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5. Les Sans-culottes de la révolution française

publié le 29 sept. 2017, 07:46 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 21 févr. 2019, 00:52 ]

 LES SANS-CULOTTES

 

En choisissant les sans-culottes comme personnage historique qui a émergé de l’histoire de la Révolution, j’allais écrire "Le" sans-culotte, mais je me suis ravisé parce que il y a là un personnage collectif, les sans-culottes ont joué un rôle historique parce qu’ils étaient unis, ils étaient une force matérielle : des dizaines de milliers, équipés de fusils pris aux Invalides le 13 juillet 1789 et tous militants des idées nouvelles : liberté, égalité, fraternité… Dans son travail "le rôle de la violence dans l’histoire", Engels nous dit qu’il y a deux forces qui peuvent interférer dans le déroulement des faits : l’armée et le peuple en armes. Louis XVI voulut utiliser l’armée, la Convention thermidorienne l’utilisera. De juillet 1789 à la réaction thermidorienne, pour sauver la Révolution ou bien la France, le peuple en armes fait valoir sa force. Ces armes (30.000 fusils) sont récupérées aux Invalides le 13 juillet 1789 pour faire face aux régiments royaux venus des frontières pour mater la révolution en marche. On s’en sert dès le lendemain pour la prise de la Bastille.


    source : photo du groupe CARMAGNOLE liberté ; festival international d'histoire vivante...


    Employé dans les premières années de la Révolution par des publicistes antirévolutionnaires, le désignant "sans-culottes" se veut injurieux. Il sert à désigner la horde des déguenillés et des désargentés qui errent autour du Palais-Royal et fréquentent les députés de gauche ; ces "gens montrent leur cul à travers leurs guenilles"[1]. Sans-culottes remplace canaille qui fait désuet. Par l'absence remarquée de la culotte, on veut à l'évidence distinguer en même temps que la pauvreté, la bestialité, l'inculture et la nudité grossière. Mais le vocabulaire de la lutte des classes, tendanciellement bipolaire, en opposant sans-culottes à aristocrates favorisera peu à peu son identification à "peuple". Dès lors, le retournement de l'injure en titre de gloire, homologue à celui qui fit du drapeau rouge de la loi martiale l'emblème de l'insurrection légitime du peuple, s'effectua de manière symétriquement inverse à la dévalorisation des mots "aristocrates" puis "modérés", traduisant ainsi l'évolution du rapport des forces conduisant à la République jacobine[2].

Ce retournement triompha le 20 juin 1792 (Déclaration de guerre de la France au roi de Bohême et de Hongrie) quand les manifestants défilèrent aux Tuileries sous des bannières proclamant "Vivent les sans-culottes" ; le 10 août, la victoire des sectionnaires (Parisiens) unis aux fédérés (venus de toute la France) sur les forces fidèles au roi, confirmera cette promotion du mot en fixant en même temps le point d'origine de "la légende" des sans- culottes parisiens. La plume brillante de Hébert dans Le père Duchesne contribua à en immortaliser le type : "bon père et bon époux", le brave sans-culotte est un artisan avisé, un ouvrier qualifié ; sectionnaire dévoué à sa tâche militante, il est aussi un fin politique, homme de bon sens à qui "on ne la fait pas". Cheveu plat contre la perruque, le cas échéant bonnet rouge contre la coiffe, le sans-culotte porte le pantalon rayé et la vareuse de drap; aux souliers à boucles des bourgeois il préfère les sabots ; si la pique est son emblème, c'est le canon qui est l'instrument de sa victoire collective: le sans-culotte n'existe pas sans ses frères. Lisons Le père Duschêne :

 Le sans-culotte "c'est un être qui va toujours à pied, qui n'a point de millions comme vous voudriez tous en avoir, point de châteaux, point de valets pour le servir et qui loge tout simplement avec sa femme et ses enfants, s'il en a, au quatrième ou cinquième étage. Il est utile, il sait labourer un champ, forger, scier, limer, couvrir un toit, faire des souliers et verser jusqu'à la dernière goutte son sang pour le salut de la République. Comme il travaille, on est sûr de ne rencontrer sa figure ni au café ni dans les tripots où l'on conspire, ni au théâtre. Le soir, il se présente à sa section, non pas poudré, musqué, botté, dans l'espoir d'être remarqué de toutes les citoyennes des tribunes, mais pour appuyer de toute sa force les bonnes motions. Au reste un sans-culotte a toujours son sabre pour fendre les oreilles à tous les malveillants. Quelquefois il marche avec sa pique mais au premier bruit du tambour, on le voit partir pour la Vendée, pour l'armée des Alpes ou pour l'armée du Nord…"

 

Les grandes "journées" avec participation des sans-culottes

 

Pour justifier le choix de la sans-culotterie comme personnage symbole, il faut rappeler brièvement son rôle historique, c’est-à-dire son intervention qui change le cours de l’histoire.

Les sans-culottes avant la lettre interviennent dans les journées décisives des 13/14 juillet. Il est inutile d’insister : sans eux, l’Assemblée nationale constituante était dispersée.

Les 5 et 6 octobre 1789, ce sont les épouses de ceux que l’on appellera "sans-culottes" qui vont à Versailles pour ramener à Paris "le boulanger, la boulangère et la petit mitron",c’est en effet le problème du pain, de son prix qui est posé. La foule bas-de-gamme  qui entoure le carrosse royal horrifie les aristocrates et le bon Burke, futur théoricien de la contre-révolution. Ces journées avaient aussi une seconde signification : arracher le roi à son entourage courtisan et le mettre sous contrôle populaire aux Tuileries, à Paris. 

17 juillet 1791 : champ de Mars. Après la fuite du Roi arrêté à Varennes. Grand manifestation républicaine mais "la fusillade du Champ de Mars" disperse les manifestants et inaugure la "Terreur tricolore". Mais l’idée républicaine progresse.

20 juin 1792 : ce jour-là, déclaration de guerre à l’Autriche, les manifestants défilèrent aux Tuileries sous des bannières proclamant "Vivent les sans-culottes".

10 août 1792 : prise du château des Tuileries : chute de la royauté. Journée majeure qui détruit la monarchie constitutionnelle et impose de facto la République. Les Sans-culottes imposent également le vote universel masculin sans le cens. Victoire acquise avec les "Fédérés" venus des provinces.

La victoire de Valmy, 20 septembre 1792, les volontaires montant au front en chantant la Marseillaise. Victoire majeure qui permet à la Convention, nouvellement élue, légitimée par cette victoire, de voter l’an I de la République française.

Journées des 31 mai et 2 juin 1793. Mobilisation sans-culotte, soutenue par le club des Jacobins, qui élimine la direction girondine de la Convention. On passe à la Convention montagnarde.

Les journées de la Constitution de l’an I, votée 23 juin 1793 par l’Assemblée, soumise au vote universel masculin dans chaque canton. Chaque canton désigne son "envoyé" qui se rend à Paris. Les sans-culottes parisiens accueillent les 7.000 envoyés. Fête solennelle le 10 août 1793. (3° partie) LA CONSTITUTION DE 1793 DITE DE L’AN I

Journées des 4&5 septembre 1793. Les sans-culottes envahissent la salle de la Convention (montagnarde). Accord politique avec les Montagnards : c’est le début du "gouvernement révolutionnaire jusqu’à la paix" (Terreur révolutionnaire).

22 mai 1795, les martyrs de Prairial. Journée sans culotte pour "le pain et la constitution de l’an I" contre la Convention thermidorienne. Échec. Désarmement du faubourg Saint-Antoine le 4 prairial : ce fait marque "la défaite des sans-culottes" selon le mot de Kâre Tønnesson [3] (Mazauric).


"Le sans-culottisme survit dans le mode d'acculturation du militant révolutionnaire : le modèle anthropologique du sans-culotte a contribué à la formation de l'ouvrier révolutionnaire du siècle suivant à travers les expériences-relai de 1830 et de 1848. En 1871, le "prolétaire" se dit héritier du sans-culotte de 1793 et après la Commune de Paris, les "travailleurs" s'identifieront souvent aux "sans-culottes des faubourgs", notamment en 1936. Est-ce la longue persistance à Paris de la petite entreprise et de la vie de quartier ? Est-ce le recrutement longtemps endogène et urbain des ouvriers qualifiés ? Est-ce en raison du prestige renouvelé par des expériences historiques répétées, de la Grande Révolution et de ses idées-forces, toujours est-il que le sans-culottisme s'est constitué en mythe créateur, porteur essentiel d'un outillage symbolique qui a servi à la construction paradoxale de la mentalité révolutionnaire moderne alors qu'il reflétait les angoisses et les espoirs des producteurs de l'ancien mode de production économique". (Claude Mazauric).

 

Une alliance de type "Front populaire"

 

Le génie du peuple français fut notamment d’avoir combattu vigoureusement le principe d’inégalité censitaire (citoyens passifs vs citoyens actifs) et d’avoir imposé l’égalité citoyenne. Et, à la différence des autres révolutions, le sans-culotte en France fut en quelque sorte au pouvoir durant cette période d’alliance évoquée plus haut. En Angleterre, Cromwell accepta l’aide des Levellers mais ne partagea pas le pouvoir avec eux.

La Révolution fut sauvée grâce à l’alliance entre les Jacobins - Montagnards - et les sans-culottes, entre ce qu’A.Soboul  dénomme le Gouvernement révolutionnaire d’une part et le mouvement populaire d’autre part. Ce fut ce que le grand historien Georges Lefebvre appelait - par anachronisme pédagogique - un Front populaire [4]. Front populaire, c’est-à-dire alliance entre une partie de la bourgeoisie et le peuple des sans-culottes [5]. Cet acte est fondateur d’une tradition très française. Il fut rendu possible par l’évolution doctrinale de la bourgeoise montagnarde sur le dogme de la propriété [6] avec à leur tête Robespierre. La différence de mentalité avec les Girondins - libéraux intégraux - est montrée par cette intervention d’un des députés de ces derniers, lors du même débat : "Eh quoi ! La propriété des grains serait-elle moins sacrée, aux yeux de la loi, qu'une autre espèce de propriété ? ". Les Girondins - parti des grands esclavagistes et grands négociants en vins de Bordeaux – ignorent sans doute que le pain est fabriqué avec des grains de blé ou de seigle.

Cambon, négociant en toiles, financier de la Convention, créateur du Grand Livre de la dette publique, "représente assez bien la haute bourgeoisie montagnarde" dit Soboul. Il donne des garanties aux rentiers de l’Ancien Régime. Saint-Just avait acheté des Biens nationaux. Robespierre s’était installé – bourgeoisement - chez le menuisier Duplay. Duplay était exactement maître-menuisier. Il possédait des immeubles dans Paris dont la location lui rapportait "dix à douze mille livres de rente"[7]. "La femme du conventionnel Lebas, fille Duplay, avait dit que son père, soucieux de sa dignité bourgeoise, n'eût jamais admis à sa table l'un de ses "serviteurs", c'est- à-dire de ses ouvriers. On mesure ainsi la distance qui séparait les Jacobins des sans-culottes, la petite ou moyenne bourgeoisie de la classe populaire proprement dite" (Soboul).

Toute la thèse d’Albert Soboul sur les soldats de l’An II est tendue -sources innombrables à l’appui- vers la démonstration que la politique du gouvernement révolutionnaire - celui de Robespierre - n’est pas la même que celle du mouvement populaire. Soboul écrit : "Soucieux de rallier cette partie de la bourgeoisie qui dans le conflit avec les Girondins avait gardé la neutralité (la "Plaine"), les Montagnards ménagèrent les possédants et les modérés. (…) Les Montagnards s'efforcèrent de rassurer la bourgeoisie en maintenant le mouvement populaire dans des bornes étroites". Cette politique aboutira à la rupture avec Hébert et ses partisans.

 Sociologie des Sans-culottes (Mazauric)

 En regard à cette bourgeoisie montagnarde, quelle est la sociologie des sans-culottes ? là encore, je vais piocher délibérément chez Mazauric.

Politiquement le sans-culotte est un révolutionnaire radical qui combat pour l'égalité sociale, fondement de la justice et de la démocratie politique. Socio-économiquement, il est un producteur, ouvrier ou petit patron, compagnon ou artisan, salarié ou petit entrepreneur plus ou moins dépendant du capital marchand. Les sans-culottes ne sont donc pas, comme l'a montré Albert Soboul, une classe sociale au sens "marxiste" du terme, ni prolétariat embryonnaire, ni rassemblement confus de petits bourgeois autonomes, mais une catégorie socio-politique dont l'existence est déterminée à la fois par les traits généraux du mode de production manufacturier, antérieur au capitalisme industriel (c’est moi qui souligne, JPR) et par les particularités des affrontements politiques propres à la Révolution jacobine.

Mazauric s’empare du cas concret du faubourg Saint-Marcel.

Soit le faubourg Saint-Marcel, étudié par H. Burstin [8] (…) Aux deux-tiers, les habitants du faubourg sont originaires de la province, du nord et de l'est. Les activités les plus caractéristiques du faubourg ne sont pas celles qui occupent le plus de monde : si plus des quatre cinquièmes sont des producteurs, moins de la moitié se consacrent au meuble, aux textiles, aux cuirs, à la tapisserie, qui ont fait la réputation de Saint-Marcel. S'y ajoutent évidemment, du fait de la proximité du centre intellectuel, une couche importante d'artistes, de scientifiques et d'hommes de plume qui fourniront une part importante des cadres sectionnaires. 68,1 % des citoyens enregistrés savent lire et écrire, un quart seulement de manière satisfaisante, mais c'est le cas de 86,7 % des ouvriers tapissiers : les sans-culottes de Saint-Marcel ne sont pas des rustres. Ce qui domine c'est la petite entreprise naguère insérée sans difficulté dans le système corporatif ; cependant, quelques grands manufacturiers dominent l'activité textile et ce qui relevait naguère de la manufacture privilégiée ; 6 324 ouvriers sur l'échantillon de 16 000 personnes étudiées par H. Burstin, sont des ouvriers salariés, insérés dans la structure corporative, proches des maîtres et gagnés avec eux à la même protestation contre la domination du grand capital commercial et financier.

La représentation politique de la sans-culotterie s'observe dans la vie des sections mais d'abord dans le choix de ses dirigeants. (…). A Paris, grâce à Raymonde Monnier, nous connaissons bien 1.361 meneurs de la sans-culotterie en l'an II. 484 sont des "commissaires civils" chargés dans les sections de l'administration et de l’organisation de la vie quotidienne des quartiers. 877 sont des "commissaires révolutionnaires", membres de ces comités de vigilance qu'on appelle en province les "comités de surveillance" chargés de l'application des mesures de contrôle révolutionnaire, arrestation des suspects, délivrance des certificats de civisme. (…). Le recrutement des commissaires révolutionnaires est plus populaire (que celui des commissaires civils) : si 4,5 % vivent de rentes diverses, près de 10% sont des ouvriers salariés ou des compagnons et sur les 68,5% de petits producteurs, 45,3% sont des artisans. 71,5% des 877 commissaires révolutionnaires furent par la suite victimes de la répression thermidorienne. Au total dans les 48 sections parisiennes dont le personnel politique a pu être identifié, on peut évaluer à 10,1% ceux qui sont issus des milieux populaires salariés, 41,6% les artisans représentatifs des petits métiers, 15,7% les commerçants, 15,5%, les personnes issues des professions libérales et des milieux d'employés et de fonctionnaires, 1,9%, les rentiers ou propriétaires, 0,7% les entrepreneurs et manufacturiers. Les militants sans-culottes se recrutent donc à l'intérieur du large spectre de la roture la plus populaire mais sans exclure pour le recrutement des dirigeants, des hommes issus de l'élite sociale du centre de Paris ou des chefs des métiers dans les faubourgs.

On voit donc la vraie coalition que représente le gouvernement révolutionnaire. Au Comité de salut public, les sans-culottes sont représentés par Billaud-Varenne et Collot-d’Herbois. Finalement, l’élimination de la faction Hébert met fin à l’alliance entre cette bourgeoise montagnarde et le mouvement sans-culotte. Pour Soboul, c’est le commencement de la fin : beaucoup de sans-culottes, politiquement désarçonnés, ne bougeront pas lors du coup de Thermidor… C’est après cette rupture que Saint-Just eut ce mot : "la Révolution est glacée".

 

Les sans-culottes dans l’action

Les Sans-culottes sont sur le qui-vive nuit et jour pendant la période où la Patrie fut en danger.


A l’armée :

Voici le témoignage d’un petit paysan du Jura, volontaire de 1791, le caporal Jolicler,

"Ma chère maman, quand je vous vois chagrinée sur mon sort, cela me fait plus de peine que tous les maux que j'éprouve et vous me tirez des larmes des yeux. Réjouissez-vous, au contraire ! Ou vous me verrez revenir couvert de gloire, ou vous aurez un fils digne du nom de citoyen français qui saura mourir pour la défense de la patrie... Quand la patrie nous demande pour sa défense nous y devons voler comme je courrais à un bon repas. Notre vie, nos biens, nos facultés ne nous appartiennent pas : c'est à la nation, à la patrie..."[9].

On ne compte pas le nombre de sous-officiers et d’officiers sortis du rang et d’extraction sans-culotte.


La religion

    Oscillant entre d’un côté, un déisme rousseauiste qui garantissait dans l'au-delà avec la punition des méchants, l'immortalité des bons, et, de l’autre, un athéisme virulent et "anti-calotin", le sans-culotte est au vrai très déchristianisé. Fut-il un déchristianisateur ? Sans doute pas au-delà d'une certaine frange où se recrutent les inspirateurs des campagnes de l'automne 1793 en faveur du culte de la Raison ; mais anti-clérical, assurément. D'où le soutien visible apporté à la politique d'apaisement et de compromis de Robespierre et à son rapport du 18 floréal, lequel reconnaissait l’Être Suprême et l'immortalité de l'âme mais portait condamnation des "mômeries sacerdotales". Les sans-culottes se rendirent nombreux à la dernière grande fête jacobine, la fête de l’Être Suprême. (d’après article C. Mazauric).

Le prix du pain et l’idéal d’égalité

    Si la sans-culotterie put s'imposer au premier plan de la scène politique de l'été de 1792 au printemps de 1795, c'est que ses leaders surent entraîner les couches diverses du petit peuple parisien autour de revendications et d'aspirations communes. La plus importante fut relative au prix du pain dont on imposa la taxation [10] de haute lutte, le 29 septembre 1793 (après les journées des 4&5, cf. supra). Alors que l'exigence d'un plus haut salaire eût divisé les sans-culottes entre boutiquiers et salariés, la revendication d'un maximum unissait à Paris les faubourgs et les quartiers du centre et dans toute la république les couches populaires des villes et des bourgs contre les "monopoleurs", "agioteurs" et "sangsues du peuple" c'est-à-dire le négoce, les grands marchands, les capitalistes et les grands fermiers. Salariés et petits producteurs marchands agissaient de concert d'abord comme des consommateurs écrasés par le capital commercial, ensuite comme des patriotes acharnés à vaincre l'aristocratie du sang et celle des richesses. Leur idéologie les y conduisait naturellement :

II faut raccourcir les géants

Et rendre les petits plus grands

Tout à la vraie hauteur

Voilà le vrai bonheur.

Tel était l'air que l'on chantait dans les faubourgs pour effrayer le bourgeois. Mais il est vrai qu'au droit absolu de propriété, on opposait "le besoin du peuple", le "droit à l'existence" que reconnut Robespierre, bientôt "l'égalité des jouissances", laquelle supposait la limitation du droit de propriété voire son égale répartition, selon "l'étendue des besoins physiques" (section des Sans-Culottes, 2 septembre 1793). Sans aller jusqu'à la suppression de la propriété, certains conçurent la nécessité d'un nouveau partage faisant de la société, une association de petits producteurs indépendants. Cela n'impliqua pas, jusqu'au babouvisme de l'an III, la communauté des biens.

Si tel était le vœu du peuple, rien ne pouvait l'interdire parce que toute souveraineté réside en lui, inaliénablement et indivisiblement. Dans la pratique, l'attachement à l'égalité des droits politiques est une dimension essentielle de l'égalitarisme sans-culotte qui souffrit mal le système représentatif et tout ce qui pouvait brider l'expression directe et immédiate de la volonté générale. L'assemblée des citoyens doit pouvoir décider de tout. Lorsque la Convention eut décidé le 9 septembre 1793 de limiter les réunions des assemblées de section à deux fois par semaine, les sans-culottes réunirent chaque jour une société sectionnaire qui prétendit contrôler fonctionnaires, commissaires et magistrats. (article Mazauric, dict. Soboul). Tout cela n’eût guère été possible sans, cause et conséquence, la fraternisation.

Fraternisation

La souveraineté étant une, la volonté générale qui en est l'expression doit se manifester sans discordance: contre la tyrannie, "le droit à l'insurrection" (proclamé dans la Constitution de 1793) devient un devoir absolu. Entre "frères et amis", le devoir de solidarité est impérieux. La "fraternisation", sorte de pacte d'assistance mutuelle entre les 48 sections servait à tenir en respect aristocrates et modérés dans toute la capitale et chaque fois que c'était possible dans toute la République : c'est ainsi que le 14 mai 1794, la section du Contrat-Social, président en tête, se rendit au siège de la Section des Lombards pour en chasser "l'aristocratie". La fraternisation fut l'instrument de la "régénération révolutionnaire" des sections, préparatoire au coup de force des 31 mai-2 juin 93. La fraternisation fut une des armes de la coercition exercée pendant la Terreur. Elle inspira la création et l'action des Armées révolutionnaires, chargées dans les 10 départements de faire rendre gorge aux accapareurs, de semer l'effroi chez les "aristocrates" et de combattre la Contre-Révolution.

 

CONCLUSION

 

Claude Mazauric écrit

"Les conceptions sociales et politiques de la sans-culotterie viennent de loin et plongent leurs racines dans les pratiques des mouvements révolutionnaires urbains des XVI°-XVII° siècles. Elles traduisent aussi la pénétration du rousseauisme, l'expérience récente de la grande espérance de 1789 et de la peur réactive de 1792 ; mais leur fond en est l'aspiration à l'autonomie familiale du petit producteur, plus attentif à la valeur morale et d'entretien du travail productif qu'aux idéaux productivistes et accumulatifs de biens qui fondent la passion du bourgeois capitaliste. Cette idéologie petite-bourgeoise trouve sa correspondance dans la mentalité du sans-culotte à l'égard de la famille : un ménage, un atelier, un domicile, tel pourrait être l'idéal. (…).

consulter : plan des 48 sections de Paris :

http://www.emersonkent.com/map_archive/paris_revolution.htm




[1] Ce passage et ce qui suit est une exploitation éhontée du remarquable article du Dictionnaire historique de la Révolution française dit Dictionnaire Soboul (aux PUF), entrée : SANS-CULOTTES / SANS-CULOTTERIE / SANS-CULOTTISME, article signé Claude MAZAURIC.

[2] Un autre exemple célèbre de retournement de sens est celui des Gueux néerlandais pendant la Guerre dite de Quatre-vingts-ans (1568-1648). Ce sont les Espagnols et leurs partisans qui qualifièrent de "gueux" les rebelles indépendantistes lesquels s’emparèrent du mot pour mener la Guerre des Gueux.

[3] K. TONNESSON, "La défaite des sans-culottes : mouvement populaire et réaction bourgeoise en l'an III", 1959.

[4] Jean SURATTEAU (U. de Besançon) nous dit bien que G. Lefebvre « émettait cette opinion "oralement"» -jamais par écrit - sinon, il eût encouru le reproche du péché mortel de l’historien stigmatisé par L. Febvre : l’anachronisme. Cf. l’intervention de J. Suratteau au colloque de Stockholm sur le babouvisme.

[5] Le Front Populaire de 1935 est conclu entre deux partis représentant le prolétariat (SFIO et PCF) et le parti radical et radical-socialiste, représentant les classes moyennes et la bourgeoisie républicaine.   

[6] Documents extraits de ‘Études sur Robespierre, par A. MATHIEZ, Messidor, Editons sociales, 1988.

[7] Un compagnon qualifié parisien gagnait 450 livres/an.

[8] H. Burstin, "Le faubourg Saint-Marcel à l'époque révolutionnaire. Structure économique et composition sociale", 1983.

[9] Extrait de "Jolicler, volontaire aux armées de la Révolution", Perrin éditeur. Cité par Jules ISAAC.

[10] Attention ! Taxation ne signifie pas « frappé de taxes » mais soumis à un prix maximum.

4. Le "YANKEE" aux Etats-Unis

publié le 18 sept. 2017, 08:59 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 3 août 2019, 02:24 ]

 

"Yankee" est aux XVIII° et XIX° siècles, une appellation réservée aux États-uniens du Nord, particulièrement du Nord-Est, de la Nlle-Angleterre. Dans la bouche des Sudistes, c’est un terme méprisant qui figurait dans une chanson populaire. Les Nordistes ont repris à leur compte ce sobriquet. Voir cette entrée dans le dictionnaire iconoclaste de Roger MARTIN. Pour bien faire comprendre ce qu’il y avait d’effrayant chez un yankee, pour un Sudiste, je vais montrer la détestation qui est née entre deux acteurs, l’un du Nord-Est : Garrison, l’autre du Sud : Calhoun.

 

Garrison versus Calhoun.

L’auteur de l’article "Calhoun" dans l’Encyclopaedia Britannica pointe du doigt quelques responsabilités : "Certainly the American Civil War was too vast an event for the main responsibility to be placed upon any one man, but it may well be argued that Calhoun contributed as much to its coming as did William Lloyd Garrison and Abraham Lincoln"[1]. Garrison et Calhoun se placent en effet résolument sur le terrain du polemos.

William L. Garrison (1805-1879). Patron de presse, Massachusetts. Garrison est un des représentants les plus radicaux de l'abolitionnisme américain. Son combat est sans doute juste[2] mais ses propos d’une violence extrême :

"Mais que tremblent les oppresseurs sudistes, que tremblent leurs secrets complices, que tremblent leurs apologètes au Nord, mais que tremblent tous les ennemis des Noirs persécutés ! (…) je veux être dur comme la vérité et inflexible comme la justice".

Après avoir condamné l'institution de 1’esclavage comme une "combinaison de mort et d'enfer" et après avoir flétri la Constitution des Etats-Unis comme un "contrat avec la mort et un accord avec l'enfer"[3], Garrison exige, en 1841, que les propriétaires d'esclaves soient privés de leurs sièges au Congrès :

"Aucune association avec eux n'est licite, qu'elle soit politique ou religieuse : ce sont les voleurs les plus vulgaires et les pires bandits - autant s’accorder avec les détenus de Botany Bay[4] ou de la Nouvelle-Zélande - (...). Nous ne pouvons pas les reconnaître comme membres de la chrétienté, de la république, de l'humanité".

Despécification parfaite ! Excommunication majeure mise au goût du jour ! qui ouvre la voie à tous les massacres possibles et imaginables. L’esclavagiste n’appartient pas à l’humanité… N’importe qui issu des "sous-produits de l’Europe" (H. Arendt) et enrôlé dans l’armée nordiste pourra s’emparer de cet argument pour effectuer, dans le Sud, toutes les exactions et crimes sordides ! Et c’est ce qui sera.

Calhoun (1782-1850), lui, fut vice-président des Etats-Unis, son aura est immense. Il a célébré l’esclavage "dans sa pleine lumière"[5]. Il est persuadé d’être un grand patriote américain "if I am judged by my acts, I trust I shall be founded as firm a friend of the Union as any man in it" [6]. Mais pour lui, les Etats-Unis sont une association d’États libres qui légifèrent librement sur "l’institution particulière". C’est cela être fidèle aux Pères fondateurs. Les propos de Garrison le hérissent. Et il utilise la tribune de la Chambre des Représentants puis celle du Sénat pour répliquer. Il met en état d’accusation l'"esprit incendiaire", l'"esprit du fanatisme", les "fanatiques enragés", les "aveugles fanatiques" qui menacent de guerre le Sud, à l'égard duquel ils montrent "une haine plus mortelle que celle jamais nourrie par une nation hostile à l’égard d'une autre". Oui, ces " zélotes féroces" se font une "obligation de conscience de proclamer une "croisade générale contre nous et nos institutions".

Il est vrai que Garrison place la barre très haut en assimilant la mise en esclavage au péché, et en accusant de complicité celui qui ne fait rien pour libérer le Noir ou guérir le maître du péché. Garrison se pose effectivement en croisé, comme l’agent de Dieu, bref, comme un prophète et il n’est malheureusement pas seul dans cette Nouvelle Angleterre façonnée par les Puritains. Pour les Sudistes, cet extrémisme conduit à la démolition d’une civilisation, ce qu’aucun d’entre eux ne peut accepter. Garrison ignore la réalité matérielle, le matérialisme historique : "croyez-vous que vous nous persuaderiez - même si vos lèvres distillaient du nectar - d’abandonner mille millions de dollars sur la valeur de nos esclaves et mille autres millions sur celle de nos terres ? "[7] La force de l’Idée - fût-elle noble et généreuse - s’arrête devant des choses aussi simples. Sauf qu’il n’y a pas que des "idées" chez les Yankees ; il y a aussi des intérêts matériels lourds, une nécessité de créer un espace économique unique, du nord au sud et de l’Atlantique au Pacifique. Il y a chez l’homme du Nord une sorte "d’héroïsme dans son avidité pour le gain". Deux réalités matérielles s’affrontent. Deux sociétés avec leurs fanatiques.


A l’origine du fanatisme yankee


Un ancêtre des Yankee est incontestablement Cotton Mather. Les colons, nouveau peuple de Dieu ? Comment en douter quand on lit la prose de Cotton Mather, pasteur puritain de Boston, en lutte contre le gouverneur High Church, Edmund Andros, (1688), homme du roi d’Angleterre, crypto-catholique, Jacques II : "l’Église de notre Seigneur se dirige victorieusement vers l’Israël de la Nouvelle-Angleterre. Elle a quitté l’Angleterre pour les mêmes raisons que les Hébreux ont quitté l’Égypte" et Andros est "le nouveau Pharaon" et le pasteur Mather annonce "notre Jérusalem". Pas de doute, ce ministre du culte puritain (Boston, 1663-1728) se prend pour un prophète. Mather célèbre l’anniversaire du Mystic massacre, parce qu’il eut lieu le long de la Mystic River, massacre du 26 mai 1637, par ces termes "ce jour-là, il est probable que nous avons envoyé pas moins de six cents âmes pequots en enfer"[8] Il est vrai que dès le premier gouvernement colonial "de John Endicott, la fidélité à l’idéal puritain atteint les proportions de la plus cruelle intolérance" écrit F. Roz. Quant à l’apport de la "civilisation" aux Indiens idolâtres - les Pères puritains (à ne pas confondre avec les Pères pèlerins) se donnaient volontiers des objectifs civilisationnels -  il prit presque immédiatement la forme de la guerre avec l’usage des méthodes pratiquées en Irlande. Cet état d’esprit explique les cris de joie du révérend Cotton Mather. Ce dernier proclame des dogmes aussi fertiles que celui-ci :

"Comme la causalité fondamentale qui gouverne tous les évènements est la volonté divine (directe influence de Calvin, JPR) l’homme n’a pas à avoir le moindre scrupule, quels que soient l’acharnement et l’égoïsme dont il fait preuve dans la recherche de son profit personnel : dans notre travail, nous tendons nos filets, mais c’est Dieu qui y pousse tout ce qui tombe dedans"[9].

Absence de scrupule dans la recherche du profit et massacre des Indiens : C. Mather fonde les bases de l’idéologie "Yankee".

 

    William Trent (Pennsylvanie 1715-1787) est fils d’un immigré écossais qui fit rapidement fortune au point que ses compatriotes donnèrent son nom à une petite bourgade du New Jersey : Trent-town qui deviendra Trenton. Privilège rare, on s’en doute. William qui était marchand et spéculateur était très intéressé par les terres indiennes, celles de l’Ouest dans un premier temps, qui étaient limitées par l’Ohio river. Il était membre de la délégation WASP qui discuta avec les Indiens lors de la conférence de Logstown (1752) afin d’obtenir confirmation que les limites de la Virginie allaient bien jusqu’à la rive gauche de l’Ohio[10]. Discussion importante car à cette date, les Français veulent faire de l’Ohio le trait d’union entre le Saint -Laurent et le Mississippi. Anecdote : le site américain qui présente la délégation de pionniers à la Logstown conference écrit "again we see many men with strong commercial interests". On ne le lui fait pas dire.

Après la guerre franco-anglaise, les Indiens continuèrent le combat lors de la guerre de Pontiac (1763). W. Trent est capitaine de la milice de Virginie. Se battant avec tous les moyens il est complice de la guerre bactériologie initiée par les Anglais. Un jour, il reçut une délégation d’Indiens venus négocier. Il écrit dans son journal, le 24 mai 1763, "we gave them two Blankets and an Handkerchief out of the Smallpox Hospital. I hope it will have the desired effect"[11]. Je rappelle que smallpox c’est la variole.

     Alexander Hamilton (1757-1804). Colonel dans l’armée des Etats-Unis, aide de camp de G. Washington, époux d’une (très) riche héritière new-yorkaise, doté de facultés intellectuelles rares, Hamilton intègre vite la upper class du Tide Water comme eût pu dire P. Chaunu (les ports de la côte Est). C’est un Père fondateur, membre de la convention de Philadelphie. Il est favorable au renforcement du pouvoir central au détriment des treize nouveaux États. De septembre 1789 à janvier 1795, il fut Secrétaire du Trésor sous la présidence de G. Washington. Toute sa politique est fondatrice d’une tradition dans laquelle se retrouveront les futurs "Républicains" lorsque ce parti sera créé. Il décide que l’Union fédérale prendra en charge la dette des colonies d’avant l’Indépendance et il établit le "First Report on the Public Credit". Il y avait maintenant une dette nationale dont le gouvernement fédéral était responsable. Hamilton se rallia ainsi tous les rentiers des Treize colonies. Il signa le "Report on a National Bank" pour la création d’une banque nationale. Par ailleurs, il mit sur pied une marine, établit un tarif protecteur car il avait de grandes ambitions pour l’industrie des Etats-Unis. Il présenta ainsi le "Report on the Subject of Manufactures" et comprit tout l’intérêt que les chutes d’eau de la Fall line pouvaient offrir pour la fourniture d’énergie. Il mit au point un système indolore de recettes fiscales indirectes pour rembourser les titres de la dette publique. Mais l’impôt sur le whisky provoqua une jacquerie des cultivateurs d’orge et des distillateurs, la "Whiskey Rebellion". Se souvenant et de la Shays’rebellion [12]et de sa pratique militaire lors de la guerre d’Indépendance, Hamilton prit la tête, aux côtés de Harry Lee, d’une armée de 12.000 h. pour mater la population en colère. Au demeurant, l’opinion de Hamilton sur les braves gens est sans ambigüité.

"Toute communauté se partage entre l'élite et la multitude. La première se compose des riches et des gens bien nés, et la seconde de la masse du peuple. La voix du peuple a été considérée comme la voix de Dieu et, bien que cette maxime soit régulièrement reprise et généralement admise, elle n'est pas fondée dans les faits. Le peuple est turbulent et changeant; ses jugements et ses décisions sont rarement justes". Dans un de ses Federalist Papers[13] Hamilton écrit que "la nouvelle Union serait capable de réprimer les oppositions et les insurrections intestines" et se référant directement à la révolte de Shays "La situation orageuse dont le Massachusetts se remet à peine prouve suffisamment que de tels dangers ne sont pas pure spéculation" (cité par H. Zinn).

 

Autres exemples

    Daniel Webster (1782 - 1852) sénateur du Massachussetts, fut un grand admirateur de Hamilton : "Hamilton frappa le rocher des ressources nationales et une source abondante en jaillit. Il toucha de la main le cadavre du crédit public et il le fit se lever" (Roz, p.102). Nous le connaissons, c’est "le représentant politique des Associés de Boston".

    Webster fut deux fois Secrétaire d’État. Élu de la Nouvelle-Angleterre, il se fait l’avocat de ses intérêts maritimes et de ses intérêts tout court, en défendant le principe du protectionnisme industriel, le "système américain" de Clay et en envisageant sans trop sourciller la guerre contre l’ex-mère patrie. C’est en pensant à lui que les Anglais purent dire « les Yankees veulent se tailler une place énorme sur la scène mondiale ».

La Caroline du Sud, en revanche, menace de faire sécession (1820 puis 1832) si les tarifs douaniers ne sont pas baissés. Webster se dresse contre cet Etat dont on sait qu’il sera l’initiateur de la guerre en 1860[14]. Mais, pour conserver les États esclavagistes au sein de l’Union, Webster fit voter la loi sur l’Esclave fugitif (qui permettait aux propriétaires d’esclaves de récupérer leurs ex-esclaves en fuite, voire de s’emparer de Noirs qu’ils prétendaient fugitifs). Webster s’attira les foudres d’un pasteur qui était justement un esclave fugitif " (je) dis à Mr Webster -s’il se propose réellement d’appliquer cette loi- de lâcher leurs limiers[15] après nous. C’est le Ciel qui m’a donné cette liberté et le devoir de la défendre". Webster fut en effet favorable à la guerre contre les Indiens séminoles (Floride) et lors de l’insurrection démocratique de Dorr –mouvement populaire dirigé par l’avocat Thomas Dorr qui lutta à l’origine pour un suffrage vraiment universel et pas réservé simplement aux propriétaires fonciers,[16] – il prend parti contre ce que les dorristes appelaient la constitution populaire :

"Si le peuple" déclare le sénateur Webster "pouvait se réclamer de la constitution contre un gouvernement en place, il n’y aurait plus de lois ni de gouvernements, ne resterait que l’anarchie".

Conception hétéronomique qui laisse l’élite s’accaparer le pouvoir au détriment du peuple.

 

Le général nordiste Sheridan[17] va s’illustrer dans l’horrible durant sa campagne d’août à octobre 1864, lors de la Guerre de Sécession. D’accord avec le généralissime Grant, il entreprit de ravager méthodiquement le pays et après deux mois de campagne "la ravissante vallée de la Shenandoah avait été entièrement incendiée par ses soins "». Il assume tout cela avec sérénité : "la meilleure politique" dit-il "consiste à laisser l’incendie des récoltes mettre fin à la campagne" (cité par Catton). Les locaux appelèrent de façon suggestive cet épisode dramatique "The Burning", Sherman utilisant la méthode directement venue des Anglais dite de la terre brûlée (en Anglais scorched earth tactics). Après la guerre civile, c’est cet homme qu’on retrouvera chef des armées de l’Ouest contre les Indiens à l’égard desquels il aura un mot historique bien connu.

"C'est en 1869, pendant sa campagne contre les Indiens, lors d'une rencontre avec le chef comanche Toshawi, que ce dernier lui aurait dit, dans un anglais approximatif, "Me, Tosawi; me good Injun" soit "Moi Toshawi ; moi bon Indien", ce à quoi Sheridan aurait répondu "The only good Indians I ever saw were dead" soit "Les seuls bons Indiens que j'aie jamais vus étaient morts". La citation aurait été déformée en "The only good Indian is a dead Indian" :"Le seul bon Indien est un Indien mort"(…). Sheridan nia avoir dit ceci à Toshawi. Le militant des droits civils, Mario Marcel Salas, commentant et extrapolant à partir du livre de Dee Brown, Enterre mon cœur à Wounded Knee : la longue marche des Indiens vers la mort, relatant le point de vue des Indiens sur l'histoire américaine, affirme que les mots de Sheridan furent confirmés par Toshawi. Salas prétend que, quelle que soit sa version, la citation est correcte et qu'elle fait de Sheridan un raciste et un génocidaire". (Wiki).

Ce mot aura un grand retentissement, on en parla à la tribune du Congrès. Le président Théodore Roosevelt fit dans la finesse en déclarant : "Je n'irais pas jusqu'à penser que les seuls bons Amérindiens sont les Indiens morts, mais je crois que c'est valable pour les neuf dixièmes et je ne souhaite pas trop me soucier du dixième".   

Sheridan est également impliqué dans la tragédie de Fort Robinson (internement des Cheyennes). Selon certaines sources, en 1870, il est conseiller des Prussiens en guerre contre la France.

Sheridan était un bon ami du général Sherman, autre yankee, autre "raciste et génocidaire" dont j’ai tracé le portrait dans l’article suivant III. GUERRE DE SÉCESSION : WILLIAM T. SHERMAN.

Notons que la mémoire des grands massacreurs devant l’éternel est toujours honorée : le film de John Ford, "La charge héroïque", a été tourné en 1949, en pleine guerre froide et à la veille de la guerre de Corée. C'est un hymne à la gloire de la cavalerie américaine qui "toujours a défendu la gloire du pays". Les chefs indiens "partent en guerre sainte avec des fanatiques" alors que du côté des Tuniques bleues, on enterre un "soldat brave, chrétien admirable". Le héros, interprété par l'inévitable John Wayne, est nommé au grade de colonel et l'arrêté de nomination porte les noms du "président Grant, du général Sheridan et du général Sherman". Comme Sherman[18]., Sheridan eut droit à un char de combat portant son nom, le M551 Sheridan, qui fut utilisée au Viêt-Nam. Le slogan des soixante-huitards, Yankee go home ! était donc fondé.

 

    William McKinley (Ohio, 1843-1901) fut président des Etats-Unis. Fils d’un industriel dans la fonderie. Il est méthodiste et connaît l’article XXIV des Articles of Religion : c’est l’ami des patrons, l’archétype du Républicain favorable aux milieux d’affaires. Ses mandats coïncident avec l’âge de l’impérialisme. Il dit lui-même qu’il faut "un marché extérieur pour écouler la surproduction" américaine. Aussi bien son passage à la Maison blanche est marqué par la guerre hispano-américaine à l’issue de laquelle les Etats-Unis mettront la main sur Cuba à l’indépendance toute théorique et les Philippines, Porto-Rico et Guam deviendront des colonies. Dans le même élan, les Américains annexent les îles d'Hawaii puis une partie de l'archipel du Samoa. La guerre des Philippines fut inspirée à McKinley par Dieu après une nuit agitée, une pentecôte à la Maison blanche. R.B. Perry (Harvard) raconte

"comment le Président Mac Kinley expliquait à une délégation de l'Église méthodiste sa décision de "mettre les Philippines sous la protection américaine" et de les y garder : il était tombé à genoux, pour demander au Tout-Puissant de l'inspirer; et le Tout-Puissant lui avait dit (entre autres choses) que ce serait une "mauvaise affaire", de laisser les Philippines exciter les convoitises de "nos concurrents en Extrême-Orient". "Ainsi", poursuit l’universitaire américain, "la réussite en affaires a commencé par signifier l'intervention de la faveur divine et maintenant, Dieu est considéré comme un conseiller en matière d'affaires" [19].

Cette anecdote révèle, une nouvelle fois, le rôle de la religion dans la politique des Etats-Unis et comment l’hétéronomie de la pensée -c’est-à-dire ici l’appel à Dieu et à la Bible - permet une construction intellectuelle qui est tout simplement le cache-sexe d’intérêts matériels sordides. "Nulle terre en Amérique ne surpasse en fertilité les plaines et les vallées de Luçon. Le riz, le café, le sucre, la noix de coco, le chanvre, … le bois des Philippines peut fournir le monde entier pour le siècle à venir. Etc..." s’écrie Albert Beveridge devant le Sénat des Etats-Unis (cité par Zinn). Mais, outre l’attrait pour l’or qui brille, une autre tendance dominante du "tempérament politique" américain fait à chaque fois surface : le général Samuel Young déclare "the keynote of the insurrection among the Filipinos past, present and future is not tyranny, for we are not tyrants. It is race". Et de proposer de changer tout l’environnement des Philippines afin que, tels des caméléons (sic), ce peuple jaune "change his color" (re-sic)[20].

Racisme, esprit de lucre, religion, militarisme : tel est l’esprit yankee.

 



[1] "Évidemment, la guerre civile américaine est un fait historique trop important pour qu’on puisse placer la responsabilité sur les épaules d’un homme en particulier ; on peut cependant dire que Calhoun a particulièrement contribué à son déclenchement autant que W.L. Garrison ou A. Lincoln".

[2] On ne sait jamais très bien si, derrière l’outrance humanitaire des Yankee, ne se cachent pas des intérêts matériels et financiers plus ou moins sordides.

[3] En 1854, inspiré sans doute par la geste luthérienne, il mettra le feu au texte de la constitution américaine lors d’un rassemblement abolitionniste.

[4] Site australien dont les Britanniques avaient fait une colonie pénitentiaire.

[5] "Jadis" déclara-t-il en 1837 devant le Sénat, "Jadis, beaucoup de Sudistes croyaient que l’esclavage était un mal moral et politique ; cette folie et cette erreur sont passées. Nous le voyons maintenant dans sa vraie lumière (…)". Les Sudistes étaient persuadés de ne pratiquer, au fond, qu’une forme de paternalisme et certains n’hésitaient pas à préconiser la réduction en esclavage des ouvriers blancs, afin de les soustraire aux maux inhérents à l’exploitation capitaliste. Et ils faisaient observer que "leur société a été si calme et si satisfaite, elle a si peu souffert du crime et de l’extrême pauvreté que son attention n’a pas été éveillée aux tumultes révolutionnaires, à la mendicité et au crime de la société libre".

[6] "Si je suis jugé sur mes actes, je crois que je serais considéré comme un ami de l’Union aussi fidèle que n’importe qui".

[7] James Hammond (1807-1864), planteur, gouverneur de Caroline du Sud, représentant, sénateur, cité par H. ZINN.

[8] Ce massacre est connu sous le nom de Mystic massacre, parce qu’il eut lieu le long de la Mystic River. Les Pequots vivaient dans le Connecticut et ont été anéantis. Pas tout à fait, car H. Zinn nous signale qu’en 1972, un recensement dénombra 21 indiens Pequots dans cet État de la Nouvelle-Angleterre. Lire H. Zinn.

[9] Cité par R. B. PERRY, page 362. Cotton Mather est le fils d’Increase Mather de Boston. Il reçut son diplôme de Harvard des mains de son père, président du collège. Quant à Mason, il devint gouverneur du Connecticut.

[10] Ce fut le cas jusqu’en 1863. A cette date, en pleine guerre civile, les comtés du nord-ouest fidèles à l’Union se séparèrent des comtés groupés autour de Richmond, capitale sudiste. Ils formèrent la Virginie occidentale.

[11] "On leur a donné deux couvertures et un mouchoir trouvés dans l’hôpital où l’on soigne les cas de variole. J’espère que cela aura l’effet recherché". Colin G. CALLOWAY, Dartmouth College, "The American Revolution in Indian Country".  

[12] La révolte de Shays (Shays' Rebellion) est un soulèvement armé dans l'ouest du Massachusetts d'août 1786 à janvier 1787. La révolte de Shays intervient dans un contexte économique troublé par l’inflation et la dévaluation du dollar.(Wiki).

[13] Recueil d’articles, écrit par James Madison, Alexander Hamilton et John Jay, publié en vue d’une promotion de la nouvelle Constitution des États-Unis d’Amérique. Il est paru dans les années 1787-1788 (Wikipaedia).

[14] C’est la Caroline du sud qui fit sécession la première (1860), dès l’annonce de la victoire électorale de Lincoln lequel ne prit pourtant ses fonctions qu’en mars 1861.

[15] C’est en effet avec des chiens que les indiens Séminoles furent poursuivis en Floride (et à moitié dévorés)..

[16] "Le mouvement anti-loyers et la révolte de Dorr sont généralement ignorés par les manuels d’histoire américains" nous dit H. ZINN. .

[17] Ancien élève de l’académie militaire de West Point, né en 1831, mort en 1888.

[18] En 1942, les Américains utilisèrent un char de combat qui fut dénommé SHERMAN (M4 Sherman).

[19] R.B. PERRY, Puritanisme et démocratie, page 369. H. ZINN raconte l’anecdote de manière un peu différente mais le fond reste le même : "J'arpentais les couloirs de la Maison-Blanche tous les soirs jusqu'à minuit, et je n'ai pas honte de vous confier, messieurs, que plus d'une nuit je me suis agenouillé et j'ai prié le Dieu tout-puissant de m'apporter lumière et soutien. C'est ainsi qu'une nuit la solution m'est apparue; je ne sais pas comment, mais c'est venu. 1. On ne pouvait pas rendre les Philippines aux Espagnols : c'eût été lâche et déshonorant. 2. On ne pouvait pas les confier à la France ou à l'Allemagne qui sont nos concurrents en Orient : c'eût été commercialement une faute et nous nous serions discrédités. 3. On ne pouvait les abandonner à leur propre sort (ils sont incapables de se gouverner eux-mêmes) : cela aurait été rapidement l'anarchie et la situation aurait été pire que sous l'autorité espagnole. 4. II ne nous restait donc plus qu'à les prendre et à éduquer les Philippins, à les élever, à les civiliser et à les christianiser. Bref, avec l'aide de Dieu, à faire au mieux pour eux, qui sont nos semblables pour lesquels Christ est également mort. Alors je suis allé me coucher et j'ai dormi. D'un sommeil profond". C’était le sommeil du juste. Saint Augustin n’a-t-il pas dit "une guerre voulue par Dieu ne peut être qu’une guerre juste"…

[20] Stuart Creighton MILLER, « Benevolent Assimilation », The American Conquest of the Philippines, 1899-1903, New-Haven - -Londres, Yale University Press, 1982, 340 pages.

3. Le Gentleman anglais

publié le 10 sept. 2017, 06:36 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 18 déc. 2020, 03:04 ]


Les Temps modernes commencent au XV° siècle avec l’imprimerie, les Grandes découvertes – dont celle de 1492 – la victoire des Turcs à Constantinople qui achèvent la disparition de l’empire romain, l’expulsion des Maures d’Espagne… S’ouvre alors une période exceptionnelle de l’histoire occidentale : le XVI° siècle qui "fut le plus grand bouleversement progressiste que l’humanité eût jamais connu, une époque qui avait besoin de géants et qui engendra des géants ; géants de la pensée, de la passion et du caractère, géants d’universalité et d’érudition" pour reprendre cette formule épique de F. Engels. C’est en effet l’arrivée des métaux précieux d’Amérique, l’expansion des transports et des échanges, la Renaissance et la Réforme religieuse, ce sont aussi des révolutions nationales, en Allemagne, aux Provinces-Unies, en Angleterre, puis des révolutions libérales, le tout s’achevant par l’indépendance des  colonies anglaises d’Amérique et, fruit des Lumières, par la Révolution française, la Grande révolution. Le site présente de multiples facettes de ces grands évènements nationaux. Et, comme ce sont les hommes qui font l’Histoire, je me propose maintenant de présenter la figure-type qui incarne cette période. Dans chaque pays, apparaît un type de personnages qui caractérise cette période et son propre pays. Non sans quelque arbitraire –d’autres types de personnages auraient pu être élus – j’ai distingué l’officier en Allemagne, le régent aux Pays-Bas, le gentleman en Grande Bretagne, le yankee aux Etats-Unis, le "sans-culottes" en France…



LE GENTLEMAN ANGLAIS


Au XIX° siècle, H. Taine distinguait encore les gentlemen et les noblemen. Aujourd’hui, toujours, il existe une famille royale et des maisons ducales. La classe des gentlemen n’est donc pas le ‘top’ de la société anglaise, elle est néanmoins devenue la classe dominante. Tout le monde s’accorde pour dire que sa formation résulte du processus de mobilité sociale, l’enrichissement de l’Angleterre générait à chaque scansion de la croissance une nouvelle couche bourgeoise qui s’agrégeait à l’aristocratie par l’achat de domaines : "Accéder à la propriété d’un domaine a toujours été le meilleur moyen pour être reconnu comme un gentleman" (Bédarida). Mais cette base matérielle devait s’afficher derrière un "paraître". Outre le dédain des activités manuelles, il fallait posséder les qualités à développer via les fameux trois "R" : Retenue, Raffinement, Religion (anglicane of course). Bref, il faut avoir "la classe". Le terme de gentleman est indiscutablement connoté positivement aujourd’hui. Et si l’on reste confiné aux relations sociales raffinées entre individus, il n’est interdit à personne de tâcher à le devenir, mais ce qui nous importe, ici, c’est le rôle des Gentlemen dans la vie politique, militaire, impériale du Royaume-Uni.

Les Anglais ont - un peu comme les Américains - réussi à se donner une image mondiale, c’est le pays des gentlemen. Mais l’élégance du comportement, du langage est une chose, l’action politique en est une autre. Et là, nous sommes en présence d’une authentique supercherie, d’ampleur planétaire.

Mme Thatcher, grande amie d’Augusto Pinochet, qui laissa mourir en prison Bobby Sands et ses compatriotes irlandais, déclara un jour qu’il faudrait mettre en place "un tribunal de Nuremberg pour les crimes du communisme". Soit. En Occident, la puissance de frappe des médias - dont les amis de Mme Thatcher sont propriétaires - est telle que ce procès se tient en permanence et les "magistrats" ne sont pas prêts de quitter le parquet. En revanche, il faudrait ouvrir le procès de Nuremberg des crimes de l’impérialisme britannique. Ce dernier est le fruit consubstantiel des révolutions anglaises et l’œuvre de grands gentlemen…

 

Comment devient-on Gentleman ?    

 

Présentant un tableau de l’Angleterre après la réforme électorale de 1832, l’historien F. Bédarida écrit que,

"tout comme au XVIII° siècle, l’Angleterre après 1832 continue d’être un pays dirigé par une oligarchie : la noblesse terrienne"[1]. Et il poursuit "Traditionnellement la propriété foncière est la source première de la fortune et du prestige. La possession du sol confère dignité et autorité. Accéder à la propriété d’un domaine a toujours été le meilleur moyen pour être reconnu comme un gentleman. (…).  Ce sont donc les maîtres-de la vieille Angleterre rurale qui continuent de dominer, entourés de la déférence de ceux qui accordent à leurs supérieurs (on dit alors "their betters") le respect dû au rang et au titre".

C’est à se demander à quoi ont servi les révolutions antérieures ? Question que ne se pose pas notre lecteur attentif. Il y a lurette que l’aristocratie britannique développe l’esprit du capitalisme. L’historien H. Grimal peut répéter après bien d’autres :

"Ces hommes, plus clairvoyants que ne le disaient leurs adversaires, avaient déjà suffisamment diversifié leurs avoirs et effectué des investissements dans des activités multiples, non seulement pour être protégés contre le changement, mais pour tirer un bénéfice du développement économique. Le fossé entre 1'aristocratie et la gentry d'une part et la Upper-middle classe manufacturière d'autre part, se comblait. Un réseau de liens familiaux et financier se tissait entre elles ; ensemble elles prenaient part aux entreprises industrielles et commerciales. La croissance urbaine valorisait la terre des Landlords aux abords des cités ; ils engageaient leurs capitaux dans les chemins de fer, les voies d'eau ou l'exploitation des ressources minières de leurs domaines".

Pour toutes ces raisons, auxquelles il faut ajouter le facteur religieux, la révolution anglaise a été incomplète : une certaine légitimité hétéronome est restée ANGLETERRE : Vivent DIEU et le ROI ! et a été reconnue aux aristocrates et au premier d’entre eux : le roi. C’est donc dans le cadre de cette structure sociale que l’Angleterre forge l’identité du gentleman.

 

SNOBISME ET MYTHE DU GENTLEMAN

 

''Le snobisme anglais s’était déjà attelé à la tâche bienfaisante (Trevelyan évoque le XII° siècle), qu’il a poursuivie à travers les siècles, de répandre dans le peuple la culture de la classe supérieure. Sous le règne d’Édouard III (1327-1377) encore, un chroniqueur nous dit que ''les roturiers se mettent au rang des gentilshommes et font de grands efforts pour parler français ou pour en avoir la réputation''[2]. L’origine du mot ''snob'' semble être la suivante : ''Les registres de la très huppée Université de Cambridge étaient tenus en latin. En face du nom des élèves plus pourvus d'argent que d'ancêtres, on notait discrètement S.Nob, Sine Nobilitate, lu ''snob'' ! ''.

Trevelyan pointe un aspect caractéristique de la société anglaise. Hiérarchie et mimétisme. Dans cette société très hiérarchisée, chaque classe essaie d’imiter la classe supérieure et méprise peu ou prou la classe inférieure. C’est le snobisme. Chauviré l’avait déjà noté pour la période élisabéthaine :

''Cette société élisabéthaine, il faut nous la figurer comme une bousculade épaisse où chacun, assez populacièrement, joue des coudes, centré sur la conquête de tout ce que procurent les biens matériels, luxe, pouvoir, prestige, somme toute un monde enivré de lui-même et, comme il arrive aux parvenus, fort snob''.

Ce n’est pas le libéralisme de l’école économique anglaise qui va modifier les comportements.

Notons que le snobisme est le fait de classes parvenues. Il ne viendrait pas à l’idée d’un être ''bien né'', d’un ''nobleman'', de mépriser ses ''inférieurs''. Ce sont, au contraire, les classes qui pensent être arrivées à un certain niveau social qui veulent se détacher de leur milieu d’origine en le ''snobant''.

''Le désir secret, l’espoir intime de tout Anglais de la classe moyenne est d’être pris pour un gentleman'', relève Pasquet.[3]

En France, à l’inverse, on a rêvé longtemps de mettre les aristocrates ''à la lanterne''. Rendons grâce à la Révolution française et à ses suites de nous avoir évité cet aplatissement antirépublicain[4]. Mais nous sommes en Angleterre, où les révolutions ont sans cesse renforcé l’aristocratie tant au plan quantitatif par intégration de la bourgeoisie d’affaires, qu’au plan qualitatif par la multiplication de ses implications dans la vie économique, dans le business.

En lisant Hobbes, on peut relever une convergence : d’abord, du bas vers le haut :

''Les richesses sont honorables pour la puissance qu’elles confèrent. La pauvreté n’est pas honorable. (…). Prier quelqu’un pour qu’il nous accorde une aide quelconque, c’est l’ HONORER parce que c’est le signe que nous pensons qu’il a la puissance de nous aider (…)'' et encore ''faire d’importants cadeaux à quelqu’un, c’est l’honorer car c’est acheter sa protection et reconnaître sa puissance''.

puis du haut vers le bas :

''Se montrer avec ostentation, autrement dit se faire connaître par son opulence, sa fonction, ses grandes actions ou par un service éminent est honorable car c'est une marque de la puissance par laquelle on est en vue. Au contraire, rester dans l’obscurité n'est pas honorable''.

 

Au total, le Gentleman sort de plusieurs moules :

 

-Celui du business, et de la fortune, faute de quoi on ne pourra accéder à la propriété foncière. J. Locke qui était dans les affaires aussi à l’aise que dans sa bibliothèque s’intéressait à ce ferment social - la middle class- déjà vigoureux en ce XVII° siècle qui fut pour l’Angleterre celui des ''révolutions'' : ''je me propose de former des gentlemen qui soient en mesure de mener leurs affaires avec intelligence et profit '. Mot clé.

-celui de l’anticommunisme. Le 38° article des célébrissimes Thirty-Nine Articles of Religion a fait entrer dans la common law l’anticommunisme. Le Test Act de 1672 rendait obligatoire leur acceptation pour devenir fonctionnaire de sa majesté. Exigence annulée en 1824 mais le pli a été pris. John Wesley, fondateur du méthodisme, a repris beaucoup de points des 39 articles dont le 38° qui est le n°24 dans ses Articles of Religion (1784).

Article XXIV—Of Christian Men's Goods

The riches and goods of Christians are not common as touching the right, title, and possession of the same, as some do falsely boast. Notwithstanding, every man ought, of such things as he possesses, liberally to give alms to the poor, according to his ability.

Certes, le méthodisme n’est qu’une branche du protestantisme mais cette disposition montre à quel point le refus de la communauté des biens est ancré dans la mentalité anglo-saxonne, anglicanisme et méthodisme étant vite transplantés aux colonies qui deviendront Etats-Unis d’Amérique. Tout cela explique les discours sur "l’empire du Mal", les chasses aux sorcières, …

-celui de la religion. "Tout homme qui a la prétention d'être un gentleman, toute femme qui a la prétention d'être une lady doit fréquenter, sinon l'église anglicane, tout au moins une chapelle non-conformiste quelconque''. C’est ainsi que ''la religion est devenue en Angleterre une question de classe. Elle fait partie de la définition du gentleman'' (Pasquet cité par Lesourd). Pasquet nous dit le rôle social de la fréquentation religieuse : ''La parade qui suit la sortie des offices est pour les dames un motif plus puissant que tous les versets de l’Évangile ' avait-il observé.

-celui du Restraint : J’ai déjà cité cette observation de Gustave Le Bon qui avait noté cette phrase d’un éducateur anglais qui, parlant de ses élèves, avait dit ''Je tâche de couler du fer dans l'âme des enfants''. Mais il y a mieux

"Après Darwin, (mais aussi après Dilke, sans doute, JPR) il fut normal, voire intelligent, de balayer les génocides par un haussement d'épaules. Si l'on montrait son indignation, on témoignait seulement de son manque d'éducation. Seuls protestaient les vieux barbons qui n'avaient pas réussi à suivre les progrès des sciences naturelles. (…). W. Winwood Reade, membre de la Geographical Society et de l'Anthropological Society à Londres, et correspondant de la Société de géologie à Paris, termine son livre Savage Africa (1864) en prédisant l'avenir de la race noire. Il affirme que l'Afrique sera partagée entre l'Angleterre et la France. Sous l'autorité européenne, les Africains vont assécher les marais et irriguer les déserts. Ce sera une tâche difficile, et les Africains disparaîtront probablement. « II nous faut apprendre à considérer ce résultat avec sang-froid, il illustre la loi bienfaisante de la nature, qui statue que le faible doit être éliminé par le fort "[5].

-enfin, le Gentleman sort du moule qui lui aura appris le refinement. L’éventail de la compréhension du concept est très ouvert. Observons les gentlemen à l’ouvrage dans la construction du British empire. L’armée de sa Majesté avec à sa tête les gentlemen en veste rouge et pantalon blanc au pli impeccable va soumettre les races inférieures avec raffinement.

 

LES GENTLEMEN AUX COLONIES

 

Le masque du gentleman concourt à l’édification du mythe de la distinction de la société britannique, de son raffinement. Derrière cela malheureusement se dissimule la violence d’une classe qui refuse le partage de sa domination sur le monde.

Les gentlemen à l’œuvre : une activité déjà ancienne

Je ne vais pas rappeler les massacres en Irlande et en Écosse. Les premiers qui les ont ordonnés et pratiqués de leur main remontent à l’époque élisabéthaine et je ne pense pas qu’ils méritent le titre de gentlemen (même s’ils en sont les ancêtres). En effet, ils leur manque un ''R'', celui de Restraint, les élisabéthains manquent de retenue, trop voyants, trop expansifs, trop bling bling, déjà. Quant aux massacres génocidaires cromwelliens, ils sont commis par des puritains à qui il manque un autre ''R'' celui de Refinement, Cromwell est souvent outrageusement vulgaire. Il faut attendre la Glorieuse révolution pour qu’Albion produise de vrais gentlemen.

Notons au passage que les Anglais, en bonne extirpating race comme dit le baronet Dilke, ont concrètement éliminé la civilisation de l’Irlande gaélique et celle de l’Écosse celtique. Au XVIIIème siècle deux nouveaux théâtres militaires s’offrent aux Gentlemen : les Treize colonies d’Amérique et l’Inde.

Au XVIII° siècle

En Amérique

Je parlerai plus longuement du comportement des Anglais à l’égard des Indiens du Nouveau Monde dans le chapitre consacré à la révolution d’Indépendance des Etats-Unis. Je citerai simplement ce cas : la guerre dite de Pontiac (1763) est marquée par un crime de guerre. Les lettres échangées entre Lord Amherst, officier général de l’armée coloniale anglaise, et son adjoint, le colonel Henri Bouquet sont accablantes :

"You will do well to try to inoculate the Indians by means of blankets, as well as every method that can serve to extirpate this execrable race"[6].

Il s’agit de couvertures infectées par le virus de la variole (smallpox en anglais). Dans une autre lettre datée du 9 juillet 1763, Amherst parle des ''Measures to be taken as would Bring about the Total Extirpation of those Indian Nations'' [7] il parle ailleurs (lettre du 7 août) de ''their Total Extirpation'' ce qui n’exige pas de traduction. On a reconnu le mot cher à Dilke.

 

Aux Indes

Il y aurait beaucoup à dire sur le Major-général Robert Clive (1725-1774), 1er baron Clive de Plassey, pair d'Irlande, gouverneur du Bengale. C’est le grand conquistador anglais de l’Inde. Ainsi combat-il une armée hollandaise sur le territoire de l’Inde alors même que l’état de guerre n’a pas été déclaré entre les deux pays. Il remporte la victoire de Plassey - considérée comme le point de départ de l’empire anglais des Indes - pour avoir soudoyer un adversaire dont les troupes passèrent de son côté lors de la bataille. De cet adversaire - devenu de facto son vassal - il fait le souverain du Bengale. En échange de quoi, il exige et obtient un dédommagement de 234.000 £ payées en liquide, un titre de noblesse Moghol et un domaine qui lui rapporte une rente annuelle de 30.000 £. A titre de comparaison Sir C. Campbell (1863) pour service rendu à la Couronne fut élevé au pairage ''and granted a generous pension of £ 2,000 a year''.

Cette conduite ouvrit la porte à une corruption généralisée que Clive lui-même dut ultérieurement tenter de limiter. De surcroît, il obtint l’exemption d’impôts pour tout le commerce de la Compagnie des Indes et pour les échanges privés entre membres de la Compagnie. Véritables détenteurs de la souveraineté interne du Bengale, les Anglais se mirent à travailler pour leur propre compte vivant en parasites sur le dos de la colonie. Cela lui valut un long procès à son retour en Angleterre. Ayant à rendre compte de son immense fortune, il déclara avoir repoussé bien des tentations de corruption ''Par Dieu, je suis moi-même surpris par ma propre modération !'' Mais comment sanctionner celui qui a créé les fondements de l’Empire anglais des Indes ? Celui que W. Pitt appela ''a heaven-born general'' ? Un général par la grâce du Ciel ? En 1773, le Parlement décréta qu’il avait bien mérité de la patrie [8].

Son successeur Warren Hastings, fut entendu également par la chambre des Lords, accusé de malversations, corruption, d’injustice et de tyrannie à l’égard des princes hindous. Acquitté. Warren Hastings était administrateur au Bengale quant se propagea une famine désastreuse où les Anglais ont quelque responsabilité liée à leur fiscalité tyrannique qui leur faisait prélever semences et bétail chez les paysans insolvables. En 1772, il rapporte :

''Malgré la mort d'au moins un tiers des habitants de cette province, et malgré la diminution des cultures qui en est résultée, la recette nette de l'année 1771 a dépassé même celle de 1768... On pouvait naturellement s'attendre à ce que la diminution des rentrées allât de pair avec les autres conséquences d'une telle calamité. Qu'il n'en ait rien été est dû au fait qu'elles ont été maintenues par la violence à leur niveau antérieur'' [9].

Au XIX° siècle

Le théâtre des opérations coloniales britanniques s’élargit. Si les Anglais laissent à d’autres Anglo-saxons - les Américains - le soin ''d’extirper'' les Peaux-Rouges, ils sévissent toujours en Inde et maintenant en Afrique.

En Inde

La torture

La torture a été un mode d’administration de l’Inde par les Anglais. Il est dit que les Indiens la pratiquaient avant l’arrivée du colonisateur. Mais les Anglais affirmaient apporter la modernité occidentale dans ce pays-continent. C’est sans doute leur goût pour la tradition qui leur fait perpétuer ces méthodes. Les abus furent tellement criants que Westminster institua la Commission d’enquête de Madras sur la torture en Inde (1855). Un Livre Bleu (Blue Books) a été présenté à la Chambre des Communes qui en débattit avant même qu’éclate le Révolte des Cipayes. Je n’en extrais qu’un court témoignage [10].

La récolte ayant été très mauvaise du fait de l’insuffisance de la Mousson, les paysans ne purent payer les impôts exigés. Leur refus tourna à la jacquerie. Leurs pétitions furent méprisées :

''Still we got no justice. In the month of September, a notice was served upon us, and twenty-five days after, our property was distrained, and afterward sold. Besides what I have mentioned, our women were also ill-treated; the kittee was put upon their breasts [11]."  

Marx écrivit un article célèbre sur ce point qui parut dans le New-York Daily Tribune du 17 septembre 1857 [12].

 

Les Cipayes[13]

''"Good bag to-day ; polished off rebels", it being borne in mind that the "rebels" thus hanged or blown from guns were not taken in arms, but villagers apprehended "on suspicion"''. Ce texte de C.W. Dilke, baronet, MP, est la meilleure source trouvée pour confirmer cette incroyable méthode de mise à mort de l’ennemi : l’exécution par la bouche du canon. ''Blown from guns''[14] c’est-à-dire littéralement ''soufflés'', ''volatilisés'' comme une maison par une explosion, dispersés, éparpillés par le boulet du canon (gun) qui passe au travers du corps de la victime attachée à l’extrémité du fût. A partir de là, on peut suivre les propos de Jules Verne :

''Dix canons furent rangés sur le champ de manœuvres, un prisonnier attaché à chacune de leurs bouches, et, cinq fois, les dix canons firent feu, en couvrant la plaine de débris informes, au milieu d’une atmosphère empestée par la chair brûlée. Telle fut cette première et horrible exécution, qui devait être suivie de tant d’autres. (…). Voici, d’ailleurs, l’ordre du jour qu’à cette date même, à Lahore, le brigadier Chamberlain portait à la connaissance des troupes natives, après l’exécution de deux Cipayes du 55e régiment : ''Vous venez de voir attacher vivants à la bouche des canons et mettre en pièces deux de vos camarades ; ce châtiment sera celui de tous les traîtres. Votre conscience vous dira les peines qu’ils subiront dans l’autre monde''.

Mais ce Chamberlain respecte son statut de gentleman :

''Les deux soldats ont été mis à mort par le canon et non par la potence, parce que j’ai désiré leur éviter la souillure de l’attouchement du bourreau et prouver ainsi que le gouvernement, même en ces jours de crise, ne veut rien faire qui puisse porter la moindre atteinte à vos préjugés de religion et de caste''.

Humour britannique, peut-être ; plus sûrement expression du raffinement du gentleman. Le récit continue :

''Le 30 juillet, douze cent trente-sept prisonniers tombaient successivement devant le peloton d’exécution, et cinquante autres n’échappaient au dernier supplice que pour mourir de faim et d’étouffement dans la prison où on les avait renfermés''[15].

En Afrique

Les Anglais ont conquis ce qui s’appelle aujourd’hui le Ghana aux dépens du peuple Ashanti. C’est contre lui que les colonialistes utilisèrent pour la première fois (1874) les mitrailleuses Maxim qui tiraient onze coups à la seconde… C’est Lord Garnet-Wolseley, qui commandait les troupes britanniques lors de la première guerre contre les Ashanti, en 1874-1876, qui eut l’honneur de mettre en œuvre cette innovation. Il rencontra quelque résistance et y prit réellement plaisir. ''C'est seulement par l'expérience de la sensation que nous apprenons quelle joie intense et captivante, et ce, même à l'avance, peut apporter l'attaque de l'ennemi... Toutes les autres sensations ne sont que le tintement d'une sonnette comparé au vacarme de Big-Ben''[16]. Il réussit sa campagne en un tour de main, ce qui lui valut des honneurs extraordinaires à son retour. Félicitations des deux chambres du Parlement, 25.000 £ de rente, citoyen d’honneur de la ville libre de Londres, docteur honoris causa des universités d’Oxford et de Cambridge…Il laisse même un adage "everything's all Sir Garnet" ce qui signifie à peu près « tout est en ordre, tout est en règle ». Évidemment, onze coups à la seconde…

La deuxième guerre contre les Ashanti, en 1896, n'offrit aucune occasion d'expériences semblables. A deux jours de marche de la capitale Koumassi, Robert Baden-Powell, le futur fondateur du scoutisme, qui commandait l'avant-garde, reçut un émissaire qui proposa une reddition sans condition. A son grand dépit, Baden-Powell ne put tirer un seul coup de feu sur les indigènes. Pour déclencher les hostilités, les Britanniques allèrent jusqu’à des provocations extrêmes. Le roi des Ashanti fut arrêté avec sa mère ; on les obligea à ramper à quatre pattes jusqu'aux officiers britanniques qui, assis sur des boîtes de biscuits, reçurent leur capitulation. Toute la presse illustrée londonienne publia les images de la cérémonie de capitulation à Koumassi. ''Ces dessins sont l'expression d'une arrogance raciste qui ne recule pas devant la plus extrême humiliation de l'ennemi'' écrit Lindqvist[17].

Ces gentlemen ne se comporteraient jamais de la sorte en Angleterre. K. Marx écrit à ce sujet :

''L'hypocrisie profonde et la barbarie inhérente à la civilisation bourgeoise s'étalent sans voile devant nos yeux lorsqu'elle passe de son foyer natal, où elle assume des formes respectables, aux colonies où elle se présente sans voile''[18].

Mais, en 1863, l’Anthropological society, nettement raciste dit Lindqvist, avait organisé sa première conférence sur le thème ''on the Negro’s Place in Nature'' où fut mis l’accent sur le lien étroit entre le nègre et le singe…[19]

La noblesse de Lord Kitchener

Au retour de sa campagne du Soudan, Lord Kitchener déclara haut et fort que sa victoire avait ouvert la vallée du Nil sur toute sa longueur « aux influences civilisatrices de l’entreprise commerciale ». Rien n’est plus en phase avec les autres périodes d’expansion qui ont provoqué les révolutions d’Angleterre. Kitchener va se conduire en gentleman au Soudan et en Afrique du sud.

Le baron Kitchener of Khartoum

Résultat de recherche d'images pour " Omdurman,  illustrations"A Omdurman[20], en 1898, la plus forte résistance militaire africaine fut écrasée, exterminée. Lord Kitchener et ses officiers « impeccables dans leurs uniformes blancs » avec 26.000 soldats y testèrent pour la première fois l’arsenal européen complet - canonnière, mitrailleuse ''Maxim'', fusils à répétition et balles dum-dum[21] - contre un ennemi supérieur en nombre - 52000 h. -et très résolu, les Mahdistes du calife Abdullah al-Taashi, mais qui commit une sous-estimation fatale de l'efficacité de l'armement moderne. Winston Churchill -que S. Lindqvist présente comme l'un des peintres de la guerre ''les plus guillerets''- (sic), était correspondant de guerre pour The Morning Post. Il a décrit la bataille dans plusieurs ouvrages.

Récit du 2 septembre 1898 (extraits) :

''…Les fantassins tiraient régulièrement et impassiblement, sans hâte ni excitation, car l'ennemi était loin. Mais, bien vite, cet acte purement mécanique devint monotone. Les fusils devinrent chauds - si chauds qu'il fallut les changer pour ceux des compagnies de réserve. Les mitrailleuses Maxim épuisèrent toute l'eau contenue dans leurs manchons...Les douilles vides tombaient en tintant sur le sol et formèrent bientôt un tas sans cesse croissant à côté de chaque homme. Et durant tout ce temps, sur la plaine, les balles fendaient les chairs, brisaient les os en éclats ; le sang giclait de blessures terribles ; des hommes vaillants avançaient dans un enfer de métal sifflant, d'explosions d'obus et de nuées de poussière - ils souffraient, perdaient espoir et mouraient. La grande armée des derviches, poursuivie par le 21° lanciers, laissait derrière elle plus de neuf mille morts et davantage encore de blessés. (…). Ainsi s'acheva la bataille d’Omdourman - la plus éclatante victoire jamais remportée sur les barbares par les armes de la science. En cinq heures, la plus forte armée de sauvages jamais dressée contre une puissance européenne moderne avait été détruite et dispersée, sans guère de difficultés, avec, en comparaison, peu de risques et des pertes insignifiantes pour les vainqueurs''.

Le bilan est, en effet, impressionnant. Du côté colonialiste, on dénombre 45 ou 48 morts, selon les sources, 350 blessés. Du côté soudanais, il y eut de 9700 à 11000 morts directs en une seule journée répétons-le (d’où la ''chaleur'' des fusils !) mais, écrit Lindqvist, ''personne ne s’interrogea sur le fait que quasiment aucun des seize mille Soudanais blessés n'ait survécu'' et il ajoute en note, ''l’exécution des blessés fut défendue (''justifiée'' eût été une meilleure traduction, JPR) dans the Saturday Review, des 3 et 10 septembre 1898''.

Churchill est admiratif :

''Jamais l'on ne verra rien d'équivalent à la bataille d’Omdourman. Ce fut le dernier maillon de la longue chaîne de ces conflits spectaculaires dont la splendeur frappante et majestueuse (sic) a tant fait pour conférer de l'éclat à la guerre'' et encore ''cette sorte de guerre était pleine de frissons fascinants. (…). Personne ne s'attendait à être tué... Pour le plus grand nombre de ceux qui prirent part à ces petites guerres d'Angleterre, dans ces temps légers et disparus, il n'y avait que le côté sportif d'un jeu splendide''…''Ce n'était pas comme la Grande Guerre'' écrit-il en 1930.

Évidemment, en 1914-1918, les Anglais eurent en face d’eux un ennemi qui combattait à armes égales… Le côté sportif des massacres coloniaux avait disparu. Après un retour absolument triomphal, une réception par la reine Victoria en personne, Kitchener fut promu baron de Khartoum et d’Aspall. Mais il allait gagner un titre encore plus glorieux.

 

Le vicomte Kitchener of the Vaal

Tenu de pacifier le pays rapidement, il comprend que pour réduire l'autonomie des commandos boers - qui mènent une guerre de ''partisans'' comme dira Carl Schmitt - il faut éradiquer leur source d'approvisionnement ; leur mobilité dépend en effet de leur capacité à se fournir sur le terrain. C'est dans ce but que Kitchener instaure la politique de la terre brûlée, à l'exemple de nombreux de ses prédécesseurs dans l'histoire britannique– scorched earth tactics –. Le principe en est simple : on brûle ou on fait sauter les fermes, on détruit les récoltes, on emmène ou on tue le bétail et on ''reconcentre'' la population civile dans des camps. C'est là que débute ''le traumatisme boer'' nous dit Teulié dont j’exploite les travaux[22]. 


''Mme Roos, une anglaise quinquagénaire épouse d'un Boer, explique que ''le dimanche 4 août 1901, les Anglais sont arrivés sur leur ferme et leur ont donné une demi-heure pour prendre leurs affaires afin d'être conduits au camp (consentration -sic- camp) de Heilbron''. Entassés dans des chariots dans lesquels il n'y avait pas de place ils virent leur fermes brûler en s'éloignant, puis: ''As far as we went with the convoy, the Khakies burnt, and destroyed everything that came in their way. They killed all the poultry, pigs etc. and even caught the poor pet cats and dogs, and threw them alive, into the glaring flames. The Tommies dragged us from farm, to farm for five days to collect the women, and burn their homes. I assure you, it was most pitiful to see such destruction, and misery. The weeping and supplications of the poor mothers was heartrending to behold''''.

Et aussi :

''G. Landman, héros de la guerre des Boers, qui combattit à côté du général Ch. Beyers à Colenso, à Spioen Kop, à Nooitgedacht, tuant parfois tellement de Kakis en un seul jour que les cadavres étaient empilés par cinq sur un champ de bataille de dix kilomètres sur douze, Gabriel, dont la femme et l'enfant - ''ma mère, ma sœur''- furent assassinées dans un camp de concentration par les Anglais qui mirent du verre pilé dans leur soupe''[23].

Du verre pilé dans la soupe des camps de concentration…''Toutes les valeurs reconnues comme faisant partie de la civilisation occidentale semblent avoir été bafouées par les Anglais d'après les récits des déportés qui sont parvenus jusqu'à nous'', écrit timidement Teulié.

Le point de vue Boer-Afrikaner est donné par W.J. de Kock (U. du Cap) :

''Face à l’extermination, les républiques boers durent se résigner à la défaite. Le coût de la guerre fut élevé. La quasi-totalité des fermes étaient en ruine. 26.000 femmes et enfants boers étaient morts de maladies épidémiques dans des ''camps de réfugiés'' où on les avait entassés après avoir détruit leurs fermes. ( …). La politique implacable de la terre brulée, appliquée par l’armée britannique pendant les deux dernières années de la guerre, avait détruit non seulement les foyers boers et les récoltes mais aussi le bétail et même les volailles''[24].

Tous ces forfaits ont été accomplis par les gentlemen ou par leurs exécuteurs de basses œuvres. Mais ces deux sortes d’individus s’entendent comme larrons en foire. Dès cette époque, on voit à l’œuvre, ainsi que l’écrit H. Arendt pour l’impérialisme du XIX° siècle,

''le parfait gentilhomme et la parfaite canaille (qui) finissaient par bien se connaître dans la ‘grande jungle sauvage et sans loi’ et (qui) s’y trouvaient bien assortis dans leur immense dissemblance ; âmes identiques sous des masques différents''[25].

Il n’est pas sans intérêt de noter que Kitchener fera des émules. Lors de la guerre des Philippines menées par les Américains pour s’emparer de l’archipel (1899-1903), estimant que le conflit a assez duré, on passera à l’ordre du jour suivant : ''Will Show No Mercy ! Kitchener Plan Adopted ! ''.

 

 

L’hagiographie de l’Angleterre ne date pas d’hier. Elle est toujours actuelle même si des évènements récents (je pense à la guerre d’Irak déclenchée à partir d’un mensonge d’État, où des tortures furent infligées à des Irakiens par des soldats anglais) écornent vivement cette image. Voici par exemple, l’éditorial d’une revue française, éditorial titré "Torture : l’Angleterre à part"[26]. Tout n’est-il pas dit ? Pas exactement car l’auteur, spécialiste du Moyen-âge précise, in fine, que "La question est de savoir pourquoi l'Angleterre médiévale crut pouvoir se passer de la torture, alors que le continent l'estimait un auxiliaire indispensable (…)". Mais les "éléments de réponse" qu’il avance engagent l’Angleterre sur la durée : "Sourde résistance du peuple anglo-normand, dans le prolongement de la Grande charte. Contrôle jugé suffisant de la criminalité par les moyens ordinaires. Absence des grandes hérésies et du même coup absence des tribunaux d'inquisition. Conscience de la spécificité anglaise". Spécificité anglaise ! comme dit A. Blair "The British are special". J’ai dit le supplice des moines chartreux sous Henri VIII, Les TUDOR : Henri VIII. En 2006, le journal Le Monde rendait compte de l’exhumation par The Guardian de photos et documents prouvant que "des soldats anglais (avaient) torturé en Allemagne"[27]. Cela se passa en 1947 dans le camp d’internement Bad Neendorf. Tortures pratiquées sur qui ? des nazis ? non pas, mais "sur des Allemands soupçonnés de sympathies … communistes". "372 hommes et 44 femmes seront victimes de tortures infligées au moyen d’instruments récupérés dans une prison de la gestapo à Hambourg (…)".

 



[1] L’Angleterre triomphante, 1832-1914, Hatier université, Paris, 1974, page 15.

[2] TREVELYAN (Cambridge), Précis d’histoire…, page 120.

[3] Dans sa thèse sur ''les ouvriers de Londres'' (1913), citée par J.A. LESOURD, auteur d’une thèse sur « Les catholiques dans la société anglaise 1765-1865 », 2 tomes, 1978, CNRS.

[4] Mais nous avons eu, nous aussi, des exemples d’à-plat-ventrisme contre-révolutionnaire : lire J. Gazave, "La terre ne ment pas", pages 68, 145, 148, 149. Son livre est dédié, entre autres, "au marquis de Pomairols dont l‘action, l’influence et la vie accroissent noblement un patrimoine de cinq siècles de services civiques, de valeur militaire, de renom littéraire et d’honneur paysan ". Fermez le ban ! Livre écrit et publié en 1941. Gazave était membre de l’Action française et pétainiste, cela ne surprendra personne.

[5] S. LINDQVIST, p.173. C’est moi qui souligne.

[6] "Vous feriez bien d'essayer d'infecter les Indiens avec des couvertures, ou par toute autre méthode visant à extirper cette race exécrable".

[7] Lettre à Sir William Johnson, chef du département des affaires indiennes du Nord. « Les mesures à prendre qui conduiraient à l’extirpation totale de ces nations indiennes ». 

[8] Ce paragraphe doit beaucoup à l’article de l’Encyclopaedia Britannica, 15° édition, dont les informations concordent avec d’autres sources. Sauf l’Encyclopaedia Universalis qui dit carrément ''(Clive) laisse la réputation d’un homme (…) particulièrement intègre''.

[9] Cité par R. PALME DUTT, L’Inde, aujourd’hui et demain, page 60.

[11] Le kittee était un instrument de torture d’utilisation régulière en Inde. Il présentait quelque ressemblance avec la vis moletée si courante, fut un temps, en Angleterre et en Écosse. En bois et ressemblant un peu à une sorte de presse-citrons ménager, on serrait entre ses deux pièces de bois les parties les plus sensibles du corps de la victime : les mains, les pieds, les oreilles, le nez, les seins des femmes ou les parties génitales d’un homme. Chaque tour de vis écrasait toujours plus la partie torturée jusqu’à ce que la victime ne puisse plus supporter son agonie ou, ce qui était plus fréquent, s’évanouissait sous la douleur. L’usage du kittee provoquait une incapacité permanente. Il y avait une variante : l’engin de torture était constitué de deux pièces de bois, entre lesquelles on posait une main ou un pied du prisonnier, et le bourreau se positionnait sur la planche supérieure ou alors on y posait des poids lourds et on laissait la victime souffrir pendant des heures. Extrait de “History of Torture throughout the Ages” par George Ryley Scott, 1951, réédition de 2003, Kessinger Publishing. En ligne.

[12] https://www.marxists.org/archive/marx/works/1857/09/17.htm

[13] Lire l’article de William DALRYMPLE, la révolte des cipayes, Monde diplomatique, août 2007.

[14] C.W. DILKE, Greater Britain, 1869, page 447. Le peintre russe Vassili Verechtchagino en a fait une reproduction (1887) visible sur le net. Lire aussi « Il y a cent cinquante ans, la révolte des cipayes » par William Dalrymple. Monde diplomatique, août 2007.

[15] Jules VERNE, La maison à vapeur, pp. 39-42.

[16] S. LINDQVIST, page 85.

[17] S. LINDQVIST évoque à ce propos le livre de Joseph Conrad. ''Dans Au cœur des ténèbres, Harlequin décrit comment les indigènes s'approchaient de leur idole, Kurtz, en rampant à quatre pattes. Marlow réagit violemment. Il recule en criant qu'il ne veut pas entendre parler de cérémonies pareilles. La pensée de chefs en train de ramper lui semble encore plus insupportable que la vision de têtes humaines en train de sécher sur des pieux autour de la maison de Kurtz''.

[18] Extrait d’un article paru dans le New York Daily Tribune, 8 août 1853. Cela est vrai pour le XIX° siècle. Nous avons vu, précédemment, comment les Anglais réussirent à soumettre les civilisations irlandaise et écossaise. 

[19] Et cela un siècle après les travaux de Buffon qui affirmait le contraire, la solution de continuité entre l’homme (blanc, noir, …) et le singe, sans chaînon manquant. Et d’aucuns traitent Buffon de raciste…

[20] Rive gauche du Nil, aujourd’hui un quartier de Khartoum.

[21] La balle dum-dum tire son nom de l'usine de Dumdum, près de Calcutta, où elle fut inventée et brevetée en 1897. L'ogive cisaillée en croix de la balle cause des blessures particulièrement graves, qui guérissent très mal. L'utilisation de la balle dum-dum fut prohibée entre Etats ''civilisés'' par la première Conférence internationale de la paix de La Haye en 1899. Ces munitions furent réservées pour la chasse au gros gibier et les guerres coloniales. La balle dum-dum fut donc utilisée en 1898 à Omdurman. Concernant la mitrailleuse Maxim, l’encyclopédie Wikipédia semble bien renseignée. Je vous y renvoie.

[22] G.TEULIE, Les Afrikaners et la guerre anglo-boer (1899-1902), univ. P.Valéry, Montpellier, 2000, 496 p.

[23] André Brink (U. du Cap), Afrikaner, combattant l’apartheid, ''un acte de terreur'', cité par TEULIE.

[24]Histoire de l’Afrique du sud, Pretoria, 1972, page 20. Livre écrit après la sortie du Commonwealth et la création de la république d’Afrique du sud.

[25] H. ARENDT, L’Impérialisme, page 119.

[26] L'Histoire N°67 Mai 1984, éditorial signé Philippe Contamine, professeur à l'université de Paris X-Nanterre.

[27] Titre de l’article de J.-P. Langellier paru dans l’édition du 9 avril 2006.


2. Le Régent aux Pays-Bas

publié le 10 sept. 2017, 06:22 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 3 janv. 2019, 07:02 ]

Les Temps modernes commencent au XV° siècle avec l’imprimerie, les Grandes découvertes – dont celle de 1492 – la victoire des Turcs à Constantinople qui achèvent la disparition de l’empire romain, l’expulsion des Maures d’Espagne… S’ouvre alors une période exceptionnelle de l’histoire occidentale : le XVI° siècle qui "fut le plus grand bouleversement progressiste que l’humanité eût jamais connu, une époque qui avait besoin de géants et qui engendra des géants ; géants de la pensée, de la passion et du caractère, géants d’universalité et d’érudition" pour reprendre cette formule épique de F. Engels. C’est en effet l’arrivée des métaux précieux d’Amérique, l’expansion des transports et des échanges, la Renaissance et la Réforme religieuse, ce sont aussi des révolutions nationales, en Allemagne, aux Provinces-Unies, en Angleterre, puis des révolutions libérales, le tout s’achevant par l’indépendance des  colonies anglaises d’Amérique et, fruit des Lumières, par la Révolution française, la Grande révolution. Le site présente de multiples facettes de ces grands évènements nationaux. Et, comme ce sont les hommes qui font l’Histoire, je me propose maintenant de présenter la figure-type qui incarne cette période. Dans chaque pays, apparaît un type de personnages qui caractérise cette période et son propre pays. Non sans quelque arbitraire –d’autres types de personnages auraient pu être élus – j’ai distingué l’officier en Allemagne, le régent aux Pays-Bas, le gentleman en Grande Bretagne, le yankee aux Etats-Unis, le "sans-culottes" en France…


LE "RÉGENT" AUX PAYS-BAS

 

Le régent désigne, aux Pays-Bas,  une catégorie sociale et non pas un prince du sang qui gouverne en attendant que le jeune roi atteigne sa majorité. Cette catégorie est la nouvelle classe des "capitalistes".

"Entre eux et les riches patriciens du Moyen-âge, le contraste n’est pas moins éclatant qu’entre Fra Angelico et Raphaël" écrit Pirenne[1]. La masse des capitaux manipulés, la taille géographique des marchés n’ont plus rien à voir. Pour décrire ces hommes, H. Pirenne utilise les mots de "banquiers, courtiers d’affaires, exportateurs, commissionnaires, spéculateurs, âpreté, aventuriers, sans ancêtres, sans traditions de famille, individualisme". On parle autant des "énormes richesses accumulées" que des "retentissantes faillites". Si, au Moyen-âge, la vie économique était "réglementée, surveillée, protégée, cloisonnée en métiers figés", elle est maintenant "illimitée, impitoyable, sans scrupules, dédaigneuse des entraves et des usages séculaires". Ces hommes se rassemblent dans quelques métropoles - Anvers puis Amsterdam s’en détachent - et font voler en éclats les structures politiques de la vie urbaine de naguère : ce sont les Régents.

Le Syndic de la guilde des drapiers est un tableau mondialement connu. On a là six hommes qui vérifient les comptes de la corporation - tâche la plus noble aux Pays-Bas - tout de noir vêtus - austérité calviniste - mais avec de grands rabats blancs confectionnés avec la dentelle la plus fine - signe discret de richesse élevée -. Ce sont quelques-uns des régents qui gèrent l’économie du pays et gouvernent son administration. Ces régents qui sont le produit de la révolution libérale tôt venue aux Pays-Bas et qui suit un processus séculaire.

Un historien des Pays-Bas[2] pose ensuite un problème fondamental : "on ne sut jamais très bien où (la) constitution si vague plaçait la souveraineté : dans le sénat des villes ? Dans les États Provinciaux ? Dans les États généraux ou bien dans le Stathoudérat ?".

Le sénat des villes ? Les libertés urbaines sont cardinales en Europe du Nord. Chaque cité s’administre seule. Le Magistrat - pouvoir municipal - se recrute dans le patriciat : riches familles peu nombreuses et endogames qui placent leurs hommes aux postes administratifs et judiciaires. Oligarchie puissante souvent éloignée du peuple qui la craint. Ce sont les "régences municipales". Mais - reflet de la nationalisation de la vie politique - le Stadhouder (Cf. infra) y nomme et révoque quelques conseillers municipaux.

Les États Provinciaux ? Un éminent homme politique hollandais dira "les Provinces-Unies auraient tout aussi bien pu s’appeler les Etats-Unis" (J. de Witt). Chaque province est jalouse de ses prérogatives. Elle est dirigée par des "États" - héritage médiéval - où sont représentés les députés des villes - qui ont mandat impératif car les villes ne veulent pas y être "trahies" - ainsi que les représentants de la noblesse. Le clergé catholique n’existe plus en tant que corps constitué : comme partout en pays calviniste, les biens de l’Église ont été sécularisés. En Frise, tradition oblige, les paysans sont représentés aux États de la province (comme en Groningue, et pour les mêmes raisons historiques). Le Hollande est la province dominante, ses États sont constitués de 18 députés - un pour chaque ville - qui ont chacun une voix et 9 députés nobles qui ont une voix à eux tous. Les États Provinciaux légifèrent pour leur territoire. Ils élisent une sorte de premier ministre : le Pensionnaire et ils ont gardé un Stadhouder qui représente le roi alors qu’il n’y a plus de roi ! Mais la fonction - de police, militaire et navale pour l’essentiel - était tenue dans la plupart des provinces par le même homme : Guillaume de Nassau-Orange, dit le Taciturne. Elle est maintenant détenue par son fils : Maurice. On a dit la légitimité de la famille d’Orange (leader de la lutte contre l’Espagnol). Inutile d’insister.

Les États Généraux ? Ils représentent, on s’en doute, les sept provinces. 40 députés -autres "Régents" - élus par les États provinciaux soit au minimum au troisième degré [3]. Mais chaque province a une voix et une seule et souvent les votes exigent l’unanimité. Là aussi le mandat est impératif : chaque province veut garder son pré-carré. Leurs Hautes Puissances les Seigneurs États Généraux - c’est ainsi qu’ils se font appeler - exercent les pouvoirs de souveraineté externe : paix et guerre, traités commerciaux, finances publiques. Ils élisent le Grand Pensionnaire qui est le chef de l’exécutif, premier ministre "fédéral" en quelque sorte. Il est hollandais. Toujours.

Le Stathoudérat ? Mais qu’est-ce ? On eût pu penser que les États généraux désignassent un stadhouder pour l’ensemble des sept provinces unies… Il n’en fut rien. Mais la fonction a créé l’organe : Maurice de Nassau, stadhouder dans cinq provinces à la fois - et c’est un Nassau qui est stadhouder dans les deux autres - a une personnalité telle, un charisme (c’est un génie militaire et les Provinces sont encore en guerre [4]) un charisme tel que tout le monde en fait le stadhouder de tout le pays. Son successeur -il est de la famille- se fera appelé "altesse", succession dynastique et pouvoir militaire font glisser la fonction vers une royauté qui n’ose pas dire son nom.

Mais le Grand Pensionnaire et les Régents sont fermement républicains. On le devine : entre Grand Pensionnaire et Stadhouder, une compétition est engagée. D’ailleurs, en 1667, par l'Édit perpétuel, Jean de Witt, au faîte de sa gloire, supprime les fonctions de stathouder en Hollande et influence en ce sens plusieurs autres provinces (Zélande et Utrecht). La souveraineté totale est accordée aux États-Généraux. Mais le peuple reste orangiste dans son for. Et la famille Nassau n’a pas disparu.

 

Quelques cas concrets permettent de mieux saisir la réalité de ces Régents.

Ainsi André Bicker, riche négociant-armateur sur le marché de la Baltique, conseiller municipal d’Amsterdam, un des 17 Messieurs de la VOC [5], calviniste tendance arminienne, député aux États-Généraux et colonel de la milice bourgeoise. Il est maire d’Amsterdam en 1627. Son père était marchand de grains et brasseur. Ses trois frères sont armateurs de navires qui parcourent tous les océans. On a observé qu’en 1646, sept membres de la famille Bicker occupaient des postes politiques à différents niveaux. Travaillant beaucoup avec des Espagnols, les Bicker étaient favorables à la paix ce qui leur amena des ennemis du côté orangiste. Cerise sur le gâteau : Wendela Bicker, nièce d’André, épousa Jean De Witt, le Grand pensionnaire, qui domine le XVII° siècle politique néerlandais comme Rembrandt domine la peinture.

Frans B. Cocq fut aussi maire d’Amsterdam. Fils de pharmacien - lesquels vendaient des épices d’Extrême-Orient valant médicaments - il fait son droit en France et, de retour en Hollande, il devient capitaine de la milice bourgeoise. Il épouse la fille d’un régent : Maria Overlander. Overlander était tout à la fois, négociant, armateur de navires, administrateur-fondateur de la VOC et, quelque temps, maire d’Amsterdam. A la mort de son beau-père, Frans Cocq hérita de propriétés qui lui donnèrent le titre de Seigneur de Purmerend. Il est surtout connu pour figurer en place centrale sur le tableau de Rembrandt, La ronde de nuit.

 Adrien Pauw, Grand pensionnaire de Hollande, fils d’une riche famille de marchands, il illustre - comme Overlander - le métamorphisme de la noblesse par la bourgeoisie : après l’achat d’une propriété, il devint Seigneur de Heemstede. "Métamorphisme" que l’on a retrouvé en Angleterre.

Ces régents passent les siècles autant que dure le capitalisme. Ils sont le cerveau de la maison Pays-Bas mais ils suscitent un rejet. Trop riches, trop distants, trop égoïstes. Cette dénonciation des régents fut permanente, critiquée aussi bien par l’aristocratie orangiste que par le "petit peuple" que cette dernière influençait.

         Deux figures historiques : Oldenbarnevelt, jean de Witt

 Jan Van Oldenbarnevelt (1547-1619), était d’ascendance noble, il effectua de brillantes études de juriste qui l’amenèrent en France. De Woogd le décrit comme "le représentant typique de la classe dirigeante, plus érasmien que calviniste", et j’ajouterais plus arminien que gomarien. C’est un partisan du libre-arbitre, hostile à la prédestination absolue. C’était un homme irréprochable qui fut l’adjoint du Taciturne durant la guerre d’Indépendance. Sa carrière politique fut fulgurante. Il devint Grand pensionnaire. Grand ami de Grotius, auteur de l’ouvrage de droit international sur "la liberté des mers".  Le parti de la paix - le patriciat marchand et industriel était arminien et pour la paix avec l’Espagne - était celui des républicains. Farouche républicain lui-même, Oldenbarnevelt "voyait chaque victoire de Maurice de Nassau comme un péril pour l’ État républicain". C’était aussi un homme d’affaires. Pour assécher des marais et rendre la terre arable, Oldenbarnevelt, alors Grand Pensionnaire, réussit à trouver des capitalistes qui investirent dans l’entreprise. Les terres furent ensuite louées à des fermiers. Les fermages rapportèrent aux investisseurs un intérêt de 17%.. Victime de la querelle entre Arminiens et Gomariens, il est condamné à mort par Guillaume de Nassau, lui-même gomarien. 

     Jean de Witt (1625-1672). Celui qui occupa la haute charge de Grand Pensionnaire à partir de 1653 fut un homme de grand mérite, Jean de Witt. L'élite de la bourgeoisie, active, éclairée et probe, trouva en lui son digne représentant. Jean de Witt, fils d'un bourgmestre de Dordrecht, intellectuel et patricien, appartenait à la haute bourgeoisie hollandaise. Il alliait les plus grandes capacités politiques â un désintéressement absolu : devenu le véritable chef de la république, il se contentait d'un traitement de 3000 florins et occupait un modeste appartement dans le palais des États-Généraux à La Haye. Un ambassadeur de France, le comte d'Estrades, écrivait :

"Le sieur de Witt a de très bonnes qualités. Il a grand esprit, une grande fermeté dans les mauvais événements, rempli d'expédients pour ramener les esprits, tellement maître de soi-même que personne ne l'a jamais vu en colère. Mais avec tout cela, il abonde si fort dans son sens qu'il est impossible de le faire revenir, quelque raison qu'on lui allègue,... C'est un homme si désintéressé qu'il ne prendrait pour rien au monde aucune gratification. C'est un homme incorruptible". (Cité par J. Isaac)

    La politique de Jean de Witt fut une politique de liberté et de paix. A l'intérieur, il s'appliqua à prévenir le péril orangiste qui devait nécessairement reparaître et qui reparut en effet dès que le jeune Guillaume d'Orange approcha de l'âge d'homme. De Will crut l’avoir extirpé quand il signa de sa main, en 1667, au faîte de sa gloire, l'Édit perpétuel, qui supprimait les fonctions de stathouder en Hollande et cela influença plusieurs autres provinces (Zélande et Utrecht). La souveraineté totale est accordée aux États-Généraux. Mais le peuple restait orangiste dans son for. A l'extérieur, Jean de Witt s'efforça de sauvegarder les intérêts de la république menacés tour à tour par les prétentions anglaises et françaises. Une guerre contre l'Angleterre fut soutenue victorieusement (1664-1667), mais Jean de Witt succomba dans la crise déterminée par l'agression de Louis XIV (1672). Jules Isaac conclut ce paragraphe en écrivant "Pendant les dix-neuf années de son gouvernement, les Provinces-Unies avaient atteint à l'apogée de leur puissance, de leur richesse et de leur civilisation". C’est sans doute vrai en termes d’accumulation du capital et d’arts plastiques, mais pour ce qui concerne les mentalités on était resté au cannibalisme. La mort de de Witt en témoigne : il fut rôti et dévoré (sic) Calvinisme aux Provinces-Unies par la foule déchaînée.

 Régents et libéralisme

 Fin XVII°-XVIII° siècles, la société sembla bloquée. Au plan économique, la belle prospérité de l’âge d’or de de Witt est bel et bien terminée. Cependant, le secteur le plus prospère resta, sans conteste, la finance dont Amsterdam demeura longtemps le centre international. Et les Régents sont les administrateurs des villes - d’Amsterdam en particulier -  des États de la province de Hollande et des États Généraux, de la VOC, de la Bourse, des Banques… Pas d’ascension sociale cependant : les places sont toutes prises par les familles endogames des régents. Entre 1698 et 1748, nous dit De Voogd, quarante régents issus de quatre familles seulement monopolisèrent les grandes fonctions d’Amsterdam. A Zutphen - province de Gueldre - six des douze échevins étaient apparentés (en 1747). Lors d’une nouvelle invasion française, le mécontentement éclate de tous côtés. Les fermiers des impôts – régents - furent traités de "suceurs de sang et de charognards" [6], la Petite bourgeoisie d’Amsterdam se retourna, à nouveau, contre la Grande, demandant la démission des régents et la fin de la cooptation. Et une nouvelle fois, on réclama le retour des Orange : le stathoudérat fut rétabli (que les régents avaient pourtant, une nouvelle fois, supprimé).

Je le répète : la vie politique néerlandaise avait toujours une alternative à droite.

Les Régents ont une idéologie et une pratique libérales. Mais le libéralisme, c’est bon pour les riches. "L’individualisme, consubstantiel au libéralisme, s’identifiait trop à la mentalité et au style de vie des patriciens hollandais, héritiers des régents érasmiens du siècle d’or pour séduire la petite bourgeoise et les milieux populaires" nous dit C. de Voog. Il faut attendre l’époque de la Révolution française, pour voir apparaître, aux Pays-Bas – et sous des formes spécifiquement néerlandaises – une alternative à gauche avec le mouvement patriote.

Mais c’est la révolution industrielle du XIX° siècle qui génère un prolétariat qui aiguise les contradictions de la société néerlandaise. Alors se dresse Kuyper[7] qui dénonce un système trop longtemps dominé par "l'oligarchie de la classe financièrement et intellectuellement privilégiée".

"Le leader calviniste -Kuyper- n'eut jamais de mots assez durs pour stigmatiser cette élite qui, d' Oldenbarnevelt à Kappeyne van de Copello, détenait tous les pouvoirs depuis l'indépendance du pays. Pour lui, les libéraux du XIX° siècle étaient les descendants des Régents du "siècle d'or", suspects comme leurs ancêtres d'égoïsme social, de patriotisme incertain et de laxisme religieux et moral. Le temps de leur hégémonie arrivait à son terme les "petites gens" (Kleine luyden), artisans, paysans, indépendants, employés, commerçants, bref le cœur de l'identité nationale et le conservatoire des vertus sociales, exclu du vote par le suffrage censitaire, devait désormais obtenir son émancipation. Dans une sorte de grande revanche de l’Histoire "le peuple opprimé demandait des comptes aux libéralistes" [sic]"[8].

 Bien enregistrer cette loi historique : ceux qui critiquent cette grande bourgeoise libérale, mondialiste, affairiste, laissant aux autres quelques miettes mais qui critiquent au nom de valeurs de droite, ceux-là préparent le terrain au fascisme. Kuyper n’y échappe pas. Je vous renvoie à la lecture de mon article XIX° siècle : "réveil" fondamentaliste aux Pays-Bas et création de l’Anti-Revolutionnaire Partij. Très important.

Kuyper semble inaugurer cette politique contemporaine, que l’on retrouvera chez R. Reagan par exemple, ou Trump, ou les LePen, politique qui vilipende les "élites fortunées" en flattant les braves gens solidement encadrés par la religion. Tout changer - en apparence - pour que rien ne change, bien au contraire. Ce thème des régents qui gouvernent tout, cloitrés dans leur conseil d’administration, ne va pas disparaître avec le capitalisme des XX° et XXI° siècles.  

 

Le mouvement Provo – milieu des années Soixante’ - première émergence sur la scène publique des enfants du baby-boom, est né aux Pays-Bas. Contestataire, anarchisant, "soixante-huitard" avant tout le monde, il mit "en cause la coupure entre l’establishment et le peuple" (De Voogd). Les "piliers" néerlandais[9] vivaient juxtaposés les uns à côté des autres mais pour gouverner le pays, les alliances étaient nécessaires et pendant que leurs troupes vivaient dans leur monde réservé, les dirigeants - les élites du verzuiling, comme dit De Voogd - se concertaient sans cesse pour trouver un consensus. Les Provos dénoncèrent ces nouveaux "régents" (Regenten). Cela correspondait au ressenti populaire et les Provos n’ont pas peu contribué à la crise du système des "piliers". En dénonçant cette aliénation politique, en réclamant aussi l’élection des maires, ce mouvement pouvait, quoiqu’il en ait, passer pour une force vaguement de "gauche".

 Tout autre fut/est la contestation récente. L’extrême-droite hollandaise s’est emparée des thèmes que la gauche n’a pas su mettre en application. Pim Fortuyn a repris aux réformateurs de gauche des revendications centrales comme le referendum, l'élection des maires et du Premier ministre. Il a su se présenter comme un homme politique qui redonnerait au peuple l’exercice de la vie publique perçue comme confisquée par la "clique des régents de La Haye" (Pim Fortuyn dixit). Ce mythe des régents est devenu fédérateur des tendances populistes. Populisme qui plonge ses racines dans l’histoire nationale. Lors d’une enquête in situ un journaliste du Monde obtint le témoignage d’un brave homme :

"Marinus, 54 ans, électeur du PVV (extrême-droite, JPR), jubile. En train de faire ses emplettes au Kruitvat, le supermarché local, il se réjouit des promesses du PVV de réduire les subventions culturelles. "Plutôt que de donner de l'argent aux élites, il faut l'utiliser pour lutter contre les terroristes des rues", dit-il" [10].


Cette dénonciation des régents fut permanente et on a vu les malheurs qui se sont abattus sur Jean de Witt, républicain honnête, dénoncé par l’aristocratie orangiste et le "petit peuple" que cette dernière influençait.

 



[1] Henri PIRENNE, Les anciennes démocraties aux Pays-Bas, Flammarion éditeur, 1928, Paris, 304 p.

[2] Daniel STERN, pp. 53-54. Daniel STERN, (Marie de Flavigny, comtesse d’Agoult, dite), Histoire des commencements de la République aux Pays-Bas, Michel - Lévy, Paris, deuxième édition, 1874, 450 pages.

[3] Même les députés paysans de Frise et Groningue étaient élus au suffrage indirect.

[4] Les Néerlandais parlent de la guerre de Quatre-vingts ans (1568-1648).

[5] Il s’agit de la célèbre Compagnie des Indes Orientales, administrée par 17 régents que l’on surnomme les Messieurs, Herren 17.

[6] Je rappelle, à toutes fins utiles, que Lavoisier était, avant d’être chimiste, fermier général des impôts du Roi avant 1789.

[7] Abraham Kuyper (1867-1930) premier ministre; président-fondateur du Anti-Revolutionnaire Partij (ARP).

[8] Christophe DE VOOGD, Histoire des Pays-Bas.

[9] Finalement, les partis confessionnels remportèrent la victoire sur les Libéraux et chaque courant (catholique, protestant orthodoxe, libéral, socialiste) s’organisa sur lui-même. Chaque aspect de la vie individuelle est pris en charge. Ainsi le courant catholique est structuré de la manière suivante. Les catholiques ont leur hiérarchie ecclésiale, bien entendu, mais aussi leur enseignement (écoles libres catholiques), leur parti politique (le KVP, parti catholique populaire), leur presse (dont De Maasbode à Rotterdam), leurs associations (dont le syndicat catholique des salariés) avec l’association chrétienne des Jeunes Filles et la mutuelle "notre pain de chaque jour" (Source Dictionnaire de Théologie Catholique,  article Pays-Bas). Cet agglomérat constitue un des "piliers" (verzuiling) de la vie politique nationale. Plus tard s’ajouteront une radio TSF et une chaîne de télévision, etc… Les Protestants orthodoxes sont organisés de la même façon, les Socialistes également, etc…Un Hollandais protestant orthodoxe pouvait ne jamais rencontrer un concitoyen membre d’un autre "pilier", d’un autre verzuiling.

[10] Le Monde daté du vendredi 5 mars 2010.

1. le militaire allemand

publié le 10 sept. 2017, 06:16 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 28 mars 2018, 06:39 ]

Les Temps modernes commencent au XV° siècle avec l’imprimerie, les Grandes découvertes – dont celle de 1492 – la victoire des Turcs à Constantinople qui achèvent la disparition de l’empire romain, l’expulsion des Maures d’Espagne… S’ouvre alors une période exceptionnelle de l’histoire occidentale : le XVI° siècle qui "fut le plus grand bouleversement progressiste que l’humanité eût jamais connu, une époque qui avait besoin de géants et qui engendra des géants ; géants de la pensée, de la passion et du caractère, géants d’universalité et d’érudition" pour reprendre cette formule épique de F. Engels. C’est en effet l’arrivée des métaux précieux d’Amérique, l’expansion des transports et des échanges, la Renaissance et la Réforme religieuse, ce sont aussi des révolutions nationales, en Allemagne, aux Provinces-Unies, en Angleterre, puis des révolutions libérales, le tout s’achevant par l’indépendance des  colonies anglaises d’Amérique et, fruit des Lumières, par la Révolution française, la Grande révolution. Le site présente de multiples facettes de ces grands évènements nationaux. Et, comme ce sont les hommes qui font l’Histoire, je me propose maintenant de présenter la figure-type qui incarne cette période. Dans chaque pays, apparaît un type de personnages qui caractérise cette période et son propre pays. Non sans quelque arbitraire –d’autres types de personnages auraient pu être élus – j’ai distingué l’officier en Allemagne, le régent aux Pays-Bas, le gentleman en Grande Bretagne, le yankee aux Etats-Unis, le "sans-culottes" en France…

 

LE MILITAIRE EN ALLEMAGNE

 

Il apparaîtra sans doute un peu dur de choisir le soldat, l’officier, comme type social sorti des révolutions manquées de l’Allemagne d’avant 1945. Mais le militarisme prussien n’est pas un vain mot sachant encore une fois que la "Prusse rhénane" malgré son nom diplomatique de "Prusse" relève d’une autre ère de civilisation. Je rappelle ce que disait l’écrivain Gerhardt Hauptmann [1], bien placé pour le dire, "le personnage qui se tenait derrière le pédagogue, invisible et péremptoire, n'était pas Lessing, Herder, Gœthe ou Schiller, mais le sous-officier prussien"[2].

Luther, initiateur de l’Allemagne moderne - rappelons le mot de Nietzsche : "L'événement capital de notre histoire, c'est encore et toujours Luther" - a-t-il laissé une théorie militaire ? Assurément non, mais ses actes et ses écrits autorisaient toute initiative dans le domaine du recours à la force. Je renvoie le lecteur au paragraphe consacré au renforcement du rôle de l’Etat désiré par Luther. Son appel au massacre des paysans en révolution se transforme en guerre sainte :

"Il faut les mettre en pièces, les étrangler, les égorger, en secret et publiquement, comme on abat des chiens enragés ! C'est pourquoi, mes chers seigneurs, égorgez-les, abattez-les, étranglez-les, libérez ici, sauvez là ! Si vous tombez dans la lutte, vous n'aurez jamais de mort plus sainte ! " ou encore "mieux vaut la mort de tous les paysans que celles des princes et des magistrats (…) que celui qui en a le pouvoir agisse. (...). Nous vivons en des temps si extraordinaires qu'un prince peut mériter le ciel en versant le sang, beaucoup  plus aisément que d'autres en priant".

    Déterminant à cet égard est son Appel à la noblesse chrétienne de la nation allemande, ce n’est pas un appel à la bourgeoisie intellectuelle et libérale. Le rôle de la noblesse est de garantir l’ordre providentiel :

"Car Saint Paul parle ainsi à tous les Chrétiens (Rom. 13, 1 ss) « Toute âme - je pense : aussi celle du Pape (Martin Luther [3]) -, doit être soumise à l'autorité, car celle-ci ne porte pas en vain l'épée, c'est par là qu'elle sert Dieu, pour la punition des méchants et la gloire des bons". Saint Pierre dit aussi "Soyez soumis à toutes les institutions des hommes pour l'amour de Dieu qui veut qu'il en soit ainsi. I, Pierre 2, 13".

    Il y a là un culte de l’épée qui autorise tous les excès. W. Wette cite un pédagogue pacifiste de 1920 qui stigmatise "l’univers intellectuel centré sur un État fort et militariste" en utilisant le "terme très exact de "foi en l’épée "[4]. Au terme de sa carrière au service de l’ordre établi, Luther peut tirer un bilan : personne n’a mieux que lui justifié le recours à la force du prince : "Depuis les temps apostoliques, pas un juriste n'a, avec autant de maîtrise et de clarté que, par la grâce de Dieu, je l'ai fait, assis sur ses fondements, instruit de ses droits, rendu pleinement confiante en soi, la conscience de l'ordre séculier". En Allemagne est-elbienne, l’État c’est … Luther. Et la critique la plus lourde qui peut lui être portée est assurément celle-ci : "La Réforme qui, avant 1525, était un "mouvement populaire spontané" qui se développait selon ses énergies propres devint, à la suite de la guerre des paysans, l'affaire des princes (...)."[5].

 

La militarisation de la société.

Or, parmi ces princes, il y eut, en Prusse, le Grand maître de l’ordre des Chevaliers Teutoniques (qui rencontra et trouva un accord avec Luther) et des membres de sa famille : les Hohenzollern qui, eux, régnaient sur le Brandebourg. "On a pu suggérer qu'il était passé quelque chose de la fraternité d'armes et de la pointilleuse administration des Teutoniques dans l'État militaire et bureaucratique forgé par le Roi-Sergent, fortement imprégné de religion pratique et d'esprit de corps".[6]

Les Hohenzollern procèdent à des réformes qui conduisent à ce que Kerautret appelle "la militarisation de la société" prussienne. Le Roi-Sergent (roi de 1713 à 1740) institue le système des cantons.

Le "règlement des cantons", édicté le 15 septembre 1733, et qui resta en vigueur jusqu'en 1807, divisa le royaume en zones de recrutement, affectées chacune à un régiment: 5000 feux pour un régiment d'infanterie, 1800 pour un régiment de cavalerie. Les jeunes gens étaient "enrôlés" à la naissance et "obligés" ensuite à un régiment. Tous n'étaient pas mobilisés, mais, "né pour les armes", chacun recevait une formation d'un an ou deux, puis devait rester disponible jusqu'à l'âge de quarante ans". "Il se préparait ainsi une sorte d'osmose entre l'organisation militaire et celle de la société. Les paysans, habitués à obéir à leur seigneur, retrouvaient celui-ci comme officier à l'armée, et ne s'étonnaient pas d'être battus de même au village et au régiment".

Cela autorise Kerautret à parler d’esclavage militaire. Ce système du canton a créé un lien très étroit entre le pays et son armée. Frédéric II le conserva.

"Frédéric distingue soigneusement entre les mercenaires et les soldats-paysans : il tient les hommes levés dans les cantons pour "la plus pure substance de l’État" [7], et veut "ménager ces hommes utiles et laborieux comme la prunelle de l'œil, et en temps de guerre ne tirer des recrues du pays que lorsque la dernière nécessité y contraint".

En 1807, après le désastre face à Napoléon, on estime qu’il faut "nationaliser l’armée": renoncer aux mercenaires, mobiliser les seuls Allemands. Scharnhorst organise la landwehr. Armée territoriale, milice, armée de réserve, peu importe, tous les hommes de dix-huit et quarante-cinq ans, capables de porter les armes, et non en poste dans l'armée régulière sont concernés. En 1859, von Roon, ami de Bismarck, améliore le système. La landwehr est intégrée davantage à l’armée permanente afin de disposer de soldats mieux formés.

En 1867 (350ème anniversaire de la publication des thèses de Luther), le prince Otto von Bismarck, qui n’est pas le moindre des militaristes allemands, décida de la construction d’un vaste mémorial au Grand Réformateur et à ses amis.

Tout cela, ajouté à l’idéologie traditionaliste et au luthérianisme, fait de l’Allemagne un pays militarisé. Cette idéologie traditionaliste intégriste est partagée par moult aristocrates est-elbiens et par les cadres de l'Armée dont les États-majors sont peuplés de nobles. Quant à la conception de la légitimité monarchiste que pouvait avoir l'armée prussienne, elle est dite par la Kreuzzeitung - Journal de la Croix- qui déclare que l'armée est la véritable représentation nationale (1848). Sabre et Goupillon, version prussienne. On peut trembler. L'historien Kerautret ajoute :

"Les jeunes gens issus de la bourgeoisie, passés par le service d'un an, en arrivent à s'identifier à l'institution militaire au point de préférer s'annoncer en société par leur grade dans la réserve plutôt que par leur situation sociale ou professionnelle. (…). La vie civile s'imprègne des formes de la caserne, avec ses gestes mécaniques et raides. (…). De façon générale, toute la société se trouve embrigadée, et la valeur d'obéissance, réputée prussienne, proposée comme idéal suprême aux sujets de l'empire, le sens de l'honneur véritable régressant à proportion. Heinrich Mann en a fait la satire mordante dans son roman Der Untertan («Le Sujet»), terminé en 1914 et publié en 1918"[8].

Dans le même ordre d’idée, Gilbert Badia signale que, lorsqu’un trottoir trop étroit empêche deux personnes de se croiser, c’est au civil de descendre sur la chaussée, s’effaçant devant le militaire. Ou encore, les étudiants allemands avaient à cœur d’obtenir par la voie de l’épée la cicatrise au visage qui témoignait de leur virilité, de leur patriotisme, leur soutien à l’empereur, au Reich etc… on dispose de copies de baccalauréat composées par des lycéennes d’Essen (Ruhr) pour la session de 1915. L’une d’elles, Frieda B., écrit avec conviction : "le militarisme est le plus noble résultat des capacités organisationnelles de notre peuple" ce qui lui vaut un "Bien" écrit dans la marge par le professeur-correcteur [8bis]. On voit que les valeurs de 1914 sont descendues jusqu’au niveau des adolescentes. Il était aussi dans des têtes plus pleines, ainsi l’appel des 93 intellectuels allemands d’octobre 1914, appel qui déshonore la fonction :

"Sans notre militarisme, notre civilisation serait anéantie depuis longtemps. C'est pour la protéger que ce militarisme est né dans notre pays, exposé comme nul autre à des invasions qui se sont renouvelées de siècle en siècle. L'armée allemande et le peuple allemand ne font qu'un (…)".

Lien : octobre 1914 : Appel des intellectuels allemands aux nations civilisées

 Les crimes de la Wehrmacht. 

Tout cela nous conduit à parler de l’excellent livre de Wolfram Wette. Wette utilise le titre percutant et sans ambages de "crimes de la Wehrmacht" parce qu’il veut tordre le cou à l’idée simpliste qui a fait le tour du monde : les crimes de guerre et crimes contre l’humanité sont le fait de la Gestapo et des S.S., les officiers et soldats de la Wehrmacht n’ont quant à eux assumer que leur tâche militaire. La démarche de Wette n’est certes pas individuelle, elle s’inscrit dans un long travail de recherche de la vérité avec d’autres allemands, travail qui est passé notamment par une vive confrontation entre les "traditionalistes" et les "réformistes"[9]. Afin de ne pas trop nous éloigner de notre sujet, j’en viens à l’essentiel : quel jugement porter -par exemple- sur les officiers qui ont tenté de tuer Hitler le 20 juillet 1944 ? Pour les traditionalistes "cet acte n’est pas digne d’un officier", les auteurs de cet attentat "étaient des hommes méprisables qui avaient rompu leur serment et s’étaient donc opposés à la tradition d’obéissance germano-prussienne" (260)[10]. Autrement dit, cette tradition a généré des officiers -et militaires de tout rang- incapables de comprendre (à quelques exceptions près qu’il convient de saluer) qu’il y a des valeurs universelles qui autorisent à se délier d’un serment de fidélité à un führer du national-socialisme dont le caractère criminel était évident sur l’instant et pas après une analyse a posteriori.

Le nazisme a profité de cette tradition. Voici ce que disait le général Von Seeckt, commandant en chef de la Reichswehr en 1920 (date à laquelle l’Allemagne traverse une crise grave) :

"Jamais l'officier allemand, et tout particulièrement l'officier d'état-major général, n'a été un soudard, un aventurier ou un va-t-en-guerre. Et il n'a pas à l'être non plus aujourd'hui; mais le souvenir des grands actes guerriers des armes allemandes doit rester vivant en lui. Son devoir sacré est de l'entretenir dans son esprit et au sein du peuple. Alors, ni lui ni, avec lui, le peuple ne sombreront dans des rêveries amollissantes autour de la paix : ils resteront conscients que seule la valeur intrinsèque de l'homme et de la Nation compte lorsqu'il s'agit de la décision capitale. Si le destin appelle de nouveau le peuple allemand aux armes - et ce jour reviendra inéluctablement -, il ne doit pas trouver un peuple de faiblards, mais un peuple d'hommes qui saisissent avec énergie une arme dont ils seront vite devenus familiers. Peu importe la forme de cette arme, pourvu qu'elle soit tenue par des mains d'acier et un cœur de fer. Faisons tout ce que nous pouvons pour que ce jour futur trouve l'un et l'autre, travaillons inlassablement à rendre notre esprit, notre corps et ceux de nos compagnons du peuple capables de se défendre. " (Wette).

Cette idée de la fatalité de la guerre est très largement répandue. Le général Beck, chef d’état-major général de l’armée de terre à la fin des années trente disait :

"La guerre est un maillon de l’ordre mondial de Dieu. (…). Nous ne pouvons abolir la guerre. Toute réflexion sur l’imperfection des hommes, imperfection voulue par Dieu, ne peut qu’aboutir, à chaque fois, à ce résultat."

Ce sont là des accents luthériens. Dans son traité (1523) De l'autorité civile et des limites de l’obéissance qui lui est due, Luther écrit que, dans ce monde, l'autorité voulue par Dieu est assurée par les autorités auxquelles le chrétien doit le respect le plus absolu. La légitimité de l’État est fondée par le péché originel, par la corruption dont il est cause sur cette terre. Contre les forces du mal, le Pouvoir doit être armé et il obéit à Dieu en faisant usage de ses armes.

Revenons à la pénétration du militarisme dans l’âme allemande. Concernant Herr omnes, "Monsieur-tout-le-monde", on le connaît par l’analyse de milliers de lettres expédiées entre 1939 et 1945 et autres documents.[11] Le trouffion allemand a un souci : "ne pas fuir le danger et être fier d’être prêt au sacrifice".

"On exécutait prisonniers de guerre et partisans (communistes, JPR), transfuges, commissaires politiques (soviétiques, JPR) et Juifs ; on détruisait des villages entiers après avoir tué leurs habitants, "en ayant toujours conscience de remplir en bons soldats notre rude devoir" (cité par Fritz). Fritz en conclut qu'"il existait au sein de la troupe, en Russie, un accord tellement frappant avec la conception qu'avait le régime national-socialiste sur l'ennemi bolchevique et le traitement à lui appliquer, que beaucoup de soldats participaient volontairement aux opérations meurtrières". Ces soldats ne combattaient pas seulement parce que la machinerie de terreur qui animait la guerre ne leur laissait pas d'autre choix, mais parce qu'ils étaient persuadés de la justesse des objectifs de guerre tels que les leur présentaient les milieux politiques et les interprétations métaphysiques que leur proposait la propagande nationale-socialiste" (Wette).

On trouvera dans l’article consacré aux caractères de la seconde Guerre mondiale, 1°partie. INTRO : les caractères de la 2ème guerre mondiale, non pas le portrait mais les déclarations de quelques généraux chefs d’état-major des armées nazies, déclarations qui en disent long sur l’ampleur des crimes de guerre qui vont être commis en URSS notamment.  

Bref, l’Allemagne était devenue une "communauté populaire cohérente et guerrière qui suivait presque dans les moindres détails des schémas d’organisation militaire" (p.191). Il n’est pas possible que le nazisme en six ans de dictature (1933-1939) ait réussi à forger/façonner une telle cohésion entre 18 millions de soldats et entre ces soldats et les civils. Il a nécessairement bénéficié du "travail" effectué auparavant. Et c’est une longue histoire, nous l’avons vu, marquée par l’échec des révolutions.

 



[1] Écrivain dramatique (1862-1946), prix Nobel 1912.

[2] Dus Abenteuer meiner Jugend, p. 216. (cité par G. Badia).

[3] C’est en effet Luther lui-même qui commente. Il est en cela très allemand : il n’a pas digéré la défaite de l’Empereur face au Pape dans la fameuse querelle des Investitures (Canossa, etc…) puis dans la lutte du Sacerdoce et de l’Empire. Pour Luther, le Pape doit être soumis à l’autorité de l’Empereur …allemand.

[4] F.W. Foerster cité par W. Wette, Les crimes de la Wehrmacht.

[5] Richard STAUFFER, La Réforme, c’est moi qui souligne.

[6] Par héritage, la Prusse (appelée plus tard Prusse orientale) et le Brandebourg tombèrent dans les mêmes mains Hohenzollern. En 1525, le grand maître de l'ordre, Albert de Brandebourg-Ansbach, adoptant les recommandations de Luther, quitta l'état religieux et transforma le patrimoine de sa communauté en une principauté qui devint le berceau de l'État prussien.

[7] A. Hitler parlera de "la fine fleur du peuple allemand" qu’il est obligé de sacrifier pour réduire le bolchevisme, ce qui l’autorise, croit-il, à éliminer les "sous-hommes".

[8] Porté à l’écran en 1951. Il ne faut cependant pas exagérer la militarisation de la société allemande. Ne pas oublier qu’en 1918, les soviets de marins et de soldats proliférèrent. Mais, alors, le parti social-démocrate était légal et malgré la répression, sa tendance minoritaire (Luxemburg - Liebknecht…) pouvait diffuser sa propagande pacifiste et révolutionnaire. En 1944, le parti communiste allemand était pratiquement inexistant, exterminé par les nazis.

[8bis] Numéro spécial du Courrier international, « La guerre des autres », Juin-Août 2014.

[9] Ainsi fut la "querelle des historiens" en 1986. (Page 266).

[10] Mutatis mutandis, on retrouve la même chose en France dans la mouvance d’extrême-droite de l’armée qui reproche à de Gaulle d’avoir inoculé le virus de la désobéissance le 18 juin 1940 (cf. le colonel Argoud, OAS. Voir mon livre). 

[11] Dont les travaux de S.G. Fritz (East Tennessee State University), 1995, cité par WETTE (183 et sq).

Hommage (s)

publié le 8 janv. 2015, 01:38 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 4 sept. 2016, 01:32 ]











 







 









                                (Il a dessiné le premier)...



    15-01-07 - Je suis Charlie


    Cette succession de dessins est un hommage aux victimes du pire des Traditionalismes.


1-6 sur 6