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1917 en Russie. 1ère partie : février

publié le 20 janv. 2017, 02:15 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 26 janv. 2018, 07:15 ]

Inutile de dire l’importance de cette année-là dans l’histoire de la Russie, de l’Europe et du monde. On sait aussi que l’année 1917 est scandée par deux grands moments : la révolution de février et la révolution d’octobre. Celle-ci, selon, la plaisanterie habituelle ayant lieu en Novembre. Réglons de suite cette question : la Russie orthodoxe n’a pas accepté la réforme du calendrier sanctionnée par le pape catholique de Rome à la fin du XVI° siècle (Grégoire XIII, 1582). Elle en est restée au calendrier Julien[1] qui n’est pas bien adapté à l’année astronomique laquelle ne dure pas 365jours ¼ mais un petit peu moins. En 1917, le calendrier julien a 13 jours de retard sur le calendrier grégorien. Et le 25 octobre 1917 à Petrograd est le 7 novembre à Paris. Très pénible pour les professeurs et étudiants d’histoire. La Russie révolutionnaire modernisa le pays en adoptant (entre autres choses…) le calendrier grégorien au grand dam de l’Église orthodoxe barbue, très conservatrice, qui refusa cette réforme de la part d’un gouvernement laïc (1er février 1918).

Ce qui suit n’est pas…révolutionnaire. C’est une simple mise au point destinée à vous être utile. Le plan en deux parties est chronologique avec Février (I) et Octobre (II).

Des causes multiples, tout à la fois diverses, profondes ou conjoncturelles, provoquent la chute de l’empereur de Russie, le tsar [2] : c’est la révolution de Février 1917 en pleine guerre mondiale. Mais le nouveau gouvernement bourgeois, tout en accordant des libertés importantes, ne change rien d’essentiel : la guerre continue, les paysans ne sont pas assouvis de leur "faim de terres", le problème récurrent du ravitaillement des grandes villes est toujours posé, etc… . Le travail d’organisation révolutionnaire des militants bolcheviques s’avère très efficace notamment grâce à Lénine dont il faut souligner le rôle personnel, et ils réussissent en octobre, une seconde révolution qui est la première révolution socialiste[3] –réussie- dans l’histoire du monde.

FÉVRIER

A.      LES CAUSES

B.      LA RÉVOLUTION BOURGEOISE

OCTOBRE

A.      PROGRÈS PUIS PRIMAUTÉ DE L’INFLUENCE BOLCHEVIQUE

B.      "OCTOBRE ROUGE"

I.

LA RÉVOLUTION DE FÉVRIER 1917

Son déroulement est curieux et paraît presque spontané. Évidemment la recherche des causes est incontournable même s’il est vain de chercher à être exhaustif.

A.   LES CAUSES

Au début de l’année 1917 la Russie, disons l’empire russe car il y a de nombreuses nationalités soumises, est dans une situation indescriptible. Les historiens soviétiques évoquent "la crise des sommets" c’est-à-dire les luttes d’influence qui se jouent au sein du palais impérial, dans l’entourage immédiat du tsar, à la Douma, entre l’État-major, les leaders des partis bourgeois et la cour. Nicolas II est un incapable assez remarquable dans sa catégorie, sous l’influence de sa femme d’origine allemande (or, la Russie est en guerre contre l’Allemagne) elle-même sous l’influence de Raspoutine, un moine escroc, illuminé, capable de lire l’avenir… En tout cas, la tsarine y croit.

Cette crise des sommets se déroule avec en toile de fond l’agitation populaire et souvent même l’action populaire. C’est-à-dire la mobilisation des masses répondant aux mots d’ordre des partis. L’influence de Petrograd, n’était le rôle de Moscou – "l’autre capitale" -, pourrait être comparée à celle de Paris durant nos révolutions : concentration des sièges de décision politique, lieu stratégique avec les gares ferroviaires à la tête d’un réseau en étoile et centraux télégraphique et téléphonique, (cf. la carte de la seconde partie) concentration des états-majors révolutionnaires, concentration démographique, problèmes du ravitaillement de ces millions de consommateurs/acteurs…

Dans son livre le développement du capitalisme en Russie, Lénine a montré les caractères de ce capitalisme : croissance ultra-rapide, industrialisation accélérée, concentration géographique dans des usines dont les effectifs se comptent en milliers. Si Moscou répond à ces critères (rôle de l’industrie textile) c’est surtout Petrograd qui est visée (lire la carte de la 2° partie) avec l’usine Poutilov (12.000 ouvriers) dans le quartier de Narva (sud de la capitale, près des darses du port maritime) et les multiples implantations (dont l’usine Renault avec 1000 emplois) du quartier de Vyborg, au nord de la Neva. Évidemment ces concentrations industrielles sont le fief des révolutionnaires. Le socialisme tendance marxiste est bien implanté en Russie grâce aux travaux de Plekhanov puis ceux de Lénine, qui fut son élève. Le parti ouvrier s’appelle parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR). Il s’est scindé en 1903 entre une tendance majoritaire (en russe, majoritaire se dit bolchevique, bolchoï veut dire majoritaire, grand, cf. le théâtre Bolchoï = le Grand théâtre) avec Lénine qui est exilé mais d’une activité toujours admirable et une tendance minoritaire, menchevique, avec Plekhanov (qui finira par condamner la prise du pouvoir bolchevique). Pour clore ce tableau ultra-rapide, il faut dire et répéter que la Russie est d’abord un pays de paysans, un pays rural avec des secteurs quasi sous-développés mais d’autres performants (aux mains des koulaks). Les domaines propriété de la noblesse attirent la paysannerie pauvre et/ou sans terre. Les jacqueries, comme on dit en France, sont permanentes d’un endroit à l’autre de cet immense pays. Les paysans se reconnaissent volontiers dans le parti S.-R. (socialiste-révolutionnaire) dont une tendance de gauche rejoindra, un temps, l’action du parti bolchevique.

Enfin, on ne saurait passer sous silence le rôle de la guerre, ce "grand accélérateur de l’histoire" comme disait Lénine. Déjà, les défaites de l’armée et de la flotte tsaristes, en 1905 contre le Japon, avaient précipité l’empire dans la révolution, celle de 1905. De cette révolution, qui se solde finalement par un échec, il est demeuré la Douma, chambre de députés, les premiers soviets (ce mot veut dire conseil) spontanés, et surtout, 1905 est une référence, une répétition générale (le mot est de Lénine). En 1917, après les échecs et les difficultés de toutes sortes, l’état de l’armée est abominable. Voici le constat fait par des inspecteurs-généraux : (la date est d’octobre 17, mais une telle situation ne s’est pas créée en quelques mois, elle date d’au moins la fin 1916)

"De toutes les violations de la discipline, les plus graves et plus importantes sont les fraternisations avec l'ennemi. Les cas de fraternisation les plus nombreux ont été observés dans les armées du front ouest qui, de tous points de vue, sont les troupes les moins sûres (…). Des petits groupes de soldats prennent directement contact avec les soldats ennemis et leur achètent des produits - du pain, du tabac surtout de l'alcool. Les soldats ennemis ne manquent jamais l'occasion de donner à nos soldats des proclamations russes publiées par l'état-major allemand, mettant l'accent sur l'inutilité de continuer la guerre (…). Par ailleurs, les refus de combattre deviennent de plus en plus fréquents. Les prétextes invoqués sont le plus souvent la fatigue, la mauvaise nourriture, l'absence de chaussures ou de vêtements chauds. On ne compte plus les cas où les soldats discutent et critiquent les ordres de combat (…). Les conclusions générales que l'on peut tirer des rapports qui nous parviennent sont les suivantes : l'armée se désintègre ; la discipline est inexistante ; le personnel d'encadrement ne jouit plus de la moindre considération ; la haine des soldats contre les officiers ne cesse de monter, parallèlement à l'idée que ces derniers tentent de prolonger la guerre à tout prix. L'aspiration à la paix est générale, ce qui explique l'énorme succès des idées et des mots d'ordre bolcheviques parmi les soldats"[4].

Les Bolcheviques font leur miel d’un tel délabrement. Les soviets de soldats sont, en réalité des soviets de soldats-paysans et de soldats-ouvriers et ils sont le creuset d’où sort l’union politique entre ouvriers des villes et paysans des campagnes. Les villes quant à elles sont le théâtre d’émotions perpétuelles contre la rareté des denrées, l’impéritie de la logistique de l’administration impériale. La misère est visible partout.

L’assassinat de Raspoutine en décembre 1916 annonce comme une fin du monde…


B. LA RÉVOLUTION BOURGEOISE

Voici une présentation adoptée par à peu près tout le monde :

Le 23 février, c'est la journée internationale des Femmes [5]. Le nombre des grévistes est d'environ 90 000... Le lendemain, le mouvement, loin de s'apaiser est en recrudescence... Les travailleurs dans leurs usines, au lieu de se mettre au travail, ouvrent des meetings, après quoi ils se dirigent vers le centre de la ville... Le mot d'ordre "Du pain" est écarté ou couvert par d'autres formules "A bas l'autocratie" et "A bas la guerre". Le 25, la grève prend une nouvelle ampleur ; il se produit des conflits avec la police... Le 26 février est un dimanche... La tsarine télégraphie au tsar [6] "Le calme règne en ville" Mais cette tranquillité ne dure pas longtemps. Peu à peu les ouvriers opèrent leur concentration et de tous les faubourgs convergent vers le centre. On les empêche de passer les ponts. Ils déferlent sur la glace : car en février, la Neva est un pont de glace. Les soldats tirent, principalement ceux qui appartiennent à des écoles de sous-officiers. "Tirez sur l'ennemi" commande la monarchie. "Ne tirez pas sur vos frères et sœurs! " crient les ouvriers et ouvrières, et pas seulement cela : "Marchez avec nous". Le 27, l'un après l'autre, dès le matin, avant de sortir des casernes, les bataillons de réserve de la Garde se mutinent. Çà et là, des ouvriers ont déjà réussi à s'unir avec la troupe, à pénétrer dans les casernes, obtenir des fusils et des cartouches... Vers midi, Petrograd est redevenu un champ de bataille : les coups de fusil et le tac-tac des mitrailleuses retentissent de tous côtés.[7]

On passe des revendications économiques (pain) à un conflit politique (autocratie, guerre) puis du conflit avec l’armée à la mutinerie des soldats, enfin à l’armement des civils qui trouvent des armes dans les casernes. NB. Les ponts sur la Neva sont du type ponts-basculants, la police les lève pour empêcher les ouvriers du quartier de Vyborg ou ceux qui arrivent par la gare de Finlande de rejoindre l’hyper-centre-ville de Petrograd, là où se trouve le Palais d’Hiver. Mais, l’hiver ce subterfuge est facilement contourné…

Avec une relative facilité et sous la pression des leaders de la Douma et du GQG, Nicolas II abdique au profit de son frère qui lui-même abandonne. Le pouvoir est vacant, la Russie se trouve de facto en république, un gouvernement provisoire est mis en place. Mais ce gouvernement s’il a encore des forces militaires, l’administration à sa disposition voit se dresser face à lui les ouvriers en armes et les mutins qui investissent le soviet de Petrograd et d’autres soviets dans le pays. Il y a une dualité des pouvoirs. Les jours et mois qui viennent sont l’histoire de la lutte entre ces deux pouvoirs et l’histoire de l’influence grandissante des bolcheviques au sein des soviets. Les soviets sont dirigés à cette date par les S.-R. et les mencheviks.   

En attendant, le gouvernement provisoire, libéral, sans aucun ministre socialiste, dirigé par le prince Lvov, accorde la liberté d'opinion, de la presse, de réunion, de manifestation qu’utilisent massivement les Bolcheviques (création de La Pravda...) et d’autres. La Liberté semble à tous illimitée. Mais, à rebours, ce même gouvernement provisoire continue la guerre, se déclare hostile à la réforme agraire, à la journée de 8 heures.

Et le 4 avril, Lénine est de retour d’exil…

(à suivre)





[1] Lire l’article Wikipédia « passage du calendrier julien au calendrier grégorien ».

[2] Dans le cadre d’une politique de modernisation, l’appellation de tsar avait été officiellement abandonnée pour celle d’empereur. Mais les habitudes ont la vie dure.

[3] La Commune de 1871, en France, est une tentative glorieuse et malheureuse. Les Bolcheviques avaient pour elle le plus grand respect : Lénine est enveloppé dans un drapeau de la Commune de Paris dans son mausolée.

[4] Extraits du rapport du renseignement militaire sur l'état de l'armée (début octobre 1917). Cité dans HACHETTE 1ère L/ES, 2003, collection J.-M. LAMBIN.

[5] C’est le 8 mars dans le calendrier grégorien.

[6] Le tsar n’était pas à Petrograd mais au siège du GQG (grand quartier général) éloigné de la capitale.

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