14/04/2011 En 1942, les Américains utilisèrent un char de combat qu’ils dénommèrent SHERMAN (M4 Sherman). Tourné en 1949, en pleine guerre froide et à la veille de la guerre de Corée, le film de John Ford, "La charge héroïque" est un hymne à la gloire de la cavalerie américaine qui "toujours a défendu la gloire du pays". Les chefs indiens "partent en guerre sainte avec des fanatiques" alors que du côté des Tuniques bleues, on enterre un "soldat brave, chrétien admirable". Le héros, interprété par l'inévitable John Wayne, est nommé au grade de colonel et l'arrêté de nomination porte les noms du président Grant, du général Sheridan et du général Sherman. Ces façons[1] de célébrer la mémoire d’un homme au comportement discutable sont parfaitement dédaigneuses de ce que pensent les descendants des Sudistes. Aujourd’hui, vous pouvez lire sur un site internet de l’Etat de Géorgie : "If the question was asked, "Who was and still is the most hated and despised man in the history of Georgia" the response would be William Tecumseh Sherman"[2]. Mais les Nordistes à l’égard des Sudistes, comme d’ailleurs les Anglais à l’égard des Irlandais, n’ont précisément aucun égard. Sherman (1820-1891) est le "yankee" typique. "Yankee" est, aux XVIII° et XIX° siècles, une appellation réservée aux États-uniens du Nord. Dans la bouche des Sudistes, c’est un terme méprisant qui figurait dans une chanson populaire. Les Nordistes ont repris à leur compte ce sobriquet. Voir cette entrée dans le dictionnaire iconoclaste des États-Unis de Roger Martin [3]. Devant le comportement de Sherman face à sa hiérarchie (il lui demandait des choses extravagantes pour faire la guerre), un journaliste lança l’idée que Sherman était peut être fou. On peut en effet s’interroger. Non seulement quant on voit ses cheveux et sa barbe hirsutes, toujours en bataille –chose normale chez un guerrier- mais surtout quand on le voit poser devant les photographes avec les doigts de sa main droite entre deux boutons de sa veste, attitude bien connue d’un empereur plus connu que lui. Formé à West Point, comme Sheridan [4], il s’y fait remarquer autant par ses prouesses intellectuelles que par ses actes d’indiscipline. Il hésite à s’engager définitivement dans l’armée. D’ailleurs, il en démissionne en 1853 pour aller voir les mirages de l’or californien. Il devient banquier mais les aléas du cours du métal précieux le laissent avec une dette de $13.000 Passons sur les vicissitudes de sa carrière, pour le retrouver président de la Fifth Street Railroad à Saint-Louis. Il avait démissionné de ses fonctions à l’université de Louisiane, cet État ayant opté pour la sécession. Il rengage en mai 1861 avec le grade de colonel. Dès lors, il va combattre pour la cause nordiste sans état d’âme. Appât du gain, goût pour les affaires (la railway mania l’a envoûté), usage de la violence militaire pour imposer ses choix de civilisation : c’est le genre de Nordiste -le yankee- qui terrorise intellectuellement les Sudistes. La marche à la merSherman est connu pour sa célèbre "marche à la mer". De quoi s’agit-il ? Victorieux sur le front occidental avec la prise de la voie navigable du Mississippi et la maîtrise de la mer du côté du Golfe du Mexique, les Nordistes restent bloqués sur le front Est au niveau de Richmond, entre les Appalaches et l’océan atlantique. Autrement dit, le Sud profond reste compact, intact, et les relations intérieures entre Confédérés restent possibles du Mississippi à l’Atlantique. La région du King Cotton demeure un bastion. Ayant reçu un commandement dans l’État du Tennessee, c’est-à-dire à mi-chemin des deux extrémités du front, le général Sherman entreprend une percée pour casser en deux le bastion sudiste. Il va pénétrer dans le sud cotonnier sans pouvoir s’appuyer sur une base arrière, avec comme seule issue la fuite en avant pour rejoindre l’Atlantique, précisément le port de Savannah. De là, il remontera le littoral vers le Nord pour tenter de joindre les armées de Grant et, donc, prendre en tenaille l’armée du généralissime sudiste Lee.(source de la carte : J. Isaac, manuel). C’est exactement ce qui va se passer. Mais à quel prix ! Rapidement, Sherman et ses hommes atteignent Atlanta. Il demande aux Sudistes d’évacuer la ville. Au maire qui lui signale que cela apportera "d’atroces souffrances" aux blessés et amputés, Sherman réplique que "la guerre est cruelle et qu’on ne peut l’adoucir. Autant essayer d’apitoyer la tempête ". L’incendie d’Atlanta [5], décision militaire, détruisit 90% du parc immobilier de la ville, 4.000 maisons d’habitation sur 4.500. Tous les ateliers, fonderies et manufactures de la ville furent démolis. Puis, du 16 novembre 1864 au 22 décembre, ce fut la marche à la mer. "L’armée de Sherman descendit à la mer comme un feu de prairie, pillant quand elle ne brûlait pas, accumulant les ravages". Les 60.000 soldats s’étirèrent sur une bande de 60 miles et dévalèrent comme un immense bulldozer, fourrageant sur le pays, détruisant les ponts et voies ferrées, dévastant une bande de territoire longue de 300 miles. Un acteur des évènements raconte : "nous détruisions tout ce que nous ne pouvions pas manger, brûlant leur coton et leur gin, renversant leurs tonneaux, incendiant leurs récoltes, tordants les rails de leurs chemins de fer, en un mot, leur rendant la vie infernale". Un officier sudiste ajoute, les Yankees ayant abattu un si grand nombre de bêtes, bovins, porcs, mulets et chevaux, que "toute la région est empestée par l’odeur des carcasses en putréfaction et l’air et la terre sont envahis par d’innombrables rapaces qui viennent se repaître des charognes". Bref, c’est la terre brûlée, ce que les Anglo-saxons dénomment "scorch-earth tactics". Pour le comble, ce que les fourrageurs ne prenaient pas était saisi par les traînards-maraudeurs et, s’ils restaient encore quelque chose, les déserteurs confédérés s’en emparaient. Le 22 décembre 1864, Sherman prit Savannah et télégraphia à Lincoln qu’il lui offrait la ville "en cadeau de Noël". War is hell !Sherman n’en était pas à son premier coup. En février 1864, combattant dans le Mississippi, il s’empare de la ville de Meridian. Très fier de ses exploits, il écrit à ses supérieurs : "la ville, avec ses dépôts, ses magasins, son arsenal, ses hôpitaux, ses bureaux, ses hôtels et ses cantonnements est complètement anéantie". Et cela après avoir dévasté le pays environnant, arraché des kilomètres de voies ferrées, pillé et incendié les propriétés sudistes. "War is hell" aimait-il à dire, "la guerre, c’est l’enfer". Surtout avec des gens comme lui. Il aura aussi cette parole terrible : "nous ne combattrons pas une armée ennemie, mais un peuple ennemi". Ce qui ne laisse pas d’interroger. De plus, selon Kilzer, cité par Losurdo[6], "il semble que Hitler s’inspira de Sherman et, au cours, de sa guerre d’extermination contre les indigènes de l’Europe orientale, il se réclama explicitement de la guerre contre les Peaux-Rouges". Une chose est sûre, ou plutôt deux : à Cuba, le général espagnol Weyler - d’origine prussienne- qui pratiquera la "terre brûlée" contre les insurgés qui refusent la domination espagnole, s’est inspiré de Sherman dont il a recueilli les méthodes, soit en tête à tête, soit en tant qu’observateur -il était attaché militaire à l’ambassade d’Espagne à Washington durant la Guerre civile- ; secondement, durant la guerre de conquête des Philippines (1899-1903), le général Bell -qui brûle tout ce qui vit autour de ses camps de concentration et qui eût pu, tout aussi bien s’appeler Hell - compare ses méthodes "to those of General Sherman in Georgia during the War between the States" [7]. Sherman en posant le problème dans les termes suivants : "Nous ne combattrons pas une armée ennemie, mais un peuple ennemi", opte carrément pour le polemos c’est-à-dire la lutte à mort contre les "Barbares". Nous avons pourtant là une nation en gestation, avec des institutions relativement démocratiques [8], une histoire commune et plutôt récente bâtie à partir de la guerre d’indépendance, une religion aux dogmes calvinistes largement majoritaires et la Bible est le livre quotidien de ces pieux pionniers. Tout cela fut sans doute très superficiel. Le pasteur Théodore Parker (1810-1860), qu’admirait tant Martin Luther King, déclarait que « l’argent est actuellement la première puissance de notre nation ». Sherman, le chercheur d’or, le banquier, le capitaine d’industrie à la tête d’une société de chemins de fer, incarne à la perfection le capitaliste militariste qui veut le triomphe de son idéal d’organisation sociale. De façon générale, rien ne devait gêner la mise en œuvre de la révolution industrielle à l’échelle de tout le pays : aristocratie esclavagiste du Sud ou chefs indiens du Far West. En regard, les Sudistes défendirent jusqu’au bout « leur société de planteurs (qui) est l’antithèse du capitalisme, avec son esprit aristocratique, ses valeurs antibourgeoises, son code de l’honneur et ses barrières culturelles à l’industrialisation »[9]. Début de cette série : I. 12 AVRIL 1861 : LA GUERRE DE SECESSION COMMENCE… lire aussi : 4. Le "YANKEE" aux Etats-Unis [1] Il y en eut d’autres comme la mise en place de nombreuses statues… [2] Extrait du site Internet "About North Georgia". « Si l’on posait la question : quel fut et quel est encore l’homme le plus détesté et le plus méprisé de l’histoire de la Géorgie ? La réponse serait W. T. Sherman ». [3] Édité par Le cherche midi, Paris, 2005. [4] Ancien élève de l’académie militaire de West Point, 1831-1888. Auteur d’un mot (trop) célèbre sur les Indiens. [5] Scène fameuse du film "Autant en emporte le vent". [6] "Le révisionnisme en histoire", page 193. [7] S.C. MILLER, Benevolent Assimilation. [8] "Relativement" car le vote censitaire réserve aux propriétaires seuls, dans la plupart des cas, le droit de vote. [9] Cité par Jean EFFER, "Les origines de la guerre de Sécession", dossiers Clio, P.U.F., Paris, 1971, 96 p. . |