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  • 1919 : naissance de l'Organisation internationale du Travail.     UN SIÈCLE DE NORMES  INTERNATIONALES POUR PROMOUVOIR LA "JUSTICE SOCIALE"     L’Organisation  internationale du travail (OIT) voit le jour en 1919, au lendemain des horreurs de la Première Guerre mondiale ...
    Publié à 11 juin 2019, 03:13 par Jean-Pierre Rissoan
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    Publié à 16 janv. 2019, 01:16 par Jean-Pierre Rissoan
  • les marchés financiers ? c'est l'oligarchie ! publié le 8 mars 2012 10:34 par Jean-Pierre Rissoan par Geoffrey GeuensEt d’abord qui est Geoffrey Geuens ? Chargé de cours au département "arts et sciences de ...
    Publié à 22 févr. 2013, 01:48 par Jean-Pierre Rissoan
  • SUR LA PISTE DES NANTIS : Baisses d'impôt, retour aux fortunes d'antan, par Th. PIKETTY publié le 24 oct. 2012 11:50 par Jean-Pierre Rissoan Soucieux du respect qu’on doit à un auteur et à son texte, je publie intégralement l’article de ...
    Publié à 22 févr. 2013, 01:48 par Jean-Pierre Rissoan
  • MAIS QUI SONT LES AGENTS DES MARCHES FINANCIERS ? publié le 15 nov. 2011 18:30 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 21 nov. 2011 12:01 ] Cet article est un daille-geste -un digest, si vous préférez ...
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  • L' envolée des fortunes... publié le 24 nov. 2011 12:24 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 24 nov. 2011 23:22 ] Mme Deborah Hargreaves est présidente du groupe britannique de recherche sur ...
    Publié à 22 févr. 2013, 01:48 par Jean-Pierre Rissoan
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1919 : naissance de l'Organisation internationale du Travail.

publié le 11 juin 2019, 03:13 par Jean-Pierre Rissoan

    UN SIÈCLE DE NORMES  INTERNATIONALES POUR PROMOUVOIR LA "JUSTICE SOCIALE"
    L’Organisation  internationale du travail (OIT) voit le jour en 1919, au lendemain des horreurs de la Première Guerre mondiale, avec la conviction qu’ "une paix universelle et durable ne peut être fondée que sur la base de la justice sociale". Les piliers de son action sociale reposent sur la législation du travail, la redistribution et la négociation collective (syndicalisme et dialogue social). En 1946, l’ OIT est la seule  institution de l’ONU à avoir une structure tripartite : les gouvernements, les travailleurs et les employeurs y sont représentés à parts égales. Les centaines de normes internationales définies par ses États membres constituent des références dont peuvent se saisir les travailleurs, les travailleuses  et leurs représentants. Après la chute du mur de Berlin et du bloc soviétique, l’organisation fait face à de nouveaux défis avec la globalisation néolibérale de l’économie, dont ses acteurs considèrent la faiblesse des salaires et des protections sociales comme des atouts. En 2002, elle crée une commission sur la dimension sociale de la mondialisation. Ces récentes années, l’ OIT s’est efforcée de s’adapter à l’évolution des événements. À ce jour, les travailleurs sans contrat des plateformes numériques  sont peu couverts par les conventions de l’institution.  
    Prud’hommes, violences contre les femmes… face à la dégradation des conditions de travail partout dans le monde, l’organisme international constitue toujours un point d’appui pour les travailleurs, y compris en France.
    par Kareen Janselme, Loan Nguyen journalistes à l'Humanité

    Émanation du traité de Versailles en 1919 au sortir de la Première Guerre mondiale, l’Organisation internationale du travail (OIT) célèbre ces jours-ci à Genève (Suisse) son centenaire en grande pompe. Fondé sur l’idée qu’« il ne saurait y avoir une paix universelle et durable sans un traitement décent des travailleurs », cet organisme d’un genre un peu spécial du fait de son tripartisme – employeurs, salariés et États y disposent de représentants à égalité – a non seulement survécu aux guerres et aux mutations géopolitiques, mais a surtout produit quantité de normes qui ont contribué à améliorer le sort des travailleurs dans le monde. Pourtant, face aux offensives réactionnaires, à l’aggravation du dumping social et aux évolutions techno-logiques de ces dernières décennies, cette agence de l’ONU semble incapable de réguler certains des excès les plus manifestes du patronat. En dépit de ces limites évidentes, nombre de travailleurs, y compris en France, continuent de se saisir de l’OIT comme d’un outil de résistance face à la dégradation de leurs conditions de travail.

    Car, réforme après réforme, la casse du Code du travail dans l’Hexagone a été telle que le caractère juridiquement contraignant des conventions OIT, dont la France est signataire, sert de plus en plus de point d’appui aux salariés devant les juridictions nationales. L’exemple le plus récent et le plus médiatisé a été la fronde des prud’hommes contre le barème instituant un plafonnement des indemnités accordées aux salariés dont le licenciement est reconnu sans cause réelle et sérieuse. Introduite par les ordonnances Macron en 2017, cette mesure, qui prive le juge d’une appréciation réelle et individualisée du préjudice subi par le salarié pour favoriser une sécurisation de l’employeur, qui connaît à l’avance le montant qu’il devra provisionner lorsqu’il aura recours à un licenciement abusif, a été rejetée par plus d’une quinzaine de conseils de prud’hommes ces derniers mois. Et ce, toujours sur la base de l’inconventionnalité de cet article de loi, c’est-à-dire que celui-ci est considéré comme entrant en violation des articles 4 et 10 de la convention OIT 158. Ceux-ci précisent en effet qu’« un travailleur ne devra pas être licencié sans qu’il existe un motif valable de licenciement lié à l’aptitude ou à la conduite du travailleur, ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service » et que si un licenciement est reconnu injustifié par les autorités ou tribunaux compétents et qu’une réintégration du salarié est jugée impossible, « ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ».

L’OIT reste encore créatrice de normes internationales

    C’est aussi sur une convention OIT, celle portant le numéro 81, que s’appuient les inspecteurs du travail pour défendre leur indépendance vis-à-vis de pressions de leur hiérarchie comme des employeurs. C’est ainsi que l’ex-inspectrice du travail d’Annecy, Laura Pfeiffer, s’était défendue en 2013 des interventions de l’entreprise Tefal auprès de sa hiérarchie pour tenter de la mettre au pas. « Le personnel de l’inspection sera composé de fonctionnaires publics dont le statut et les conditions de service leur assurent la stabilité dans leur emploi et les rendent indépendants de tout changement de gouvernement et de toute influence extérieure indue », dispose l’article 6 de la convention 81. Encore aujourd’hui, c’est ce texte que les fonctionnaires du ministère du Travail invoquent pour résister aux politiques chiffrées que Grenelle veut imposer ces derniers mois.

    Mais l’OIT peut jouer en elle-même le rôle d’arbitre en recevant directement des réclamations de la part des organisations professionnelles d’employeurs ou de travailleurs. Ces dernières années, la CGT avait notamment obtenu gain de cause auprès de l’agence de l’ONU, qui avait fortement critiqué en 2007 le contrat nouvelle embauche, ainsi que le recours aux réquisitions de salariés grévistes dans le secteur pétrolier pendant le mouvement contre la réforme des retraites de 2010. En 2017, la CGT et FO avaient saisi l’OIT concernant deux dispositions introduites par la loi El Khomri de 2016 : le développement de l’inversion de la hiérarchie des normes et les licenciements en cas de refus d’un salarié d’appliquer un accord de préservation et de développement dans l’emploi. Cette procédure, déclarée recevable, est toujours en instance. En mars dernier, c’est la CGT Ford qui a décidé de porter son combat contre la fermeture de l’usine de Blanquefort devant l’organisation internationale, estimant que le constructeur automobile enfreignait les engagements conventionnels de la France en matière de justification des licenciements.

    Enfin, l’OIT reste encore créatrice de normes internationales. Pour preuve, celle qui sera âprement négociée durant quinze jours pour ce centenaire : une nouvelle convention, la 190e, contre les violences et le harcèlement au travail avec une identification très forte des violences fondées sur le genre. « L’enjeu, c’est d’avoir une norme internationale qui protège les femmes des violences sexistes et sexuelles avec un aspect responsabilité de l’employeur, interdiction des violences, mesures de protection des victimes et prévention », explique Sophie Binet, membre de la CGT et négociatrice pour le collège travailleurs. Une norme ambitieuse et transverse qui veut aussi inclure les violences pendant le trajet menant au travail, dans les dortoirs où sont parfois logées les travailleuses comme les ouvrières du textile en Asie, mais aussi les violences conjugales. Le volet recommandations précisera la mise en place de mesures concrètes, comme celle inspirée par l’Australie et le Canada qui impose des congés de droit pour les femmes victimes de violences conjugales, après constatation médicale ou plainte : « Cet accès à des congés de droit permet aux victimes d’organiser leurs démarches et de se défendre tout simplement, argumente la dirigeante de la CGT en charge de l’égalité femmes-hommes. Parce que la première conséquence pour une femme victime de violences conjugales, c’est bien souvent la perte de son emploi, ce qui l’enferme dans une spirale catastrophique. »

Les violences contre les femmes au cœur de la prochaine convention

    Dans cette négociation tripartite, le camp des travailleuses et des travailleurs a réussi à construire une plateforme de revendications exigeante, malgré des cultures et situations très différentes selon les pays : inverser la charge de la preuve, obtenir une formation généralisée sur ces questions de violence, identifier et spécifier les violences fondées sur le genre qui sont au cœur des rapports de domination. Si le « féminisme washing », où l’art d’utiliser l’étiquette féministe pour redorer le blason des sociétés, a pu jouer auprès d’entreprises interpellées, la majorité des employeurs restent réticents à toute forme de texte normatif qui empêcherait un dumping social organisé à l’échelle mondiale. « En France, par exemple, ça fait des années qu’on demande que ce soit un sujet de négociation obligatoire à l’entreprise et le patronat refuse. Il y a un déni. », confirme Sophie Binet. Quant aux États, qui doivent ratifier aux deux tiers la norme pour qu’elle soit validée, il suffit d’écouter les saillies de Donald Trump, Jair Bolsonaro ou Recep Tayyip Erdoğan pour comprendre que la bataille n’est pas gagnée d’avance. « C’est un combat qui prend en frontal et à revers cette contre-révolution conservatrice qui amène l’extrême droite au pouvoir dans de plus en plus de pays, estime la syndicaliste. Contrairement à ce qu’on entend parfois, ce n’est pas la tarte à la crème et un sujet consensuel gagné d’avance, loin de là ! » Si la campagne syndicale internationale pour instaurer une norme mondiale contre les violences faites aux femmes avait commencé bien avant la déferlante #MeToo, le contexte actuel la rend encore plus incontournable. Et redonnerait à l’OIT, pour ses 100 ans, le dynamisme de la jeunesse.

Kareen Janselme et Loan Nguyen

Vers une ploutocratie mondiale ? (2ème partie)...

publié le 22 janv. 2016, 00:52 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 13 sept. 2018, 07:25 ]

à lire d'abord : Vers une ploutocratie mondiale ...

Le Richistan toujours plus coupé du monde

Thomas Lemahieu
Lundi, 18 Janvier, 2016
L'Humanité

   Dans une étude divulguée ce lundi, Oxfam dresse un bilan ravageur de l’explosion de l’injustice sociale à l’échelle planétaire. Une poignée d’ultra-fortunés détient autant de richesses que la moitié de l’humanité.

    À quelques jours des libations occasionnées par la noce annuelle des grandes puissances financières et politiques à Davos (Suisse), Oxfam jette un gros pavé dans ce marigot. Dans un rapport rendu public ce lundi et intitulé « Une économie au service du 1 % », l’ONG, spécialisée dans la lutte contre la pauvreté et pour la justice sociale, s’indigne de l’explosion des inégalités à l’échelle de la planète. Selon ses calculs, en 2015, 62 individus détiennent à eux seuls des richesses équivalant à celles des 3,5 milliards de personnes les plus pauvres, alors qu’il y a cinq ans les ultra-riches pesant autant que la moitié de l’humanité étaient encore 388. Entre 2010 et aujourd’hui, la fortune de ces 62 privilégiés, estimée à 1 760 milliards de dollars, a augmenté de 542 milliards de dollars (+ 44 %), quand la moitié la plus pauvre de l’humanité a vu, elle, ses ressources diminuer de plus de mille milliards de dollars (- 41 %). En élargissant un peu la focale, Oxfam s’appuie sur des données contenues dans une étude du Crédit Suisse révélant que les 1 % des plus riches ont désormais accumulé plus de richesses que le reste de la population mondiale. Depuis le début du siècle, la moitié la plus pauvre de l’humanité n’a bénéficié que de 1 % de l’augmentation totale des richesses, alors que les 1 % les plus riches se sont accaparés la moitié de cette augmentation.

Au cœur du dispositif, les paradis fiscaux

    À partir de ces chiffres, Oxfam se livre à un réquisitoire contre un « modèle économique fortement biaisé » en faveur des plus fortunés. « En lieu et place du ruissellement attendu sur les couches inférieures de la population, les revenus et les richesses sont aspirées à un rythme alarmant par cette élite », écrit l’ONG. Au cœur du dispositif, les paradis fiscaux – les Bermudes, les îles Caïmans, Singapour, Panama, la Suisse, mais aussi le Luxembourg, l’Irlande, les Pays-Bas et Jersey sont particulièrement mis en avant – garantissent que l’argent ainsi détourné reste hors de portée des États et des citoyens ordinaires. D’après une estimation de l’économiste Gabriel Zucman, reprise par Oxfam, 7 600 milliards de dollars, soit plus que les PIB de l’Allemagne et du Royaume-Uni additionnés, sont déposés sur des comptes offshore par des particuliers. L’ONG dénonce également le boom des pratiques d’optimisation fiscale inventées par les gestionnaires de patrimoine qui, dans la mondialisation financière, sont comme des poissons dans l’eau. « Seules les entreprises et les particuliers les plus fortunés – à savoir ceux qui devraient payer le plus d’impôts – ont les moyens de recourir à ces services et à ce maillage international pour éviter de payer ce qui est dû, relève Oxfam. Cela pousse indirectement les États qui ne sont pas des paradis fiscaux à alléger leur fiscalité sur les entreprises et sur les particuliers fortunés et ainsi à s’embarquer dans un implacable “nivellement par le bas”. L’assiette fiscale diminue du fait de cette optimisation généralisée, et ce sont les budgets des gouvernements qui en subissent les effets, engendrant des coupures dans les services publics de première nécessité. Les gouvernements se tournent donc de plus en plus vers l’imposition indirecte, comme la TVA, qui affecte de manière disproportionnée les plus pauvres. L’optimisation fiscale est un phénomène qui empire rapidement. »

    Toute cette ingénierie purement financière ne produit aucune richesse réelle pour la collectivité, mais, pire encore, accuse l’ONG, elle fragilise énormément les États qui n’ont pas les ressources nécessaires pour lutter contre la pauvreté et protéger les services publics les plus élémentaires. Selon Oxfam, « près d’un tiers de la fortune des riches Africains, soit 500 milliards de dollars, est placé sur des comptes offshore dans des paradis fiscaux. On estime que cela représente un manque à gagner fiscal de 14 milliards de dollars par an pour les pays africains. Cette somme couvrirait à elle seule les soins de santé susceptibles de sauver la vie de 4 millions d’enfants et permettrait d’employer suffisamment d’enseignants pour pouvoir scolariser tous les enfants africains ». Au-delà des revendications sur les salaires décents et sur la fin du transfert des richesses produites vers le capital, Oxfam International, dont la directrice générale Winnie Byanyima sera présente à Davos, appelle en priorité les dirigeants mondiaux à « s’entendre sur une approche globale pour éradiquer les paradis fiscaux ». Maintenant que le fameux slogan du mouvement Occupy Wall Street – « Nous sommes les 99 % » – est rattrapé par la réalité, il est plus que temps d’agir.


PS. de J.-P. R.
    il s'agit là d'un article de L'Humanité. Mais le journal La Croix a pris parti, de son côté, contre cette inégalité scandaleuse.  Et, en effet, cette aberration ne peut que révolter notre bon pape François...
addendum

 L’endormissement provoqué par l’unanimisme du monolithe médiatique nous conduit peu à peu au cauchemar. Après l’émission très instructive d’ARTE sur STARBUCKS j’ai fait un rapprochement inquiétant entre les propos de Scott Bedbury, directeur du marketing de Starbucks et ceux de Geoffroy Rue de Béziers, le successeur de P. Gattaz. Le premier a dit : "Nous plaçons notre confiance dans les marques. Une marque n’est pas seulement un produit, c’est comme une religion. Certaines sont très bonnes pour tenir cette promesse. Starbucks c’est 15 millions de cafés par jour, cela crée de la confiance et le défi de Starbucks c’est de promettre exactement la même expérience où que vous soyez. (…)". Et il lança en conclusion "La confiance dans les institutions (politiques) s’est effondrée aux USA. On ne se fait même plus confiance les uns les autres. Les grandes entreprises doivent se mobiliser car elles représentent la démocratie (sic), en particulier dans un pays comme le nôtre. Et elles la protègent. Je pense plus que jamais que nous, les FMN, nous devons nous efforcer de construire un monde meilleur".

Quant au successeur de Pierre Gattaz, il a vu dans le départ de Nicolas Hulot du gouvernement une occasion de plaider pour un monde livré aux grands "entrepreneurs". "Dans le spatial, les biotechnologies, la médecine, l'initiative est maintenant du côté du secteur privé. Ce sont les entrepreneurs qui vont relever la plupart des défis présents et à venir: transition énergétique, biodiversité, urbanisation", a-t-il assené. Et de s'exclamer : "Aujourd'hui, ce sont les entrepreneurs qui changent le monde !" La référence à Google et Facebook (il n’a pas regardé l’émission d’ARTE), que Geoffroy Roux de Bézieux n'a pas manqué de citer, laisse présager les conditions sociales, démocratiques et environnementales d'un tel monde. "Un tiers des consommateurs choisit désormais ses marques en fonction de leur impact environnemental ou social. Ils attendent des entreprises qu'elles soient des acteurs du changement sociétal.".

Chez STARBUCKS, les horaires sont mobiles et les salaires font le yo-yo, le PDG vient de s’acheter une maison de 25 millions de dollars. Ce n’est pas le seul élément de son patrimoine, rassurez-vous et ses gobelets ont toujours un revêtement intérieur plastic.(septembre 2018) J.-P. R.

Vers une ploutocratie mondiale ...

publié le 24 janv. 2014, 09:08 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 27 juil. 2016, 09:50 ]

INÉGALITÉS EXTRÊMES : DÉMOCRATIE EN DANGER

 

par Stéphane AUBOUARD

 

    Mots clés : inégalités, davos, forum économique mondial, rapport oxfam,

 

    Tandis que s’ouvre aujourd’hui la 44° édition du forum économique mondial de Davos, l’ONG Oxfam sort un rapport inquiétant sur l’accroissement des inégalités entre riches et pauvres.

    "La concentration massive des ressources économiques dans les mains de toujours moins de personnes constitue une réelle menace pour les systèmes économiques et sociaux". Les défenseurs zélés du capitalisme croiront sans doute cette formule tirée d’un manuel marxiste du XIXe siècle, et pourtant, c’est bien aujourd’hui, dans le dernier rapport d’Oxfam sur les inégalités économiques, que ces quelques lignes ont été écrites. Tandis que les puissants de la planète se regroupent ce mercredi (22 janvier 2014) à Davos, l’ONG tire la sonnette d’alarme, invitant les décideurs du forum mondial à prendre conscience d’une situation de plus en plus critique et dont les habitués de la station suisse ne semblent pourtant pas ignorer la gravité. En novembre 2013, le forum économique mondial n’affirmait-il pas lui-même dans son rapport, "Outlook On The Global Agenda 2014", que l’un des deux principaux risques des dix-huit prochains mois était l’accroissement des disparités de revenus ? Les personnes interrogées précisant que ces inégalités "affectaient la stabilité sociale au sein des pays" et "menaçaient la sécurité dans le monde".


    Oxfam fait donc le même constat dans ce nouveau rapport, basé sur plusieurs sondages, intitulé "Pour en finir avec les inégalités extrêmes", avec des analyses et des chiffres (voir infographie ci-dessus) souvent alarmants. Ainsi les 85 personnes les plus riches du monde posséderaient à elles seules l’équivalent de la richesse de la moitié la moins riche de la planète (soit plus de 3 milliards d’individus). De 1980 à 2012, les 1 % les plus riches aurait augmenté leur part de revenus dans 24 pays sur 26 étudiés. Sept personnes sur dix sur l’ensemble de la planète estiment également vivre dans un pays où le fossé des inégalités s’est creusé depuis trente ans. Mais qu’elles soient issues des pays émergents ou de pays développés, les personnes interrogées ne sont pas dupes. En Inde, au Brésil, en Espagne, en Afrique du Sud, au Royaume-Uni ou aux États-Unis, "une majorité de la population pense que les lois sont biaisées en faveur des riches". Aux États-Unis par exemple, 65 % des sondés sont convaincus que le Congrès adopte des lois qui bénéficient surtout aux riches. Ce que l’ONG analyse comme suit : "Lorsque les plus riches confisquent les politiques gouvernementales, cela conduit à l’érosion de la gouvernance démocratique".

 Des politiques d’austérité qui permettent aux riches de s’enrichir davantage

    Une érosion de la démocratie dont la source remonte au début des années 1980 avec les politiques ultralibérales mises en œuvre sous Reagan aux États-Unis et Thatcher au Royaume-Uni, qui feront le nid de la crise de 2008, véritable accélérateur d’inégalités entre riches et pauvres… Mais aussi entre travail et capital. "Alors que les actions et les profits des entreprises atteignent des niveaux vertigineux, les salaires stagnent", constate Oxfam, illustrant son affirmation par l’exemple européen : "Entre 2008 et 2010, la fortune combinée des 10 personnes les plus riches d’Europe dépasse le coût total des mesures de relance mises en place dans l’Union européenne ! (217 milliards d’euros contre 200 milliards d’euros". Une situation absurde, loin d’être le fruit d’un hasard cupide et qui, pour l’ONG, porte un nom : "Les politiques d’austérité mises en place après la crise pèsent lourdement sur les personnes pauvres alors qu’elles permettent aux riches de s’enrichir toujours plus !".

    Pour éviter l’explosion sociale que redoutent tant les membres du club de Davos, le texte invite ceux-ci à renverser la vapeur en piochant dans un passé récent. "Il existe heureusement des exemples indéniables de succès durant les trois décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, rappelle l’ONG. Les États-Unis et l’Europe ont réduit les inégalités tout en connaissant croissance et prospérité. L’Amérique latine les a elle aussi réduites ces dix dernières années par le biais d’une fiscalité plus progressive". Dans l’un et l’autre cas, des politiques de services publics et de protection sociale étaient alors accompagnées par une législation du travail en faveur des salariés. Un conseil que les quatre ministres français qui seront présents à Davos pourront peut-être faire remonter à François Hollande à l’heure où son pacte de responsabilité et ses 30 milliards d’euros de cadeaux faits aux patrons taillent encore un peu plus dans la chair d’une démocratie dont l’épitaphe, si rien ne bouge, pourrait être les derniers mots de ce rapport. "Sans une véritable action pour réduire ces inégalités, les privilèges et les désavantages se transmettront de génération en génération comme sous l’Ancien Régime".

 États Unis : l’exemple à ne pas suivre

    Dans son rapport, Oxfam rappelle le rôle pernicieux de l’argent dans le jeu politique américain : "Depuis la fin des années 1970, un contrôle insuffisant de l’argent dans la politique a permis à de riches individus et entreprises d’exercer une influence injustifiée sur l’élaboration des politiques du gouvernement. L’une des conséquences pernicieuses a été la création de politiques publiques biaisées en faveur des intérêts d’une élite, qui a coïncidé avec la plus forte concentration des richesses entre les mains de 1% des plus riches". Du coup, le pouvoir de négociation des syndicats s’est effondré et la valeur réelle du salaire minimum et d’autres mesures de protection s’est érodée. Dans le même temps, "de riches lobbies ont su influencer le législateur et le grand public afin de minimiser la pression fiscale sur les plus hauts salaires et les gains en capital, mais aussi pour créer des échappatoires fiscales pour les entreprises". Comme le capital est moins imposé que les salaires, des millions d’Américains de la classe moyenne ont un taux d’imposition plus élevé que les riches.

 

Stéphane AUBOUARD

Article paru dans l’Humanité du 22 janvier 2014

poursuivre : Vers une ploutocratie mondiale ? (2ème partie)...

addendum :


                             TOUJOURS PLUS !

    Une nouvelle étude confirme que les ultra-riches concentrent de plus en plus de richesses. Malgré la crise, leur nombre augmente, et leur richesse encore plus.

    Cette étude de WealthX et de la banque UBS recense les très riches qui ont amassés plus de 30 millions de dollars. Ils sont 211000, soit une augmentation de 6 % sur un an, et leur patrimoine cumulé a lui augmenté de 7 %. Ainsi possèdent -ils à eux seuls 13 % de la richesse mondiale.
Ils sont de mieux en mieux répartis dans le monde, même si les Etats-Unis abritent toujours le plus gros contingent d'ultra-riches, suivis de l'Europe et de l'Asie. Le continent africain reste en dernière place, avec 3005 ultra-riche, mais c'est là que l'augmentation est la plus forte, avec une augmentation de 8,3 %.

    La richesse cumulée de ces 211000 ultra-riches atteint les 30.000 milliards de dollars. C'est quasiment le PIB cumulé de l'Europe et des Etats-Unis. Presque la moitié du PIB mondial. C'est 3 fois le montant de toutes les dettes souveraines cumulées des pays européens. L'augmentation de cette richesse se fait principalement sur les marchés financiers, repartis comme s'il n'y avait jamais eu de crise. Toutefois, un tiers de ces ultra-riches ont hérité du gros de leur fortune.  Au niveau mondial, ce club est à une écrasante majorité (87%) composé d'hommes dont l'âge moyen est de 59 ans.

- Voir plus à : http://www.humanite.fr/les-211000-plus-riches-possedent-13-de-la-richesse-mondiale-558341#sthash.jTqGUdVF.eExLEVwj.dpbs

Inégalités : le retour des pharaons...article du MONDE DIPLOMATIQUE

publié le 15 mai 2013, 05:39 par Jean-Pierre Rissoan

    je publie cet article du Diplo, comme disent les gens branchés, article qui va parfaitement dans le sens de ceux de cette série et que j'avais intitulés 1914 -2014 : patrimoines et revenus du patrimoine, ça explose ! , L' envolée des fortunes... , ou encore l'article de Piketty lui-même : SUR LA PISTE DES NANTIS : Baisses d'impôt, retour aux fortunes d'antan, par Th. PIKETTY
   
    J.-P. R.


   

Inégalités : le retour des pharaons

LE MONDE DIPLOMATIQUE           
mardi 14 mai 2013
    

    « Les inégalités ont toujours existé », entend-on souvent dire par ceux qui aimeraient banaliser leur flambée. Certes, mais elles étaient encore plus prononcées du temps des pharaons. Notre modernité s’inspirerait-elle donc du temps de l'Égypte ancienne ?

    Ainsi que le rappelle Business Week (1), qui ne passe pas pour une publication anticapitaliste, le très célèbre théoricien du management Peter Drucker avait théorisé en 1977 qu’une entreprise dans laquelle les écarts de salaires dépassaient un rapport de 1 à 25 voyait ses performances diminuer. Car plus les inégalités se creusent, plus une mentalité individualiste destructrice sape le travail collectif, l’esprit d’équipe et, au final, les résultats de l’entreprise, y compris pour ses actionnaires. Être payé autant en une journée que d’autres en un mois semblait donc représenter la limite à ne pas dépasser. Non pas tant pour les ouvriers et employés qui, en général, ne se font guère d’illusion sur le côté « famille heureuse » de la structure privée qui les emploie (« Ils sont déjà persuadés, écrivait Drucker, que leurs patrons sont des escrocs »). C’est donc plutôt de l’encadrement que les problèmes surgiraient : au-delà d’un certain écart de rémunération, le cynisme gagne, le cœur à l’ouvrage se perd, l’absentéisme s’envole.

    Logiquement, Business Week a donc voulu savoir quelle était la situation actuelle aux États-Unis. C’est peu de dire que l’écart de 1 à 25 est pulvérisé. J. C. Penney, qui vend des chemises et des pantalons bon marché, permet aussi à son patron de ne pas se soucier de faire des économies vestimentaires. Chaque jour, la rémunération de Ronald Johnson correspond en effet à plus de six années de salaire d’un de ses employés. Car l’écart va de 1 à 1 795 entre la paie annuelle du premier (53,3 millions de dollars) et celle du vendeur moyen (vraisemblablement une vendeuse…), de J. C. Penney (29 000 dollars). A Abercrombie (2), médaille d’argent de l’iniquité, l’écart va de 1 à 1 640.

    Parmi les autres « lauréats » de ce classement, Starbucks est cinquième (écart de 1 à 1 135). Et Ralph Lauren, Nike, Ebay, Honeywell, Walt Disney, Wal-Mart et Macy’s se disputent les vingt premières places. A Intel, centième (et dernier) de la liste, l’égalité n’est pas tout à fait réalisée non plus, mais l’écart n’est « que » de 1 à… 299 (3).

    Bien sûr, certains vont trouver injuste de mettre sur le même plan la rémunération d’un « capitaine d’industrie » — forcément brillant, talentueux, innovant — avec celle d’un de ses employés qui, lui, n’aurait d’autre souci dans la vie que d’obéir. L’étude d’une autre publication, tout aussi peu subversive que Business Week, risque par conséquent de les décontenancer. Consacrant un dossier détaillé aux « Entreprises plus fortes que les Etats », L’Expansion (mai 2013) a cette fois comparé la rémunération des patrons du privé avec celle de responsables politiques de premier plan, à qui il arrive peut-être, à la Maison Blanche ou à l’Elysée, de prendre des décisions qui ne sont pas insignifiantes. On apprend alors que M. Tim Cook, patron d’Apple gagne près de 1 000 fois le salaire annuel de son compatriote Barack Obama (378 millions de dollars dans un cas, 400 000 dollars dans l’autre). Et que M. Maurice Lévy, patron (intouchable) de Publicis, s’attribue 127 fois la rémunération de son compatriote François Hollande.


(1) Elliot Blair Smith et Phil Kuntz, «  Disclosed : the pay gap between CEOs and employees  », 6 mai 2013.

(2) L’enseigne de prêt-à-porter s’est encore illustrée récemment, comme le relevait Rue89, par son refus de faire don des vêtements invendus, préférant les brûler.

(3) Le patron d’Intel, Paul Otellini, s’adjuge 17,5 millions de dollars par an, contre 58 400 dollars à son salarié moyen.


1914 -2014 : patrimoines et revenus du patrimoine, ça explose !

publié le 22 févr. 2013, 01:23 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 16 janv. 2019, 01:16 ]

publié le 23 oct. 2012 19:20 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 5 nov. 2012 19:05 ]
 
 
  les chapeaux d' Ascott, photo du film "My fair lady".

  

     L’économiste Thomas Piketty a fait une thèse qu’il a publiée[1] : il en a donné la substantifique moelle dans le Monde diplomatique, numéro de septembre 2001, par un article que j’ai exploité pour l’écriture de mon livre (chapitre 24, intitulé Et aujourd’hui ?, accessible gratuitement sur ce site) et que je vais exploiter maintenant à nouveau, article qui est intitulé "SUR LA PISTE DES NANTIS : Baisses d'impôt, retour aux fortunes d'antan". La formule-clé, selon moi et « retour aux fortunes d’antan ». NB. Tout ce qui est écrit en bleu relève de T. Piketty, les graphiques sont extraits de l’article de l’Humanité-dimanche du 11 octobre 2012 [2].

 

RETOUR AUX FORTUNES D'ANTAN

 

En effet, en lisant l’Humanité-Dimanche du 11 octobre 2012, je suis tombé sur le graphique suivant :


 

    Cela fait tilt ! n’est-ce pas ? notez qu’il n’y a aucune raison pour qu’un chercheur authentique ou qu’un hebdomadaire sérieux publient des sottises. Mais enfin le rapprochement est intellectuellement éblouissant.


Ah ! la Belle époque que voilà…

    La "Belle époque" où l’argent ruisselait de partout dans les châteaux et manoirs et hôtels particuliers est appelée « edwardienne period » en Angleterre : c’est, en effet, un phénomène général qui correspond à une phase A d’un cycle Kondratieff. Époque d’autant plus belle qu’elle suit, par définition, une phase B -the great deep- des Anglais où tout baissait : prix, bénéfices, salaires, profits, et où une seule chose augmentait ; le chômage. Rien de tout cela durant la Belle époque : le "surplus"[3] des économistes dégouline de partout. Mais cette période bénie est l’épanouissement de tout un siècle d’accumulation.

    En 1884, il y avait cinq Anglais parmi les douze hommes les plus riches du monde. Le baron de Rothschild, le duc de Westminster, le duc de Sutherland, le duc de Northumberland et le marquis de Bute. Sutherland était le plus grand propriétaire foncier avec 482.000 hectares[4]. Sept propriétaires possédaient chacun plus de 200.000 hectares. Le marquis de Breadalbane pouvait parcourir à cheval trente-trois heures en ligne droite sans sortir de ses terres. Le septième de la superficie totale du Royaume Uni était dans les mains de quatre-vingt-dix propriétaires dont soixante-sept figuraient au ''peerage'' c’est-à-dire étaient membres de la chambre des Lords. Il s’agit là des noblemen et non des gentlemen qui sont la catégorie en-dessous.

Figure supprimée par manque de place, visible sur la fiche MORT A VENISE, Luchino Visconti, 1971.

ci-dessus : le salon de l'hôtel des bains de Venise avec la famille princière polonaise en villégiature (Mort à Venise).

ci-dessous : Madame de..., comtesse, essaie ses pendentifs devant son miroir en Murano (Max Ophüls).


En France, à la veille de la première guerre mondiale, fortunes et revenus du patrimoine étaient à un niveau astronomique (sic). "En effet, la très forte concentration des fortunes observée au début du XXe siècle est le produit d'un siècle d'accumulation en période de paix : entre 1815 et 1914, les fortunes grossissaient sans crainte ni de l'impôt sur le revenu ni de l'impôt sur les successions (les taux d'imposition les plus élevés atteignaient des niveaux dérisoires avant 1914)".

"Le fossé séparant les 0,01 % des revenus les plus élevés (en pratique, toujours constitués pour une part prépondérante de revenus du capital) de la moyenne des revenus était de l'ordre de 5 fois plus considérable au début du XXe siècle qu'il ne l'est depuis 1945".

 

Le grand choc : 1914 - 1945

    Le "grand choc" - un des concepts-clé de Piketty - est l’ensemble constitué par la guerre de 1914, l’inflation du début des années 20, la crise de 29 et ses faillites, la seconde guerre mondiale.

    "Si les inégalités de revenus se sont néanmoins réduites au XXe siècle, cela tient pour l'essentiel aux chocs subis par les très hauts revenus du capital. Les très gros patrimoines (et les très hauts revenus du capital qui en sont issus) ont connu un véritable effondrement à la suite des crises de la période 1914-1945 (destructions, inflation, faillites des années 1930)". "Il fallut attendre les traumatismes humains et financiers provoqués par les guerres mondiales et la crise des années 1930 pour que la redistribution fiscale prenne une importance déterminante" (Piketty signifie par là qu’aucun élément ne permet d’affirmer que les inégalités auraient déjà commencé à se réduire avant le déclenchement de la guerre de 1914).

"À l'issue des chocs de la période 1914-1945, les conditions de l'accumulation de patrimoines importants se sont totalement transformées : les taux supérieurs des impôts sur le revenu et sur les successions ont atteint des niveaux extrêmement élevés (ceux appliqués aux revenus les plus élevés dépassent les 90 % dès les années 1920)". "Il est devenu matériellement impossible de retrouver des niveaux de fortunes comparables à ceux qui prévalaient avant les chocs".

    Le graphique suivant indique les taux d’imposition des tranches les plus élevées, aux États-Unis, à partir de 1916, année qui précède l’entrée en guerre décidée par Wilson et la banque Morgan.



    " (…) les Etats-Unis, outre qu'ils partaient de moins haut et que les chocs y furent moins profonds qu'en Europe, se singularisent par un très rapide retournement au cours des années 1980-1990 : en deux décennies, les inégalités ont retrouvé le niveau qui était le leur à la veille de la première guerre mondiale". Le graphique montre que c’est le démocrate Johnson qui a fait descendre le taux d’imposition de la tranche de revenus la plus élevée de 91 à 70%. Et c’est Nixon - républicain qui disait « nous sommes tous des Keynésiens » - qui fait remonter à 78%. Mais évidemment c’est Reagan qui fait entrer son pays dans l’ère des déficits massifs : avec lui, en deux étapes, le taux supérieur d’imposition dégringole de 70 à 50% puis de 50 à 28%. Les riches ne paient plus d’impôts ou presque, les déficits s’envolent -car la course aux armements perd tout contrôle- mais le dollar n’est plus « as good as gold »[5] : c’est du papier dans lequel tout le monde a confiance. Enfin, jusqu’à présent. Parce que les Chinois commencent à se méfier.

    Quoiqu’il en soit, répétons-le avec Piketty : en deux décennies, les inégalités ont retrouvé le niveau qui était le leur à la veille de la première guerre mondiale. Bien joué. Les Pigeons sont remplumés.

 

Un retour au FORTUNES D’ANTAN est-il possible ?


                                                            Hôtel particulier construit en 1897 à Paris

"Les éléments d'histoire comparative peuvent fournir quelques pistes. Dans tous les pays développés, les très gros patrimoines ont été très largement laminés au cours des années 1914-1945. Pourquoi les pays européens, et la France en tout premier lieu, ne finiraient-ils pas par suivre la trajectoire américaine et par retrouver au cours des premières décennies du XXIe siècle la très forte concentration des fortunes et des revenus qui prévalait à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle ?

Aussi incertaine soit-elle, l'idée d'un retour au XIXe siècle a cependant un certain nombre de fondements objectifs. Tout d'abord, la transformation des systèmes productifs observée dans les pays développés au tournant du troisième millénaire : caractérisée par le déclin des secteurs industriels traditionnels et le développement de la société de services et des technologies de l'information (mais toutes les époques ont vu des secteurs anciens décliner et des secteurs nouveaux émerger), elle a probablement pour conséquence de favoriser un accroissement rapide des inégalités. En particulier, la très forte croissance enregistrée dans les nouveaux secteurs est de nature à permettre l'accumulation en un temps relativement bref de fortunes professionnelles considérables. Ce phénomène a déjà été observé aux Etats-Unis dans les années 1990, et l'on voit mal pourquoi il ne gagnerait pas l'Europe.

De plus et peut-être surtout, la reconstitution au début du XXIe siècle de très gros patrimoines d'un niveau comparable à ceux du début du siècle est fortement facilitée par l'abaissement généralisé des taux marginaux d'imposition frappant les revenus les plus élevés. Il est évidemment beaucoup plus facile de constituer (ou de reconstituer) des patrimoines importants quand les taux marginaux supérieurs sont de 30 % ou 40 % (voire nettement moins, avec les exonérations particulières) que lorsque ces taux supérieurs sont de 70 % ou 80 %, voire davantage, durant les « trente glorieuses », notamment dans les pays anglo-saxons.

 

    Aux États-Unis, et, dans une moindre mesure, au Royaume-Uni, l'élargissement des inégalités patrimoniales observé au cours des années 1980-1990 a été grandement facilité par les très fortes baisses d'impôt dont ont bénéficié les revenus les plus élevés depuis la fin des années 1970. En France et dans les pays d'Europe continentale, la conjoncture politique et idéologique initiale était différente : alors que la crise économique des années 1970 fut très vite interprétée par les opinions anglo-saxonnes comme un aveu d'échec des politiques interventionnistes mises en place à l'issue de la seconde guerre mondiale (à commencer par l'impôt progressif), -on sait que Johnson avait lancé un plan de lutte contre la pauvreté aux Etats-Unis, Reagan a eu ces paroles fortes : la misère à gagné ! en foi de quoi, Reagan va enrichir les riches (JPR) -  les opinions européennes ont pendant longtemps refusé de remettre en cause les institutions associées à la période bénie de la croissance (comprendre les éléments constitutif de l’Etat-Providence mis en place à la Libération pour ce qui concerne la France et que la Droite et le MEDEF veulent faire disparaître -JPR). Mais ce grand écart transatlantique a fini par se réduire : outre que la stagnation des pouvoirs d'achat constatée au cours des années 1980-1990 a partout conduit à un certain rejet de l'impôt sur le revenu, l'existence (réelle ou supposée) d'une mobilité de plus en plus forte des capitaux et des « super-cadres » constitue aujourd'hui un puissant facteur poussant les différents pays à s'aligner sur une fiscalité allégée pour les revenus en question.

 

En conclusion :

Les Américains, je parle des braves gens, sont aussi stupides et naïfs qu’ailleurs. Le graphique ci-dessous montre que les 20% les plus riches des Américains se partagent 83% des richesses réelles : il n’en reste que 17% pour les 80% moins riches et très pauvres. Mais, trompés par leur illettrisme ou leurs médias ou les évangélistes, les braves gens pensent que les 20% plus riches ont 60% des richesses à leur disposition et croient qu’ils en ont 40%. Leur souhait (3° bâton du graphique) montre un grand désir d’égalitarisme. Même aux États-Unis.



2° conclusion :

Je copie/colle le chapeau de l’article de Piketty écrit en septembre 2001. "Afin de prévenir l'expatriation des « investisseurs » que dissuaderait un environnement « peu propice aux affaires », le gouvernement français envisage une nouvelle baisse d'impôt destinée aux hauts revenus. Lorsqu'il s'agit des riches, le moins-disant fiscal est en effet devenu une mode internationale". Qui gouvernent en 2001 ? Chirac est à l’Élysée mais Jospin est premier ministre avec un gouvernement gauche plurielle. Peut-on parler d’une différence radicale entre l’UMP et le PS ?

Le luxe de ce palais et des parures est à mettre en rapport avec l'intérieur des fermes des paysans siciliens. Cette époque de l'unité italienne date d'une précédente phase A ; celle de 1850 à 1873. (Le guépard, de Visconti).

Last but not least, Pour les ouvriers aussi on revient au XIX° siècle, MM. Arnault et Lagerfeld peuvent être satisfaits. A votre avis de quand date ce texte ?
                           

"Jamais mon père ne s'était trouvé aux prises avec autant de difficultés. Il n'avait pas de travail et la fin de ses ressources approchait. Il fallait absolument aviser. Il plaça ma sœur ainée apprentie (…) ; puis mon frère Jean-Pierre, ‘…). Mon père et mon frère ainé allèrent à la campagne chercher de l'ouvrage comme ouvriers (…). Après avoir parcouru les environs de Lyon, ils finirent par en trouver à Saint-Didier-au-Mont-d'Or. Avant de prendre cette résolution qui devait nous disperser, mon père lutta longtemps, il attendit d'être réduit à la dernière extrémité ; il espérait toujours trouver une occupation à Lyon qui lui permettrait de nous faire vivre tous ensemble.

Un des souvenirs les plus pénibles de mon enfance se rapporte à ce temps. Nous n'avions que du pain sec à manger et de la soupe maigre aux heures des repas. A mesure que les ressources diminuaient, mes parents trouvaient que l'appétit de leurs enfants augmentait. En effet, ne mangeant ni viande, ni œufs, ni fromage, nous avions toujours faim. Quand on nous donnait du pain, nos parents nous disaient : «Vous n'aurez que ça, ne mangez pas trop vite». Un jour, mes parents étaient inquiets, ils avaient engagé tout ce qu'ils avaient pu Crédit municipal, il ne leur restait rien, le pain allait manquer. J'avais faim, je demandai à manger. Ma mère me donna un peu de pain. Je la remerciai et, sans songer à la situation critique où se trouvait notre famille, je me mis à sauter en dévorant mon pain. Ma mère, qui était pourtant la meilleure des femmes se leva indignée et me donna un soufflet en me disant : «Trouves-tu que tu ne digères pas assez vite ? ». Je mis le reste du morceau de pain que je mangeais sur la table et j'allais m'accroupir sur les carreaux dans un coin".



[1] Les Hauts Revenus en France au XXe siècle - Inégalités et redistributions, 1901-1998, Grasset, Paris, 812 pages, 196,80 francs (30 euros). (1) L’enquête de Piketty s'appuie notamment sur une exploitation systématique de sources fiscales : les déclarations de revenus (qui apparaissent avec la création de l'impôt sur le revenu en 1914), les déclarations de salaires (qui apparaissent avec la création d'un impôt sur les salaires en 1917), et les déclarations de succession (qui apparaissent avec la création de l'impôt progressif sur les successions en 1901).on trouvera le texte intégral de l'article de Piketty par ce lien :  SUR LA PISTE DES NANTIS : Baisses d'impôt, retour aux fortunes d'antan, par Th. PIKETTY

[2] Article de Christophe DEROUBAIX, "derrière le duel Obama-Romney, la fin du rêve américain ?".

[3] Grosso modo, on produit des richesses pour les consommer, les exporter et amortir les investissements qui permettront de produire à nouveau. En période de grande prospérité, il y a un reliquat que les économistes  appellent le surplus. Le surplus fait le bonheur de l’industrie du luxe, du gaspillage, des m’as-tu-vu, de ceux dont on dit que « l’argent leur brûle les doigts »…

[4] Dixième fortune mondiale, en 1884. C’est la superficie d’un département français.

[5] Depuis les accords de la Jamaïque, 1976.

les marchés financiers ? c'est l'oligarchie !

publié le 22 févr. 2013, 01:21 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 22 févr. 2013, 01:48 ]

publié le 8 mars 2012 10:34 par Jean-Pierre Rissoan

par Geoffrey Geuens


Et d’abord qui est Geoffrey Geuens ?

Chargé de cours au département "arts et sciences de la communication" de l’université de Liège, Geoffrey Geuens prend avec sérieux, sinon au sérieux, les discours publics d'un banquier « de gauche » comme Jean Peyrelevade. "Rompre avec le capitalisme, c'est rompre avec qui ? " interrogeait ce dernier en 2005. "Mettre fin à la dictature du marché, fluide, mondial et anonyme, c'est s'attaquer à quelles institutions ? (...) Marx est impuissant, faute d'ennemis identifié". Dans son étude saisissante des conseils d'administration des grandes institutions financières, de leur composition, des trajectoires entremêlées en politique et aux affaires de leurs dirigeants, des mariages qui lient entre elles les différentes oligarchies nationales[1] , l'universitaire recourt aux armes de la sociologie pour dresser une précieuse cartographie des classes dominantes en Europe et dans le monde, avec la perspective assumée de ne plus "laisser impensés les véritables bénéficiaires du système et de la crise des dettes publiques".

dans ce souci d'incarner, c'est-à-dire de donner chair, à l'invisible (soi-disant), on retrouvera l'étude de chercheurs suisses que j'ai reproduite ici-même sous le titre MAIS QUI SONT LES AGENTS DES MARCHES FINANCIERS ? 

NB. le souligné en bleu l'a été par moi-même JPR.

 

 

Entretien réalisé par Thomas Lemahieu

 

 

Dans votre ouvrage, vous démolissez une série de lieux communs qui saturent aujourd'hui le débat public : la finance serait insaisissable, hors de portée du pouvoir, elle serait, comme l'a dit François Hollande dans un passage fameux de son discours du Bourget, «sans visage» car elle « ne se présente pas aux élections »..Que pensez-vous de ce type de déclarations politiques ?

GEOFFREY GEUENS. Ce discours de François Hollande est en effet extraordinaire car il synthétise l'idéologie dominante, la doxa, de manière éclatante. La difficulté, c'est de prendre de la distance avec des concepts rabâchés par la science politique la plus sclérosée, des grilles de lecture aussi répandues dans le débat public que les oppositions entre l’Etat et les marchés, le public et le privé, la politique et l'économie... Quand on en reste au niveau des généralités, ces oppositions tiennent la route, mais en se rapprochant du terrain, ces concepts académiques finissent par faire obstacle à la réflexion. A cc niveau-là, les frontières étanches deviennent bien plus poreuses : quand on regarde dans une perspective sociologique comment fonctionnent l'Etat et le marché, on se rend compte que les trajectoires biographiques voient les dominants passer d'un espace professionnel à l'autre. Les hommes d'Etat deviennent des hommes d'affaires, les hommes d'affaires deviennent hommes d'Etat. Dès lors, ce qui est en jeu, c'est là consolidation de la classe dominante. Derrière les oppositions entre les marchés financiers et les États, je vois l'unité d'une classe dont les membres passent allègrement d'un espace à l'autre...


Qu’est-ce qui vous conduit à-décrire comme une fiction les marchés financiers que vous désignez entre guillemets ? -

GEOFFREY GEUENS. Le « marché », je ne sais pas ce que c’est en réalité... Je connais des entreprises, des grandes familles, des fonds d'investissement, des actionnaires, des groupes de pression etc. Cela, ça existe ! Mais des marchés qui gouverneraient le monde, comme on l'entend chez les altermondialistes, je ne vois pas bien ce que cela signifie concrètement... Face à ces « marchés », on nous explique qu'il s'agirait de permettre à l'État de « reprendre la main ». Mais il en va de même pour 1'Etat : je ne sais pas trop ce que c'est, je connais des institutions, des banques centrales, des Parlements, des exécutifs, des hommes politiques... Derrière ces deux entités abstraites, à la fois désincarnées et distantes, ce que l'on constate quand on va y voir de plus près c'est qu'il y a des liens très étroits entre les uns et les autres. Depuis une bonne dizaine d'années, le discours critique du capitalisme se limite, pour l'essentiel, à une dénonciation des « marchés financiers » ou du « néolibéralisme ». Ces termes tombent, à mon sens, à côté de la plaque. En dehors du discours d'accompagnement qu'il constitue, le néolibéralisme n'existe pas. Il supposerait une extériorité réciproque du marché et de l'État, avec la concurrence effrénée comme paradigme absolu dans un univers totalement dérégulé. Or, en réalité, le système ne fonctionne pas du tout ainsi : le capitalisme reste très centré sur les États, avec beaucoup de cartels et d'interpénétrations... La confusion entretenue entre des termes comme « capitalisme » et « néolibéralisme » me paraît très néfaste au moment où, dans une période de crise comme celle que nous connaissons, il s’agit de construire les groupes sociaux, de renforcer les consciences politiques, d’identifier des adversaires et de mener le combat.

« La finance, mon adversaire, n’a pas de visage, et elle ne se présente pas aux élections », a dit le candidat socialiste à l’élection présidentielle. Il est plus confortable de dénoncer la finance que de s'en prendre aux acteurs réels de la banque et de la grande industrie. Un tel projet obligerait François Hollande, il est vrai, à s'attaquer aux privilèges de certains de ses propres conseillers et de ses ex-collègues européens reconvertis dans le monde des affaires


Selon vous, concentrer la lumière sur ces «marchés» sert à occulter l’adversaire qui est l'oligarchie...

GEOFFREY GEUENS. En principe, dans une démocratie, la politique, c'est le conflit, le choc des confrontations. Mais à partir du moment où l'adversaire désigné est aussi éloigné que les « marchés financiers », comment fait-on ? Je m'inscris dans le paradigme d'une sociologie critique, à la fois bourdieusienne et marxiste; et je me reconnais entièrement dans les travaux de Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon en parlant, comme eux, d'oligarchie, ce qui permet de désigner la fraction hégémonique des classes dominantes.

Allez convaincre l'ouvrier d'Arcelor-Mittal à Liège ou à Florange qu'il doit lutter contre la finance ! Ce discours sur les « marchés financiers » peut s'avérer très démobilisateur parce qu'il efface les groupes sociaux qui dominent les classes populaires et une bonne partie des couches moyennes… Cela peut paraître ringard, mais si l'on veut s'adresser à ceux qui ont conquis toutes les avancées sociales dans nos pays, il faut repartir des réalités incarnées, ne pas se laisser entraîner dans l'éther de la mondialisation financière, établir les combats chez nous dans les limites, d'abord, de l'État-nation parce que c'est à ce niveau-là que le capitalisme continue prioritairement de se structurer, et pas à l'échelle globale !


Vous évoquez les Pinçon-Charlot...Qu'apportent les outils d’une sociologie des dominants dans le monde opaque des fonds d'investissement, par exemple ?

GEOFFREY GEUENS. Les fonds d'investissement et les hedge funds constituent une espèce de terra incognita : c'est présenté comme de l'argent électronique qui circule dans l'opacité totale sur toute la planète, mais ce sont en fait des entreprises qui ont des gestionnaires. Et, dans ce monde-là aussi, les dirigeants passent d'un espace à l'autre... Il n'y a pas d'un côté un capitalisme agressif -celui des hedge funds- et un autre qui serait civilisé, c'est le même ! Aux États-Unis, le plus grand gestionnaire de hedge funds, c'est JPMorgan, le trust américain par excellence. En Europe, ce sont les mêmes logiques : ici aussi, on a des familles, des liens entre les dirigeants. On trouve un bon exemple de vieilles familles industrielles qui changent pour que rien ne change avec les Wendel, passés des forges au capital-investissement. Dans le monde du capitalisme financier, tout est très politique, très proche de l'État, et il n'est ni plus ni moins sauvage que le capitalisme -traditionnel, pas moins lié au pouvoir... Dans un secteur qui apparaît, de l'extérieur; comme très anglo-saxon, on retrouve aussi en-réalité la reproduction la plus classique de l'oligarchie française.

Autre exemple flamboyant de ces interpénétrations entre Etat et marchés, les agences de notation...

GEOFFREY GEUENS. Quand on étudie de près l'actionnariat et le profil des dirigeants de ces agences, on retrouve un maillage d'hommes politiques, d'hommes d'affaires, de gauche[2] comme de droite... Les agences ne sont pas non plus désincarnées, ce sont des entreprises privées qui jouent du capitalisme de connivence. Alors qu'avant la crise, comme le note l'économiste Jacques Généreux, personne ne s'occupait de ce qu'elles disaient, les agences de notation sont devenues incontournables, ce sont des alibis pour imposer l'austérité. Cela ne veut pas dire qu'il y a un complot, mais simplement l'expression d'affinités structurelles au sein de la classe dominante.


À l’aune de votre critique de l’intrication entre l'État et les marchés que penser de l’inflation de gouvernements « techniques » à l'occasion de la crise des dettes publiques ?

GEOFFREY GEUENS. En Italie, on présente dans les médias le gouvernement de Mario Monti comme celui des « experts », de « sages » de la « société civile ». Là, ça devient magnifique ! Il serait composé d'un seul banquier, PDG d'un établissement financier, puis d'une kyrielle de professeurs d'économie à l'université. Ce sont eux, les « sages » ! Mais en étudiant leurs trajectoires, on constate qu'ils siègent tous dans les conseils d'administration des banques..: Donc; en fait de gouvernement de la « société civile », on a plutôt un gouvernement de banquiers ! Ces étiquettes servent à faire passer la pilule, c'est un gouvernement du monde des affaires ! Et c'est le même mouvement en Grèce avec Lucas Papademos... Pendant les crises, les masques tombent : en Grèce, c'est éclatant, la socia1-démocratie est au gouvernement avec la droite et, jusqu'à il y a peu, l'extrême droite, pour imposer l'austérité. Sous couvert d'expertise et de gouvernement des « sages », c'est la démocratie que l'on confisque au profit immédiat et exclusif des classes dominantes...

Votre livre, et c'est tout son intérêt fourmille d'informations sur ces oligarques du monde entier… Mais si vous deviez en citer quelques-uns, qui choisiriez-vous ?

GEOFFREY GEUENS. Jacques de Larosière, c'est un bon exemple. Il a été choisi par la Commission européenne pour établir un rapport sur la crise en 2008. Dans cette situation, les institutions européennes font comme on fait aux Etats-Unis : on va prendre un membre de l'establishment politico-financier qui a tous les signes extérieurs de la respectabilité publique, politique, étatique. Un homme d'État, Jacques de Larosière : c'est l’ancien gouverneur de la Banque de France et patron du FMI... C'est un « sage ». Il a été à la tête d'autres commissions, où déjà il s'agissait de surveiller les marchés même si visiblement, ça n'a pas marché ! Mais ce qu'on ne dit pas, c'est qu'au moment où il rédige le rapport pour la Commission européenne, il est aussi conseiller du président de BNP-Paribas, du trust financier BMB - contrôlé par certaines pétromonarchies du Golfe - et ancien conseiller d'AIG, premier assureur mondial, sauvé de la faillite en 2008 par la FED. Cela démontre bien la dimension de l'oligarchie : c'est un Français qui défend les intérêts des groupes financiers français, mais avec un ancrage et un capital social internationaux.

En Grande-Bretagne, le gouvernement de Gordon Brown avait nommé Paul Myners comme secrétaire d'État aux Services financiers mais il a fini par faire l'objet de controverses lorsque l'on a appris qu'il siégeait dans des hedge funds immatriculés dans des paradis fiscaux (Bermudes, Jersey...). C'est extraordinaire. On ne peut pas croire que ça soit un incident, une erreur de casting, évidemment ! Cela montre que le discours de la régulation, c'est du pipeau complet ! En période de crise, c'est le minimum syndical idéologique de l'oligarchie, mais quand on gratte un peu, on se rend compte que c'est un jeu de dupes.

Du côté de ceux qui apparaissent moins comme des techniciens que comme des vrais politiques, on va de surprise en surprise. Tous les anciens dirigeants de ces vingt dernières années qui ont incarné la « troisième voie » et le social-libéralisme, tous ces gens qui ont démantelé l'État-providence dans leurs pays, attaqué les droits sociaux un à un, les Tony Blair, Gerhard Schröder (Rothschild, TNK-BP), Wim Kok (Shell, ING), Göran Persson (JKL/Publicis), passent dans la communauté des affaires pour services rendus. Avec son visage jovial de grand-père, Romano Prodi, le « technicien » par excellence, personnalité de centre gauche et ex-président du Conseil italien, est membre du comité international de la compagnie pétrolière BP, aux côtés de Javier Solana et de l'ex-chef de cabinet de George W Bush. Kofi Annan, l'ancien secrétaire général de l'ONU, vient de rejoindre le comité international de JPMorgan Chase présidé par Tony Blair, tout en ayant aussi, par ailleurs, épousé une Wallenberg, la plus grande dynastie d'affaires suédoise.


Pour revenir en France, après sa déclaration tonitruante au Bourget, Français Hollande a, quelques semaines plus tard, déclaré à la presse anglo-saxonne qu'elle n'avait pas d'inquiétude à avoir puisque les socialistes avaient libéralisé les marchés...Y a-t-il un retournement ?

GEOFFREY GEUENS. François Hollande a affirmé à plusieurs reprises qu'il serait aussi le candidat de la «rigueur juste » ; on sait ce que cela signifie... Aujourd'hui, ce qu'il faut faire, c'est faire bloc et refuser l'austérité en bloc, décidée non pas par des « marchés financiers », mais bel et bien par des gouvernements, y compris sociaux-démocrates... Dénoncer, pendant la campagne, les « marchés financiers » pour mieux faire ava1er, ensuite, la pilule de l'austérité, c'est vieux comme le monde ; et, pourtant, certains vont encore tomber dans le piège...

 

L’Humanité des 2-3-4 mars 2012, l’Humanité des débats.



[1] "La Finance imaginaire, Anatomie du capitalisme : des "marchés financiers" à l'oligarchie", de Geoffrey Geuens, éditions Aden, Bruxelles, 368 pages, 25 euros.

[2] Laquelle ? il y en a au moins deux (JPR)…

SUR LA PISTE DES NANTIS : Baisses d'impôt, retour aux fortunes d'antan, par Th. PIKETTY

publié le 22 févr. 2013, 01:19 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 22 févr. 2013, 01:48 ]

publié le 24 oct. 2012 11:50 par Jean-Pierre Rissoan

Soucieux du respect qu’on doit à un auteur et à son texte, je publie intégralement l’article de Thomas Piketty publié dans le numéro du Monde diplomatique de septembre 2001.[1] je vous renvoie à l’article que cet article m’a inspiré avec le non moins remarquable article de DEROUBAIX dans l’Huma-dimanche d’octobre 2012. Onze ans d’écart entre les deux articles  mais ils se complètent à merveille.

1914 -2014 : patrimoines et revenus du patrimoine, ça explose !

 

.J.-P.R.

 

 

SUR LA PISTE DES NANTIS : Baisses d'impôt, retour aux fortunes d'antan

 

Par Thomas PIKETTY

 

Afin de prévenir l'expatriation des « investisseurs » que dissuaderait un environnement « peu propice aux affaires », le gouvernement français envisage une nouvelle baisse d'impôt destinée aux hauts revenus. Lorsqu'il s'agit des riches, le moins-disant fiscal est en effet devenu une mode internationale. La Russie a déjà supprimé la progressivité de l'impôt, l'Argentine envisage de le faire. Quant aux Etats-Unis, la richesse y est toujours aussi concentrée et aussi « blanche ».

Comment les inégalités de revenus, de salaires et de patrimoines ont-elles évolué en France au cours du XXe siècle, et pourquoi ? Cette enquête repose sur des sources fiscales qui n'avaient jamais été véritablement exploitées sur une longue période, et sur l'analyse des discours et programmes politiques en matière de redistribution.

Les inégalités se sont réduites en France au XXe siècle[2]. Mais, contrairement à ce que certaines théories optimistes pourraient laisser croire, cette réduction ne ressemble en rien à un phénomène généralisé et irréversible. En particulier, on constate que l'inégalité des salaires, au-delà des multiples fluctuations de court et moyen terme, n'a en réalité pratiquement pas changé. Par exemple, les 10 % des salariés les mieux rémunérés ont toujours disposé d'un salaire moyen de l'ordre de 2,5 à 2,6 fois le salaire moyen de l'ensemble de la population ; les 1 % des mieux rémunérés ont toujours reçu un salaire moyen de l'ordre de 6 à 7 fois le salaire moyen de l'ensemble de la population...

Les différentes formes de travail humain se sont totalement transformées entre les deux extrémités du siècle, et le pouvoir d'achat moyen a été multiplié par 5 environ, mais la hiérarchie des rémunérations est restée la même. Cette impressionnante stabilité doit sans doute être mise en parallèle non seulement avec la permanence des écarts de qualifications et de formations, mais également avec le très large consensus qui a toujours entouré ces hiérarchies salariales : l'inégalité des salaires n'a jamais été véritablement remise en cause par quelque mouvement politique que ce soit.

Si les inégalités de revenus se sont néanmoins réduites au XXe siècle, cela tient pour l'essentiel aux chocs subis par les très hauts revenus du capital. Les très gros patrimoines (et les très hauts revenus du capital qui en sont issus) ont connu un véritable effondrement à la suite des crises de la période 1914-1945 (destructions, inflation, faillites des années 1930).

Les décennies qui se sont écoulées depuis 1945 n'ont toujours pas permis à ces fortunes et à ces revenus de retrouver le niveau astronomique qui était le leur à la veille de la première guerre mondiale. L'explication la plus convaincante est liée à l'impact dynamique de l'impôt progressif sur l'accumulation et la reconstitution de patrimoines importants.

En effet, la très forte concentration des fortunes observée au début du XXe siècle est le produit d'un siècle d'accumulation en période de paix : entre 1815 et 1914, les fortunes grossissaient sans crainte ni de l'impôt sur le revenu ni de l'impôt sur les successions (les taux d'imposition les plus élevés atteignaient des niveaux dérisoires avant 1914). A l'issue des chocs de la période 1914-1945, les conditions de l'accumulation de patrimoines importants se sont totalement transformées : les taux supérieurs des impôts sur le revenu et sur les successions ont atteint des niveaux extrêmement élevés (ceux appliqués aux revenus les plus élevés dépassent les 90 % dès les années 1920).

Il est devenu matériellement impossible de retrouver des niveaux de fortunes comparables à ceux qui prévalaient avant les chocs. L'ampleur des transformations ainsi induites mérite d'être soulignée : le fossé séparant les 0,01 % des revenus les plus élevés (en pratique, toujours constitués pour une part prépondérante de revenus du capital) de la moyenne des revenus était de l'ordre de 5 fois plus considérable au début du XXe siècle qu'il ne l'est depuis 1945. Ce ne sont pas les revenus du capital en tant que tels qui ont disparu, mais plutôt leur concentration qui s'est fortement réduite : le partage global du revenu national entre revenus du travail et revenus du capital a été stable en France au cours du siècle, mais les répartitions à l'intérieur de chacune de ces catégories ont évolué de façon totalement différente (la répartition des revenus du travail n'a pratiquement pas changé, alors que celle des revenus du capital s'est fortement comprimée).

En outre, rien ne permet de conforter l'idée selon laquelle les inégalités auraient déjà commencé à se réduire avant le déclenchement du premier conflit mondial. En l'absence des chocs des années 1914-1945, il est probable que la France n'aurait pas quitté de sitôt le sommet inégalitaire du début du siècle dernier. En particulier, il fallut attendre les traumatismes humains et financiers provoqués par les guerres mondiales et la crise des années 1930 pour que la redistribution fiscale prenne une importance déterminante.

Cela ne signifie pas nécessairement qu'il faille considérer la compression des inégalités comme due au hasard des événements guerriers ou boursiers. Il n'est pas interdit de voir dans les crises des années 1914-1945 une réponse endogène à l'inégalité insoutenable qui caractérisait alors le capitalisme.

Un retour au XIXe siècle est-il possible ? Les éléments d'histoire comparative peuvent fournir quelques pistes. Dans tous les pays développés, les très gros patrimoines ont été très largement laminés au cours des années 1914-1945. Mais les Etats-Unis, outre qu'ils partaient de moins haut et que les chocs y furent moins profonds qu'en Europe, se singularisent par un très rapide retournement au cours des années 1980-1990 : en deux décennies, les inégalités ont retrouvé le niveau qui était le leur à la veille de la première guerre mondiale. Pourquoi les pays européens, et la France en tout premier lieu, ne finiraient-ils pas par suivre la trajectoire américaine et par retrouver au cours des premières décennies du XXIe siècle la très forte concentration des fortunes et des revenus qui prévalait à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle ?

Une telle prédiction est certes extrêmement risquée. L'examen détaillé du siècle passé montre en effet que l'histoire des inégalités est largement imprévisible. En particulier, l'inégalité des salaires, en dépit de sa très grande stabilité séculaire, a connu au cours du XXe siècle une alternance complexe de phases de compression et d'élargissement. Les ruptures de cette histoire ont souvent été les mêmes que celles de l'histoire générale de la France  : outre les deux guerres mondiales, qui ont conduit à des compressions importantes des hiérarchies salariales, vite comblées lors de chacun des deux après-guerres, 1936, 1968 et 1982-1983 constituent également des tournants importants dans l'histoire de l'inégalité des salaires. Il serait fort étonnant que l'on n'observe pas le même type de fluctuations et de ruptures au cours de ce siècle ; il serait présomptueux de prétendre pouvoir les prévoir.

Aussi incertaine soit-elle, l'idée d'un retour au XIXe siècle a cependant un certain nombre de fondements objectifs. Tout d'abord, la transformation des systèmes productifs observée dans les pays développés au tournant du troisième millénaire : caractérisée par le déclin des secteurs industriels traditionnels et le développement de la société de services et des technologies de l'information (mais toutes les époques ont vu des secteurs anciens décliner et des secteurs nouveaux émerger), elle a probablement pour conséquence de favoriser un accroissement rapide des inégalités. En particulier, la très forte croissance enregistrée dans les nouveaux secteurs est de nature à permettre l'accumulation en un temps relativement bref de fortunes professionnelles considérables. Ce phénomène a déjà été observé aux Etats-Unis dans les années 1990, et l'on voit mal pourquoi il ne gagnerait pas l'Europe.

De plus et peut-être surtout, la reconstitution au début du XXIe siècle de très gros patrimoines d'un niveau comparable à ceux du début du siècle est fortement facilitée par l'abaissement généralisé des taux marginaux d'imposition frappant les revenus les plus élevés. Il est évidemment beaucoup plus facile de constituer (ou de reconstituer) des patrimoines importants quand les taux marginaux supérieurs sont de 30 % ou 40 % (voire nettement moins, avec les exonérations particulières) que lorsque ces taux supérieurs sont de 70 % ou 80 %, voire davantage, durant les « trente glorieuses », notamment dans les pays anglo-saxons.

Rentiers ou entrepreneurs ?

Aux Etats-Unis, et, dans une moindre mesure, au Royaume-Uni, l'élargissement des inégalités patrimoniales observé au cours des années 1980-1990 a été grandement facilité par les très fortes baisses d'impôt dont ont bénéficié les revenus les plus élevés depuis la fin des années 1970. En France et dans les pays d'Europe continentale, la conjoncture politique et idéologique initiale était différente : alors que la crise économique des années 1970 fut très vite interprétée par les opinions anglo-saxonnes comme un aveu d'échec des politiques interventionnistes mises en place à l'issue de la seconde guerre mondiale (à commencer par l'impôt progressif), les opinions européennes ont pendant longtemps refusé de remettre en cause les institutions associées à la période bénie de la croissance.

Mais ce grand écart transatlantique a fini par se réduire : outre que la stagnation des pouvoirs d'achat constatée au cours des années 1980-1990 a partout conduit à un certain rejet de l'impôt sur le revenu, l'existence (réelle ou supposée) d'une mobilité de plus en plus forte des capitaux et des « super-cadres » constitue aujourd'hui un puissant facteur poussant les différents pays à s'aligner sur une fiscalité allégée pour les revenus en question.

Tout semble donc concourir à faire des premières années de ce siècle des années fastes pour les détenteurs de patrimoines. Mais cette conjoncture économique et intellectuelle durera-t-elle ? L'expérience du XXe siècle suggère que des sociétés trop évidemment inégales sont intrinsèquement instables. L'étude du siècle passé confirme qu'une trop forte concentration du capital peut avoir des conséquences négatives en termes d'efficacité économique, et pas seulement du point de vue de la justice sociale. Il est fort possible que l'aplatissement des inégalités patrimoniales survenu au cours de la période 1914-1945, en accélérant le déclin des anciennes dynasties capitalistes et en favorisant l'émergence de nouvelles générations d'entrepreneurs, ait contribué à dynamiser les économies occidentales des « trente glorieuses ». L'impôt progressif a le mérite d'empêcher que se reconstituent des situations analogues à celle qui prévalait à la veille de la première guerre mondiale, et sa mise à mal pourrait avoir pour effet de long terme une certaine sclérose économique.

 



[1] Cet article reprend les principales conclusions du livre Les Hauts Revenus en France au XXe siècle - Inégalités et redistributions, 1901-1998, Grasset, Paris, 812 pages, 196,80 francs (30 euros).

[2] Cette enquête s'appuie notamment sur une exploitation systématique de sources fiscales : les déclarations de revenus (qui apparaissent avec la création de l'impôt sur le revenu en 1914), les déclarations de salaires (qui apparaissent avec la création d'un impôt sur les salaires en 1917), et les déclarations de succession (qui apparaissent avec la création de l'impôt progressif sur les successions en 1901).

MAIS QUI SONT LES AGENTS DES MARCHES FINANCIERS ?

publié le 22 févr. 2013, 01:18 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 22 févr. 2013, 01:48 ]

publié le 15 nov. 2011 18:30 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 21 nov. 2011 12:01 ]

Cet article est un daille-geste -un digest, si vous préférez- d’un dossier sur "Les 50 maîtres du Monde" et présenté de la sorte : "Qui sont ces marchés que Sarkozy et ses compères du G20 veulent rassurer à tout prix ? Derrière la fameuse « main invisible » se cachent 50 mastodontes financiers qui contrôlent l’essentiel de l’économie mondiale"[1].

Il y a peu, trois économistes[2] de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich se sont penchés sur ce que pouvaient être la place et le rôle des grosses entreprises, les firmes multinationales, FMN, sur l’économie mondiale. Il en est sorti une somme : "The Network of Global Corporate Control". Leur étude a exploité des données de 2008 de l’OCDE soit un échantillon de 43060 FMN. A l’issue de calculs mathématiques aussi complexes que la réalité étudiée, ces chercheurs sont arrivés à la conclusion que, parmi ces 43060 firmes, certaines étaient "plus égales" que d’autres. Par le jeu -mot détestable qui dissimule la réalité humaine- par le jeu des participations au capital des FMN, des majors ont plus de pouvoir que d’autres : en fait, elles les dirigent. 737 FMN sont des « détenteurs prépondérants » et cumulent 80% du contrôle de la valeur de toutes les FMN prises en compte. Au sein de ces 737 sociétés, les trois chercheurs ont découvert 147 FMN qui s’interpénètrent par des investissements croisés (je possède 2% de tes actions et toi tu possèdes 3% des miennes, etc…) et qui, tout en se contrôlant elles-mêmes entre elles, possèdent 40% de la valeur économique et financière de toutes les FMN du MONDE. Encore plus "happy few", 50 sociétés parmi ces 147 sont des "super-entités". Ce sont des banques, des compagnies d’assurances et des fonds d’investissement ou de pensions. Les voici par ordre d’importance :

1. BARCLAYS PLC (Grande-Bretagne)

2. THE CAPITAL GROUP COMPANIES INC (États-Unis)

3. FMR CORP (États-Unis)

4. AXA (France)

5. STATE STREET CORPORATION (États-Unis)

6. JPMORGAN CHASE & CO (États-Unis) (États-Unis)

7. LEGAL & GENERAL GROUP PLC (Grande-Bretagne)

8. THE VANGUARD GROUP, INC. (États-Unis)

9. UBS AG (Suisse)

10. MERRILL LYNCH & CO., INC. (États-Unis)

11. WELLINGTON MANAGEMENT CO. L.L.P. (États-Unis)

12. DEUTSCHE BANK AG (Allemagne)

13. FRANKLIN RESOURCES, INC. (États-Unis)

14. CRÉDIT SUISSE GROUP (Suisse)

15. WALTON ENTERPRISES LLC (États-Unis)

16. BANK OF NEW YORK MELLON CORP. (États-Unis)

17. NATIXIS (France)

18. GOLDMAN SACHS GROUP, INC., (États-Unis)

19. T. ROWE PRICE GROUP, INC. (États-Unis)

20. LEGG MASON, INC. (États-Unis)

21. MORGAN STANLEY (États-Unis)

22. MITSUBISHI UFJ FINANCIAL GROUP, INC. (Japon)

23. NORTHERN TRUST CORPORATION (États-Unis)

24. SOCIÉTÉ GÉNÉRALE (France)

25. BANK OF AMERICA CORPORATION (États-Unis)

26. LLOYDS TSB GROUP PLC (Grande-Bretagne)

27. INVESCO PLC (Grande-Bretagne)

28. ALLIANZ SE (Allemagne)

29. TIAA (États-Unis)

30. OLD MUTUAL PUBLIC LIMITED COMPANY (Grande-Bretagne)

31. AVIVA PLC (Grande-Bretagne)

32. SCHRODERS PLC (Grande-Bretagne)

33. DODGE & COX (États-Unis)

34. LEHMAN BROTHERS[3] HOLDINGS, INC. (États-Unis) données de 2008.

35. SUN LIFE FINANCIAL, INC. (Canada)

36. STANDARD LIFE PLC (Grande-Bretagne)

37. CNCE (France)

38. NOMURA HOLDINGS, INC. (Japon)

39. THE DEPOSITORY TRUST COMPANY (États-Unis)

40. MASSACHUSETTS MUTUAL LIFE INSUR. (États-Unis)

41. ING GROEP N.V. (Pays-Bas)

42. BRANDES INVESTMENT PARTNERS, L.P. (États-Unis)

43. UNICREDITO ITALIANO SPA (Italie)

44. DEPOSIT INSURANCE CORPORATION OF JP (Japon)

45. VERENIGING AEGON (Pays-Bas)

46. BNP PARIBAS (France)

47. AFFILIATED MANAGERS GROUP, INC. (États-Unis)

48. RESONA HOLDINGS, INC. (Japon)

49. CAPITAL GROUP INTERNATIONAL, INC. (États-Unis)

50. CHINA PETROCHEMICAL GROUP CO. (Chine)

 

Au total, on a là 33 entreprises anglo-saxonnes (24 américaines, 8 britanniques et 1 canadienne) soit 66%. Sur les 10 plus importantes, 8 sont anglo-saxonnes (80%) et sur les 20 premières, on en trouve 15 soit  75%, Et encore ne s’agit-il que d’une comptabilité de places dans le classement, il faudrait pouvoir cumuler le capital de ces entités WASP pour mieux montrer l’emprise du capital anglo-saxon sur le monde.


Cas concret : ExxonMobil

Voici les principaux actionnaires du plus gros pétrolier au monde : EXXONMOBIL :

Vanguard Group et fonds associés (8e dans la liste des 50) : 7,20%

State Street Corporation (5°) : 4%

Bank of New York Mellon Corporation (16e) : l,58%

FMR Corp. (31) : 1,51 %

Wellington Management Company (11°) : 1,39%

Northern Trust (23e) : 1,33%

JPMorgan Chase & Co (6e) : 1,09%

Bank of America Corp. (25°) : 0,96 %

Compte tenu de la capitalisation financière d’ExxonMobil, ces pourcentages -en apparence modestes- représentent des sommes énormes.


Barclays : primus inter pares

Barclays a son siège à la City de Londres où se côtoient 550 banques et la moitié des plus gros assureurs de la planète. Elle est dirigée par un Américain : on reste entre amis, les WASP. Cette banque possède plus de 300 filiales dans les paradis fiscaux : 181 aux îles Caïmans, 38 à Jersey, 30 à Man, etc... Soit le plus gros potentiel d’évasion fiscale de la City écrit Marc de Miramon. Mais chez Barclays on ne parle pas avec de gros mots, on dit "optimisation fiscale". Les Iles Caïmans sont un T.O.M. (territoire d’outre-mer) du Royaume-Uni. L’île de Man a également un statut spécial. Elle dépend directement de la Couronne britannique et non pas du parlement de Westminster. Il en va de même de l’île de Jersey.


Capital Group Companies inc.

C’est un fonds de pensions.

Les ramifications de cette firme fondée en 1931, en pleine dépression mondiale, sont surprenantes, en particulier dans les sociétés du CAC 40: 10% du capital d'Air France (4400 suppressions de postes prévus d’ici à 2013), 5% de la Société générale, 5% de Schneider Electric (1000 emplois supprimés en 2009 et 1000 intérimaires menacés aujourd’hui en France), 10% de Suez Environnement, 5 % de Rhodia ... Même omniprésence au sein des sociétés allemandes : Bayer (10%) ou Continental (5%) (1100 salariés licenciés suite à la fermeture de l’usine de Clairoix dans l’Oise) ; sans oublier la Grèce. CGC inc. a des participations significatives au sein de l'OPAP, la principale société de loterie numérique et de paris sportifs en Europe, le géant du BTP Ellaktor, ou du ciment Titan.


FMR corporation

Les activités du fonds de pension FMR Corp., 3e firme du classement, proposent, à travers ses filiales, tous les services financiers aux quatre coins du globe : l'investissement dans les secteurs publics (Fidelity Tax Exempt Services Company), les retraites japonaises (Fidelity Group Pensions Japan), les investissements dans les entreprises canadiennes (Fidelity Investments Canada Ltd) et même une branche dédiée à "l’optimisation fiscale" (sic, déjà vu) avec Fidelity Investments Tax exempt Services company. "Tax exempt" : inutile de traduire.

 

Tout cela présente des visages, des hommes en chair et en os : "voilà l’intronisation de Mario Monti, économiste, conseiller international de Goldman Sachs (18° rang mondial, cf. le tableau, JPR) depuis 2005, et désormais président du Conseil à la tête de l’Italie". Lien : http://www.placeaupeuple2012.fr/les-marches-font-la-loi/

 

Si l’on ajoute aux 33 mastodontes anglo-saxons, les 5 français, les 2 allemands, les 2 néerlandais et le groupe italien, nous avons là 43 des 50 plus grands financiers de la planète. Le projet existe de créer entre l’Europe des 27 et l’Amérique du Nord une vaste zone de libre-échange nord-atlantique. Les 43 y seront comme poissons dans l’eau et tout cela sera protégé in fine par l’OTAN.

L’ordre mondial se met en place.

Les peuples ont-ils dit leur dernier mot ? ainsi que l'écrit le programme du Front de Gauche (p.10) : "pour abolir les privilèges de notre temps, il nous faudra assumer puis remporter le confrontation avec la finance". La tâche sera rude. Mais le vent se lève...



[1] Humanité-Dimanche, n°20779 du 27 octobre 2011. Dossier établi par Dominique Sicot et Marc de Miramon incluant un entretien avec Tristan Auvray, Doctorant à Toulouse-I .

[2] Stefania Vitali, James B. Glattfelder et  Stefano Battiston.

[3] L’étude a été effectuée à partir de données de 2008. Lehmann Brothers a été mis en faillite en septembre. Ses activités ont été reprises par Barclays et par Nomura. (note de l’Humanité-Dimanche).

L' envolée des fortunes...

publié le 22 févr. 2013, 01:17 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 22 févr. 2013, 01:48 ]

publié le 24 nov. 2011 12:24 par Jean-Pierre Rissoan   [ mis à jour : 24 nov. 2011 23:22 ]

Mme Deborah Hargreaves est présidente du groupe britannique de recherche sur les hauts salaires (High Pay Commission). Ses recherches lui ont permis de constater que "la hausse des inégalités a été telle durant la période qui suit l’an 1980 que l’écart entre riches et pauvres en Grande-Bretagne est comparable à celui de certains pays en développement".

Yves Lacoste, géographe français de notoriété, spécialiste de la géographie des pays en développement disait - il y a déjà quelques décennies - que dans les pays du Sud, dans les pays sous-développés "les richesses sont plus grandes et la pauvreté est plus grande que dans les pays du Nord". Voilà une disparité nord-sud qui a disparu. Egalisation par le bas.

Thomas Piketti nous donne des éléments d’explication. Durant le XX° siècle, les gros patrimoines ont subi en Europe occidentale surtout, mais globalement dans tous les pays riches, une sorte de nivellement à cause de troubles majeurs ; les deux guerres mondiales et la crise de 1929. de plus, la démocratie politique évoluant vers un peu de démocratie sociale "les conditions de l'accumulation de patrimoines importants se sont totalement transformées : les taux supérieurs des impôts sur le revenu et sur les successions ont atteint des niveaux extrêmement élevés". Tant et si bien que "les traumatismes humains et financiers ont donné à la redistribution fiscale une importance déterminante. (…). Les décennies qui se sont écoulées depuis 1945 n'ont toujours pas permis (aux) fortunes et (aux) revenus de retrouver le niveau astronomique qui était le leur à la veille de première guerre mondiale".

Avant 1914, c’était "la Belle Epoque", et les fortunes s’étalaient sans vergogne. On peut trouver des références cinématographiques : la parade des chapeaux avant la course d’Ascot dans le film My fair lady[1], ou encore l’arrivée de la princesse russe et de ses enfants à l'Hôtel des Bains du Lido, grand hôtel de Venise, dans La mort à Venise[2]à l’autre bout de l’échelle, dans les caves de Lille, industrie textile, « on meurt sous vos plafonds de pierre » ![3]

Ce qu'on nous propose, ce à quoi rêve le parti du Patrimoine, c'est un retour à la hiérarchie du XIX° siècle. Est-ce possible s'interroge Piketti ? Mme Deborah Hargreaves vient de lui donner une réponse. Mais cet économiste avait déjà constaté qu’aux Etats-Unis d'Amérique, "en deux décennies (1980-1990) les inégalités ont retrouvé le niveau qui était le leur à la veille de la 1ère guerre mondiale"[4]. Ces deux décennies sont celles de la désastreuse « révolution conservatrice » initiée par les Anglo-saxons : Thatcher en Angleterre, 1979, R. Reagan aux Etats-Unis, 1981.

Piketti avançait l'idée qu’un retour au XIX° siècle (avait) un certain nombre de fondements objectifs" : la troisième révolution industrielle, avec Bill Gates comme figure emblématique[5], montre que "la très forte croissance enregistrée dans les nouveaux secteurs est de nature à permettre l'accumulation en un temps relativement bref de fortunes professionnelles considérables". Avec l'idéologie du now-nowism, du "tout-tout-de-suite", la pression est forte. Enorme. De plus, l'expérience montre que la "baisse des taux marginaux supérieurs (de 70-80% à 30-40%) facilite la constitution (ou la reconstitution) des patrimoines importants". Donc dépêchons-nous ! De plus, "la stagnation des pouvoirs d'achat constatée (1980-1990) a partout conduit à un certain rejet de l'impôt sur le revenu (c'est le moins qu'on puisse dire, JPR)" et "la mobilité (réelle ou supposée) de plus en plus forte des capitaux et des "super-cadres" conduit les différents pays à s'aligner sur une fiscalité allégée pour les revenus en question".

Retour aux hiérarchies du XIX° siècle, alignement sur la hiérarchie des pays pauvres remplies de riches insolents à la fortune nauséeuse ? On peut aussi dire retour aux hiérarchies antiques. A Rome, sous l’Empire (II° NE), "les paysans propriétaires de leur champ vivent dans des chaumières misérables. (..)". Ils voient parfois arriver "de jeunes bourgeois des villes, qui viennent chasser dans le pays et qui portent avec eux plus de pièces d’or que n’en possèdent tous les habitants sur des milles à la ronde". De retour chez eux, ces jeunes gens pourront se délasser dans leur villa de plaisance "où naturellement il y a des thermes et une piscine chaude en plein air, d’où, tout en nageant, on peut voir la mer"[6].

Comme au bord de notre riviera ou sur les côtes de Floride.

Ah ! il fait bon vivre. Vive l’Occident, Vivent les agences de notation.

rebondir : Le courage en politique...

[1] Film de George Cukor, sorti en 1964.

[2] Luchino Visconti, 1971.

[3] Cri de révolte de V. Hugo observant le travail des enfants dans l’industrie textile.

[4] T. Piketti signale toutefois que les Etats-Unis "partaient de moins haut et les chocs (des deux guerres mondiales, JPR) y furent moins profonds qu'en Europe".

[5] Rendons cette justice à Bill Gates : il s'est opposé au président G. W. Bush sur la question de la baisse des droits de succession. Il y est hostile.

[6] D’après Pierre Grimal, "La civilisation romaine", chez Artaud.

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