La guerre : l'année 1914

publié le 21 janv. 2014, 06:37 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 15 janv. 2019, 09:23 ]
   
    Pour présenter le déroulement de la guerre, j’ai choisi la solution suivante : depuis lurette, l’histoire de la guerre de 14-18 n’est plus présentée que sommairement ; les opérations militaires et la vie diplomatique durant le conflit sont présentées en une seule leçon. Il n’en allait pas de même dans les années 1920’ puisque les programmes du 3 juin 1925 indiquaient l’étude de la guerre qui était alors présente dans tous les esprits. C’est ainsi que la librairie A. COLIN publia en 1929 le cours d’A. Roubaud (professeur à Louis-le-Grand). Ce dernier consacre près de 10% de son manuel de classes terminales des lycées au seul déroulement de la guerre de 14-18, soit 70 pages. C’est un enseignant de droite - qui privilégie la narration des faits diplomatiques déconnectée de la réalité économique et sociale mais peu importe en l’occurrence. J’ai apprécié la clarté et la rigueur de son plan, sa maîtrise du sujet. A. Roubaud est un « classique ». Cela vous permettra d’avoir un aperçu relativement détaillé du conflit et de pouvoir placer tel ou tel épisode (la Marne, Ypres, la Somme, l’Aisne, les mutineries, les chars, etc…) - dont les médias vont s’emparer pour gonfler leurs ventes - dans un ensemble chronologiquement dominé. Bien entendu, je me suis réservé le droit de prolonger le cours de 1929 par mes propres commentaires. On ne se refait pas. On doit aussi considérer ce texte de 1929 comme un document original fournissant des données sur la mentalité des Français à cette date.


PLAN

LES PLANS DE CAMPAGNE ET LES FORCES ALLEMANDES ET FRANÇAISES

 

    a. le plan de campagne et les forces allemandes

    b. le plan de campagne et les forces françaises

 

I. LA GUERRE DE MOUVEMENT EN FRANCE EN 1914

A. - L'INVASION ALLEMANDE

    a. Les premières opérations

    b. La "bataille des frontières"

    c. La retraite générale française

B. LA CONTRE-OFFENSIVE FRANÇAISE

    a. Von Klück et Gallieni.

    B. La première bataille de la Marne - 6 au 13 septembre

C. LA COURSE A LA MER

II. LES OPÉRATIONS EXTÉRIEURES en 1914

suivi de : COMMENTAIRES PERSONNELS (JPR)

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"dans la chaleur torride de ce mois d'août, les fantassins français marchent couverts de l'univers le plus irrationnel de tous les temps, uniforme cible, uniforme fardeau, pantalon rouge garance, longue capote de drap, chemise en flanelle de coton et caleçon long, sans parler des képis qui ne protègent en rien la tête des soldats. Trop chaud pour l'été (il sera trop froid pour l'hiver) et surtout trop coloré, l'uniforme est un handicap et une menace" J.-E. DUCOIN, L'Humanité, 5 août 2014.


 COURS D' A. ROUBAUD (1929) CONFORME AU PROGRAMME OFFICIEL DE 1925

I.

LES PLANS DE CAMPAGNE ET LES FORCES ALLEMANDES ET FRANÇAISES

 

A. LE PLAN DE CAMPAGNE ET LES FORCES ALLEMANDES

    Le dernier plan de campagne allemand avait été élaboré, dans ses grandes lignes, par le comte Schlieffen, chef d'état-major jusqu'en 1906. Avant de s'attaquer aux Russes, dont la mobilisation ne pouvait se faire qu'avec une grande lenteur, les Allemands devaient mettre hors de combat l'armée française. Dégarnissant la plaine d'Alsace, tenant l'aile gauche de l'armée sur la défensive entre les Ardennes et le Donon, Schlieffen formait sur sa droite une masse enveloppante qui, franchissant le Luxembourg, puis la Belgique, tournerait la ligne des camps retranchés de la Meuse et de la Moselle et se rabattrait, par le Nord-Ouest, sur l'armée française. Celle-ci serait acculée soit à la Meuse, soit au Jura et condamnée à l'anéantissement. Le successeur de Schlieffen, de Moltke, neveu de l'ancien chef d'état-major (de 1870, JPR), tout en gardant ce plan, avait affaibli les effectifs de l'aile droite pour renforcer ceux de Lorraine et d'Alsace: il dispersait ainsi, en une certaine mesure, les forces que Schlieffen tenait concentrées.

    Les troupes que les Allemands se préparaient à jeter contre la France comprenaient vingt-trois corps d'armée actifs sur les vingt-cinq de l'empire, plus douze corps d'armée de réserve, soit, en tout, 1.500.000 hommes environ ; mais, contrairement à ce que pensait l'état-major français, les corps de réserve, fortement encadrés, allaient, dès le début, figurer en première ligne et assurer ainsi la supériorité numérique du front de bataille allemand.

    L’infanterie, excellemment instruite, portait un uniforme gris couleur de terre, feldgrau, qui la rendait fort peu visible ; son fusil se chargeait plus vite que le Lebel français, mais ne le surpassait ni en justesse ni en portée ; par contre, elle se trouvait abondamment pourvue de mitrailleuses. L'artillerie, outre les pièces de campagne de 77 millimètres, comprenait des obusiers à tir courbe et des canons lourds à très longue portée qui devaient lui donner, au début de la guerre, une supériorité écrasante. Les Allemands opposaient 2.000 avions aux 200 de l'armée française. A l'avantage de l'initiative des opérations, ils ajoutaient la supériorité des effectifs de première ligne et surtout celle du matériel.

    Sous le commandement de l'empereur et du chef d’état-major de Moltke, 7 armées allemandes se constituèrent, les cinq premières devant former la masse de manœuvre (croquis p. 5o8).

 

B. LE PLAN DE CAMPAGNE ET LES FORCES FRANÇAISES

    Le dernier plan de campagne français, - arrêté, en 1913, sous la direction du nouveau généralissime désigné, le général Joffre - le plan XVII, prévoyait une concentration générale vers l'Est, entre Mézières et Belfort, et une double offensive opérée par les ailes, l'une, à droite, les Vosges et la Moselle, l'autre, à gauche, au Nord de la ligne Verdun-Metz. L'état-major "croyait toujours, pour des raisons politiques et morales, à l'attraction exercée sur les Allemands par le plateau lorrain" ; mais, envisageant la possibilité d’une manœuvre allemande par la Belgique orientale, il avait prévu, pour ce cas, une variante du plan de campagne. II ne croyait pas que les Allemands disposassent d'effectifs suffisants pour étendre leurs lignes à l'Ouest de la Meuse ; s'ils le faisaient, leur centre serait tellement affaibli qu'il ne pourrait résister à une attaque adverse.

    Les forces françaises comprenaient 21 corps d'armée, 3 divisions isolées, 25 divisions de réserve, environ 1.300.000 hommes. Avec l'appoint des Belges et de l'armée britannique, les Alliés disposaient d'effectifs aussi nombreux que les Allemands. Mais les divisions de réserve françaises restèrent, au début, en seconde ligne, à la différence des réserves allemandes, et les armées alliées souffrirent de la pénurie de matériel (mitrailleuses, obusiers à tir courbe ou canons à longue portée).

    La mobilisation française s'opéra dans le plus grand ordre et cinq armées se concentrèrent suivant le plan établi.

NB. Dans tout ce qui suit, les armées françaises sont désignées par des chiffres arabes, les armées allemandes par des chiffres romains, y compris sur les cartes.

 II.

LA GUERRE DE MOUVEMENT EN FRANCE EN 1914

 

A. - L'INVASION ALLEMANDE

 

A. LES PREMIÈRES OPÉRATIONS

    Un corps d'armée français occupa Mulhouse, le 8 août, mais dut presque aussitôt 1’évacuer devant des forces supérieures ; cette tentative, dont le commandement escomptait surtout l'effet moral, n'exerça pas de répercussion sur la suite des opérations. Pendant ce temps, les premières troupes allemandes envahissaient la Belgique, occupaient Liège le 7 août, en passant à travers les intervalles des forts, et détruisaient ces derniers à l'aide de leur grosse artillerie. L'armée belge opposait une vive résistance aux envahisseurs, mais, impuissante, devait se replier sur Anvers. Les Allemands occupaient la plus grande partie du pays, Bruxelles le 20 août, Namur le 23 août, et commettaient de nombreuses violences (massacres d'habitants, exécutions sommaires, incendies de villages ou de villes comme Louvain).

    La nouvelle de l'avance allemande en Belgique conduisait sans doute l'état-major français, dès le 8 août, à renforcer l'aile gauche de l'armée et à la prolonger vers  l'Ouest, suivant la variante prévue, mais, ne devinant pas encore l’ampleur du mouvement allemand, il ne renonçait pas à son plan d’offensive et ordonnait, le 14 août, à son aile droite de "passer à l’attaque".

NB. observez la création de la 6° et de la 9° armée, créées durant la retraite du mois d'août avec, en partie, des corps d'armée prélevés sur les 1ère et 3ème armées et transférés par chemins de fer. Notez également que Verdun est évité, les Allemands espérant l'encercler.

B. LA "BATAILLE DES FRONTIÈRES"

    On comprend sous ce nom trois groupes d’opérations qui se déroulèrent du 14 au 25 août et qui concernent la frontière commune à la France et à l'Allemagne whilhelminienne (mais les historiens incluent également les combats de Charleroi, en Belgique). .

    1) Tandis qu’en Alsace le général Pau réoccupait momentanément Mulhouse, les 1ère et 2ème armées françaises attaquèrent dans la direction de Sarrebourg et de Sarrebrück. Les Allemands les laissèrent s'avancer dans une région coupée de bois et d'étangs et favorable à la défense, puis, appuyés par leur artillerie lourde, les contre-attaquèrent violemment. La 2ème armée, parvenue devant Morhange (voir carte ci-dessus) dut reculer, le 20 août : sa retraite entraîna celle de la 1ère armée.

    Les Allemands, commettant la même imprudence que leurs adversaires, s'aventurèrent dans la trouée de Charmes (entre Toul au nord et Épinal au sud, c'est-à-dire entre la 2ème et la 1ère armée), espérant forcer le passage de la Moselle, mais, attaqués de flanc par les deux armées françaises, ils durent se retirer en subissant de lourdes pertes (4-26 août). Le territoire français se trouvait envahi, mais Nancy était couverte, ainsi que la ligne des camps retranchés.

    2) le 20 août, les 3ème et 4ème armées prirent à leur tour l'offensive dans les Ardennes et dans le Luxembourg contre le centre allemand. Elles s’aventurèrent dans un pays difficile, propre aux surprises, dans lequel les différents corps maintenaient avec peine leur liaison ; elles se heurtèrent à des forces beaucoup mieux concentrées et durent, à leur tour, reculer.

    3) à l’Ouest, le général Lanrezac, commandant la 5ème armée, avait obtenu de l'état-major de porter ses forces entre la Sambre et la Meuse ; il se mettait en liaison avec l'armée anglaise, qui se concentrait autour de Mons sous les ordres du maréchal French, et comptait prendre l'offensive dans la région de Charleroi, le 23 août. Mais, tandis qu'1'armée anglaise était attaquée, ce jour-là, par la Ière armée allemande, les troupes de Lanrezac devaient supporter l'effort de la IIème armée et d'une partie de la IIIème. Apprenant la retraite de 1a 4ème armée, qui découvrait sa droite, et se voyant menacé d'un complet enveloppement, Lanrezac prit sur lui de rompre le combat et de se replier, le 23 août au soir (cela devait lui coûter cher, JPR).

C. LA RETRAITE GÉNÉRALE FRANÇAISE

    Le 24 août, le général Joffre ordonna la retraite générale. Il espérait qu'elle pourrait s'arrêter sur la ligne Amiens-Verdun et, en vue de la reprise de l'offensive, il prescrivait, dés le 25 août, la formation d'une sixième armée qui se concentrerait dans la région de la Somme et manœuvrerait contre l'aile droite allemande. Mais aucune position de défense ne se trouvait préparer ; malgré la vive résistance de l'armée française et d’heureuses réactions comme la bataille de Guise (28-30 août), le mouvement débordant ennemi s’accomplissait victorieusement. Les positions d'arrêt de seconde ligne, Laon, La Fère, Reims, étaient successivement enlevées et l'avant-garde de la Ière armée (von Klück) parvenait le 2 septembre, au Sud de Senlis, à 25 kilomètres de Paris. Le gouvernement français abandonnait la capitale le 2 septembre, se retirant à Bordeaux. Le général Joffre, tout en songeant toujours à la contre-attaque, estimait que son armée devait se  replier jusqu'à la Seine.

 

B. LA CONTRE-OFFENSIVE FRANÇAISE

 

A. VON KLÜCK ET GALLIENI.

    On s’attendait à l'attaque de Paris. Le général Gallieni, chargé, le 26 août, du gouvernement de la place et disposant depuis le 31 de la 6ème armée, organisait en hâte les préparatifs de défense. "J’ai reçu le mandat de défendre Paris contre l’envahisseur" déclara-t-il dans une proclamation du 3 septembre "je le remplirai jusqu’au bout".

    Mais l’état-major allemand considérait la mise hors de combat des armées françaises comme le but essentiel à atteindre et la prise de Paris comme le résultat forcé de la victoire. Restant loin derrière le théâtre des opérations, il ne pouvait toujours diriger, de façon concordante, les mouvements de ses armées et ses instructions, quand elles arrivaient aux premières lignes, ne correspondaient plus aux circonstances. Après avoir prévu l'extension du mouvement d'encerclement jusque sur la Basse-Seine, il avait dû se résigner à manœuvrer à l'Est du camp retranché de Paris. "Mon intention", écrivait von Moltke aux commandants des I° et IIème armées (nuit du 2 au 3 septembre) "est de couper l'ennemi de Paris et de le rejeter vers le Sud-Est. La Ière armée suivra la IIème armée en s'échelonnant ; elle est chargée, en outre, de protéger le flanc de l'ensemble de nos forces".

    Quand il reçut cet ordre, von Klück, méprisant les forces qui se trouvaient sur sa droite, avait déjà résolu de faire défiler, au plus vite, le gros de ses troupes à l’Est du camp retranché de Paris, de séparer l’armée anglaise de la 5ème armée française, pour envelopper enfin cette dernière. Il poursuivit son mouvement, bien que l'ordre de von Moltke lui prescrivît de rester en flanc-garde, et ses éléments avancés franchirent la Marne, dès le 3 septembre.

    Le général Gallieni, apprenant que les Allemands opéraient un "glissement" aussi dangereux le long du camp retranché de Paris, comprit que le moment était venu de passer à la contre-offensive et, dès le matin du 4 septembre, il prescrivit à la 6ème armée de se préparer à attaquer les Allemands dans la direction de l'Est. Il passa une partie de la journée à rallier à son plan le maréchal French et l’état-major général. Après avoir examiné la situation d'ensemble et pris notamment l'avis de Franchet d'Esperey, nouveau commandant de la 5ème armée, Joffre adopta la façon de voir de Gallieni. Tandis que celui-ci rédigeait l'ordre l'attaque pour ses troupes, le soir du 4 septembre, le généralissime ordonnait à toutes ses armées de se préparer à reprendre l'offensive dès le matin du 6 : le centre contre-attaquerait dans la direction de la Marne, tandis que la 6ème armée, à gauche, et la 3° à droite, exerceraient une pression sur les deux flancs des armées allemandes. "Au moment où s'engage une bataille dont dépend le salut du pays", déclarait l’ordre du jour aux troupes, "il importe de rappeler à tous que le moment n’est plus de regarder en arrière ; tous les efforts doivent être employés à attaquer et à refouler l'ennemi".

B. LA PREMIÈRE BATAILLE DE LA MARNE - 6 AU 13 SEPTEMBRE

    La bataille de la Marne s'est 1ivrée depuis la vallée de l'Ourcq jusqu’aux environs de Verdun, du 6 au 13 septembre.

  

     Attaqué par les troupes du général Gallieni, von Klück opéra un redressement rapide ordonnant à ses corps d'armée de repasser la Marne et de faire face à l'Ouest ; des combats violents se livrèrent dans la vallée de l'Ourcq, du 6 au 9 septembre. Profitant du vide que le recul de von Kluck avait creusé entre la Ière et la IIème armée (von Bülow) la 5° armée française, puis l'armée anglaise, se lancèrent à l'attaque de cette dernière. Von Bülow, menacé d'être tourné, décida, le 9 septembre, avec l'assentiment de l'état-major, d’opérer sa retraite vers le Nord, et son mouvement entraina une manœuvre semblable du von Kluck. Pendant ce temps, les Allemands, qui s'efforçaient de percer le centre du front français, échouaient devant la résistance de la 4ème et surtout de la 9ème armée, nouvellement organisée sous le commandement du général Foch, et opéraient leur retraite, le 10 septembre.

    Du côté de l’Est, le général Sarrail, nouveau commandant de la 3ème armée, qui avait pris sur lui de garder le contact avec le camp retranché de Verdun, se trouvait dans une situation difficile, menacé, d'un côté, par une partie de la IVème armée allemande et par la Vème, celle du Kronprinz, de l'autre, par les forces du camp  retranché de Metz (possession allemande à cette date, depuis 1870, JPR), qui tentèrent d'enlever le fort de Troyon. La bataille dura, furieuse, jusqu'au 13 septembre ; l'armée du Kronprinz se retira, à cette date, vers le Nord, suivie de près par l'armée Sarrail, qui s'appuyait sur Verdun.

    Dés le 11 septembre, le général Joffre parlait d'une "victoire incontestable". "Tous, officiers et soldats, vous avez répondu à mon appel, vous avez bien mérité de la patrie". Sans doute, par suite de l'épuisement des munitions et du manque d'artillerie lourde, les Français ne purent pousser très loin leur poursuite et les Allemands se fortifièrent solidement dans l'Argonne, sur les collines de Champagne et sur les hauteurs assez abruptes dominant la vallée de l'Aisne. Mais, la brusque réaction de l'armée française, qu'il croyait démoralisée par plusieurs jours de retraite, avait surpris le commandement allemand et celui-ci voyait s’écrouler son plan fondamental, qui consistait à écraser son adversaire occidental en quelques semaines.

 

C. LA COURSE A LA MER

    Dans la région orientale, après d'inutiles efforts des Allemands pour occuper les hauteurs du Grand-Couronné et enlever Nancy, le front se fixa tel qu'il devait demeurer jusqu'en 1918. Du côté allemand, comme du côté français, le commandement préleva de troupes en Lorraine pour les reporter vers l'Ouest, où les lignes française et allemande, ne s'appuyant sur aucun obstacle, pouvaient l'une et l'autre être tournées. Les Français ne parvinrent pas à déborder l'aile droite ennemie, mais, déjouant le plan des Allemands qui consistait à les séparer de la Manche et de la mer du Nord et à couper ainsi leurs communications directes avec l'Angleterre, ils réussirent à étendre leur front jusqu'à la Flandre et à se réunir à l’armée belge qui avait pu, à grand-peine, évacuer Anvers avant la chute de la ville, le 11 octobre, et se replier entre la Lys et la mer. L'armée anglaise, reconstituée, abandonna le front de l'Aisne pour s'installer dans la région d’Ypres [1], entre les Belges et les Français.

    En octobre et en novembre, les Allemands, avec des forces fraîches, s'efforcèrent de percer le front adverse dans les Flandres et d'atteindre Calais. Les batailles de l’Yser et d'Ypres se livrèrent parfois sur un front de 100 kilomètres, au milieu des marécages et de la boue. Les attaques allemandes cessèrent le 13 novembre. Le front se trouvait stabilisé, s'étendant, en forme d'arc de cercle, sur une longueur de 700 kilomètres depuis Nieuport, sur la mer du Nord, jusqu'aux Vosges et en Alsace dont les Français occupaient les vallées méridionales [2]. A part des changements locaux, il demeura le même jusqu'au début de 1918. La  guerre de mouvement fit place, pour trois ans, à la guerre de positions.

 

II.

LES OPÉRATIONS EXTÉRIEURES en 1914

 

    En dehors du front français, les opérations n'ont présenté en 1914, qu'une importance secondaire. Comptant sur les lenteurs de la mobilisation russe, les Allemands n'avaient constitué qu'une armée dans la Prusse orientale, laissant aux Autrichiens le soin de surveiller la frontière de la Pologne (russe, JPR) et les abords des Carpathes. Désireux de dégager le front français, le généralissime russe, le grand-duc Nicolas, lança deux armées en Prusse orientale dès le milieu d'août. Inquiet, von Moltke prit la grave décision de rappeler deux corps d'armée de l'Ouest, le 26 août, et confia le commandement de l’armée de Prusse à un général en retraite, rude et énergique, Hindenburg, en lui adjoignant comme chef d’état-major Ludendorff. Profitant de la distance qui séparait les deux armées russes et de l’inaction des troupes du Nord, commandées par Rennenkampf, Hindenburg infligea à l’armée du Sud, la défaite de Tannenberg, 26-29 août, qui fonda sa renommée ; se retournant ensuite contre l'armée de Rennenkampf, il la contraignit à la retraite et sauva 1a Prusse de l'invasion.

    Les Russes, par contre, rejetaient devant eux les Autrichiens, occupant Lemberg-(Lvov) en Galicie, dès le 3 septembre, et assiégeant, le 28 septembre, la place forte de Przemysl, dont la chute pouvait leur ouvrir la route de la Silésie et de la Hongrie. Les Allemands, commandés par Hindenburg, dégagèrent leurs alliés par une offensive dirigée contre Varsovie.

    Les Serbes résistaient avec succès aux Autrichiens. Forcés d'abord d'évacuer Belgrade, ils avaient pu recevoir des munitions de France, refouler leurs adversaires et reprendre leur capitale en ruines, le 15 décembre. Mais les puissances de l'Entente s’étaient vues forcées de rompre, le 31 octobre, les relations diplomatiques avec la Turquie, qui, alliée en secret à l'Allemagne, multipliait contre elles les mesures d'hostilité. Elles étaient donc privées de communications avec les Russes par suite de la fermeture des Détroits, tandis que les Turcs, sous la conduite d’officiers allemands, s'apprêtaient à menacer le canal de Suez et le protectorat anglais en Égypte (protectorat proclamé en novembre 1914).

    Fin du cours d'A. ROUBAUD.

 à suivre avec :  La guerre : l'année 1915


III.

Compléments et réflexions

1) Pour ceux qui s'intéressent tout particulièrement aux faits et gestes militaires, stricto sensu, je signale un site extrêmement pointu et très bien fait : http://www.sambre-marne-yser.be/article.php3?id_article=86

2) Ce qu’il est convenu d’appeler "la bataille des frontières" ne laisse pas de poser des questions. Fallait-il passer à l’offensive avec les 1ère et 2ème armées ? Tout le monde s’accorde à dire que le théâtre des opérations est, ici, très difficile. L’auteur du cours que j’ai reproduit parle d’"une région coupée de bois et d'étangs et favorable à la défense" (donc aux Allemands si l’armée française passe à l’attaque)… Il n’est évidemment pas seul. De surcroît les Allemands savaient que nous attaquerions à ce niveau et avaient laissé pénétrer les soldats français pour mieux les accueillir avec leur artillerie lourde placée ici depuis un long moment. Mais laissons la parole au général André BACH, auteur d’un livre fort recommandable à la lecture "Fusillés pour l’exemple, 1914-1915" : "En 1913, à la fin d'une grande manœuvre sur carte, le général Deprez, autre adjoint de Joffre, s'était opposé à Berthelot qui prétendait que rien ne serait plus facile que de se lancer à l'offensive au sud de Metz et entrer dans le Palatinat sans coup férir. (NB. précédemment, le général BACH nous dit que "par Berthelot, Joffre était en prise avec le plus exaltés de ses collaborateurs, partisans de l’offensive à outrance"). Il lui avait dit : "Mais allez donc voir le terrain entre Metz et les Vosges, défilés truqués, défenses accumulées et renforcées... Vous ne pouvez prendre l'offensive, comme les Allemands d'ailleurs, que par la Belgique, seul terrain libre... Et comme vous ne le voulez pas, vous êtes condamné à commencer la campagne par une bataille défensive, à moins que vous ne préfériez recevoir une pile d'abord, dans une offensive ratée"....Rien n'y fit. La nation française, à cause des décisions arrêtées dans le petit cercle décrit ci-dessus (Joffre et ses "jeunes-Turcs" (sic) JPR), entrera en guerre en se ruant sur son adversaire, avec pour seul viatique les aphorismes du colonel de Grandmaison: «Un adversaire pris à la gorge n'a plus sa liberté d'action pour manœuvrer et attaquer lui-même... ». La sécurité résultera de l'offensive même, il n'y a donc pas à se soucier de précautions oiseuses. L'historien ne doit surtout pas se prendre pour un procureur, mais dans le cas qui nous intéresse, on ne peut éviter de tenter de se faire une opinion sur les raisons qui ont permis une telle manière de faire la guerre. Lanrezac, limogé ultérieurement par Joffre, en rend ce dernier directement responsable. Dans le mémoire non expurgé rédigé par lui et daté du 30 juin 1916, il revient sur la bataille des frontières en août 1914 et donne son point de vue : «La défaite générale subie par nos armées est due évidemment à des causes profondes d'une portée supérieure à celles que cite le général Joffre et avant tout à sa stratégie que je m'abstiens de qualifier et à la tactique de sauvage pratiquée par nos troupes, tactique dont il est aussi responsable que de sa stratégie, car, sans son appui plus ou moins conscient, les Jeunes n'auraient pas réussi à l'imposer à notre armée».

    Il est de fait que, d'une manière un peu paradoxale, cette incitation à se jeter systématiquement sur l'ennemi rend les exercices militaires d'une grande simplicité, une fois les troupes arrivées à pied d’œuvre. Le seul critère étant l'énergie dans l'exécution, l'effort intellectuel demandé aux cadres de contact (de contact avec la troupe, JPR, c’est-à-dire sous-officiers et officiers subalternes) s'était grandement réduit au fil des années précédant la guerre et le savoir-faire des années antérieures progressivement perdu. Aux grandes manœuvres, les généraux étaient notés sur leurs pulsions offensives qui remplissaient d'aise les observateurs. Ceux qui s'entouraient de précautions avant d'agir étaient regardés avec suspicion".

    On aura remarqué l’allusion à la Belgique. "En jargon militaire" écrit le général Bach "la plus puissante armée que la France ait connue (…) ne disposait pas pour son engagement initial d’un espace de manœuvre adapté à sa taille. (…). Le vrai champ de bataille pour des armées de la taille des armées allemande ou française se trouvait sur les plateau belge". Mais la France ne pouvait pas passer par la Belgique sauf à perdre l’alliance britannique.

    Tout cela plaidait pour une bataille défensive. La bataille des frontières, au contraire, a été très coûteuse en vies humaines, a multiplié les déplacements épuisants pour la troupe, n’a pas permis de voir l’importance de ce qui se tramait en Belgique. Tout un faisceau de causes explique que les premiers "fusillés pour l’exemple" ont été exécutés dès septembre 1914.


3) les raisons de la victoire de la Marne ? Beaucoup de facteurs expliquent cette victoire et donc l’échec du plan de guerre allemand. On ne peut manquer de noter la bravoure des soldats français puisque cet aspect a été souligné par tous les généraux allemands, stupéfaits de voir une telle réaction après 1 mois de retraite. Joffre a progressivement compris l'ampleur de l'offensive allemande via la Belgique et a déplacé des divisions vers l'ouest, créant l'armée Maunoury (6°)  et la 9° (Foch). On peut relever la lucidité de Gallieni, gouverneur militaire de Paris (cf. document ci-contre. Source : L. Genet), qui a bien vu la "position aventurée" de l’aile droite allemande (armée de Von Klück) et la possibilité de la prendre de flanc et de lui barrer la retraite. Notons la simplicité de Joffre sur ce point qui accepte de prendre sur son compte cette initiative de Gallieni. Mais il y a d’autres raisons.

    Comme disait Caton l’Ancien à tout bout de champ "il faut détruire Carthage", Schlieffen est mort en répétant "il faut renforcer l’aile droite !". Or, son successeur Moltke II, loin de la renforcer, l’a rabaissée. Et cela dès le départ, c’est-à-dire avant l’invasion de la Belgique. Voyez la différence entre la conception Schlieffen (1914 : le martyre de la Belgique) et sa réalisation (supra, 2° carte). Ensuite, la résistance belge a retenu 150.000 soldats allemands soit entre 10 et 15% des effectifs de l’envahisseur. Les 60.000 Allemands qui assiègent Maubeuge ne seront disponible qu'après le 8 septembre. De surcroît, Moltke, très sûr de la victoire finale,  retire plusieurs divisions de son aile droite pour les porter sur le front oriental où l’armée russe - le trop célèbre "rouleau compresseur" - a, comme prévu dans les accords d’états-majors, attaqué 14 jours après la déclaration de guerre. A ce niveau, il nous faut parler de la préparation diplomatique de la guerre.

    C’est Gambetta qui tira les premières conclusions de la défaite de 1871 : une guerre se prépare diplomatiquement et il faut avoir des alliés. Cela donna une ligne directrice définitive à la diplomatie française. De ce point de vue, le premier élément décisif a été la conclusion de l’alliance franco-russe. Cette alliance a créé un effet d’engrenage inarrêtable mais, une fois le conflit engagé, il a joué son rôle : Moltke allège son aile droite sur le front occidental. Quant à L’Entente cordiale, elle assura à la France la présence de 7 divisions britanniques en 1914.  Le respect de la neutralité belge a été déterminant. En 1911, Joffre avait émis l’idée de mettre un pied en Belgique, il fut immédiatement rappelé à l’ordre. Le 31 juillet 1914, le Quai d’Orsay avait répondu par l'affirmative à la question des Anglais : respecterez-vous la neutralité belge ?  Ce respect de la neutralité belge a permis de faire basculer l’opinion britannique quand les Allemands, au contraire, froissèrent le "chiffon de papier". Enfin, le lent travail de Delcassé au ministère des affaires étrangères a évité l’ouverture d’un front dans les Alpes contre les Italiens. Après tout, l’Italie était membre de la Triplice, triple alliance. En 1914, elle est neutre. Ce sont autant de divisions françaises qui peuvent être envoyées dans le Nord, l’Est puis sur la Marne.

    Toutes ces raisons expliquent la victoire de la Marne. Dans un tête-à-tête franco-allemand, comme en 1870, la France eût été battue.

4) Vous avez noté l'absence des fameux taxis de la Marne dans le cours d' A. ROUBAUD. En 1929, on pansait encore les plaies, l'heure n'était pas aux anecdotes. Il faudra attendre pour cela l'heure de l'Histoire-business où ce genre de faits est sur-valorisé.

5) Voici un graphique qui montre l'ensemble des pertes humaines durant la guerre. le document a dû être très diminué pour entrer dans le lit de Procuste de l'ordinateur (source : LE MONDE des 3/4 août 2014). Il est donc, hélas, peu lisible. Néanmoins, vous pouvez constater l'énormité des pertes humaines durant les deux mois d'août et septembre 1914 : les "poilus" ont été surpris par le choc de l'invasion allemande, les marches de 60 k/jour, la température élevée de cet été avec des capotes trop lourdes et un matériel de plusieurs dizaines de kilos, un commandement hasardeux qui ne parlait que d'offensives à la Valmy, etc...  etc...




[2] C’est dans ce cadre que se place l’une des premières fraternisations entre soldats des deux camps : voir l’article Les trêves de Noël 1914 et aussi le film de Christian Carion "Joyeux Noël" (2005).



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