général Nivelle avait pris le commandement de la 2° armée en mai 1916, Pétain étant appelé à la tête du groupe des armées du Centre) réalisant une corrélation très étroite entre le tir de l'artillerie et la progression de l'infanterie, parvinrent à reprendre le fort de Douaumont, en septembre, et le fort de Vaux en décembre 1916. En outre, si les 66 divisions françaises, qui s'étaient succédé devant Verdun, avaient éprouvé de lourdes pertes, l'armée allemande, au dire de Ludendorff, se trouvait "tout à fait hors de combat et extrêmement épuisée".

 

    C. LE FRONT ITALIEN

    Les Italiens luttant sur un terrain difficile et montagneux, subirent une attaque des Autrichiens dans le Trentin, au mois de mai ; mais, à la faveur de 1'offensive russe, ils reprirent une partie du terrain perdu. Bientôt, ils se portèrent en avant sur l'âpre plateau-du Carso et, après de violents combats, s'emparèrent de la ville de Gorizia, sur la route de Trieste (9 août).

 

II. LES FRONTS ORIENTAUX

 

    A. LE FRONT RUSSE

    Les Russes, ayant pu reconstituer leur matériel, grâce au concours de leurs alliés et en particulier des Japonais (sic), engagèrent une offensive au mois de juin, sous la direction de Broussilov. Ils s'avancèrent sur plusieurs points, de 60 ki1omètres en Volhynie et en Bukovine, s’emparèrent de 600 canons et de 400.000 hommes, mais durent s'arrêter devant les contre-offensives allemandes. Vers le même moment, à Petrograd, le germanophile Sturmer remplaça Sazonov aux affaires étrangères; des influences hostiles à l’Entente s'exercèrent de plus en plus sur le gouvernement et se manifestèrent dans les événements de Roumanie.

     B. INVASION DE LA ROUMANIE

Le gouvernement roumain, après bien des hésitations, avait fait alliance avec les puissances de l'Entente et déclaré la guerre à l'Autriche, le 27 août 1916. Revendiquant la Transylvanie et croyant n'avoir rien à craindre des Bulgares, il fit franchir la frontière hongroie par ses troupes. Contre-attaqués par- les Austro-Allemands, les Roumains furent tournés par une armée bulgaro-allemande qui, sous la direction de Mackensen, passa le Danube. Laissés sans secours par les Russes, les Roumains perdirent Bucarest le 6 décembre, toute la Valachie et une partie de la Moldavie. L'occupation de la plaine roumaine menaçait de découvrir la Russie méridionale et procurait aux puissances centrales d’importants stocks de blé.

     C. L’ARMÉE DE SALONIQUE

L’occupation de Salonique fut maintenue malgré l’opposition du gouvernement britannique, grâce aux efforts du président du Conseil français, Briand. L'armée, peu nombreuse et composée d’éléments bigarrés, Français, Anglais, Serbes, devait lutter, non seulement contre les Bulgaro-Allemands, mais aussi contre 1’hostilité du roi de Grèce qui, après avoir rompu avec Venizélos, gouvernait despotiquement le pays. Elle parvint, cependant à s’organiser ; en novembre 1916, elle étendit ses positions vers le Nord et occupa Monastir.

     D. OPÉRATIONS EN ASIE

    Les Russes sous le commandement du grand-duc Nicolas (NB. en septembre 1915, le tsar avait envoyé le grand-duc Nicolas en disgrâce dans la région du Caucase et pris le commandement général des armées russes), occupèrent l’Arménie turque, s’emparèrent d’Erzeroum puis de Trébizonde, et pénétrèrent dans la Perse occidentale dont les tribus s'étaient soulevées. Les Anglais dégagèrent complètement les abords de l’Égypte, tout en encourageant la proclamation de l'indépendance de l'Arabie ; préoccupés d'entraver la pénétration allemande vers la Mésopotamie et le golfe Persique, ils organisèrent une expédition vers Bagdad qui, s'avançant trop vite, dut capituler à Kut-el-Amara, en avril 1916.

     E. SITUATION A LA FIN DE 1916

    Grâce à la prépondérance qu’il exerçait sur tous ses alliés, le gouvernement allemand avait pu réaliser, en août 1916, l'unité complète de commandement, en confiant la direction de toutes les opérations au vainqueur de Tannenberg, Hindenburg, qui laissait agir, en réa1ité son "premier quartier-maître général", Ludendorff. Malgré leurs victoires en Roumanie, les puissances centrales n’avaient point atteint leurs objectifs sur le front occidental des  signes de décomposition se manifestaient dans l'empire austro-hongrois. Le 21 novembre 1916, l'empereur François-Joseph mourait ; son successeur Charles Ier désirait la -paix. Mais l’Autriche ne pouvait rien sans l'Allemagne et, dans ce pays, le public, malgré sa lassitude, n'admettait encore qu'une paix victorieuse, tandis que l'état-major demeurait tout-puissant sur le ministère.

    Les Puissances de l'Entente considérèrent à la fois comme une sommation et comme une manœuvre pour les diviser la proposition "d'entrer en négociations de paix", que le gouvernement allemand leur adressa, en décembre 1916, par l'intermédiaire des Etats neutres et de la Papauté. Elles profitèrent d'une question posée aux belligérants par le président des États-Unis, Wilson, pour exposer leurs buts de guerre, dont les principaux étaient la restauration de la Belgique, de la Serbie, du Monténégro, l'évacuation des territoires occupés par les Allemands, avec de justes réparations, le respect des nationalités et l'affranchissement des peuples opprimés.

    La guerre apparaissant comme devant durer longtemps encore, des changements se produisirent dans la direction des' gouvernements et des armées. En Angleterre, Lloyd George devint premier ministre à la place de Asquith ; en France, Briand remania son ministère et nomma le général Nivelle commandant en chef des armées du Nord et de l'Est, en remplacement du général Joffre qui recevait la dignité de maréchal (abandonnée par les Républicains après la chute de Mac-Mahon, JPR) en décembre 1916.

 III. QUELQUES AJOUTS ET COMMENTAIRES DE J.-P. R.

    

        1) On peut estimer que la part faite à Verdun est minime dans ce cours de Roubaud. Il semble que le Kronprinz n'ait eu le commandement que de l'armée de rive gauche de la Meuse (Mort-Homme, etc...) sous le haut commandement de Falkenhayn. Il est tout à fait regrettable que ne soit pas publié la lettre de Falkenhayn qui donne les buts de guerre des Allemands à Verdun. Dans cette lettre le généralissime explique que l'attaque de Verdun, pour le symbole et la position stratégique que représente cette ville, cette attaque obligera les Français à la défendre coûte que coûte et Falkenhayn parle de "saigner à blanc l’armée française ..." Toute sa lettre est de cette eau-là. On peut parler d'une mentalité de génocide, à tout le moins de crimes de guerre.

        2) L'auteur s'acharne peu sur le personnage de Pétain. Mais il écrit ce texte en 1927, environ, et le culte de la personnalité du Maréchal n'a pas commencé. Il aurait pu tout de même évoqué la "noria", c'est-à-dire que Pétain fait "tourner" les divisions sur le front de Verdun : les divisions n'y restent pas jusqu'à l’épuisement, Pétain les fait relever. Ainsi, avant fin juin, 40 divisions françaises avaient combattu à Verdun contre 26 allemandes seulement. Pour l'anecdote, Roubaud aurait pu aussi évoquer le célèbre "on les aura !". Mais, il est vrai que le personnage de Pétain-le vainqueur-de-Verdun  est un héritage de l'extrême-droite des années 30' et de Vichy. Un seul exemple voici ce que dit Joffre -qui lui-même était monarchiste- dans ses Mémoires :"Si l'Histoire me reconnaît le droit de juger les généraux qui opérèrent sous mes ordres, je tiens à affirmer que le vrai sauveur de Verdun fut Nivelle, heureusement secondé par Mangin Le général Pétain arrivé à Verdun au moment de la désorganisation dont il héritait du général Herr, remit de l'ordre avec l'aide d'un état-major bien composé et au moyen de troupes fraîches qui affluaient. Ce fut là son principal mérite dont je ne méconnais pas la grandeur. Mais dans la conduite de la bataille, et particulièrement au moment de la crise de juin, le rôle le plus important a été joué par Nivelle qui eut le mérite rare de s'élever au-dessus de son champ de bataille, de comprendre ce que j'attendais de lui dans l'ensemble de mes combinaisons et de garder intacts son sang-froid et sa volonté au moment où son chef (i.e. Pétain) adressait au Ministre de la Guerre les comptes rendus angoissés dont j'ai parlé à plusieurs reprises". Mémoires du Maréchal JOFFRE, t II, 1910-1917, p 269, Plon, éditeur). Mangin, Clemenceau mettent aussi un bémol à la prestation de Pétain à Verdun.

         3) Le 21 février 1916, le feu de l'artillerie allemande, le « Trommelfeuer », ouvre les 300 jours de la bataille de Verdun. qu'est-ce que c'est ? on peut en avoir une idée en observant cette photographie aérienne prise en plein bombardement :

Westfront 1917: Trommelfeuer am Chemin-des-Dames

C'est en effet un bombardement ininterrompu, systématique, aveugle pour tout détruire afin que l’infanterie, appelée à se mettre en marche ultérieurement, puisse passer sur des terrains vides d'hommes et de vie. Il y a des témoignages :

"Nous arrivons après nous être perdus sur le plateau bouleversé par les obus et dont la topographie se modifie quotidiennement…à peine une torpille a-t-elle explosé à droite qu’une autre tombe à gauche et qu’une troisième est signalée en avant. Nous sommes au centre d’une véritable éruption. Des geysers de boue s'élèvent de toute part, les guitounes s'effondrent, la tranchée se comble, une avalanche d'énormes quartiers de terre nous assomme, tandis que l'épouvantable fracas des explosions nous assourdit et nous ébranle... Assourdis par les déchirants éclatements des torpilles et des grosses marmites, à-demi asphyxiés par leur fumée âcre noire, assommés par les blocs de terre, giflés par les éclats qui cinglent de toutes parts, les yeux exorbités, guettant désespérément dans le ciel l'arrivée des terribles engins de mort, calculant leur point de chute à la vue et au son, s'attendant d'une seconde à l'autre à être ignoblement déchiquetés... enjambant les cadavres et les blessés ensanglantés, les poilus claquent des dents, courent hagards et haletants, sans but. Le cauchemar ne cesse qu'à 5 heures". (Jean GALTIER-BOISSIERE « un hiver à Souchez », Les Étincelles, édit., p.73.). Ces bombardements criminels expliquent le nombre de soldats "disparus", c'est-à-dire de soldats que l'on n'a pas pu identifier leurs corps étant pulvérisés. Cela explique aussi que des VILLAGES aient disparu. Si vous allez à Verdun, vous pourrez acheter des cartes postales de 1913 avec le village, son église, son café du commerce et ensuite sur le terrain vous ne le trouverez pas. (article wiki à consulter).

lire : Verdun 1916-2016 : commémoration par Antoine PROST
     
 
4) le 1er juillet 1916 et les Anglais. Les Britanniques célèbrent chaque année le 1er juillet qui est le pire de la guerre pour eux. Ils ont perdu plus de 36.000 hommes ce seul jour ! Après un formidable
Trommelfeuer ils ont cru trouver une terra nullius, une terre vide. Hélas, bien retranchés les Allemands n'ont eu que très peu de pertes et ils ont pu faire tourner leurs mitrailleuses : Marchant au pas, sur terrain plat, les soldats anglais constituèrent une cible idéale et catastrophique.


[1] Cela signifie que l’obus cylindrique a un diamètre de 42 cm (JPR).

La guerre : l'année 1915

publié le 29 janv. 2014, 08:38 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 24 sept. 2015, 02:21 ]

    cours précédent : La guerre : l'année 1914

Plan du cours d’A. ROUBAUD

 

A.      LES ÉVÉNEMENTS POLITIQUES

        1. Alliance de l’Italie avec les puissances de l’Entente.

        2. Alliance de la Bulgarie avec les puissances centrales.

B.      LES OPÉRATIONS MILITAIRES

        1.       La guerre sur le front occidental
        2.      
les opérations sur le front russe

        3.      
la guerre en Orient, l’expédition des Dardanelles

        4.      
Invasion de la Serbie

        5.      
la situation à la fin de 1915

 NB. Sauf indication contraire, les cartes et documents sont ceux d'A. ROUBAUD

suivi de mes COMMENTAIRES (JPR)

 

 

A.   LES ÉVÉNEMENTS POLITIQUES

 

    1. Alliance de l’Italie avec les puissances de l’Entente.

    Lorsque l'Autriche eut commencé à agir dans les Balkans, le gouvernement italien réclama des compensations, au nom de l’article 7 de la Triple-Alliance, et, malgré les efforts du prince de Bülow, envoyé de Berlin comme médiateur, il ne put se mettre d'accord avec le cabinet de Vienne. Il engagea des négociations avec les puissances de l'Entente, se fit promettre des avantages précis au traité Londres (26 avril 1915) et, le 23 mai 1915, déclara la guerre à l'Autriche; il ne devait la déclarer à l'Allemagne que le 27 août 1916.

    2. Alliance de la Bulgarie avec les puissances centrales.

    Bien que les diplomates de l'Entente se fussent efforcés d'obtenir de la Serbie des concessions en faveur des Bulgares, le tsar Ferdinand, désireux de récupérer les territoires perdus en 1913, et croyant à la victoire des puissances centrales, conclut avec ces dernières une alliance secrète, le 6 septembre 1915. Dissimulant jusqu'au bout, il ordonna la mobilisation générale, à la fin de septembre, et prit à revers les Serbes, attaqués en octobre par les Austro-Allemands. En vertu des traités, les Grecs auraient dû secourir les Serbes ; mais, malgré les efforts de son ministre, Venizélos, le roi Constantin, beau-frère de l'empereur Guillaume II, garda une attitude de neutralité armée, n'attendant qu'une occasion favorable pour rompre avec l'Entente ; l'alliance bulgare permettait aux puissances centrales de communiquer directement avec Constantinople.

 

B.   LES OPÉRATIONS MILITAIRES

 

    Les Allemands se voyaient forcés de combattre sur plusieurs fronts, mais, grâce à la situation centrale de leur pays, ils pouvaient à volonté transporter leurs meilleures troupes de l’Ouest à l'Est ou inversement, et garder ainsi plus facilement l’initiative des opérations. Pour l'année 1915, l'état-major, à la tête duquel Falkenhayn avait remplacé Von Moltke, décida de diriger contre les Russes l’effort principal, en maintenant les troupes sur la défensive du côté de l’Ouest.

 

    1. La guerre sur le front occidental

    Le poids de la lutte, sur le front occidental retombait encore presque uniquement sur les Français. En dehors d’engagements meurtriers pour la possession d’observatoires qui dominaient les lignes ennemies, comme les hauteurs de Notre-dame-de-Lorette et de Vimy en Artois, les Éparges près de Verdun, l'Hartmannswillerkopf (le vieil Armand) en Alsace, le commandement français s’efforça d’obtenir la rupture du front ennemi dans les régions assez découvertes de l’Artois et de la Champagne. Il espérait utiliser le succès tactique pour rejeter l’ennemi, par des manœuvres combinées, vers les Ardennes et le contraindre alors à la retraite par la menace exercée sur ses communications.

 

RUINES DES ÉPARGES, SEPTEMBRE 1917.

    Village situé dans vallon oriental des Hauts de Meuse. Les hauteurs le dominant à l'Est surplombaient immédiatement la plaine de la Woëvre, d’où leur importance. On aperçoit, au fond et à droite, la colline de Combres, occupée par les Allemands ; celle des Eparges, dont les Français possédaient la plus grande partie depuis février 1915, lui fait suite immédiatement, à gauche, au delà du col. C'est un des secteurs où la guerre de mines s’est exercée avec le plus de violence. NB. Voir sur la carte de Verdun (année 1916) la localisation des Eparges.

    (ci-dessous, illustration de la guerre de mines, JPR).


                     http://rosalielebel75.franceserv.com/grande-guerre/tranchees-mine-1.jpg

 

    La principale offensive, minutieusement préparée, se produisit en Champagne, au mois de septembre 1915, tandis qu’une attaque franco-anglaise avait lieu en Artois. Après une violente canonnade de trois jours (Trommelfeuer), les Français, revêtus du nouvel uniforme bleu-horizon et du casque, s’élancèrent à l’assaut des lignes allemandes de Champagne, le 25 septembre ; Ils enlevèrent les premières positions ennemies, mais se trouvèrent arrêtés par une seconde position qui, établie à contre-pente, avait échappé au feu de l’artillerie. Un nouvel effort pour prendre cette seconde ligne, en octobre, n’aboutit qu’à des résultats partiels. La rupture du front, espérée par le public, n’avait pas été obtenue.

   







2. Les opérations sur le front russe

    La prise de Przemysl par les Russes, le 22 mars 1915, constitua leur dernier succès de l’année. Sous les ordres supérieurs de Hindenburg, l’armée de Mackensen opéra la rupture de leur front le 1er mai, en Galicie, en face de la Dunajec, affluent de la Vistule, après une canonnade courte mais intense. Les Russes, manquant de munitions, exécutèrent une retraite générale, disputant le terrain pied à pied. Ils perdirent successivement Przemysl le 3 juin. Lemberg (Lvov, JPR) le 22 juin; puis, l'offensive austro-allemande s'étendant sur tout le front, ils évacuèrent Varsovie le 5 août, en emportant tous les approvisionnements, Brest-Litovsk le 25 août, Vilna le 16 septembre. Riga fut préservée au Nord; au centre, Mackensen parvint jusqu'à Pinsk. Les opérations s'arrêtèrent alors et le front se stabilisa depuis le golfe de Riga jusqu'à la Bukovine. Les Russes avaient abandonné toute la Pologne et la Lituanie et devenaient pour longtemps incapables d'une nouvelle offensive.

      Concernant le camp fortifié de Przemysl, voir les cours sur les PECO Frontières PECO (4ème partie) : La Pologne et sa frontière orientale (Biélorrusie, Galicie-Ruthénie)(atlas)


                                             

                                                                                                                                                                                                

3. La guerre en Orient, l’expédition des Dardanelles

    Les Alliés comprirent l'utilité de se rendre maîtres des Détroits pour rétablir leurs communications avec les Russes et séparer Constantinople de l'Asie ; mais ils laissèrent le temps aux Turcs de préparer la défense sous la direction d'officiers allemands. Le gouvernement anglais, s'attribuant la direction des opérations, espéra d'abord forcer les Dardanelles par une attaque exclusivement navale. L'opération échoua, après avoir coûté de nombreuses pertes (février-mars 1915). Des corps de troupes français et anglais furent alors débarqués, sous la protection des navires, dans la partie occidentale de la presqu'île de Gallipoli (avril 1915), mais ils restèrent accrochés aux premières pentes, se heurtant à des défenses organisées par les Turcs. Après plusieurs tentatives meurtrières pour occuper le plateau, les troupes alliées procédèrent à l'évacuation des positions occupées, sans que l'ennemi s'en aperçût (décembre 1915-janvier 1916). Elles allèrent grossir les troupes que le gouvernement français avait installées à Salonique, malgré la résistance des états-majors, et qui se trouvaient, depuis octobre 1915, sous la direction du général Sarrail. L'Entente avait subi un échec grave aux Dardanelles; de leur côté, les Turcs s'étaient vainement efforcés de s'emparer du canal de Suez (février 1915).

    4. Invasion de la Serbie

    Après avoir résisté victorieusement aux Autrichiens, les Serbes se virent attaqués, en octobre 1915, au Nord, par les Austro-Allemands, à l'Est, par les Bulgares. Ils durent abandonner leur pays et opérer une retraite avec leurs familles à travers les montagnes de l'Ouest, par un froid rigoureux. Des milliers d'entre eux périrent de faim ou de fatigue ; 130000 hommes parvinrent sur la côte de l'Adriatique dans un état complet d'épuisement ; malgré la résistance du gouvernement grec, ils furent conduits à Corfou, sous la protection des Alliés ; ils y furent soignés et ravitaillés avec soin et devinrent bientôt capables de reprendre la lutte.

La situation à la fin de 1915

    L’année 1915, marquée par des succès pour les puissances centrales, avait déçu les esprits dans les pays de l’Entente, surtout en France. Le ministre des Affaires étrangères, Delcassé, démissionna en octobre 1915 et sa retraite entraîna celle de Viviani qui présidait le Conseil des ministres depuis le début de la guerre. Briand constitua le nouveau ministère, promettant d’obtenir une coordination meilleure des forces alliées. Les ministres anglais vinrent conférer à Paris avec leurs collègues français et, le 6 décembre 1915, se tint à Chantilly sous la présidence du général Joffre, le premier conseil de guerre interallié, qui régla le plan d’offensives simultanées pour l’année suivante. Fin du cours d' A. ROUBAUD


 COMMENTAIRES DE JPR

    1) l’entrée en guerre de l’Italie est une victoire diplomatique pour les pays de l’Entente. Mais cela relève de la diplomatie secrète : le Pacte de Londres n’est pas ratifié par le parlement italien qui est laissé dans l’ignorance et le traité ne sera connu qu’après la victoire des Bolcheviques en Russie lesquels dénoncent la pratique de la diplomatie secrète et la guerre impérialiste. La lecture du contenu de ce traité laisse un goût très amer : c’est le fait du prince et la loi du plus fort qui prévalent sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. (Article excellent, à mon goût, de Wikipaedia, voir "pacte de Londres"). On sait que le président américain Wilson mettra en avant d’autres propositions, que l’Italie n’obtiendra pas la concrétisation des promesses de 1915 et se vivra comme « vainqueure de la guerre, vaincue de la paix ». L’historien P. Renouvin nous apprend que l’Italie est le seul pays à connaître, en 1915, des manifestations populaires pour l’entrée en guerre. L’hostilité aux Autrichiens et la volonté de réunir tous les Italiens dispersés autour de la mer Adriatique - les terres irrédentes - sous le même drapeau alimentent ce poison nationaliste. Tout cela fera le lit du fascisme mussolinien.


    2) à l’ouest, l’effort de guerre pèse "presque uniquement sur les Français" écrit A. Roubaud. De fait, en 1914, les Anglais n’alignent que 7 divisions sur le sol de France. La conscription n’existe pas chez eux, seul l’engagement volontaire fournit des troupes. En janvier 1915, 11 divisions anglaises sont sur le continent, en juillet 1915, on en compte 28. En 1916, le service militaire devient obligatoire et au printemps de cette année-là, on compte 70 divisions britanniques. Ci-contre une affiche britannique éditée alors que l'on recrutait sur la base du volontariat (source, livre de terminales de L. Genet). Le personnage au doigt culpabilisateur est John Bull qui est à la Grande-Bretagne ce que l'Oncle Sam est aux États-Unis.

    3) Il ne faut pas négliger l’importance de l’ouverture du front balkanique avec le débarquement de Salonique. Je vous rappelle l’importance stratégique de l’axe Morave - Vardar (voir la carte figurant dans l’article sur les guerres balkaniques). Les guerres balkaniques 1912-1913 D’ailleurs, aussi surprenant que cela paraisse, c’est d’ici que viendra l’issue finale.

 

à suivre avec La guerre : l'année 1916.

La guerre : l'année 1914

publié le 21 janv. 2014, 06:37 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 15 janv. 2019, 09:23 ]

   
    Pour présenter le déroulement de la guerre, j’ai choisi la solution suivante : depuis lurette, l’histoire de la guerre de 14-18 n’est plus présentée que sommairement ; les opérations militaires et la vie diplomatique durant le conflit sont présentées en une seule leçon. Il n’en allait pas de même dans les années 1920’ puisque les programmes du 3 juin 1925 indiquaient l’étude de la guerre qui était alors présente dans tous les esprits. C’est ainsi que la librairie A. COLIN publia en 1929 le cours d’A. Roubaud (professeur à Louis-le-Grand). Ce dernier consacre près de 10% de son manuel de classes terminales des lycées au seul déroulement de la guerre de 14-18, soit 70 pages. C’est un enseignant de droite - qui privilégie la narration des faits diplomatiques déconnectée de la réalité économique et sociale mais peu importe en l’occurrence. J’ai apprécié la clarté et la rigueur de son plan, sa maîtrise du sujet. A. Roubaud est un « classique ». Cela vous permettra d’avoir un aperçu relativement détaillé du conflit et de pouvoir placer tel ou tel épisode (la Marne, Ypres, la Somme, l’Aisne, les mutineries, les chars, etc…) - dont les médias vont s’emparer pour gonfler leurs ventes - dans un ensemble chronologiquement dominé. Bien entendu, je me suis réservé le droit de prolonger le cours de 1929 par mes propres commentaires. On ne se refait pas. On doit aussi considérer ce texte de 1929 comme un document original fournissant des données sur la mentalité des Français à cette date.


PLAN

LES PLANS DE CAMPAGNE ET LES FORCES ALLEMANDES ET FRANÇAISES

 

    a. le plan de campagne et les forces allemandes

    b. le plan de campagne et les forces françaises

 

I. LA GUERRE DE MOUVEMENT EN FRANCE EN 1914

A. - L'INVASION ALLEMANDE

    a. Les premières opérations

    b. La "bataille des frontières"

    c. La retraite générale française

B. LA CONTRE-OFFENSIVE FRANÇAISE

    a. Von Klück et Gallieni.

    B. La première bataille de la Marne - 6 au 13 septembre

C. LA COURSE A LA MER

II. LES OPÉRATIONS EXTÉRIEURES en 1914

suivi de : COMMENTAIRES PERSONNELS (JPR)

*

*       *

"dans la chaleur torride de ce mois d'août, les fantassins français marchent couverts de l'univers le plus irrationnel de tous les temps, uniforme cible, uniforme fardeau, pantalon rouge garance, longue capote de drap, chemise en flanelle de coton et caleçon long, sans parler des képis qui ne protègent en rien la tête des soldats. Trop chaud pour l'été (il sera trop froid pour l'hiver) et surtout trop coloré, l'uniforme est un handicap et une menace" J.-E. DUCOIN, L'Humanité, 5 août 2014.


 COURS D' A. ROUBAUD (1929) CONFORME AU PROGRAMME OFFICIEL DE 1925

I.

LES PLANS DE CAMPAGNE ET LES FORCES ALLEMANDES ET FRANÇAISES

 

A. LE PLAN DE CAMPAGNE ET LES FORCES ALLEMANDES

    Le dernier plan de campagne allemand avait été élaboré, dans ses grandes lignes, par le comte Schlieffen, chef d'état-major jusqu'en 1906. Avant de s'attaquer aux Russes, dont la mobilisation ne pouvait se faire qu'avec une grande lenteur, les Allemands devaient mettre hors de combat l'armée française. Dégarnissant la plaine d'Alsace, tenant l'aile gauche de l'armée sur la défensive entre les Ardennes et le Donon, Schlieffen formait sur sa droite une masse enveloppante qui, franchissant le Luxembourg, puis la Belgique, tournerait la ligne des camps retranchés de la Meuse et de la Moselle et se rabattrait, par le Nord-Ouest, sur l'armée française. Celle-ci serait acculée soit à la Meuse, soit au Jura et condamnée à l'anéantissement. Le successeur de Schlieffen, de Moltke, neveu de l'ancien chef d'état-major (de 1870, JPR), tout en gardant ce plan, avait affaibli les effectifs de l'aile droite pour renforcer ceux de Lorraine et d'Alsace: il dispersait ainsi, en une certaine mesure, les forces que Schlieffen tenait concentrées.

    Les troupes que les Allemands se préparaient à jeter contre la France comprenaient vingt-trois corps d'armée actifs sur les vingt-cinq de l'empire, plus douze corps d'armée de réserve, soit, en tout, 1.500.000 hommes environ ; mais, contrairement à ce que pensait l'état-major français, les corps de réserve, fortement encadrés, allaient, dès le début, figurer en première ligne et assurer ainsi la supériorité numérique du front de bataille allemand.

    L’infanterie, excellemment instruite, portait un uniforme gris couleur de terre, feldgrau, qui la rendait fort peu visible ; son fusil se chargeait plus vite que le Lebel français, mais ne le surpassait ni en justesse ni en portée ; par contre, elle se trouvait abondamment pourvue de mitrailleuses. L'artillerie, outre les pièces de campagne de 77 millimètres, comprenait des obusiers à tir courbe et des canons lourds à très longue portée qui devaient lui donner, au début de la guerre, une supériorité écrasante. Les Allemands opposaient 2.000 avions aux 200 de l'armée française. A l'avantage de l'initiative des opérations, ils ajoutaient la supériorité des effectifs de première ligne et surtout celle du matériel.

    Sous le commandement de l'empereur et du chef d’état-major de Moltke, 7 armées allemandes se constituèrent, les cinq premières devant former la masse de manœuvre (croquis p. 5o8).

 

B. LE PLAN DE CAMPAGNE ET LES FORCES FRANÇAISES

    Le dernier plan de campagne français, - arrêté, en 1913, sous la direction du nouveau généralissime désigné, le général Joffre - le plan XVII, prévoyait une concentration générale vers l'Est, entre Mézières et Belfort, et une double offensive opérée par les ailes, l'une, à droite, les Vosges et la Moselle, l'autre, à gauche, au Nord de la ligne Verdun-Metz. L'état-major "croyait toujours, pour des raisons politiques et morales, à l'attraction exercée sur les Allemands par le plateau lorrain" ; mais, envisageant la possibilité d’une manœuvre allemande par la Belgique orientale, il avait prévu, pour ce cas, une variante du plan de campagne. II ne croyait pas que les Allemands disposassent d'effectifs suffisants pour étendre leurs lignes à l'Ouest de la Meuse ; s'ils le faisaient, leur centre serait tellement affaibli qu'il ne pourrait résister à une attaque adverse.

    Les forces françaises comprenaient 21 corps d'armée, 3 divisions isolées, 25 divisions de réserve, environ 1.300.000 hommes. Avec l'appoint des Belges et de l'armée britannique, les Alliés disposaient d'effectifs aussi nombreux que les Allemands. Mais les divisions de réserve françaises restèrent, au début, en seconde ligne, à la différence des réserves allemandes, et les armées alliées souffrirent de la pénurie de matériel (mitrailleuses, obusiers à tir courbe ou canons à longue portée).

    La mobilisation française s'opéra dans le plus grand ordre et cinq armées se concentrèrent suivant le plan établi.

NB. Dans tout ce qui suit, les armées françaises sont désignées par des chiffres arabes, les armées allemandes par des chiffres romains, y compris sur les cartes.

 II.

LA GUERRE DE MOUVEMENT EN FRANCE EN 1914

 

A. - L'INVASION ALLEMANDE

 

A. LES PREMIÈRES OPÉRATIONS

    Un corps d'armée français occupa Mulhouse, le 8 août, mais dut presque aussitôt 1’évacuer devant des forces supérieures ; cette tentative, dont le commandement escomptait surtout l'effet moral, n'exerça pas de répercussion sur la suite des opérations. Pendant ce temps, les premières troupes allemandes envahissaient la Belgique, occupaient Liège le 7 août, en passant à travers les intervalles des forts, et détruisaient ces derniers à l'aide de leur grosse artillerie. L'armée belge opposait une vive résistance aux envahisseurs, mais, impuissante, devait se replier sur Anvers. Les Allemands occupaient la plus grande partie du pays, Bruxelles le 20 août, Namur le 23 août, et commettaient de nombreuses violences (massacres d'habitants, exécutions sommaires, incendies de villages ou de villes comme Louvain).

    La nouvelle de l'avance allemande en Belgique conduisait sans doute l'état-major français, dès le 8 août, à renforcer l'aile gauche de l'armée et à la prolonger vers  l'Ouest, suivant la variante prévue, mais, ne devinant pas encore l’ampleur du mouvement allemand, il ne renonçait pas à son plan d’offensive et ordonnait, le 14 août, à son aile droite de "passer à l’attaque".

NB. observez la création de la 6° et de la 9° armée, créées durant la retraite du mois d'août avec, en partie, des corps d'armée prélevés sur les 1ère et 3ème armées et transférés par chemins de fer. Notez également que Verdun est évité, les Allemands espérant l'encercler.

B. LA "BATAILLE DES FRONTIÈRES"

    On comprend sous ce nom trois groupes d’opérations qui se déroulèrent du 14 au 25 août et qui concernent la frontière commune à la France et à l'Allemagne whilhelminienne (mais les historiens incluent également les combats de Charleroi, en Belgique). .

    1) Tandis qu’en Alsace le général Pau réoccupait momentanément Mulhouse, les 1ère et 2ème armées françaises attaquèrent dans la direction de Sarrebourg et de Sarrebrück. Les Allemands les laissèrent s'avancer dans une région coupée de bois et d'étangs et favorable à la défense, puis, appuyés par leur artillerie lourde, les contre-attaquèrent violemment. La 2ème armée, parvenue devant Morhange (voir carte ci-dessus) dut reculer, le 20 août : sa retraite entraîna celle de la 1ère armée.

    Les Allemands, commettant la même imprudence que leurs adversaires, s'aventurèrent dans la trouée de Charmes (entre Toul au nord et Épinal au sud, c'est-à-dire entre la 2ème et la 1ère armée), espérant forcer le passage de la Moselle, mais, attaqués de flanc par les deux armées françaises, ils durent se retirer en subissant de lourdes pertes (4-26 août). Le territoire français se trouvait envahi, mais Nancy était couverte, ainsi que la ligne des camps retranchés.

    2) le 20 août, les 3ème et 4ème armées prirent à leur tour l'offensive dans les Ardennes et dans le Luxembourg contre le centre allemand. Elles s’aventurèrent dans un pays difficile, propre aux surprises, dans lequel les différents corps maintenaient avec peine leur liaison ; elles se heurtèrent à des forces beaucoup mieux concentrées et durent, à leur tour, reculer.

    3) à l’Ouest, le général Lanrezac, commandant la 5ème armée, avait obtenu de l'état-major de porter ses forces entre la Sambre et la Meuse ; il se mettait en liaison avec l'armée anglaise, qui se concentrait autour de Mons sous les ordres du maréchal French, et comptait prendre l'offensive dans la région de Charleroi, le 23 août. Mais, tandis qu'1'armée anglaise était attaquée, ce jour-là, par la Ière armée allemande, les troupes de Lanrezac devaient supporter l'effort de la IIème armée et d'une partie de la IIIème. Apprenant la retraite de 1a 4ème armée, qui découvrait sa droite, et se voyant menacé d'un complet enveloppement, Lanrezac prit sur lui de rompre le combat et de se replier, le 23 août au soir (cela devait lui coûter cher, JPR).

C. LA RETRAITE GÉNÉRALE FRANÇAISE

    Le 24 août, le général Joffre ordonna la retraite générale. Il espérait qu'elle pourrait s'arrêter sur la ligne Amiens-Verdun et, en vue de la reprise de l'offensive, il prescrivait, dés le 25 août, la formation d'une sixième armée qui se concentrerait dans la région de la Somme et manœuvrerait contre l'aile droite allemande. Mais aucune position de défense ne se trouvait préparer ; malgré la vive résistance de l'armée française et d’heureuses réactions comme la bataille de Guise (28-30 août), le mouvement débordant ennemi s’accomplissait victorieusement. Les positions d'arrêt de seconde ligne, Laon, La Fère, Reims, étaient successivement enlevées et l'avant-garde de la Ière armée (von Klück) parvenait le 2 septembre, au Sud de Senlis, à 25 kilomètres de Paris. Le gouvernement français abandonnait la capitale le 2 septembre, se retirant à Bordeaux. Le général Joffre, tout en songeant toujours à la contre-attaque, estimait que son armée devait se  replier jusqu'à la Seine.

 

B. LA CONTRE-OFFENSIVE FRANÇAISE

 

A. VON KLÜCK ET GALLIENI.

    On s’attendait à l'attaque de Paris. Le général Gallieni, chargé, le 26 août, du gouvernement de la place et disposant depuis le 31 de la 6ème armée, organisait en hâte les préparatifs de défense. "J’ai reçu le mandat de défendre Paris contre l’envahisseur" déclara-t-il dans une proclamation du 3 septembre "je le remplirai jusqu’au bout".

    Mais l’état-major allemand considérait la mise hors de combat des armées françaises comme le but essentiel à atteindre et la prise de Paris comme le résultat forcé de la victoire. Restant loin derrière le théâtre des opérations, il ne pouvait toujours diriger, de façon concordante, les mouvements de ses armées et ses instructions, quand elles arrivaient aux premières lignes, ne correspondaient plus aux circonstances. Après avoir prévu l'extension du mouvement d'encerclement jusque sur la Basse-Seine, il avait dû se résigner à manœuvrer à l'Est du camp retranché de Paris. "Mon intention", écrivait von Moltke aux commandants des I° et IIème armées (nuit du 2 au 3 septembre) "est de couper l'ennemi de Paris et de le rejeter vers le Sud-Est. La Ière armée suivra la IIème armée en s'échelonnant ; elle est chargée, en outre, de protéger le flanc de l'ensemble de nos forces".

    Quand il reçut cet ordre, von Klück, méprisant les forces qui se trouvaient sur sa droite, avait déjà résolu de faire défiler, au plus vite, le gros de ses troupes à l’Est du camp retranché de Paris, de séparer l’armée anglaise de la 5ème armée française, pour envelopper enfin cette dernière. Il poursuivit son mouvement, bien que l'ordre de von Moltke lui prescrivît de rester en flanc-garde, et ses éléments avancés franchirent la Marne, dès le 3 septembre.

    Le général Gallieni, apprenant que les Allemands opéraient un "glissement" aussi dangereux le long du camp retranché de Paris, comprit que le moment était venu de passer à la contre-offensive et, dès le matin du 4 septembre, il prescrivit à la 6ème armée de se préparer à attaquer les Allemands dans la direction de l'Est. Il passa une partie de la journée à rallier à son plan le maréchal French et l’état-major général. Après avoir examiné la situation d'ensemble et pris notamment l'avis de Franchet d'Esperey, nouveau commandant de la 5ème armée, Joffre adopta la façon de voir de Gallieni. Tandis que celui-ci rédigeait l'ordre l'attaque pour ses troupes, le soir du 4 septembre, le généralissime ordonnait à toutes ses armées de se préparer à reprendre l'offensive dès le matin du 6 : le centre contre-attaquerait dans la direction de la Marne, tandis que la 6ème armée, à gauche, et la 3° à droite, exerceraient une pression sur les deux flancs des armées allemandes. "Au moment où s'engage une bataille dont dépend le salut du pays", déclarait l’ordre du jour aux troupes, "il importe de rappeler à tous que le moment n’est plus de regarder en arrière ; tous les efforts doivent être employés à attaquer et à refouler l'ennemi".

B. LA PREMIÈRE BATAILLE DE LA MARNE - 6 AU 13 SEPTEMBRE

    La bataille de la Marne s'est 1ivrée depuis la vallée de l'Ourcq jusqu’aux environs de Verdun, du 6 au 13 septembre.

  

     Attaqué par les troupes du général Gallieni, von Klück opéra un redressement rapide ordonnant à ses corps d'armée de repasser la Marne et de faire face à l'Ouest ; des combats violents se livrèrent dans la vallée de l'Ourcq, du 6 au 9 septembre. Profitant du vide que le recul de von Kluck avait creusé entre la Ière et la IIème armée (von Bülow) la 5° armée française, puis l'armée anglaise, se lancèrent à l'attaque de cette dernière. Von Bülow, menacé d'être tourné, décida, le 9 septembre, avec l'assentiment de l'état-major, d’opérer sa retraite vers le Nord, et son mouvement entraina une manœuvre semblable du von Kluck. Pendant ce temps, les Allemands, qui s'efforçaient de percer le centre du front français, échouaient devant la résistance de la 4ème et surtout de la 9ème armée, nouvellement organisée sous le commandement du général Foch, et opéraient leur retraite, le 10 septembre.

    Du côté de l’Est, le général Sarrail, nouveau commandant de la 3ème armée, qui avait pris sur lui de garder le contact avec le camp retranché de Verdun, se trouvait dans une situation difficile, menacé, d'un côté, par une partie de la IVème armée allemande et par la Vème, celle du Kronprinz, de l'autre, par les forces du camp  retranché de Metz (possession allemande à cette date, depuis 1870, JPR), qui tentèrent d'enlever le fort de Troyon. La bataille dura, furieuse, jusqu'au 13 septembre ; l'armée du Kronprinz se retira, à cette date, vers le Nord, suivie de près par l'armée Sarrail, qui s'appuyait sur Verdun.

    Dés le 11 septembre, le général Joffre parlait d'une "victoire incontestable". "Tous, officiers et soldats, vous avez répondu à mon appel, vous avez bien mérité de la patrie". Sans doute, par suite de l'épuisement des munitions et du manque d'artillerie lourde, les Français ne purent pousser très loin leur poursuite et les Allemands se fortifièrent solidement dans l'Argonne, sur les collines de Champagne et sur les hauteurs assez abruptes dominant la vallée de l'Aisne. Mais, la brusque réaction de l'armée française, qu'il croyait démoralisée par plusieurs jours de retraite, avait surpris le commandement allemand et celui-ci voyait s’écrouler son plan fondamental, qui consistait à écraser son adversaire occidental en quelques semaines.

 

C. LA COURSE A LA MER

    Dans la région orientale, après d'inutiles efforts des Allemands pour occuper les hauteurs du Grand-Couronné et enlever Nancy, le front se fixa tel qu'il devait demeurer jusqu'en 1918. Du côté allemand, comme du côté français, le commandement préleva de troupes en Lorraine pour les reporter vers l'Ouest, où les lignes française et allemande, ne s'appuyant sur aucun obstacle, pouvaient l'une et l'autre être tournées. Les Français ne parvinrent pas à déborder l'aile droite ennemie, mais, déjouant le plan des Allemands qui consistait à les séparer de la Manche et de la mer du Nord et à couper ainsi leurs communications directes avec l'Angleterre, ils réussirent à étendre leur front jusqu'à la Flandre et à se réunir à l’armée belge qui avait pu, à grand-peine, évacuer Anvers avant la chute de la ville, le 11 octobre, et se replier entre la Lys et la mer. L'armée anglaise, reconstituée, abandonna le front de l'Aisne pour s'installer dans la région d’Ypres [1], entre les Belges et les Français.

    En octobre et en novembre, les Allemands, avec des forces fraîches, s'efforcèrent de percer le front adverse dans les Flandres et d'atteindre Calais. Les batailles de l’Yser et d'Ypres se livrèrent parfois sur un front de 100 kilomètres, au milieu des marécages et de la boue. Les attaques allemandes cessèrent le 13 novembre. Le front se trouvait stabilisé, s'étendant, en forme d'arc de cercle, sur une longueur de 700 kilomètres depuis Nieuport, sur la mer du Nord, jusqu'aux Vosges et en Alsace dont les Français occupaient les vallées méridionales [2]. A part des changements locaux, il demeura le même jusqu'au début de 1918. La  guerre de mouvement fit place, pour trois ans, à la guerre de positions.

 

II.

LES OPÉRATIONS EXTÉRIEURES en 1914

 

    En dehors du front français, les opérations n'ont présenté en 1914, qu'une importance secondaire. Comptant sur les lenteurs de la mobilisation russe, les Allemands n'avaient constitué qu'une armée dans la Prusse orientale, laissant aux Autrichiens le soin de surveiller la frontière de la Pologne (russe, JPR) et les abords des Carpathes. Désireux de dégager le front français, le généralissime russe, le grand-duc Nicolas, lança deux armées en Prusse orientale dès le milieu d'août. Inquiet, von Moltke prit la grave décision de rappeler deux corps d'armée de l'Ouest, le 26 août, et confia le commandement de l’armée de Prusse à un général en retraite, rude et énergique, Hindenburg, en lui adjoignant comme chef d’état-major Ludendorff. Profitant de la distance qui séparait les deux armées russes et de l’inaction des troupes du Nord, commandées par Rennenkampf, Hindenburg infligea à l’armée du Sud, la défaite de Tannenberg, 26-29 août, qui fonda sa renommée ; se retournant ensuite contre l'armée de Rennenkampf, il la contraignit à la retraite et sauva 1a Prusse de l'invasion.

    Les Russes, par contre, rejetaient devant eux les Autrichiens, occupant Lemberg-(Lvov) en Galicie, dès le 3 septembre, et assiégeant, le 28 septembre, la place forte de Przemysl, dont la chute pouvait leur ouvrir la route de la Silésie et de la Hongrie. Les Allemands, commandés par Hindenburg, dégagèrent leurs alliés par une offensive dirigée contre Varsovie.

    Les Serbes résistaient avec succès aux Autrichiens. Forcés d'abord d'évacuer Belgrade, ils avaient pu recevoir des munitions de France, refouler leurs adversaires et reprendre leur capitale en ruines, le 15 décembre. Mais les puissances de l'Entente s’étaient vues forcées de rompre, le 31 octobre, les relations diplomatiques avec la Turquie, qui, alliée en secret à l'Allemagne, multipliait contre elles les mesures d'hostilité. Elles étaient donc privées de communications avec les Russes par suite de la fermeture des Détroits, tandis que les Turcs, sous la conduite d’officiers allemands, s'apprêtaient à menacer le canal de Suez et le protectorat anglais en Égypte (protectorat proclamé en novembre 1914).

    Fin du cours d'A. ROUBAUD.

 à suivre avec :  La guerre : l'année 1915


III.

Compléments et réflexions

1) Pour ceux qui s'intéressent tout particulièrement aux faits et gestes militaires, stricto sensu, je signale un site extrêmement pointu et très bien fait : http://www.sambre-marne-yser.be/article.php3?id_article=86

2) Ce qu’il est convenu d’appeler "la bataille des frontières" ne laisse pas de poser des questions. Fallait-il passer à l’offensive avec les 1ère et 2ème armées ? Tout le monde s’accorde à dire que le théâtre des opérations est, ici, très difficile. L’auteur du cours que j’ai reproduit parle d’"une région coupée de bois et d'étangs et favorable à la défense" (donc aux Allemands si l’armée française passe à l’attaque)… Il n’est évidemment pas seul. De surcroît les Allemands savaient que nous attaquerions à ce niveau et avaient laissé pénétrer les soldats français pour mieux les accueillir avec leur artillerie lourde placée ici depuis un long moment. Mais laissons la parole au général André BACH, auteur d’un livre fort recommandable à la lecture "Fusillés pour l’exemple, 1914-1915" : "En 1913, à la fin d'une grande manœuvre sur carte, le général Deprez, autre adjoint de Joffre, s'était opposé à Berthelot qui prétendait que rien ne serait plus facile que de se lancer à l'offensive au sud de Metz et entrer dans le Palatinat sans coup férir. (NB. précédemment, le général BACH nous dit que "par Berthelot, Joffre était en prise avec le plus exaltés de ses collaborateurs, partisans de l’offensive à outrance"). Il lui avait dit : "Mais allez donc voir le terrain entre Metz et les Vosges, défilés truqués, défenses accumulées et renforcées... Vous ne pouvez prendre l'offensive, comme les Allemands d'ailleurs, que par la Belgique, seul terrain libre... Et comme vous ne le voulez pas, vous êtes condamné à commencer la campagne par une bataille défensive, à moins que vous ne préfériez recevoir une pile d'abord, dans une offensive ratée"....Rien n'y fit. La nation française, à cause des décisions arrêtées dans le petit cercle décrit ci-dessus (Joffre et ses "jeunes-Turcs" (sic) JPR), entrera en guerre en se ruant sur son adversaire, avec pour seul viatique les aphorismes du colonel de Grandmaison: «Un adversaire pris à la gorge n'a plus sa liberté d'action pour manœuvrer et attaquer lui-même... ». La sécurité résultera de l'offensive même, il n'y a donc pas à se soucier de précautions oiseuses. L'historien ne doit surtout pas se prendre pour un procureur, mais dans le cas qui nous intéresse, on ne peut éviter de tenter de se faire une opinion sur les raisons qui ont permis une telle manière de faire la guerre. Lanrezac, limogé ultérieurement par Joffre, en rend ce dernier directement responsable. Dans le mémoire non expurgé rédigé par lui et daté du 30 juin 1916, il revient sur la bataille des frontières en août 1914 et donne son point de vue : «La défaite générale subie par nos armées est due évidemment à des causes profondes d'une portée supérieure à celles que cite le général Joffre et avant tout à sa stratégie que je m'abstiens de qualifier et à la tactique de sauvage pratiquée par nos troupes, tactique dont il est aussi responsable que de sa stratégie, car, sans son appui plus ou moins conscient, les Jeunes n'auraient pas réussi à l'imposer à notre armée».

    Il est de fait que, d'une manière un peu paradoxale, cette incitation à se jeter systématiquement sur l'ennemi rend les exercices militaires d'une grande simplicité, une fois les troupes arrivées à pied d’œuvre. Le seul critère étant l'énergie dans l'exécution, l'effort intellectuel demandé aux cadres de contact (de contact avec la troupe, JPR, c’est-à-dire sous-officiers et officiers subalternes) s'était grandement réduit au fil des années précédant la guerre et le savoir-faire des années antérieures progressivement perdu. Aux grandes manœuvres, les généraux étaient notés sur leurs pulsions offensives qui remplissaient d'aise les observateurs. Ceux qui s'entouraient de précautions avant d'agir étaient regardés avec suspicion".

    On aura remarqué l’allusion à la Belgique. "En jargon militaire" écrit le général Bach "la plus puissante armée que la France ait connue (…) ne disposait pas pour son engagement initial d’un espace de manœuvre adapté à sa taille. (…). Le vrai champ de bataille pour des armées de la taille des armées allemande ou française se trouvait sur les plateau belge". Mais la France ne pouvait pas passer par la Belgique sauf à perdre l’alliance britannique.

    Tout cela plaidait pour une bataille défensive. La bataille des frontières, au contraire, a été très coûteuse en vies humaines, a multiplié les déplacements épuisants pour la troupe, n’a pas permis de voir l’importance de ce qui se tramait en Belgique. Tout un faisceau de causes explique que les premiers "fusillés pour l’exemple" ont été exécutés dès septembre 1914.


3) les raisons de la victoire de la Marne ? Beaucoup de facteurs expliquent cette victoire et donc l’échec du plan de guerre allemand. On ne peut manquer de noter la bravoure des soldats français puisque cet aspect a été souligné par tous les généraux allemands, stupéfaits de voir une telle réaction après 1 mois de retraite. Joffre a progressivement compris l'ampleur de l'offensive allemande via la Belgique et a déplacé des divisions vers l'ouest, créant l'armée Maunoury (6°)  et la 9° (Foch). On peut relever la lucidité de Gallieni, gouverneur militaire de Paris (cf. document ci-contre. Source : L. Genet), qui a bien vu la "position aventurée" de l’aile droite allemande (armée de Von Klück) et la possibilité de la prendre de flanc et de lui barrer la retraite. Notons la simplicité de Joffre sur ce point qui accepte de prendre sur son compte cette initiative de Gallieni. Mais il y a d’autres raisons.

    Comme disait Caton l’Ancien à tout bout de champ "il faut détruire Carthage", Schlieffen est mort en répétant "il faut renforcer l’aile droite !". Or, son successeur Moltke II, loin de la renforcer, l’a rabaissée. Et cela dès le départ, c’est-à-dire avant l’invasion de la Belgique. Voyez la différence entre la conception Schlieffen (1914 : le martyre de la Belgique) et sa réalisation (supra, 2° carte). Ensuite, la résistance belge a retenu 150.000 soldats allemands soit entre 10 et 15% des effectifs de l’envahisseur. Les 60.000 Allemands qui assiègent Maubeuge ne seront disponible qu'après le 8 septembre. De surcroît, Moltke, très sûr de la victoire finale,  retire plusieurs divisions de son aile droite pour les porter sur le front oriental où l’armée russe - le trop célèbre "rouleau compresseur" - a, comme prévu dans les accords d’états-majors, attaqué 14 jours après la déclaration de guerre. A ce niveau, il nous faut parler de la préparation diplomatique de la guerre.

    C’est Gambetta qui tira les premières conclusions de la défaite de 1871 : une guerre se prépare diplomatiquement et il faut avoir des alliés. Cela donna une ligne directrice définitive à la diplomatie française. De ce point de vue, le premier élément décisif a été la conclusion de l’alliance franco-russe. Cette alliance a créé un effet d’engrenage inarrêtable mais, une fois le conflit engagé, il a joué son rôle : Moltke allège son aile droite sur le front occidental. Quant à L’Entente cordiale, elle assura à la France la présence de 7 divisions britanniques en 1914.  Le respect de la neutralité belge a été déterminant. En 1911, Joffre avait émis l’idée de mettre un pied en Belgique, il fut immédiatement rappelé à l’ordre. Le 31 juillet 1914, le Quai d’Orsay avait répondu par l'affirmative à la question des Anglais : respecterez-vous la neutralité belge ?  Ce respect de la neutralité belge a permis de faire basculer l’opinion britannique quand les Allemands, au contraire, froissèrent le "chiffon de papier". Enfin, le lent travail de Delcassé au ministère des affaires étrangères a évité l’ouverture d’un front dans les Alpes contre les Italiens. Après tout, l’Italie était membre de la Triplice, triple alliance. En 1914, elle est neutre. Ce sont autant de divisions françaises qui peuvent être envoyées dans le Nord, l’Est puis sur la Marne.

    Toutes ces raisons expliquent la victoire de la Marne. Dans un tête-à-tête franco-allemand, comme en 1870, la France eût été battue.

4) Vous avez noté l'absence des fameux taxis de la Marne dans le cours d' A. ROUBAUD. En 1929, on pansait encore les plaies, l'heure n'était pas aux anecdotes. Il faudra attendre pour cela l'heure de l'Histoire-business où ce genre de faits est sur-valorisé.

5) Voici un graphique qui montre l'ensemble des pertes humaines durant la guerre. le document a dû être très diminué pour entrer dans le lit de Procuste de l'ordinateur (source : LE MONDE des 3/4 août 2014). Il est donc, hélas, peu lisible. Néanmoins, vous pouvez constater l'énormité des pertes humaines durant les deux mois d'août et septembre 1914 : les "poilus" ont été surpris par le choc de l'invasion allemande, les marches de 60 k/jour, la température élevée de cet été avec des capotes trop lourdes et un matériel de plusieurs dizaines de kilos, un commandement hasardeux qui ne parlait que d'offensives à la Valmy, etc...  etc...




[2] C’est dans ce cadre que se place l’une des premières fraternisations entre soldats des deux camps : voir l’article Les trêves de Noël 1914 et aussi le film de Christian Carion "Joyeux Noël" (2005).



"Ceux de 14" par Maurice GENEVOIX,

publié le 7 janv. 2014, 05:27 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 11 nov. 2020, 02:37 ]

   
    Julienne GERVASONI a lu (relu) pour nous le livre célèbre de Maurice Genevoix, ancien poilu, "CEUX DE 14". C'est un témoignage qui est un document historique, je veux dire une source documentaire pour les historiens. M. Genevoix a été commandant de section, au front, il a vu la mort de près : trois balles lui transperceront le corps sans être toutefois mortelles. Il sera réformé. Il a vu auparavant la mort de ses camarades, inférieurs ou supérieurs hiérarchiques, il a vu les cadavres et tout ce qu'un poilu du front a pu voir, sans qu'il soit réellement possible de l'appréhender à cent pour cent par le lecteur paisible d'aujourd'hui...  Il a vu la détresse humaine, la peur sur les visages, la hantise du combat, la honte du récalcitrant, il a vu des fous de guerre, tout.
    Julienne nous présente tout cela avec une simplicité digne du grand écrivain.
    Comme l'historien Jules Isaac, ancien combattant, dont j'ai lu la correspondance et qui en parle dans presque chacune de ses lettres, Genevoix évoque la boue. La boue n'est pas simplement salissante -si ce n'était que cela !- elle refroidit les pieds et tout le corps, elle est enveloppante, elle peut se transformer en véritables sables mouvants qui ensevelissent les corps des blessés et Genevoix  nous parle de ces soldats littéralement noyés sous la boue. Comme Isaac qui parle d'une "guerre d'assassins", Genevoix parle d'une guerre différente, historiquement inouïe, meurtrière comme jamais : "on ne peut tuer ainsi des hommes qu'en en faisant tuer d'autres, autant d'autres ou davantage". Et malgré cela, ce ne sera pas la "der des der"...
    Voici donc le texte de Julienne Gervasoni, professeur d'histoire, qui met à profit son temps libre de retraitée pour aider à former, encore et toujours, les esprits libres.
    J.-P. R.


"Ceux de 14" de Maurice Genevoix

   

    Par Julienne GERVASONI,

    Professeur d’histoire.

    

    Les commémorations du 100ème anniversaire de la première guerre mondiale vont commencer. Nos grands-pères ou nos arrières grands- pères ont été concernés. C’est en pensant à eux que j'ai emprunté à la bibliothèque d'Annonay cet ouvrage de Maurice Genevoix dont je viens de terminer la lecture. (Collection points;664p).

    Maurice Genevoix est mobilisé en août 1914, avec le grade de lieutenant. Blessé en 1915, il sera réformé. L’expérience de la guerre qu'il nous livre, fait de lui un immense écrivain.

    Au début, cinq titres : SOUS VERDUN (1916), NUITS DE GUERRE (1917), AU SEUIL DES GUITOUNES (1918), LA BOUE (1921), LES EPARGES (1923). Cinq titres qui seront réunis plus tard sous un seul : "CEUX DE 14". Il s'agit d'une grande fresque où soldats, habitants des zones de combat, chevaux, nature, bâtiments, clochers même, s'animent. M. Genevoix fait aussi résonner à nos oreilles, les accents régionaux des poilus. C'est un message extrêmement précis dans lequel l'auteur raconte l'horreur quotidienne vécue par « le peuple du front, d'un pays où le jour et l'espace, ces deux joies de vivre, se sont faits les complices de la mort... » (Nuits de guerre, p 274).

1. L'HORREUR DE LA GUERRE :

 

  

 Le commandement n'est pas proche des combattants et quelquefois les ordres donnes sont stupides.

    Les soldats ont passé toute la nuit à se battre dans un bois, sous la pluie. Ils sont exténués. Et pourtant l'ordre arrive, qu'il faut exécuter : «… une heure d'école de section, maniement d'armes, et formation en attendant la soupe... (…) nous faisons du maniement d'armes. Il y en a pour une heure. Mais moi qui commande cela, comment pourrais-je ne pas voir au fond de tous ces yeux, un muet et poignant reproche ? comme ils sont las! leurs corps fléchissent, s’affaissent... encore trois-quarts d'heure d'exercices... ». (Nuits de guerre, p255).

    Après des combats terribles aux Eparges, où tant d'hommes sont morts, mêmes ordres. A ce moment-là M. Genevoix réagit violemment : "... à présent, nous sommes au repos ; un repos avec des exercices, des marches militaires et le service intérieur à quoi l'état major attache tant de prix. Car nous coudoyons chaque jour ces gens-là, ces autres gens-là. Le canon gronde toujours là-bas où tant et tant de camarades et mon ami (il s'agit du lieutenant Porchon) ont donné tout leur sang. Ils s'en foutent.... ». (Les Eparges p654).

    La pluie, la boue.

    "... A Calonne, Aux Eparges, c'est partout gadouille et flotte... (la boue, p484)

    "...ce qui fut le plus dur de l'épreuve, ce qui a fait nos soldats vraiment héroïques, c'est la boue ; la boue dans laquelle nous avions vécu tout l'hiver... la boue plus épaisse et gluante que jamais... des cartouches terreuses, des fusils dont le mécanisme englué ne fonctionnait plus : les hommes pissaient dedans pour les rendre utilisables » (Les Eparges p643).

    La guerre blesse et la guerre tue

    Des obus de 150 ont frappé un abri dans la tranchée.  "... le commandant Sénéchal a eu la carotide tranchée ; le commandant Vanel, les yeux crevés et le crâne défoncé ; le capitaine Andreau les cuisses brisées... Morisseau, le médecin auxiliaire a été coupé en deux : on a retrouvé ses jambes d'un côté, son torse de l'autre, ses poumons accrochés aux rondins, des lambeaux de son corps un peu partout... ». (Les Eparges, p629)

    A ce "spectacle", s’ajoutent les appels des blessés :

    "… Ces appels , ces plaintes, ces gémissements sont un supplice pour tous ceux qui les entendent ; supplice cruel surtout aux combattants qu'une consigne rive à leur poste, qui voudraient courir vers leurs camarades pantelants... les panser... et qui ne le peuvent et qui restent là, le cœur serré, tressaillant aux appels éperdus que la nuit jette sur eux.... 

-A boire !

-Est-ce qu'on va me laisser mourir là ?

-Brancardiers !

-A boire !

Ah !

-Brancardiers

-Qu'est-ce que j'ai fait moi, pour qu'on me fasse tuer à la guerre ?

-Maman! oh! maman !...

-J'ai soif !...  J'ai soif !... J'ai soif !....

-Je ne veux pourtant pas crever là, bon Dieu !...

-Il n'y a donc pas de pitié pour ceux qui clamecent !... » (Sous Verdun, p81)

Et puis, les cadavres de ceux qui sont morts noyés ou gelés :

    "... J'ai vu le colonel Boisredon sous nos pieds à travers la boue, nous sentions les cadres des havresacs ensevelis. Le colonel disait : je vous assure que c'est affreux. Si je n'étais pas passé par là, si je n'avais pas marché sur lui, qu'est-ce qu'il serait devenu ?il a remué; j'ai entendu sa voix... il criait quelque chose comme : pas mort....pas mort. On l'a dégagé...est-il mort ?...il y en a eu beaucoup qui sont morts de cette façon....

    "... J'ai vu sur une civière un capitaine de régiment. J'ai demandé aux brancardiers : quelle blessure ? pas de blessure, gelé seulement. L'homme étendu ne disait rien les yeux vaguant, pareil à une chose écrasée...". (Les Eparges p652).

    Les gendarmes sont intraitables envers les déserteurs.

    Même les blessés qui essaient de rejoindre l'arrière sont renvoyés au combat par les "cognes". Un blessé raconte à Maurice Genevoix : "...C'est à Rembercourt qu'on a été touchés...On s'est r'trouvés au poste de secours. On nous évacue... on arrive à Bar-le-Duc... et c'est là, mon lieutenant...des majors disent qu'on l'a fait exprès, qu'on est des mutilés volontaires, des mauvais soldats et des lâches. Ils nous ont fait passer au conseil... c'est des gendarmes qui nous ont conduits... et ils nous ont collés un an d' prison »... (Sous Verdun, p83).

    Et l'indignation s'empare du lieutenant Genevoix :

"… L'indignation m'empoigne et me secoue. Je leur parle doucement à tous les trois, ne voulant pas leur dire jusqu'à quel point leur révolte est mienne désormais, mais souhaitant ardemment qu'ils sentent mes pauvres braves ulcérés, combien leur confiance m'est précieuse et combien je suis près d'eux... ".

    L’absurdité de la guerre

    Des armes qui se retournent contre ceux qui les ont installées :

"... Je gagne les prés boueux jusqu'à la haie derrière laquelle se cache la batterie. Sur une échelle horizontale aux montants entaillés au couteau, les huit hommes ont couché leurs fusils sans les pointer, sans les assujettir. Cela doit tirer sur un point repéré, une tranchée, un boyau, une piste.. les huit détentes pressées à la fois par une tringlette enfilée dans les pontets, la tringlette elle-même manœuvrée par un homme qui tient une ficelle à la main. Le bois de l'échelle travaille et gondole. De salve en salve, les fusils glissent se braquent vers le ciel ou piquent vers la terre : la batterie devient un jouet inefficace et dangereux". (La Boue, p465)

    À quoi sert cette façon de mener la guerre, sinon à tuer encore et encore ?

"... Tuer des Boches ? les user ? on ne peut tuer ainsi des hommes qu'en en faisant tuer d'autres, autant d'autres ou davantage. Alors ? Déloger les Boches d'une crête stratégique importante, d'un bastion avancé sur la Woëvre ? mais les Hures qu'est-ce qu'elles sont ? et le Montgirmont ? Derrière la colline des Eparges, la montagne de Combres se dressera face à nous. Et derrière Combres d'autres collines... Dix mille morts par colline, est-ce que c'est ça qu'on veut ? Alors ? (Les Eparges p636)

 

2. UN TÉMOIGNAGE BOULEVERSANT D’HUMANITÉ

 

On vient de le voir, Genevoix est près des hommes qu'il commande. Il les connaît.

Les hommes : leur générosité et abnégation, mais aussi leurs lâchetés…

    " … Je les ai trop regardés vivre. Je sais que celui-ci est un lâche, et celui-ci une brute, et celui-ci un ivrogne. Je sais que Douce a volé une gorgée d'eau à son ami agonisant ; que Faou a giflé une vieille femme parce qu'elle lui refusait des œufs ; que Chaffard sur le champ de bataille d'Arancy a brisé à coups de crosse le crâne d'un blessé allemand... » (La Boue, p467.)

    Les lettres envoyées par les poilus à leur famille : une catharsis.

"… Les premiers jours, chaque fois que j'entrais dans une grange, j'en voyais toujours plusieurs assis par terre, un havresac sur leurs genoux qui écrivaient de très longues lettres, où comme moi, ils disaient tout, comme moi se libéraient de leurs souvenirs trop lourds... ". (Les Eparges p615).

    La culpabilité définitive de celui qui a tué des hommes :

    M. Genevoix a tué trois soldats allemands ; comme il le raconte lui-même, cet acte le poursuivra toute sa vie.

    "…Course forcenée vers les lignes des chasseurs... j'ai rattrapé trois fantassins allemands isolés. Et à chacun courant derrière lui du même pas, j'ai tiré une balle de révolver dans la tête ou dans le dos. Ils se sont effondrés avec le même cri étranglé.... ».

    A ce sujet, Maurice Genevoix écrit ceci, beaucoup plus tard : "Lors d'une réimpression de ce livre j'avais supprimé ce passage : c'est une indication quant à ces retours sur soi-même qui devaient fatalement se produire. Je le rétablis aujourd'hui tenant pour un manque d'honnêteté l'omission volontaire d'un des épisodes qui m'ont le plus profondément secoué et qui ont marqué ma mémoire d'une empreinte jamais effacée. (Note de 1949)". (Sous Verdun p44).

    « Ça a été la première occasion, la seconde et dernière aux Eparges, le 18 février au matin où j'ai senti en tant que telles la présence et la vie des hommes sur qui je tirais. Heureusement, ces occasions étaient rares et, lorsqu'elles survenaient, elles n'admettaient guère qu'un réflexe à défaut de retour sur soi-même : il s'agissait de tuer ou d'être tué.

    Dés les premiers mois de la guerre, certains avaient le pressentiment qu'elle serait longue :

    Une discussion pathétique s'engage entre M. Genevoix et son ami Ravaud.

"...Bonsoir Ravaud d'où sors-tu ?

-Moi ? J'étais là dans le champ. Je t'ai vu au moment où tu venais de passer. Alors j'ai couru, pour faire route avec toi.

-Et que faisais-tu dans ce champ ?

-Je peux bien te le dire : je regardais les tombes.

Il secoue brusquement la tête :

-Parlons d'autre chose, veux-tu ? j'en ai assez de cafarder depuis huit jours.

Nous nous sommes arrêtés, la voix sourde et lointaine, il parle :

Encore une !... là-haut, dans le champ, à peine a-t-on quitté la route qu'on bute contre elles à chaque pas. On n'ose plus marcher, ni avancer, ni reculer. Tout à l'heure...j'ai cru que la surface du champ remuait...Allons-nous en.

Il s'est arrêté de nouveau, m'a pris par le bras...

As-tu songé aux autres morts, ceux que nous n'avons pas connu, tous les morts de tous les régiments ?...

Mais j'entrevois.., un malheur pire que ces massacres... Peut-être tous ces malheureux seront-ils très vite oubliés ?... ils seront les morts du début, CEUX DE 14. IL y en aura tellement d'autres.. et sur ces entassements de morts, on ne verra que les derniers tombés, pas les squelettes qui seront dessous....Qui sait, même ?puisque la guerre s'accroche au monde comme un chancre, qui sait si ne viendra un temps où le monde aura pris l'habitude de continuer à vivre avec cette saleté sur lui ? Les choses iraient leur train, comprends-tu, la guerre étant tolérée acceptée. Et ce serait le train normal des choses que des hommes jeunes fussent condamnés à mort.... Mon mal, vois-tu, a été de comprendre un peu plus tôt que beaucoup d'autres que la guerre allait durer, durer... ». (Nuits de Guerre, p 262)

 

Devant tant de clairvoyance on ne peut que se taire.

Je voudrais terminer la présentation de cet ouvrage par une note positive.

M. Genevoix, lorsqu’il était au repos, regardait la nature autour de lui et lui rendait un hommage poétique.

"... Le printemps nous battait dans la chair. Je regardais à travers le taillis le poudroiement lumineux des jeunes feuilles, les chatons fauves de pollen : je regardais les yeux de Galibert trop brillants sous un voile mouillé, la main de Dast qui cherchait à son flanc la chaleur grasse du terreau. Il a arraché une pousse d'herbe neuve et nous l'a montrée en disant: "ça c'est de l'herbe" ». Galibert ne bougeait plus : appuyé sur ses paumes, le visage tourné vers le sol, les yeux attentifs et durs, il semblait regarder quelque chose... Toujours couché,  je me suis traîné jusqu'à lui; et j'ai vu, sur une pierre éclatante de soleil, deux insectes bleus accouplés. (Les Eparges p638).

 

Julienne Gervasoni. Janvier 2014.

voir aussi : "LA PEUR", roman autobiographique de Gabriel CHEVALLIER

    NB. Cette photo est remarquable en ce qu'elle montre la mort. La tuerie. Mais j'ai honte à dire qu'elle est déplacée. Ceux de 14, montrés par Genevoix, ne portent pas cet uniforme ! ils ont encore le pantalon rouge et pas de casque...





1914 : le martyre de la Belgique

publié le 3 déc. 2013, 09:36 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 24 août 2021, 10:57 ]

LA NEUTRALITÉ BELGE, FRUIT DES TRAITES INTERNATIONAUX SIGNES PAR LA PRUSSE

ULTIMATUM ALLEMAND (2 AOUT 1914).

LE CHIFFON DE PAPIER

LES HORREURS DE LA GUERRE ET LA PSYCHOSE DE GUERRE

LOUVAIN, VILLE MARTYRE, ET LES AUTRES…

 

LE MARTYRE DE LA BELGIQUE


    


LA NEUTRALITÉ BELGE, FRUIT DES TRAITES INTERNATIONAUX SIGNES PAR LA PRUSSE

    La neutralité de la Belgique remonte aux événements de 1830 : elle a été le corollaire et la condition de son indépendance. En vain le roi des Pays-Bas fit-il appel à l'Europe pour recouvrer l'intégrité de son royaume créé par les Alliés au congrès de Vienne en 1815. La révolution belge de 1830 remet en cause ce traité puisque la Belgique veut se séparer de la Hollande.

    Une conférence des cinq grandes Puissances -Autriche, France, Grande-Bretagne, Prusse et Russie-, réunie à Londres le 11 novembre 1830, ne crut pas pouvoir aller contre la force des choses et contre le sentiment populaire, et revenir sur le fait accompli. Dès le 20 décembre, elle déclarait le royaume des Pays-Bas dissous, et autorisait le Gouvernement provisoire de Bruxelles à envoyer des délégués à Londres. Le protocole du même jour ajoutait que "la conférence allait discuter et concerter les nouveaux arrangements les plus propres à combiner l'indépendance future de la Belgique avec les intérêts et la sécurité des autres Puissances et avec l'équilibre européen".

    L'arrangement ainsi annoncé, qui devait garantir à la fois l'indépendance de la Belgique, la sécurité des autres Puissances et le maintien de l'équilibre européen, aboutit à la proclamation de la neutralité perpétuelle du nouvel État. Puisqu'on devait renoncer à faire de la Belgique, réunie aux Pays-Bas, un seul royaume, assez fort pour se défendre lui-même, la conférence eut recours au procédé qui avait déjà servi à l'Europe, en 1815, pour soustraire la Suisse à l'influence de ses voisins, et pour fermer aux conquérants de l'avenir les routes d'invasion qui la traversent.

    Le protocole du 20 janvier 1831, qui a fixé les bases de la séparation de la Belgique et de la Hollande, était ainsi conçu, dans son article 5 : "La Belgique formera un État perpétuellement neutre. Les cinq Puissances lui garantissent cette neutralité perpétuelle, ainsi que l'inviolabilité de son territoire". Ce protocole fut un peu plus tard confirmé, d'abord par le traité du 26 juin 1831, connu sous le nom de traité des 18 articles, puis par le traité du 15 octobre suivant, dit des 24 articles, auquel le nouveau royaume de Belgique adhéra un mois après (15 novembre 1831), et dont l'article 9 affirme, une fois de plus, sa neutralité perpétuelle. Une clause additionnelle, un 25e article, assure la Belgique de la garantie des cours d'Autriche, de France, de Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie.

Tous ces engagements ont été renouvelés, développés et précisés par les traités du 19 avril 1839[1].

Qu’est-ce que la neutralité perpétuelle ?

    Lorsqu'une guerre éclate entre deux ou plusieurs États, les Puissances, tout d'abord étrangères au conflit, sont ordinairement juges de l'attitude qu'elles observeront au cours des hostilités. Suivant les suggestions de leur intérêt, elles se déclarent en faveur de l'un des belligérants ou elles décident d'observer la neutralité, promettant par là de ne prêter aucun appui, direct ou indirect, aux armées qui vont entrer en campagne. Mais cette abstention n'est pas toujours volontaire, elle est quelquefois imposée par les traités internationaux, qui font à tel État, quoiqu'il arrive et sauf le cas d'agression, le devoir rigoureux de ne participer, dans l'avenir, à aucune entreprise belliqueuse, et de n'entretenir avec ses voisins que des relations exclusivement pacifiques : c'est la neutralité perpétuelle ou permanente. Ce fut le cas de la Belgique et du Luxembourg après les traités sus-cités.

    Quoique garants de la neutralité belge, les Allemands de Guillaume II mettent au point un plan d’invasion de la France qui passe par la voie royale des invasions : la Belgique. C’est le plan von Schlieffen.

    Von Schlieffen était chef-d’état-major général lorsqu’il conçut ce plan d’invasion en 1899. Guillaume II connaissait et approuvait ce plan. C’est en 1904 que les grandes lignes du plan allemand furent connues de l’état-major français. À l’évidence ce n’était pour lui qu’une éventualité, peut-être même un leurre car l’essentiel des armées françaises, en 1914, se trouve entre Belfort et Montmédy (c'est-à-dire au niveau de la frontière franco-allemande de l'époque). L’état-major français avait tout de même envisagé une incursion allemande en Belgique et mis au point le "Plan XVII" qui prévoyait le glissement vers l’ouest de notre aile gauche et son renforcement dans ce cas-là.


File:Schlieffen Plan fr 1905.svg

  Ce plan allemnd a été moult fois rectifié, amélioré, corrigé, etc… Ce qui est sûr c’est que Schlieffen envisageait un immense débordement, tournant autour du pivot de Verdun - qui serait non attaqué dans l’immédiat - et prenant toute l’armée française - dont le gros est massé le long de la frontière franco-allemande de 1914 - à revers, y compris Verdun. Le rôle de la Ière armée allemande est essentiel : Schlieffen la faisait passer au plus près de la Manche -des détachements devaient occuper des ports comme Calais et Boulogne - et, surtout, elle devait passer à l’ouest de Paris qui eût été entièrement encerclé. Bien évidemment, la neutralité de la Belgique et du Luxembourg  n’était pas un paramètre pris en compte :

"par conséquent une offensive qui se développerait au nord de Verdun ne doit pas hésiter à violer la neutralité de la Belgique en plus de celle du Luxembourg"

            La plus parfaite indifférence à l’égard du Droit.

 

ULTIMATUM ALLEMAND (2 AOUT 1914).

    La note, remise par l’ambassadeur allemand au Ministère belge des affaires étrangères à 7 heures du soir, était ainsi formulée (extraits, les mots soulignés le sont par moi) :

    "Le Gouvernement allemand a reçu des nouvelles sûres, d'après lesquelles les forces françaises auraient l'intention de marcher sur la Meuse par Givet et Namur ; ces nouvelles ne laissent aucun doute sur l'intention de la France de marcher sur l'Allemagne par le territoire belge. Le Gouvernement impérial allemand ne peut s'empêcher de craindre que la Belgique, malgré sa meilleure volonté, ne soit pas en mesure de repousser avec succès une marche française comportant un plan aussi étendu, de façon à assurer à l'Allemagne une sécurité suffisante contre cette menace. C’est un devoir impérieux de conservation pour l'Allemagne de prévenir cette attaque de l'ennemi.

    " Le Gouvernement allemand regretterait très vivement que la Belgique regardât comme un acte d'hostilité contre elle, le fait que les mesures des ennemis de l'Allemagne l'obligent à violer aussi, de son côté, le territoire belge. Afin de dissiper tout malentendu, le Gouvernement allemand déclare ce qui suit : (…) cf. infra.

    Le gouvernement allemand ment effrontément. La seule chose sûre est la suivante : du côté français, en février 1912, le général Joffre, chef de l'état-major, aurait souhaité pouvoir prendre une "offensive préventive" en territoire belge, mais le gouvernement, après avoir pressenti la Grande-Bretagne, a écarté ce projet. La conviction que l'armée allemande traverserait le territoire belge était celle de tous les chefs militaires, qui discutaient seulement sur l'étendue de cette violation.

    Quelle fut la réaction du gouvernement belge ?

    Voici un extrait des mémoires d’un homme politique belge, Paul Hymans.

    "Après le dîner dominical (2 août 1914), réunissant ma famille et mes neveux qui, le soir, quittaient Bruxelles pour rejoindre leur régiment, je reçus vers 9 h 1/4 un télégramme me convoquant au Palais à 10 h du soir. Cette convocation ne me surprit guère. Je dis à mon entourage que vraisemblablement le gouvernement, voulant arrêter les mesures urgentes que comportait la situation, estimait nécessaire d'en délibérer avec les chefs de l'opposition. (Hymans est alors le chef de l’opposition libérale, JPR). J'arrivais au Palais à l'heure dite, ignorant tout de ce qui s'était passé entre M. Davignon et le ministre d'Allemagne. Un huissier me dit que le Conseil des ministres siégeait et que nous ne serions introduits qu'après la fin de la séance. On me fit entrer dans un salon où attendaient quelques ministres d'État. M. Schollaert s'avança vers moi, la figure altérée.

    - Eh bien ! me dit-il.

    Je répondis qu'il fallait espérer que nous échapperions à la tourmente.

    - Comment, s'écria-t-il, l'Allemagne va nous envahir !

    Il me sembla que je recevais un coup de poing en pleine poitrine et je me sentis pâlir.

    À 10 h 1/2, la porte de la salle s'ouvre ; nous entrons. On nous fait place à la table. Le Roi (Albert 1er) préside. Il nous lit, d'une voix ferme, la note allemande. Pendant toute la séance il gardera tous les dehors d'un calme imperturbable. Le visage, qui a conservé sa haute couleur, est revêtu d'un voile de gravité, pas un muscle de la face ne bougera, aucune réaction physique ne trahira l'émotion. C'est la statue du devoir, impavide et stoïque.

    M. Woeste, le premier, prend la parole, et s'exprime lentement, en termes brefs. Je résume : la situation est très grave. Nous sommes devant une puissance formidable. La Belgique est un petit pays; nous devons protester et invoquer les traités qui nous couvrent et que l'Allemagne a signés. Nous ne pouvons nous incliner et il faut tirer le canon. Mais, après cette démonstration indispensable et qui, à raison de notre faiblesse, demeurera vaine, il faudra se retirer à Anvers et laisser faire. Je demande aussitôt à parler : il m'est impossible de laisser passer sans réponse la conclusion de M. Woeste. Je résume encore, d'après quelques notes griffonnées peu de jours après : l'Allemagne nous inflige un brutal outrage ; elle commet une violation flagrante des traités dont elle est garante. Il faut résister de toutes nos forces. C'est notre devoir. Nous serons soutenus par la France et l'Angleterre. On peut être vaincu, mais on aura sauvé l'honneur et on vivra. Sinon on est perdu. L'issue finale est incertaine, mais si l'Allemagne est victorieuse, l'abaissement auquel la Belgique se serait résignée lui enlèverait tout droit à l'estime du vainqueur et à l'appui du dehors.

    Le roi demande que l'on vote et il procède à l'appel nominal. A l'unanimité on se prononce pour la résistance"[2]. Le gouvernement belge répondit donc à l’ambassadeur allemand que la Belgique avait toujours rempli son devoir de neutralité "dans un esprit de loyale impartialité" ; il n'y avait pas "d'intérêt stratégique" qui pût justifier "une violation du droit" ; "en acceptant les propositions qui lui sont notifiées, il sacrifierait l'honneur de la nation, en même temps qu'il trahirait ses devoirs vis-à-vis de l'Europe".

    Dans ces conditions, les Allemands appliqueront ce qui était annoncé dans leur ultimatum du 2 août :

" Si la Belgique se comporte d'une façon hostile contre les troupes allemandes et particulièrement fait des difficultés à leur marche en avant par la résistance des fortifications de la Meuse ou par des destructions de routes, chemins de fer, tunnels on autres ouvrages d'art, l'Allemagne sera obligée, à regret, de considérer la Belgique en ennemie".

    Quel pouvait être le niveau des regrets allemands ? Nul ne le saura jamais…

LE CHIFFON DE PAPIER

    L’ambassadeur anglais à Berlin, E. Goschen, le 4 août 1914, a rencontré d’abord le secrétaire d’État allemand aux affaires étrangères, von Jagow, puis le chancelier d’empire, Bethmann-Hollweg. Il est porteur de l’état de déclaration de guerre si Berlin confirme son invasion de la Belgique.

    "J’allai voir l'après-midi même le secrétaire d'État et lui demandai, au nom du Gouvernement de Sa Majesté britannique, si le Gouvernement impérial s'abstiendrait de violer la neutralité de la Belgique. M. von Jagow répondit immédiatement qu'il regrettait d'avoir à me donner une réponse négative, car, les troupes allemandes ayant franchi la frontière le matin même, la neutralité de la Belgique se trouvait d'ores et déjà violée. M. von Jagow chercha de nouveau à expliquer les raisons qui avaient obligé le Gouvernement impérial à prendre cette décision à savoir qu'il leur fallait pénétrer en France par la voie la plus rapide et la plus facile, de manière à prendre une bonne avance dans leurs opérations, et à s'efforcer de frapper quelque coup décisif le plus tôt possible. C'était pour l'Allemagne une question de vie ou de mort, car, si elle avait pris la route plus au Sud, elle n'aurait pu, vu le manque de chemins et la force des forteresses, espérer passer sans rencontrer une résistance formidable, impliquant une grosse perte de temps. Cette perte de temps aurait été autant de gagné par les Russes pour amener leurs troupes sur la frontière allemande. Agir avec rapidité, était le maître atout de l'Allemagne; celui de la Russie était d'avoir d'inépuisables ressources en soldats. Il ajouta que, pour les raisons qu'il m'avait données, il était maintenant impossible au Gouvernement allemand de faire un pas en arrière.

    "Je dis ensuite que je désirais aller faire visite au Chancelier, car ce serait peut-être la dernière fois que j'aurais l'occasion de le voir. (Von Jagow) me pria de le faire. Je trouvai le Chancelier très agité. Son Excellence commença de suite une harangue qui dura environ vingt minutes. Il dit que la mesure prise par le Gouvernement britannique était terrible au dernier point : rien que pour un mot -"neutralité"-, un mot dont en temps de guerre on n'avait si souvent tenu aucun compte ; RIEN QUE POUR UN CHIFFON DE PAPIER [3], la Grande-Bretagne allait faire la guerre à une nation de la même famille, qui ne demandait pas mieux que d'être son amie. Ce que nous avions fait était inconcevable ; c'était frapper par derrière un homme, au moment où il défend sa vie contre deux assaillants. Il tenait la Grande-Bretagne responsable de tous les terribles événements qui pourront se produire. Je protestai avec force contre cette déclaration, et je dis que (…) c'était (aussi) pour ainsi dire une affaire DE VIE OU DE MORT pour l'honneur de la Grande-Bretagne de tenir son engagement solennel. Cet engagement était de faire, en cas d'attaque, son possible pour défendre la neutralité de la Belgique. Si ce pacte solennel n'avait pas été tenu, quelle foi aurait-on pu ajouter à l'avenir aux engagements pris par la Grande-Bretagne ? ". (Livre bleu anglais, n° 160.). Fin de citation.

    Je vous rappelle que le général von Bernhardi emploie dès 1912 l’expression de "chiffon de papier" pour qualifier les accords internationaux. "Notre avenir" par le général**** von Bernhardi (1912), préfacé par Clemenceau (1915) Ce mépris des Allemands pour les accords internationaux remonte à loin. Dans ses Principes de la philosophie du droit, (§333) (§334), Hegel, célébrissime philosophe, professeur à l’université de Berlin, renvoie d’un revers "l’idée kantienne d’une paix éternelle par une ligue des États qui réglerait tout conflit (…)", car selon lui l’adhésion des États "resterait entachée de contingence". Les États donnant toujours priorité à leurs intérêts particuliers. Dans ces conditions, "les conflits entre États ne peuvent être réglés que par la guerre". Rappelons aussi le brigandage de Frédéric II le Grand et sa mainmise sur la Silésie autrichienne sans déclaration de guerre, ni respect des traités. Georges II de Hanovre le qualifia de "fripon", le Cardinal Fleury, premier ministre de Louis XV déclara "le roi de Prusse n’a aucune règle dans son esprit ; la bonne foi et la sincérité ne sont pas ses vertus favorites ; il est faux en tout, même dans ses caresses", etc…

    Le droit sciemment violé.

    Le chancelier allemand déclara à la tribune du Reichstag, le 4 août 1914, dans un discours incohérent où il semble perdre pied :

    "Nous nous trouvons en état de légitime défense et nécessité ne connaît pas de loi. Nos troupes ont occupé le Luxembourg et ont déjà, peut-être, pénétré en Belgique. Cela est en contradiction avec les prescriptions du droit des gens... Mais nous savions que la France se tenait prête à envahir la Belgique. La France pouvait attendre. Nous pas... C'est ainsi que nous avons été forcés de passer outre aux protestations justifiées des gouvernements luxembourgeois et belge. L'injustice, je parle ouvertement, l'injustice que nous commettons de cette façon nous la réparerons dès que notre but militaire sera atteint. Celui qui est menacé au point où nous le sommes et qui lutte pour son bien suprême ne doit songer à rien d'autre qu'à faire brèche".

 

LES HORREURS DE LA GUERRE ET LA PSYCHOSE DE GUERRE

   

    Pendant l'invasion de la Belgique et de la France, au début de la guerre de très nombreux actes de violence furent commis par les Allemands sur les populations civiles. Dans la seule Belgique, on estime à plus de 5.000 personnes le nombre des civils mis à mort, parmi lesquels des prêtres, des vieillards, des femmes et des enfants. Un grand nombre de villages et même de villes - Louvain avec les trésors de sa bibliothèque, Dinant, Senlis, Lunéville -, furent totalement ou partiellement incendiés et détruits.

    Représailles nécessaires, affirment tous les témoignages allemands depuis le simple soldat jusqu'au général d'armée : les Allemands étaient harcelés par des francs- tireurs, combattants ne faisant pas partie des troupes régulières comme il y en eut beaucoup en France pendant la guerre de 1870-1871.

    Extrait du carnet d'un lieutenant allemand du 49e R. I., 18 août : "Un peu en avant de Diest, se trouve le village de Schaffen. Cinquante civils environ s'étaient cachés dans la tour de l'église et de là-haut tiraient sur nos troupes avec une mitrailleuse. Tous les civils ont été fusillés".

    Proclamation du général von Bülow, commandant la 2e armée allemande, affichée à Liège le 22 août : "La population d'Andenne, après avoir témoigné des intentions pacifiques à l'égard de nos troupes, les a attaquées de la façon la plus traîtresse. Avec mon autorisation, le général qui commandait ces troupes a mis la ville en cendres et a fait fusiller 110 personnes. Je porte ce fait à la connaissance de la ville de Liège, pour que ses habitants sachent à quel sort ils peuvent s'attendre s'ils prennent une attitude semblable".                                                                                                                                                                                    

    Carnet d'un soldat allemand, 23 août : "Le soir à dix heures, le 1er bataillon du 178° descendit dans le village incendié au nord de Dinant... À l'entrée du village gisaient environ cinquante habitants fusillés pour avoir, par guet-apens, tiré sur nos troupes. Au cours de la nuit, beaucoup d'autres furent pareillement fusillés, si bien que nous en pûmes compter plus de deux cents. Des femmes et des enfants, la lampe à la main, durent assister à l'horrible spectacle... ".

    Déposition de Mme Barbe, demeurant à Nomeny (Meurthe-et-Moselle) : "J'ai demandé à un soldat pourquoi on voulait me tuer, ainsi que mon mari, et pourquoi on avait incendié notre ville. Il m'a répondu: «On nous l'a commandé. Il n'y a plus de pardon, parce que les Français ne font plus de prisonniers ; ils crèvent les yeux aux blessés et leur coupent les membres les uns après les autres. Si ce n'était pas vrai, nos chefs ne nous l'auraient pas affirmé »... ".

    Témoignage de von Kluck, commandant la Ière armée allemande : "Depuis qu'elle avait franchi la frontière belge, l'armée était en butte à des actes de perfidie, excitée, disait-on, par les autorités. Chaque jour des coups partaient des haies ; des officiers et des soldats étaient victimes de meurtres abominables, et des soldats belges déguisés y participaient. Le droit des gens était foulé aux pieds (sic)[4]. Les proclamations les plus menaçantes ne produisaient aucun effet. Des mesures de représailles, sévères, inexorables, furent édictées par les chefs responsables pour empêcher ces attentats. Des exécutions prononcées d'après la loi martiale et des incendies allumés sur le front et sur ses derrières ne portèrent que lentement remède à la situation. Au cantonnement comme au-dehors, il était toujours prudent d'avoir une arme à sa portée, même dans les plus hauts états-majors, dès que l'armée avait passé. Partout où le commandant en chef était logé, il devait se faire protéger par un bataillon, des mitrailleuses et quelques canons prêts à faire feu. Jusqu'à la frontière sud de la Belgique, l'existence de l'armée fut ainsi empoisonnée"[5].

    Henri Pirenne, grand historien belge, mondialement connu dans la profession, déporté en Allemagne pendant la première guerre mondiale, a exposé la conclusion qui se dégage de ce débat, "conclusion qui vaut pour la France comme pour la Belgique" écrit Jules Isaac : "Dépourvue de toute espèce de preuves et formellement contredite par les faits aussi bien que par la vraisemblance, l'histoire des francs-tireurs belges n'est qu’une de ces légendes de guerre dont la génération spontanée ne peut étonner l'historien...". Mais les soldats allemands y ont cru et toute l'Allemagne avec eux : "Que les soldats allemands aient pris, çà et là, des gardes civiques pour des francs-tireurs, qu'ils aient attribué à des civils des coups de fusil tirés contre eux par des soldats cyclistes ou des gendarmes postés à l'entrée des villages et qui se retiraient en vitesse après avoir tiré, tout cela est sans doute non seulement possible, mais certain... Les officiers ont partagé leur erreur... [Les journaux l'ont propagée. Le peuple belge a été représenté] comme un peuple abominable d'assassins et de tortionnaires, empoisonnant l'eau des puits, poignardant les soldats durant leur sommeil, crevant les yeux des blessés sur les champs de bataille. Personne, dans l'exaltation du moment, n'a eu le sang-froid de récuser des invraisemblances qui se réfutaient par leur outrance même... J'ai sous les yeux, en écrivant ces lignes, la lettre d'un père de famille plein de sollicitude, mettant son fils en garde contre la cruauté des Belges et lui recommandant d'abattre tout civil qui chercherait à s'approcher de lui... ". Ainsi, les horreurs commises ont pour "cause principale, sinon pour seule cause... cette hantise des francs-tireurs dont les armées allemandes étaient travaillées..., une sorte d'autosuggestion... Rien ne peut dissiper une prévention que toutes les vraisemblances démentent, mais que la psychose de guerre impose"[6].

    Je (JPR) ne comprends pas bien l’obstination que mettent les Belges à nier l’existence de francs-tireurs en leur sein, faisant face à l’envahisseur barbare (en ce sens qu’il est hors la loi internationale[7]). Fallait-il demander aux Allemands l’autorisation de prendre un revolver ou un fusil pour s’opposer à leur agression ? Je me permets de citer mon livre (chapitre VII) où je réponds à un historien français qui qualifie les Francs-tireurs et partisans de 1944 de troupes "irrégulières".

"Mais peut-on parler de milices "irrégulières" pour les F.T.P. ? Qu'est-ce donc que le "régulier" ? Il faut poser la question de la légitimité. Appuyés sur la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, les F.T.P. "et autres" ont mené une action parfaitement légitime, il n'y a point besoin d'une déclaration officielle auprès d'une administration quelconque pour se battre en faveur des droits de l'homme et de la liberté. En revanche, les royalistes de 1814 s'appuient sur quelle légitimité ? ".

    Une chose est sûre : la résistance belge de l’armée régulière et des citoyens civils a retenu en Belgique 150.000 soldats allemands. Ce qui représente 10 à 15% de l‘armée allemande sur la Marne. Ce fut un élément explicatif de la victoire française.

 LOUVAIN, VILLE MARTYRE, ET LES AUTRES…

    (photo supprimée faute de place)

au 1er plan, la bibliothèque, au second plan l'hôtel de ville (gothique flamboyant), au fond l’Église Saint Pierre.

La ville de Louvain - entre autres - va subir un traitement particulièrement féroce. Les Allemands sont totalement persuadés que des habitants de la ville les ont pris en traître, attaquant le soldat allemand par derrière. Il y a donc des représailles. Non seulement des civils sont exécutés sans autre forme de procès, mais le patrimoine historique de la ville - et nous sommes ici dans une des régions d’Europe où le Moyen-âge fut le plus florissant - est mis à sac. La ville est bombardée. La célèbre bibliothèque de Louvain est incendiée volontairement par des soldats fanatisés. Le cardinal Mercier[8], primat de Belgique, archevêque de Malines capitale religieuse du pays, relatant les atrocités allemandes, consigne :

" .... À Louvain, le tiers de l'étendue bâtie de la cité est détruit ; 1.074 immeubles ont disparu. Dans cette chère cité louvaniste, dont je ne parviens pas à détacher mes souvenirs, la superbe collégiale de Saint-Pierre ne recouvrera plus son ancienne splendeur ; l'antique collège Saint-Yves ; l’École des Beaux-Arts de la ville ; l’École commerciale et consulaire de l'Université ; les halles séculaires ; notre riche bibliothèque, avec ses collections, ses incunables, ses manuscrits inédits, ses archives, la galerie de ses gloires au spectacle desquelles maîtres et élèves d'aujourd'hui s'imprégnaient de noblesse traditionnelle et s'animaient au travail : toute cette accumulation de richesses intellectuelles, historiques, artistiques, fruit de cinq siècles de labeur, tout est anéanti... "

 

  De durs combats eurent lieu à Dinant, ville située sur la haute-Meuse belge, qui est ici de direction sud-nord et donc très utile pour pénétrer en France (si l’on emprunte la vallée de la Sambre, on arrive dans le Nord-Pas de Calais) sachant, tous, que sur le Meuse française se trouve Verdun. A Dinant, les Français sont venus contre-attaquer l’invasion allemande le 9 août 1914, les Prussiens y virent la preuve de la connivence franco-belge, le non-respect de sa neutralité par la Belgique qui a laissé l’armée française pénétrer sur son territoire, preuve que la France voulait attaquer l’Allemagne via la Belgique, justification de leur attaque préventive, etc., etc…[9] Après un succès français avec retraite des Allemands (15 août), la IIIème armée allemande, en son entier, entend prendre sa revanche pour cette perte de temps infligée à l’application du plan Schlieffen qui doit être exécuté en 6 semaines chrono.

Le 23 août, commence un massacre qui laissera -pour la seule ville de Dinant - 674 morts civils, 400 déportés en Hesse, 80% de destruction du bâti urbain.


NB. L'hôtel de ville est épargnée car c'est la résidence de la Kommandantur. 

    Les Allemands impériaux ne se sont pas contentés de se conduire en barbares ; ils sont connaisseurs en peinture et ont ramené en Allemagne quelques chefs-d’œuvre à titre de dédommagement des atrocités qu’on leur a obligé de commettre. Le traité de Versailles se fait l’écho de ce détournement de propriété.  

Art 247 - L'Allemagne s'engage à fournir à l'Université de Louvain dans les trois mois qui suivront la demande qui lui en sera faite par l'intermédiaire de la Commission des réparations, les manuscrits, incunables, livres imprimés, cartes et objets de collection correspondant en nombre et en valeur aux objets semblables détruits dans l'incendie mis par l'Allemagne à la Bibliothèque de Louvain. Tous les détails concernant ce remplacement seront déterminés par la Commission des réparations.

L'Allemagne s'engage à remettre à la Belgique, par l'intermédiaire  de la Commission des réparations, dans les six mois qui suivront la mise en vigueur du présent Traité, et afin de lui permettre de reconstituer deux grandes œuvres d'art:

1°) Les volets du triptyque de l'Agneau mystique, peint par les frères Van Eyck, autrefois dans l'église de Saint Bavon à Gand et actuellement au Musée de Berlin ;

2°) Les volets du triptyque de la Cène, peint par Dierick Bouts, autrefois dans l'église de Saint-Pierre à Louvain, et dont deux sont maintenant au Musée de Berlin et deux a l'ancienne Pinacothèque de Munich.


 quelques suggestions :

- "La violation de la neutralité belge et luxembourgeoise par l'Allemagne", par André WEISS, Membre de l'Institut, Professeur de Droit international à l'Université de Paris, LIBRAIRIE ARMAND COLIN, 103, Boulevard Saint-Michel, PARIS, 5e, 1915, disponible sur net : http://net.lib.byu.edu/~rdh7/wwi/comment/Belgique/neutre.html (attention, cette reproduction est bourrée de fautes. Ainsi vous lirez 1851 au lieu de 1831… Mais les citations de textes sont à exploiter).

- Sur Dinant : http://www.dinant.be/patrimoine/histoire-dinantaise/sac-du-23-aout-1914

- Sur Louvain : Moult détails sur ce site très intéressant : http://1914ancien.free.fr/louvain.htm

- Traité de paix avec l’Allemagne signé à Versailles le 28 juin 1919, publié par les Éditions DALLOZ, 1920, édition bilingue français-anglais.

- articles Wikipaedia : Désiré-Joseph Mercier, plan Schlieffen, 

recommandation de lecture

Marianne SLUSZNY : "Un bouquet de coquelicots", nouvelles, publié par les ÉDITIONS DE LA DIFFÉRENCE, Paris, 2014, 128 pages. Voici la quatre de couverture :

    La guerre 14-18, en Belgique. Dans chacune de ces nouvelles, Marianne Sluszny donne une voix à un de ces personnages ordinaires, dont la vie a basculé dès le début des hostilités soldat inconnu, musicien, jeune mariée, combattant flamand, infirmière, Congolais, pigeon voyageur, tous, le désastre de l'occupation les a broyés.
Dans ces brèves histoires crûment racontées, des visages et des vies se dessinent. Les lieux du drame, Andenne, Namur, Malines, Anvers, Bruxelles, La Panne, Ypres, villes martyres, zones de combat ou zones d'occupation, balisent le territoire où ces destins, éphémères comme des coquelicots, ont été anéantis.

Marianne Sluszny vit à Bruxelles et travaille depuis plus de vingt ans à la RTBF (Radio Télévision de la Communauté française de Belgique) comme productrice de documentaires culturels. Elle a compulsé pendant trois ans les archives de la Grande Guerre pour une série d'émissions qui seront diffusées au printemps 2014.
La Différence a publié Toi, Cécile Kovalsky en 2005 (Prix de la première œuvre de la Communauté française de Belgique et Prix Lucien Malpertuis de l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique et Le Frère du pendu en 2011,

la critique de l'Huma : http://www.humanite.fr/culture/marianne-sluszny-sept-de-14-18-557101



[1] Cette date s’explique par l’acceptation définitive par le roi des Pays-Bas d’accepter l’indépendance belge ; Jusqu’en 1839, ces deux États étaient de jure en état de guerre. Même si les armes s’étaient tues depuis longtemps.

[2] Paul HYMANS, Mémoires, I, Bruxelles, Éditions de l'Institut de Sociology Solvay, 1958, p. 85-86.

[3] L’entretien s’effectue en anglais, le mot exact est « a scrap of paper », il a fait le tour du monde.

[4] Cette remarque de von Kluck est ahurissante. En violant la neutralité belge, reconnue par traité international et garantie par la Prusse, l’Allemagne bafoue le droit international que l’on appelle également dans les textes juridiques "droit des gens". On a vu/lu ce que pense un général de corps d’armée comme von Bernhardi du droit international. Schlieffen, également, n’en a cure. L’Allemagne méritait sur ce point un "procès de Nuremberg". Son attitude en 1914 ne crée pas un précédent (Bismarck qui arrache l’Alsace-Moselle sans referendum ; Frédéric II qui s’empare de la Silésie autrichienne sans autre forme de procès…) mais elle creuse encore plus le chemin pour Hitler qui va déchirer une à une les pages du traité de Versailles.

[5] Von KLUCK, La marche sur Paris, Payot éd..

[6] H. PIRENNE, La Belgique et la guerre mondiale, éd. des Presses universitaires.

[7] Les barbares étaient les non-grecs, dans l’Antiquité, ceux des peuples qui ne connaissaient ni n’appliquaient la civilisation hellénique.

[8] Sa fiche Wikipaedia n’en fait pas un portrait sympathique. "Dans un entretien avec un prêtre flamand, il expliqua sa vision sur la coexistence des flamands et francophones en Belgique : « Moi, je suis d’une race destinée à dominer, et vous d’une race destinée à servir. » (…) « La Belgique sera latine ou elle ne sera pas » ; selon lui, l’élément germanique devrait être éradiqué". Fin de citation. (1851-1926).

[9] La vérité est qu’il y a 23 km ente Givet et Dinant. Givet, ville frontière-française, était le lieu de casernement d’un bataillon du 148° RI.

La crise de juillet 1914

publié le 1 déc. 2013, 09:17 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 14 janv. 2019, 03:10 ]

CHRONOLOGIE DES FAITS

LE CONFLIT AUSTRO-SERBE

LE CONFLIT AUSTRO-RUSSE.

LE CONFLIT EUROPÉEN

LA MOTIVATION DES ÉTATS

L’AUTRICHE-HONGRIE

LA RUSSIE

L’ALLEMAGNE

LA FRANCE

L’ANGLETERRE

 

LA CRISE DE JUILLET 1914 OU LA MACHINE INFERNALE

    Il est impossible de comprendre son évolution sans tenir compte de l’atmosphère dans laquelle elle se développe : exaltation nationaliste, opinion publique manipulée par la presse, pression des états-majors militaires, etc… Malgré tout, cette crise aurait pu - comme les précédentes - avoir un dénouement pacifique. Depuis 1905, les crises internationales sont devenues annuelles ! Mais la course aux armements, le fanatisme des extrémismes de droite n’étaient pas un jeu. En juillet 1914, on fait la guerre pour de bon. Il est impossible aussi d'ignorer les crises antérieures dont le résultat a ébranlé la puissance autrichienne dans les Balkans et Vienne veut redresser sa situation Les guerres balkaniques 1912-1913.

    Pour comprendre cette issue dramatique, il faut exposer les faits (I) et analyser les politiques nationales (II).

I. CHRONOLOGIE DES FAITS

 

    La crise se développe en trois phases : la crise austro-serbe ; la crise austro-russe ; la crise européenne.

LE CONFLIT AUSTRO-SERBE


    Le 28 juin 1914, à Sarajevo, est assassiné l’archiduc héritier d’Autriche-Hongrie, François-Ferdinand. Les auteurs de l’assassinat sont des citoyens bosniaques, sujets autrichiens, Tchabrinovitch et Printsip, mais serbes par la langue et le sentiment national. L’attentat a été préparé à Belgrade avec une société serbe "la Main noire".

    Vienne n’a pas la preuve d’une "complicité directe" de la Serbie mais considère que la responsabilité "indirecte" du gouvernement serbe est engagée. L’Autriche-Hongrie veut profiter du coup pour "éliminer la Serbie comme facteur politique".

    Les 5 et 6 juillet, à Potsdam, une délégation autrichienne rencontre le gouvernement allemand. Le ministre allemand déclare "qu’il ne faut pas laisser passer le moment actuel, si favorable".

    Forte de ce soutien, l’Autriche adresse à Belgrade un ultimatum, le 23 juillet à 18 heures ; que la Serbie désavoue la propagande anti-autrichienne qui se fait sur son territoire, que la Serbie dissolve toutes les sociétés secrètes qui distillent cette propagande, etc... , surtout, le point 6 de l’ultimatum exige que des fonctionnaires austro-hongrois participent, en Serbie même, "à la suppression du mouvement subversif " C’était demander à la Serbie d’abdiquer sa souveraineté, c’était rendre l’ultimatum inacceptable.

    Le 25 juillet, la Serbie déclare tout accepter sauf le "point 6". Ce même jour, Vienne rompt ses relations diplomatiques avec la Serbie, décrète une mobilisation - restreinte aux corps d’armée qui doivent entrer en ligne contre la Serbie - ; de son côté, la Serbie décrète elle aussi la mobilisation.

LE CONFLIT AUSTRO-RUSSE.

    Dès le 25 juillet, Petrograd -nouveau nom de Saint-Petersbourg- avait fait savoir qu’il ne laissera pas l’Autriche-Hongrie "écraser la Serbie".

    L’Angleterre propose une conférence internationale qui est refusée par l’Allemagne (27 juillet). Pour stopper ces manœuvres diplomatiques, le vieil empereur François-Joseph 1er signe la déclaration de guerre à la Serbie le 28 juillet. Ainsi que l’écrit, Bérenger (Sorbonne), spécialiste des Habsbourg, "la décision personnelle de François-Joseph joua (…) un rôle capital dans le déclenchement de la guerre". La Russie riposte, le 29, par une mobilisation partielle contre l’Autriche mais se déclare prête à y renoncer si Vienne modifie le point 6.

    Une nouvelle médiation anglaise est repoussée par l’Autriche à qui le chef d’état-major allemand von Moltke a promis l’appui "sans réserve" si la Russie entre en guerre.

LE CONFLIT EUROPÉEN

    Berlin fait savoir, le 29, que l’Allemagne ne tolérera pas "la continuation des mesures militaires russes". Le tsar Nicolas II réplique par la proclamation, le 30 juillet à 18h, de la mobilisation générale, y compris donc contre l’Allemagne.

    le 31, l'Angleterre demande à la France si elle respectera, en cas de guerre, la neutralité belge. La réponse est affirmative. Interrogés sur le même point, les Allemands répondent évasivement.

    Le 31 toujours, l’Allemagne réplique à son tour par un double ultimatum. L’un adressé à la Russie afin qu’elle cesse ses mesures de mobilisation. Pas de réponse. Le second est adressé à la France : quelle attitude adoptera Paris "dans le cas d’une guerre entre l’Allemagne et la Russie ? ". Réponse : "la France agira selon ses intérêts" (sic).

    Le 1er août, l’ordre de mobilisation générale est lancé en Allemagne et en France. Déclaration de guerre de l’Allemagne à la Russie.

    Le 2 août, ultimatum allemand à la Belgique : qu’elle laisse l’armée allemande traverser son territoire. 1914 : le martyre de la Belgique

    Le 3 août, déclaration de guerre de l’Allemagne à la France.

    Le 4, violation du territoire belge par l’Allemagne garante de la neutralité belge, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande déclare la guerre à l’Allemagne.

II. LA MOTIVATION DES ÉTATS

    Relevons les principaux axes politiques de chaque État.

L’AUTRICHE-HONGRIE

    Pour cet empire multinational, les aspirations nationalistes de Slaves du sud (en langue slave yug-slaves = yougoslaves) sont une menace pour l’existence de l’empire austro-hongrois. Le succès d’un mouvement séparatiste aurait encouragé toutes les autres nationalités soumises à la double-monarchie. Autriche-Hongrie en 1914 (1ère partie) : description et construction historique  et aussi Autriche-Hongrie en 1914 (2ème partie) : nationalités & problèmes politiques. Écraser la Serbie est, pour cette dernière, une "question vitale". Vienne accepte une guerre locale en sachant très bien que cela débouchera sur une guerre générale. Mais à quoi bon attendre ? "L’équilibre des forces se déplace contre nous" dit le ministre de la Guerre autrichien. Mieux vaut que le conflit ait lieu en 1914. (Sachant que le conflit sera violent mais bref).

    Bérenger écrit sans ambages : "L’ultimatum à la Serbie était une démarche suicidaire et bien peu compréhensible chez un homme aussi prudent que François-Joseph" et plus loin "la puissance qui, objectivement, avait le moins d’intérêt à provoquer un conflit fut précisément celle qui mit le feu aux poudres". "Objectivement" est discutable (cf. l’article sur les Guerres balkaniques Les guerres balkaniques 1912-1913).

LA RUSSIE

    L’empire des tsars a un double échec à compenser : 1905 contre le Japon, 1908-1909 après l’annexion de la Bosnie-Herzégovine par l’Autriche-Hongrie. En 1914, cette affaire n’est pas absolument vitale mais sa passivité lui ferait perdre toute influence dans les Balkans. Or sa présence dans les Balkans, l’ouverture des Détroits (Bosphore et Dardanelles), sa présence en Méditerranée sont des axes fondamentaux, essentiels de la politique étrangère de la Russie. 

    Le 28 juillet, la Russie accepte la provocation autrichienne et, sous la pression de ses militaires, le tsar déclare la mobilisation générale. Elle a été la première des grandes puissances à y recourir. C’était contraire au texte du traité d’alliance franco-russe. Que dit ce texte ? (NB. c’est moi qui souligne) :

"1°) La France et la Russie, étant animées d'un égal désir de conserver la paix, et n'ayant d'autre but que de parer aux nécessités d'une guerre défensive, provoquée par une attaque des forces de la Triple-Alliance

"Si la Russie est attaquée par l'Allemagne, ou par l'Autriche soutenue par l'Allemagne, la France emploiera toutes ses forces disponibles

"2°) Dans le cas où les forces de la Triple-alliance, ou d'une des Puissances qui en font partie, viendrait à se mobiliser, la France et la Russie, à la première annonce de l'événement, sans qu'il soit besoin d'un concert préalable, mobiliseront immédiatement et simultanément la totalité de leurs forces, et les porteront le plus près possible de leurs frontières.

    Il est clair que la Russie n’est pas attaquée, qu’elle n’a pas répondu à une mobilisation préalable de l’Autriche ou de l’Allemagne contre elle, bref, il ne s’agit pas d’une guerre défensive… La France pouvait ne pas suivre son alliée. Mais cette convention militaire secrète franco-russe de 1892 dit aussi

                        "3°) Ces forces s'engageront à fond, en toute diligence, de manière que l'Allemagne ait à lutter, la fois, à l'Est et à l'Ouest.

Laisser la Russie seule, c’eût été se retrouver seule après la défaite de la Russie…

        Quoiqu’il en soit, cette mobilisation générale des forces russes ne pouvait que provoquer la réplique allemande.

L’ALLEMAGNE

    Renouvin [1] écrit que l’Allemagne n’a pas d’intérêts directs dans les Balkans. La lecture des écrits du général von Bernhardi ne donne pas cette impression. Les Balkans vus d’Allemagne (1912) et aussi "Notre avenir" par le général**** von Bernhardi (1912), préfacé par Clemenceau (1915). Un axe russo-serbe, est-ouest, dans les Balkans couperait l’axe nord-sud du Berlin-Bagdad… La Serbie ne représente pas grand-chose pour Berlin mais elle gêne beaucoup l’Autriche et d’un point de vue Weltpolitik, mondial, l’accès au golfe persique pour les Allemands passe par les Balkans et l’empire ottoman.

    Berlin estime nécessaire de "renflouer" l’empire austro-hongrois : "nous ne pouvons pas sacrifier l’Autriche" (secrétaire d’État, Jakow). Donc soutien à un conflit local, et si la Russie élargit le conflit, Berlin est résolu à aller jusqu’au bout.

    Mais Berlin précipite la rupture en adressant son double ultimatum du 31 juillet. Elle aurait pu se contenter de faire comme la Russie, c’est-à-dire ordonner une mobilisation partielle. Mais tout ce qui est militaire en Allemagne -c’est-à-dire beaucoup de monde - est prisonnier du plan Schlieffen : il faut immédiatement attaquer la France via la Belgique, la mettre à terre en 1 mois à peine et se retourner ensuite contre la Russie dont la profondeur stratégique n’est pas la même. "L’Allemagne a pour elle la rapidité" dit Jakow. C’est pourquoi Berlin ne souhaite pas la neutralité de la France. En ce cas, l’Allemagne aurait exigé comme gage la remise des forteresses de Toul et de Verdun, autant dire que Berlin voulait la guerre…

LA FRANCE

    Paris ne veut pas ébranler l’alliance franco-russe. Lors d’une visite à Petrograd les 20-23 juillet, Poincaré -président de la République- et Viviani -président du Conseil- promettent "d’exécuter toutes les obligations de l’Alliance". Or la Russie, je l’ai déjà dit, a mobilisé la première - mais la propagande française fait croire le contraire - et a provoqué la réplique allemande que l’on sait. Mais la France tient à ce que l’Allemagne se batte sur les deux fronts, divise ses forces. L’assassinat de Jaurès -et l’acquittement de l’assassin par la justice - donnent une idée du climat politique qui régnait à Paris - comme d’ailleurs partout ailleurs - durant ses journées.  « ils ont tué Jaurès »…

L’ANGLETERRE

    Elle n’avait d’engagement formel avec personne. Mais elle est soucieuse de l’équilibre européen. Une Allemagne vainqueure, qui s’emparerait des colonies françaises et belges, ménagerait-elle ensuite l’Angleterre ? Le cabinet de sa majesté est très divisé. En cas de guerre franco-allemande, la Grande-Bretagne ne saurait "rester à l’écart" dit le Foreign office à l’Allemagne. Mais c’est la violation de la neutralité belge qui fait basculer l’opinion publique, l’establishment et le gouvernement de sa majesté.

    L'annexion de la Belgique par l'Allemagne détruirait l’équilibre européen car la "minuscule Belgique" comme disent les Allemands est, en réalité, un fief de la révolution industrielle avec son charbon et son acier wallons, ses constructions mécaniques, c'est aussi le port d’Anvers une des gateway continentales, c'est enfin un empire colonial -dont l'immense Congo- sur lequel lorgnent les impérialistes allemands depuis des lustres (cf von Bernhardi).

 *

*        *

    Ces analyses valent pour l’écume des choses, là où s’expriment les choix individuels des dirigeants. C’est un niveau d’analyse nécessaire. Il laisse malheureusement de côté le niveau fondamental : celui des enjeux vitaux des différents impérialismes. A cet égard, l’étude de l’analyse du livre de von Bernhardi est indispensable. "Notre avenir" par le général**** von Bernhardi (1912), préfacé par Clemenceau (1915) L’Allemagne veut sa "place au soleil" (Chancelier Von Bülow, 1897). Son objectif est l’accès au Golfe persique et au pétrole du Moyen-Orient via sa domination sur l’empire ottoman Les Balkans vus d’Allemagne (1912) et la mainmise sur les empires belge et français. Croit-on que l’Angleterre laissera se former à ses côtés un tel mastodonte ? Clemenceau, dans sa préface à la traduction française (1915) du livre de Bernhardi montre qu’au niveau des dirigeants on avait conscience de l’extension systémique de la puissance allemande.





[1] Pierre RENOUVIN, CLIO (P.U.F.), "L’époque contemporaine, vol. II, la paix armée et la grande guerre (1871-1919)", nouvelle édition, 1960.



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